Mercredi 12 avril 2023
- Présidence de M. Cyril Pellevat, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Environnement et développement durable - Emballages et déchets d'emballages - Proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2019-1020 et la directive (UE) 2019-904, et abrogeant la directive 94-62-CE (COM (2022) 677 final)
M. Cyril Pellevat, président. - Mes chers collègues, le président Rapin est actuellement aux Pays-Bas avec le Président de la République pour une visite d'État. Il m'a donc demandé de le suppléer aujourd'hui pour présider notre réunion. Il sera néanmoins rentré demain pour l'audition par notre commission de notre ambassadrice à Londres.
Notre réunion de ce jour est consacrée à l'examen d'une proposition de règlement européen qui a été soumis au Sénat par la Commission européenne au titre du contrôle du respect du principe de subsidiarité. Suivant la proposition de son groupe de travail sur la subsidiarité, qui s'était réuni le 30 mars, notre commission a décidé d'approfondir, sous l'angle de sa conformité au principe de subsidiarité, l'examen de ce projet de règlement européen relatif aux emballages et aux déchets d'emballages qui s'inscrit dans le cadre du Pacte vert et d'un paquet de textes sur l'économie circulaire. Notre collègue Marta de Cidrac, qui préside le groupe d'études Économie circulaire, s'est vue confier cette mission ; je vous propose d'entendre son analyse puis d'examiner ses conclusions.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - J'ai été chargée par notre commission d'examiner, au titre du contrôle de subsidiarité, la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux emballages et aux déchets d'emballages, modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive 2019/904 et abrogeant la directive 94/62/CE.
Quel est l'objectif de cette proposition de règlement ?
La Commission européenne souhaite actualiser, harmoniser et renforcer le cadre législatif européen relatif à la production d'emballages et à la gestion des déchets d'emballages. Elle considère que la directive actuelle, qui date de 1994, mais qui a été modifiée à plusieurs reprises - la dernière modification date de 2018 - n'a pas donné les résultats attendus et a même « manqué son objectif », pour reprendre les termes du commissaire européen à l'environnement.
Les statistiques dont nous disposons montrent, en effet, que l'Europe ne parvient pas à réduire la production d'emballages et de déchets d'emballages, en particulier en matière plastique. Ils continuent même, en poids et en volume, à augmenter à un rythme élevé, en raison notamment du développement de la vente en ligne et de la vente à emporter. La pandémie de covid n'a fait qu'accentuer cette tendance. La Commission européenne considère donc que, en l'absence d'initiative forte, le volume et le poids des déchets d'emballages devraient continuer à progresser dans les prochaines années, de l'ordre de 20 %, et même de plus de 45 % pour les déchets plastiques d'ici à 2030.
Je citerai un chiffre pour illustrer cette réalité : en 2020, un Européen a produit 177 kg de déchets d'emballages ; il en produisait 154 kg en 2010. L'Europe n'est pas sur la bonne trajectoire, d'autant plus que le taux de recyclage des déchets d'emballages n'est pour l'instant que de 65 % et que la part des emballages non recyclables tend à progresser également.
C'est pourquoi un nouveau texte a été présenté, le 30 novembre dernier. Il fixe des objectifs obligatoires, des exigences plus élevées ainsi que des règles harmonisées au sein de l'Union européenne, afin de réduire les incidences négatives des emballages et des déchets d'emballages sur l'environnement.
Pour la première fois, il est prévu un objectif national de réduction des déchets d'emballages, par habitant et par État membre, par rapport à 2018, de 5 % d'ici à 2030, de 10 % d'ici à 2035 et de 15 % d'ici à 2040. Le texte instaure aussi différentes mesures en matière de recyclage, de recharge et de réemploi des emballages. L'objectif est entre autres de rendre tous les emballages recyclables d'ici à 2030.
Dans ce cadre, la Commission européenne propose la mise en place par les États membres d'un système de consigne obligatoire pour les bouteilles en plastique et les canettes en aluminium d'ici à 2029.
Pourtant, l'Union européenne dispose d'une législation particulièrement ambitieuse dans le domaine de la prévention et de la gestion des déchets. Elle prévoit des objectifs de réduction quantitative de la production et de la consommation d'emballages, ainsi que des objectifs de recyclage et de réemploi de ces emballages d'ici à 2026. La France, avec la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, a décidé de mesures très ambitieuses, avec des objectifs avancés par rapport aux textes européens.
La proposition de règlement est-elle conforme au principe de subsidiarité ?
Le choix d'un règlement en remplacement d'une directive ne doit pas remettre en cause la souplesse nécessaire à sa mise en application. Pour inverser la tendance et atteindre les nouveaux objectifs fixés par le texte qui nous est soumis, la Commission européenne a fait le choix d'un règlement, qui, étant d'application directe, est plus contraignant que la directive sur laquelle repose la législation actuelle. Certes, la Commission européenne justifie son choix par le peu d'effets qu'a eus la directive actuelle en matière de réduction de la production d'emballages et de volume de déchets produits au sein de l'Union européenne. La Commission indique que les disparités des réglementations nationales constituent un frein à l'atteinte des objectifs à l'échelle européenne et une source d'insécurité juridique pour les acteurs économiques.
Toutefois, le choix de cet instrument juridique peut se discuter au regard de la nécessité de préserver des marges de manoeuvre et une forme de flexibilité pour les États membres dans la gestion de leurs déchets d'emballages. Ils doivent notamment pouvoir conserver la possibilité de mettre en place des réglementations plus restrictives que le texte européen, sans entraver le fonctionnement du marché intérieur. D'ailleurs, la directive est l'instrument retenu pour d'autres textes traitant de ce domaine d'action.
Le choix de cet instrument juridique n'a d'ailleurs pas les faveurs de plusieurs États membres, notamment de l'Autriche, de la Belgique ou de la République tchèque. Les autorités françaises, pour leur part, n'ont pas d'objection à ce changement d'instrument décidé par la Commission européenne.
J'estime qu'il nous appartient de faire preuve de vigilance, afin que les États membres puissent conserver une réelle souplesse dans l'application de la législation européenne, pour tenir compte des spécificités nationales et des dispositifs déjà mis en oeuvre en matière de réduction des déchets et de lutte contre la pollution liée aux emballages. Il s'agit aussi de leur permettre de poursuivre des objectifs plus ambitieux que ceux proposés au niveau européen.
La base juridique est-elle pertinente ?
La Commission européenne fonde sa proposition sur l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui concerne le fonctionnement du marché intérieur. Or cette seule base juridique « marché intérieur » ne paraît pas pleinement satisfaisante. Certes, le texte qui nous est soumis doit favoriser le développement d'un véritable marché intérieur des emballages, mais il recouvre également une forte dimension environnementale - c'est d'ailleurs son ambition prioritaire. La directive sur la gestion des déchets a été prise sur le fondement de l'article 192 du TFUE, qui prévoit la manière dont est mise en oeuvre la politique de l'Union européenne dans le domaine de l'environnement. Ainsi, une double base juridique « marché intérieur » et « environnement » pourrait s'avérer pertinente. Cette proposition est d'ailleurs avancée par un certain nombre d'États membres, dont la France.
En effet, à titre exceptionnel, il est établi qu'un acte législatif qui poursuit plusieurs objectifs, indissociablement liés, et sans que l'un soit accessoire par rapport à l'autre, peut être fondé sur plusieurs bases juridiques, sauf si ces bases prévoient des procédures incompatibles.
Il me semblerait donc opportun de fonder ce règlement sur cette double base légale - « marché intérieur » et « environnement » - afin de ne pas remettre en cause des pratiques nationales très ambitieuses déjà mises en oeuvre, ou qui pourraient l'être, notamment en matière de gestion des déchets d'emballages.
La mise en place obligatoire d'une consigne pour les bouteilles en plastique et les canettes respecte-t-elle le principe de subsidiarité ?
L'article 44 de la proposition de règlement oblige les États membres à mettre en place des systèmes de consigne pour les bouteilles en plastique et les canettes en aluminium d'ici à 2029, à l'exception de certains types d'emballages, comme les vins, les spiritueux, le lait et les produits laitiers. Certes, il est prévu une dérogation à cette obligation. Pour en bénéficier, les États membres devront avoir atteint un taux de collecte des emballages visés de 90 % sur les deux années consécutives 2026 et 2027, au lieu de 2029, soit dans un délai beaucoup plus restreint.
En proposant une trajectoire encore plus ambitieuse, la Commission européenne tend donc à modifier les règles du jeu en cours d'exercice, et ce alors que les dispositifs en matière de collecte des déchets mis en place par les États membres n'ont pas encore pu pleinement porter tous leurs fruits. Ces dispositifs ont fait l'objet d'investissements importants, notamment de la part des collectivités territoriales, et ils ont déjà commencé à montrer leur efficacité. Je tiens aussi à souligner que la pandémie de COVID a toutefois obligé les collectivités territoriales françaises à reporter certains des investissements prévus pour l'extension des consignes de tri.
La Commission européenne estime qu'une telle obligation - la consigne - doit permettre aux consommateurs de jouer un rôle plus actif dans le cadre des dispositifs de réduction des déchets. Certes, ce système de consigne a été mis en place par plusieurs États membres, mais ce n'est pas le choix qu'a fait la France dans le cadre de la loi Agec du 10 février 2020, il y a trois ans seulement, lors de la transposition du paquet « économie circulaire ».
Je rappelle que sous l'influence du Sénat, ce dispositif de consigne, initialement envisagé par le Gouvernement, a finalement été écarté pour des raisons économiques, environnementales et financières. La France a ainsi choisi une expérimentation volontaire de la part des collectivités territoriales. Son évaluation est en cours. Elle s'appuie sur les retours d'expérience des collectivités territoriales et sur la remise d'un bilan par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), prévue pour le mois de mai prochain. C'est à l'issue d'une concertation - je regrette que le Gouvernement l'ait engagée, prématurément, dès la fin du mois de janvier dernier - qu'il faudra se prononcer sur la mise en place généralisée ou non de ces consignes.
Dans ce contexte, le système proposé par la Commission européenne de consigne obligatoire pour les bouteilles en plastique et les canettes en métal ne paraît pas prendre suffisamment en compte les spécificités nationales dans la mise en oeuvre des politiques de collecte et de gestion des déchets d'emballages, et tend même à remettre en cause des dispositifs déjà mis en place par les États membres, ou en cours de réalisation, qui ont fait - je le rappelle - l'objet d'investissements importants de la part des autorités nationales ou des collectivités territoriales.
Cet article 44 de la proposition de règlement fait l'objet d'une réserve d'examen de la part de la France dans le cadre des négociations actuelles au Conseil.
Non seulement cette disposition n'apparaît pas suffisamment justifiée au regard des objectifs de réduction, de collecte et de recyclage des emballages en plastique, mais, en outre, elle déroge au principe de neutralité technologique : appliquée aux dispositifs de collecte et de traitement des déchets, la neutralité technologique exige de ne pas définir les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs de collecte en vue du recyclage ou du réemploi. Seule l'effectivité de la mesure doit être considérée.
Il revient à la Commission européenne de définir les grandes orientations, ce qui nécessite d'identifier des objectifs et des priorités. Toutefois, dans ce cadre, les États membres doivent pouvoir conserver des marges de manoeuvre et une forme de flexibilité quant aux moyens.
Certes, nous souscrivons entièrement au niveau élevé d'ambition que propose la Commission européenne afin de limiter l'impact négatif des emballages et de leurs déchets sur l'environnement. Cependant, je considère que la Commission européenne ne peut imposer aux États membres un dispositif spécifique pour la collecte des bouteilles en plastique et des canettes en métal à usage unique. Il est essentiel, au regard des actions déjà engagées, de laisser le choix des moyens pour atteindre l'objectif de 90 % de collecte des bouteilles en plastique en France d'ici à 2029.
Le système de consigne doit demeurer une option qui ne peut être mise en place que dans le cadre d'une réflexion nationale sur la politique de gestion et de prévention des déchets d'emballages au sein de chaque État membre.
Pour toutes ces raisons, qui sont résumées dans la proposition de résolution portant avis motivé qui vous a été transmise, je propose que le Sénat considère que cette proposition de règlement européen ne respecte pas le principe de subsidiarité.
M. Claude Kern. - Je souscris aux propos de Marta de Cidrac. Ce règlement n'est pas conforme au principe de subsidiarité. La consigne n'est pas la bonne solution pour répondre aux exigences de réduction des déchets en plastique. En Allemagne, où la consigne est instaurée, il n'y a plus d'innovation : les bouteilles plastiques y sont trois fois plus lourdes, elles n'ont pas changé de composition depuis 20 ans. Il faudra prévoir d'autres formes d'emballages, car les verriers, aujourd'hui, n'arriveraient pas à suivre. En outre, les pays qui ont établi la consigne exportent à 70 % leur plastique pour le recycler.
M. Didier Marie. - Nous sommes loin d'avoir atteint nos objectifs, les chiffres le prouvent : 154 kg de déchets plastiques par personne en 210, plus de 177 kg aujourd'hui, et un accroissement de 30 % si rien n'est fait. Ainsi, le règlement que propose la Commission européenne est bienvenu et va dans le bon sens. L'économie circulaire est l'un des points clefs du Pacte vert ; or la France est mieux-disante que l'Union européenne, notamment depuis la loi Agec.
Ce règlement nous paraîtrait cohérent, mais la consigne ne semble pas être la solution. Notre groupe a voté contre la consigne lors de l'examen de la loi Agec, car elle va à l'encontre de l'innovation et de la recherche et met en difficulté les collectivités. Cela étant dit, il est important de fixer un objectif de recyclage de 90 % des bouteilles en plastique d'ici à 2029.
Cependant, invoquer le respect de la subsidiarité n'est pas forcément bienvenu : mieux aurait valu s'intéresser au fond du texte. L'objectif est de donner le moyen aux États d'aller plus loin ; le règlement est en lui-même pertinent. Nous attendons les résultats des expérimentations en cours et le rapport de l'Ademe qui sera publié en juin.
Pour conclure, nous soutiendrons cet avis motivé, malgré cette réserve sur le choix d'un tel véhicule.
M. Jacques Fernique. - L'enfer est pavé de bonnes intentions. Les trajectoires ne sont pas bonnes. Nous constatons les écarts entre les volumes de déchets et les taux de recyclage et de réemploi. Lors de réunions de concertation sur la mise en place de la consigne plastique, j'avais posé une question, dès la première réunion, sur cette proposition de règlement, qui vidait les concertations de leur substance. Cette généralisation ne permettra pas d'enrayer la consommation de plastique. De plus, pour la pérennité du service public de gestion des déchets, il n'est pas opportun de sortir de son flux une part de ce qui fait sa rentabilité.
Le levier déterminant reste la bouteille en verre. La Commission a certes de bonnes intentions, mais nous imposer les moyens utiles, à rebours des efforts en cours, n'est pas intelligent. Nous sommes d'accord avec l'avis motivé qui nous est soumis.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je vous remercie pour vos remarques et observations. Comme le disent nos collègues Claude Kern et Jacques Fernique, la Commission ignore la concertation en cours qui correspond à la méthodologie prévue par la loi Agec.
Quant à la réserve de Didier Marie sur le vecteur juridique, nous sommes confrontés à un changement de méthode sans que nous ayons été consultés. Il était demandé d'atteindre l'objectif de 90 % d'ici à 2030. La Commission européenne, jugeant notre trajectoire insuffisante, propose de nous dispenser de mettre en place la consigne des bouteilles plastiques et des canettes en aluminium si cet objectif est atteint dès 2026 et2027. Cependant, le vecteur juridique du règlement fait que la décision échappe aux États membres. C'est pour cela que notre avis motivé est valide : on ne change pas les règles en cours de processus. En outre, la crise COVID est passée par là ; le plastique est revenu en force, car nous ne pouvions faire autrement.
M. Didier Marie. - Nous sommes loin d'atteindre les objectifs fixés, la consommation de plastique augmente de façon exponentielle. Nous ne devons pas renoncer à des objectifs ambitieux, il faut donc aller un peu plus loin que la directive précédente, d'où la pertinence du règlement.
Émettre aujourd'hui un avis négatif implique de freiner cette dynamique. Je le répète : peut-être, plutôt que d'invoquer la subsidiarité, nous aurions pu nous intéresser au fond du texte. Les consignes, dans l'état actuel des choses, ne sont pas la bonne solution et peuvent même être contre-productives.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous restons ambitieux. Nous visons bien l'objectif des 90 % de collecte des bouteilles plastiques à l'horizon de 2030 ; mais ne nous trompons pas d'objectif : il n'est jamais bon de modifier les règles en cours. Avancer la date de cette échéance en la conditionnant n'est pas bienvenu. Mais, sur le fond, nous sommes tous d'accord.
M. Pierre Cuypers. - Existe-t-il un volet recherche sur les plastiques biodégradables ?
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Avoir opté pour cette méthode dans la loi Agec nous pousse vers l'innovation et la recherche. Oui, en France, l'innovation existe. Le plastique reste nécessaire dans notre vie quotidienne. Je demeure convaincue que cette méthode est pertinente.
M. Daniel Gremillet. - Nos décisions, très vertueuses, posent parfois des difficultés concrètes pour certaines productions. Voilà qui peut expliquer que tous les États membres ne soient pas alignés. Par exemple, nous n'avons pas de production technologique adéquate et sécurisée pour certaines productions alimentaires. Si la filière du plastique biodégradable émerge, nous pourrons recycler à l'infini. Un effort de recherche considérable est nécessaire. Cependant, face aux réalités de la vie industrielle, les difficultés sont nombreuses. La stratégie de revirement de l'Allemagne sur les moteurs thermiques est révélatrice à cet égard.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous ne devons pas perdre de vue nos objectifs, avec toutes les difficultés d'application afférentes. Nous sommes engagés, la question porte sur la méthode.
M. Jacques Fernique. - Pensons aussi au réemploi.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Tout à fait. N'opposons pas les solutions.
La commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement COM(2022) 677 final, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 45.
Jeudi 13 avril 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Institutions européennes - Audition de Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir, madame l'ambassadrice, pour un large tour d'horizon de notre relation bilatérale avec le Royaume-Uni, où vous représentez la France depuis un peu plus de six mois.
Cette audition sera une occasion de rappeler l'importance déterminante du dialogue franco-britannique dans notre politique extérieure, importance soulignée par le fait que le roi Charles III, auquel vous avez récemment remis vos lettres de créance, aurait dû être accueilli au Sénat le mois dernier, à l'occasion d'une visite reportée, à une date ultérieure.
Alors que l'année prochaine marquera le 120e anniversaire de l'Entente cordiale, et sans revenir sur la riche histoire de la coopération bilatérale entre les deux pays, le partenariat entre la France et le Royaume-Uni est un pivot structurant, aussi bien de notre politique étrangère que de notre politique de défense.
En dépit des divergences récentes apparues en 2021 à l'occasion de la mise en oeuvre du Brexit et de l'annonce de l'alliance AUKUS entre les Britanniques, les Australiens et les Américains en Indopacifique, les politiques extérieures de la France et du Royaume-Uni demeurent étroitement liées. C'est une bonne chose !
Les spécificités que la France partage avec le Royaume-Uni, en sa qualité de puissance dotée de l'arme nucléaire et de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, constituent un facteur de rapprochement, transcendant les désaccords ponctuels qui peuvent survenir entre les deux pays. L'échange de ce matin nous permettra donc d'aborder l'ensemble des grands enjeux de notre politique étrangère et de défense.
À ce titre, le bouleversement géostratégique déclenché par l'agression de l'armée russe en Ukraine le 24 février 2022 est un témoignage de la convergence structurelle entre la France et le Royaume-Uni.
Les autorités britanniques ont été parmi les plus réactives et les plus déterminées à soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine. Alors que l'aide militaire du Royaume-Uni à ce pays est estimée à plus de 6,5 milliards d'euros depuis le début du conflit, vous nous donnerez la position actuelle du gouvernement britannique sur le conflit. Dans quelle mesure son aide fait-elle l'objet d'une coordination efficace avec celle que l'Union européenne apporte ?
C'est dans ce contexte de convergence géostratégique que le Président de la République a accueilli le Premier ministre Rishi Sunak, le 10 mars dernier, à l'occasion d'un sommet franco-britannique ayant permis d'évoquer de nombreux domaines de coopération entre nos deux pays.
Avant de revenir sur les composantes diplomatiques et militaires de notre coopération, je souhaiterais profiter de votre présence pour souligner l'appartenance commune de la France et du Royaume-Uni à l'Alliance atlantique, qui constitue un cadre déterminant pour notre coopération bilatérale.
La semaine dernière, conformément à la volonté commune de la France et du Royaume-Uni, la Finlande a pu rejoindre formellement l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), après ratification de son instrument d'adhésion par l'ensemble des Alliés.
Pour autant, le processus d'adhésion reste en suspens pour la Suède, dont l'instrument d'adhésion doit encore être ratifié par la Hongrie et la Turquie. Alors que l'adhésion rapide de la Suède à l'Alliance atlantique est un objectif partagé par la France et le Royaume-Uni, vous nous direz comment ces deux pays coordonnent leur effort pour accélérer ce processus.
Sur le volet diplomatique de notre relation bilatérale, vous pourrez également nous entretenir de la façon dont a été accueilli, au Royaume-Uni, le format de la Communauté politique européenne (CPE), proposé voilà un peu moins d'un an par le Président de la République.
Après une première réunion à Prague en octobre dernier, qui a permis d'aborder la question des infrastructures critiques, ainsi que le soutien à l'Ukraine, vous nous direz quelle est la perception de ce nouveau format diplomatique, réunissant 44 pays et dépassant le périmètre de l'Union européenne.
En particulier, quelques mois avant un nouveau sommet en Moldavie le 1er juin et un an avant que la 4ème édition de la CPE ne soit organisée au Royaume-Uni, vous nous direz quel rôle les Britanniques entendent jouer dans ce nouvel instrument de politique extérieure, excédant les limites de l'Union européenne.
Sur le volet militaire de notre relation bilatérale, nous serons heureux de vous entendre préciser l'état d'avancement de plusieurs projets de coopération.
Le cadre fixé par les accords de Lancaster House du 2 novembre 2010 demeure une référence incontournable. Alors que la longue mise en oeuvre du Brexit a parfois donné le sentiment de ralentir cette coopération, nous serons attentifs à votre analyse sur les perspectives en matière de coopération militaire bilatérale.
En matière opérationnelle, vous pourrez nous rappeler le rôle des 10 000 militaires de la Force expéditionnaire conjointe franco-britannique, la CJEF, et nous indiquer quelles directions sont envisagées pour renforcer son potentiel à moyen terme.
En matière capacitaire, alors que le Gouvernement a présenté la semaine dernière le projet de loi de programmation militaire, nous serons heureux de vous entendre sur les grands projets industriels menés en commun, en particulier sur l'état d'avancement du futur missile antinavire et futur missile de croisière, ainsi que du projet « One MBDA » de création de centres d'excellence partagés entre les filiales françaises et britanniques du groupe.
Vous voyez, à l'évocation de tous ces sujets, combien votre audition est importante pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mais également pour la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est la première fois que, conjointement, nos deux commissions vous entendent, en votre qualité de nouvelle ambassadrice de France au Royaume-Uni, et nous en sommes, madame l'ambassadrice, ravis.
Je rappelle que, dès le Brexit engagé, nos commissions ont mis en place un groupe de suivi commun sur le sujet. Celui-ci s'attache désormais à suivre l'évolution de la nouvelle relation euro-britannique. Une délégation de ce groupe s'est d'ailleurs rendue à Dublin et Londres en octobre dernier, juste avant votre prise de fonctions. Votre prédécesseure, Mme Catherine Colonna, avait été reçue à plusieurs reprises dans ce cadre. Il faut dire que la mise en oeuvre des accords de retrait et de commerce n'a pas été un long fleuve tranquille, c'est le moins qu'on puisse dire !
Le protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord, annexé à l'accord de retrait, en est l'illustration. Il fut source de vives tensions entre Londres et Bruxelles pendant de nombreux mois. Face aux difficultés constatées sur le terrain, la Commission européenne avait proposé, en octobre 2021, d'assouplir les conditions de mise en oeuvre du protocole. Malgré ses propositions, le climat de confiance dans les négociations avait été altéré par la décision de Boris Johnson, prise en juin 2022, de déposer un projet de loi prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole.
La relation euro-britannique semblait alors dans l'impasse. Il aura fallu attendre l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre, M. Rishi Sunak, pour entrevoir la possibilité d'une issue.
Après des mois de négociations, le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne ont finalement annoncé, le 27 février dernier, la conclusion d'un accord sur les dispositions du protocole nord-irlandais, dit cadre de Windsor. Cet accord vise à alléger les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires imposés aux marchandises provenant de Grande-Bretagne et entrant en Irlande du Nord, mais non destinées à être exportées en Irlande, c'est-à-dire dans l'Union européenne.
Selon vous, madame l'ambassadrice, cet accord largement salué marque-t-il l'ouverture d'un « nouveau chapitre » dans la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, comme a pu l'exprimer Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne ? Comment cet accord a-t-il été accueilli outre-Manche ? Peut-on vraiment espérer, d'ailleurs, qu'il mette fin au blocage politique persistant en Irlande du Nord ?
Outre la mise en oeuvre du protocole, d'autres points de crispation enveniment la relation euro-britannique depuis le Brexit, à commencer par la pêche. Notre commission s'est penchée à plusieurs reprises sur le sujet, que je suis également de très près, en ma qualité d'élu du Pas-de-Calais.
L'obtention de licences de pêche pour accéder aux eaux britanniques a été un combat long et difficile pour nos pêcheurs français. Il semblerait que des tensions aient refait surface au sujet des îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, qui auraient durci les modalités de permis de pêche pour accéder à leurs eaux. Pourriez-vous nous apporter des informations à ce sujet ?
Par ailleurs, l'accord de commerce et de coopération conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni réduit progressivement de 25 % la part des droits de pêche de l'Union européenne dans les eaux britanniques sur une période de cinq ans et demi. Eu égard aux tensions, notamment liées aux licences, comment voyez-vous les perspectives pour l'après-2026, quand l'accès aux eaux britanniques devra faire l'objet d'une négociation annuelle ?
Au-delà de l'épineuse question de la pêche, l'enjeu migratoire mobilise aussi notre commission des affaires européennes. Les migrants n'ont jamais été aussi nombreux à traverser la Manche sur de petites embarcations pour rallier le Royaume-Uni. Plus de 45 000 sont arrivés sur les côtes anglaises en 2022, contre 28 526 en 2021. Sur ce sujet, la France et le Royaume-Uni ont pris de nombreux engagements à l'issue, notamment, du sommet franco-britannique du 10 mars dernier. Qu'en est-il vraiment ? Pourriez-vous nous indiquer si les mesures annoncées ont été mises en oeuvre, ou si elles vont l'être rapidement? Avec quel financement et selon quel calendrier ? Quel sera l'impact concret de ces mesures sur le terrain ?
Sur le même sujet, alors que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a décidé d'examiner, en début de semaine, la requête d'un demandeur d'asile irakien menacé d'expulsion du Royaume-Uni vers le Rwanda, dans le cadre d'un accord controversé entre Londres et Kigali, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les principales dispositions du projet de loi britannique contre l'immigration illégale ? Où en est sa discussion ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni. - Je vous remercie de m'accueillir ce matin, mesdames, messieurs les sénateurs. Je reconnais d'ailleurs avec plaisir certains visages que j'ai pu déjà rencontrer dans ma carrière, notamment en tant qu'ambassadrice auprès de l'Otan. J'aurai à mon tour l'occasion d'accueillir certains d'entre vous prochainement car, ayant pris mes fonctions il y a cinq mois, je constate une reprise des contacts avec le Royaume-Uni. C'est positif !
Je suis heureuse de pouvoir échanger avec vous sur la relation franco-britannique, à l'issue du 36e sommet entre nos deux pays, et d'évoquer d'autres sujets, comme la conclusion de l'accord de Windsor.
Ce sommet de Paris du 10 mars était attendu. Cinq années s'étaient écoulées depuis le dernier sommet franco-britannique, celui de Sandhurst, cinq années marquées par la pandémie de covid-19, le retour de la guerre sur le continent européen, la crise énergétique, l'inflation, les tensions liées à l'annonce du partenariat AUKUS et le départ de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Par le passé, les rencontres entre nos deux pays étaient annuelles ou bisannuelles : cela dit bien l'ampleur des retrouvailles et le sens du récent sommet.
Le Président de la République a rappelé à cette occasion, comme il l'avait fait lors du sommet de Sandhurst, qu'aucun événement ou aucune décision politique ne pourrait jamais changer ni la géographie ni l'histoire. Nous avons avec le Royaume-Uni une histoire millénaire, qui nous a parfois opposés, nous partageons des valeurs et les liens entre nos peuples sont solides. Il était donc important de relancer les relations avec un pays qui, certes, n'est plus membre de l'Union européenne, mais demeure un voisin et partenaire important.
Sur le plan économique, par exemple, la France est le huitième client et le sixième fournisseur du Royaume-Uni, qui représente notre deuxième excédent commercial - 5 milliards d'euros en 2022 - et le troisième investisseur dans le pays. C'est le troisième pays comptant le plus de filiales françaises.
Dans le domaine de la défense, le Royaume-Uni est également notre premier partenaire en termes d'interactions opérationnelles, d'entraînement, de missions, d'escales, de survols, avec des échanges permanents et à tous les niveaux entre nos états-majors. Le Royaume-Uni est notre premier partenaire en termes de réseau d'échange des officiers de liaison, et la France est le 2ème partenaire du Royaume-Uni. Nos domaines de coopération sont multiples et, même pendant les périodes les plus difficiles, ces coopérations étroites, historiques et constantes en matière de défense n'ont pas cessé. En tant qu'ambassadrice auprès de l'Otan, j'ai vu se mettre en place, en 2017, la présence avancée renforcée en Estonie, aux côtés des Britanniques.
Par ailleurs, environ 250 000 de nos compatriotes vivent au Royaume-Uni, avec, en parallèle, 150 000 Britanniques résidant de façon permanente dans notre pays. C'est une richesse, mais nous avons aussi, vis-à-vis de ces communautés, la responsabilité d'entretenir entre nos pays de bonnes relations.
Sur le plan culturel, nous pouvons compter sur le dynamisme du British Council et de l'Institut français. Le réseau des alliances françaises au Royaume-Uni est l'un des plus anciens, avec 11 alliances françaises. Le français est en outre la langue la plus enseignée dans le système éducatif britannique, même s'il subit une concurrence de plus en plus rude de l'espagnol. Nous travaillons ainsi à entretenir cet attachement au français. Il existe par ailleurs 80 doubles diplômes et le Royaume-Uni est, en matière de recherche, notre premier partenaire scientifique pour les co-publications.
Enfin, sur le plan diplomatique, France et Royaume-Uni sont tous deux membres permanents du Conseil de sécurité et membres de l'Alliance atlantique. Comme j'ai pu le constater dans mes précédentes fonctions, ils défendent très souvent une approche similaire sur les grands dossiers de ce monde.
Dans les circonstances actuelles, des éléments nous invitent à nous rapprocher davantage, en particulier en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère - c'était tout l'enjeu du sommet du 10 mars.
Tout d'abord, nos deux pays évoluent dans un contexte international renouvelé, plaçant l'Europe, au sens géographique du terme, face à de nouvelles responsabilités. La France et le Royaume-Uni ont un rôle majeur à jouer pour faire prévaloir les principes universalistes et humanistes auxquels ils sont fondamentalement attachés et assurer une bonne coopération entre l'Union européenne et l'Otan.
Je veux ainsi saluer le virage pris par le gouvernement britannique avec le cadre de Windsor, lequel marque une volonté de réengagement et d'une relation stabilisée avec l'Union européenne. Cet accord ménage ce qui compte pour nous - l'intégrité de notre marché intérieur -, il maintient des contrôles nécessaires en simplifiant les procédures, pour les marchandises allant de Grande-Bretagne vers l'Irlande du Nord, et apporte un signal positif pour la préservation des acquis de l'accord du Vendredi saint, dont on célèbre le 25ème anniversaire, au moment de la venue du Président américain Joe Biden en République d'Irlande et Irlande du Nord. Cet accord permet aussi d'envisager la poursuite de relations constructives dans de nombreux domaines - économie et finance, sécurité et politique étrangère -, sachant qu'il était essentiel de rétablir la confiance.
Le Premier ministre britannique a obtenu le soutien d'une large majorité à la Chambre pour le valider, bien que les unionistes nord-irlandais et plusieurs députés conservateurs aient fait entendre leurs différences. La négociation a été longue, mais très bien conduite. Ce cadre marque donc un nouveau départ. Il faudra cependant être vigilant sur sa mise en oeuvre, mais c'était une étape à franchir pour recréer un lien entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
Ce nouveau départ, nous voulons le mettre à profit pour une meilleure coordination de notre soutien à l'Ukraine, nos deux pays partageant la même volonté de ne pas voir la Russie gagner cette guerre. Depuis le premier jour, France et Royaume-Uni soutiennent l'Ukraine sur le plan humanitaire, militaire et économique. Notre coopération est très étroite en matière de sanctions. Nous avons également choisi de mener des opérations concrètes, par exemple sur la formation des militaires ukrainiens ou les équipements opérationnels à haute valeur. Pour faciliter cette coordination, il y a des officiers de liaison dans les missions européenne et britannique. C'est ensemble que nous préparons les semaines et mois à venir, avec une conviction commune : il faudra trouver une issue à ce conflit, c'est-à-dire une paix durable qui respecte le droit international et les intérêts du peuple ukrainien Notre coopération pour la reconstruction de l'Ukraine sera aussi accrue, dans la perspective notamment de la prochaine conférence organisée à Londres en juin.
La coopération est tout autant étroite au niveau de l'Otan, dont le prochain sommet aura lieu en juillet. Nous constatons des convergences sur la nécessité d'investir dans la défense - nous soutenons le Defence Investment Pledge (DIP) malgré nos différences, avec un budget à plus de 2 % -, sur le financement commun, sur le soutien à l'Ukraine ou encore sur notre présence avancée en Estonie.
S'agissant de la communauté politique européenne (CPE), le Royaume-Uni a annoncé y participer, avant son premier sommet tenu à Prague en octobre dernier. Les prochains sommets auront lieu en Moldavie en juin, puis en Espagne et au Royaume-Uni. La CPE offre une autre occasion de travail conjoint, un espace de coopération et de dialogue au service de la sécurité et de la stabilité de notre continent. C'est une façon, pour le Royaume-Uni, de rappeler qu'il appartient bien au continent européen et qu'un certain nombre de sujets - énergie, infrastructures, connectivité, cybersécurité, lutte contre la désinformation et l'immigration - doivent s'appréhender au-delà du périmètre strict de l'Union européenne.
La CPE vient donc compléter et amplifier les actions menées dans d'autres cadres - au niveau national, au sein de l'UE, du G7, et de l'Otan - pour renforcer notre résilience collective face aux menaces.
Le sommet de Paris a en outre permis de renforcer la coopération en matière de défense et de sécurité, qui est très forte ; les accords de Lancaster House sont assez uniques en leur genre. Il s'agit de renforcer l'interopérabilité, tant technique qu'humaine, qui est parfois peu visible mais essentielle, quand on pense notamment à la convergence des radios. Nous entendons également avancer sur le projet relatif aux missiles, dont le calendrier est ambitieux, avec une échéance à 2030 pour le futur missile antinavire et futur missile de croisière, ou sur l'interopérabilité de nos systèmes aériens futurs. Il est enfin des domaines nouveaux que nous souhaitons explorer ensemble, comme les armes à énergie dirigée ou la maîtrise des fonds marins. Nous envisageons également des adaptations du potentiel de la Force expéditionnaire conjointe (CJEF)- au nouvel environnement de sécurité et aux nouvelles régions contestées comme le Grand Nord. De même, nous souhaitons améliorer notre coopération en matière logistique, accroître les échanges de renseignement en soutien aux opérations, et faciliter, de façon concrète, l'accès de chacun aux bases militaires de l'autre.
Par ailleurs, le sommet de Paris a marqué la volonté de nos deux pays de renforcer la coordination de leur déploiement militaire maritime dans la région indopacifique, en vue d'instaurer une présence européenne pérenne dans la région.
En ce qui concerne le nucléaire militaire, les travaux se poursuivent dans le cadre de la commission nucléaire conjointe. Le sommet a en effet comporté tout un volet économique et industriel très important. Sur le nucléaire civil, le chantier de Hinkley Point, visant la construction de deux réacteurs EPR par EDF, constitue la concrétisation la plus visible de la coopération franco-britannique. S'y ajoute le projet de Sizewell C, qui pourrait concerner deux réacteurs EPR supplémentaires et que nous soutenons pleinement.
Le sommet de Paris a marqué notre volonté de renforcer la coordination en matière de décarbonation et d'énergies renouvelables, et de travailler à la réforme de l'architecture financière internationale, en préparant le sommet de Paris de juin prochain sur le nouveau pacte financier
J'en viens à l'immigration irrégulière, un sujet sur lequel la coopération franco-britannique est essentielle. Les deux pays y travaillent depuis longtemps : à titre d'exemple, en 2022, plus de 1 300 traversées d'embarcations de fortune ont été empêchées, 55 filières de criminalité organisée démantelées et plus de 500 arrestations réalisées.
Après le cadre bilatéral renouvelé conclu le 14 novembre dernier, une étape supplémentaire a été franchie lors du sommet de Paris, avec un engagement des Britanniques sur une contribution pluriannuelle de 141 millions d'euros pour 2023-2024, 191 millions d'euros pour 2024-2025 et 209 millions d'euros pour 2025-2026. Ces sommes permettront de financer 500 nouveaux membres des services opérationnels et d'autres ressources humaines en France, et d'investir dans de nouvelles infrastructures et de nouveaux équipements de surveillance, afin de permettre une détection plus rapide des tentatives de traversées. Ces investissements doivent permettre de mettre en circulation davantage de drones, d'hélicoptères et d'aéronefs, et d'accroître les capacités de gestion des migrants irréguliers, notamment par la création d'un centre de rétention, qui permettra d'augmenter le nombre de retours et de prévenir les tentatives de traversées.
La pêche n'était pas au centre des discussions qui ont eu lieu lors du sommet de mars dernier, les échéances sur le dossier n'intervenant qu'en 2026. Mais, comme vous l'avez souligné, monsieur le Président Rapin, les discussions sur le sujet ont été complexes du fait des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'autorisation d'accès aux eaux britanniques pour les bateaux de pêche européens qui y pêchaient précédemment, notamment pour la zone des 6 à 12 milles et autour des îles anglo-normandes, ainsi que pour les bateaux de moins de 12 mètres, .Ces questions avaient engendré à l'époque des tensions diplomatiques, ce qui avait valu à ma prédécesseure une convocation au Ministère des affaires étrangères britannique, ce qui n'est pas fréquent. Les travaux approfondis menés par la Commission européenne et les autorités françaises auprès de leurs homologues britanniques ont permis d'apaiser la situation, mais certains sujets demeurent problématiques. Nous sommes en particulier vigilants sur la question de l'activité dans les eaux des îles anglo-normandes et des bateaux remplaçants. La poursuite des échanges est importante pour que les bateaux puissent continuer leurs activités dans ces eaux. La mise en place d'une instance de concertation locale est à cet égard très importante.
Nous avons clairement en tête l'échéance de 2026. Dans cette optique, nous nous attacherons à défendre au mieux les intérêts de nos pêcheurs, comme cela a été fait tout au long de la négociation de l'accord de commerce et de coopération. À ce stade, les interventions britanniques sont peu précises et devront inclure les positions des nations - car la pêche est une compétence dévolue. Les orientations seront connues plus tard en raison des élections générales qui auront lieu l'an prochain.
Avant 2026, il y a cependant un certain nombre de sujets que nous suivons de près, comme le déploiement de nouvelles politiques de pêche en remplacement de la politique commune européenne, et la question notamment des zones protégées. Je suis très attentive à ce sujet de la pêche, et nos représentants à Bruxelles également.
Le récent sommet, enfin, était important pour renouer les liens entre nos sociétés, car il ne faudrait pas que celles-ci se perdent de vue avec le temps et la limitation des échanges humains. Nos pays se sont donc engagés à approfondir leur coopération culturelle, éducative et scientifique. En particulier, nous avons souhaité qu'un dialogue sur la mobilité de la jeunesse soit engagé, car c'est important pour l'avenir.
Nous regardons également vers 2024, avec la commémoration du 120ème anniversaire de l'Entente cordiale, à laquelle la représentation nationale, les collectivités locales et les nombreuses villes jumelées devront participer.
C'est donc à la relance d'un dialogue que nous assistons. Certes, ce n'est pas un aboutissement dans un certain nombre de domaines - énergie, économie... - , mais cette reprise souhaitée des discussions nous permettra de mieux nous comprendre et, ainsi, d'anticiper d'éventuelles difficultés. M. Claude Kern. - Une loi promulguée au Royaume-Uni, le 23 mars dernier, permettra aux autorités britanniques de sanctionner, voire de refuser l'accès aux ports du royaume des navires employant des marins rémunérés en dessous du salaire minimal national. Une proposition de loi similaire a été adoptée à l'Assemblée nationale française le 28 mars et sera prochainement examinée par le Sénat. Ces textes font suite à l'affaire P&O Ferries, qui a licencié, l'an dernier, 800 marins britanniques pour les remplacer par une main d'oeuvre bon marché. Si tout le monde s'accorde sur la nécessité de protéger nos marins contre une concurrence déloyale, les salaires minimaux divergent néanmoins entre nos deux pays. Qu'en est-il de la coordination entre la France et le Royaume-Uni sur le sujet afin que le régime le plus protecteur pour les marins s'applique pour les liaisons transmanche?
M. Didier Marie. - Voilà plusieurs mois que la Grande-Bretagne est secouée par d'importants mouvements de grève. Un mot d'ordre de débrayage total a été lancé par les organisations syndicales. Quelle est, selon votre analyse, la part du Brexit dans cette évolution de la situation économique et sociale, par rapport à d'autres facteurs, comme les conséquences de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine ? Quelles en sont les répercussions politiques ?
Les sondages en Grande-Bretagne attestent d'une évolution de l'opinion des Britanniques sur le Brexit. Une majorité d'entre eux estime que c'était une erreur et que les gouvernements successifs n'ont pas été à la hauteur de la situation. Qu'en pensez-vous ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je souhaiterais évoquer quatre sujets distincts. Des signes montrent-ils une évolution vers un système plus simple du dispositif Erasmus ? L'actuel gouvernement britannique souhaite-t-il se rapprocher à nouveau de l'Union européenne en matière de coopération spatiale ? Envisage-t-on une coopération renforcée sur la cybercriminalité et la cybersurveillance ? Enfin, une ouverture semble poindre en matière de coopération financière : retournerions-nous à une situation similaire à l'avant-Brexit ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne. - Pour ce qui concerne le salaire des marins et le dumping social, je vous renvoie à la déclaration conjointe ayant clôturé le sommet de Paris. Il y est écrit : « La France et le Royaume-Uni s'efforceront d'améliorer les conditions sociales des gens en mer, en accordant la priorité à leur santé et à leur sécurité. Ils présenteront ainsi tous deux, de manière indépendante, des projets de loi à leur Parlement respectif protégeant ces personnes contre l'exploitation. » Le gouvernement britannique est particulièrement attentif au sujet, surtout après le licenciement brutal des 800 marins de P&O Ferries au printemps dernier. La France défend aussi depuis longtemps, dans le cadre de l'Union européenne, l'établissement de standards minimaux pour les gens de mer. Il est souhaitable que les entreprises qui respectent les règles de salaire minimum national, comme Brittany Ferries, n'aient pas à souffrir d'une forme de dumping social de la part de certaines compagnies étrangères.
Le Royaume-Uni a promulgué le 23 mars dernier le Seafarers'Wages Act, imposant que la rémunération des personnels employés sur des navires effectuant des liaisons régulières - plus de 120 par an - à partir d'un port britannique soit au moins égale au salaire minimum national. Ce texte prévoit également que les autorités portuaires imposent aux opérateurs d'attester du respect de cette règle et puissent leur infliger des pénalités en cas de défaut. Des contrôles sur pièce et sur place devraient être effectués sur les navires pour s'assurer du respect de ces règles. Par ailleurs, en janvier, le gouvernement britannique a pris une disposition visant à limiter les pratiques de fire and rehire, consistant à licencier ses employés pour les réembaucher dans des conditions moins favorables, avec de possibles condamnations pour les entreprises faisant usage de cette menace sur leurs employés pour leur faire accepter des conditions de travail moins avantageuses.
Vous avez évoqué un projet de texte en France : nous veillerons à ce qu'il n'y ait pas trop de divergence, une fois le texte voté et publié.
Vous m'avez interrogée sur les conséquences du Brexit sur la situation sociale et économique. Il est difficile de répondre à cette question. Beaucoup de facteurs se mêlent. Certains acteurs économiques, avant même l'accord de retrait ou la ratification de l'accord de coopération, avaient anticipé les conséquences économiques du Brexit. Il y a également eu un effet couperet au 1er janvier 2021, ainsi que des effets conjoncturels dus à la période covid et au redémarrage de l'économie. Il y a également eu des facteurs plus structurels, comme les détournements de flux commerciaux, qui traversent de plus en plus la République d'Irlande. Il est donc difficile de répondre de manière exhaustive et précise. Ce que l'Office for Budget Responsibility (OBR) documente clairement, c'est une perte de productivité et un affaiblissement durable de l'économie du pays. Les prévisions économiques du Fonds monétaire international (FMI) ne sont pas positives pour l'instant ; l'OBR prévoit une croissance négative, avec un PIB en baisse de 0,2 point.
Ce n'est pas à moi de juger du débat britannique sur le Brexit. Les positions sont en train d'évoluer, et le sujet doit être appréhendé dans la durée.
Pour l'instant, nous ne percevons que peu d'évolutions sur le programme Erasmus. Le sujet est important pour améliorer les liens entre les sociétés. Le cadre de Windsor permettra, si les Britanniques le souhaitent, la participation du Royaume-Uni au programme Horizon 2020, afin notamment d'améliorer les échanges entre les chercheurs, qui concerneront également les étudiants.
Sur les questions cyber, notre coopération avec le Royaume-Uni, historique, demeure très bonne. À l'occasion du sommet, nous avons relancé le dialogue, et nous continuerons d'avancer sur ce sujet.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Madame l'ambassadrice, nous vous remercions de cet échange, qui nous permet de prendre la mesure de ce qui reste à faire pour relancer notre coopération, une fois la page du Brexit tournée. Nous ferons en sorte que les échanges interparlementaires, qui n'ont jamais cessé et auxquels nous attachons beaucoup d'importance, se poursuivent.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 20.