- Mardi 4 avril 2023
- Mercredi 5 avril 2023
- Proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement - Examen des amendements au texte de la commission
- Audition de M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins)
- Projet de loi de programmation militaire 2024-2030 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la partie législative du livre VII du code monétaire et financier et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer - Désignation d'un rapporteur
- Questions diverses
Mardi 4 avril 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France - Examen des amendements au texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 1 prévoit d'alléger la taxe d'habitation sur les résidences secondaires pour les logements détenus depuis une certaine durée. Ce sujet n'entrant pas dans le champ retenu pour la proposition de loi, je vous propose de le déclarer irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement n° 1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 11 apparaît également irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution : il concerne une information des Français établis hors de France sur la Caisse des Français de l'étranger.
L'amendement n° 11 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
M. MASSON |
1 |
Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier) |
Mme Mélanie VOGEL |
11 |
Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier) |
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 15 visant à supprimer l'article 1er.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 15.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 8 vise à supprimer la condition de délai de résidence à l'étranger pour déclarer une résidence d'attache. Je demande le retrait de cet amendement.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 8.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 5 prévoit l'impossibilité pour une résidence d'attache d'ouvrir droit au versement de prestations sociales. Il est selon mon analyse irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement n° 5 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 6, qui prévoit une absence de lien entre la jouissance d'une résidence d'attache et la condition d'appréciation de la stabilité et de régularité du séjour au sens du code de la sécurité sociale, apparaît également irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement n° 6 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 16 supprime l'article 2 créant un allégement de taxe d'habitation sur les résidences secondaires pour les résidences d'attache. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 16.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 3 supprime l'allégement de majoration de taxe d'habitation sur les résidences secondaires au bénéfice des résidences d'attache. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 17 vise à introduire une condition de revenu pour le bénéfice de l'allégement de taxe d'habitation sur les résidences secondaires. Il serait contreproductif, car il inciterait les Français établis hors de France à déclarer leurs revenus à l'étranger pour bénéficier de l'allégement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 17.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement n° 4 rectifié prévoit de limiter le dispositif d'allégement de taxe d'habitation sur les résidences secondaires l'année du retour des pays en zone rouge. Peu de Français seraient concernés. Mon avis est favorable sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 19, qui élargit l'allégement aux zones orange.
M. Rémi Féraud. - Je peux comprendre l'extension aux zones orange, car le nombre de celles-ci est restreint. Mais pourquoi adopterions-nous l'amendement n° 4 rectifié ainsi sous-amendé et pas l'amendement n° 3 ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Je ne suis pas favorable à la suppression pure et simple de l'allégement, mais je suis favorable à l'allégement des Français qui reviennent d'un pays en zone orange ou en zone rouge l'année de leur retour.
La commission émet un avis favorable au sous-amendement n° 19. Elle émet un avis favorable à l'amendement n° 4 rectifié, sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 19.
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Mme Mélanie VOGEL |
16 |
Défavorable |
M. FÉRAUD |
3 |
Défavorable |
Mme Mélanie VOGEL |
17 |
Défavorable |
M. FÉRAUD |
4 rect. |
Favorable |
M. LE GLEUT |
19 |
Favorable |
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Avis de sagesse favorable à l'amendement n° 7 rectifié bis visant à créer une commission « Statut de la résidence d'attache ».
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7 rectifié bis.
Article 3
La commission émet un avis favorable aux amendements identiques nos 2 et 18.
La réunion est close à 14 h 10.
Mercredi 5 avril 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement - Examen des amendements au texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance au texte de la commission sur la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
Article 2 |
||
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
M. LUREL |
3 |
Défavorable |
M. GAY |
9 |
Défavorable |
M. GAY |
10 |
Défavorable |
M. GAY |
14 |
Défavorable |
Le Gouvernement |
19 |
Sagesse |
Article 3 bis |
||
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
M. GAY |
11 |
Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier) |
M. GAY |
16 |
Défavorable |
M. GAY |
13 |
Défavorable |
M. GAY |
12 |
Défavorable |
Audition de M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins)
M. Claude Raynal, président. - Nous accueillons Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin. C'est la première fois que notre commission vous reçoit depuis votre nomination, le 20 janvier 2022, à la tête de la cellule de renseignement financier.
Tracfin est un service à compétence nationale de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins. Il fait partie des services de renseignement dits de la communauté du « premier cercle », aux côtés, par exemple, de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Votre service fait face à une actualité extrêmement riche, sur laquelle notre commission souhaite vous interroger. Le conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) a ainsi adopté, au mois de février dernier, la nouvelle version de l'analyse nationale des risques. Cette dernière prend en compte les recommandations du Groupe d'action financière (GAFI), puisque la France a fait l'objet d'une évaluation mutuelle en 2021-2022. Les conclusions de cette évaluation, plutôt positives sur l'efficacité du cadre mis en place par la France, rejoignent celles de la Cour des comptes dans un rapport remis en février 2023 sur l'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment.
Plus récemment, Tracfin s'est vu confier le rôle de chef de file de la cellule mise en place au début du mois de mars 2022 pour identifier et geler les avoirs des personnes visées par des sanctions dans le cadre de la guerre en Ukraine. Au 1er août 2022, 1,2 milliard d'euros avaient été gelés. Vous pourrez très certainement nous en dire plus sur la nature et le montant des avoirs gelés, sur les éventuelles stratégies de contournement mises en place ainsi que sur le rôle de coordination de Tracfin au sein de cette cellule.
En plus de cette nouvelle mission, au coeur de l'actualité, Tracfin doit continuer de traiter un flux exponentiel de données. En 2021, le volume des informations transmises par les professionnels des secteurs financiers et non financiers, par les organismes publics ou par les cellules de renseignement financier étrangères avait augmenté de 43 % par rapport à 2020. Vous pourrez nous indiquer si cette dynamique s'est poursuivie en 2022 et si elle se poursuit début 2023, et les moyens que vous avez déployés pour répondre à ce flux de données, de qualité sans doute inégale. Je vous cède la parole sur ce large spectre.
M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin. - Vous l'avez rappelé, la dernière audition du directeur de Tracfin date de 2019, c'est une conséquence de la période de covid-19, qui n'a pas permis à Tracfin de rendre compte annuellement de son activité devant la Haute Assemblée au regard des moyens qui lui sont conférés au sein du programme 218 « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières », voté chaque année par le Parlement pour financer nos activités, nos personnels et nos moyens.
Comme cela m'a été suggéré, je vous propose d'abord un rapide retour sur l'organisation et les missions du service. Le service a été créé en juillet 1990 à l'issue d'un accord trouvé à Paris entre les pays membres du G7, au cours du sommet de l'Arche, à l'initiative des Présidents Mitterrand et Bush père. On constatait à l'époque la fuite illicite de capitaux qui quittaient l'économie saine. On s'est aussi rendu compte que les moyens pour financer la traque manquaient alors que les tentatives d'assassinat de juges anti-mafia en Italie augmentaient considérablement, conduisant à une fin des années 1980 particulièrement ensanglantée. Les membres du G7 d'abord, puis du G20, ont alors décidé de faciliter la fluidité dans la transmission d'information de nature financière au plan international. Ce même accord a institué le GAFI qui évalue chaque année les États membres et qui, tout en étant distinct de l'OCDE, se trouve au siège de l'OCDE, ici à Paris. Je débute volontairement mon propos par ces éléments car une cellule nationale de renseignement financier ne peut fonctionner que si les connections internationales sont présentes dans toutes les dimensions de son action. Notre efficacité dépend autant de la qualité et des compétences de nos collaborateurs en interne que de la qualité de nos relations institutionnelles avec nos 166 homologues étrangers présents dans autant de juridictions compétentes au plan international. Détecter des fuites illicites de capitaux et être capable de remonter des chaines d'acquisition opacifiées, à travers parfois des juridictions non coopératives au plan international, nécessite de disposer d'une parfaite coopération avec nos 166 soeurs.
Cette coopération internationale est tout aussi patente dans le régime juridique que nous appliquons. À l'origine, les législations étaient essentiellement nationales en la matière. Le législateur a sans cesse accru les compétences de la cellule française, Tracfin, mais ce mouvement s'inscrit dans une dynamique internationale. Depuis le début des années 2000, des règlements internationaux sont venus impacter notre activité. Une phase de trilogues va s'ouvrir prochainement. Mardi dernier, le Parlement européen a en effet voté un mandat en faveur d'un paquet dit « AMLA », pour « Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent », comprenant deux règlements et une directive qui vont très substantiellement modifier le droit applicable et l'activité de lutte contre les financements illégaux et en particulier l'activité de Tracfin. Le projet du Conseil vise notamment à créer une agence européenne, qui n'est pas encore un Tracfin compétent au niveau européen, mais qui dessine tout de même des perspectives en ce sens. On sent, du côté du législateur européen, qu'il y a une tentation d'aller vers une fédéralisation des cellules de renseignement financier, même si ce n'est pas encore le compromis politique qui a été trouvé. Pour l'instant, ce compromis vise à pallier les difficultés apparues sur la supervision de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), des incidents survenus notamment dans une banque danoise qui opérait en Estonie. C'est un paquet législatif substantiel qui est en cours de négociation et sur lequel les autorités françaises sont particulièrement vigilantes. Les parlementaires français ont amendé les dispositions en négociation avec une entrée en phase de trilogue sans doute à partir de mai prochain. Un objectif, partagé au plus haut niveau, consisterait à accueillir à Paris le siège de l'AMLA, même si une dizaine d'autres villes sont candidates..
La particularité juridique du service, vous l'avez rappelé monsieur le Président, c'est d'avoir une double nature. L'une explique ma présence aujourd'hui, puisque le code monétaire et financier régit notre activité et rend votre commission compétente lorsque des dispositions législatives en la matière interviennent. Récemment encore, le Sénat a eu à en connaitre lors de l'examen du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. À cette occasion, le Sénat a contribué à ce que le Service puisse transmettre une information à l'agence anti-dopage, par exemple à l'occasion de montages financiers effectués dans la perspective de cet important événement sportif. Je pense aussi à plusieurs rapports du Sénat dans la lutte contre la fraude fiscale d'importance, que tout le monde ici a en mémoire.
L'autre partie de notre activité, que j'évoquerai sans rentrer dans les détails pour des raisons que vous comprenez bien, est liée au fait que nous sommes un service de renseignement du premier cercle et donc soumis au code de la sécurité intérieure. Ainsi nous sommes comptables de notre action devant la délégation parlementaire au renseignement. J'ai ainsi été auditionné par les présidents Buffet et Cambon au titre du volet sénatorial de cette délégation, au sein de laquelle des aspects classifiés de notre action, intérieure comme extérieure, sont abordés.
Au-delà de cette double nature juridique, il faut distinguer trois grands blocs de compétences, c'est-à-dire trois grands destinataires des notes et signalements de Tracfin. Un premier volet porte sur la lutte contre les fraudes, notamment de nature fiscale, mais aussi sociale et douanière. Un second bloc, qui porte sur la compétence originelle de Tracfin ayant justifié sa création en 1990, mais aussi la création des cellules homologues à l'étranger, vise à détecter et réprimer le blanchiment de capitaux mais aussi le financement du terrorisme. Depuis les attentats de septembre 2001, par décision du GAFI, c'est aussi une compétence des CRF. Si je résume, nous alimentons donc, dans le cadre de ce deuxième volet, l'autorité judiciaire, le parquet financier et les sections antiterroristes compétentes à Paris ou les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ainsi que les partenaires de la police judiciaire ou des procureurs ou des juges d'instruction. Le troisième bloc que j'ai cité, c'est la participation à des activités de renseignement que nous nourrissons d'analyses ou pour le compte desquelles nous effectuons des travaux, la DGSI étant destinataire de 60 % de nos productions. On a d'ailleurs beaucoup recruté après la vague d'attentats de 2015 et c'est logique : un des moyens les plus efficaces pour éviter la commission de ce type d'actes, c'est la rupture de la chaine de financement.
Pour ce qui relève des activités régies par le code monétaire et financier, nous constatons une croissance sans cesse renouvelée. Les rapporteurs spéciaux du programme 218, au sein duquel figurent les crédits alloués à Tracfin, relèvent d'ailleurs une quantité et une qualité croissantes de déclarations de soupçon à Tracfin. On approche de 170 000 déclarations de soupçon. À cela s'ajoutent 3 000 informations de soupçon, provenant à l'origine d'autres autorités administratives nationales ou territoriales. Je peux citer un exemple récent de signalement d'une difficulté fait par le Haut-commissariat en Nouvelle-Calédonie. Il faut enfin ajouter à ces deux premières sources les signalements provenant de nos 166 soeurs à l'étranger. Nous faisons donc face à un afflux de données très important. Il nous faut les traiter et les enrichir, en essayant de les « redistribuer » en fonction de leur nature et de leur urgence. On ne traite pas de la même manière, dans les mêmes délais et avec la même intensité, une suspicion de signalement de financement du terrorisme, par nos homologues, par exemple luxembourgeois, et une suspicion de fraude, basique si j'ose dire, comme une tentative d'évasion fiscale par exemple, détectée par une agence bancaire dans tel ou tel département, qui est un comportement susceptible d'intéresser l'administration fiscale mais moins prioritaire.
Pour faire cela, nos moyens ont augmenté. Les déclarations ont été multipliées par deux en quatre ans. Nos effectifs sont passés de 175 équivalents temps plein (ETP) en effectifs réels à un peu plus de 210 à l'heure actuelle. Nous sommes rattachés au ministère de l'économie et des finances, qui est soucieux de la gestion prudente des deniers publics. Chaque création d'emploi fait donc l'objet de discussions rigoureuses avec le responsable de programme et la direction du budget.
Ainsi, le ministère a, sur la recommandation des assemblées parlementaires, accompagné la croissance, mais pas de manière géométrique. Notre défi est donc, à chaque fois que nous pouvons le faire, de solliciter une croissance de nos effectifs humains.
Chaque emploi créé à Tracfin amène mécaniquement un nombre croissant de signalements à l'autorité fiscale, la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui peut procéder à des contrôles susceptibles de donner lieu à des recouvrements. Un ETP à Tracfin, c'est plusieurs millions d'euros de ressources nettes pour l'État. C'est ce qui nous a permis de faire croitre ces effectifs sur ces dernières années.
Mais cela ne suffit pas face aux défis auxquels nous sommes confrontés. Ce n'est pas propre à la France : tous nos homologues sont confrontés au même défi. Le budget ne peut pas croître de façon inconsidérée et la technique et la technologie sont des moyens de relever ce défi.
Nous avions une dette technique assez importante. Nous avons beaucoup investi pour faire en sorte que les données soient prétraitées et pour mettre des technologies en oeuvre chaque fois que c'est nécessaire afin de gagner en productivité. Nous sommes soumis à cet objectif de productivité en matière d'intelligence artificielle.
Je conclurai mon propos introductif sur trois éléments techniques. Lorsque Tracfin a été créé en juillet 1990, il a été rattaché à la direction générale des douanes car Michel Charasse, le ministre du budget de l'époque, souhaitait que soient détectés et poursuivis des blanchiments douaniers. Il s'agissait de détecter des espèces à la frontière non justifiées ou non justifiables.
En 2023, l'activité du service a évidemment changé. Elle suit l'évolution de la technique financière, qui est aujourd'hui marquée par l'irruption sur les trois ou quatre dernières années du monde des crypto-actifs, mais également d'autres techniques qui visent à désintermédier les banques commerciales. Ces dernières étaient les partenaires de jeu essentiels des services : sur 170 000 déclarations de soupçon en 2022, 93 % viennent de l'industrie bancaire ou assurantielle. La déstabilisation de cette industrie est donc susceptible d'avoir un impact opérationnel très fort sur la lutte anti-blanchiment.
Nous réalisons donc des recrutements ad hoc, réalisons des travaux au sein du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) pour suivre cette législation et s'assurer qu'il n'y a pas de « trous dans la raquette » dans la régulation de cette nouvelle forme d'économie financière. Nous suivons et participons au niveau européen à l'élaboration des règlements, notamment pour ceux qui visent à soumettre à la législation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme les Jetons non fongibles (JNF, NFT en anglais).
Depuis mars 2022 et le déclenchement de la crise en Ukraine, Tracfin a été désigné par Bruno Le Maire pour coordonner une « task force » qui réunit les services fiscaux de la DGFiP et notamment de la direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), les services de la douane et notamment de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), notre homologue de services de renseignements douaniers, mais aussi la direction générale du Trésor (DGT).
Cette task force est chargée de proposer des listes de noms en vue de l'adoption des paquets de sanctions à Bruxelles. Nous avons procédé de manière un peu différente de certains États-membres, qui ont cherché exclusivement une visée politique, notamment en sanctionnant très massivement les membres de la Douma, l'assemblée parlementaire de la fédération de Russie. La proposition de Bercy, par l'intermédiaire de Tracfin, a toujours été de veiller à proposer des sanctions qui respectent les règlements européens, c'est-à-dire qui visent des personnes et personnalités soutenant directement les décisions prises par le Kremlin dans ce conflit mais disposant également d'avoirs ou d'actifs susceptibles d'être gelés et, le cas échéant, judiciairement confisqués.
Après une première année 2022 où le service a fourni une liste de noms qui a été transmise à Bruxelles, nous sommes revenus à une activité plus classique, mais avec une priorité politique qui nous a été donnée de maintenir un haut niveau de pression et d'entrave sur ces personnes, groupes et groupements et de transmettre les dossiers aux parquets compétents, notamment à Paris mais également à Aix-en-Provence. Une grande partie des propriétés de personnes visées sont concentrées dans quelques départements.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci beaucoup pour votre présentation. J'aurai plusieurs questions.
Vous avez évoqué le travail d'identification des acteurs et des bénéficiaires de la fraude dans les structures financières off-shore. Pourriez-vous présenter les méthodes de Tracfin dans la lutte contre l'évasion fiscale ? La décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 22 novembre 2022, qui a invalidé l'accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs du cadastre, a-t-elle eu un effet sur le travail de Tracfin ?
Deuxième question, vous indiquez avoir opéré plus de 70 transmissions à l'administration fiscale en 2021 concernant de potentiels cas de fraude fiscale internationale, pour un enjeu financier total de plus de 200 millions d'euros. En 2022, les enjeux financiers ont bondi à 1,5 milliard d'euros, avec plus de 450 signalements à l'administration fiscale. Au mois de mars dernier, il y a eu les révélations sur la perquisition du siège parisien d'Optical Center, à partir de signalements effectués par Tracfin. Quelles suites ont-elles été données à ces transmissions pour obtenir la réparation du préjudice ?
Troisièmement, vous avez également identifié, parmi les grandes tendances en matière d'atteinte aux finances publiques, la persistance de la fraude au compte personnel de formation et le détournement des mesures d'urgence et de soutien. Ce fut le cas avec l'activité partielle et le fonds de solidarité en 2020, puis avec le bonus écologique ou la prime à la conversion plus récemment. Pourriez-vous nous présenter des exemples de schémas de fraude sur ces dispositifs ? Quels sont les montants en jeu et quels sont les types d'acteurs impliqués dans ces schémas ? Est-il apporté réparation et remède à ces schémas de fraude ?
Je souhaiterais enfin aborder brièvement le sujet des évolutions attendues au niveau européen, avec la présentation par la Commission européenne d'un nouveau « paquet législatif » en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Dans le cadre de ce « paquet » européen, il est notamment proposé de créer une agence européenne de lutte contre le blanchiment des capitaux. Au regard de vos travaux et des travaux de vos homologues, quel regard portez-vous sur cette proposition ? Qu'est-ce que la France peut faire seule et qu'est-ce que le niveau européen peut apporter ?
M. Guillaume Valette-Valla. - Effectivement, la contribution de Tracfin à la lutte contre la fraude fiscale est venue d'un amendement en 2009, le sujet est donc suffisamment ancien pour en parler en 2023. Mais au regard de l'activité du service, qui a été institué en 1990, cela montre que le souci d'adjoindre cette compétence n'est venu qu'en milieu de parcours.
Tracfin n'est qu'un des acteurs parmi les services de Bercy qui, par ses capteurs financiers, ses déclarants financiers ou non financiers, ses cellules de renseignements financiers soeurs à l'étranger, est susceptible de détecter des schémas opacifiés et des montages complexes. À l'occasion des Pandora papers, nous avons notamment transmis à l'administration fiscale ou à l'autorité judiciaire plusieurs dizaines de dossiers, notes d'analyse et signalements relatifs à l'interposition de sociétés écrans basées dans des juridictions non coopératives. La contribution de notre service pour 2022 est, comme vous l'avez rappelé, assez substantielle, puisque 450 transmissions à la DGFiP ont été faites pour 650 millions d'euros d'enjeux financiers. La contribution à la lutte contre la fraude fiscale est un axe prioritaire du service puisqu'un département entier y est consacré. Notre service n'est pas un service de police judiciaire : notre utilité consiste à analyser avec technicité et rapidité les informations dont nous disposons, en utilisant notre réseau international, et parfois, des techniques que la loi ouvre aux services de renseignement du premier cercle pour détecter des données dans des cabinets de défiscalisations dans des zones offshores. La fraude fiscale représente aujourd'hui plus de 20 à 25 % des transmissions à l'autorité judiciaire, sur plus de 3 000 transmissions annuelles toutes matières confondues, c'est donc un sujet substantiel.
Vous avez évoqué la décision de la CJUE qui est venue censurer la disposition d'une des directives anti-blanchiment qui ouvre au grand public, et notamment aux journalistes, l'accès au registre des bénéficiaires effectifs. Cela n'a pas de conséquence pour l'activité de Tracfin puisque la disposition de la directive qui concerne l'accès à ce registre pour les cellules de renseignement financier au sein de l'Union européenne n'est pas concernée. Mardi dernier, le Parlement européen, dans le cadre de la définition de son mandat de négociation avec le Conseil de l'Union européenne, a voulu renverser la position de la CJUE, en la prenant toutefois en compte par l'ajout d'un caractère de proportionnalité, une durée de disponibilité des données, et une limitation de l'accès au registre à certaines catégories d'acteurs particulièrement intéressés.
Concernant l'affaire « Optical center », la presse a évoqué les perquisitions effectuées par l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) du ministère de l'intérieur, qui a agi sous le mandat et les réquisitions du parquet de Paris, à la suite d'un signalement émis par Tracfin. La politique du service consiste à ne jamais communiquer sur les signalements qu'il fait. Depuis 30 ans, nous sommes vigilants sur deux aspects. Tout d'abord jamais aucune déclaration de soupçon n'a été dévoilée dans la presse, car tout le système repose sur une logique « partenariat public-privé ». Les banques ou les notaires ne s'exposent à aucune sanction pénale en cas d'absence de révélation à Tracfin. Il est donc nécessaire qu'il y ait un degré de confiance avec les déclarants, que nous avons selon moi atteint, et qui a été évalué par le GAFI et la Cour des comptes. De la même manière, quand nous transmettons une information à l'autorité judiciaire, jamais nous ne transmettons la déclaration de soupçon, et cette déclaration ne peut pas être identifiée, y compris par l'autorité judiciaire. La loi prévoit que si l'autorité judiciaire souhaite en avoir connaissance, elle doit, par un acte adressé au magistrat en détachement à Tracfin, en obtenir communication. Pour mémoire, nous avons reçu 170 000 déclarations de soupçon l'année dernière, mais nous en avons près d'un million en stock. On constate une qualité déclarative assez remarquable, puisque l'industrie bancaire est de plus en plus mature : les universités ont développé des Masters en conformité et ont des systèmes d'information financiers qui leur permettent d'avoir des « hits » très utiles, et donc une qualité déclarative remarquable. Mais cela implique aussi beaucoup de « bruit déclaratif » : les éléments que les 48 professions assujetties peuvent observer ne doivent être considérés que comme des soupçons et non des infractions. Dans un souci de juste équilibre, de garantie des droits des personnes et de leur vie privée, il est important que cette confidentialité demeure prise en compte à haut niveau. J'imagine que certains membres de votre commission ont été professions déclarantes, ou sont des personnes politiquement exposées au sens de la législation européenne. Cela peut-être pénible, mais cette législation n'émane pas de Tracfin, qui n'est pas une instance normative, mais un service opérationnel qui collecte des déclarations et essaie de les exploiter au mieux.
Sur le compte personnel de formation (CPF), nous nous inscrivons dans un dispositif antifraude qui regroupe la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la DGFiP, ainsi que d'autres administrations. La particularité et l'utilité de Tracfin dans le dispositif anti-fraude reposent sur sa connexion avec l'actualité économique et financière du pays. Les transactions que les établissements bancaires considèrent comme douteuses nous sont signalées. Nous avons donc été très utiles lorsque les premiers montages criminels ont été suspectés par les établissements bancaires lors de la distribution des prêts garantis par l'État (PGE), ou la généralisation du CPF, qui a induit une activité importante pour Tracfin. Nous avons à ce jour reçu près de 400 déclarations de soupçon concernant ce mécanisme, pour près de 300 millions d'euros en jeu, et plusieurs dizaines d'opérations entravées. Du point de vue de Tracfin, le point haut de ce phénomène de fraude au CPF est désormais derrière nous. Il y a eu une période de très forte croissance des déclarations de soupçon, avec des mécanismes classiques d'usurpation d'identité, mais depuis ce temps les mécanismes de contrôle de la Caisse des dépôts et consignations et les dispositifs réglementaires ont progressé. Le second temps de la fraude s'est traduit fin 2021, tout début 2022, par la méthode des « faux cadeaux », consistant à inviter les bénéficiaires à s'inscrire à une formation en contrepartie, par exemple, d'un téléphone portable moderne ou d'un bon cadeau. Il s'avérerait que les personnes formées étaient en fait des complices de mécanismes de fraude, qui ont été signalés sur plusieurs centaines d'entités. Dans un troisième temps, et c'est d'ailleurs plus inquiétant, nous avons retrouvé des mécanismes de grandes fraudes aux finances publiques déjà constatées dans les années 2000, telle que la « fraude quota carbone », et que la presse, les séries télévisées ou le cinéma ont depuis mis en scène. Ce sont des mécanismes transnationaux élaborés par des Français ayant la double nationalité, et opérant entre la France et des pays situés hors de l'Union européenne. Ces mécanismes reposent sur des sociétés dites « blanchisseuses » et consistent à capter l'argent par de petits canaux, à empiler le produit du délit avec d'autres activités normales, de manière à opacifier le mécanisme, puis à le redistribuer dans des zones non coopératives. Nous avons repéré, dans des zones très éloignées des pays des Caraïbes ou du Moyen-Orient, des criminels déjà condamnés par la justice française par le passé, qui se sont lancés dans cette activité. La fraude au CPF relève presque du passé, car le mécanisme a changé. La loi concernant le CPF qui a été adoptée à la fin de la dernière mandature a envoyé un « signal-prix » aux fraudeurs, qui se sont donc détournés du CPF pour se reporter sur la fraude à d'autres dispositifs fortement soutenus par le budget de l'État, tels que ma « MaPrimeRénov' » par exemple. Il y a donc un déport très clair vers d'autres mécanismes de cette industrie du blanchiment, qui se met en jeu pour priver le Trésor de ses ressources essentielles.
M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas très rassurant...
M. Hervé Maurey. - Dès 2016, vous avez attiré l'attention sur les certificats d'économie d'énergie. Vos recommandations ont-elles été prises en compte ?
Dans votre rapport de juillet 2022, vous indiquiez avoir reçu 700 signalements en lien avec des soupçons de financement de terrorisme ou de radicalisation, dont la moitié concernaient des associations cultuelles. Le renforcement de la législation a-t-il été suffisant ? Connaissez-vous le volume du financement étranger de ces associations ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Êtes-vous consulté en amont de la réflexion sur les dispositifs législatifs et réglementaires tels que MaPrimeRénov' et les certificats d'économie d'énergie ? Pensez-vous que les registres des bénéficiaires effectifs sont susceptibles d'être améliorés en vue d'une plus grande coopération internationale ? Enfin, avez-vous des moyens supplémentaires pour investir les champs numérique et virtuel de la fraude et du blanchiment ?
M. Claude Raynal, président. - Jean-François Rapin, qui a dû s'absenter, souhaitait vous interroger sur votre relation avec le nouveau Parquet financier européen : qu'en attendez-vous dans les semaines et mois à venir ?
M. Marc Laménie. - Vous avez indiqué que les effectifs de Tracfin sont de 213 équivalents temps plein, ce qui n'est pas très élevé. Quel est le mode de gouvernance de Tracfin ? Quelle est la répartition géographique des emplois, notamment sur les territoires frontaliers, même si les nouvelles techniques de communication permettent de travailler à distance ? Enfin la DGFiP est l'administration qui a perdu le plus de moyens humains : comment faire pour contribuer malgré tout à accroître les recettes de l'État et lutter contre la fraude fiscale ?
M. Claude Nougein. - Nous avons mené l'an dernier un contrôle budgétaire sur les douanes face au trafic des stupéfiants, domaine dans lequel Tracfin joue un rôle très important. Peu de temps avant votre arrivée a été créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast) : comment se passent vos relations avec cet organisme ? Le trafic de drogue entraîne relativement peu de signalements, notamment de la part des établissements bancaires : ne faut-il pas mettre l'accent sur ce sujet ? Enfin, Albéric de Montgolfier souhaiterait savoir si les fonds issus du trafic de drogue donnent toujours lieu à un blanchiment vers Dubaï.
M. Thierry Cozic. - S'agissant du compte personnel de formation (CPF), la loi du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au CPF et à interdire le démarchage de ses titulaires a-t-elle permis de faire reculer les malversations ? Par ailleurs, vous avez indiqué que vous avez reçu 170 000 déclarations de soupçons pour un stock d'un million : comment choisissez-vous les actions que vous retenez ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Vous avez parlé de l'irruption des crypto-actifs dans le champ de vos travaux. Les NFT ou non-fongible tokens, propices à la fraude à la TVA, sont échangés très facilement, et l'absence de registre reliant l'identité numérique et la personne physique facilite les fraudes : ne faudrait-il pas obliger les entreprises à déclarer leurs comptes d'actifs numériques à l'administration fiscale ?
M. Didier Rambaud. - Dans le cadre du conflit entre la Russie et l'Ukraine, quels sont les résultats de la mobilisation de Tracfin ? Par ailleurs, de nombreux dispositifs d'aide mise en place pendant la crise sanitaire ont donné lieu à certaines malversations : disposez-vous d'informations à ce sujet ?
M. Philippe Dominati. - Quels sont les trois États les moins coopératifs, parmi les pays d'une certaine importance ? Quelle est votre principale « clientèle », entre les fraudeurs fiscaux, le banditisme, le terrorisme ? Enfin, qu'est-ce qui a changé depuis l'invasion de l'Ukraine pour ce qui concerne les masses de capitaux russes circulant en France ou en Europe, et des filières de contournement des sanctions ont-elles été mises en place ?
M. Guillaume Valette-Valla. - Monsieur Dominati, nous n'avons pas vraiment détecté avec les autres services de renseignement et les autres administrations de Bercy de schémas de contournement pour ce qui concerne les sanctions applicables aux capitaux russes. S'il est fréquent que les services d'investigation et de contrôle noircissent le tableau, ce qui justifie les effectifs et les moyens budgétaires, notre perception est plus pondérée. Les mesures qui ont été prises par Bruxelles l'ont été rapidement, et ont été appliquées tout aussi rapidement au plan national. Tant et si bien que, à fin mars 2023, près de 23 milliards d'euros d'actifs des oligarques russes ont été gelés en France, dont 20 milliards d'euros suite à l'action de nos services, ce dont nous sommes assez fiers et ce qui montre bien que la France a été substantiellement réactive. La Banque centrale de Russie détenait des actifs dans certaines banques commerciales des pays du G7, que nous avons très rapidement pu bloquer grâce aux prérogatives que le Parlement avait adoptées concernant Tracfin, qui nous permettent de faire un appel à vigilance auprès de l'industrie bancaire et donc de bloquer l'ordre de retour à Moscou de ces fonds.
Cela nous a mobilisé jour et nuit et nous a conduits à adopter un mode de travail particulier. Le système d'information de Tracfin ne permet en effet pas de travailler à distance, aucune donnée ne sortant du service. Tout est sur site, avec des systèmes qui sont cloisonnés et qui ne communiquent pas avec l'extérieur. Cela a impliqué un gros travail de la task-force. Nous avons également gelé, notamment grâce à l'action remarquable de la DGFiP à cet égard, plus de 800 millions d'euros d'actifs immobiliers appartenant aux oligarques en France. Cela montre que le système a été globalement efficace, même si s'agissant des juridictions des pays non coopératifs, cela a pu être plus difficile concernant les avoirs financiers et les bateaux. S'agissant des yachts, certains ont été arraisonnés en France par la douane. Mais un grand nombre de capitaines ont reçu l'ordre de leurs clients de mouiller en Turquie, où ces navires sont toujours présents en grand nombre. Concernant les avoirs, une partie des personnes physiques qui ne se trouvaient pas dans la Fédération de Russie mais dans l'Union européenne ou à Londres ont quitté précipitamment ces territoires entre mars et avril 2022 pour rejoindre certains pays du Golfe, où ils sont encore nombreux, et il en est allé de même pour leurs avoirs qui y ont également été transférés.
La France entretient avec les Émirats arabes unis des relations diversifiées, mais concernant mon domaine d'expertise, il est évident qu'en dépit du travail d'influence et de lobbying à très haut niveau que la fédération des Émirats arabes unis a pu réaliser en direction du GAFI, leur maintien par celui-ci dans la liste grise - c'est-à-dire les États bénéficiant d'un monitoring particulier - est un indice de leur positionnement dans la lutte contre le blanchiment corroboré par notre propre perception. À l'évidence, Dubaï est un centre financier mondial de classe internationale, pas uniquement pour la finance islamique, mais également pour un grand nombre d'activités, notamment les influenceurs. Il s'agit donc d'un acteur majeur pour les États européens et la France, au regard de son positionnement et de la facilité des lignes de communication et de l'absence de visa pour gagner Dubaï. C'est pour nous un État coopératif essentiel.
Monsieur Dominati, concernant votre question sur nos « clients », l'organisation en trois clients finaux rend assez compte de l'équilibre entre trois types de destinataires des productions de Tracfin : le monde antifraude, avec la DGFiP en tête, pour un tiers ; le monde de l'autorité judiciaire à qui nous transmettons des suspicions de blanchiment ou de tous types d'infractions pénales ; et enfin le monde des services de renseignement sur la lutte contre le financement du terrorisme, la lutte contre les séparatismes ou la lutte contre l'ingérence des pays étrangers.
S'agissant du deuxième bloc, notre service est l'un des principaux pourvoyeurs de signalements au Parquet de Paris, qui est compétent pour poursuivre l'acquisition sur le territoire national de vidéos pédopornographiques. Nous transmettons sur ce point plusieurs dizaines de signalements par an. Vous voyez donc que nos activités sont extrêmement larges, car elles concernent la lutte contre le blanchiment de toutes les infractions.
Mme la sénatrice Vermeillet, sur les non-fungible token (NFT) ou jetons non fongibles (JNF), la France, à l'occasion de la loi Pacte, a été précurseur sur l'établissement d'une nouvelle catégorie de déclarants en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), qui est aujourd'hui copié au plan international par les prestataires de services en actifs numériques (PSAN). C'est une économie qu'il faut suivre avec attention, mais de façon équilibrée. Oui, l'industrie est porteuse de risques, mais quand ceux-ci sont identifiés et que les moyens sont mis par l'industrie et par le régulateur, ces risques demeurent contrôlables. Nous le voyons par le nombre sans cesse croissant de déclarations de soupçon qui concernent les PSAN établis en France et enregistrés auprès de nos régulateurs nationaux. À l'évidence sur cette technologie, qui représente un fort attrait pour les plus jeunes, Tracfin doit être à la page d'un point de vue technique et juridique.
Au sein de la blockchain, le sous-ensemble des JNF, par sa constitution même, n'est pas en tant que tel un sujet, mais il est le vecteur d'un blanchiment criminel ou délinquant particulier. Pour les acquérir, il faut déjà recourir à un cryptoactif : les JNF sont un marché secondaire complètement en dehors de la blockchain qui en tant que telle est une technologie très ouverte. Les licornes françaises qui assurent que l'industrie n'est pas problématique sui generis ont raison de ce point de vue. Toutefois, le directeur de Tracfin n'élaborant pas la norme, je ne suis pas le meilleur interlocuteur pour répondre à votre question. Il existe une réflexion au sein de Bercy concernant ce vecteur particulier. Les parlementaires européens, dans le mandat qu'ils ont adopté mardi dernier, ont soumis les NFT à la législation de façon intégrale, ce qui pour l'heure n'est pas le cas au niveau national. Nous verrons si ce sera toujours le cas au stade des trilogues.
Concernant les fraudes au CPF, Tracfin a constaté une très forte croissance, un plateau et maintenant une décroissance, grâce à l'effet signal de la dernière législation. Celle-ci a entraîné une décrue des déclarations de soupçons qui portent sur ce point. Le Sénat a permis que Tracfin puisse transmettre des signalements rapides, notamment à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou à l'Agence de services et de paiement (ASP), pour « couper le robinet » à la fausse entreprise de formation avant que cet argent ne quitte la France, comme c'est le cas dans neuf cas sur dix. Depuis décembre dernier, nous avons transmis 265 signalements à la CDC, c'est-à-dire beaucoup plus que dans les trois dernières années de mise en oeuvre du dispositif. Pour avoir une vision équilibrée des risques et de la menace, il me semble que la menace est toujours présente mais que le risque décroît. Les grandes organisations de délinquance se tournent vers d'autres dispositifs, sur lesquels la pression publique, du législateur et des administrations est pour l'instant moins forte.
Concernant votre interrogation sur le rôle de Tracfin dans l'établissement de la norme, nous ne sommes pas une direction normative. C'est la direction générale du Trésor qui tient la plume. Juridiquement nous ne sommes pas consultés. D'un point de vue opérationnel, nous sommes souvent consultés, mais pas de façon systématique. Le ministre des comptes publics, dans le cadre de son projet de renforcement de l'organisation des administrations de Bercy dans la lutte contre la fraude, réfléchit à ce que notre contribution dans l'élaboration des dispositifs normatifs soit plus nette et plus systématique, pour bénéficier du retour d'expérience de notre service. S'agissant de la perspective d'un registre des bénéficiaires effectifs (RBE) international, c'est une cause qui est chère à tous les services de renseignement financier qui se réunissent dans la cellule Egmont, du nom du Palais de Bruxelles où cette formation opérationnelle s'est créée au milieu des années 1990. Il s'agit d'une revendication classique, comme celle d'un cadastre international. C'est souvent la France qui a ouvert la voie, je viens de l'indiquer concernant les PSAN avec l'adoption de la loi Pacte, qui a été un signal repris et traduit de façon considérable.
Concernant la fraude aux certificats d'économie d'énergie, il s'agit toujours d'un énorme problème pour les administrations du ministère de la transition écologique et du ministère de l'économie, mais cela concerne moins Tracfin, qui concentre en général son action sur l'actualité « chaude » de la fraude. De notre point de vue, le problème est un peu derrière nous. Nous continuons à recevoir quelques déclarations de soupçons sur cette matière, mais beaucoup moins qu'au début, notamment parce qu'aujourd'hui il s'agit plus classiquement de sujets d'escroquerie - fausses prestations, pose de mauvais matériels... Le travail documentaire de Tracfin n'est pas adapté pour connaître de ces cas actuels de fraude, qui relèvent d'autres administrations et requièrent des contrôles sur place.
Concernant les entraves à la radicalisation ou au séparatisme, la pression reste forte au niveau territorial. Les préfets signalent à Tracfin et à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) les sujets, sur lesquels nous enquêtons. Nous avons d'ailleurs obtenu quelques succès, notamment dans l'Est de la France. Là encore, l'intervention du législateur a eu un effet massif et puissant. Depuis l'entrée en vigueur de la loi confortant les principes de la République du 24 août 2021, le nombre de signalements à Tracfin est en chute libre. Les signalements de financements étrangers en provenance de Turquie, du Maghreb et du Qatar sont réduits à la portion congrue. L'essentiel des signalements de financements étrangers de lieux de culte porte désormais sur des financements venant d'Amérique du Nord ou d'Amérique latine au profit de lieux de culte protestant.
Sur notre implantation territoriale : Tracfin est aujourd'hui mono-site, implanté à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Nous portons le projet d'ouvrir un site probablement dans l'Ouest de la France. Comme d'autres administrations, nous faisons face à une forte concurrence pour attirer les profils très techniques dont nous avons besoin. Une telle implantation en région peut correspondre aux nouvelles attentes exprimées par nos collaborateurs en matière de qualité de vie, notamment depuis la pandémie. C'est nécessaire pour marier les cultures professionnelles et les profils. Nous souhaitons également développer un modèle inspiré des délégués territoriaux du Défenseur des droits. Des anciens du service à la retraite ou des personnes ayant travaillé dans les secteurs bancaire ou régalien pourraient être intéressés de devenir messagers de la LCB/FT. Nous avons en effet des difficultés pour apporter, au dernier kilomètre, l'information utile aux déclarants, dont tout procède. Tracfin a besoin des yeux des agents bancaires, des notaires... J'ai eu l'occasion l'an dernier de féliciter le dirigeant d'un grand groupe bancaire pour l'action de l'une de ses employées qui a permis de détecter l'un des plus graves dossiers de financement du terrorisme en France depuis 2015 grâce à l'observation des modifications des déclarations et du comportement du client.
Sur les trafics de stupéfiants : il s'agit toujours d'un sujet prégnant pour le service. Il y a un enjeu de formation des établissements bancaires sur la détection de tels trafics. Nous menons un bon travail avec l'Office antistupéfiants (Ofast), office interministériel créé par le ministre de l'Intérieur pour renforcer cette action. Nous menons aussi une action avec le département des Bouches-du-Rhône, qui nous sert de test, dans l'optique de généralisation ce dispositif au niveau national. La menace reste massive, dans l'ensemble des départements, avec des mis en cause dont l'âge ne cesse de se réduire, parfois sous le seuil de la responsabilité pénale. On observe également un caractère transnational dès le début. Ce sujet reste l'une des priorités du service.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
Projet de loi de programmation militaire 2024-2030 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 1033 (A.N., XVIe lég.) relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, et désigne M. Dominique de Legge rapporteur pour avis.
Projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la partie législative du livre VII du code monétaire et financier et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Hervé Maurey rapporteur sur le projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la partie législative du livre VII du code monétaire et financier et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, sous réserve de sa délibération en Conseil des ministres et de son dépôt.
Questions diverses
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je voulais vous informer que j'avais demandé, avec le rapporteur général, au nom de notre commission, l'organisation d'un débat en séance publique sur le programme de stabilité et l'orientation des finances publiques, début mai, après la suspension parlementaire. Il devrait se tenir le mercredi 3 mai au soir.
En application de la LOLF, le Gouvernement doit en effet remettre au Parlement, normalement au plus tard le 15 avril, son projet de programme de stabilité. Or, les dernières informations qui nous ont été transmises indiquent que celui-ci serait présenté en Conseil des ministres pendant la suspension des travaux parlementaires, vraisemblablement le mercredi 26 avril, ce qui ne permettra pas d'organiser une réunion de commission dans les meilleures conditions. Le débat pourra donc avoir lieu en séance publique.
Je vous rappelle aussi que, pour la première année de mise en oeuvre de la LOLF révisée, le Gouvernement doit également transmettre un rapport décrivant les grandes orientations de sa politique économique et budgétaire, l'évaluation des recettes et des dépenses des administrations de sécurité sociale et de la situation financière des administrations publiques locales et une actualisation des données relatives à la dette publique.
Enfin, nous devrions entendre en commission le ministre des comptes publics début mai sur l'exécution budgétaire, le Gouvernement ayant l'intention de déposer en fin de semaine prochaine deux projets de lois relatifs à l'exécution des comptes 2021 et 2022.
La réunion est close à 12 h 30.