- Mercredi 29 mars 2023
- Proposition de loi visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences - Examen du rapport pour avis
- Proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France - Examen du rapport et du texte de la commission
- Questions diverses
Mercredi 29 mars 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Proposition de loi visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Stéphane Sautarel rapporteur sur la proposition de loi n° 35 (2022-2023) visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues.
Proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de M. Gérard Longuet sur la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France (EDF) d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Cette proposition de loi a été déposée par Philippe Brun, jeune député de l'Eure. Il a réussi à obtenir un vote quasi unanime de l'Assemblée nationale : un seul député a voté contre. Cette majorité est constituée de députés Nupes, Rassemblement national et Les Républicains, unis comme au front, pour éviter le démembrement d'EDF.
Trois dispositions expliquent ce vote surprenant, permis notamment par l'absence des députés Renaissance qui avaient quitté l'hémicycle, estimant que l'article 40 de la Constitution aurait dû s'appliquer. Selon le ministre, l'Assemblée nationale voterait ainsi une proposition de loi dont la mise en oeuvre des dispositions coûterait 18 milliards d'euros aux finances publiques. M. Philippe Brun souhaite que le Gouvernement s'explique sur l'avenir d'EDF au moment où il met en oeuvre une procédure décidée en juillet 2022, rendue possible dans les lois de finances rectificative (LFR) : le rachat et le retrait des actions cotées d'EDF, pour que l'État acquière 100 % des actions, ce qui aboutit à retirer les actions de la cote. Cette action gouvernementale est légitime, et les moyens lui sont donnés par la LFR de fin 2022, mais ne s'accompagne pas d'un exposé clair des projets du Gouvernement sur EDF.
Philippe Brun, ayant fait un contrôle sur place et sur pièces, estime que l'idée sous-tendant le projet Hercule, à savoir la séparation du nucléaire et de l'hydraulique d'un côté, du reste des activités de l'autre, n'est pas abandonnée. L'Agence des participations de l'État (APE) poursuit d'une façon systématique des réflexions sur EDF et le Gouvernement est bien en mal de donner son avis sur l'avenir d'EDF, qui dépend beaucoup des futures règles du marché européen de l'électricité ; celui-ci a des effets pervers redoutables quand le prix de l'électricité est tiré vers le haut, à des niveaux inacceptables, par le coût marginal de la dernière centrale appelée qui s'applique ensuite à l'ensemble du marché européen.
Il y aurait trois raisons de soutenir le texte tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, mais aucune n'est vraiment bonne. D'abord, la renationalisation est un affichage, qui, certes, a du sens pour ceux qui l'avaient souhaité, comme les communistes, qui retrouvent ainsi l'action de Marcel Paul, qui avait nationalisé EDF en 1946. Jusqu'en 2005, EDF était un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), avant de devenir une société anonyme (SA). C'est un retour vers le passé, ce qui n'est cependant pas l'intention principale de l'auteur de la proposition de loi...
Ensuite, la proposition de loi veut présenter EDF comme un groupe public unifié, indissociable. Cela pose deux types de problèmes : l'entreprise est certes unifiée, mais elle n'a pas autorité sur la totalité de ses activités. Elle a autorité sur sa fonction de production d'énergie - nucléaire, hydraulique, énergies renouvelables, thermique -, mais pas sur le transport de l'électricité ni la distribution finale. Le transport de l'électricité dépend de Réseau de transport d'électricité (RTE), capitalistiquement dépendant d'EDF. Mais institutionnellement, le code de l'énergie, inspiré par le droit communautaire, interdit au transporteur de dépendre de l'autorité d'un fournisseur particulier. Dans un marché concurrentiel, les producteurs doivent accéder aux consommateurs en utilisant de façon transparente et loyale le réseau de transport d'électricité. Cela interdit à RTE d'obéir à EDF. RTE a donc sa propre politique. S'il est majoritairement détenu par EDF, il doit être indépendant.
La situation d'Enedis est comparable, alors que la filiale détient une position quasi monopolistique pour la distribution d'électricité, si l'on exclut quelques entreprises locales comme l'usine d'électricité de Metz, héritage des Stadtwerke, ou des réseaux communaux de distribution dans le Sud-Ouest, témoignages de l'histoire. Enedis est détenue à 100 % par EDF, mais en est indépendante.
Faire évoluer statutairement EDF pour en faire un système « unifié » n'est pas clair juridiquement, et c'est en contradiction avec l'ouverture du marché exigeant que transport et distribution soient indépendants de l'autorité d'EDF.
Autre problème si l'on fige le périmètre d'EDF : EDF développe des activités très différentes, héritées de l'histoire, certaines proches de la production, d'autres plus éloignées, comme la production de chaleur : Dalkia, possédé par EDF, produit de la chaleur, et est en concurrence avec d'autres entreprises. On pourrait imaginer une évolution de son périmètre, mais la rédaction de la proposition de loi la rendrait difficile, voire impossible.
Pourquoi les députés Les Républicains soutiennent-ils cette proposition de loi qui n'est pas dans la ligne de leurs convictions habituelles ? Le groupe dirigé par Olivier Marleix avait demandé une commission d'enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ». La raison en est d'abord tactique : le Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins en ce qui concerne l'amortissement des variations de prix. La proposition de loi visait l'extension du bouclier tarifaire au-delà des très petites entreprises (TPE) - selon l'Union européenne, la définition des TPE concerne les entreprises dont le chiffre d'affaires n'excède pas 2 millions d'euros et dont l'effectif est inférieur à 10 salariés - pour l'étendre à toutes les entreprises de moins de 5 000 salariés et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 1,5 milliard d'euros ou dont le total de bilan n'excède pas 2 milliards d'euros. Le ministre au banc a découvert que l'analyse de l'application de l'article 40 par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale était que le texte tel que rédigé n'impliquait pas de dépenses directes : l'Assemblée pouvait donc adopter la proposition de loi. Faisons prospérer le débat : cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale.
Mais elle arrive trop tôt ou trop tard. Elle arrive trop tard, car le retrait des actions décidé par le Gouvernement et approuvé par le Parlement via le projet de loi de finances rectificative (PLFR) implique que la nationalisation n'aurait pas de sens et perturberait la procédure en cours - l'État détient 95,82 % des actions.
Je proposerai un amendement visant à garantir que cette reprise à 100 % s'accompagne de la possibilité pour les salariés d'accéder au capital de l'entreprise - certains y sont actuellement. Cependant, si l'entreprise n'est plus cotée, les actions ne sont plus liquides : il reste donc une difficulté : comment les salariés souhaitant détenir ou conserver des actions pourraient-ils bénéficier d'une certaine forme de liquidité ?
L'initiative du Président de la République de rendre les salariés actionnaires s'appliquerait très bien ici, à condition de descendre le taux de détention par l'État de 2 % pour que les salariés soient eux-mêmes actionnaires.
Cette proposition de loi arrive trop tôt quant à la crainte du démembrement d'EDF, car le marché européen de l'énergie électrique doit être réexaminé. La règle centrale de fixation du prix sur le coût marginal de la dernière centrale est absurde. Il faut prévoir différentes formes de financement. On ne finance pas une éolienne comme une centrale nucléaire. Cette dernière fait face à des coûts d'investissement extrêmement lourds, et à des coûts de fonctionnement plus légers et insensibles aux variations des prix de la molécule fossile - à la différence de l'électricité produite à partir de gaz ou de charbon.
Avec davantage de pays acceptant le nucléaire, j'espère que l'Union européenne abandonnera ce système et adoptera des contrats de long terme pour financer des investissements lourds. Les Britanniques ont ainsi obtenu un contrat différent pour la centrale d'Hinkley Point : l'État britannique crée un tunnel de prix, avec une certaine liberté. Si le prix est trop élevé, l'État soutient le producteur ; s'il est trop bas, le producteur rembourse l'État. L'Union européenne avait accepté ce système lorsque le Royaume-Uni était membre de l'Union. Si notre gouvernement est efficace, il devrait pouvoir obtenir un résultat similaire et soutenir ceux qui veulent défendre EDF. Au Gouvernement de nous dire ce qu'il est capable de faire.
Troisième raison, nous proposons une solution acceptable : faire sauter le verrou des 36 kilovoltampères (kVA) pour les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE). Aujourd'hui, les TRVE et le bouclier s'appliquent aux entreprises employant moins de 10 personnes, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros et dont le compteur électrique a une puissance inférieure ou égale à 36 kVA. Ce seuil n'a pas de raison d'être au niveau européen. Nous devons décider que ce butoir n'est pas légitime. Cette réponse immédiate pourrait être satisfaisante.
Cette proposition de loi a l'immense mérite d'obliger le Gouvernement à présenter sa politique de long terme sur l'outil national que constitue EDF, qui mériterait un peu plus d'informations sur son avenir. Un ancien président d'EDF - qui n'est pas Jean-Bernard Lévy, mon ancien directeur de cabinet - estimait que le seul aléa, pour EDF, était les changements de politiques absolument incompatibles avec l'échéance des investissements d'EDF, à quarante ou soixante ans. Il estimait ne pas avoir besoin d'un gouvernement mauvais actionnaire mangeant le blé en herbe pour satisfaire ses besoins de financement à court terme, ni d'un gouvernement idéologique demandant de supprimer tout ce qui avait été fait auparavant. Je remercie Philippe Brun de faire ainsi progresser le débat et de nous permettre de jouer notre rôle de parlementaire, préparant l'avenir de notre pays.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur d'avoir resitué le contexte et de dresser des perspectives. EDF porte une singularité française, à la suite du choix, dans les années 1970, de produire l'électricité principalement à base de nucléaire. Cela entraîne des contraintes et des obligations particulières. À l'époque, on ne parlait pas vraiment d'électricité décarbonée, ce qui fait dire à certains que cette production est vraiment pionnière. J'apprécie les corrections proposées sur les plafonds des tarifs réglementés. Il y a des incohérences à l'endroit de certaines professions, prises en porte à faux, des collectivités locales ou de certains opérateurs. Ce rapport et les amendements portent un cap, et je remercie le rapporteur.
M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur pour son travail. EDF a une dimension nationale et internationale. Il y a de plus en plus besoin d'électricité, notamment nucléaire. Or de nombreuses centrales ont été arrêtées pour diverses raisons techniques. Les personnels sont importants pour la sûreté nucléaire.
Peut-on avoir des précisions sur le nombre de filiales ? Quelle est l'évolution de l'endettement d'EDF ? Quels investissements sont réalisés pour le nucléaire, et quelle est l'implication sur les énergies renouvelables ?
M. Albéric de Montgolfier. - Je partage la préoccupation portée par l'article 3 bis et l'amendement COM-7 sur l'extension des tarifs réglementés. Le chiffre de 36 kVA n'a plus de sens au niveau de l'Union européenne. Je suis donc d'accord pour étendre ces tarifs à d'autres, mais cela ne règle rien au véritable problème européen, à savoir la corrélation avec le gaz et avec le coût de la dernière centrale mise en service. Faut-il sortir du marché européen de l'électricité, même si l'interconnexion peut parfois nous être utile ? On a pu atteindre un prix de 1 000 euros le mégawattheure (MWh).
M. Didier Rambaud. - Sans surprise, je reprendrai la réponse de Bruno Le Maire à une question d'actualité au Gouvernement posée il y a trois semaines : je ne sais pas ce que ce texte va apporter de plus, mais je sais ce que cela va coûter... Une loi de nationalisation de 100 % du capital, alors qu'une opération de marché est en cours et poursuit le même objectif, n'aurait que des inconvénients : elle aboutirait au même résultat, mais coûterait plus cher.
La proposition de loi offrait, dans sa version initiale, 14 euros par action, alors que l'offre publique est de 12 euros par action : le surcoût pour l'État atteindrait 1,5 milliard d'euros, sans aucun avantage. Ces deux euros supplémentaires devraient être reversés à tous les actionnaires et rémunéreraient notamment des fonds d'investissements anglo-saxons.
Pour un meilleur partage de la valeur et un développement de l'actionnariat salarié, EDF peut mobiliser d'autres outils comme l'intéressement et la participation.
M. Victorin Lurel. - Je souscris aux propos du rapporteur sur l'historique et les conditions du vote. MM. Ciotti et Marleix ont voté en conscience ; ce n'est pas une erreur ni une mauvaise manière faite au Gouvernement. Il existe un vrai débat politique, philosophique et idéologique sur l'avenir d'une société d'intérêt général. En 1946, EDF était un Epic, c'est désormais une SA.
C'est pourquoi le Gouvernement veut monter dans le capital, par une étatisation de l'entreprise. Mais il faut une solution plus solennelle, assurant un contrôle permanent du parc. Il fallait donc une nationalisation, dans l'esprit du Conseil national de la résistance. Cela a encore du sens. On peut trouver un compromis raisonnable.
Albéric de Montgolfier s'interroge sur une potentielle sortie du marché européen de l'électricité. Hier, en Seine-Saint-Denis, en visitant un site, nous avons vu comment passer de la théorie à la pratique en actionnant les dernières centrales au fioul. C'est aberrant, mais cela suit les principes de la théorie libérale.
Philippe Brun a effectué un contrôle sur place et sur pièces : le projet Hercule n'est pas totalement abandonné. Même si l'État détient 100 % du capital, il existe un risque de démembrement, en termes managérial et actionnarial, qu'il faut contrer. Si nous sommes plus colbertistes, jacobins ou même gaulliens, il faut que l'entreprise reste dans le giron de l'État. Donnons à EDF une certaine agilité. Les dotations d'actions sont possibles.
Gérard Longuet a déposé des amendements qui ne sont pas très courtois à l'égard de nos collègues députés, en proposant de réécrire totalement la proposition de loi, apportant une nouvelle vision. Nous défendons néanmoins une position orthogonale sur l'article 1er. Nous avons déposé des amendements sur l'article 2. Nous pouvons trouver un compromis pour EDF SA intégrée d'intérêt national, à défaut d'être en accord sur le groupe public unifié. EDF reste une société de service public dans le giron de l'État et d'intérêt national. Vous ne devriez pas refuser cela.
Pour éviter tout démembrement, nous citons quelques activités du groupe, notamment la production de transport, tout en respectant l'indépendance opérationnelle de RTE.
Nous retirons l'amendement COM-10, car il est déjà satisfait par l'article L 337-9 du code de l'énergie.
M. Sébastien Meurant. - Merci d'aborder ce sujet essentiel, un des rares atouts français restant dans la compétition européenne et internationale. Mais le prix Spot de l'énergie est un système scandaleux pour notre intérêt, qu'il soit économique, national ou écologique. L'électricité allemande produite à partir de charbon est moins chère que l'électricité française décarbonée. Comment a-t-on pu en arriver là ?
L'Europe détient la centrale à charbon la plus polluante au monde ! Nous donnons de l'argent à des pays pour polluer avec ces centrales à charbon, et en France, nous avons même réactivé des centrales à charbon : quel échec ! Cela ne doit plus se reproduire.
Il y a toujours une peur du démantèlement de cette belle et grande entreprise française qu'est EDF. Or l'énergie est un bien commun, tenons-en compte.
M. Emmanuel Capus. - Les amendements du rapporteur nous rassurent un peu sur le texte final.
Il me semble que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale n'a pas la même conception de la recevabilité financière des amendements que celui du Sénat : l'article 3 bis crée des dépenses extrêmement importantes... N'est-ce pas en opposition avec la position actuelle de notre commission des finances ?
Dans la proposition de loi, et particulièrement à l'article 2, se pose un problème de compatibilité avec la directive européenne de 2003 : quels sont les risques encourus avec ce texte ?
M. Claude Raynal, président. - J'ai la même lecture que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Comme quoi les présidents ont parfois raison... Il n'y a pas de lien juridique direct entre l'extension des TRVE et l'application du bouclier tarifaire, les analyses juridiques sont concordantes sur ce point. Et quand bien même une interprétation très extensive des dispositions de l'article 181 de la loi de finances pour 2023 pourrait autoriser une application du bouclier à ces nouveaux tarifs, la loi de finances précise bien que le Gouvernement conserverait un pouvoir discrétionnaire puisqu'il devrait décider volontairement de prendre un arrêté pour étendre le bouclier tarifaire à ces nouveaux tarifs. Et sans bouclier tarifaire, une extension de TRVE n'implique aucune dépense publique.
M. Daniel Breuiller. - Je remercie Gérard Longuet, qui est un excellent pédagogue. Vous évoquez une certaine espérance nucléaire, qui relève plutôt de la croyance, de la foi du charbonnier...
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Ah non, le charbon émet du CO2 !
M. Daniel Breuiller. - Le nucléaire a certes l'avantage d'être décarboné, mais a plusieurs autres inconvénients... La proposition de loi que vous nous proposez, après l'adoption de vos amendements, n'a que peu à voir avec la proposition de loi transmise. Cela me gêne d'enfoncer un coin entre les majorités Les Républicains du Sénat et de l'Assemblée nationale.
M. Vincent Éblé. - Ne vous gênez pas !
M. Daniel Breuiller. - Pour une fois que l'Assemblée nationale vote massivement un texte...
Le travail de Philippe Brun d'aller voir où en est le projet Hercule m'a beaucoup intéressé. J'ai siégé dans le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (Sippérec) d'Île-de-France. Le projet Hercule suscite des inquiétudes immenses : il vise à nationaliser les pertes financières et à privatiser les éléments les plus vendables.
Si je puis admettre qu'on puisse être favorable au nucléaire - ce n'est pas mon cas -, on devrait alors avoir deux préoccupations, au premier rang desquelles la sûreté. Je ne comprends pas la décision du Gouvernement quant à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ensuite, il faut avoir le souci de la maîtrise publique : le nucléaire ne peut se prêter aux fluctuations du marché et à beaucoup de sous-traitance. Essayer de ne pas démembrer le groupe EDF ni l'affaiblir est important. La fixation des prix est une aberration absolue.
Le groupe Gest va réétudier la proposition de loi Longuet qui n'est plus la proposition de loi Brun. Le statut public sans affaiblissement reste une nécessité si jamais on veut mettre des oeufs dans le panier nucléaire.
M. Éric Bocquet. - Le rapporteur a évoqué les heures glorieuses de la création du pôle de production d'énergie en 1946. J'ai relu la loi du 8 avril 1946, qui s'appuyait sur cinq objectifs, très actuels : premièrement, redresser l'économie française - or on parle beaucoup de réindustrialiser, après le covid - ; deuxièmement, moderniser les structures existantes - or nous avons besoin d'argent pour rénover les centrales et en construire d'autres - ; troisièmement, rationaliser les efforts ; quatrièmement, devenir indépendants énergétiquement - c'est toujours vrai actuellement - ; cinquièmement, enfin, avoir le contrôle sur les orientations stratégiques du pays.
Ce n'est donc pas un retour vers le passé, mais un sujet pleinement d'actualité ; et l'outil utilisé à l'époque garde sa pertinence.
Dans votre histoire, vous n'avez pas rappelé qu'il s'agissait d'une tragédie en quatre actes, celle du démantèlement progressif d'EDF-GDF. Le premier acte est l'entrée progressive dans le marché européen ; le deuxième, l'ouverture du capital d'EDF ; le troisième, l'ouverture du capital de GDF et la fusion avec Suez ; et quatrième et dernier acte, la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome), imposant à EDF de vendre près de 40 % de sa production en dessous des coûts de production à des « fournisseurs » alternatifs qui n'ont jamais rempli leurs obligations de production. EDF a toujours assumé ses missions, contribué aux Trente Glorieuses, à la croissance, à la souveraineté énergétique, et n'a pas démérité. On a affaibli l'opérateur, sous prétexte d'être plus efficace, pour que cela coûte moins cher, et que le prix pour le consommateur soit moins élevé. EDF a 17,9 milliards d'euros de déficit, mais c'est notamment dû à des causes historiques sur lesquelles il faut revenir.
Mme Christine Lavarde. - Toutes les modifications proposées par M. Longuet me conviennent.
Le critère des 36 kVA aurait dû relever du domaine réglementaire plutôt que du législatif, et cela nous donne une leçon : si le Gouvernement n'avait pas voulu trop légiférer, nous aurions pu régler le problème des boulangers bien plus rapidement, sans loi.
Je m'interroge sur le fait de conserver 2 % du capital pour l'actionnariat salarié. L'État veut racheter 100 % du capital, et revendrait 2 % aux salariés ? Comment est-ce possible ? Je m'interroge sur l'intérêt des salariés. L'État monte au capital pour qu'EDF réalise des investissements pour prolonger la durée du parc et construise de nouvelles centrales. Un actionnariat salarié percevrait-il des dividendes supplémentaires par rapport à d'autres mécanismes qu'on pourrait mettre en place ?
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Mme Lavarde a raison, mais EDF s'est faite avec ses salariés. Je leur rends hommage, mais je reconnais que rien n'est réglé. Les investissements sont tels que la possibilité que les salariés ne touchent rien est très forte. C'est un amendement d'appel pour que le Gouvernement précise devant le Parlement la façon dont il envisage de traiter les salariés et de les associer aux résultats de l'entreprise.
Je partage totalement les conclusions d'Éric Bocquet sur la loi Nome, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), le marché européen. Nous avons ouvert nos frontières. Si nous étions ambitieux, nous pourrions être un vaste fournisseur européen ; ce serait une belle ambition pour EDF. Mais actuellement, c'est impossible. Et EDF est une entreprise unitaire là où d'autres entreprises sont éclatées.
Je ne refais pas l'histoire de 1946, mais j'aurai plaisir à évoquer le travail de Marcel Paul notamment.
Monsieur Breuiller, je suis heureux que vous estimiez que la décarbonation passe par le nucléaire.
M. Daniel Breuiller. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Monsieur Capus, concernant les règles de recevabilité financière, je m'en remets à la jurisprudence et au président de la commission des finances.
L'analyse de Sébastien Meurant sur le marché européen et les excès du prix Spot est légitime. Mais les prix délirants ne durent parfois que quelques minutes par jour, ce n'est heureusement pas le prix moyen, qui est lissé. D'où les difficultés du Gouvernement à aider les entreprises concernées par des prix excessifs. Par définition, le prix marginal, même délirant, est marginal... Une réflexion sur la réorganisation du marché européen de l'électricité est indispensable. Si un malheureux concours de circonstances ne nous permet pas d'obtenir des financements lourds pour des systèmes de production à dépenses d'investissement (Capex - Capital Expenditures) élevées, mais à dépenses d'exploitation (Opex - Operational Expenditures) faibles, mieux vaut arrêter immédiatement, quitter l'Europe ou arrêter de produire de l'énergie... Nous nous ferions avoir à chaque coup.
Monsieur Lurel, l'intérêt général ne me gêne pas, bien au contraire : c'est un hommage rendu à une entreprise ayant fait son travail. Merci d'évoquer les mânes du général de Gaulle. Cela fait plaisir aux gaullistes - ce n'est pas mon cas, malgré tout mon respect pour le général. Si EDF doit être qualifiée de société d'intérêt général, je n'y vois que des avantages.
Monsieur Rambaud, l'actionnariat salarié est un vrai sujet. Il y a des solutions plus adéquates que l'achat d'actions dans une entreprise en redressement qui oeuvre dans un environnement économique incertain. Nous attendons les propositions du Gouvernement pour éventuellement faire évoluer le dispositif.
Monsieur de Montgolfier, les lois trop bavardes paralysent l'action du Gouvernement. Si une loi ne prévoyait pas ce seuil de 36 kVA que personne n'avait demandé, nous n'aurions pas eu ces problèmes. Mais ils sont relativement faibles par rapport aux difficultés posées par la fixation des prix à partir du coût marginal.
Monsieur Laménie, vos questions nécessiteraient des heures de réponse sur l'endettement, les investissements, la mise en oeuvre de l'Arenh, qui a coûté entre 20 et 25 milliards d'euros à EDF en 2022. C'est décourageant pour les salariés qui ont l'impression de travailler pour rien, juste pour les bonimenteurs qui vendent des mégawatts non verts.
C'est pour cette raison que la loi arrive un peu tôt : un marché européen réfléchi, mûr, distinguerait la fourniture de long terme des problèmes de court terme : l'électricité ne se stocke pas, et certains sont donc prêts à payer très cher leur électricité. Mais la majorité des consommateurs ont des consommations prévisibles, en ruban. Actuellement, on est obligé de suivre le tarif le plus cher, sauf pour le nucléaire, qui coûte. Tant que le marché ne sera pas réorganisé, EDF n'aura pas d'avenir clair. Faisons tout ce que nous pouvons faire, mais nous ne pouvons pas tout faire avec cette proposition de loi.
M. Claude Raynal, président. - J'indique que le périmètre proposé par le rapporteur pour l'application de l'article 45 de la Constitution comprend les dispositions relatives aux missions du groupe EDF et à sa structure capitalistique ; au processus de nationalisation de l'entreprise EDF ; à l'éligibilité des consommateurs finals non domestiques aux tarifs réglementés de vente d'électricité ; et au marché de l'électricité à Mayotte.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Gérard Longuet, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-4 vise à ne pas agiter le chiffon rouge de la nationalisation, qui n'apporterait rien puisqu'une OPA est en cours.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 1er est supprimé.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - L'amendement COM-5 prévoit que la participation de l'État atteigne 100 % du capital, tout en la minorant de 2 % pour maintenir la place des salariés dans le capital. Nous sommes prêts à entendre toute proposition plus réaliste du Gouvernement, mais nous mettons un pied dans la porte pour qu'il ne soit pas dit que le Sénat ne se préoccupe pas de soutenir les salariés.
Concernant le sous-amendement COM-9, je suis favorable à ce qu'EDF soit qualifiée de société « d'intérêt général », mais seul un groupe, et non la société anonyme peut être intégré. De plus, EDF détient des milliers de participations. Adopter ce terme d'« intégré » risquerait de tout paralyser....
M. Claude Raynal, président. - L'amendement pourrait être modifié pour ne mentionner que les termes « d'intérêt général » ?
M. Victorin Lurel. - J'approuve cette rectification même si nous souhaitions mettre en oeuvre un mécanisme de consolidation des filiales et inscrire l'idée d'un groupe public unique.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Avis favorable dans ce cas au sous-amendement COM-9 ainsi rectifié.
Le code de l'énergie reprend toutes les directives européennes et évite de rentrer en conflit avec l'Union. Plutôt qu'une énumération, risquée, faisons confiance au code de l'énergie pour ne pas froisser nos partenaires européens. La distribution, normalement, doit être séparée d'EDF. Elle ne l'est pas totalement, mais EDF respecte les règles. Avis défavorable au sous-amendement COM-11.
M. Victorin Lurel. - Il n'y a pas de risque de contradiction avec le droit européen. EDF respecte le code de l'énergie. Le terme « notamment » ne bloque pas. Nous mentionnons le transport, car c'est une réalité.
M. Claude Raynal, président. - Nous en débattrons lors de la séance publique.
Le sous-amendement COM-11 n'est pas adopté.
Le sous-amendement COM-9 rectifié est adopté. L'amendement COM-5, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, les amendements COM-1 rectifié bis et COM-2 rectifié bis deviennent sans objet.
L'article 2 est ainsi rédigé.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - L'article 3 prévoyait une commission en cas de renationalisation ; mais, puisque nous nous en tenons à une offre publique d'achat (OPA) simplifiée, nous n'avons pas besoin de cette instance. Je vous propose donc de supprimer cet article.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 3 est supprimé.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - L'amendement COM-7 tend à supprimer la mention des « sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères ».
M. Pascal Savoldelli. - Quel sera l'impact de cette mesure sur les collectivités territoriales ?
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Les collectivités territoriales qui emploient moins de dix ETP disposant d'installations électriques dépassant les 36 kilovoltampères en bénéficieront.
M. Pascal Savoldelli. - Pourrait-on connaître, d'ici à l'examen en séance publique, le nombre de collectivités concernées ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est impossible...
M. Pascal Savoldelli. - Il est a priori très faible.
Le sous-amendement COM-10 est retiré. L'amendement COM-7 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-3 devient sans objet.
L'article 3 bis est ainsi rédigé.
Article 3 ter (nouveau)
L'amendement de coordination COM-12 est adopté.
L'article 3 ter est ainsi rédigé.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - L'amendement COM-8 vise à supprimer un gage devenu superflu.
L'amendement COM-8 est adopté.
L'article 4 est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent la proposition de loi constitutionnelle (PPLC) visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, sur le rapport de notre collègue Charles Guené.
Cette proposition de loi étant de nature constitutionnelle, elle a été renvoyée au fond à la commission des lois, le rapporteur étant Mme Agnès Canayer mais son objet étant financier, il était naturel que notre commission des finances s'en saisisse pour avis.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - Ce texte a deux objets distincts : premièrement, instituer une nouvelle catégorie de lois, à savoir les lois de financement des collectivités territoriales (LFCT) et de leurs groupements ; deuxièmement, renforcer le principe constitutionnel de compensation financière des transferts de compétences, notamment en prévoyant leur réexamen régulier.
Que penser d'un éventuel projet de loi de financement des collectivités territoriales (PLFCT) ? À première vue, l'idée semble séduisante. Il s'agirait de garantir un temps parlementaire dédié à l'examen des mesures intéressant les finances des collectivités territoriales afin de renforcer la lisibilité du système et la visibilité des élus sur l'évolution de leurs ressources, qui font aujourd'hui défaut. À chaque sous-secteur institutionnel - administrations publiques centrales (Apuc), administrations de sécurité sociale (Asso) et administrations publiques locales (Apul) - correspondrait donc un véhicule législatif financier : lois de finances, lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) et LFCT. La boucle serait bouclée. Mais le sujet n'est pas si simple et, selon moi, l'institution d'une loi de financement des collectivités territoriales a tout d'une fausse bonne idée - même si beaucoup parmi nous, moi compris, l'ont probablement soutenue à un moment de leur vie parlementaire.
Avant tout, nous ferions face à des difficultés d'articulation majeures avec la loi de finances. Le texte de la PPLC ne permet pas de se prononcer avec précision sur le sujet, puisque ces modalités d'articulation seraient d'ordre organique ; mais la difficulté est évidente, compte tenu du poids des transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales.
De deux choses l'une. Soit les transferts financiers de l'État relèvent du nouveau PLFCT, ce qui semble être l'orientation de l'auteur de ce texte : cela reviendrait à retirer du projet de loi de finances (PLF) un peu plus de 107 milliards d'euros. Or notre commission pourrait difficilement admettre, me semble-t-il, une telle atteinte au domaine des lois de finances. Soit les transferts financiers de l'État, qui représentent un peu moins de la moitié des ressources des collectivités territoriales, continueraient à relever des lois de finances : auquel cas l'intérêt des LFCT, dont la portée serait essentiellement programmatique, se révélerait très limité.
Je ne parle même pas des difficultés que cette articulation poserait pour le calendrier parlementaire de l'automne, dont nous savons mieux que quiconque à quel point il est chargé.
Une autre critique majeure peut être retenue à l'encontre de l'institution d'une telle loi de financement : le risque, d'ailleurs bien identifié par les associations d'élus et les universitaires que j'ai auditionnés, qu'elle ne se retourne contre les collectivités territoriales en donnant au Gouvernement un nouvel instrument de contrainte financière.
Rappelons-le : c'est dans une logique assumée de maîtrise des dépenses sociales que les LFSS ont été instituées en 1996. Prétextant la bonne santé financière des collectivités territoriales, sur la base de moyennes globales qui n'ont en réalité guère de sens, le Gouvernement ne manquerait pas d'y insérer des dispositifs de contrainte inspirés des contrats de Cahors. Il disposerait ensuite de tous les outils du parlementarisme rationalisé, que nous connaissons bien, applicables aux textes financiers pour les faire adopter : un calendrier contraint avec une possible mise en oeuvre par ordonnance au terme de celui-ci et, surtout, un recours illimité à l'article 49, alinéa 3. Par les temps qui courent, une telle proposition me semble pour le moins paradoxale.
Vous l'aurez compris, je ne crois pas qu'une LFCT apporte une réponse adéquate aux réels problèmes des collectivités territoriales. Je pense au contraire que nous pouvons beaucoup mieux faire à cadre constitutionnel constant, en mobilisant les outils existants.
Tout d'abord, nous devons nous emparer pleinement du débat relatif aux finances locales de début de PLF, issu de la récente réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Ce débat permet de remédier en partie au problème de l'éclatement, du fait de la bipartition des PLF, des mesures relatives aux finances locales.
Ensuite, les lois de programmation des finances publiques (LPFP) pourraient offrir le cadre d'un véritable exercice de visibilité sur l'évolution des ressources collectivités territoriales, au lieu d'être un instrument de contrainte.
Enfin, j'ai régulièrement l'occasion de le rappeler, une réforme de la gouvernance des finances locales me paraît indispensable pour que les collectivités puissent réellement être associées à la préparation des textes financiers qui les concernent, à plus forte raison dans un contexte de recours croissant à la fiscalité partagée. La Cour des comptes a d'ailleurs fait sienne cette analyse, dans le cadre de l'enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales qu'elle a menée à la demande de notre commission. J'ai eu l'honneur de participer à ce travail aux côtés de notre président et de notre rapporteur général.
J'en viens au second objectif de cette PPLC, à savoir le renforcement des exigences de compensation financière des transferts de compétences.
Aujourd'hui, les transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales sont régis par un principe de compensation intégrale au coût historique. En vertu de l'article 72-2 de la Constitution, l'État attribue aux collectivités territoriales des ressources équivalentes à celles qui leur étaient consacrées au moment du transfert. Ce droit à compensation est ensuite fixé définitivement.
S'agissant des créations ou extensions de compétences, ou encore des transferts de compétences entre collectivités territoriales, la Constitution est moins stricte : elle se contente de prévoir la nécessité de transférer de nouvelles ressources sans exiger de compensation intégrale au coût historique. Le présent texte entend ainsi, au premier chef, aligner ces régimes sur celui des transferts de l'État.
En la matière, la proposition décisive consiste à remettre en cause le caractère définitif du droit à compensation en prévoyant son « réexamen régulier ». Ce dispositif a déjà été adopté par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales, présentée en 2020 par Philippe Bas, Jean-Marie Bockel et plusieurs de nos collègues. Notre commission, saisie pour avis, s'y était montrée favorable.
On a pu constater de très forts contrastes entre, d'une part, la fixité du droit à compensation et, de l'autre, le dynamisme des charges liées à l'exercice de la compétence. L'exemple emblématique est celui des allocations individuelles de solidarité (AIS), dont le financement incombe aux départements. Depuis 2017, le reste à charge a progressé de 16 %, pour s'établir à 11 milliards d'euros en 2021. Il représente ainsi 55 % des dépenses d'AIS. Dans ces conditions, les départements n'ont plus guère de marges de manoeuvre financières pour exercer leurs autres compétences et la portée de leur autonomie financière s'en trouve grandement affaiblie.
Certes, la question des modalités d'application d'un tel principe reste posée. Elle devra être définie par une loi organique, compte tenu du principe de libre administration des collectivités territoriales, lesquelles peuvent faire en responsabilité le choix d'accorder ou non davantage de moyens à telle compétence au détriment de telle autre.
Pour cette raison, un dispositif de réévaluation automatique ne saurait être envisagé. J'avais d'ailleurs proposé, dans mon rapport pour avis sur la PPLC Bas-Bockel, de lui substituer la notion plus souple de « réexamen », finalement retenue dans le texte adopté et reprise ici.
Pour donner corps à un tel dispositif, largement soutenu par les associations d'élus, une nouvelle gouvernance est nécessaire. C'est dans ce cadre que l'État et les collectivités territoriales pourront faire la part des choses et ajuster, si nécessaire, la compensation de compétences transférées pour lesquelles la charge associée a fortement augmenté du fait de facteurs exogènes - c'est le cas pour les AIS, qui sont corrélées à l'évolution de la pauvreté et de la dépendance.
Une seconde condition nécessaire à la mise en oeuvre du dispositif est la conduite d'un travail approfondi d'objectivation des charges assumées par les collectivités territoriales au titre de leurs diverses compétences. Mais, reconnaissons-le, les données nous manquent en la matière. C'est un chantier techniquement complexe, qui, pour être mené à bien, exige une volonté politique appuyée du Gouvernement et des élus locaux.
Il est pourtant indispensable de disposer de telles données pour envisager la réforme du système de financement des collectivités territoriales que j'appelle de mes voeux, fondée sur les charges réelles plutôt que sur des critères de richesse potentielle largement caducs. Nous avons également travaillé ce sujet avec le président Raynal, en nous penchant sur le système de péréquation des collectivités territoriales italiennes.
Ainsi, je vous propose de ne pas adopter cette PPLC. Si le dispositif de réexamen régulier de la compensation des compétences transférées nous convainc davantage que l'institution d'une LFCT, il n'est pas pour autant nécessaire d'adopter ces seules dispositions du texte. Non seulement ce choix risquerait de le détourner de son objectif premier, mais le dispositif de réexamen figure déjà dans la PPLC Bas-Bockel, qui est en navette.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'approuve pleinement les orientations exposées par M. Guené.
Nous sommes face à ce que la presse nomme un « marronnier ». Ce texte peut sembler séduisant, mais, très vite, il pourrait se révéler avant tout source de contrainte, d'autant que le Gouvernement persiste à affirmer que les collectivités territoriales sont en bonne santé financière.
Il s'agit d'un sujet éminemment complexe etla création d'une telle catégorie de loi pourrait finalement, en effet, avoir tout d'une fausse bonne idée.
M. Claude Raynal, président. - Sur ce sujet comme sur tant d'autres, les positions ont pu fluctuer : M. le rapporteur pour avis l'a souligné lui-même.
M. Roger Karoutchi. - Il y a quelque temps, j'ai déposé, sur ce sujet, une proposition de loi assez différente de M. Kerrouche. J'ai donc été appelé à me pencher sur la question.
Une révision constitutionnelle n'est jamais simple. Je suis bien placé pour le savoir, celle que j'ai conduite a été adoptée à une voix près. Quoi qu'il en soit, peut-on dire qu'aujourd'hui tout se passe bien pour les collectivités territoriales ? Ont-elles été associées à la suppression de la taxe professionnelle ? Aux fortes baisses de dotations décidées entre 2012 et 2018 ? À la suppression de la taxe d'habitation, annoncée lors d'une campagne électorale ? Voilà une quinzaine d'années qu'elles font office de variable d'ajustement, quels que soient les gouvernements. Face aux graves problèmes auxquels elles sont confrontées, l'exécutif s'enferme dans le déni.
Une telle PPLC peut-elle aboutir ? Rien n'est moins sûr, étant donné la situation politique dans laquelle le Parlement se trouve placé. Le texte de Philippe Bas est en souffrance à l'Assemblée nationale depuis trois ans et je doute fort que la navette nous permette un jour d'avancer. Non seulement nous sommes face à un vrai problème de majorité, mais, quelle que soit sa couleur politique, le Gouvernement ne tient pas à créer une telle loi de financement des collectivités territoriales. Ce texte lui imposerait un débat parlementaire qui n'a jamais lieu, étant donné que les crédits des collectivités territoriales sont examinés de manière éclatée et, en somme, noyés dans la masse.
Je m'abstiendrai aujourd'hui et je verrai dans quel sens je me prononcerai en séance. Quoi qu'il en soit, le cadre constitutionnel actuel n'a absolument pas protégé les collectivités territoriales. Même s'il ne va pas plus loin, le présent texte nous permettra au moins d'engager ce débat avec le Gouvernement : jusqu'où ira-t-on dans le déséquilibre ?
Une nouvelle étape de la décentralisation serait, à mon sens, la meilleure solution. Peut-être nous dispenserait-elle de créer une telle loi de financement, mais, pour l'heure, elle n'a pas eu lieu.
M. Albéric de Montgolfier. - Bercy rêve clairement de créer l'équivalent de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour les collectivités territoriales. En outre, un tel texte offrirait au Gouvernement une nouvelle possibilité de recourir à l'article 49, alinéa3, procédure que je n'aime pas. Ce texte a le mérite d'ouvrir un débat légitime, mais, compte tenu de ces deux pièges, je m'abstiendrai à ce stade.
M. Thierry Cozic. - Monsieur le rapporteur pour avis, vous êtes tout de même un peu sévère. Ce texte a au moins le mérite de rouvrir le débat. En ce sens, il répond à une demande forte des collectivités territoriales elles-mêmes. La proposition de loi de M. Bas est en navette depuis trois ans...
Monsieur Karoutchi, j'ai lu votre proposition de loi de janvier dernier et je n'ai pas le sentiment que nous soyons si éloignés de vous sur ce sujet. Il s'agit ni plus ni moins que de préserver l'autonomie financière des collectivités territoriales en apportant un certain nombre de clarifications.
Mme Sylvie Vermeillet. - Monsieur le rapporteur pour avis, j'approuve en tout point votre analyse et je suivrai votre avis.
Deux questions cependant : comment envisagez-vous l'évolution de la gouvernance des collectivités territoriales ? Vous expliquez en outre qu'il vaut mieux vaut se fonder sur leurs charges réelles que sur leur richesse potentielle : pourriez-vous nous en dire davantage ?
M. Stéphane Sautarel. - Si la question est bonne, il n'est pas certain que la réponse soit appropriée.
Un tel encadrement législatif serait sans doute un piège ; mais le fait est que les crédits des collectivités territoriales, éclatés en divers pans du budget, ne font pas l'objet d'un véritable débat. En ce sens, le présent texte a au moins un mérite : nous permettre d'interroger le Gouvernement.
Monsieur le rapporteur pour avis, je souhaiterais également, comme Sylvie Vermeillet, des précisions sur un système de répartition des dotations fondé sur les charges et non sur les ressources : l'écueil d'un tel système ne serait-il pas de créer un cadre normatif pour les dépenses des collectivités ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Lorsque je suis entré au Sénat, il y a bientôt six ans, j'étais plutôt favorable à cette formule. Aujourd'hui, j'estime qu'elle satisfait davantage les besoins de Bercy que les besoins concrets des collectivités territoriales, lesquelles demandent avant tout des mesures de simplification.
Nous sommes face à des questions urgentes en matière d'équité, notamment entre les villes et les campagnes. Je pense en particulier au calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la progression logarithmique pénalisant fortement les petites communes rurales.
M. Jérôme Bascher. - Il n'est pas souhaitable de changer la Constitution au gré des humeurs : au contraire, comme l'écrivait Montesquieu, il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante. Je suis donc d'accord avec M. le rapporteur pour avis.
De surcroît, la création d'une nouvelle catégorie de textes étendrait encore le champ d'application de l'article 49, alinéa 3 : ce serait assez paradoxal.
La dette des collectivités territoriales est stable depuis vingt ans et c'est la seule parmi celles des administrations publiques ! Mieux vaut imposer la règle d'or à l'État plutôt que d'appliquer les méthodes de l'État aux collectivités territoriales.
M. Claude Raynal, président. - Le financement des collectivités territoriales peut déjà être voté via l'article 49, alinéa 3 puisqu'il fait partie du PLF : rien ne changerait à cet égard.
M. Marc Laménie. - Monsieur le rapporteur pour avis, je tiens à vous remercier de votre analyse.
Les auteurs de cette proposition de loi ont le mérite de poser un certain nombre de problèmes essentiels. Aujourd'hui, les collectivités territoriales sont entièrement dépendantes du budget de l'État, qui reste évidemment leur partenaire essentiel. Or la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ne pèse que quelques milliards d'euros : comment améliorer l'examen des crédits des collectivités, notamment en séance publique ?
M. Jean-Baptiste Blanc. - Cette PPLC ressemble effectivement à un contrat de Cahors qui ne dit pas son nom.
Le Gouvernement est-il conscient du besoin de nouvelle gouvernance qu'éprouvent les collectivités territoriales et que le rapporteur pour avis appelle de ses voeux ?
M. Daniel Breuiller. - Lors de la dernière campagne présidentielle, Yannick Jadot a défendu des dispositions comparables.
Comme le souligne Roger Karoutchi, le cadre constitutionnel actuel ne protège en rien les collectivités territoriales. Le présent texte permet d'ouvrir le débat, à l'heure où Bruno Le Maire suggère que le trésor des collectivités territoriales pourrait combler le déficit de l'État. A minima, je le soutiendrai pour ces raisons tactiques.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - J'ai moi aussi fluctué sur ce sujet - je l'ai admis en préambule - et je n'ai donc pas le sentiment d'avoir été spécialement dur.
Les problèmes que nous évoquons et dont nous partageons le constat n'appellent pas, à mon sens, une réponse constitutionnelle. La synthèse souhaitée récapitulant les transferts financiers de l'État figure dans un rapport annexé au PLF de l'année qui, depuis la réforme de la LOLF de 2021, donne lieu à un débat en amont de son examen dont nous pouvons mieux nous saisir. Les lois de programmation, que nous n'utilisons pas suffisamment, nous permettent en principe déjà de donner une vision pluriannuelle. Quant à ces nouvelles lois de financement, elles seraient avant tout source de contraintes.
L'examen en loi de finances des mesures relatives aux collectivités territoriales est certes quelque peu éclaté. La mission « Relations avec les collectivités territoriales » représente 4,4 des 107 milliards d'euros de financements destinés aux collectivités : à l'évidence, nous sommes un peu à l'étroit dans ce costume...Néanmoins, l'expérience montre que l'examen de cette mission dans notre assemblée permet déjà un débat assez large sur le sujet.
Ce dont nous avons besoin, c'est plutôt d'une nouvelle gouvernance.
L'État intervient directement, et assez fréquemment, auprès des collectivités par la voie de la contractualisation. Le Parlement a de facto perdu son pouvoir en la matière et se trouve trop souvent en position de valider les accords négociés bilatéralement sans vision d'ensemble. Nous avons donc besoin d'un nouvel espace de discussion entre le Gouvernement, les assemblées parlementaires et les associations d'élus : nombre de nos voisins ont déjà opté pour cette solution, même si ce sont souvent des États fédéraux. C'est d'autant plus important que le recours à la fiscalité partagée est désormais accru.
Car en effet, en parallèle, force est de constater que notre système de fiscalité locale est manifestement à bout de souffle et exige lui-même exige un vaste travail de refondation. Comme le suggère Marc Laménie, la notion d'autonomie financière a été conçue il y a une vingtaine d'années, dans un contexte totalement différent. Elle n'a plus le même sens aujourd'hui, dans un contexte où l'autonomie financière s'est considérablement érodée.
D'un point de vue intellectuel, les services de Bercy, la direction générale des collectivités locales (DGCL) comme les universitaires spécialistes du sujet que nous avons entendus admettent la nécessité d'une nouvelle gouvernance. Mais dans la pratique, sur le plan institutionnel, Bercy et, dans une moindre mesure, la DGCL se satisfont assez bien de la situation actuelle. C'est donc à nous de porter le fer.
Vous m'avez également interrogé sur l'enjeu du recours aux indicateurs de charges réelles dans la répartition des dotations et fonds de péréquation. Dans le cadre de nos fonctions de rapporteurs de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », le président Raynal et moi avons, je le disais, examiné avec intérêt la notion de « standard de charges » appliquée en Italie. Certes, on ne saurait contraindre les collectivités territoriales en leur disant exactement ce qu'elles doivent dépenser : ce serait porter atteinte à leur libre administration.
Dans un contexte où le financement des collectivités repose désormais davantage sur les dotations et la fiscalité partagée, qui s'apparente de plus en plus à une dotation, se pose la question de la bonne répartition de ces ressources. Or aujourd'hui, le calcul de la dotation globale de fonctionnement repose beaucoup sur des montants de dotations historiques sédimentées devenues souvent sans rapport avec la réalité pratique des charges auxquelles font face les collectivités territoriales, qui dépendent pour beaucoup des caractéristiques de leur territoire.
En prenant pour base les charges réelles constatées sur le territoire objectivées, on pourrait, à l'inverse, imaginer une sorte de « Smic » par compétence pour les collectivités territoriales, lequel constituerait une base pour le calcul des dotations.
Le partage des compétences n'étant pas harmonieux dans l'ensemble du pays, une telle perspective imposerait de s'écarter de la répartition communale au profit de la notion de territoire. Mais, dès lors, une forme de transparence serait opérée sur le fait que la même compétence n'est pas exercée partout de la même manière et au même coût ; c'est sans doute pourquoi cette solution ne plaît pas à tout le monde.
Beaucoup pensent qu'un comité des finances locales (CFL) élargi, aux prérogatives accrues, serait à même d'exercer cette nouvelle gouvernance. Quant au « grand soir » de la fiscalité, beaucoup l'attendent ; d'autres sont un peu moins pressés, pour des raisons que l'on devine.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences.
Proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent la proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues, sur le rapport de notre collègue Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Je salue la présence ce matin de Ronan Le Gleut, dont la proposition de loi arrive dans un contexte marqué par une succession de crises - sanitaire, économique, sécuritaire ou encore climatique.
La situation des quelque 2,5 millions de Français qui résident hors de France est parfois difficile et incertaine. Elle mérite que le législateur s'interroge sur la meilleure façon de les soutenir et d'affermir leur lien avec le territoire national.
C'est en ce sens que cette proposition de loi crée le statut de résidence d'attache.
Les Français qui vivent à l'étranger ont parfois gardé, en France, une résidence libre de toute occupation : je ne parle pas de ceux qui proposent de tels biens à la location ou en font bénéficier tel ou tel membre de leur famille.
Actuellement, ces logements sont considérés comme des résidences secondaires au sens du droit fiscal, ce qui semble assez logique. Néanmoins, on comprend parfaitement que, pour bon nombre de nos compatriotes, la résidence d'attache ait une valeur à la fois fiscale et patriotique. Il s'agit souvent de leur ancienne résidence principale et beaucoup ont vocation à y revenir définitivement, par exemple après leur départ à la retraite. Beaucoup de ces logements sont aussi des résidences de repli, en cas d'urgence.
En créant le statut de résidence d'attache, cette proposition de loi offre une solution pratique et bienvenue à une demande transpartisane - j'insiste sur ce dernier point, qui, pour moi, a toute son importance. À preuve, le Sénat a déjà voté de telles dispositions sur l'initiative de collègues de tous les groupes. Je pense à Jean-Yves Leconte, membre du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, ou encore à Ronan Le Gleut, qui a obtenu leur adoption par voie d'amendement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Il y a aussi une volonté d'un député de la majorité présidentielle, Frédéric Petit.
Enfin, le Président de la République lui-même s'est engagé pendant la dernière campagne présidentielle à créer un statut de résidence de repli tandis que selon les déclarations du ministre délégué chargé du commerce extérieur, Olivier Becht, le Gouvernement aurait engagé un travail de réflexion sur les résidences d'attache confié, notamment, Gabriel Attal, le ministre chargé du budget et des comptes publics.
J'en arrive à l'article 2 du texte, qui concerne la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS). En 2021, cette taxe a rapporté environ 2,7 milliards d'euros au profit du bloc communal. La THRS se compose de deux parts : une base calculée en fonction du taux délibéré par les communes et, dans les zones « tendues », une majoration, décidée par les communes concernées, pouvant aller de 5 % à 60 %.
La direction générale des finances publiques n'est pas en mesure de nous dire l'impact d'une exonération de THRS les Français de l'étranger. Depuis plusieurs années, la DGFiP ne souhaite pas prévoir une case « Résident à l'étranger » pour les impôts locaux. Dès lors, elle ne sait pas estimer l'importance du patrimoine immobilier des Français résidant à l'étranger ni quelle part il représente dans l'ensemble de la THRS. Aujourd'hui, nous ne savons donc pas non plus faire la distinction entre les Français établis hors de France et les étrangers qui vivent à l'étranger et qui ont une résidence en France. Là encore, l'administration refuse d'enrichir sa déclaration d'une case portant sur la nationalité. Je le regrette.
Toutefois, si l'on prend en compte l'ensemble des résidences secondaires dont disposent des redevables fiscaux résidant à l'étranger, on peut estimer le coût de la mesure à 340 millions d'euros au maximum. Cela ne me semble pas disproportionné.
Le problème est que cette mesure romprait un équilibre constitutionnel sur le principe d'égalité devant l'impôt. Nous proposons des évolutions visant à reprendre les principes de la proposition de loi relative aux Français établis hors de France, déposée par Bruno Retailleau et dont Jacky Deromedi était rapporteure. Ainsi, je propose de les exonérer non pas de la totalité de la THRS, mais de la seule majoration de cette taxe pour les zones tendues, conformément à ce que le Sénat a déjà adopté dans le passé.
M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi. - Il y avait 1 500 Français en Ukraine avant le déclenchement de la guerre par la Russie. Pour eux, disposer d'un pied-à-terre en France ne revenait pas à avoir une résidence secondaire où passer les vacances ; c'était un refuge. Il y a 800 Français en Éthiopie. La guerre dans le Tigré a conduit notre ambassadeur à recommander à nos compatriotes de quitter le pays en urgence et à affréter un vol à cette fin. De la même manière, si ces Français ont un pied-à-terre en France, ce n'est pas pour avoir une résidence secondaire, il s'agit d'un refuge. Troisième exemple : quand on est salarié au Moyen-Orient et que l'on perd son emploi, on a quinze jours pour quitter le pays, avec sa famille. Dans cette situation, un refuge en France est nécessaire.
Bref, quand on est dans certains pays, on a besoin d'un refuge en France. Tel est le constat qui sous-tend ce texte. En outre, un tel logement témoigne aussi d'un attachement à la France, à son village, à sa famille ; il s'agit de garder un lien charnel avec notre pays, d'où l'expression de « résidence d'attache ». C'est pourquoi d'ailleurs ce logement ne doit pas donner lieu à un revenu locatif ; il doit être libre pour pouvoir servir de refuge.
Hier, le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger a indiqué que, à partir d'avril prochain, les parlementaires représentant les Français de l'étranger examineraient, autour de Gabriel Attal, la proposition de campagne d'Emmanuel Macron. Dans ce contexte, il est important que le Sénat montre sa mobilisation sur cette demande et sur la nécessité de ces refuges.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout a été dit par l'auteur de la proposition de loi et par le rapporteur, qui a rappelé les enjeux et les difficultés à définir un dispositif adéquat. Cette proposition de loi représente un premier pas, qui n'est sans doute pas encore pleinement satisfaisant, mais l'objectif est de progresser sur ce sujet.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je comprends que des situations particulières délicates, comme celles qui ont été évoquées, puissent motiver la rédaction d'un tel texte, mais la loi doit être générale ; aussi, je suis dubitative quant à l'opportunité de créer une nouvelle catégorie d'habitation et de complexifier encore un système fiscal déjà touffu, sans parler de la baisse de nos recettes publiques que cette mesure engendrerait. Une telle proposition me semble contracyclique et je ne la voterai pas.
M. Rémi Féraud. - On a déjà évoqué cette question. De telles situations existent réellement, mais la proposition paraît trop générale. On compte tout de même 2,5 millions de Français à l'étranger ! En outre, plusieurs principes s'opposent à cette mesure, comme le principe d'égalité ou la nécessité de l'accès au logement, car, rappelons-le, une résidence d'attache constitue bien un logement vide. Par ailleurs, cette proposition remet en cause le lien entre nationalité et fiscalité. Bref, on ne doit pas faire de situations particulières - l'Éthiopie ou l'Ukraine - un cas général. Un Français installé à Bruxelles ayant une résidence d'attache à Paris bénéficiera également d'un tel dispositif !
Je m'interroge en outre sur l'efficacité de la mesure envisagée. L'objectif est d'inciter les Français vivant dans des zones dangereuses à garder un logement refuge pour se retourner en cas d'urgence. L'exonération de THRS serait-elle efficace pour cela ? Le rapporteur propose de limiter le dispositif, en ciblant l'année de retour et les Français contraints de rentrer. On peut se poser la question de ce qui constitue une « contrainte » - s'appuiera-t-on sur les zones rouges du Quai d'Orsay ? -, mais en tout cas cela se conçoit déjà mieux, cela correspond à une mesure de justice à l'égard des Français vivant dans des pays au profil particulier. Cela dit, le dispositif n'est pas encore assez limitatif pour être raisonnable. En tout état de cause, j'invite mon groupe à s'abstenir.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je m'interroge sur la notion de logement ne produisant pas un revenu locatif. Un logement occupé gratuitement serait-il considéré comme une résidence d'attache ? Je pense au lien entre la taxe d'habitation et le coût de l'occupation d'une habitation pour une collectivité au regard des divers services rendus par celle-ci.
M. Jean-François Rapin. - L'argumentation de Ronan Le Gleut sur la résidence refuge me paraît imparable. Pour moi, plutôt que de résidence d'attache, il faudrait parler de deuxième résidence - et non de résidence secondaire, qui renvoie aux vacances -, surtout pour les personnes qui n'ont pas le choix de travailler à l'étranger ; je pense notamment à l'administration diplomatique. Ces personnes s'attachent alors à garder une deuxième résidence en France, pour les situations d'urgence ou temporaires.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Madame Paoli-Gagin, sur la complexification du système fiscal, il s'agit seulement d'ajouter une case à cocher. Cela ne me semble pas trop compliqué...
Sur la perte de recettes, je propose justement un dégrèvement pour les collectivités territoriales, afin qu'elles ne subissent pas de perte de recettes. En outre, mon chiffrage est une estimation haute.
Monsieur Féraud, on doit effectivement pouvoir utiliser les codes couleur du Quai d'Orsay sur les zones à risque et, en tout état de cause, la vérification de la contrainte à rentrer en France serait à la main de l'État.
Monsieur Arnaud, il s'agit des propriétaires ayant la jouissance de leur bien. Si quelqu'un occupe le logement, c'est une résidence principale pour lui, donc il n'y a pas de THRS.
J'entends l'argumentation en faveur de l'appellation « deuxième résidence », mais les termes de « résidence d'attache » me semblent politiquement plus pertinents, plus faciles à comprendre.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Je vous informe que, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le rapporteur propose un périmètre indicatif de la proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France. Ce périmètre comprend les conditions et les modalités par lesquelles les résidences des Français établis hors de France peuvent être déclarées comme des « résidences d'attache » et le régime fiscal applicable aux logements regardés comme des résidences d'attache.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Au travers de l'amendement COM-6, je propose de préciser qu'une résidence d'attache se caractérise par la propriété ou la jouissance du logement.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 1er est ainsi rédigé.
Après l'article 1er
L'amendement COM-3 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - La taxe d'habitation est en principe due au 1er janvier de l'année. Si l'on rentre en France en cours d'année, on doit obtenir un dégrèvement de THRS pour l'année du retour alors qu'aujourd'hui, ce dégrèvement n'est pas possible si l'on était encore à l'étranger au 1er janvier. En outre, je propose un dégrèvement de la majoration de taxe d'habitation sur les résidences secondaires dans les zones tendues comme je l'ai évoqué dans mon propos liminaire. Tel est l'objet de l'amendement COM-7.
L'amendement COM-7 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-4 devient sans objet.
L'article 2 est ainsi rédigé.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - L'amendement COM-5 de M. Masson tend à modifier la date d'entrée en vigueur de la proposition de loi. J'y suis défavorable.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Questions diverses
M. Albéric de Montgolfier. - Hier, la pratique dite « du CumCum » a donné lieu à des perquisitions fiscales dans plusieurs banques.
La presse semble redécouvrir cette question, que notre commission avait abordée dès 2018. Cette fraude avait été évaluée à 1 à 3 milliards d'euros par an pour la France. La direction générale des finances publiques (DGFiP) estimait que nous disposions des outils nécessaires pour lutter contre ces pratiques, ce qui n'était vraisemblablement pas le cas.
Nous avions présenté des amendements identiques visant à mettre un oeuvre un dispositif opérationnel pour lutter contre ces pratiques d'arbitrages de dividendes. Lors de la séance du 26 novembre 2018, le Sénat les a votés à l'unanimité, puis l'Assemblée nationale et le Gouvernement se sont empressés d'amoindrir la portée du dispositif que nous avions voté, en réduisant le champ des opérations couvertes.
Quelle est l'utilité de nos auditions, puisque, à l'évidence, certaines administrations ne nous disent pas la vérité ?
M. Éric Bocquet. - Très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je précise que le Gouvernement avait repris, en partie, les propositions du Sénat. En revanche, il s'est octroyé tout le bénéfice de ce travail, ce qui est tout bonnement insupportable.
M. Claude Raynal, président. - Nous allons écrire au Gouvernement pour rappeler les travaux de la commission sur ce sujet.
La réunion est close à 11 h 30.