Mardi 21 mars 2023
- Présidence de M. Jérôme Bascher, président -
La réunion est ouverte à 15 h 50.
Audition de M. André Laignel, premier vice-président délégué de l'association des maires de France et président du comité des finances locales
M. Jérôme Bascher, président. - Merci de votre présence, cher André Laignel, vous êtes ici chez vous, en tant que représentant des collectivités territoriales. Notre commission a débuté ses travaux le 1er mars, vous en connaissez l'objet et elle rendra son rapport en juin, en coordination avec les travaux des autres instances du Sénat. Nous cherchons à savoir dans quelle mesure l'impact des décisions de l'État sur les finances locales est évalué en amont, quelle est la situation actuelle sur le sujet, et comment nous pourrions l'améliorer.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Avec cette mission, mon groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) a souhaité mener une réflexion sur l'impact concret des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. Ce sujet me tient à coeur et j'ai interpelé le Gouvernement lors d'une question d'actualité en novembre dernier.
Pourquoi un tel sujet ? Parce qu'il est coeur d'enjeux majeurs pour le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales.
Trop souvent, le Gouvernement évalue mal, au moment de l'élaboration des textes, leur impact financier sur les collectivités territoriales : les études d'impact sont insuffisantes, voire bâclées. La concertation préalable avec les élus est trop limitée, quand elle a lieu... De plus, le Comité national de l'évaluation des normes (CNEN), doté de faibles moyens et souvent saisi en urgence, ne peut pas jouer pleinement son rôle : ni lui ni aucune autre autorité ne contrôlent l'objectivité et la sincérité des études d'impact. Nous serons donc très attentifs à votre point de vue.
Deuxième sujet : l'analyse précise de la situation. Dans notre rapport, nous souhaitons, à partir d'exemples concrets et récents, souligner les charges, directes ou indirectes, que les décisions de l'État font peser sur les collectivités. Je pense en particulier aux petites communes dont les ressources techniques et financières sont limitées.
Dans le cadre de cette mission, nous distinguerons les décisions réglementaires et les décisions budgétaires.
Les décisions règlementaires concernent les décrets et arrêtés dont on sait qu'ils imposent des normes de plus en plus nombreuses aux collectivités locales. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat vient de rendre un rapport sur « l'addiction aux normes » : il souligne, par exemple, que le code général des collectivités territoriales a triplé de volume en 20 ans et dépasse aujourd'hui le million de mots. Le Sénat a organisé le 16 mars dernier, à l'initiative de notre collègue Françoise Gatel, les états généraux du poids des normes. Les associations d'élus locaux y ont été directement associées et une charte inédite d'engagements a été signée entre le Sénat et le Gouvernement. Selon le rapport d'activité du CNEN, les normes réglementaires représentent, en 2022, un coût net de 2,5 milliards d'euros pour les collectivités : c'est considérable.
Quant aux décisions budgétaires, elles pèsent à la fois sur les recettes (à la baisse) et sur les dépenses (à la hausse). Essentiellement concentrées sur les textes législatifs de nature financière, ces décisions ont réduit, année après année, la libre-administration des collectivités et leur autonomie financière, principes pourtant consacrés dans notre Constitution. Nous sommes donc impatients de vous entendre sur ces sujets, d'autant que vous avez la « double casquette » de premier vice-président délégué de l'AMF et de Président du Comité des finances locales (CFL).
Vous avez été destinataires d'un questionnaire. Je ne serai donc pas plus longue et je vous propose de céder la parole en prenant les questions dans l'ordre. Nous aurons ensuite un temps d'échange avec nos collègues.
M. Jérôme Bascher, président. - Merci, lorsque c'est pertinent, de distinguer dans votre propos ce qui relève plus spécifiquement de vos fonctions à l'AMF et de celles au CFL...
M. André Laignel, premier vice-président délégué de l'Association des Maires de France et président du Comité des finances locales. - Merci pour cette invitation. Votre mission est vaste, je ne veux pas remonter trop loin mais vos questions ne sont pas nouvelles, et elles s'aggravent. En 2014, les collectivités locales ont été très largement contributrices à l'effort de réduction des dépenses publiques : elles ont participé pour 42 milliards d'euros, donc proche de 50 milliards en euros constants. C'est pourquoi nous disons que nous avons largement fait notre part. Cependant, chacun constatera que cet effort n'a pas eu d'effet sur la situation des comptes de l'État. Je m'étonne, dans ces conditions, que l'on continue de demander aux collectivités territoriales de participer au redressement des comptes publics car en réalité, elles sont les seules à l'avoir fait...
Or, nous avons quelques inquiétudes, et nous l'avons dit à la Première ministre et aux ministres des finances et des comptes publics. Car lorsque le ministre de l'économie évoque une revue des dépenses publiques, ce qui est un exercice très certainement utile pour l'État, il a ajouté « et notamment pour les collectivités territoriales » : nous nous sommes alors permis de lui rappeler le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités locales.
Vous me demandez des exemples de transferts de charges et d'empiètement, par l'État, de ce principe de libre administration et d'autonomie financière - mais par où commencer, tant ces exemples abondent ? Voyez la dernière loi de finances, où les chiffres avancés par Bercy sur l'état des finances locales, qui serait brillant, ne cessent d'étonner les maires, qui sont en prise avec la réalité, tout autre.
La dernière loi de finances a acté la non indexation de la DGF, alors que nous demandons l'indexation de manière constante. La DGF n'est pourtant pas une gratification, ni une amabilité, c'est un dû ; il doit être en euro constant. Bercy nous nous dit que les montants sont stables depuis dix ans, c'est vrai ; mais ce qui peut s'entendre quand l'inflation est à 1 %, comme dans le quinquennat précédent, et quoiqu'il faille aussi regarder la répartition de cette dotation, mais c'est une autre histoire - ce qu'on peut entendre comme « stable » ne l'est plus avec 7,1 % d'inflation pour l'an passé, et peut-être 5 % cette année : quand Bercy se félicite d'une augmentation de 1,76 %, nous voyons, nous, que nous perdons encore du « pouvoir d'action », c'est une évidence. On nous a promis une compensation intégrale des charges transférées, ce n'est pas le cas : la parole républicaine n'est pas respectée, nous avons largement documenté ce point avec toutes les charges mal compensées, je vous renvoie aux travaux de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales.
Je peux aussi vous parler des deux décrets que nous avons examinés ce matin au CFL, ce sera in vivo, des exemples encore tout chauds.
Le premier est lié à suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Quand l'État fait un cadeau fiscal, il le fait avec l'argent des collectivités territoriales. C'était vrai pour la taxe d'habitation, ça l'est pour la CVAE. Aucune entreprise ne m'avait dit que cette taxe était un problème, l'État la supprime, promet une compensation à l'euro près, mais ce n'est pas le cas, nous en avons parlé ce matin sur le décret d'application. La CVAE a déjà été payée à l'État, la DGFIP nous a redonné le chiffre ce matin : 11,3 milliards d'euros. Bercy nous assure que l'intégralité de cette somme nous reviendra - tout en réservant, donc en nous retirant 600 millions d'euros pour la part dite dynamique, et en ponctionnant 500 millions pour abonder le fonds vert - lequel a déjà siphonné, pour atteindre les 2 milliards annoncés, plusieurs autres fonds, dont le fonds « friches » -, et encore 150 millions d'euros pour les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Nous sommes bien sûr favorables à renforcer les moyens des SDIS, mais pourquoi, quand l'État annonce un grand plan national, il le finance avec l'argent des collectivités territoriales ? C'est aussi ce qui s'est passé, rappelez-vous, après la tempête qui s'est abattue sur Saint-Martin : le Gouvernement annonce une aide de 50 millions d'euros, très bien, mais il les prend sur la DGF. Où est la sincérité financière de l'État ? On a de quoi se poser la question... Ce matin encore, les représentants de Bercy ont eu beau jeu de nous annoncer que toute la CVAE nous sera compensée, on comprend qu'une partie est déjà attribuée au SDIS et au fonds vert - et je ne sais pas pour vous, mais j'ignore quels seront les critères de répartition de ce fonds, et j'ai pu constater que mon préfet aussi... Nous avions demandé que les élus émettent un avis sur la répartition du fonds vert, il y a le précédent de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), mais nous sommes dans le brouillard...
Bercy, encore, nous dit que la situation des finances locales serait bonne, voire excellente, parce que nous avons de la trésorerie. Nous débattons avec les mêmes chiffres, puisqu'ils viennent de l'administration, mais nous n'y voyons pas la même chose - et il faut regarder dans le détail. Oui, il y a de la trésorerie, mais c'est souvent en vue d'un projet, d'un investissement - et vous le savez comme moi, dans les petites communes, les petites villes, un mandat ne permet souvent guère plus qu'un grand projet, pour lequel on mobilise des moyens en amont... -, et il y a aussi de l'épargne de précaution, ce qui, chacun en conviendra, a son utilité par les temps qui courent... Donc lorsque nous avons examiné le décret d'application lié à la suppression de la CVAE, nous nous sommes abstenus, car personne au CFL n'était volontaire pour défendre ce transfert - et il y a eu un vote contre, qui du coup l'a emporté et l'avis du CFL a été négatif, ce qui fait mauvais genre, même si cela n'a aucun effet puisque l'avis est consultatif.
Le deuxième décret que nous avons examiné ce matin au CFL prévoit une série d'exonérations supplémentaires de taxe foncière liées à des travaux d'amélioration de l'habitat, pour leur rénovation énergétique. Ici encore, nous partageons l'objectif de lutter contre les passoires thermiques, mais l'État allonge de dix ans des exonérations de taxes foncière qu'il ne compense qu'au cinquième aux collectivités territoriales : on ne peut accepter que l'État fasse des cadeaux avec les moyens des collectivités territoriales ! Or, nous sommes constamment placés dans cette situation, le rapport d'Alain Lambert au CNEN le montre bien, cela devient ingérable. Dans ma ville, il me manque 1,5 million d'euros pour boucler mon budget, suite à la renégociation des tarifs énergétiques, qui en sont à un tiers d'augmentation - et l'an prochain je verrai ce qu'il en sera pour le gaz. Voilà la réalité concrète - mais pour Bercy, la situation de nos finances serait bonne et certains n'hésitent pas à nous critiquer, à dire que nous nous plaignons de tout, j'ai même entendu cette expression : nous serions des « pleureuses »... En réalité, la situation devient très difficile à gérer, ce qui explique les démissions d'élus et d'adjoints, elles sont plus importantes que dans la mandature précédente. Mais tout cela échappe à nos interlocuteurs de Bercy. Ce matin, j'ai demandé s'il s'agirait d'une exonération ou d'un dégrèvement - on ne savait d'abord pas me répondre, on a consulté, avant d'avouer, timidement, que ce serait une exonération, donc bien moins remboursée à la collectivité territoriale puisque le dégrèvement doit être intégralement compensé...
M. Jérôme Bascher, président. - Merci pour ces propos très vivants et d'une grande actualité.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Hier, le maire d'une commune de 950 habitants m'a alertée : pour installer une boulangerie dans le village, il avait loué un local commercial, mis à disposition du boulanger ; mais les frais d'énergie ont décuplé, passant de 800 à 8 000 euros, la situation est tout simplement intenable et le maire ne voyait pas d'issue...
Les dotations sont devenues un outil permettant de fixer en loi de finances le volume global des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales. Ce fonctionnement entrainant un manque de lisibilité et de prévisibilité, seriez-vous favorable à une nouvelle clé de répartition des impôts nationaux, gage de stabilité et d'une possibilité d'anticipation pour les exécutifs locaux ?
M. André Laignel. - Un mot sur l'inflation : tous les maires ont des difficultés pour boucler leur budget. Et face à cette situation, Bercy globalise en noyant le poisson. Je l'ai dit à la Première ministre, précisément. Bercy fait comme si les collectivités étaient assises sur un tas d'or, c'est très loin de la réalité. Il doit bien exister des collectivités sans difficultés, mais je n'en vois pas souvent et je n'ai jamais connu de situation comme aujourd'hui, une année non pas difficile, mais impossible - et pourtant, nous passerons le cap puisque nous sommes tenus à l'équilibre budgétaire. Nous tiendrons, mais à quel prix pour le service local ? Dans mon intercommunalité, j'ai fermé ma piscine, ma patinoire, provisoirement, car je dois d'abord rééquilibrer mes budgets. Et comme nous n'avons quasiment plus de maitrise des impôts, comment ajuster autrement que sur la taxe foncière ?
À l'AMF, nous ne sommes pas favorables aux impôts nationaux pour les collectivités territoriales, nous souhaitons que chaque niveau de collectivité ait un impôt dédié - et nous sommes pour l'universalité de l'impôt, pour que tout citoyen paie quelque chose, même peu, car être citoyen, c'est aussi participer. Or, plus on déconnecte les citoyens et les entreprises de l'impôt local, moins on peut lier le service à une participation, ce qui était le cas avant. Aujourd'hui, on peut tout réclamer sans rien payer. Ensuite, Bercy explique que la TVA est une manne, on nous parle d'un transfert de revenus pour l'éternité, mais en l'espèce, le mur s'appelle l'annualité budgétaire.
M. Olivier Henno. - Vous qui êtes l'un des pères de la décentralisation de 1982, pensez-vous qu'on puisse encore parler d'autonomie des collectivités locales avec le peu d'outils fiscaux qui sont encore entre leurs mains ? Aviez-vous imaginé ce type d'autonomie, en 1982 ? Lorsque j'étais maire, en 2001, nous avions encore la taxe d'habitation, mais aujourd'hui, que reste-t-il ?
Mme Isabelle Briquet. - Ne pensez-vous pas que des normes se contredisent - et que faut-il faire, lorsque cela se produit ? Comment, par exemple, articuler les normes de sécurité et d'accessibilité ? J'avoue que dans bien des cas, je ne sais pas faire...
Je vous rejoins pour déplorer que l'État fasse financer ses annonces par les collectivités territoriales, ce qui contredit leur autonomie financière. Je me demande si, dans le fond, il n'y a pas autre chose et je m'alarme aussi lorsque la Cour des comptes, dans son dernier rapport, estime nécessaire de diminuer le nombre de communes : le remplacement des ressources propres par des dotations n'est-elle pas un levier d'une réorganisation du territoire, contre les communes, alors que la crise sanitaire a encore montré qu'elles sont un échelon indispensable de notre démocratie ?
Mme Viviane Artigalas. - Une rumeur veut que les collectivités auraient beaucoup d'argent, mais la trésorerie des collectivités, là où elle existe, sert aux investissements, donc à l'économie locale, c'est vertueux, il en va de la vie sur les territoires : comment le faire comprendre à Bercy ? Les normes et contraintes budgétaires, de plus en plus nombreuses, paraissent avoir pour objectif de mettre les communes en difficultés, pour mieux les supprimer ensuite.
Les charges transférées aux collectivités sont évaluées de manière statique, alors qu'elles évoluent dans le temps, elles peuvent aller jusqu'à décupler. Le Gouvernement nous répond qu'on peut toujours financer par l'impôt local ; mais comme il n'y a quasiment plus d'impôt aux mains des collectivités, c'est peine perdue. Dès lors, comment faire ? Que pensez-vous d'une clause de revoyure ?
M. Jérôme Bascher, président. - Êtes-vous plutôt pour une indexation des charges, ou pour une clause de revoyure ?
Alain Lambert nous a parlé d'un projet d'intégrer le CFL et le CNEN : qu'en pensez-vous ?
Vos avis sont consultatifs, souhaiteriez-vous qu'ils deviennent contraignants ? Ou, à tout le moins, qu'ils interviennent plus tôt, comme l'avis du Conseil d'État pour les projets de loi ?
Les tarifs, enfin, paraissent le dernier levier entre les mains des collectivités dès lors que les taux d'imposition sont liés - au passage, êtes-vous pour la déliaison des taux ? -, mais ce levier étant forcément limité par la capacité des usagers à payer le service, n'est-ce pas là, indirectement, un moyen pour l'État de mettre aussi la main sur les compétences optionnelles des collectivités territoriales ?
M. André Laignel. - Il y a deux volets dans l'autonomie : l'un est financier, l'autre, fiscal, et ce sont deux sujets différents. La Constitution ne mentionne que l'autonomie financière des collectivités ; la loi organique sur les finances publiques l'a considérablement rognée, en acceptant que des dotations abondent cette autonomie, alors qu'elles sont aux mains de l'État, ce qui n'était pas l'idée du Constituant. Il faudrait à tout le moins corriger ce point dans la loi organique, en précisant que l'autonomie financière des collectivités locales signifie qu'elles décident des taux et de l'assiette de leurs taxes - sinon, à quoi bon parler d'autonomie ?
Il y a, ensuite, l'autonomie fiscale, que nous réclamons depuis longtemps, sans être jamais entendus - la situation est même bien pire, puisqu'on nous dépouille de nos impôts au point qu'on en arrive à l'os, voire à la moelle. On entend déjà ceux qui dénoncent l'augmentation des impôts fonciers, la suite logique sera qu'on supprime ces impôts - certains le demandent, ce qu'on comprend de la part de promoteurs immobiliers, moins quand il s'agit d'institutions en charge de l'intérêt général. Nous demandons, pour notre part, que la notion d'autonomie fiscale soit introduite dans la Constitution, au même titre que l'autonomie financière.
La dépendance aux dotations est la forme la plus vicieuse de tutelle.
M. Jérôme Bascher, président. - Cette formule restera, historique !
M. André Laignel. - On a les formules historiques qu'on peut... En tout cas, si certains vont jusqu'à penser qu'il y a trop de communes en France, ce n'est pas notre cas à l'AMF - et c'est tout le charme de la Cour des comptes, d'être une maison sérieuse, mais qui se regarde dans le miroir, plutôt que de regarder l'avenir... L'idée qu'il y ait trop de communes est une erreur fondamentale. Car quel est le plus grand problème, dans notre société ? Celui d'avoir le sentiment d'être déclassé - et quand on a ce sentiment, le maire est le dernier espoir, le dernier recours institutionnel ; dès lors, éloigner la décision de nos concitoyens, c'est ce qui peut conduire le plus directement aux extrêmes.
Je vous rejoins entièrement sur le fait que la trésorerie des collectivités territoriales sert aux investissements locaux. Bercy nous dit qu'on a davantage investi en 2022 qu'en 2020 et 2021, et que ce serait là le signe infaillible que nos finances se portent bien. Mais c'est oublier l'effet de rattrapage, au lendemain de la crise sanitaire ! Je l'ai vécu dans ma petite ville : j'ai présenté des projets d'investissement dans ma campagne électorale, en 2020, je les ai même inscrits au budget, mais après l'élection, avec la crise sanitaire, nous n'avons pas pu les réaliser - alors nous les avons reportés, dont une part n'a pas pu se faire avant l'an dernier. L'année 2022 est donc de rattrapage - et il faut compter aussi avec le début de l'inflation. Cette année, l'investissement sera encore gonflé par l'inflation, même s'il y aura moins d'opérations réalisées. Je m'inquiète donc particulièrement pour 2024, avec la répercussion de ces décalages. Attention aux faux-semblants avec les chiffres...
La multiplication des normes et des contraintes est-elle délibérée de la part de l'État, pour en finir avec les petites collectivités ? Je n'irai pas jusqu'à le dire, mais je comprends qu'on puisse se le demander.
Entre l'indexation et la revoyure, je préfère la première, mais il y a des sujets où la clause de revoyure est meilleure, par exemple pour les transferts de compétence progressifs - l'indexation, elle, est préférable quand la charge revient chaque année.
Avec Alain Lambert, nous avons signé une tribune commune pour demander la création d'une autorité administrative indépendante, avec la fusion du CFL et du CNEN. Quoique nous venions de familles politiques différentes, nous avons de l'estime et de l'amitié avec Alain Lambert et nous estimons, de concert, qu'il faut un lieu de convergence. L'avis doit-il rester consultatif ? Il l'est dans la plupart des cas, nous ne sommes décisionnaires que dans un très petit nombre de cas, par exemple sur la répartition de certaines dotations, et encore...
Je suis également favorable à la déliaison des taux, car la liaison des taux n'a plus aucun sens. On nous a longtemps objecté qu'il ne fallait pas peser sur les entreprises, les chiffres montrent qu'en réalité, les ménages paient déjà plus de 60 % des impôts locaux.
Enfin, je partage vos préoccupation sur les politiques tarifaires, elles deviennent d'autant plus un problème, que l'inflation fait perdre du pouvoir d'achat aux ménages.
M. Lucien Stanzione. - L'indexation ne serait-elle pas un frein, en période d'inflation ? Ne faut-il pas la redoubler avec une clause de revoyure ? Que pensez-vous du devenir des communes ? Quelles vous paraissent les intentions de l'État ?
M. André Laignel. - Nous réclamons le tarif réglementé pour toutes les collectivités, votre assemblée en est saisie le 6 avril. Comme je l'ai dit à la Première ministre, le fameux « filet de sécurité » énergétique a des mailles si larges qu'il n'attrape pas grand-chose, on nous disait que 22 000 communes seraient aidées, elles ne seraient plus que 4 000 et certaines, même, devraient rembourser l'aide reçue - mieux vaudrait une règle générale. Je ne sais pas, par exemple, si ma ville est éligible... et je n'ai pas obtenu de réponse de Bercy, c'est vous dire.
Enfin, je crois aux communes, envers et contre tout, et celui qui voudrait s'y attaquer, rencontrerait une opposition qui ferait paraître ce qu'on connait actuellement comme de la petite bière : on ne mesure pas ce qui se passerait dans notre pays si demain on annonçait à nos concitoyens que leur mairie, le lieu qu'il leur reste pour dire leurs difficultés, devait disparaitre... Je crois à la force des communes, elles incarnent la proximité, la démocratie - y toucher, ce serait l'une des actions les plus déstabilisantes pour la République et pour la démocratie.
M. Jérôme Bascher, président. - Merci pour ces propos clairs et francs, ils sont tels que vous êtes connu et reconnu. Je ne doute pas que notre rapport sera en convergence avec vos vues.
La réunion est close à 18 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.