Mardi 21 mars 2023
- Présidence de Mme Anne Ventalon, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Entreprises du bâtiment et du paysage - Audition de MM. Stéphane Sajoux, président du groupe Performance énergétique de la Fédération française du bâtiment (FFB), président de la FFB Île-de-France Est, David Morales, vice-président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques, Alain Chouguiat, directeur du pôle économique de la Capeb, et Jean-Marc Delpeyroux, membre de la commission technique de l'Union nationale des entreprises du paysage
Mme Anne Ventalon, présidente. - J'ai l'honneur de présider cette table ronde en remplacement de M. Jean-Marie Mizzon, président de cette mission d'information, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux avec une table ronde destinée à entendre le point de vue des entreprises, indispensable à notre réflexion. C'est d'ailleurs lors d'un événement organisé par la Fédération française du bâtiment que le Président de la République a évoqué, en novembre 2022, la nécessité d'accompagner les communes pour mener à bien la rénovation thermique des écoles.
Nous accueillons donc, au titre de la Fédération française du bâtiment, M. Stéphane Sajoux, président du Groupe performance énergétique de la FFB, président de la FFB Île-de-France Est ; au titre de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), M. David Morales, vice-président en charge des affaires économiques et M. Alain Chouguiat, directeur du pôle économique et au titre de l'Union nationale des entreprises du paysage (UNEP), M. Jean-Marc Delpeyroux, membre de la commission technique.
Compte tenu de l'intérêt que nous attachons aux espaces extérieurs - nous avons évoqué ce sujet avec des chefs d'établissement la semaine dernière - et dont l'aménagement est crucial compte tenu des risques de canicule, nous avons souhaité entendre les entreprises du paysage aux côtés de la FFB et de la Capeb. Je vous remercie donc de vous être rendus disponibles pour notre commission cet après-midi.
Notre objectif est, d'abord, d'évaluer les besoins de rénovation des écoles, collèges et lycées liés à la transition écologique, ensuite, d'identifier les défis - notamment juridiques et financiers - de cette rénovation pour les collectivités territoriales et, enfin, d'évaluer l'efficacité de l'accompagnement des décideurs locaux, s'agissant plus particulièrement de l'accès à l'information, aux financements et à l'expertise.
Je rappelle également que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit annexé à notre rapport et que son enregistrement vidéo sera accessible sur le site du Sénat. Un questionnaire vous a été adressé en amont de cette réunion : nous n'aurons vraisemblablement pas le temps d'épuiser cet après-midi tous les sujets qu'il comporte, mais vous pourrez nous adresser par la suite des éléments écrits qui enrichiront notre réflexion. Avant que je vous donne la parole, notre rapporteure, Nadège Havet, va vous poser une première série de questions.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Mesdames, Messieurs, le bâti scolaire concerne 12 millions d'élèves chaque année et nous avons besoin de vous pour aborder ce sujet du point de vue très concret des entreprises appelées à mettre en oeuvre les projets des collectivités. Les ambitions de notre pays en matière de rénovation énergétique du bâti tertiaire et l'étendue du parc scolaire soulèvent la question de la capacité de la filière à répondre à une demande potentiellement croissante, qu'il s'agisse de la disponibilité des entreprises ou des matériaux, de la formation de tous les intervenants à ces questions et de l'empreinte environnementale des rénovations effectuées.
Compte tenu des besoins dans ce domaine, anticipez-vous des difficultés pour faire face aux commandes ? Estimez-vous que les professionnels du secteur sont suffisamment formés pour faire face aux exigences de la commande publique dans le domaine du bâti scolaire ?
M. Stéphane Sajoux, président du groupe Performance énergétique de la Fédération française du bâtiment, président de la FFB Île-de-France. - Merci pour votre invitation. J'interviens ici au nom de la Fédération française du bâtiment et également avec deux autres « casquettes » qui peuvent vous apporter un éclairage intéressant. En effet, la FFB Île-de-France que je préside a signé une convention avec l'Association des maires de France de Seine-et-Marne pour accompagner les élus dans la rénovation énergétique des bâtiments scolaires de ce département. À titre privé, je suis également en charge de la construction d'un établissement scolaire de 1 500 élèves dans le Val-de-Marne dans lequel nous déployons la rénovation énergétique et de bâti.
En réponse à votre question, je rappelle que nous avons déjà embauché dans le secteur du bâtiment 100 000 voire 120 000 personnes pour relever le défi de la rénovation énergétique, à commencer par toutes ses composantes financées par MaPrimeRénov'. Or nous constatons aujourd'hui que certaines commandes s'épuisent et qu'apparaissent des difficultés sur certains marchés. Par conséquent, en termes de volumétrie, de maillage du territoire et de capacité d'intervention sur le bâti scolaire, nous ne voyons pas de problème majeur. En revanche un certain nombre de freins peuvent subsister, en particulier dans le format et l'attribution des marchés qui pourraient être trop contraignants pour permettre à certaines entreprises de candidater.
Pour nos entreprises qui doivent recentrer leur activité sur le bâti scolaire, c'est principalement une question de tempo, sachant que les compétences sont bien présentes. Les enjeux sont importants, avec beaucoup de travaux à réaliser : c'est pourquoi, en termes de massification, j'attire votre attention sur la présence sur l'ensemble du territoire d'un maillage important d'entreprises disponibles à proximité pour répondre à cette demande en termes de volume et de compétence.
J'ouvre une parenthèse : sur le terrain, on constate qu'avant la phase de rénovation du bâti, un certain nombre d'étapes techniques préalables sont nécessaires. Elles sont principalement requises, en matière de performance énergétique, par le décret dit « tertiaire » et le décret « BACS » (Building Automation & Control Systems ou décret n° 2020-887 du 20 juillet 2020 relatif au système d'automatisation et de contrôle des bâtiments non résidentiels et à la régulation automatique de la chaleur). En fonction de leur surface, un certain nombre d'établissements scolaires entrent dans le champ de cette réglementation. Les premiers gestes à mettre en place relèvent ici du pilotage et du « comptage d'usage » pour se donner les moyens d'identifier dans quelle mesure on doit intervenir sur le bâti, sur les usages ou paramétrer les installations de chauffage afin de mieux les adapter au temps scolaire, limiter les déperditions ainsi que le gaspillage énergétique. Ce processus technique d'approche par étapes montre ainsi que la rénovation énergétique ne se limite pas au bâti et qu'il ne suffit pas, par exemple, de remplacer les fenêtres, de modifier les façades ou d'améliorer l'isolation.
L'autre sujet, qui s'invite tout particulièrement à propos des locaux scolaires, est assez technique et je l'illustrerai de façon simple : dans la phase de Covid, on a observé que des établissements neufs à très haute performance énergétique avaient eu, en pratique, beaucoup de mal à se chauffer parce qu'il fallait ouvrir les fenêtres au moins une demi-heure à intervalles réguliers pour reventiler les salles de classe. Puis, cet hiver, on a vu des installations qui avaient du mal à poursuivre la régulation du chauffage. Tout ceci démontre clairement la nécessité de prendre en compte la question essentielle de la ventilation dans les travaux portant sur les établissements scolaires. Je rappelle que le besoin de renouvellement d'air est très important dans les salles de classe : elles sont occupées par une trentaine d'élèves ainsi qu'un professeur et il faut veiller à limiter le taux de CO2. De plus, la pratique d'ouverture des fenêtres va devoir se poser de manière différente et des travaux doivent améliorer la ventilation, en ayant recours, autant que faire se peut, à des systèmes simples pour éviter des contraintes de maintenance importantes. Je signale également le problème de la dérive des températures : dans le passé, les températures commençaient à monter au mois de juillet au moment des vacances estivales ; or de plus en plus, et tel a été le cas l'année dernière, les températures augmentent dès le mois de mai ou juin avec des élèves qui sont encore dans l'établissement scolaire. Vous voyez donc que la réflexion sur la partie rénovation thermique ne doit pas se limiter au volet chauffage, mais doit aussi englober la température de confort pendant l'été. Ces sujets techniques doivent être pris en compte pour appréhender la volumétrie et l'action de nos entreprises dans le bâti scolaire.
S'agissant des marchés, il va falloir bien encadrer et préparer les conditions d'attribution des marchés publics ainsi que le type de marché. J'appelle à une grande méfiance à l'égard des contrats de performance énergétique (CPE) qui peuvent avoir comme conséquence automatique d'écarter les entreprises locales compétentes et disponibles pour travailler sur le terrain, mais qui n'auront pas une surface financière, une approche ou une structure juridique suffisantes pour s'engager directement sur des CPE. On risquerait donc de réinviter, sur de tels marchés, les très grands opérateurs disposant des moyens financiers et les couvertures assurantielles requises, mais qui devront faire appel à la sous-traitance, ce qui complique la réalisation des marchés.
M. Jean-Marc Delpeyroux, membre de la commission technique de l'Union nationale des entreprises du paysage. - Je suis entrepreneur du paysage depuis 30 ans et je représente l'Union nationale des entreprises du paysage, l'unique organisation professionnelle reconnue par les pouvoirs publics dans ce domaine. Nous sommes plus de 31 000 entreprises du paysage qui emploient environ 122 000 personnes.
S'agissant de votre interrogation sur les freins que nous pourrions rencontrer, je précise que ces derniers ne sont pas d'ordre interne car, du point de vue technique, nos entreprises sont compétentes dans beaucoup de domaines comme la connaissance des sols, la place de l'eau et la végétalisation des bâtis. Pour rebondir sur le problème des pics de chaleur, notre demande est de pouvoir intervenir le plus rapidement possible, dès l'étude et la conception initiale des projets : il s'agit, pour nous, d'en devenir partie prenante et de ne pas intervenir uniquement en fin de parcours. Notre métier est tout à fait reconnu, mais nous souhaitons que l'on prenne pleinement conscience du fait que le végétal est une solution à part entière, indispensable, et qu'il ne se limite pas à une variable d'ajustement. Il ne faut donc pas se contenter, en fin de chantier, de retrouver deux malheureux lots réservés et, pour nous faire plaisir, de planter un arbre...
Par ailleurs, nous avons l'habitude de travailler main dans la main avec les entreprises du bâtiment ou des travaux publics : nos structures se ressemblent beaucoup en termes d'organisation, même si notre volume d'affaires n'est pas le même. Pour entrer un peu plus dans le détail technique, notre profession couvre un champ relativement vaste, mais elle est toujours centrée sur le végétal. Autrement dit, on ne va pas se contenter de faire uniquement du dallage ou du stabilisé : dans toutes nos opérations, nous accompagnons le végétal et notre but est de verdir, de récupérer les eaux, de les filtrer et de s'en servir pour créer des citernes. Notre finalité, c'est le « vert » car, comme vous l'avez signalé, on ne respire pas assez bien et on manque d'ombre. Par bonheur, on a le végétal et, en particulier, l'arbre qui est un élément fantastique car il produit de l'eau, de l'oxygène, de l'ombre et c'est le seul élément qui s'auto-régénère sans aucune pollution, puisqu'on peut l'utiliser même en fin de vie : il se recycle entièrement, capture du carbone et produit du bois. C'est un outil magnifique et nous avons un rôle à jouer dans cette mission de verdissement auprès des établissements et des élèves : il nous faut accompagner nos projets, y compris pour apporter des réponses aux objections comme « oui, mais le vert c'est salissant car on met de la terre dans les classes ». Je pourrais vous parler très longtemps de toutes les possibilités techniques offertes par notre secteur pour favoriser le vert, la biodiversité, la durabilité et pour permettre de mieux respirer.
Je termine cette première intervention en affirmant que nous avons un rôle important à jouer et je me félicite que vous nous donniez, en organisant cette table ronde, l'occasion d'exprimer toute notre motivation dans ce domaine. J'ajoute que le bâti scolaire n'est pas un métier que nous découvrons. Pour ma part, en tant que professionnel, j'ai déjà participé à l'aménagement de cours d'écoles, de collèges ou de lycées puisque dans notre département c'est souvent le département ou la région qui nous demandent d'intervenir : nous connaissons donc déjà les enjeux et les interlocuteurs.
M. David Morales, vice-président en charge des affaires économiques de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - Nous vous remercions, à notre tour, pour votre invitation. Sachez tout d'abord que la Capeb, et plus généralement tous les artisans du bâtiment, sont désireux de participer aux travaux de rénovation énergétique qui sont mis en place car nous savons que les objectifs fixés pour cette politique publique ne pourront pas être atteints sans notre participation. C'est également un enjeu économique important pour nos professions. Nous participons aux travaux engagés chez les particuliers, mais, dans le prolongement des annonces du président de la République sur la rénovation des bâtiments scolaires, et, comme vous le savez en tant qu'élus du territoire, les artisans du bâtiment interviennent fréquemment dans les petites écoles communales et, un peu moins souvent, dans les écoles plus grandes, les collèges et les lycées.
Au-delà des chantiers de petite taille, ce sont les artisans les mieux organisés qui interviennent sur des marchés publics : on estime à la CAPEB qu'un artisan sur cinq répond à des marchés publics et que deux artisans sur cinq travaillent avec les collectivités locales. Les autres artisans pourraient également intervenir dans les marchés de proximité et, à la CAPEB, nous travaillons à lever les freins pour augmenter cette proportion. La difficulté aujourd'hui est que les artisans sont assez réticents et craignent un peu de répondre à des marchés publics qu'ils n'affectionnent pas particulièrement : nous devons donc collectivement agir pour augmenter le nombre d'artisans présent sur ces marchés de rénovation énergétique, et particulièrement ceux qui portent sur le bâti scolaire. C'est très important : nous y travaillons beaucoup à la CAPEB et le seuil de 100 000 euros qui a été introduit va dans le bon sens en permettant d'organiser des marchés simplifiés qui facilitent l'intervention des artisans.
Vous avez ensuite évoqué les problèmes de formation. Je préfère parler de compétences : comme l'a indiqué mon collègue de la FFB, nos artisans maîtrisent bien leurs métiers et sont compétents dans le domaine de la rénovation énergétique. Bien entendu, comme toutes les professions, nos artisans procèdent à des mises à niveau régulières ; au fil de l'eau, nous nous sommes toujours adaptés au marché, aux nouveaux produits et aux techniques les plus avancées. Par exemple, pour ma part, je suis plaquiste : le plaquiste d'aujourd'hui c'est le plâtrier d'hier. Nous faisons aussi beaucoup de travaux d'isolation et sommes passés de l'isolation traditionnelle à l'isolation biosourcée ; des évolutions importantes se poursuivent dans ce domaine.
Le défi est d'améliorer, en pratique, l'accès aux marchés publics pour nos petites entreprises. Nous y reviendrons. Du côté des freins, je mentionne également le manque de disponibilité des matériaux : on vient de passer deux années très difficiles, avec le Covid et le conflit ukrainien, qui ont complètement déstabilisé le marché et provoqué une augmentation des prix. Je pense qu'on a un peu moins de souci à se faire aujourd'hui, mais je signale que, pour certaines technologies, on a besoin de matériaux électroniques importés, et là les difficultés restent importantes.
Nous sommes des artisans de proximité, disponibles partout, et nous sommes capables de nous organiser. Comme nous l'avons prouvé après le Covid, notre agilité nous a permis de rattraper tout le temps perdu et, même avec des charges qui augmentent de façon inconsidérée, de garder le cap sur les facturations.
Par ailleurs, je souligne que, pour une entreprise artisanale, il est important de pouvoir anticiper. On reproche parfois aux artisans de ne pas être assez disponibles : certes il faut fréquemment patienter un mois ou deux pour pouvoir les faire travailler, mais je fais par exemple observer qu'aujourd'hui, quand vous commandez une voiture, il faut parfois attendre très longtemps sa livraison.
Il faut essayer de faire évoluer le déroulement des marchés publics pour permettre à nos artisans de participer plus en amont des projets car, en règle générale, on nous sollicite au dernier moment pour commencer immédiatement les travaux. Bien entendu, certaines entreprises de second oeuvre sont appelées à intervenir deux à trois mois après le début des opérations, mais, sur les petits chantiers, le déroulement peut être beaucoup plus rapide et il y a aussi des entreprises artisanales appelées à travailler immédiatement. Il faut donc nous permettre d'intervenir beaucoup plus en amont dans les projets : par exemple, en matière de numérisation et de BIM (Building Information Modeling ou Modélisation des données du bâtiment), une entreprise qui intervient au dernier moment n'est pas informée de toutes les opérations conduites en amont et c'est un frein important.
M. Alain Chouguiat, directeur du pôle économique de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - Je reviens sur la capacité de l'outil de production à répondre à la demande pour confirmer que les entreprises du bâtiment, et en l'occurrence les petites que représente la Capeb, ont toujours répondu présentes. En témoignent, par exemple, les opérations liées à MaPrimeRénov' : on a démarré à 250 000 gestes pour atteindre en deux ou trois ans 750 000 gestes et toutes les enveloppes ont été consommées. L'outil de production a donc pu se mobiliser ; il est agile et répond aux financements publics avec une adaptation constante. Bien entendu, si le niveau de commande devait tripler, cela poserait un problème, comme dans n'importe quel secteur, mais aujourd'hui nous disposons de marges de manoeuvre, sans quoi on n'aurait pas pu atteindre, encore en 2022, un niveau de croissance de 2,4 % en volume.
Ensuite, la nature des travaux ne doit pas susciter d'inquiétude car il n'y a pas de frontière réelle entre la rénovation des bâtiments publics et la rénovation dans le secteur privé. L'organisation des chantiers est un peu différente, mais, s'agissant des savoir-faire, les compétences de base sont les mêmes. Il y a donc, pour nous, une porosité entre ces marchés en termes d'intervention pour les entreprises ; il n'y a pas de blocage à craindre dès lors que le marché est présent et qu'il est organisé, comme l'a souligné M. David Morales, de façon à ce qu'on puisse y accéder assez facilement.
Troisièmement, il est important de rappeler que les artisans maîtrisent leur métier et évoluent au plus près des techniques. Il n'y a pas, dans ce domaine, de disruption car nos métiers évoluent par incrémentation, de façon naturelle. L'artisan s'adapte depuis la nuit des temps et la décarbonation, qui prolonge la performance énergétique, ne nécessite pas non plus de rupture dans les savoir-faire, mais une adaptation aux évolutions : c'est vrai pour les écoles comme pour l'habitat ou le tertiaire privé.
J'ajoute que nous n'avons pas de carence en matière de formation : je pense en particulier au programme de Formation aux économies d'énergie dans le bâtiment (FEEBAT) qui accompagne la montée en compétence « performance énergétique » des professionnels de notre secteur.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Je voudrais vous interroger sur deux préoccupations formulées dans le rapport de M. François Demarcq sur la rénovation énergétique des bâtiments scolaires, rendu public en février 2020. Il préconise, dans sa proposition n° 8, d'étendre l'obligation pour les entreprises de disposer d'un label RGE (Reconnu garant de l'environnement) lorsqu'elles réalisent des travaux d'économie d'énergie ou d'énergies renouvelables pour le compte de collectivités territoriales maîtres d'ouvrage, sauf pour les marchés publics de performance énergétique. En effet, le label RGE délivré aux entreprises garantit que les travaux seront conformes aux exigences environnementales. Cependant, les démarches nécessaires pour obtenir ce label ne conduisent-elles pas à se priver d'entreprises qualifiées qui ont pu être découragées par ces démarches ?
Par ailleurs, les petites communes semblent mal armées pour contrôler effectivement la qualité des travaux qu'elles commandent en tant que maîtres d'ouvrage. De plus il semble qu'elles recourent plus rarement aux CPE (Contrat de performance énergétique), les prestataires étant également moins intéressés par les contrats de petite taille en milieu rural. Quelles sont, sur ces deux sujets, vos observations et suggestions ?
Mme Marie-Pierre Monier. - S'agissant de l'aspect patrimonial de notre thématique, la commission de la Culture a beaucoup travaillé sur la nécessité de mieux prendre en compte les spécificités du bâti ancien dans les politiques de rénovation énergétique. Considérez-vous que les entreprises en charge du bâti scolaire sont suffisamment outillées et informées sur ce sujet ? Vos structures proposent-elles à leurs adhérents une expertise dans ce domaine, par exemple en lien avec les acteurs du patrimoine ? D'autre part, en matière de sécurité, quelle est, dans le bâti scolaire, l'ampleur de vos interventions liées à l'amiante, au plomb ou au risque incendie ?
M. Stéphane Sajoux, président du groupe Performance énergétique de la FFB. - En réponse à votre question sur le patrimoine, et mes confrères de la Capeb iront sans doute dans le même sens, je souligne que nos entreprises de proximité ont une très grande maîtrise de leur métier et, quand elles interviennent sur du bâti patrimonial, elles sont très impliquées et disposent véritablement d'un niveau de compétence adéquat. S'y ajoutent un engagement et une « vision augmentée » suscités par l'intérêt et la satisfaction de participer à la rénovation de bâtiments patrimoniaux.
Pour la FFB, cette mission est donc très encadrée et très valorisée : je pourrais illustrer mon propos en vous parlant, par exemple, des « Worldskills » : ces Olympiades des Métiers mettent en valeur l'expertise dans la rénovation de la pierre, des menuiseries ou des sols, qui participent à la rénovation du patrimoine. Non seulement il n'y a pas lieu de s'inquiéter sur nos compétences dans ce secteur, mais je témoigne aussi de la très grande motivation de mes confrères pour réaliser de tels travaux.
En revanche, ces opérations nécessitent un encadrement particulier pour assurer le séquençage adéquat des travaux, ce qui rejoint votre seconde interrogation. Pour cadrer les aspects de sécurité, il faut effectuer des audits d'amiante ou de plomb en faisant appel à d'autres intervenants que nos entreprises. Je rejoins ici les propos de mon collègue de la Capeb sur l'importance de l'anticipation : je vous parle d'expérience pour avoir réalisé, par exemple, dans un château, des travaux de rénovation et de mise aux normes pour l'accès des personnes à mobilité réduite. Anticiper permet d'éviter de commencer un chantier pour s'apercevoir ensuite de la présence de plomb, ce qui déclenche des complications et des mesures conservatoires particulières.
Dans le prolongement de vos observations sur les températures qui augmentent de plus en plus tôt dans l'année, je fais observer que le temps scolaire cadence nos interventions pour réaliser des travaux dans les établissements et il affecte souvent le planning en fonction de la volumétrie des tâches. De plus, par expérience, il reste très compliqué de réaliser des travaux en milieu occupé car il faut respecter les conditions de circulation des ouvriers sur le chantier, les contraintes de livraison de produits, les zones de sécurité et tenir compte du bruit. Là aussi, il faut anticiper l'organisation des travaux, en particulier au retour des vacances scolaires.
En réponse à votre question sur le label Reconnu garant de l'environnement (RGE) et l'encadrement des travaux par les petites communes, je tiens d'abord à souligner que la FFB est très attachée à cette mention RGE ; nos entreprises ont suivi des formations leur permettant de démontrer leur capacité à travailler sur les travaux de rénovation énergétique. Il serait, pour nous, hors de question de se désengager de cette dynamique qui doit garantir la qualité des travaux pour les maîtres d'ouvrage. J'ajoute qu'une rénovation énergétique réussie implique la collaboration de plusieurs gestes de travaux en coordonnant de façon harmonieuse l'intervention des paysagistes, plombiers, chauffagistes, climaticiens. Si l'on ne fait qu'une seule chose dans un seul endroit, la performance énergétique est dégradée ; en travaillant tous ensemble, elle est au rendez-vous, à condition que le bâtiment réponde aux normes d'étanchéité et de qualité de finition. La formation qui accompagne la qualification RGE apporte ainsi non seulement des garanties aux maîtres d'ouvrage, mais aussi une plus-value aux entreprises compétentes.
En faveur des petites communes qui n'ont pas suffisamment de moyens d'encadrement et de maîtrise d'ouvrage, nous pensons qu'une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) serait bénéfique et nous avons « prototypé » des solutions en Seine-et-Marne avec l'Association des maires de France du département. Pour appuyer les petites communes, certains acteurs de la filière, comme les architectes et les entreprises ayant la compétence RGE, sont particulièrement utiles compte tenu de leur capacité à produire des audits ou des diagnostics et de les valoriser lors de la mise en oeuvre des travaux. Pour aider les petites communes à faire collaborer l'ensemble des acteurs de la filière, nous avons, par exemple en Seine-et-Marne, invité des architectes à établir un forfait d'audit à prix modéré - environ 1 500 euros - pour qu'ils interviennent en tant que « sachants » et en se basant sur les diagnostics qui ont été établis. Ils évaluent l'état du bâtiment et son usage - la « chronotopie » en langage technique -, ce qui est un élément important de l'efficacité énergétique. Pour la plupart, ces architectes travaillent déjà sur le territoire et ont déjà participé à des opérations similaires. Ils collaborent également en mode projet et filière avec les entreprises locales et on arrive ainsi à faire de belles choses pour un prix très raisonnable. Les petits maîtres d'ouvrage peuvent ainsi bénéficier d'un service et d'une analyse sécurisante, leur permettant de bien choisir les travaux au bon prix, avec le concours d'architectes qui ont de l'appétence pour nous rejoindre sur ces missions. Voilà ma suggestion pour les situations dans lesquelles les maires ou les chefs d'établissement n'ont pas assez de moyens pour programmer les travaux de manière efficiente.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Merci pour cet exemple de bonne pratique. Il nous serait utile de prendre connaissance de la convention que vous avez évoquée.
M. Stéphane Sajoux, président du groupe Performance énergétique de la FFB. - Avec grand plaisir.
M. David Morales, vice-président en charge des affaires économiques de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - Tout d'abord, je précise qu'au-delà de la question du patrimoine stricto sensu, il faut aussi englober la rénovation du bâti ancien. Nos entreprises artisanales sont compétentes pour intervenir sur les bâtiments quel que soit leur date de construction et connaissent leurs particularités locales. Par exemple, sur mon territoire, on a construit les bâtiments anciens d'une certaine façon et il faut les isoler en veillant à ce que les murs puissent respirer. La connaissance fine des constructions locales sur lesquelles on intervient est fondamentale : il faut également savoir comment ce bâti a été aménagé au fil du temps pour pouvoir faire les bons travaux de rénovation énergétique. S'agissant du patrimoine proprement dit, nous avons aussi, bien entendu, à la Capeb, des spécialistes, mais je redis toute l'importance de la prise en compte du bâti ancien.
En ce qui concerne l'amiante et le plomb, les audits sont normalement réalisés en amont de notre intervention. J'insiste sur le fait que nous travaillons souvent dans des bâtiments scolaires occupés ou habités : tel est le cas, que je connais bien par expérience, lorsqu'il y a un internat. La sécurité a une importance toute particulière parce que malgré nos efforts, on ne peut pas toujours terminer tous les travaux pendant les vacances. À la rentrée, les travaux se déroulent alors avec du monde autour, parfois beaucoup de bruit qui peut gêner une classe, et également des problèmes de salubrité ou de poussière. Il faut donc une sécurité renforcée, surtout quand les travaux interviennent à proximité d'un espace occupé par des enfants.
Vous avez ensuite évoqué l'éventuel découragement qui pourrait s'emparer des petites collectivités. Pour avoir été moi-même élu, je souligne qu'on doit pouvoir apaiser ces craintes, car les communes peuvent s'appuyer sur un certain nombre de structures départementales ou régionales ainsi que sur France Rénov'. Ce service public de rénovation de l'habitat est normalement réservé aux particuliers, mais le réseau qui s'est mis en place autour de France Rénov' sera, à mon prêt à accueillir les demandes des maires et des élus des territoires ruraux. Les petites collectivités ont donc des possibilités de soutien. N'oublions pas qu'elles peuvent aussi se faire aider par certaines entreprises de proximité ayant la mention RGE.
Je précise que cette mention RGE permet surtout aux entreprises de répondre à des marchés de performance énergétique financés par MaPrimeRénov ou par des certificats d'économie d'énergie. Il est primordial de donner plus d'appétence aux entreprises artisanales pour aller vers de tels chantiers car, aujourd'hui, c'est encore trop compliqué et rébarbatif. Il faut donc vraiment travailler tous ensemble pour donner une meilleure image de ces travaux et permettre à plus d'entreprises de s'engager dans la rénovation énergétique. Selon un petit calcul rapide - ce n'est pas une donnée statistique officielle - si on considère le nombre d'entreprises artisanales en France, en écartant celles qui ne font jamais de rénovation énergétique, on constate que seuls 25 % des entreprises ayant la capacité d'intervenir dans la rénovation énergétique ont la mention RGE : il faut augmenter cette proportion en simplifiant les dispositifs et en montrant des exemples qui fonctionnent bien avec MaPrimeRénov ou les certificats d'économie d'énergie. Cela donnera envie, en particulier aux jeunes qui font de la rénovation énergétique chez les particuliers, de se tourner vers le bâti scolaire.
M. Alain Chouguiat, directeur du pôle économique de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - Juste un petit complément, surtout pour abonder dans le sens des propos tenus par la FFB sur l'importance d'agir de concert. On ne peut maximiser la performance énergétique que quand les métiers, les corps d'état et les autres professions comme les architectes travaillent ensemble, car le degré d'efficacité repose sur la bonne interface des actions.
Cela me conduit à revenir sur la question de la maîtrise d'oeuvre pour souligner qu'il est indispensable de bien définir les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP). En effet, les petites entreprises savent très bien travailler, mais elles ne disposent pas toujours d'un tertiaire technique très développé et ont donc besoin d'un cahier des charges précis, avec des plans, des notices techniques et des schémas, ce qui leur permet de gagner beaucoup de temps et d'efficacité dans l'exécution des travaux. La bonne définition du CCTP est vraiment un point crucial.
M. Stéphane Sajoux, président du groupe Performance énergétique de la FFB. - Je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit et je reviens sur les difficultés pour les petites communes qui ne sont pas équipées pour mettre en place des CCTP. Il a été annoncé que, dans le cadre d'une expérimentation de cinq ans, nous aurions la possibilité de recourir à un tiers financeur pour la rénovation énergétique. Pour les petits projets, le tiers financement présenterait deux avantages. D'une part, il pourrait fournir un cadre opérationnel avec un tiers financeur qui aiderait les petites mairies à bien définir les travaux qu'elles doivent réaliser. D'autre part, cela apporterait une solution de financement très utile car nous avons de nombreuses remontées de terrains avec des maires qui soulignent leur insuffisance de moyens budgétaires pour la rénovation.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Vous êtes parfaitement en phase avec l'actualité législative car nous venons, en ce début d'après-midi, d'adopter le texte définitif de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.
Tout à l'heure, vous avez évoqué les difficultés que rencontrent certaines entreprises pour répondre aux appels d'offres publics. Comment encourager les entreprises, notamment artisanales, à y répondre? Quelles sont vos remarques et suggestions en matière de commande publique et quelles sont les contraintes spécifiques de la réhabilitation d'écoles, de collèges ou de lycées par rapport à la réhabilitation d'autres bâtiments tertiaires, publics ou privés ?
M. Stéphane Sajoux, président du groupe Performance énergétique de la FFB. - En ce qui concerne la commande publique, je segmenterai ma réponse en deux parties : les dysfonctionnements actuels et les ajustements possibles pour encourager les petites entreprises à répondre aux appels d'offres.
En premier lieu, aujourd'hui, toutes nos entreprises ont des difficultés de trésorerie et la FFB s'est félicitée des ajustements mis en place pour la protection des entreprises en matière de commande publique : je mentionne ici l'introduction du seuil de 100 000 euros, le gel des pénalités, le relèvement à 30 % du seuil d'avance à la commande ainsi que les possibilités de révision de prix pour accompagner les entreprises confrontées à une augmentation du coût des matériaux. Nous avons donc une première base réglementaire solide pour les entreprises. Dans les faits, nous rencontrons cependant de gros problèmes de fonctionnement. En tant qu'entrepreneur et employeur de 100 personnes, j'ai attendu pendant six mois un acompte à la commande en raison de dysfonctionnements du portail Chorus Pro - obligatoire pour transmettre les factures électroniques aux entités publiques. La complexité des logiciels de gestion utilisés par certaines régions ou départements est aussi un problème. De nombreuses entreprises doivent faire face à des situations similaires : il peut s'écouler deux à trois mois avant de récupérer 50 000 ou 100 000 euros, voire plus. Il subsiste donc à l'évidence des dysfonctionnements concrets dans la commande publique : il ne faut pas les négliger, d'autant qu'ils ne correspondent pas à la volonté du Gouvernement d'aider les entreprises ni aux outils réglementaires qui sont en place et bien calibrés.
Il y a également des cas de dévoiement : dans la commande publique, la réglementation nous autorise à bénéficier d'indices de révision de prix pour gérer les fluctuations de coût des matériaux qui font souffrir les entreprises. Cependant, lorsqu'une entreprise générale ou de taille importante remporte un marché public assorti d'une clause de révision de prix, son sous-traitant ne peut pas bénéficier de cette protection car il signe un marché privé de second rang. C'est un vrai problème. C'est un effet de bord, mais qui ternit l'image de la commande publique pour les petites entreprises sous-traitantes et qui s'ajoute aux éventuels retards de paiement que ne contrebalance pas, aux yeux de certains entrepreneurs, la possibilité de réclamer des intérêts moratoires.
J'ajoute qu'un certain nombre d'aménagements particuliers pourraient être envisagés pour les travaux sur le bâti scolaire. Par exemple, les entreprises subissent des retenues de garantie pour couvrir le parfait achèvement des travaux. Cela génère des coûts importants pour les professionnels qui doivent demander des cautions aux banques avec des frais financiers qui, dans la situation actuelle, augmentent fortement. Il y aurait une étude à mener sur la possibilité de réduire de 5 % à 3 % ces retenues de garantie et faire en sorte que leurs conditions de délivrance, ainsi que les paiements du décompte général et définitif (DGD), qui clôt juridiquement et financièrement le marché à la fin du chantier, soient un peu plus rapides et automatiques.
Il faut également améliorer les conditions de paiement direct de certains sous-traitants qui interviennent ponctuellement sur un chantier global, par exemple pour remplacer les fenêtres ou poser une pompe à chaleur. Aujourd'hui, il serait opportun d'abaisser le seuil permettant à entreprises qui interviennent en second rang de bénéficier d'un paiement direct de la commande publique.
En résumé, s'il faut se féliciter des avancées prévues pour protéger les entreprises, il subsiste des difficultés sur le terrain. Enfin, à la marge, il reste encore quelques curseurs à pousser, en particulier pour diminuer le montant des cautionnements de retenues de garantie. Cela concerne la question du CPE.
Je signale enfin que si, dans la commande publique, on en venait à demander aux opérateurs locaux de passer des contrats de performance énergétique pour le moindre geste de travaux, ce serait la catastrophe car je ne vois pas comment les petites entreprises locales ou un maire devant exercer une petite maîtrise d'ouvrage vont pouvoir se plonger dans les OPEX (dépenses d'exploitation), CAPEX (dépenses d'investissement) ou ROI (retour sur investissement) : ce n'est pas réaliste. De plus, cela risquerait de centrifuger l'ensemble des opérateurs locaux capables de réaliser ces travaux. En effet, un contrat de performance énergétique impose de s'engager sur des résultats, pendant une durée importante qui n'est pas à l'échelle de temps de nos petites entreprises, en assumant le risque d'une consommation énergétique qui ne serait pas conforme aux prévisions initiales. Dans un tel schéma, seuls les assureurs ou les grandes sociétés de maintenance auront la surface financière et la visibilité globale nécessaires pour apporter cette garantie. Prenons garde, car les prix seront alors bien plus élevés et, s'agissant des opérateurs, ils vont de toute façon être obligés de venir les chercher chez nous. Au final, tout le monde risque d'y perdre. J'appelle donc à la vigilance sur le contrat de performance énergétique qui, il est vrai, peut être présenté comme un bon support pour financer les travaux par des économies d'énergie.
À mon sens, le tiers financeur peut aussi, dans ce domaine, apporter son appui pour expliciter les contrats de performance énergétique. Cela permettrait aux petits et grands maîtres d'ouvrage de bénéficier d'une expertise financière pour évaluer les retours sur investissement, sans avoir à confier cette tâche aux entrepreneurs dont le coeur de métier est d'appliquer les critères techniques permettant aux utilisateurs de bénéficier d'un bâtiment économe en énergie. Les utilisateurs doivent également être impliqués dans ce processus. Voyez ce qui se passe quand on achète une voiture électrique : tel utilisateur novice épuisera rapidement la batterie tandis que tel autre parviendra à couvrir beaucoup plus de kilomètres, à véhicule identique. On peut transposer cela aux travaux de rénovation énergétique.
M. David Morales. - Je peux tout d'abord témoigner d'une expérience similaire à celle qui vous a été rapportée par mon collègue de la FFB. Avec une entreprise de plus petite taille que la sienne, j'ai attendu pendant neuf mois un règlement de 40 000 euros alors que toutes les formalités avaient été accomplies.
Une initiative législative visant à limiter la sous-traitance en cascade devrait être examinée prochainement et ce sera sans doute l'occasion d'examiner toutes les difficultés qui viennent d'être évoquées. Nous vous fournirons tous les éléments en notre possession sur ce texte si vous le souhaitez. Nous sommes d'accord avec la FFB sur la nécessité de faire évoluer cette question, même si nous avons encore des divergences sur le plafonnement du nombre de rangs de sous-traitance qui est, sur le principe, nécessaire pour limiter les situations aberrantes.
Les garanties et les cautions relèvent d'une problématique similaire, à cette différence près que les grosses entreprises sont rompues à cette pratique, tandis que les petites ont moins souvent recours au cautionnement et nous disent qu'il leur faut souvent beaucoup de temps pour récupérer leur argent ; elles doivent relancer plusieurs fois leur interlocuteur qui peut oublier l'existence de leur caution.
Le plus important est de donner de l'appétence aux artisans pour la commande publique. En effet, et même si la position de la Capeb est différente, on entend les artisans nous dire - je les cite - que les communes sont souvent de mauvais payeurs, qu'elles choisissent souvent le moins disant, avec des prix qui ne sont économiquement pas viables. S'ajoute l'idée que reviennent toujours aux mêmes entreprises les adjudications. Nous devons donc tous travailler ensemble pour essayer de gommer ces images, car il serait dommage que les artisans ne puissent pas participer à la rénovation de l'école de la commune où ils habitent et que fréquentent leurs enfants.
M. Alain Chouguiat. - J'insisterai sur deux points : tout d'abord, appliquer les dispositifs existants, créés pour répondre à la crise. Les donneurs d'ordre devraient se saisir de cette boîte à outils. Cela permettrait de faire disparaitre un nombre important des difficultés que nous rencontrons.
Ensuite, optimiser les outils existants, en facilitant la fluidité entre les différentes étapes d'un projet. Le plus lourd pour les entreprises est l'existence de délais cachés - la problématique des délais de paiement a été évoquée.
Agir sur ces deux points permettrait de renforcer l'attractivité de la commande publique ; les entreprises iront ainsi naturellement vers les chantiers de rénovation du bâti scolaire. Le code des marchés publics deviendra alors attractif sans que cela implique pour l'État des modifications réglementaires à faire ou un coût supplémentaire.
M. David Morales. - Juste un point essentiel que je n'ai pas encore mentionné : l'allotissement est la première solution pour stimuler la réponse des artisans à la commande publique.
M. Stéphane Sajoux. - J'attire également votre attention sur un point particulier. Le fait d'utiliser les compétences et les ressources locales pour répondre aux besoins comporte un effet très vertueux : en encourageant une relation de confiance entre l'entreprise et l'auteur de la commande. En revanche, avec des entreprises sans immersion locale, les garanties peuvent s'amenuiser dès la fin des travaux.
M. Jean-Marc Delpeyroux. - Ce que vient d'évoquer le représentant de la FFB peut également arriver dans notre domaine d'intervention du paysage.
Je souhaite rebondir sur la question de l'allotissement : avoir des lots séparés est la solution adéquate pour favoriser un travail de qualité et une bonne maîtrise du chantier.
Pour protéger les collectivités, et surtout les plus petites d'entre elles, nous obéissons à des règles professionnelles avec en particulier le fascicule 35 qui régit notre métier : alors qu'il ne comportait que quatre lignes et était de ce fait assez obscur, il a été complètement remanié, et les devis sont maintenant très explicites. Cette nouvelle formalisation demande plus de travail, mais elle est beaucoup plus rassurante pour les maîtres d'ouvrage.
En ce qui concerne la protection du patrimoine et de son environnement paysager, je rappelle que nous n'intervenons pas directement sur le bâtiment, mais sur ce qui l'entoure comme les arbres, le sol, etc. À ce titre, nous obéissons à des chartes établies par les collectivités : étant Gersois, je mentionne la charte de la ville d'Auch qui concerne la protection des arbres remarquables et le régime applicable en cas de bris de racines ou de branches. Je mentionne également pour mémoire l'intervention de l'architecte des bâtiments de France qui intervient notamment pour vérifier que la végétation reste bien en adéquation avec le bâti ancien.
Mme Anne Ventalon, présidente. - Je voudrais revenir sur la question de l'aménagement des espaces extérieurs et, en particulier, sur le travail des paysagistes, à l'épreuve de la transition écologique. Pouvez-vous nous détailler comment vos missions s'articulent et se coordonnent avec celles des professionnels du bâtiment, des entreprises, des artisans ou des architectes ?
M. Jean-Marc Delpeyroux. - Lorsque le marché est divisé en plusieurs lots, les choses s'organisent naturellement, puisque nous avons un maître d'oeuvre qui coordonne notre travail spécifique. Cependant, en cas de sous-traitance, on retrouve les difficultés qui viennent d'être analysées.
Les relations les plus simples étant les plus directes, nos entreprises ont souvent la chance de pouvoir travailler en direct avec des maîtrises d'ouvrage portant sur des chantiers réduits qui correspondent à la taille de l'intervention de chaque structure.
Mme Anne Ventalon, présidente. - En ce qui concerne les freins que vous pouvez rencontrer, vous avez évoqué les difficultés liées à la disponibilité de matériaux. Qu'en est-il de la disponibilité de la main-d'oeuvre : est-elle suffisante dans vos métiers respectifs ?
M. Jean-Marc Delpeyroux. - Nous avons des difficultés pour certaines fournitures, comme le bois. En ce qui concerne toutes les matières vivantes ou végétales, nous sommes régis par des chartes, en particulier sur l'approvisionnement en végétal local, qui nous rendent plus proches de nos régions et de nos départements. Concrètement, mes collègues d'Alsace ou de Bretagne n'auront pas la même liste de fournitures que moi. Cela nous donne de la réactivité et de la souplesse, surtout, encore une fois, quand le projet peut être examiné en amont : nous pouvons alors choisir les arbres les mieux adaptés et les mettre en culture, ce qui rend les choses naturellement simples. En revanche, la sous-traitance amène de la précipitation et des changements de direction. Je signale enfin, pour le bois, certaines carences, en châtaigner par exemple.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Êtes-vous, en règle générale, associés assez rapidement aux projets de rénovation des écoles, collèges ou lycées, ou est-ce l'exception ?
M. Jean-Marc Delpeyroux. - Dans notre département, nous avons la chance d'être au contact des élus qui ont identifié la valeur ajoutée que nous pouvons apporter aux projets. Ensuite, certains marchés à bons de commande nous permettent d'intervenir, de manière indirecte, car l'intervention demandée peut s'inscrire dans le cadre de ce bon de commande. Le fait d'être positionné sur plusieurs axes nous permet aussi de répondre au mieux à la demande. Néanmoins, le plus efficace est de participer au début du projet. Les projets à venir, qui sont plus importants, et sur lesquels j'ai une certaine visibilité vont être soumis à appel d'offres. Dès que l'offre est disponible, il faut évidemment faire preuve de rapidité pour pouvoir y souscrire.
M. Stéphane Sajoux. - Nous avons des progrès à faire pour travailler ensemble beaucoup plus tôt sur le sujet de la rénovation énergétique. Par exemple, je m'occupe d'un projet important portant sur la reconstruction d'une école maternelle et d'une école primaire. Il y a six mois, l'idée d'installer des brumisateurs dans la cour de récréation pour rafraîchir les élèves pendant l'été a été évoquée. C'était un projet absurde qui aurait consommé beaucoup d'eau. Nous avons alors immédiatement décidé, dès l'appel d'offres sommaire, d'inviter un paysagiste pour travailler avec nous sur ce sujet et proposer des solutions arborées assorties d'une estimation budgétaire. Cet exemple concret vous montre que, dans l'intérêt des élèves, qui vivent dans les bâtiments scolaires, mais aussi en dehors, il est vraiment important de mettre nos confrères paysagistes autour de la table pour traiter l'interdépendance entre l'environnement du groupe scolaire, les solutions "vertes" au sens noble du terme et la rénovation du bâtiment.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Le manque d'eau étant au centre des préoccupations de notre pays, votre réaction est parfaitement compréhensible. Je citerai également un exemple qui confirme vos propos sur la nécessité de travailler de concert : une école a été construite dans ma commune en associant les paysagistes dès le début du projet ; cela a permis d'éviter l'implantation d'arbustes qui produisent des fruits visuellement attractifs, mais peu comestibles par les enfants qui seraient tentés de les cueillir. Avec l'aide des experts, les enseignantes et la direction de l'école ont pu réagir immédiatement en signalant ce problème.
Par ailleurs, je voudrais vous interroger sur l'industrialisation à grande échelle de la rénovation énergétique des bâtiments scolaires, qui a été préconisée dans le rapport de M. François Demarcq, afin de réduire les coûts et d'accélérer les chantiers. Cette orientation vous semble-t-elle pertinente et réalisable compte tenu de vos contraintes ?
M. David Morales. - Le mot d'industrialisation ne reflète pas le quotidien des entreprises artisanales du bâtiment car celles-ci font de la rénovation sur mesure. En revanche, dans certains grands établissements, il y a des possibilités de reproduire des travaux sur plusieurs bâtiments, surtout quand il s'agit de collèges ou de lycées.
À petite échelle, la réplication est plus difficile car on se heurte à l'hétérogénéité des constructions. Il faut prendre conscience de cette réalité qui limite les possibilités d'industrialisation envisagées dans les études ou rapports.
Nous venons d'évoquer les questions patrimoniales ainsi que les particularités du bâti dans chaque région, construit à l'origine avec des matériaux locaux; or, par exemple, la pierre utilisée en Haute-Garonne n'a pas les mêmes caractéristiques que celle du Gers. Il est fondamental de tenir compte de ces spécificités.
Néanmoins, en préparant cette audition, j'ai dialogué avec des collègues qui, en région parisienne, doivent rénover un lycée de plus de 3 000 élèves comportant deux piscines. Si, dans un tel cas, les bâtiments sont alignés et identiques, on peut alors envisager une rénovation qui peut être qualifiée d'industrielle, mais il en va différemment dans nos petites communes rurales.
M. Alain Chouguiat. - Je suggère d'employer le terme de réplicabilité, dans le sens où l'on va massifier nos interventions, mais cette massification n'est pas de l'industrialisation. Nous considérons, en tout cas pour les écoles et les groupes scolaires à l'échelle communale - à la différence des lycées qui ont une dimension régionale - que le grand nombre d'entreprises artisanales de proximité permettra de répliquer des interventions en faisant du sur mesure : c'est de la massification. Le mot industrialisation, pour nous, signifie autre chose. On pourra cependant intensifier la réplication sur des chantiers regroupés : tel sera le cas sur les territoires où les interventions seront plus collectives, avec des groupes d'entreprises ayant recours à la co-traitance - et non pas la sous-traitance - et sur la base de courbes d'expérience.
Nous avons donc deux façons d'être présents : à la fois, nous sommes très proches des communes et des écoles - qu'ont pu fréquenter eux-mêmes, en tant qu'élèves, les artisans appelés à les rénover - et puis, à un niveau plus élevé, quand ces artisans se regroupent, ils peuvent multiplier ou massifier leurs interventions en complémentarité et en expertise.
Telles sont les deux pistes que nous préconisons de retenir pour massifier les rénovations des écoles. Le rapport que vous citez parle bien d'industrialisation, en faisant sans doute référence à une possibilité de standardisation répétitive à grande échelle, mais ce n'est pas toujours possible localement.
M. Stéphane Sajoux. - L'industrialisation n'est pas une bonne solution. Notre présence sur l'ensemble du territoire nous permet de répondre au défi de la massification - j'ai moi-même insisté sur cette caractéristique en début d'audition. On dispose d'exemples d'industrialisation qui n'ont pas fonctionné. Il en va ainsi de la démarche européenne EnergieSprong qui se proposait de mettre en oeuvre une solution unique de rénovation pour des habitations en série : le résultat n'est pas performant et l'hétérogénéité des bâtiments sur le territoire ne permet pas d'envisager une industrialisation de ce type.
En revanche, nos entreprises sont capables de travailler en atelier et d'industrialiser leurs propres process pour être plus efficaces, par exemple dans le changement des fenêtres, ce qui leur permet d'optimiser le calendrier des travaux qui est contraint par les vacances scolaires.
Assurément, croire qu'une solution globale pourrait être utilisée dans tous les établissements scolaires est illusoire : ce serait inefficace et chronophage. Pour l'avoir expérimenté avec mon entreprise de travaux dans les Hauts-de-France, ce système ne fonctionne pas. J'ajoute que les fabricants de matériaux sont parfois à l'origine de ces conceptions industrielles et voient ainsi le moyen de faciliter la vente de leurs produits, isolants par exemple. Choisissons plutôt de valoriser nos capacités locales d'adaptation aux différents bâtis et notre savoir-faire : c'est tout particulièrement vrai pour la rénovation des établissements scolaires.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Ma question renvoyait à une expérience d'industrialisation menée aux Pays-Bas.
M. Stéphane Sajoux. - Effectivement, le process EnergieSprong, qui apparaissait comme très novateur il y a quelques années, vient des Pays-Bas où des industriels se sont mobilisés pour concevoir des solutions duplicables sur des maisons en bande, mais le résultat n'est pas au rendez-vous.
M. Alain Chouguiat. - De plus, notre pays n'a pas les mêmes modes de construction et donc cette solution est inadaptée pour l'hexagone.
M. Gilbert Favreau. - Le choix d'une entreprise générale du bâtiment, qui regroupe l'intégralité des fonctions est, en général, une question qui se pose au maître d'ouvrage. Sachant, en particulier, que la Capeb rassemble plutôt des entreprises petites et moyennes, constatez-vous une préférence - ou pas - des collectivités pour l'intervention d'entreprises générales ? J'ai connu des départements où on faisait appel aux entreprises générales sur les très gros chantiers et aussi, quelques fois, sur les chantiers moyens. D'autres départements préféraient utiliser l'allotissement, et ainsi favoriser les entreprises locales qui, généralement, n'ont pas les moyens de candidater à un marché global ou un gros chantier.
M. Stéphane Sajoux. - En réponse à votre question, je mentionnerai une troisième voie qu'emprunte le département de Seine-et-Marne que je connais bien. Plutôt que de solliciter des entreprises générales, l'orientation du conseil départemental, pour les travaux qu'il diligente, consiste à passer des marchés de conception-réalisation, ce qui présente plusieurs avantages : par nature, ces marchés stimulent le regroupement des entreprises pour répondre à la commande publique avec une maîtrise d'oeuvre qui s'organise autour d'un architecte et d'un bureau d'études. Dans ce schéma, les entreprises sont également productrices de solutions et de projets spécifiques qu'elles peuvent mener à bien. Nous estimons, à la FFB, qu'il s'agit là d'une excellente solution : elle n'écarte pas les entreprises générales disposant de savoir-faire, en particulier sur la partie maçonnerie, tout en invitant un collectif mandaté, consolidé et qui a une existence juridique, à répondre à ces marchés. Cette solution me parait très bien adaptée aux marchés de rénovation énergétique de bâti. Lorsqu'il s'agit non plus de rénovation, mais, par exemple, de construction - imaginons un groupe scolaire de 1 500 élèves à construire avec un chantier de 25 millions ou 30 millions d'euros -, le choix de l'entreprise générale a plus de sens car il permet d'accéder à un certain nombre de garanties et de savoir-faire des entreprises générales, qui font ensuite appel à nos prestations de sous-traitants techniques de premier rang.
Certains départements ont encore tendance à solliciter les entreprises générales pour n'importe quel type de travaux, pour bénéficier d'une offre globale et d'une certaine sécurité financière, avec la possibilité d'appliquer des pénalités de retard qui seront supportables par les entreprises générales en cas de retard. Ce corpus de garanties apportées au maître d'ouvrage n'est en réalité ni très avantageux en termes de qualité ni réellement au service du projet. Je souligne donc qu'il y a vraiment du sens, pour la rénovation énergétique, à favoriser les marchés de conception réalisation, et nous travaillons beaucoup, à la FFB, à créer les véhicules juridiques les plus efficaces pour permettre aux entreprises de se regrouper et de répondre à ce type de marché en tenant leurs engagements, de façon à sécuriser la maîtrise d'ouvrage.
M. David Morales. - Je pense que les élus sont plus ou moins proches - et parfois pas du tout - de nos organisations professionnelles ainsi que nos entreprises.
Certains sont très attentifs au potentiel de leur territoire et soucieux d'y maintenir les entreprises en activité, tandis que d'autres sont focalisés sur les aspects financiers de leurs projets.
M. Stéphane Sajoux. - Permettez-moi d'ajouter un exemple vécu : le prix d'un chantier de 8 millions d'euros hors taxes sans entreprise générale était plus coûteux si l'on faisait appel à une entreprise générale (la différence était de 500 000 euros). Nous avons donc choisi une solution de découpage en « macro - lots » pour que les petites entreprises puissent candidater tout en s'appuyant sur une maîtrise d'oeuvre structurée par un pilote OPC (ordonnancement, pilotage, coordination) accompagnant l'opération.
M. Alain Chouguiat. - Du côté des petites entreprises, nous sommes favorables à l'allotissement, avec des lots clairement définis et une maîtrise d'oeuvre compétente et présente. Nous ne sommes donc pas dans le schéma des marchés de conception réalisation. Dans de nombreux cas, l'allotissement a permis une réduction du coût. En pratique, c'était moins cher non seulement facialement, mais aussi parce qu'on n'avait pas besoin de reprises de travaux ou de chantiers supplémentaires. Le choix du moins-disant peut impliquer un coût différé.
Mme Anne Ventalon, présidente. - Merci beaucoup à tous pour votre disponibilité et pour avoir contribué à enrichir nos travaux.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 15.
Mercredi 22 mars 2023
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Situation des établissements d'enseignement français à l'étranger - Audition de M. Olivier Brochet, directeur général, et de Mme Odile Hagenmüller, sous-directrice de l'immobilier de l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et de M. Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Mission laïque française, réalisée conjointement avec le groupe d'études « Statut, rôle et place des Français établis hors de France »
M. Jean-Marie Mizzon, président. - La mission d'information sur le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique s'est constituée le 7 février dernier à l'initiative du groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, dont notre rapporteure, Mme Havet, est membre.
L'objectif de notre mission est d'évaluer les besoins de rénovation des écoles, collèges et lycées liés à la transition écologique, d'identifier les défis - notamment juridiques et financiers - de cette rénovation pour les collectivités territoriales et d'apprécier l'efficacité de l'accompagnement des décideurs locaux, s'agissant plus particulièrement de l'accès à l'information et à l'expertise.
Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public en juin 2023.
Dès notre première réunion, notre collègue Yan Chantrel, sénateur représentant les Français établis hors de France, a attiré notre attention sur la situation des établissements d'enseignement français à l'étranger et sur la nécessité d'intégrer cette problématique à nos réflexions.
Nadège Havet, rapporteure, et moi-même nous sommes adressés à Ronan Le Gleut, président du groupe d'études « Statut, rôle et place des Français établis hors de France », pour lui proposer de travailler ensemble à cette problématique. Il a spontanément exprimé de l'intérêt pour notre demande, ce dont je le remercie.
Ainsi, cette audition est organisée en commun par notre mission d'information et par le groupe d'études du Sénat dédié aux Français établis hors de France.
Nous accueillons donc ensemble au Sénat M. Olivier Brochet, directeur général de l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE), Mme Odile Hagenmüller, sous-directrice de l'immobilier de l'AEFE, ainsi que M. Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Mission laïque française.
Madame, Messieurs, je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport et que son enregistrement vidéo sera accessible sur le site du Sénat.
Après les interventions de M. Le Gleut et de Mme Havet, rapporteure de la mission d'information, vous aurez la parole pour une dizaine de minutes chacun, puis nous aurons un temps d'échanges.
M. Ronan Le Gleut, président du groupe d'études « Statut, rôle et place des Français établis hors de France ». - Monsieur le président, madame la rapporteure, chers collègues, je vous remercie d'avoir associé notre groupe d'études à vos travaux pour cette audition consacrée au bâti scolaire des établissements d'enseignement français à l'étranger.
Messieurs les directeurs généraux, mesdames, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation pour aborder ce sujet.
D'un abord un peu technique, qui peut à la fois interroger et rebuter, celui-ci présente à notre sens un réel intérêt pour les établissements d'enseignement français à l'étranger. Le président de la République, lors de son discours à l'Institut de France, en 2018, a fixé l'objectif de doubler les effectifs des élèves bénéficiant de l'enseignement français à l'étranger à l'horizon 2030. Ce « cap 2030 » doit se traduire par l'accueil, à terme, de 700 000 élèves.
Nos collègues Jean-Yves Leconte et Yan Chantrel, à la fois membres du groupe d'études et de la mission d'information, ont eu raison de suggérer que nous nous penchions sur cette question.
En effet, si l'objectif fixé devait être atteint, les défis en termes de bâti sont considérables. Ils supposent la construction de nouveaux établissements ou, ce qui est assez fréquent, des travaux d'agrandissement ou d'extension, qui peuvent parfois contraindre à changer de site.
Rappelons qu'au moment du discours du président de la République, le nombre d'élèves du réseau AEFE s'élevait à 350 000, contre 390 000 aujourd'hui, scolarisés dans 567 lycées français de nature extrêmement différente. Vous aurez l'occasion de nous expliquer la différence entre les établissements en gestion directe, conventionnés et partenaires. La politique menée par l'AEFE n'y étant pas du tout la même, il est important de les distinguer.
Cette mission nous permet ainsi d'aborder l'essor de l'enseignement français à l'étranger sous un angle très concret.
Nous sommes très impatients d'entendre l'AEFE et la MLF sur ce sujet un peu technique, mais certainement très instructif et éclairant. Puis, nous aurons un échange avec de nombreuses questions. Je vous remercie.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Depuis le début de nos travaux, nous avons procédé à un certain nombre d'auditions : universitaires, représentants de la communauté éducative, entreprises du bâtiment, structures accompagnant les collectivités territoriales, etc. D'autres auditions sont également prévues, pour recueillir le point de vue des associations d'élus.
Notre mission d'information compte deux sénateurs représentant les Français établis hors de France. Cette réunion est donc importante pour nous permettre d'appréhender les problématiques propres aux établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Dans le même esprit, nous avons inscrit à notre agenda des séquences dédiées aux outre-mer.
Compte tenu de la diversité géographique de leur implantation, les établissements d'enseignement français à l'étranger peuvent être confrontés à des enjeux climatiques ou réglementaires bien différents de ceux que nous connaissons dans notre pays. Le cadre juridique, notamment, est spécifique à chaque pays.
Je remercie Yan Chantrel d'avoir évoqué cette question au début de nos travaux, ce qui nous permet de profiter aujourd'hui de l'expertise de nos interlocuteurs de l'AEFE et de la Mission laïque française.
M. Olivier Brochet, directeur général de l'AEFE. - Nous procéderons à une présentation à deux voix avec ma collègue Odile Hagenmüller, sous-directrice de l'agence, en charge de l'immobilier.
Les sénateurs des Français de l'étranger connaissent déjà notre agence, mais je voudrais présenter les spécificités de notre réseau et de notre mission en tant qu'opérateur public.
Le réseau d'enseignement français à l'étranger comprend 567 établissements répartis dans 138 pays et de statuts très divers. Parmi eux, 68 établissements « en gestion directe » dépendent directement de l'agence. Ils scolarisent pratiquement 120 000 élèves sur les 390 000 que compte le réseau.
Les établissements conventionnés, eux, sont au nombre de 162. Ces établissements de droit privé local dépendent quasiment tous d'une gestion parentale. Ils ont signé une convention avec l'État afin que ce dernier leur apporte un soutien par l'intermédiaire de l'agence, essentiellement en termes de personnels mis à leur disposition. Dans le cadre de cette convention, nous apportons également un soutien important à ces établissements au titre de la mission de service public qui leur est reconnue. Cependant, leur gestion, et notamment celle de leur patrimoine, relève de leur responsabilité propre.
Enfin, la majeure partie des établissements de l'AEFE, dits « établissements partenaires », sont des établissements de droit privé. Ils dépendent pour beaucoup de structures parentales, mais aussi parfois de groupes éducatifs. La Mission laïque française est le plus important d'entre eux, mais aussi le plus ancien membre de notre réseau.
L'agence étant pleinement responsable des établissements en gestion directe, notre engagement immobilier les concerne avant tout. Néanmoins, notre mission d'ensemble consiste à faire vivre le réseau et à nous assurer de la qualité de l'enseignement dispensé pour le compte du ministère de l'éducation nationale, dans le cadre du respect de l'homologation qui nous est octroyée. Nous sommes chargés d'une mission d'animation, de formation et de diffusion des bonnes pratiques et valeurs définies par l'État, à la fois au niveau pédagogique et sur des questions liées au développement durable.
Nous avons par exemple adapté pour l'étranger le dispositif de labellisation développement durable, conçu en France. Nous attribuons ainsi un label EFE3D, pour « Établissement français à l'étranger en démarche de développement durable », dont 120 lycées ont bénéficié. Ce label permet surtout de mobiliser la communauté éducative autour d'objectifs de développement durable. Il ne porte pas forcément sur le bâti, mais plutôt sur des questions pédagogiques. Néanmoins, lorsque les établissements tendent vers le troisième et dernier degré de labellisation, ils doivent mener une réflexion écologique profonde qui intègre les transformations du bâti.
Le financement de l'immobilier constitue la question la plus délicate pour notre réseau. L'AEFE, qui détient la responsabilité immobilière des 68 établissements en gestion directe (EGD), est en effet confrontée à une difficulté : depuis 2010, notre capacité d'emploi n'est plus reconnue par la loi ; nous sommes au contraire interdits d'emprunt, ce qui complique considérablement le développement et l'entretien de notre réseau, tout particulièrement du bâti.
Par conséquent, le développement et l'entretien du « réseau d'État » des EGD reposent à plus de 80 % sur le financement des familles. Le financement des établissements conventionnés et partenaires dépend pour sa part entièrement des familles.
En effet, tout le réseau d'enseignement français à l'étranger est payant. Les familles déboursent en moyenne 6 000 euros par an pour scolariser leur enfant. Cependant, ce coût varie beaucoup : il s'échelonne de quelques centaines d'euros pour les établissements comme celui de Madagascar, à plus de 40 000 euros pour le lycée de San Francisco.
Nous sommes donc obligés de constituer progressivement des fonds de réserve afin de pouvoir réaliser les financements immobiliers des EGD. Or cette obligation est très difficile à remplir compte tenu de l'inflation actuelle.
À l'égard des autres établissements, conventionnés ou partenaires, nous pouvons attribuer des subventions aux montants relativement peu élevés. Le budget total de subvention s'établit cette année autour de 15 millions d'euros, aussi bien pour la sécurité que pour l'aide au développement. Rapporté au nombre d'établissements, ce montant reste modéré.
Nous nous concentrerons donc aujourd'hui sur les EGD, puisque nous en sommes pleinement responsables. Odile Hagenmüller vous présentera la politique du bâti dans les EGD.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Vous nous avez indiqué le nombre d'élèves, mais quel est le nombre de professeurs ?
M. Olivier Brochet. - L'ensemble des personnels travaillant pour l'enseignement français à l'étranger s'élève à 40 000 ou 45 000 personnes environ. 11 000 d'entre elles travaillent directement pour l'agence, dont 5 000 fonctionnaires. Les 30 000 restantes sont recrutées localement par les établissements du réseau.
Mme Odile Hagenmüller, sous-directrice de l'immobilier de l'AEFE. - Les 68 EGD sont répartis dans 25 pays. Ces établissements d'enseignement général vont de la maternelle au secondaire et constituent un patrimoine d'environ 600 000 mètres carrés. Ils présentent plusieurs caractéristiques.
- Ils sont répartis partout dans le monde, avec une dominante au Maghreb et en Europe.
- Malgré quelques bâtiments très anciens, la majorité des EGD date des années 1970 et 2000.
- Leurs architectures s'adaptent et s'inspirent du local, mais conservent la marque d'une organisation des espaces « à la française ».
Les bâtiments sont souvent peu élevés et donc étalés sur les parcelles.
- Leur qualité technique est aujourd'hui plutôt moyenne ; leur composition spatiale est de bonne qualité, mais leur isolement est peu répandu.
- Les sites les plus anciens disposent d'une implantation prestigieuse et sont situés dans les meilleurs quartiers des villes.
M. Olivier Brochet. - Tout d'abord, les premières normes qui s'imposent à nous sont celles des pays d'implantation. Dans certains pays, elles sont plus exigeantes que les normes françaises alors que dans d'autres, elles sont plus faibles. Lorsqu'elles sont peu nombreuses, nous nous inspirons des normes françaises.
Ensuite, notre patrimoine est réparti dans des zones climatiques très diverses, allant de Stockholm à Niamey. Les établissements européens subissent une explosion des coûts liés à la crise énergétique. Le lycée de La Haye, par exemple, que j'ai visité à l'automne dernier, a vu sa facture d'énergie augmenter de 70 %. Cependant, beaucoup d'établissements ont plutôt des problèmes de climatisation et de refroidissement. Faire travailler les enfants par une chaleur intense est très coûteux et pose un problème à beaucoup d'établissements.
Notre approche doit aussi tenir compte de la capacité des EGD à effectuer des travaux intégrant les normes bioclimatiques des différents pays. Il faut trouver les équipes de construction et les matériaux correspondant à la fois aux normes en vigueur et à nos besoins. Chaque projet se révèle donc extrêmement complexe.
Toute la difficulté consiste à assurer, dans différents pays, en Afrique subsaharienne, au Maghreb ou au Moyen-Orient, des conditions de travail satisfaisantes pour les élèves. Ces derniers sont à la fois très à la pointe sur les demandes écologiques et expriment des attentes fortes et parfois contradictoires en termes de conditions de travail. Je pense notamment à la climatisation.
Supprimer la climatisation peut demander beaucoup de pédagogie. En septembre 2022, à Tunis, la rénovation des bâtiments permettant la suppression de la climatisation n'a pas bien fonctionné, créant de réelles tensions.
La qualité de l'air est également une question extrêmement sensible, notamment en Asie, dans des pays souvent très pollués. À Pékin, notre établissement dispose par exemple d'une purification de l'air permanente.
En Europe, les standards européens s'imposent à nos rénovations. Nous devons nous adapter lorsque les standards nationaux dépassent le standard français.
Ces problématiques nous obligent à adopter une approche globale.
Par ailleurs, nous devons présenter un schéma pluriannuel d'investissement, le SPSI, qui est un programme quinquennal. Nous en avons déjà proposé deux et en finalisons un troisième. Les deux premiers n'intégraient pas spécifiquement les questions relatives aux normes bioclimatiques, ce qui ne nous a pas empêchés d'en tenir compte dans nos réalisations. En revanche, le prochain SPSI intégrera une dimension écologique applicable à tous nos projets.
Mme Odile Hagenmüller. - Nous vous proposons d'illustrer ces propos par l'exemple du lycée français Charles Lepierre de Lisbonne, dont la rénovation comprenait les objectifs suivants : - permettre l'accueil de nouveaux élèves ; - réaliser un projet durable et sobre ; - redonner de la lisibilité au site ; - rationaliser l'utilisation de l'espace et en améliorer son usage.
Le lycée occupe une parcelle originelle de 22 000 mètres carrés située sur la colline de Campolide. Cette parcelle comprenait, avant la rénovation, des corps de bâtiment datant de 1952, de couleur brique avec des toitures en pente. L'éparpillement du site entraînait celui des fonctions, mais aussi une suroccupation des lieux, qui accueillent plus de 2 000 élèves de la maternelle à la terminale.
Les élèves subissaient également une très forte chaleur en été, provoquant des effets de serre et des éblouissements, ainsi qu'un grand froid en hiver. En outre, les espaces étaient très sonores et les bâtiments provisoires très inconfortables.
Nous avons lancé une consultation de maîtrise d'oeuvre par concours puis sélectionné l'équipe Méandre ETC, un groupement de maîtrise d'oeuvre et un bureau d'études franco-portugais. Notre maître d'oeuvre mandataire est français.
Cette écoconstruction est fondée sur plusieurs axes : - la sobriété énergétique, avec une consommation inférieure à 90 kilowatts d'énergie primaire par mètre carré et par an ; - l'absence de climatisation ; - une conception bioclimatique due à l'orientation des bâtis et à la mise en place de protections solaires ; - le respect de la qualité de l'air et l'amélioration de sa circulation, avec un free-cooling dans les espaces pédagogiques ; - la construction de trois bâtiments neufs, afin d'agrandir les espaces pédagogiques ; - l'agrandissement des cours de récréation ; - l'amélioration de la visibilité du site ; - l'utilisation de matériaux biosourcés produits en circuit court : le liège, produit local phare, afin d'isoler les murs et les sols ; des pierres de façade sur les murs ; un béton d'origine que nous avons conservé ou reconstruit lorsque c'était nécessaire.
Notre consommation d'énergie primaire est aujourd'hui inférieure à l'objectif fixé. Cependant, elle ne répond pas encore aux objectifs européens fixés dans le cadre du Cap 2030 : nous devrions atteindre 30 kilowatts d'énergie primaire par mètre carré et par an.
Nous avons amélioré la circulation de l'air et minimisé l'effet de serre en installant des brise-soleil amovibles qui permettent d'atténuer les effets du soleil et de s'isoler du froid si nécessaire. Nous avons également installé des châssis fixes équipés de jalousies amovibles afin de faire circuler l'air la nuit, lorsque le bâtiment est fermé. Ce système permet d'emmagasiner de l'air frais en été. Pour éviter de recourir à la climatisation, des ventilateurs au plafond contribuent eux aussi à la circulation de l'air.
Nous avons également travaillé avec les utilisateurs, en mettant en place des ateliers leur permettant de s'approprier l'organisation de l'espace, les nouveaux équipements et la configuration des salles de classe.
Nous avons utilisé différents matériaux : le liège pour l'isolation des murs ; la brique, intéressante pour son inertie, pour la maçonnerie ; la pierre locale, qui vient de Lisbonne, plaquée sur les façades extérieures ; le liège également comme revêtement de sol afin d'améliorer la sonorisation des salles de classe. Le dessin des cours de récréation a aussi été entièrement repensé, afin notamment de mieux gérer l'infiltration de l'eau.
M. Olivier Brochet. - L'inauguration officielle aura lieu dans quinze jours, mais l'établissement est déjà en fonction depuis la rentrée dernière.
Bien que le SPSI ne fixe pas d'objectif bioclimatique global, nos dernières réalisations prennent cette dimension en compte. Je pense notamment à l'école maternelle du lycée français de Madrid qui, avec ses 600 élèves, est l'une des plus grandes du réseau : nous l'avons reconstruite sans climatisation. Trois ans après, le pari est réussi. Le travail des architectes s'est révélé efficace, alors qu'à l'origine, ce projet a suscité un fort scepticisme. Toutefois, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.
Lorsque les établissements conventionnés se lancent, eux, dans des projets de rénovation, ces derniers sont menés en vue d'améliorer leurs conditions bioclimatiques. Le service immobilier de l'AEFE intervient dans ce cas comme conseil.
Parmi les projets concernant des établissements conventionnés, la reconstruction complète de celui de Djibouti s'annonce particulièrement innovante sur le plan bioclimatique. Compte tenu du climat, il n'est pas possible de couper complètement la climatisation, mais son usage sera drastiquement limité.
M. Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Mission laïque française. - Je suis accompagné par Stéphanie Rabout, responsable du département immobilier du réseau MLF Monde, qui coordonne la politique immobilière de l'association.
Celle-ci existe depuis 120 ans. La Mission laïque française (MLF) est une association d'utilité publique autofinancée à 95 % et déterminée à participer à la politique publique mise en place par le gouvernement.
Nous gérons actuellement 32 établissements en pleine responsabilité : ils correspondent aux EGD de l'AEFE. De plus, nos 66 établissements partenaires constituent le réseau des établissements homologués, que nous accompagnons. Nous sommes présents dans 37 pays.
Je me centrerai sur les établissements en pleine responsabilité, qui sont répartis sur 32 sites en comptant notre siège parisien. Nous avons une particularité : nous sommes propriétaires de 12 % de ces sites. Les autres sont soit situés sur des terrains mis à disposition par les États via des accords bilatéraux ou des accords propres à la MLF, soit loués. Nous ne possédons pas la majorité des terrains. Cependant, nous avons la responsabilité propriétaire de l'ensemble des établissements.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Si je comprends bien, vous possédez l'établissement, mais pas forcément son terrain...
M. Jean-Marc Merriaux. - Exactement. Cependant, dans le cas d'un bail signé avec un État, nous pouvons être amenés à devoir rendre les établissements, et ce même si nous y avons effectué des investissements.
De plus, la gestion du patrimoine immobilier est primordiale dans l'association. Nous avons mené ces dernières années une politique volontariste afin d'accompagner chaque établissement.
Pour nous, une grande partie de la gestion patrimoniale doit s'effectuer au plus près du terrain. Nous avons ainsi créé en 2019 des directions régionales administratives, financières et immobilières qui étudient les spécificités réglementaires propres à chaque pays et à chaque réseau. Nous devons dès lors développer des compétences spécifiques à chaque territoire.
Nous avons également créé un département Achats et immobilier, dont Stéphanie Rabout, qui est architecte, est responsable depuis 2021.
Nous avons par ailleurs effectué des audits bâtimentaires en nous appuyant sur des bureaux d'études locaux. Le diagnostic de l'ensemble de nos bâtiments a donné lieu à des préconisations puis à un plan d'action. Il concernait d'abord les enjeux sécuritaires, mais intégrait également des enjeux environnementaux. Nous avons mis en place des plans d'investissements sur une quinzaine d'années, afin de travailler à moyen terme sur ces enjeux immobiliers.
Nous avons en outre lancé des audits énergétiques dans tous nos établissements. Un bilan énergétique des consommations existantes a notamment été réalisé dans les établissements en pleine responsabilité, ainsi que des études de performance énergétiques, avec des préconisations d'équipement et de rénovation s'intégrant dans les enjeux du plan pluriannuel d'investissement.
Des estimations des travaux ont été réalisées pour prévoir les consommations futures et les potentiels retours sur investissement. En effet, à la différence de l'AEFE, la MLF est une organisation privée dotée d'une capacité d'investissement importante pouvant engendrer des retours sur investissement en cas de gains énergétiques.
Trois projets immobiliers sont en cours, qu'il s'agisse de construction ou de rénovation. Nous avons souscrit auprès de Proparco, une filiale de l'Agence française de développement, un prêt de 60 millions d'euros afin d'accompagner la construction des nouveaux établissements. Or, ce prêt est contraint par le respect d'un certain nombre de normes environnementales internationales. Proparco effectue un suivi très précis de notre application des normes définies dans la charte de prêt.
En revanche, nous avons reçu de Proparco une subvention de 2,5 millions d'euros pour nous accompagner dans la rénovation d'établissements préexistants.
Nous avons également recouru à des plans particuliers d'intervention pour plus de 60 % de nos établissements. Si nous travaillons toujours à leur mise en place, ce travail est terminé sur deux réseaux importants : les réseaux Maroc et Espagne.
Nous avons par ailleurs réalisé un audit énergétique complet du réseau libanais. Le Liban connaît une crise systémique, à la fois économique, sociale et environnementale. Le prix des fluides a augmenté de manière exponentielle. Cet audit énergétique visait donc à équiper l'ensemble des établissements libanais de panneaux photovoltaïques. Nous cherchons aujourd'hui des financements. L'AEFE a notamment prévu, dans le cadre des aides qu'elle peut attribuer aux établissements qu'elle conventionne, d'accompagner ces investissements lourds.
En 2021, nous avons construit un établissement scolaire neuf à Palma. Nous avons respecté la réglementation thermique et environnementale espagnole et étudions la possibilité d'équiper l'établissement de panneaux photovoltaïques.
De plus, nous avons construit un nouvel établissement à Rabat, le lycée français international André Malraux. Là encore, nous avons respecté l'ensemble des normes de performance environnementale. Nous possédons la certification environnementale HQE avec une labellisation de très haut niveau.
Plusieurs projets verront le jour dans les trois prochaines années. Le premier est situé à Séville. La dimension environnementale y a été primordiale dans le choix du projet architectural. Nous avons privilégié les circuits courts, qui représentent pour nous un enjeu important : en effet, nous rencontrons très souvent de grandes difficultés d'approvisionnement.
Si ces difficultés sont relativement faibles en Espagne, elles sont bien plus importantes concernant le projet d'Addis-Abeba par exemple, où il est extrêmement difficile d'importer des matériaux, ce qui engendre des coûts supplémentaires. Néanmoins, le projet d'Addis-Abeba bénéficiera de la certification environnementale Edge afin que nous respections les normes de performance internationales.
En outre, en Égypte, nous allons complètement reconstruire un établissement à Alexandrie. Là encore, cet établissement sera doté de la certification HQE et financé par Proparco.
Nous menons également des projets de développement et développons un modèle dans lequel les investisseurs construisent eux-mêmes l'établissement scolaire, puis nous octroient un mandat de gestion. Nous n'avons pas la responsabilité de la construction elle-même. Cependant, nous exigeons des investisseurs qu'ils respectent l'ensemble des normes environnementales. Ce fonctionnement s'applique notamment en Égypte ou au Maroc.
Ainsi, nos choix de partenariats intègrent la dimension environnementale. En fait, nous accompagnons de nombreux acteurs et sommes amenés à dispenser des services ou attribuer des aides afin qu'ils puissent respecter les spécificités de chaque établissement scolaire, à la fois en termes de programmation et d'enjeux environnementaux.
Par ailleurs, nous sommes une entité unique, capable de travailler sur tous les sites en conservant une vraie continuité, qu'elle soit d'ordre bâtimentaire ou environnemental. Nous ne sommes pas contraints par le maillage des collectivités territoriales et avons une visibilité totale, notamment sur l'enjeu des formes scolaires.
Ce dernier est central : comment associer les formes scolaires aux enjeux environnementaux ? La forme scolaire est essentielle pour offrir des environnements éducatifs adaptés aux contenus pédagogiques. Ses contraintes intègrent très fortement les enjeux environnementaux. Nous travaillons sur ces questions avec le ministère de l'éducation nationale, qui possède un département dédié et un site, Archiclasse, qui offre un accompagnement spécifique et un panel de solutions aux collectivités et aux acteurs du bâtiment, notamment sur les questions environnementales.
M. Ronan Le Gleut. - Les établissements d'enseignement français à l'étranger scolarisent des Français, mais aussi des jeunes originaires des pays d'implantation et des élèves de nationalités tierces. Ils entrent ainsi en concurrence avec les lycées américains ou les établissements locaux. Dans ce contexte, la prise de conscience environnementale par les parents ou les enfants devient-elle un critère de concurrence parmi d'autres ? Le Quai d'Orsay avait inventé il y a une dizaine d'années le label « Ambassades vertes ». Peut-on imaginer la création d'un label « Lycées français verts », par exemple dans le cadre de la stratégie du prochain SPSI ?
M. Yan Chantrel. - Je remercie le président et la rapporteure d'avoir permis d'inclure dans cette mission sur le bâti scolaire le réseau des établissements situés hors de France.
J'aimerais appuyer la principale problématique soulevée par le directeur général de l'AEFE, à savoir l'impossibilité d'emprunter, qui constitue un frein non négligeable à l'action de l'agence. Le Sénat a initié lors du dernier vote du budget un amendement, adopté à l'unanimité, afin de lever cette interdiction d'emprunt. Malheureusement, l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 a empêché son adoption définitive.
En revanche, certaines problématiques spécifiques m'interpellent, notamment le non-respect des normes de sécurité. L'établissement Charles de Gaulle à Londres a récemment été étrillé dans la presse, car il ne respecterait pas les normes de sécurité britanniques. Pourriez-vous nous apporter des éléments plus précis ?
Par ailleurs, dans certains pays, l'Italie par exemple, les politiques locales permettent aux élèves de ne pas aller en cours durant les épisodes caniculaires. Or, ces règles ne s'appliquent pas forcément aux établissements français. Comment, dès lors, vous adaptez-vous aux politiques locales tout en maintenant la continuité de l'enseignement ?
Mon collègue Ronan Le Gleut a évoqué l'importance déterminante de la qualité des infrastructures des EGD vis-à-vis des établissements concurrents. J'ai pu visiter des lycées concurrents ou partenaires disposant de locaux flambant neuf et de bâtiments sportifs très performants. Il me semble essentiel de pouvoir répondre à ces offres concurrentes.
Par ailleurs, vous fournissez une forme de soutien aux établissements que vous ne gérez pas directement. Serait-il possible de prévoir une forme de conventionnement traitant des questions énergétiques dans une optique durable, dans les accords que ces établissements signent avec l'AEFE ? Il s'agirait d'exiger d'eux le respect de certaines normes environnementales. Si de telles dispositions n'existent pas à l'heure actuelle, pensez-vous les adopter à l'avenir ?
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Je reviens sur la question des normes. Selon les pays, celles-ci sont plus ou moins exigeantes qu'en France. Dans les cas où elles le sont moins, la norme appliquée est-elle celle du pays ou la nôtre, si tant est que les moyens permettant de l'appliquer soient réunis ?
Comment, par ailleurs, faites-vous pour juxtaposer les normes de la maternelle, du primaire, du collège et du lycée dans un seul et même établissement ? Quelles sont les normes de sécurité appliquées dans des pays peu exigeants en la matière ? Et enfin, quelles sont les normes concernant les toilettes, notamment dans les écoles maternelles ? Ce sujet revient régulièrement dans nos travaux.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - L'exemple du lycée de Lisbonne m'a semblé assez inspirant. Ne peut-il pas servir de modèle pour des établissements situés en France ? Des échanges d'expérience ont-ils lieu avec le ministère de l'éducation ?
M. Olivier Brochet. - Concernant la question de M. Le Gleut, le bâti est en effet un élément de concurrence important : il faut donc investir non seulement dans la maintenance ou la croissance, mais dans la rénovation et la complémentarité de l'offre. Beaucoup d'EGD sont situés en centre-ville : leur bâti est contraint par le manque de place. Il n'est pas possible d'intégrer, par exemple, une piscine à l'établissement de Lisbonne.
Nous faisons attention, lors des rénovations ou des constructions, à la beauté des bâtiments et à leur qualité architecturale. Nos lycées participent en effet de l'image de la France à l'étranger. Néanmoins, par rapport à d'autres critères de sélection comme l'existence d'une piscine ou d'un stade, l'environnement m'apparaît comme moins déterminant. En revanche, nos élèves et nos équipes pédagogiques sont très attentifs aux questions environnementales et sont mobilisés sur ces sujets. Concernant le bâti lui-même, les gens sont surtout attentifs à sa dimension écologique lorsque la construction est neuve.
M. Jean-Marc Merriaux. - Les situations varient beaucoup d'un territoire à un autre. Dans nos établissements, nous avons une majorité d'élèves locaux, étrangers. L'importance du critère environnemental dépend aussi de la maturité écologique des familles dans les pays concernés. En revanche, les établissements de l'AEFE scolarisent une part plus importante d'élèves français. Il ne faut donc pas sous-estimer la conscientisation de la question environnementale dans les différents pays, car elle conditionne les exigences des familles et des élèves dans ce domaine.
Nous avons récemment consacré une étude marketing au positionnement de nos établissements : si la question du bâti est évidemment importante, son infrastructure compte beaucoup plus que sa dimension environnementale. Toutefois, les positions évoluent. Nous développons par exemple un nouveau complexe sportif dans notre établissement de Dallas, ville où la climatisation est utilisée en permanence. Or ce complexe en sera dépourvu et sera totalement ouvert sur l'extérieur. Il reposera sur un principe d'aération naturelle.
Ainsi, des prises de conscience se manifestent, sous notre influence, mais pas seulement. Notre système repose sur des partenariats public-privé : nos partenaires intègrent eux aussi les questions environnementales. Il faut faire preuve de pédagogie pour que cette conscientisation impacte les parents à moyen et à long terme.
M. Olivier Brochet. - Je réponds simultanément à M. Chantrel et à Mme la rapporteure sur la question des normes.
Tout d'abord, toutes les normes locales doivent être appliquées. Lorsqu'elles nous paraissent trop basses, nous appliquons les normes françaises, à moins que celles-ci soient trop difficiles à mettre en oeuvre. Pour autant, nous appliquons systématiquement les normes de sécurité françaises, qui constituent pour nous un minimum que les normes locales viennent parfois excéder.
S'agissant du lycée de Londres, la situation est très particulière : ce ne sont pas tant les normes que les procédures de sécurité qui ont fait défaut. Nous appliquons les normes, mais les procédures que demandait l'Office for Standards in Education, Children's Services and Skills (Ofsted) n'ont pas suffisamment été mises en oeuvre. Nous sommes en train de corriger le problème.
Quant aux adaptations d'horaires ou de calendrier, nous y réfléchissons bien sûr. Elles sont déjà mises en oeuvre dans les pays les plus chauds. Les élèves de maternelle et de primaire peuvent ainsi commencer très tôt le matin. Concernant le secondaire, la charge des emplois du temps rend les changements plus difficiles. Contrairement aux autres systèmes éducatifs, les élèves auront toujours des cours l'après-midi. Néanmoins, nous pouvons nous adapter. Par exemple, à Tunis, nous pourrions revoir le calendrier scolaire et débuter l'année plus tardivement en septembre afin d'éviter les très fortes canicules. Ces mesures n'empêchent pas de mener une réflexion sur les bâtiments eux-mêmes.
Je ne reviens pas sur la question du financement de l'agence.
Je ne sais pas si nous pourrions ajouter aux règles d'homologation des normes précises sur la question environnementale. Nous faisons déjà respecter des normes touchant au bâti, à la taille des classes, à la cour de récréation, etc. Il me paraît difficile, sur la question environnementale, d'adopter des règles strictes.
En revanche, nous serions favorables à une politique d'incitation et de soutien aux établissements conventionnés homologués, qui leur permettrait d'obtenir une subvention spécifique lorsqu'ils sont engagés dans un processus immobilier. Nous touchons actuellement deux types de subventions. Les 15 millions d'euros évoqués précédemment correspondent à des subventions de sécurité, finançant par exemple l'installation de portiques, de sas, etc. Mais nous touchons également des subventions de développement, afin de renforcer l'attractivité des établissements. Nous pourrions mettre en place, si l'État nous en donnait les moyens, une subvention concernant l'amélioration du bâti scolaire dans une optique environnementale. Nous saurions la mettre en oeuvre et elle aurait sans doute un effet immédiat puisque les établissements y trouveraient leur intérêt.
Jean-Marc Merriaux évoquait le cas libanais : nous disposons d'une enveloppe spécifique à cet égard. Dans la loi de finances a été votée une aide de 10 millions d'euros pour le Liban, dont 7,5 millions sont consacrés à un programme de soutien à l'électrification solaire des 55 établissements libanais du réseau. Ces derniers sont soit conventionnés, soit partenaires. Avec le soutien de l'ambassade, ces 7,5 millions éviteront d'acheter du pétrole pour avoir de l'électricité. Ils permettront également de dégager des marges afin de payer les professeurs en dollars de sorte qu'ils restent dans l'établissement. Nous utilisons ainsi le levier du développement durable pour avoir un impact immédiat sur le renforcement structurel des établissements libanais.
La question des toilettes est effectivement très sensible, en particulier dans les écoles maternelles. Nous y prêtons attention lors des projets de rénovation ou de construction. Je vous invite à visiter l'école maternelle de Madrid où nous avons notamment installé des toilettes entre deux salles de classe.
Concernant le lycée de Lisbonne, nous n'avons pas eu à ma connaissance d'échange particulier avec le ministère de l'éducation nationale. Certes, depuis la loi du 28 février 2022, le réseau et l'agence sont décrits comme des laboratoires pédagogiques pour le compte du ministère, en particulier dans le domaine linguistique. La politique linguistique de nos établissements est bien plus avancée qu'en France. Néanmoins, sur la question immobilière, nous n'avons pas de référence de cette nature. Des échanges peuvent exister, mais notre réseau est « cousu main ». Il n'a donc rien à voir par exemple avec le réseau francilien, dont s'occupait auparavant Odile Hagenmüller.
Mme Odile Hagenmüller. - Le ministère n'est pas constructeur des bâtiments techniques. Il peut formuler des préconisations, comme l'a d'ailleurs fait sa cellule Bâti scolaire. Il n'existe cependant pas de référentiel absolu en matière de construction des bâtiments : c'est le rôle des collectivités.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Il pourrait être intéressant de faire remonter vos expériences à la cellule Bâti scolaire, puisqu'ils produisent des guides.
Mme Odile Hagenmüller. - Tout à fait. C'est prévu.
Concernant les toilettes des bâtiments scolaires, aucune règle ou préconception n'existe. Nous nous basons sur le code de la construction et de l'habitation et sur le code du travail, car ils présentent les meilleures références sur ce sujet. La réalisation technique, elle, suit les règles de l'art : l'ouvrage doit contenir des évacuations, etc. Le sujet des toilettes revenant toujours, nous les rénovons très régulièrement.
M. Olivier Brochet. - Nous devons sans cesse améliorer la qualité de l'accueil. La maternelle est la porte d'entrée dans le système éducatif français : les familles comparent les établissements à ce moment-là. Nous devons donc y concentrer nos efforts, même s'il est possible de « récupérer » des élèves par la suite.
Les deux tiers des élèves de nos établissements sont étrangers, et une grande partie d'entre eux vient de familles non francophones. La francophonie se crée ainsi à la maternelle. Or, celle-ci est devenue très concurrentielle. L'école maternelle française n'est plus considérée d'office comme la meilleure du monde ; de très bons systèmes existent ailleurs. Or, l'immobilier est souvent le point faible de nos établissements.
M. Jean-Marc Merriaux. - L'alimentation des toilettes soulève également un enjeu d'utilisation des eaux, et notamment des eaux de pluie. Nous y travaillons par exemple à Addis-Abeba.
Pour revenir sur la hiérarchie des normes, Proparco nous demande obligatoirement d'obtenir les normes internationales, à savoir HQE, Edge et BREEAM. Selon le pays, nous devons nous conformer à l'une de ces normes.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Ces normes sont-elles liées systématiquement au bâti scolaire ou à la construction ?
M. Jean-Marc Merriaux. - Elles sont liées à la construction, mais tout un volet concerne la dimension environnementale. La norme HQE, en particulier, intègre très fortement cette notion.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Quand vous sollicitez un emprunt, devez-vous prouver que vous respectez ces normes ?
M. Jean-Marc Merriaux. - Oui, d'autant qu'un suivi très fin et contraignant a lieu ensuite, qui comprend des rendus, des visites de chantiers, etc. La suite de l'emprunt en dépend. Nous sommes donc obligés de respecter ces normes.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Malgré les contraintes, vous semblez rénover beaucoup d'établissements. Combien d'établissements sont concernés ?
Mme Odile Hagenmüller. - Nous rénovons rarement complètement un site en une fois. Les 62 EGD sont disposés sur 102 sites. Nous réparons et entretenons très souvent les bâtiments. Nous nous assurons de leur propreté, mais ces interventions ne sont pas toujours très consistantes. De même, elles ne prennent pas en compte l'ensemble des aspects bâtimentaires.
M. Olivier Brochet. - D'après les précédents SPSI, nous avons affecté entre 100 et 150 millions d'euros à des travaux lourds de construction ou de rénovation. Nous travaillons sur le prochain SPSI. Nous en sommes encore au stade des demandes, puis nous examinerons le budget. Idéalement, nous aurions besoin de 300 millions d'euros sur cinq ans. Évidemment, nous en obtiendrons beaucoup moins. Si nous devions toujours travailler en fonction de la capacité d'augmentation des fonds de roulement des établissements, nous dépasserions difficilement les 70, 80 ou 100 millions d'euros, puisque nous ne pourrions pas demander un effort supplémentaire aux familles.
Mme Odile Hagenmüller. - Durant le premier SPSI, nous avons mené une quarantaine d'opérations pour 195 millions d'euros. Le second s'élevait à 110 millions d'euros pour 23 opérations qui n'ont pas toutes été mises en oeuvre et ne sont pas toutes terminées.
M. Olivier Brochet. - Compte tenu de nos difficultés de financement et de la soutenabilité de l'établissement, nous sommes obligés de découper les projets par tranches successives. Ils durent ainsi quinze ou vingt ans et sont plus onéreux. Le problème étant qu'à la fin du SPSI, beaucoup d'opérations sont toujours en cours ou pas encore engagées.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - En France, les communes ouvrent de plus en plus souvent l'accès aux écoles en dehors du temps scolaire. Cette évolution est-elle également à l'oeuvre dans certains pays d'implantation ?
M. Olivier Brochet. - L'accès aux établissements dépend beaucoup des conditions de sécurité du pays en question. Au Sahel, par exemple, il est limité au maximum ; nos bâtiments sont de plus en plus protégés. Cela dit, traditionnellement les établissements sont ouverts aux associations sportives. La nouvelle piscine du lycée de Casablanca prévoit par exemple une location aux associations le soir et le week-end afin de diminuer son coût de fonctionnement. Ce n'est pas une source de revenus majeure, mais elle peut aider les établissements à la marge. Nous essayons d'ouvrir les piscines aux associations, car ce sont des structures très coûteuses.
M. Jean-Marc Merriaux. - Nous créons actuellement un établissement à Séville. Lors des négociations avec la région et la municipalité, nous avons obtenu un prix très intéressant, à condition que le lieu soit ouvert sur la ville. Le projet est un Centre français d'innovation et de technologie situé au coeur de l'ancien espace de l'Exposition universelle de 1992, au sein duquel nous allons créer un établissement scolaire. Il comprendra un fab lab, un incubateur de sociétés et d'autres lieux ouverts. Nous voulons créer un continuum, avec notamment des formations en STEM (science, technology, engineering, mathematics). La maternelle présente cependant une contrainte, de même que la gestion des flux.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie pour ces informations. Le débat pourra encore se prolonger si vous avez de nouveaux éléments à nous transmettre.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 50.