Jeudi 23 mars 2023
- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA)
Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le directeur, je suis ravie de vous accueillir. En cette journée de grève, beaucoup de nos collègues sont absents. Vous comprendrez la difficulté de l'exercice, malgré l'importance de cette audition.
Dans cette délégation, nous parlons souvent d'ingénierie au service des collectivités et nous regrettons parfois que l'accompagnement par l'État des collectivités, notamment les plus petites, ait été dévitalisé. Mes collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche ont en outre rendu un rapport sur les services déconcentrés de l'État. Ce sujet suscite beaucoup d'interrogations. Nous nous intéressons donc aux agences ou aux centres d'études dont l'expertise est reconnue.
Nous saluons votre expertise, Monsieur le directeur. Nous avons beaucoup travaillé, à l'occasion de la loi 3DS, afin de faciliter le recours des collectivités à vos services. Il leur suffit aujourd'hui d'adhérer au CEREMA pour bénéficier d'une prestation.
Notre collègue Charles Guené, qui n'a pu se rendre disponible, a également beaucoup travaillé sur l'ingénierie des collectivités, et notamment sur l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Aujourd'hui, nous nous intéressons aux perspectives du CEREMA sur des sujets nouveaux.
Notre délégation s'occupe des collectivités dans leur diversité. Or, votre expertise technique est sollicitée à la fois de manière ponctuelle, par des collectivités très importantes, et par de plus petites, sur des questions comme la sécurité des ponts. L'accès à vos prestations leur est sans doute plus difficile : elles ne vous connaissent pas toutes et sont perdues dans le maquis des contributeurs. Or, nous sommes obsédés par l'efficacité de l'action publique «jusqu'au dernier kilomètre», demandant que l'ingénierie soit accessible à tous. En effet, certaines petites collectivités sont touchées par des problèmes très techniques : je pense aux inondations gravissimes dans le sud de la France ou à la dégradation du trait de côte.
Mes collègues auront sans doute beaucoup de questions à vous poser, mais certains devront quitter la salle avant la fin de la séance à cause des grèves.
Je vous remercie.
M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). - Merci, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs. Je voudrais tout d'abord vous dire ma grande joie de participer à cette audition. Depuis cinq ans, nous avons tourné le CEREMA vers les collectivités locales. Cette audition représente donc pour moi une forme d'aboutissement.
Le CEREMA regroupe les anciens services techniques supra-départementaux de l'ex-ministère de l'Équipement au sein d'un établissement public unique. Ce travail de regroupement a nécessité sept ou huit ans. En effet, il ne suffit pas d'adopter une réforme pour qu'elle soit effective ; il faut du temps pour la mettre en place.
Nous avons donc adopté un plan de transformation de l'activité afin de nous recentrer sur six domaines :
- l'efficacité énergétique des bâtiments ;
- les mobilités ;
- les infrastructures ;
- ce qui touche aux risques et à l'environnement ;
- la mer et le littoral ;
- l'évolution du territoire des collectivités dans les trente prochaines années, vis-à-vis notamment de la transition énergétique et du changement climatique.
Nous avons ainsi supprimé l'activité de deux secteurs sur trois en menant une restructuration interne très profonde, qui a touché la moitié des 2 500 agents. Nous avons supprimé 350 postes et 750 ont été « substantiellement modifiés », c'est-à-dire que leur contenu a changé pour plus de la moitié.
Cette transformation était nécessaire. Nous avons mis en place une démarche qualité unifiée à l'échelle de l'établissement, car toutes les structures n'étaient pas agrégées. Aujourd'hui, nous fonctionnons selon la norme ISO 9001.
Nous avons également bâti un projet stratégique, signé un contrat d'objectifs avec l'État et établi un plan d'affaires, c'est-à-dire une déclinaison de ces objectifs à destination des collectivités et des entreprises. Initialement, le CEREMA ne travaillait que pour l'État. Or quatre des six domaines énumérés sont gérés par les collectivités. Aujourd'hui, plus du quart de notre activité leur est destiné : soit il leur est directement facturé, soit il est développé puis mis à leur disposition.
Une fois notre établissement restructuré, sa gouvernance, restée presque complètement étatique, devait être revue. Un excellent article de la loi 3DS, proposé par le Sénat, a permis aux collectivités d'adhérer au CEREMA. Ainsi, sa gouvernance sera majoritairement composée par des membres élus par les collectivités. Cet article permet aussi aux collectivités d'agir selon la règle du « in-house ».
Le Conseil d'administration du CEREMA a validé il y a deux jours la première liste des collectivités adhérentes : elles sont 634, dont 14 régions, 70 départements, 272 groupements de communes et 278 communes. Ce grand succès nous permettra de démultiplier les travaux destinés aux collectivités. Ayant payé leur adhésion, elles attendent de nous une expertise, ce qui nous honore et nous oblige.
Je voudrais revenir sur l'intégration du CEREMA dans l'écosystème des collectivités. Il existe à la fois des manques d'accompagnement sur le terrain et un foisonnement contre-productif. Nous nous sommes intégrés, à travers des conventions et des partenariats, à des établissements homologues tels que l'Institut géographique national (IGN), le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ou l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), afin de pouvoir réorienter au mieux les demandes des collectivités.
En application de la loi, nous avons également signé avec l'ANCT une convention nous permettant d'intervenir sur les programmes nationaux territorialisés comme « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain ». De plus, nous réalisons des interventions sur mesure, selon le principe du «freemium» : si une collectivité souhaite être accompagnée, le CEREMA s'en charge gratuitement quelques jours ; si elle souhaite s'engager plus avant, nous facturons une partie de la prestation et l'ANCT facture l'autre. Cette démarche a plutôt bien fonctionné : nous avons accompagné ces dernières années 329 communes pour un montant de 5 millions d'euros environ, dont 2,3 millions de cofinancement. Le CEREMA est aujourd'hui le partenaire le plus actif dans l'aide aux communes, même si nous ne parvenons toujours pas à satisfaire de nombreuses demandes. L'expression de «maquis des organismes» me semble très juste.
J'ai commencé, il y a plus de trente-cinq ans, par m'occuper d'un service de collectivités locales dans une DDE (direction départementale de l'équipement). Celle-ci comptait des professionnels de l'aide aux collectivités, notamment les plus petites. La suppression de ces services au gré des réformes a dépourvu les élus d'interlocuteurs techniques. Certes, ils disposent du préfet, mais celui-ci a des journées très chargées. Nous insistons donc pour que de nouveaux interlocuteurs émergent au niveau départemental. Il suffirait de créer cinq équivalents temps plein dans chaque DDT, ce qui n'est pas si compliqué, surtout si l'ANCT peut chapeauter l'ensemble.
La CEREMA assure une expertise de deuxième niveau. Auparavant, quand une collectivité rencontrait un problème, elle en référait à son subdivisionnaire ; si le problème s'avérait trop complexe, celui-ci appelait le siège de la DDE ou, en dernière instance, les services techniques. Toutes ces instances ont fusionné au sein du CEREMA. Voilà pourquoi il nous serait utile de disposer de relais au sein des départements. Certes, nous sommes déjà implantés dans vingt-trois villes correspondant au maillage des anciennes régions. Cette présence, cependant, ne suffit pas à parcourir le «dernier kilomètre» dont vous parliez.
Par ailleurs, la transition écologique et l'adaptation au changement climatique induisent des chantiers colossaux. Néanmoins, au CEREMA, nous avons adopté une approche optimiste. Le dernier rapport du GIEC confirme notre positionnement : les solutions existent, mais de vraies ruptures et des changements drastiques sont nécessaires. Nous avons vingt ou trente ans devant nous, mais nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre. En réalité, beaucoup de ruptures historiques se sont mal déroulées faute d'avoir été correctement anticipées.
Il est profondément nécessaire de rendre notre mode de fonctionnement plus sobre, plus résilient, plus inclusif et plus créatif. Chacun des six secteurs dont nous nous occupons est impacté par le changement climatique. Nous devons fournir un effort très important de formation des élus et des techniciens, mais aussi nous doter d'un référentiel de durabilité comme les Objectifs de développement durable (ODD) ou l'Agenda 2030, inclure les parties prenantes, travailler sur les imaginaires, mettre en place un système de pilotage. Les chantiers sont importants, néanmoins des solutions existent pour chacun d'entre eux. Il est nécessaire d'acculturer les élus, ce sur quoi travaille d'ailleurs le ministre. Les besoins financiers sont également très importants. De toutes façons, les conséquences financières du changement climatique rendent ces investissements inéluctables.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le directeur. Vous avez évoqué l'ensemble des sujets. Il nous faut anticiper cette période de rupture : avoir l'écologie triste ou mortifère n'est ni notre volonté, ni notre intérêt.
Par ailleurs, la dispersion de l'ingénierie et la difficulté d'accès aux services constituent deux difficultés. Nous avons eu l'occasion d'en parler, à l'initiative du président Larcher, avec Mathieu Darnaud et le président de la commission des Lois François-Noël Buffet, au sein d'une réflexion transpartisane concernant l'efficacité de l'action publique. Nous souhaitons défendre l'accès de toutes les collectivités à l'ingénierie.
Or, nous nous interrogeons sur la manière dont interagissent les différentes agences. Leur fonctionnement est-il agile, souple ? Il ne s'agit pas d'inventer des usines à gaz. Les directions régionales sont-elles pertinentes dans les grandes régions ? Comment le préfet ou le sous-préfet, qui détecte souvent les sujets, peut-il recourir à vos services ? Comment les agences sont-elles coordonnées ?
Je passe la parole à mes collègues.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci, Madame la présidente. Merci, Monsieur le directeur. Le fonds vert représente des financements conséquents, dont le montant a été notifié aux départements : les appels à projets sont donc lancés. Le CEREMA peut être directement concerné par leurs thématiques et apporter son ingénierie aux collectivités territoriales. Or, pour que ces fonds soient mobilisés, les collectivités doivent déposer leurs projets le plus rapidement possible. Êtes-vous préparé à traiter ces sujets ? Certains concernent des opérations itératives sans grande complexité, mise à part la rénovation thermique des bâtiments par exemple. Mais d'autres sont plus complexes, tels que la prévention des feux de forêt, du recul du trait de côte ou la gestion des inondations.
En un mot, comment comptez-vous accompagner efficacement les collectivités dans leur mobilisation du fonds vert ?
M. Hervé Gillé. - Merci, Monsieur le directeur. Je vais essayer de vous bousculer un peu. Votre saisine est souvent complexe, les délais sont un peu longs et votre réactivité laisse à désirer. Nous manquons toujours d'un guichet d'entrée réellement efficace. Si l'ANCT est questionnée sur ce sujet, l'organisation territoriale me semble à même de répondre à beaucoup de questions. En l'occurrence, une stratégie payante consisterait à s'appuyer sur les syndicats mixtes, qui portent parfois des contrats d'EPI et constituent eux-mêmes des communautés de commune. Voilà qui permettrait d'organiser l'ingénierie territoriale à l'échelle de chaque projet, de manière subsidiaire, avec les communautés de communes et les communes.
Or, le CEREMA ne me semble pas rechercher de véritable coopération territoriale ni mettre en avant son offre de service. L'ANCT devrait avoir la même stratégie de lisibilité et, idéalement, cette stratégie devrait être confortée par la signature de conventions avec les collectivités territoriales, les régions et les départements, afin de fonctionner en bourses de compétences selon la nature des projets.
Voilà mes espoirs. Partagez-vous mon avis ?
M. Pascal Berteaud. - Je suis arrivé au CEREMA début 2018, après une très grave crise. Le vote du plan quinquennal 2017-2022, qui réduisait les effectifs de 500 équivalents temps plein, avait entraîné la démission du directeur, du président, ainsi que des manifestations salariales. Depuis mon arrivée, j'ai toujours eu pour leitmotiv ce mot «espoir» et l'idée d'aller de l'avant. Aujourd'hui, les agents du CEREMA commencent à me donner raison.
En outre, nous sommes concernés par onze des quatorze thématiques du fonds vert. La demande est particulièrement forte au niveau des territoires. Sommes-nous prêts ? Le CEREMA compte 2 000 experts environ, ingénieurs et techniciens confondus. Évidemment, nous ne pouvons pas tout faire : d'une part, nos effectifs sont limités ; d'autre part, notre rôle consiste plutôt à former, accompagner puis déployer sur le terrain les relais que nous trouvons.
J'évoquais l'ancienne ingénierie publique dans les DDE : ce système fonctionnait. Tous les élus pouvaient bénéficier d'un minimum de compétences techniques. Les DDT ne les possèdent malheureusement plus, ce qui rend difficile l'accompagnement des collectivités. Mais bien sûr, d'autres types de compétences subsistent.
Nous appelons instamment à récréer ces compétences techniques. En effet, nous pouvons former, animer, donner des méthodes, à l'instar de l'ancien réseau technique vis-à-vis des DDE.
Je réponds ainsi à la question de Monsieur Gillé : nous sommes évidemment prêts à travailler avec les syndicats de territoire, mais pas seulement eux. C'est le sens de la réforme statutaire entreprise à destination des collectivités. Les sénateurs ici présents, d'ailleurs, représentent presque tous des territoires dont les départements ont adhéré au CEREMA. Le nombre de nos adhésions est voué à augmenter. L'idée maîtresse est la suivante : nous appuyons les collectivités pour les aider à monter en compétences sur le plan technique.
Cependant, et pour plusieurs raisons, nous ne fonctionnons pas encore ainsi. Tout d'abord, le CEREMA que je vous décris existe seulement depuis 2022, puisque nous avons mis quatre ans à nous restructurer. Ensuite, les moyens manquent, notamment pour faire évoluer les compétences de nos agents. Seuls 120 ou 150 sont aujourd'hui capables d'accompagner les collectivités. Ce nombre doit augmenter, mais il y a quatre ans, ils n'étaient que dix.
Par ailleurs, si nos effectifs stagnent, la tâche sera difficile, compte tenu du nombre de collectivités. Le CEREMA ne demande pas de moyens supplémentaires à l'État. En effet, les collectivités sont prêtes à nous payer pour les services que nous fournissons. Le problème provient de notre plafond d'emplois plutôt que de notre dotation.
Mme Nadine Bellurot. - Vous avez déjà en partie répondu à mes questions sur la collaboration avec les territoires et les collectivités territoriales. Nous pouvons être nostalgiques de la DSAT et des services rendus par les services de l'État aux collectivités. Les départements se sont souvent fait le relais du manque de services techniques, ce qui a mené, comme dans l'Indre, à la création d'Agences techniques départementales. Celles-ci s'occupent de la voirie et des ouvrages d'art. Elles apportent des compétences techniques. L'éventail de vos missions et de vos thématiques est bien plus large. J'aurais voulu savoir quelles relations vous entretenez avec les territoires, même si vous y avez déjà en partie répondu.
Par ailleurs, de combien de personnes auriez-vous besoin afin de répondre aux demandes des collectivités ? De plus, d'après votre expérience, est-ce que certaines missions qui vous sont aujourd'hui demandées ne sont pas incluses parmi vos compétences ? Enfin, pourriez-vous fusionner avec l'ANCT ?
M. Pascal Berteaud. - Je suis passé un peu rapidement, en effet, sur notre lien essentiel avec les agences départementales et les agences d'urbanisme.
Depuis la suppression des DDE et des directions départementales de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF), le contexte a complètement changé : nous souhaitons trouver des partenaires locaux, au premier rang desquels figurent les agences départementales. Nous avons des discussions avec les directeurs de ces agences et j'espère que l'une d'elles entrera au Conseil d'administration du CEREMA.
Nous cherchons à recréer le lien entre organisme d'expertise et organismes de terrain. Il en va de même pour les agences départementales comme pour les agences d'urbanisme. Le CEREMA ne vise pas à concurrencer l'agence de l'urbanisme : nous souhaitons fonctionner selon le principe de subsidiarité.
Par ailleurs, nous procédons actuellement à l'évaluation précise de nos besoins : nous manquons d'environ 400 équivalents temps plein supplémentaires. Cependant, nous sommes encore capables de redéployer un certain nombre de nos agents. L'obtention de 200 équivalents temps plein supplémentaires sur trois ou quatre ans ne me semble pas impossible à organiser.
En outre, nous devons monter en compétence et en intensité sur certains sujets, notamment le domaine ferroviaire, que nous avons choisi d'abandonner ou presque. La participation du public, également, fait partie des questions sur lesquelles nous devons nous positionner en vue du prochain contrat d'objectifs. Ces réflexions sont nouvelles, puisque nous avons passé les quatre dernières années à supprimer des missions.
J'en viens à la fusion avec l'ANCT, voire avec l'ADEME, Agence de la transition écologique. Évidemment, s'il s'agissait de tout reconstruire aujourd'hui, nous formerions un seul organisme. Personne ne se poserait la question. La question de la fusion est tout à fait légitime. Cependant, le CEREMA a été créé en 2014, et nous avons mis huit ans à le faire fonctionner. Certes, peut-être aurions-nous pu accomplir ce travail en six ans seulement, mais la tâche était relativement simple : les organismes venaient tous du même ministère. Ils possédaient tous la même culture et disposaient des mêmes statuts.
Une fusion ANCT-CEREMA nous ferait perdre cinq ans de plus. Il nous semble donc plus intelligent ou du moins plus efficace de rapprocher progressivement les deux organismes, en établissant par exemple un comité de direction commun par mois, puis une stratégie commune. Lorsque le rapprochement sera suffisant, la fusion sera bien plus simple. Aujourd'hui, je crains qu'elle n'entraîne un arrêt assez long des activités.
Mme Chantal Deseyne. - Merci Monsieur le directeur. Votre expertise est reconnue et vous êtes bien identifié par les grandes collectivités, mais les élus des petites communes se perdent dans le «maquis des agences». Travaillez-vous déjà à la rationalisation de votre offre et notamment à la mise en place d'agences départementales afin d'être mieux identifiés des collectivités ?
M. Pascal Berteaud. - Je vous rejoins sur cette notion de «maquis des agences». La création de l'ANCT visait déjà à le simplifier. Il faut créer, au niveau départemental, ce fameux « guichet unique », même si je me méfie des noms. Il est indispensable que chaque département dispose d'un minimum d'agents chargés de situer les offres et d'orienter les demandes. La création d'une cellule de quatre ou cinq personnes dans chaque département représenterait 500 équivalents temps plein sur tout le territoire, sur deux millions pour l'ensemble des fonctionnaires. Cette solution améliorerait la situation sans rentrer dans des fusions qui bloqueraient tout notre fonctionnement.
Nous sommes en train de mettre en place un référent pour chacun de nos adhérents : il aura ainsi un seul interlocuteur pour le mettre en contact avec nos différents départements. Je crois beaucoup à cette solution, qui n'est ni coûteuse ni compliquée à mettre en place.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous sommes tous sensibles à votre souci d'efficacité face aux recompositions permanentes, qui permettent rarement d'être opérationnel, comme l'ont montré par exemple les recompositions d'intercommunalités. Cependant, la vie est un éternel changement : il convient de s'y adapter.
Reprenons le fil de l'histoire : l'État s'est un jour décidé à alléger ses directions territoriales, à savoir les préfectures et sous-préfectures. Elles ont été vidées de certains services et compétences, en pensant sans doute que les coûts seraient moindres, mais aussi que les agences seraient plus agiles, plus souples. Je crois beaucoup, personnellement, à l'efficacité des structures situées en dehors de cet édifice rigide qu'est l'État.
Néanmoins, nous sommes aujourd'hui au bout de l'exercice. Les compétences qui ont été transférées aux collectivités ne nécessitent pas seulement de l'ingénierie, mais de l'expertise. Or, je ne crois pas que chaque département ou intercommunalité ait besoin de détenir une expertise pérenne sur des sujets comme le ferroviaire, le trait de côte, etc. A l'inverse, les structures qui disposent de ces expertises s'enrichissent de leur exercice dans des contextes différents, puisque la capacité à bien apprécier une situation provient des expériences successives.
Par ailleurs, j'approuve votre proposition de «guichet unique». Cependant, il doit être assuré par la préfecture ou la sous-préfecture. En effet, l'État fixe des obligations aux élus sur des sujets comme la submersion marine ou la préservation de l'environnement. Il doit s'assurer que les collectivités s'inscrivent dans les objectifs fixés, mais surtout les accompagner afin qu'elles puissent les remplir. Or, le sous-préfet et le préfet agissent selon moi comme les véritables « détecteurs » d'expertise. Ne devraient-ils pas coordonner et assembler les structures, que ce soient des agences ou non ? Ce système me semblerait plus simple et efficace.
Par ailleurs, l'adhésion des collectivités au CEREMA suit-elle une répartition géographique régulière ? Ou s'agit-il au contraire de territoires préalablement identifiés par rapport à des critères particuliers, comme les traits de côte ou d'autres risques ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Suite à l'effondrement du pont Morandi, la mission d'information du Sénat de 2019 sur la sécurité des ponts avait identifié 25 000 ponts en France présentant des risques d'effondrement. Nous nous sommes heurtés à une méconnaissance des collectivités sur ce sujet, car le transfert des compétences n'a pas été accompagné par celui des dossiers de réalisation d'ouvrages. Où en êtes-vous sur ce sujet de la sécurisation des ponts ?
Mme Nadine Bellurot. - Et qu'en est-il du Centre national des ponts de secours, qui est un bien précieux ?
M. Pascal Berteaud. - Merci beaucoup. Il existe un continuum entre l'ingénierie de base et l'expertise la plus pointue. Aujourd'hui, la plupart des collectivités disposent des compétences nécessaires pour refaire une place d'église, projet à la fois basique et traditionnel. La difficulté réside cependant dans la complexification des sujets. Il est bien plus difficile aux collectivités d'anticiper l'impact du changement climatique sur trente ans, par exemple. Malheureusement, tout le monde ne peut pas se payer une telle expertise.
Je prends l'exemple des ponts. Le CEREMA est l'expert français en la matière, avec 300 personnes dédiées à ce sujet. Néanmoins, nous n'avons qu'une vingtaine d'experts de niveau international, soit un ou deux par région. En vérité, il est nécessaire de mutualiser les expertises ; la multiplication du nombre d'experts n'est ni soutenable financièrement, ni utile. Il faut organiser tout un quantum entre l'expertise au niveau national, l'expertise des collectivités et l'expertise privée.
Nous travaillons ainsi avec les syndicats des ingénieristes privés. Nous avons signé une convention avec Syntec Ingénierie, qui dispose d'un représentant au conseil d'administration du CEREMA, mais aussi avec Synov, qui regroupe de plus petits bureaux d'études. Nous travaillons avec eux à la formation des bureaux d'études, puisque les compétences constituent le fond du sujet. Nous jouons un rôle de formation et de diffusion des compétences.
Par ailleurs, nous terminons notre programme Ponts 1, réservé aux collectivités dites « ATESAT ». Nous aurons ainsi expertisé entre 45 et 50 000 ponts situés dans des collectivités de petite taille. En six mois, nous en avons touché 12 000 sur 28 000, faute de contact avec les mairies. L'expertise était gratuite, mais nous avions besoin d'un contact et d'un accord préalable. Nous visions plutôt les 20 000 communes.
Ce résultat nous amène à créer un programme Ponts 2, puisque vous avez eu l'extrême délicatesse de nous voter des crédits supplémentaires. Sur les 50 millions d'euros alloués, 10 seront utilisés pour bâtir ce programme Ponts 2 et approcher les collectivités n'ayant pas répondu au premier. Nous travaillons également à un programme de subventionnement des travaux pour les communes, en ciblant les ouvrages les plus impactés.
En effet, sur les 45 000 ponts que nous avons expertisés, 25 % nécessitent des travaux et 8 % des mesures immédiates : fermeture, diminution du tonnage, etc. La grande majorité des ouvrages est cependant de petite taille ; le montant moyen des travaux de remise aux normes s'élève ainsi à 150 000 euros par ouvrage.
Le Centre des ponts de secours, quant à lui, a été transféré du ministère au CEREMA depuis le 1er janvier 2021, ce qui fonctionne relativement bien.
Concernant les guichets uniques, je vous rejoins tout à fait quant au rôle du préfet et du sous-préfet : il ne peut y avoir une multitude de guichets pour les collectivités. Cependant, mis à part quelques individualités, le préfet ne possède pas de culture technique.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Tout comme le maire, Monsieur le directeur.
M. Pascal Berteaud. - Certes, mais si le maire s'adresse au sous-préfet sur un sujet technique, il faut mettre en place auprès de la préfectorale des équipes capables de conseiller techniquement les élus, mais aussi former les préfets et les sous-préfets. Le point d'entrée ne peut être que celui-ci, mais il faut réorganiser l'État en conséquence.
Mme Françoise Gatel, présidente. - La semaine dernière, dans cette même salle avec mon collègue Rémy Pointereau, le Sénat et le gouvernement ont signé une charte d'engagement portant sur la simplification, et plus précisément sur la fabrique de la loi et la mise en place d'un process sécurisant sa qualité.
La simplification doit relever du réflexe s'agissant des élus locaux, qui sont des généralistes, des encyclopédies ignorantes. Le maire n'a pas d'expertise technique : il est capable d'identifier les sujets relevant de son champ de compétence. Le guichet unique doit être la préfecture ou la sous-préfecture au sens où celle-ci doit pouvoir comprendre, comme le maire, qu'elle fait face à un sujet technique et interpeller le CEREMA ou d'autres organismes. Même si ce n'est pas ce que vous avez dit, la compétence technique ne doit pas se trouver à la préfecture et au CEREMA.
Pour reprendre les termes de ma collègue Nadine Bellurot, la préfecture est une sorte de gare de triage, un front office qui amène la ressource permettant d'accompagner le maire.
M. Pascal Berteaud. - Il faut un minimum de compétences techniques au niveau du département. Je vous rejoins tout à fait sur la gare de triage.
J'ai été directeur de l'eau entre 2002 et 2008 : la réglementation sur l'eau est d'une complexité épouvantable. Nous avons lancé une démarche de simplification, cependant il en est remonté un dispositif plus compliqué encore.
En réalité, le dispositif réglementaire est compliqué en France, car nous sommes dans un pays très cartésien dans lequel la loi traite tous les cas. Ainsi, derrière chacune des lignes du Code de l'environnement consacré à l'eau, se cache une protection particulière. Toute simplification donne dès lors plus de pouvoir d'appréciation au maire et au juge. En effet, ces sujets quotidiens finissent tous en justice.
En réalité, pour simplifier, il faudrait changer le système de justice administrative. Le droit anglo-saxon est bien moins fourni que le nôtre, parce qu'il fournit plus de pouvoir d'appréciation au juge. Or, aux États-Unis, les juges sont élus.
Je reviens sur la répartition géographique des adhésions : elles couvrent assez bien le pays, même s'il existe un effet «diagonale du vide» que nous essaierons de compenser, d'autant que le système d'adhésion débute tout juste. Dans deux ou trois ans, nous aurons naturellement 1 000 ou 1 500 adhérents.
Néanmoins, le niveau d'attente des collectivités nous a impressionnés. Nous devons nous montrer à sa hauteur, notamment en mobilisant nos équipes. Nous croyons beaucoup à ce modèle. Il n'est plus possible de séparer les services de l'État de ceux des collectivités pour des raisons économiques. Les moyens techniques doivent donc être partagés.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Vous avez raison : la rareté de l'argent nous conduit à être inventifs pour trouver des solutions. Nous sommes aujourd'hui naturellement amenés à être efficaces et à optimiser la dépense publique.
Nous ne cessons de dire qu'il faut plus d'argent ; néanmoins, notre pays se trouve dans une situation financière relativement préoccupante. La dépense publique doit donc être pertinente.
Les normes, entre 2017 et 2021, ont coûté près de trois milliards d'euros. La norme est nécessaire, car elle définit un cadre. Cependant, la simplification sonne comme un rêve erroné car notre société est elle-même complexe. Mais la complexité n'est pas la complication. Nous devons prendre en compte des objectifs environnementaux, de sécurité, de libertés publiques, etc., qui contraignent notre cadre d'intervention. L'organisation, si complexe soit-elle, ne doit pas se compliquer au point d'empêcher l'action. C'est la pertinence de la réponse apportée aux collectivités qui compte. Il faut sans doute travailler de manière plus agile, en réseau et en intelligence, d'où la nécessité d'épauler les collectivités.
Je crois beaucoup aux leçons apprises de la crise sanitaire : il faut un chef d'orchestre. Celui-ci ne joue pas du violoncelle à la place du violoncelliste ; il harmonise, coordonne et rend l'action pertinente. Les contributions mises au service des collectivités doivent être organisées de cette manière. L'organisation se plie ensuite à l'exigence d'efficacité que nous partageons.
Parfois, les organisations ont des courbatures : elles sont tordues à force d'être remaniées. Mais les courbatures doivent servir l'effort. Vous avez raison de souligner qu'une fusion ne crée pas forcément de miracles. Cependant, les difficultés ne doivent pas nous conduire à l'inaction.
Je voulais vraiment vous remercier, Monsieur le directeur, de votre venue aujourd'hui. Nous nous intéressons à tout, car nous travaillons sur les nombreuses compétences des collectivités. Même si beaucoup de nos collègues ont été empêchés, je suis très heureuse que cet échange se soit tenu, compte tenu de votre expertise. Si le Sénat est amené de nouveau à faire des propositions en matière d'organisation dans votre champ, nos suggestions et réflexions ne sauraient en aucun cas, compte tenu de votre envie de servir l'intérêt général, être considérées comme un châtiment. Il est important que nous dialoguions de manière libre et franche pour que nos collègues des différentes commissions partagent cet échange, sur un sujet extrêmement technique mais situé au coeur de nos préoccupations. Je pense aux traits de côte, aux mobilités, à la sécurité et à l'environnement.
Merci beaucoup.
Désignation de rapporteurs
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je pose une question rapide à mes collègues.
À la suite du projet de loi de finances, le gouvernement a entamé une réflexion sur les communes nouvelles. La Cour des comptes, que nous avons auditionnée hier, a confirmé que leur création devait rester aux mains des élus locaux et être encouragée. Nous proposons une mission complémentaire à celle déjà conduite, à savoir un rapport flash auprès des communes nouvelles afin d'en dresser un bilan et une évaluation. Je vous propose que ce rapport soit réalisé par notre collègue Éric Kerrouche et moi-même.
La proposition est acceptée.
Souhaitez-vous désigner nos collègues Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin comme rapporteurs officiels de la mission d'information sur les collectivités et la transition environnementale ?
Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin sont désignés rapporteurs.
Questions diverses
Mme Françoise Gatel, présidente. - Chaque année nous effectuons un voyage «hors les murs». L'année dernière, nous étions partis dans la Nièvre. Je vous propose, cette année, de nous rendre dans les îles du Ponant, ces îles du littoral atlantique ou méditerranéen n'ayant pas de continuité territoriale, puisqu'elles ne sont pas reliées par des ponts au continent. Il existe une association des îles du Ponant. Par ailleurs, nous avons reconnu dans la loi 3DS leur spécificité, puisque leur vie dépend de la capacité des bateaux à les desservir.
Pour que ce voyage soit réalisable dans un temps raisonnable, il se pourrait -sous réserve de votre accord- que nous allions à Ouessant au mois de mai ou de juin. Nous parlons beaucoup de ruralité au Sénat, mais l'insularité est un véritable enjeu.
Merci, mes chers collègues, Merci, Monsieur le directeur.
La réunion est close à 10 heures 20.