- Jeudi 9 mars 2023
- Simplification des règles et normes applicables aux entreprises - Audition de M. Fabien Raynaud, président-adjoint de la section du rapport et des études du Conseil d'État, et M. Charles Touboul, maître des requêtes au Conseil d'État, directeur des affaires internationales, stratégiques et technologiques au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rapporteur pour l'étude annuelle 2016 du Conseil d'État : « Simplification et qualité du droit »
- Simplification des règles et normes applicables aux entreprises - Audition de M. Laurent Grandguillaume, expert des mutations du travail et de l'emploi, des stratégies des organisations et de la gestion de crise, ancien député, ancien co-président du Conseil de simplification pour les entreprises, et M. Thierry Mandon, ancien secrétaire d'État à la simplification
Jeudi 9 mars 2023
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Simplification des règles et normes applicables aux entreprises - Audition de M. Fabien Raynaud, président-adjoint de la section du rapport et des études du Conseil d'État, et M. Charles Touboul, maître des requêtes au Conseil d'État, directeur des affaires internationales, stratégiques et technologiques au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rapporteur pour l'étude annuelle 2016 du Conseil d'État : « Simplification et qualité du droit »
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. -Nous nous retrouvons aujourd'hui pour une deuxième séquence d'auditions en réunion plénière, dans le cadre de la mission sur la simplification des normes applicables aux entreprises, confiée à Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Pierre Moga et Olivier Rietmann.
Les auditions précédentes ont mis en évidence plusieurs éléments : la nécessité d'un portage politique fort de la simplification ; la simplification comme préalable à la numérisation, qui ne peut s'y substituer ; l'énorme gisement de compétitivité pour notre économie ; l'éclatement de la politique de simplification entre plusieurs acteurs : Secrétariat général du Gouvernement, Direction interministérielle de la transformation publique, Conseil d'État, Parlement et enfin, les carences en matière d'évaluation ex- post, mais aussi les insuffisances des études d'impact, que constate régulièrement le Conseil d'État.
Ce dernier a rédigé plusieurs rapports dont un, en 2016, sous la coordination de M. Charles Touboul, que nous accueillons ce matin, consacré à la « simplification et qualité du droit », dans le cadre de la section du Rapport et des Études, dont vous êtes président-adjoint, M. Fabien Raynaud. Nous nous focalisons, avec ce rapport, sur les entreprises et les normes les concernant. Ces dernières semblent moins bien traitées que les collectivités territoriales qui disposent, avec le Conseil national d'évaluation des normes, d'un relais. La situation est inverse en Europe.
Messieurs, pourriez-vous nous indiquer quelles sont, parmi les préconisations de votre rapport de 2016, celles qui ont été suivies, et celles qui ont au contraire ont été négligées et pour quelles raisons ? Que faudrait-il faire pour rendre la règlementation concernant les entreprises si ce n'est moins lourde, à tout le moins plus efficace, c'est-à-dire adaptée à la réalité économique et proportionnée à la taille de l'entreprise ?
Je précise qu'à l'issue de cette audition, nous vous demanderons de bien vouloir envoyer vos réponses au questionnaire qui vous a été adressé.
M. Fabien Raynaud, président-adjoint de la Section du rapport et des études du Conseil d'État. - Le Conseil d'État s'intéresse depuis très longtemps aux problématiques de simplification des normes et sans doute a-t-il été assez pionnier dans le domaine, notamment avec le rapport de 1991 qui soulevait, il y a trente ans, le problème de l'inflation normative et des risques que celle-ci faisait peser sur la cohésion sociale. Il contenait en effet des phrases assez fortes sur le fait que les usagers, c'est-à-dire les personnes et les entreprises, pouvaient légitimement ressentir de la colère face à l'obligation qui leur était faite de « ne pas ignorer la loi » alors que celle-ci devenait impossible à connaître du fait de ses changements, son instabilité, son inflation. Le Conseil d'État faisait déjà un certain nombre de préconisations, notamment l'élaboration d'un rapport de faisabilité pour chaque loi ou bien les nécessités de formation juridique des fonctionnaires. Après ce rapport de 1991, il a rappelé ce message à plusieurs occasions, notamment dans le rapport annuel de 2006 qui a insisté sur cette question de la simplification. Cette antériorité est à la fois à mettre à l'actif du Conseil d'État mais peut être aussi à son passif car force est de constater que, malgré ces rappels anciens et répétés, la question de la simplification demeure entière, comme le montre l'étude à laquelle procède votre délégation.
« Nous avons en France plus de loi que le reste du monde ensemble », se plaignait déjà Montaigne, que nous citions dans le rapport de 1991. Le problème français ne date pas d'hier, il est lié à des causes profondes comme notre culture du droit écrit, la force symbolique de la norme et notamment de la loi. C'est quelque chose qu'il faut avoir à l'esprit parce que cela influence les remèdes que l'on peut envisager pour répondre aux difficultés. En France, le texte du législateur a tendance à être un peu « performatif ». Peut-être savez-vous que nous sommes en train de mener une étude qui porte sur le dernier kilomètre des politiques publiques. Le terme est évolutif mais l'idée est de s'attaquer au problème de la simplification avec une autre logique que celle de nos précédentes études, en partant du point de vue de l'usager. Qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui pose problème ? Quels sont les bons exemples, quelles sont les erreurs à ne pas rééditer ? Etc. Ce travail me semble intéressant par rapport à cette problématique de la simplification, car nous essayons d'aborder le sujet autrement.
La dernière chose que je voudrais dire est plus personnelle. Vous l'avez dit en introduction : l'idée de réduire de façon drastique la masse des normes paraît peu réaliste dans nos sociétés complexes. En revanche, la question de savoir sur qui l'on fait peser le poids de la complexité me semble une des clés d'entrée sur le sujet, l'idée étant de tendre vers une situation dans laquelle la complexité ne repose pas sur l'usager - entreprises ou personnes privées - mais plutôt sur les experts, c'est-à-dire l'administration, le juge etc. À ce sujet, une décision de section du 9 décembre 2022, « Commune de Saint-Herblain » vient justement de renverser une jurisprudence ancienne. Désormais, lorsqu'une commune réclame à un pétitionnaire, - c'est-à-dire quelqu'un qui demande une autorisation d'urbanisme, au sens large -, de produire des pièces supplémentaires qui ne figurent pas dans la liste exhaustive définie dans le code de l'urbanisme, cette demande n'a pas pour effet d'interrompre le délai qui fait naître une décision tacite d'acceptation. Pour les pétitionnaires, cette situation est plus simple et plus claire : si leur dossier comporte tous les éléments requis par le code, ils savent qu'à l'issue du délai d'instruction naîtra une décision favorable. Évidemment, cela fait reposer les difficultés sur les services instructeurs, qui se demandent parfois s'ils ont besoin de tel ou tel élément, mais on voit bien l'effort qui est fait pour faire reposer la complexité sur l'administration plutôt que sur le pétitionnaire.
M. Charles Touboul, maître des requêtes au Conseil d'État, directeur des affaires internationales, stratégiques et technologiques au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rapporteur pour l'étude annuelle 2016 du Conseil d'État : « Simplification et qualité du droit ». - En 2016, nous nous sommes vraiment posé la question de savoir s'il fallait une étude de plus sur la simplification, et sans doute vous êtes-vous posé la même question. Une étude de plus, pour quoi faire ? Et en même temps, on ne peut absolument pas se résigner à la situation actuelle. Dans les réflexions préalables à l'étude de 2016, il y avait une volonté d'apporter quelque chose d'utile et de concret sur la simplification des normes en général, et des normes pour les entreprises en particulier. Ce qui était assez novateur en 2016 pour le Conseil d'État, c'était de se fixer des objectifs à lui- même, de prendre des engagements publics et de veiller à les mettre en oeuvre.
Un certain nombre de propositions ont été faites, toutes n'ont ont pas été concrétisées. Mais tous les engagements reposant directement sur le Conseil d'État ont été tenus. Le premier d'entre eux, qui nous tenait particulièrement à coeur lorsque nous avons fait cette étude, était d'objectiver les choses, car vous savez qu'en matière de simplification, on parle de nombreux phénomènes, différents, qui n'ont pas forcément grand-chose à voir les uns avec les autres. S'agit-il d'un problème de quantité, s'agit-il d'un problème de complexité de la norme, de son instabilité ou bien encore de ressenti sur la norme ? Tous ces éléments entretiennent des relations les uns avec les autres et, en même temps, chacun est un peu différent de l'autre. Dans ce travail d'objectivation, le premier point qui s'est présenté était peut-être le plus simple et pourtant, il n'était pas fait en 2016 : il s'agissait de la mesure quantitative de la norme. Mais de quoi parlions-nous ? Qu'est-ce que le stock des normes, qu'est-ce le flux des normes en quantité, sans même se poser la question de la charge qu'elles représentent - qui est une question beaucoup plus délicate - ? Comment mesurer cette fameuse inflation normative ?
Dans l'étude de 2016, nous avons clairement posé la question, et nous sommes rendus compte qu'il avait déjà eu des tentatives de mesure, mais qui n'avaient pas été pérennisées. Notre première proposition a été de dire que le Gouvernement devait se mettre en situation de mesurer la production normative d'un point de vue purement quantitatif. Cette préconisation a fait son chemin et suscité une petite étude en 2018 sur la mesure de l'inflation normative, dont j'étais également le rapporteur, et sur laquelle nous avons travaillé étroitement avec le secrétariat général du Gouvernement. Quel était le critère pertinent pour des choses extrêmement triviales : est-ce qu'on compte en nombre de lois, ou de décrets ? Est-ce que l'on compte en nombre de pages de Journal officiel ou en nombre de mots ? Ces questions en apparence peu ambitieuses sont essentielles pour obtenir une mesure fiable. L'étude de 2018 a ainsi permis de bâtir le corpus méthodologique pour le faire. Chaque année, depuis, le secrétariat général du Gouvernement nous fournit une photo annuelle de la production normative extrêmement fine, secteur par secteur, vecteur par vecteur. Cela n'est certainement pas la réponse à tous les maux, mais c'est un préalable qui a le mérite d'exister et dont nous devons nous nourrir.
La mesure de la charge administrative est un sujet connexe, qui relève d'une appréciation qualitative plutôt que quantitative. Vous déplorez, dans les documents transmis préalablement à cette audition, nos piètres performances en la matière. Pour être meilleurs, il nous faudrait de meilleurs outils de mesure de cette charge administrative. Si le travail n'a pu être mené au Conseil d'État, en toute franchise, c'est aussi parce que nous sommes plus loin de nos bases. Mesurer l'impact économique, social et parfois environnemental d'une norme n'est plus du droit. Nous sommes de bons contrôleurs, mais pas des « faiseurs », et de ce fait, sommes moins armés pour faire des préconisations dans ce domaine. Cela étant, des travaux ont été menés également par le secrétariat général du Gouvernement et il y a notamment sur Legifrance deux outils à la disposition des administrations centrales -puisque ce sont elles qui rédigent en premier lieu les études d'impact avant qu'elles ne soient contrôlées - pour évaluer la charge qui s'attache à une norme : le premier évalue le temps que met une entreprise ou un usager pour d'abord découvrir la norme, y accéder, la lire, la comprendre. Ensuite, le temps nécessaire pour mettre en oeuvre une obligation déclarative type, une obligation de demander une autorisation préalable, ou de faire du reporting à l'administration. En ce sens, il y a eu un véritable effort d'identifier les différentes tâches qui peuvent peser sur les usagers, individus, entreprises ou collectivités locales, sur lesquelles je reviendrai. Ce travail mené permet de cadrer un peu les travaux d'étude d'impact : nous avons une sorte de corpus « administrativo- scientifique » pour objectiver ce travail et faire en sorte qu'il soit mené de manière sérieuse.
S'agissant des études d'impact, le problème des outils de mesure me paraît donc largement réglé. Le problème fondamental des études d'impact, c'est qu'elles sont très souvent rédigées pour les besoins de la cause, une fois qu'on a pris la décision politique de faire une loi. Leur crédibilité est donc en jeu, profondément, mais c'est un problème éminemment politique. Heureusement, nous savons qu'elles seront regardées avec soin et intérêt par les assemblées parlementaires, en particulier par la première qui est saisie du texte. Mais on sait que dès le premier amendement adopté, l'étude d'impact est périmée.
Un dernier point : en 2015, lorsque nous avons commencé à travailler sur l'étude de 2016, nous étions en train de créer un comité « impact entreprise » pour mesurer spécifiquement la charge des normes sur celles-ci. Ce comité n'a pas été prolongé. Par conséquent, dans le rapport de 2016, nous avons proposé de faire vivre un comité « impact entreprise » dans un cadre plus général, directement inspiré du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Il permettait à leurs principaux destinataires, les collectivités territoriales en premier lieu, mais aussi les entreprises et les usagers, de se prononcer sur l'impact des normes que le Gouvernement se proposait de prendre ou de présenter au Parlement. Cette proposition est toujours d'actualité, mais son devenir relève d'un choix politique et pour l'instant, elle n'a pas été mise en oeuvre par le pouvoir politique. C'est évidemment son droit le plus strict : le Conseil d'État, et particulièrement la section du rapport et des études, fait des propositions et il appartient au pouvoir politique de s'en saisir ou pas.
M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Le rapport de 2016 proposait de définir une méthode de calcul de la charge administrative qui s'attache à toute nouvelle norme. La question qui se pose en 2023 est : pourquoi n'y sommes-nous pas parvenus, alors que nos voisins européens, l'Allemagne en particulier, ont réussi ? Qu'est-ce qui bloque chez nous ? À vous entendre, il semble que nous ayions une partition écrite : quand entendrons-nous sa musique ?
Par ailleurs, il m'est arrivé, en tant que rapporteur sur ce sujet qui ne m'était pas familier, de me poser cette simple question : qu'est-ce qu'une norme ? On voit bien qu'elles ont des origines diverses : l'Assemblée nationale et le Sénat, mais aussi les normes ISO, etc...Comment le législateur peut-il intervenir dans la simplification d'une norme dont il n'est pas l'auteur ?
Enfin, vous évoquez un changement de perspective, le fait de partir de l'usager. Est-ce cette approche qui a été suivie pour la création du guichet unique ? S'agissant de l'INPI (Institut National de la Propriété Industrielle), on constate beaucoup de difficultés dans nos territoires.
M. Charles Touboul. - S'agissant de votre première remarque, je me permets de vous apporter une précision : dans le cadre de l'étude de 2016, un référentiel a été réalisé. Nous avons fait des comparaisons internationales en nous rendant en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni. Nous avons également tenté de nous inspirer des travaux de l'OCDE et de la Commission européenne. Le constat d'ensemble est qu'en termes d'évaluation et de mesure de la charge des normes, chacun cherche un peu un modèle.
Le guide méthodologique pour calculer l'impact économique et financier de la norme, élaboré par le secrétariat général du Gouvernement et proposé aux administrations françaises, n'est peut-être pas sophistiqué, mais offre une approche concrète. Il permet de mesurer vraiment la charge qui s'attache à une norme. Ainsi avec cet outil, sur mon ordinateur, s'affiche une rubrique « durée des tâches administratives », par exemple pour « se familiariser avec une obligation d'information », vous avez trois colonnes : facile - 3 minutes, modéré - 15 minutes, complexe - 120 minutes. Ces calculs sont prolongés sur les coûts salariaux : vous avez le coût en fonctionnaire en fonction du temps qu'il passe à faire des tâches, le coût pour l'entreprise selon la catégorie : cadre, employé, ouvrier, professions intermédiaires.
Comme je vous le disais, ce n'est pas le coeur de métier du Conseil d'État, j'en parle avec beaucoup d'humilité et n'ai aucune responsabilité dans ce document, mais je le trouve plutôt bien fait. Car si la complexité ne doit pas peser sur l'usager, elle ne doit pas non plus décourager l'administration de jouer le jeu. À cet égard, ce document d'une page me semble raisonnable, si l'on veut que l'administration s'en saisisse et l'utilise. Je ne suis pas certain que si nous avions réalisé une sorte de somme théologique comme nos amis britanniques ou allemands, nous aurions la même efficacité.
Vous nous avez aussi interrogés, avant l'audition, sur le devenir du « Dites-le nous une fois ». Il y a un an ou deux, la Direction interministérielle du numérique a fait des propositions pour avancer sur ces sujets, et tous les ans de nouvelles démarches sont intégrées dans le périmètre du « Dites-le nous une fois ». Le dernier bilan remonte à fin 2020, il y avait alors 35 nouvelles démarches intégrées. Il n'y a pas eu beaucoup de communication publique sur ce sujet, mais l'administration essaye d'avancer sur ces différents champs, et d'améliorer la vie des gens au quotidien, même si on est encore sans doute loin du compte.
Quant au fait de raisonner depuis l'usager d'une manière générale, je crois que c'est vraiment maintenant intégré à peu près partout. Ce que je crois beaucoup, c'est qu'il revient à chacun de prendre ses responsabilités et de s'astreindre à la simplification. Dans mes nouvelles fonctions de secrétaire général de la défense et la sécurité nationale, j'ai eu récemment l'occasion de me poser la question de savoir si, pour améliorer un dispositif, on devait produire un texte ou non. Sans doute parce que je suis très imprégné par la question de simplification, j'ai choisi d'essayer, pour une fois, de me passer de texte. Pour un conseiller d'État, c'est un véritable effort, car le réflexe est celui du texte : c'est facile, cela prend quelques heures, on se dit que ça va donner une impulsion, que ça va permettre de faire avancer les choses parce qu'on a changé les règles. La vérité c'est que, comme le rappelait Fabien Raynaud en citant Montaigne, beaucoup de gens ne regardent plus la norme depuis longtemps, que ce soient des entreprises ou des usagers. On ne s'en préoccupe plus vraiment, et donc la changer n'a pas d'impact. Changer les pratiques, parfois changer une circulaire, un message, une communication publique, une page de site internet, faire passer d'autres idées par les administrations qui sont au contact du public est beaucoup plus difficile à faire mais beaucoup plus efficace et on arrive à le faire sans texte.
À l'Ena, où j'enseigne depuis 15 ans, et à l'INSP (Institut national du service public) qui l'a remplacé, on a mis en place une séance dédiée à la simplification et on essaie d'expliquer que la première chose à faire est de produire moins de normes, et quand on en fait, de les faire plus simples. Et puis, d'écouter les usagers sur la manière dont elles peuvent être reçues.
La clé n'est pas dans un grand soir de la simplification : cela a été tenté mille fois et personne n'y est jamais vraiment parvenu. En revanche, tous ceux qui ont une parcelle de la responsabilité de ce champ, le Conseil d'État, les administrations centrales, les assemblées parlementaires, peuvent se fixer des engagements, prendre de bonnes résolutions pour simplifier la vie des gens. Cela peut être un engagement de faire moins de projets de loi, ou moins de décrets - c'est ce que j'essaie de faire en ce moment au SGDSN -, peut-être moins d'amendements. Ne pas faire de grands plans, mais simplement se dire, pour ce qui relève directement de sa responsabilité personnelle, je m'astreins et m'engage à faire ceci et cela en matière de simplification. Cela serait déjà un grand progrès.
M. Fabien Raynaud. - Monsieur le rapporteur, vous posez une question redoutable : pourquoi, malgré nos efforts, malgré nos rapports, est-ce que ça ne fonctionne pas ? Je vous ferai deux réponses.
Si l'on a du mal à mettre en musique, c'est d'abord et avant tout en raison de la complexité de la tâche, dont voici une illustration. Il y a quelques années, j'ai présidé un groupe de travail au Conseil d'État sur la transposition des directives et on se disait qu'il fallait arrêter de sur-transposer, qu'il fallait faire comme les Britanniques qui transposaient systématiquement a minima. Je ne vais pas paraphraser de Gaulle « Vers l'Orient compliqué avec des idées simples », mais il est vrai que de prime abord cela paraissait une bonne piste. Or, quand on a creusé le sujet et auditionné les représentants des entreprises, on s'est rendu compte que c'était beaucoup plus complexe, parce qu'il y a différents types de sur-transposition. Prenons un exemple concret. Quand vous avez un régime juridique qui en France est unifié, et que ce régime juridique est partiellement modifié par une directive européenne, on est confronté à la difficulté, soit de transposer a minima et, à ce moment-là, de dés-unifier le régime juridique français, ou alors, d'étendre le dispositif de la directive au-delà de ce qu'elle exige au sens strict, pour garder l'unité du régime juridique en question. C'est un exemple que l'on retrouve dans de nombreuses configurations, au-delà du fait que la France -contrairement à la Grande-Bretagne quand elle était membre- est généralement demandeuse de réglementation européenne « ambitieuse », donc « réglementante ».
La deuxième cause que j'identifie, et qui est très présente dans notre étude actuelle sur le dernier kilomètre, est assez systémique, il s'agit d'un problème de confiance : nous sommes dans un pays dans lequel le degré de confiance les uns vis-à-vis des autres est assez faible, et par conséquent on veut tout réglementer et tout écrire.
Ensuite, qu'est-ce qu'une norme ? La question mérite en effet d'être creusée. Les normes ISO constituent un gigantesque continent ; j'ai eu l'occasion de m'en apercevoir lors d'un contentieux, qui est d'ailleurs rare à leur sujet. Est-ce dû à leurs modalités très particulières d'élaboration, c'est-à-dire le fait de mettre autour de la table les acteurs d'un secteur en visant le consensus ? Mais qu'est-ce qu'un consensus, puisqu'en l'espèce, la norme avait été adoptée alors qu'une partie de ceux qui avaient participé à son élaboration y étaient opposés ?
Autre débat intéressant, cet autre étage de normes qui correspond à une forme de normalisation de droit souple -selon l'expression d'usage au Conseil d'État, et qui englobe tout le dispositif de vérification de la conformité aux règles et normes, encore appelé compliance. Il a tendance à se développer beaucoup, encore tout récemment au niveau européen avec les règlements Digital Market Act (DMA) et Digital Service Act (DSA). Ces règlements reposent beaucoup sur une logique de compliance, c'est-à-dire que l'on dit aux réseaux sociaux « Voici les obligations auxquelles vous êtes astreints, à vous de vous débrouiller pour les mettre en oeuvre et montrer que vous êtes capables d'assurer une modération efficace ». Avec une logique qui est aussi intéressante dans cette affaire : tant le DMA que le DSA reposent sur l'idée qu'il faut être très exigeant avec les très grandes plateformes, modérément exigeant avec les plateformes de taille moyenne, et très peu avec les petits, donc une idée du principe de proportionnalité auquel le droit européen est très habitué mais avec lequel nous sommes moins familiers. L'idée d'avoir une norme « à géométrie variable » heurte les conceptions traditionnelles du droit français mais malgré nos questionnements, il me semble que la chose mérite d'être regardée.
S'agissant du guichet unique de l'INPI, nous avons auditionné son directeur général qui nous a rapporté les difficultés et les actions menées pour tenter d'y remédier. Ce qui nous apparaît de manière assez frappante dans l'étude sur le dernier kilomètre, et l'histoire du guichet unique en est l'illustration, c'est la tendance que nous avons à ne pas apprécier l'expérimentation, le test. C'est compliqué, cela met en en cause le principe d'égalité, on va entendre « Pourquoi je bénéficie du guichet unique en Seine-et-Marne et pas en Haute-Loire ? » - je prends ces exemples au hasard bien sûr. Ce qui nous manque, très souvent, c'est l'idée qu'avant de généraliser un système, avant de faire, comme disait Charles Touboul, le grand soir de la simplification, il faut plus modestement commencer par des expérimentations, des tâtonnements et apparemment, c'est ce qui a été bien fait lors de la mise en place du prélèvement à la source. Il faudrait plus systématiquement montrer qu'on a expérimenté ou au moins testé concrètement un dispositif sur le terrain, cela serait au moins aussi utile qu'une fiche d'impact dont Charles Touboul a rappelé les conditions dans lesquelles elles sont élaborées. Il faudrait faire rentrer dans notre culture administrative l'idée qu'avant de généraliser, on teste et on essaye de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Je suis agréablement surpris du travail dont vous nous faites part, notamment de votre préoccupation du point de vue de l'usager. J'ai été maire à l'époque de la simplification du code de l'urbanisme, dont il est revenu beaucoup plus épais qu'avant cette dite « simplification ». De 1 500 pages, il est passé aujourd'hui à 3 000.
Ce que je voudrais savoir, c'est si on fait le ménage lors de l'arrivée de nouvelles normes, c'est-à-dire est-ce que l'on en supprime en même temps ?
M. Charles Touboul. - Des dispositifs ont en effet été mis en place, notamment une circulaire de 2017, intitulée le « 2 pour 1 » ou le gage des normes. Comme son nom l'indique, elle oblige à supprimer deux normes anciennes pour adopter une norme nouvelle. Il y a également une version dégradée qui consiste à dire qu'on tolère, lorsqu'on a une norme nouvelle, au moins la simplification de normes anciennes. Ce dispositif, qui fonctionne au niveau réglementaire sous le contrôle du secrétariat général du Gouvernement, produit des résultats. Ce qui en limite l'ampleur est l'« assiette » des textes concernés : seuls sont concernés les règlements autonome, qui sont totalement de l'initiative du Gouvernement et complètement à sa main - l'application de la loi ou la transposition de directives en sont exclues. Or, ces règlements représentent en réalité une part infime de la production normative.
Ce qui nous a frappé au cours de l'étude de 2016, c'est une forme de ce qu'on pourrait appeler « ruissellement des normes » ou « cascade de normes ». Une directive européenne ou un règlement européen produisent de la loi nationale, qui va produire du décret en Conseil d'État, parfois du décret simple, très généralement de l'arrêté ministériel, parfois plusieurs arrêtés ministériels, bien souvent des déclinaisons préfectorales. Tout cela va amener des circulaires ministérielles, des circulaires préfectorales, et des circulaires dans tous les organismes qui vont devoir appliquer la norme. Ainsi, chaque mot écrit en haut de la hiérarchie des normes en produit des dizaines aux étages inférieurs : il faut bien avoir à l'esprit ce coefficient multiplicateur. Au niveau européen, ce constat est très présent, tout le monde sait comment ça se passe. Et pourtant la France elle-même est très moteur pour dire « il faut que la construction européenne progresse, ne nous arrêtons surtout pas, intégrons-nous de plus en plus, harmonisons les politiques publiques des États et surtout ne nous arrêtons pas de faire des directives ». Il y a là une espèce de schizophrénie entre le politique, l'administratif et l'usager.
La politique étant faite pour changer les choses, elle ne peut que produire de la norme qui va peser sur les administrés. Ce n'est pas à une assemblée parlementaire que je vais expliquer à quel point il est impensable de tout arrêter. En revanche, on peut rechercher un meilleur équilibre entre le statu quo et le débordement.
M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Avez-vous des chiffres concernant la circulaire « 2 pour 1 » ?
M. Charles Touboul. - Quelques dizaines de décrets ont été évités, parce que la base est extrêmement étroite. Si on veut aller plus loin et faire fonctionner le dispositif au niveau législatif, il y a deux approches : soit celle que j'ai évoqué à plusieurs reprises, celle de se fixer des engagements - le législateur et les assemblées parlementaires peuvent le faire eux-mêmes. Si l'on veut contraindre et fixer une norme, on rentre a minima dans un champ organique et probablement constitutionnel, tout dépend de la manière dont le texte est écrit.
M. Fabien Raynaud. - Le code de l'urbanisme est un bon exemple, il a effectivement beaucoup gonflé, en partie du fait de l'intégration de propositions émanant de groupes de travail, l'un d'entre eux présidé par une éminente membre du Conseil d'État, qui visaient justement à simplifier la vie des demandeurs d'autorisations d'urbanisme. En l'espèce, il s'agissait, lorsque l'autorisation d'urbanisme délivrées aux demandeurs comporte un vice qui peut être régularisé, que cette régularisation intervienne soit par un renvoi du juge vers l'administration, soit directement devant le juge avec un échange entre le pétitionnaire, l'administration et évidemment le requérant. De la même manière, plus on a précisé la liste exhaustive des documents à présenter, plus on a étoffé le code.
Enfin, par rapport au droit européen, il y a une évolution que je trouve personnellement assez intéressante mais qui suscite peut-être davantage de critiques de la part du Parlement. Il y a une vingtaine d'années, la France était très hostile à ce qu'on recourt au règlement européen et il n'y en avait quasiment pas : on était demandeur de directives à transposer. Aujourd'hui, on a beaucoup plus souvent recours au règlement : on l'a vu avec le RGPD et j'évoquais plus tôt le DMA et le DSA. C'est intéressant parce que dans certains domaines, on a intérêt à avoir un texte européen qui cadre les choses une fois pour toutes, et évite la multiplication des textes de transposition qui, outre le ruissellement dont parlait Charles Touboul, introduit pour les entreprises des différences minimes qui peuvent être lourdes de conséquences, entre ce qui a été fait en Allemagne, ce qui a été fait en France, etc. Tout cela ne fonctionne cependant qu'à condition que l'on joue le jeu, c'est-à-dire que lorsque l'on met notre droit en conformité avec le règlement, on le fasse a minima. Quand j'entends dire que le projet de loi sur le DMA et le DSA fait une centaine de pages, je ne l'ai pas vu et peut-être est-ce justifié, mais il convient d'être prudent. Si un règlement se traduit par une nouvelle couche de droit français, on perd sur tous les tableaux.
M. Serge Babary, président. - Une remarque avant de conclure. Notre délégation va souvent à la rencontre des entreprises dont les revendications évoluent. À une époque, la fiscalité et l'ampleur des charges étaient au coeur de ces dernières. Aujourd'hui, c'est le poids de la réglementation qui est dénoncé, dont on nous accuse de contribuer à leur développement, même si les entreprises sont parfois enclines à en demander.
Concrètement, le METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) nous indique que les entreprises de plus de 250 salariés doivent intégrer 700 nouvelles normes par an, avec un stock actif qui serait de 400 000 normes, le reste étant obsolète. C'est beaucoup ! Imaginez ce que cela représente pour de plus petites entreprises, qui n'ont ni service dédié ni les moyens de faire appel à des spécialistes. C'est cette problématique qui nous a menés à cette réflexion d'ailleurs.
M. Charles Touboul. - En 2016, nous avions auditionné des entreprises qui portaient déjà ce message. Au-delà même de la quantité et de la complexité, c'était l'instabilité des normes qui exaspérait. On nous a très souvent dit « Il y a beaucoup de normes, elles sont presque illisibles, mais tant qu'elles ne bougent pas, on apprend à vivre avec ».
Des dispositifs ont été mis en place, avant même le rapport de 2016 d'ailleurs, notamment les fameuses « dates communes d'entrée en vigueur » : on a fixé un calendrier et regroupé les entrées en vigueur des normes applicables aux entreprises à quelques dates clés dans l'année. Le but était d'éviter aux entreprises la consultation anxieuse du Journal officiel tous les matins, en se demandant ce qui allait leur « tomber » dessus, pour reprendre leur expression. Les dates communes proposées sont indicatives pour l'administration, mais elles sont définies de manière à coller à des échéances connues par les entreprises par ailleurs, soit pour des raisons comptables, soit pour des raisons fiscales - 1er avril, le 1er juillet -, c'est-à-dire des dates qui sont assez intuitives pour les entreprises. Désormais, elles savent quand s'attendre à l'arrivée d'un bloc de normes qu'elles devront mettre en oeuvre et je pense que ce dispositif les a aidées. Il y a bien sûr d'autres choses à faire, mais cette initiative mérite d'être évoquée car elle est dédiée aux entreprises et fonctionne depuis maintenant des années.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Ma première réflexion sera celle du rapporteur du texte sur la balance commerciale que je suis. En visitant d'autres pays, on s'aperçoit que notre administration n'est guère aidante, si on la compare à celle de l'Allemagne ou de l'Italie par exemple. Notre pays veut tout cadrer et a tendance à ajouter des contraintes qui pèsent dans la création et l'investissement des nouvelles entreprises. Alors que la balance commerciale est devenue ultra-déficitaire, on constate que nos entreprises préfèrent s'implanter à l'extérieur. S'agissant d'agriculture, une inquiétude majeure existe avec les néonicotinoïdes pour le sucre par exemple. L'Allemagne, pour sauver son industrie sucrière, re-pulvérise les néonicotinoïdes alors qu'ils sont très dangereux pour l'abeille. En France, nous n'allons plus pouvoir épandre et allons assister à la fermeture de nos propres sucreries.
Le président de la République s'était engagé à ce qu'il n'y ait plus de normes de sur- transposition. Qu'en est-il ? J'entends bien que vous réfléchissez au système pour essayer de les éviter, pour supprimer ou diminuer le nombre de normes. Mais nous n'avons plus le temps de réfléchir : il est urgent d'agir et de changer les mentalités.
Par ailleurs, comment vous expliquez que l'Allemagne et la France aient sans arrêt une interprétation différente ?
M. Fabien Raynaud. - Il y a quelques années j'ai présidé un groupe de travail au Conseil d'État sur la question des sur-transpositions. En réalité, il y a différents types de sur-transposition, et il est très difficile de lutter contre.
Par exemple, lorsqu'une directive impacte une partie d'un régime juridique unifié en droit français, au stade de la transposition se pose le problème, soit de transposer strictement la directive en perdant le caractère unitaire du régime, soit de l'étendre à l'ensemble du régime juridique pour qu'il demeure unifié, ce qui est généralement souhaité par les utilisateurs.
Une des explications à la question que vous soulevez sur les différences d'interprétation entre la France et l'Allemagne est que généralement, au début de la négociation, les deux pôles opposés sont la France et l'Allemagne - pour toutes sortes de raisons : intérêts différents, héritage historique.... Lorsque la négociation est bien conduite, ce qui est statistiquement est quand même le cas, le point d'équilibre final est un compromis franco-allemand et donc il est assez naturel qu'ensuite, chacun essaie d'interpréter le compromis avec ses lunettes, si j'ose dire, le rôle de la commission étant de veiller ensuite à ce que l'interprétation reste la même.
S'agissant des néonicotinoïdes, il s'agit d'un choix politique très fort. Il y a eu un vote au Parlement, la date d'entrée en vigueur a été reportée de deux ans. Dans ce cas, la difficulté n'est pas technique, -lié à un régime de droit unifié comme je l'évoquais - mais politique : la France ne veut pas baisser le niveau de protection des consommateurs pour s'aligner sur le compromis qui a été trouvé au niveau européen. Généralement, d'ailleurs, dans la négociation, on se bat pour obtenir la possibilité de maintenir un régime plus protecteur. Ensuite, on le maintient, ce qui constitue une forme de sur-transposition. Les Allemands ont simplement fait un choix politique différent.
M. Serge Babary, président. - Les choix politiques sont parfois dévastateurs dans les territoires : une première sucrerie ferme aujourd'hui à Beauvais. Ça commence... et les Allemands se régalent car ils vont nous livrer leur sucre depuis leurs usines situées à 200 kilomètres...
Messieurs, je vous remercie de nous avoir apporté votre éclairage.
Simplification des règles et normes applicables aux entreprises - Audition de M. Laurent Grandguillaume, expert des mutations du travail et de l'emploi, des stratégies des organisations et de la gestion de crise, ancien député, ancien co-président du Conseil de simplification pour les entreprises, et M. Thierry Mandon, ancien secrétaire d'État à la simplification
La séance est ouverte à 9 heures 45.
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. -Nous poursuivons, avec cette deuxième audition conjointe, nos travaux sur la simplification des normes applicables aux entreprises. Nous avons le plaisir d'accueillir deux acteurs du choc de simplification de 2013. En effet, vous avez, Messieurs, dans vos fonctions respectives, mis en oeuvre cette première politique globale en faveur des entreprises, dont le précédent rapport de la délégation aux Entreprises avait dressé un bilan mitigé en 2017 : monsieur Thierry Mandon, en étant chargé de la simplification au sein du gouvernement comme secrétaire d'État, et monsieur Laurent Grandguillaume, en tant que co-président avec un chef d'entreprise, monsieur Poitrinal du groupe Unibail-Rodamco, du Conseil de simplification pour les entreprises. Nous vous remercions grandement d'avoir accepté notre invitation à cette audition.
Quelles leçons tirez-vous de cette expérience ? Pourquoi l'impôt papier, c'est-à-dire le coût pesant sur les entreprises, est-il si lourd en France ? Comment l'alléger ?
M. Laurent Grandguillaume, expert des mutations du travail et de l'emploi, des stratégies des organisations et de la gestion de crise, ancien député, ancien co-président du Conseil de simplification pour les entreprises. - Je vous remercie pour votre invitation à cet échange sur le choc de simplification et l'ensemble des actions qui ont été mises en oeuvre dans ce cadre à travers le Conseil de la simplification, le secrétariat d'État à la simplification et les mesures votées par le Parlement, sur lesquelles avaient d'ailleurs travaillé les députés et les sénateurs, puisque chaque mesure, lorsqu'elle ne relevait pas uniquement du pouvoir réglementaire, faisait l'objet d'amendements ou de lois d'habilitation.
La méthode était collaborative et associait à la fois les acteurs publics, les acteurs privés et l'ensemble des experts qui pouvaient intervenir dans ces domaines. La société civile était ainsi force de proposition vis-à-vis d'un espace de dialogue et de concertation qui réunissait le monde des acteurs publics et celui des acteurs des privés, là où les entrepreneurs peinaient parfois à trouver une écoute bienveillante pour pouvoir faire part de leurs difficultés, dans un monde où les normes constituent parfois des contraintes, parfois des éléments de protection. Au niveau international, l'enjeu des normes est également très important.
Le lien avec les administrations, le dialogue permanent, l'élaboration des cinquante mesures présentées régulièrement et le suivi de leur mise en oeuvre peuvent être cités parmi les éléments qui ont bien fonctionné. De nombreuses actions ont d'ailleurs été mises en oeuvre, parfois trop, puisque les actions à l'impact moindre et les actions à l'impact très conséquent se voyaient mélangées. En effet, lorsque l'on traite de la déclaration sociale nominative et, dans le même temps, de la suppression d'une micro-taxe pouvant concerner telle ou telle activité, les enjeux diffèrent nécessairement. Cela pouvait, parfois, laisser penser à un foisonnement de dispositions et à une absence de priorisation. Pourtant tel n'était pas le cas, puisque les mesures les plus « impactantes » pour les entreprises et pour la création de gains pour l'économie faisaient bien l'objet d'une priorisation.
Pour rappel, Thierry Mandon, dès le début du quinquennat, nous avait invités à rencontrer Dan Breznitz, qui était un conseiller de Barack Obama sur les politiques industrielles. Il nous avait expliqué, avant même le lancement du chantier des simplifications, l'impact du travail réalisé aux États-Unis pour réindustrialiser le pays, s'agissant plus particulièrement de la question de la simplification des normes, mais aussi du traitement de la simplification dans les territoires, puisqu'une entreprise, par nature, a une empreinte économique, sociale et écologique dans son territoire.
Nous avons rapidement rencontré des difficultés, à un moment donné, dans le dialogue avec le secrétariat général du gouvernement, puisque nous avions initié l'idée qu'il fallait, sur chaque projet de décret et de texte réglementaire, inviter des entrepreneurs pour qu'ils puissent nous faire part des points de vigilance avant la publication de ces textes. Nous avions réussi à mettre en place un groupe de travail avec le secrétaire général du gouvernement pour étudier les potentiels impacts de telle ou telle mesure réglementaire. Ce dispositif n'a pas été pérennisé à l'aune du changement en 2017, ce qui est regrettable, car j'estime que l'impact, dans ce domaine, ne saurait être significatif sans inscription de cette politique sur le long terme.
Il est nécessaire de distinguer le « quoi », la cible que l'on souhaite atteindre pour notre économie française à travers, plus particulièrement, le renforcement de sa compétitivité, du « comment ». La mise en oeuvre de ces dispositions prend du temps, puisqu'il faut le temps nécessaire à l'élaboration, d'une part, et à la délibération, d'autre part, pour que l'impact soit durable et puisse être évalué par le Parlement à travers les différentes commissions de contrôle. Je pense que le chantier de simplification s'est avéré être une réussite, aussi bien dans son lancement que dans l'impact qui a été généré. On peut toutefois regretter l'absence d'étude d'impact sur les effets directs et indirects des mesures de simplification sur l'économie française.
Le Conseil de la simplification a par exemple soumis la décision de créer un guichet unique pour les entreprises, c'est-à-dire un espace d'information et d'échange unique, sujet que nous avions déjà identifié au moment du conflit entre les autoentrepreneurs et les artisans. Celle-ci n'a pas été mise en oeuvre, pour différentes raisons. L'élan qui avait été projeté s'est ensuite arrêté en 2017. Or, en 2021, j'ai été saisi par le gouvernement pour remettre, à la direction générale des entreprises, un rapport relatif au guichet unique. Le site entreprendre.service-public.fr a été lancé à la suite de ce rapport.
Il a fallu neuf mois pour créer celui-ci, en s'appuyant notamment sur les travaux de la direction de l'information légale et administrative (DILA), de la direction interministérielle du numérique (DINUM), de la direction générale des entreprises (DGE) et de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Ainsi, entre le moment de la prise de décision, en 2015, et de la mise en oeuvre du site, sept années se sont écoulées, car nous avons perdu près de cinq ans entre 2017 et 2022, alors que cette disposition était attendue de tous et avait été sollicitée par les entrepreneurs. Nous avons réussi, mais nous avons perdu du temps.
L'enseignement que j'ai tiré est qu'il est nécessaire qu'un changement culturel se produise et que la question du « comment », de la mise en oeuvre et de la mobilisation de l'ensemble des forces, soit inscrite dans la durée, pour que les actions déployées engendrent un véritable impact. Ce propos liminaire constitue donc un appel à la remobilisation dans ce domaine, qui est indispensable si nous souhaitons être compétitifs au sein d'une économie mondiale où foisonne la concurrence en matière de norme, de simplification pour les entreprises et d'accélération de l'innovation.
M. Thierry Mandon, ancien secrétaire d'État à la simplification. - La genèse de la politique publique de simplification pour la période 2013-2017 remonte au choc de compétitivité de 2012. Le Président de la République, via son ministre de l'Économie et des Finances, m'a alors demandé d'établir un rapport sur la simplification. J'ai commencé à l'élaborer en adoptant une vision rétrospective sur ce que la France avait accompli dans ce domaine depuis quelques années. Il est alors apparu que la politique était marquée par des phases de stop-and-go. J'ai ensuite eu la curiosité de m'intéresser à la façon dont s'y prenaient les autres pays européens. De ce travail sont ressorties plusieurs convictions que nous avons essayé de mettre en oeuvre à partir de 2013-2014.
Premièrement, cette politique publique nécessite un outil indépendant, rattaché à un membre du gouvernement, étant entendu que ce positionnement est très important : doit-il s'agir du Premier ministre, comme en Angleterre, ou du ministre de l'Économie et des Finances, comme en Allemagne ou en Danemark ?
Deuxièmement, il faut que cet outil serve une stratégie très claire. La délégation sénatoriale aux Entreprises étudie la simplification comme outil de productivité des entreprises. Tous les pays n'abordent pas la question de la simplification à travers ce prisme, ou uniquement à travers celui-ci : pour certains, la simplification vise prioritairement à servir d'outil de réduction des dépenses publiques ou d'outil de rapprochement des usagers de la puissance publique.
Troisièmement, la démarche doit être collaborative. En effet, la simplification ne s'opère pas par le biais d'une décision suprême de la part d'administrations intelligentes qui sauraient ce qui est bon pour le pays ; elle s'opère à partir de l'expérience de l'usager. Il convient ainsi de déterminer qui sont les victimes de la complexité et quel agenda ces victimes définissent-elles pour alléger leur fardeau, que celui-ci soit financier ou mental.
Quatrièmement, il faut que les objectifs de cet outil soient très précis. Il existe à ce titre des modèles très différents. Nous avions fait le choix de demander au Conseil de la simplification des entreprises d'élaborer des propositions à partir de l'agenda des acteurs. Ce dernier a alors mis en place des groupes de travail paritaires qui regroupaient des entreprises et des administrations et étaient fondés sur les moments de vie des entreprises (recruter, produire, exporter). Nous nous enquérions auprès de ces acteurs des axes de simplification qui étaient, selon eux, prioritaires.
Certains outils en Europe, comme le Normenkontrollrat (NKR) allemand, visent plutôt à formuler des avis éclairés sur des textes législatifs en amont de ceux-ci ou sur des arrêtés et des décisions administratives sur le point d'être prises. La mise en place du SMIC en Allemagne a par exemple fait l'objet d'une étude du NKR, qui a déterminé les charges et les difficultés que celle-ci générerait pour l'économie et a formulé des préconisations afin d'y parer. Au Royaume-Uni, l'outil consiste quant à lui à prendre en charge le travail de suivi et de modification des normes, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un outil d'instruction avant-vote de la simplification. Enfin, d'autres pays mobilisent cet outil comme outil d'évaluation ex ante ou ex post.
Nous avons déterminé, au vu de la situation française, qu'il convenait que nous émettions des propositions. Nous n'avons pas jugé pertinent de formuler des avis : les études d'impact n'étant pas prises au sérieux, il était peu probable que ceux-ci le soient davantage. Nous avons par ailleurs considéré qu'il était nécessaire d'amorcer la prise en charge du travail de suivi et de modification des normes, raison pour laquelle des hauts fonctionnaires siégeaient au Conseil de la simplification pour les entreprises. La dimension évaluative s'est avérée être la plus difficile à laquelle s'atteler, car nous nous sommes heurtés aux services de Bercy, qui étaient les seuls investis des compétences et des moyens pour accomplir ce travail. L'outil d'évaluation de la charge créée par les normes dont sont dotés ces services est propre à Bercy, alors que tous les pays européens sont dotés d'un outil commun, le Standard Cost Model. Celui-ci présente le double avantage d'avoir une méthodologie éprouvée et de permettre des comparaisons entre les pays européens.
Nous nous en sommes donc tenus à identifier les propositions et à prendre en charge le travail de suivi et de modification des normes. Il n'empêche que cette politique est extraordinairement innovante en matière de simplification en France et aurait mérité d'être inscrite comme une politique durable. S'il nous était octroyé ne serait-ce que la moitié des moyens de France Stratégie pour diligenter pendant dix ans une mission de simplification des normes pesant sur les entreprises, le choc de compétitivité serait considérable. La politique de simplification qui a été menée a très bien marché et j'ai jugé injuste que le rapport du Sénat ne tienne pas tout du moins compte de l'aspect innovant de celle-ci. Le Président de la République s'est personnellement investi et en effectuait un bilan tous les six mois.
Il faut une très forte volonté, une organisation adéquate et surtout une évaluation objective des gains concrets pour les entreprises. Nous avons tenté de nous atteler à cette tâche en utilisant le seul outil dont nous disposions. Le Conseil de la simplification des entreprises n'étant doté d'aucun budget permanent, nous avons seulement réussi à faire financer une petite étude qui a démontré que le gain émanant des mesures effectivement prises pouvait être chiffré à 4,5 milliards d'euros de charges en moins pour les entreprises, sachant que seul le tiers des mesures a été évalué.
En conclusion, cette politique est plus indispensable que jamais. Diminuer durablement la fiscalité pesant sur les entreprises se heurtera de plus en plus à des résistances de l'opinion publique. Au-delà de cet aspect, la diminution des recettes provenant des entreprises se traduit par la croissance du déficit public, car l'on ne parvient pas à réduire les dépenses publiques à la vitesse à laquelle on baisse la fiscalité pesant sur les entreprises. La simplification, dont les gains à venir sont considérables, constitue un véritable outil de compétitivité des entreprises, sinon l'outil privilégié. Je reste à ce titre persuadé qu'il faut reconstituer un outil et l'inscrire dans la durée, en s'interrogeant sur la pertinence d'en limiter le champ aux entreprises ou d'y inclure un volet sur les citoyens, ce qui serait selon moi souhaitable.
M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Un rapport important du Conseil d'État relatif à la simplification des normes a été établi. Il y a été préconisé d'associer les citoyens et les entreprises concernés par les nouvelles normes. Pensez-vous que, depuis votre départ, la situation a évolué dans ce sens et a permis de favoriser une meilleure compréhension auprès de ceux qui se heurtent à l'utilisation des normes au quotidien ?
Par ailleurs, de nombreuses normes sortent quotidiennement, conduisant à un total d'environ 700 nouvelles normes par an. Pensez-vous qu'un véritable travail a été réalisé pour dépoussiérer les anciennes normes et en faire diminuer la masse globale ?
Enfin, il est normal que nous transposions les directives européennes, mais ne croyez-vous pas que certaines des surtranspositions qui ont été opérées se sont avérées regrettables ? Par exemple, l'usage des néonicotinoïdes a été interdit en France, alors qu'il reste autorisé partout Europe. Par conséquent, nous achetons des produits comme la noisette, la cerise ou l'olive, à l'étranger où ils sont traités aux néonicotinoïdes.
M. Laurent Grandguillaume. - Nous avons amorcé le travail de diminution des normes, mais le flux de normes étant incessant, de nouvelles normes ont dans le même temps continué d'être produites, tandis que le chantier de simplification s'est, lui, arrêté à son ambition macro. Ce flux de normes constitue une véritable problématique. La question de l'écologie et de la transition énergétique, quoiqu'importante, a par exemple donné lieu à l'adoption de nouvelles lois qui, dans leur mise en oeuvre, confrontent les citoyens à une certaine complexité, comme le montre la question de l'éligibilité au dispositif MaPrimRénov'.
Il faut une véritable ambition de continuer d'amplifier la dynamique de simplification, à la fois pour les citoyens et les entrepreneurs. Il est de plus très important d'y associer les citoyens. Services Publics + constitue une initiative intéressante, puisqu'elle permet de signaler une problématique rencontrée avec une administration, mais elle est insuffisamment connue et n'est pas toujours mise en exergue de façon très visible sur tous les sites de l'administration. L'une des difficultés que nous n'avons pas traitée et qui reste très prégnante en France réside dans l'existence de réglementations métiers très complexes, en sus des normes globales qui protègent un certain nombre d'activités. Nous avions par exemple supprimé l'obligation imposée à un boulanger de faire une déclaration administrative en préfecture pour déclarer ses congés.
Au cours du chantier mené pour créer le site entreprendre.service-public.fr, nous avons réussi à unifier l'ensemble des informations sur la création, la gestion et la transmission des entreprises, mais nous ne sommes pas encore parvenus à descendre à un niveau de granularité permettant de rendre compte de toutes les réglementations existantes afin que les personnes souhaitant créer une activité dans un secteur donné sachent à qui s'adresser. Pour créer un organisme de formation, par exemple, il faut demander à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) un numéro d'organisme de formation, d'une part, et faire certifier son organisme Qualiopi, d'autre part, ce qui impose des délais incompressibles. Par conséquent, des mois peuvent s'écouler entre le moment de création de l'activité et le moment auquel un organisme de formation peut commencer effectivement à générer du chiffre d'affaires.
La simplicité est tout aussi nécessaire que la qualité et l'existence de protections. Or, le système est sous-tendu par un principe de défiance, et non pas de confiance a priori. Celui-ci vise à procéder à des vérifications exhaustives en amont du lancement de toute démarche, alors que l'on devrait laisser les entrepreneurs lancer des initiatives et des innovations, puis procéder à un contrôle a posteriori. Il faut six mois en France pour créer un magasin au sein d'un centre commercial là où il n'en faut qu'un en Allemagne, car il faut préalablement réunir toutes les déclarations administratives nécessaires. Selon un principe de confiance a priori, l'activité serait lancée puis il serait procédé à une vérification du bon respect des règles.
M. Thierry Mandon. - Trois textes ont permis de réaliser des avancées en matière de simplification depuis 2017 : la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) et la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP). Toutefois, les gains que celles-ci ont pu représenter ne sont pas évalués objectivement. Le bénéfice politique pour le gouvernement est donc inexistant, malgré un coût politique avéré, d'où la pertinence d'un outil indépendant.
En outre, il convient de s'atteler en premier lieu aux nouveaux textes pour pouvoir ensuite travailler sur les anciens textes. Si l'on change les modalités de fabrication de la loi, il sera plus aisé de résoudre les aberrations qui existent dans les stocks. Pour y parvenir, l'idéal serait de disposer de véritables études d'impact. Sinon, un outil indépendant, saisi avant toute réglementation nouvelle engendrant un impact sur la vie économique du pays, dont l'avis serait sollicité et annexé à l'étude d'impact, changerait tout. Celui-ci permettrait, tout en respectant l'intention du législateur et la décision politique, de passer d'une recette à un mode d'emploi. Cette méthodologie, appliquée aux flux, servirait également aux stocks.
Le problème de l'action publique réside dans le fait que celle-ci se situe trop du côté de la recette miracle et pas suffisamment du côté du mode d'emploi. Les zones à faibles émissions (ZFE), par exemple, sont vouées à l'échec, du fait des marchés forains. Pour respecter les dispositions afférentes aux ZFE, les marchands devraient acheter un camion électrique et des bornes de recharge devraient être installées, ce qui représenterait un coût que personne ne pourrait endosser. Pourtant, l'idée de la ZFE émane d'une bonne intention.
Enfin, l'utilité d'un outil indépendant est également applicable s'agissant de la transposition et de la surtransposition, dont les règlements européens Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA) constituent une illustration. Ceux-ci créent deux régimes : l'un pour les grandes plateformes, à l'instar d'Amazon, qui seront régies par des règles européennes, et l'un pour les plus petites plateformes, comme Cdiscount, qui seront régies par des règles nationales. Le ministre s'est exprimé en faveur de ces textes au motif que ceux-ci encadrent l'usage des données et a mentionné qu'il serait peut-être nécessaire d'aller au-delà des décisions de la Commission européenne, ce qui reviendrait à asphyxier des plateformes comme Cdiscount au profit de plateformes comme Amazon. Un outil indépendant, doté des moyens financiers adéquats, permettrait de signaler les incidences de la surtransposition en amont et de changer radicalement la définition des politiques publiques.
M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Le Conseil d'État, dans son rapport de 2016, proposait de définir une méthode de calcul de la charge administrative et des autres coûts induits par toute nouvelle norme. Nous n'y sommes a priori pas parvenus, là où d'autres pays y parviennent. Je souhaiterais comprendre quels sont les blocages et comment les éliminer.
Dans votre rapport, monsieur Mandon, vous avez souligné la nécessité d'engager les parties prenantes dans un même projet partagé et une stratégie de progrès « gagnant-gagnant ». Croyez-vous que le guichet unique suive cette logique et que les usagers y aient été véritablement associés ? Si non, pourquoi ?
Ce rapport préconise par ailleurs de considérer que la démarche de simplification est au coeur du processus de modernisation de l'action publique et particulièrement de la réforme de l'État. Est-ce véritablement le cas aujourd'hui ?
M. Thierry Mandon. - Je pense qu'une opportunité pour passer, enfin, à l'âge adulte se présente. L'engagement du Président de la République sera à cet effet indispensable. Le retard que la France affichait en matière de fiscalité pesant sur les entreprises a été, pour partie, corrigé. Par conséquent, les marges de renforcement de la compétitivité de l'industrie et de l'économie françaises par la baisse des impôts pesant sur les entreprises sont dorénavant limitées. La simplification et les économies qui pourraient être réalisées sur les coûts induits par la réglementation offrent en revanche des marges considérables.
Il est plus simple pour un entrepreneur de faire agréer une technologie aux États-Unis, de l'y produire puis de l'exporter en France où il faut deux ans pour se faire agréer contre trois mois aux États-Unis. Il n'y a de même aucune raison que nous soyons trois à quatre fois plus longs en France pour faire agréer des produits médicamenteux qu'en Allemagne. La simplification représenterait des gains considérables pour l'économie et il convient de se saisir de cette opportunité.
M. Laurent Grandguillaume. - S'agissant du guichet unique pour les entreprises, le problème réside dans le fait que le back office, c'est-à-dire le guichet unique comme entité qui permet d'enregistrer et de traiter une demande, et le front office, à savoir l'information aux entrepreneurs, ont été entremêlés. J'ai par conséquent souligné la nécessité de traiter en premier lieu la question de l'information aux entrepreneurs par le biais du site service-public.fr en y créant un espace spécifique pour les entrepreneurs. Ceux-ci ont été associés au processus et ont ainsi été interrogés à travers des enquêtes, des entretiens et des questionnaires sur une période de deux mois.
Le système du guichet unique, pour sa part, fait l'objet de nombreux dysfonctionnements car il a été bâti contre un autre système, et non pas en s'appuyant sur ce dernier. La méthodologie employée n'a pas été la bonne et le guichet unique dysfonctionne car le « quoi » et le « comment » ont été mélangés, malgré le très bon travail réalisé par Xavier Merlin, chef de la mission interministérielle relative à la simplification et à la modernisation des formalités des entreprises et de publicité légale. Il est indispensable de se fixer des cibles et des priorités, puis de laisser les acteurs, avec les usagers, construire la solution de manière pragmatique.
M. Serge Babary, président. -Il conviendra de compléter ce vaste tour d'horizon passionnant par le questionnaire simplifié que nous vous avons adressé. Nous vous remercions pour vos propos, qui enrichiront notre réflexion.
La séance est levée à 10 heures 30.