Mercredi 15 février 2023
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 17 h 45.
Mission d'information sur le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique - Audition de M. Laurent Jeannin, maître de conférences hors classe en sciences de l'éducation à l'université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire de recherche sur l'architecture scolaire Transition 2 « Des espaces en transition à la transition des espaces »
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pour notre première audition en plénière, nous accueillons M. Laurent Jeannin, maître de conférences hors classe en sciences de l'éducation à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire de recherche sur l'architecture scolaire Transition2 « Des espaces en transition à la transition des espaces ».
Je précise à l'attention de M. Jeannin que notre mission est composée de 23 sénateurs de tous les groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. Mme Havet, membre de ce groupe, en est la rapporteure.
Notre objectif est d'évaluer les besoins de rénovation des écoles, collèges et lycées liés à la transition écologique, d'identifier les défis - notamment juridiques et financiers - de cette rénovation pour les collectivités territoriales et d'évaluer l'efficacité de l'accompagnement des décideurs locaux, s'agissant plus particulièrement de l'accès à l'information et à l'expertise.
Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public en juin 2023.
Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo sera accessible sur le site du Sénat.
Monsieur Jeannin, nous avons besoin d'inscrire notre réflexion dans une perspective historique, pour mieux comprendre les enjeux actuels et futurs de la rénovation des bâtiments scolaires.
Je vous remercie donc de vous être rendu disponible pour partager avec nous votre expertise.
Avant de vous donner la parole pour présenter vos recherches, notre rapporteure, Nadège Havet, va vous poser une première série de questions.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Je m'associe aux remerciements du président et à sa remarque sur l'importance de la mise en perspective historique de notre sujet.
Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de l'histoire de l'architecture scolaire, jusqu'à la période récente ?
Y a-t-il un lien entre la conception architecturale des écoles, collèges et lycées depuis l'époque de Jules Ferry et la conception de l'enseignement ? En d'autres termes, en quoi l'architecture scolaire est-elle le reflet d'une conception de l'enseignement ?
Le CNESCO écrivait en 2017 dans un rapport sur la qualité de vie à l'école que « pour les nouvelles constructions, les décisions intègrent davantage des considérations environnementales, esthétiques ou financières » que « la manière dont le bâti scolaire peut favoriser les apprentissages et le climat scolaire ». Êtes-vous d'accord avec ce constat ? Est-il toujours d'actualité ?
Comment les exigences liées aux nouvelles approches pédagogiques influencent-elles aujourd'hui la conception-même des bâtiments scolaires ? Je pense notamment au numérique, mais aussi au besoin de locaux modulables qui résulte par exemple de l'importance du travail en petits groupes.
Quelle est la spécificité des bâtiments scolaires conçus aujourd'hui, en accord avec les dernières normes environnementales et en lien avec les méthodes pédagogiques actuelles, par rapport au patrimoine scolaire hérité des périodes antérieures ?
Pouvez-vous aborder plus particulièrement la question des activités physiques et sportives dans l'architecture scolaire ?
M. Laurent Jeannin, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université de Cergy-Pontoise. - Je vous remercie de me permettre d'expliciter mes travaux de recherches, qui sont interdisciplinaires. Ils abordent plusieurs champs de recherches : l'architecture, le social mais également la santé.
Depuis les premiers écrits de Freinet en 1964, la question de l'architecture, de l'environnement scolaire et de sa configuration se pose comme étant une norme importante. Au niveau international, David Medd qui était responsable de l'architecture des bâtiments scolaires anglo-saxons, estimait dès 1970 que le bâtiment devait être modulaire, adaptable et flexible à des pédagogies actives. En 1973, en France, la circulaire Deygout reprend ces principes en invitant l'école à une ouverture sur la nature et son environnement extérieur. En 1975 arrivent la loi Haby et le collège pour tous, conduisant, pendant une quinzaine d'années, à une certaine massification de l'enseignement. On est passé, au cours du XIXe siècle, de la maison des écoles (avec des établissements scolaires construits dans de petites maisons) à Jules Ferry qui, en 1892, a mis en place les premières bases de l'architecture scolaire. À l'époque, la norme architecturale devait permettre aux enfants de bien voir, bien respirer, bien se déplacer dans un bâtiment qui devait être garant de leur santé. Par la suite, il y a eu des mouvements hygiénistes, notamment dans le cadre de la lutte contre la tuberculose, avec des espaces plus ouverts, car la qualité de l'air était l'élément-clé. Il existe encore à Suresnes une école issue de ce courant hygiéniste, d'ailleurs classée patrimoine mondial de l'Unesco, qui témoigne de cette architecture. On peut faire un parallèle entre ce courant hygiéniste sur le travail de la qualité de l'air pour lutter contre la tuberculose et ce qu'on a pu vivre pendant la période de la Covid où l'aération des salles de classe était au coeur de la lutte contre la propagation du virus. Avec la loi Haby, il a fallu construire rapidement pour pouvoir accueillir tous les élèves. Il y a eu des méthodologies constructives, en lien avec les industriels, qui ont permis de livrer des bâtiments scolaires, principalement sur une base linéaire, avec des trames architecturales de 7,20 mètres. Tout était multiple de 7,20 mètres (les classes, les couloirs par exemple) car cela correspondait à la dimension des camions pour livrer les matériaux. L'empreinte foncière était maîtrisée, avec un ou deux étages, parfois quatre, en fonction de la densité de population. Ensuite, les lois de décentralisation ont transféré la compétence du bâti scolaire aux collectivités.
On remarque dans les années 1990 un impact assez fort du geste architectural. Deux éléments l'expliquent : d'une part, l'évolution de la technologie sur les façades ; d'autre part, l'établissement scolaire, nouvelle compétence des collectivités, devient un objet de politique locale. Dans les années 2000, le numérique, l'émergence de nouvelles pratiques pédagogiques collectives, déjà testées dans les années 1960 avec Freinet, ont des conséquences sur l'aménagement intérieur des bâtiments. Des tensions apparaissent alors entre l'établissement scolaire, sa surface foncière, et ce qui s'y passe à l'intérieur. Le numérique est perçu comme une solution pour mieux individualiser les parcours. Pendant la Covid, on a pu voir que cela n'était pas complètement prêt !
Ce champ de l'architecture scolaire est étudié par peu de chercheurs car il nécessite d'aborder des problématiques transversales et, surtout, accéder au terrain relevant de co-responsables, de co-propriétaires des lieux, des habitants... Il existe trois chaires de recherche dans le monde : une en Australie qui s'occupe principalement des modèles constructifs, notamment les bâtiments éphémères liés aux migrations climatologiques ; une chaire au Canada qui s'occupe principalement des écoles maternelles et élémentaires, car ils en ont 30 000 à rénover ; et enfin en France où nous travaillons sur des problématiques d'apprentissage et de relations sociales au sein des espaces.
Par le passé, il a fallu réfléchir à des salles informatiques puis, plus récemment, à des classes mobiles avec le plan numérique de François Hollande. On a toujours questionné le bâtiment car il nous contraint, de même que l'environnement. Ainsi, les trames constructives nous ont contraints dans notre pratique. Aujourd'hui, on le voit grâce aux nombreux travaux de recherche multi factoriels. En 2015, des chercheurs anglais ont pu accéder à 27 écoles à Londres et ont effectué pour la première fois des analyses pluri catégorielles : la qualité de l'air, le confort thermique, le confort acoustique, la mobilité de l'élève, qu'ils ont comparées avec des classes témoins. Ils ont ainsi démontré que ces facteurs environnementaux ont les mêmes conséquences sur les résultats scolaires que la catégorie socio-professionnelle des parents ! Cela confirme pour la première fois dans une analyse multi factorielle ce que l'on estimait depuis les années 70.
Au cours de l'histoire, les bâtiments scolaires ont toujours été soumis à des tensions, notamment de population, de société, de lois, de rénovation, d'urbanisation, sans oublier le numérique... En ce qui concerne le numérique, nous avons constaté que les résultats obtenus en laboratoire ne peuvent pas être reproduits à grande échelle, notamment à cause des bâtiments. De même, si l'on enseigne toujours dans tous les centres de formation des enseignants (de l'école normale aux INSPE) la pédagogie Freinet, les enseignants se heurtent dans leur pratique à la configuration des bâtiments scolaires : cette dernière ne leur permet pas de mettre en oeuvre les pédagogies innovantes enseignées lors de la formation. La flexibilité est promue internationalement depuis les années 60, depuis 1973 en France ; mais elle s'étend difficilement au-delà de la classe. On va aménager la salle de classe, en bougeant les tables et les chaises, mais cette demande de flexibilité se heurte à un bâtiment qui ne l'a pas prévue. Alors que l'on sait, notamment grâce aux travaux de nos collègues anglo-saxons, que cela aurait un impact très fort. Par exemple dans les salons sur l'éducation sont présentés des mobiliers, des tablettes, des objets, mais rien sur la structure du bâtiment, la gestion des flux, l'emploi du temps... En 2008, grâce aux travaux d'une équipe écossaise qui a beaucoup investi dans la forme scolaire, on sait que tous ces éléments sont primordiaux.
En France, quelle que soit la période, de très nombreux acteurs interviennent, parmi lesquels environ 15 corps institutionnels différents : l'éducation nationale, les collectivités, les marchés publics, les opérateurs comme la banque des territoires, le CEREMA ou le ministère de l'écologie ... et tout cela sans aucune centralisation. C'est une constante depuis les années 1960. On oublie de se poser la question du bâtiment scolaire dans un territoire. Un bâtiment scolaire qui a les mêmes caractéristiques architecturales n'aura pas la même occupation selon qu'il est situé dans un village de montagne ou en ville. La « contextualité » permet de déterminer comment on va travailler dans un bâtiment scolaire, enseigner ou encore travailler avec les parents. C'est malheureusement rarement pris en compte ! Aujourd'hui, des établissements souhaitent s'ouvrir aux parents, à travers, par exemple, le « café des parents », mais cela se limite souvent à une salle située à proximité du hall d'entrée !
La Banque des territoires a ouvert, en 2017, un « prêt flash » pour permettre aux collectivités de rénover les bâtiments scolaires du point de vue de la transition écologique. On ne sait pas qui en a bénéficié, ni pour quel montant. La BEI, Banque d'investissement européenne qui s'associe avec la Caisse des dépôts, finance également ce type d'actions. Là encore, il n'y a aucune information sur les actions financées.
Certes, des collectivités et des rectorats travaillent ensemble, mais les outils ne sont pas toujours faciles à trouver, qu'ils soient législatifs, financiers, pédagogiques ... Sous l'impulsion du Plan numérique de François Hollande, une réflexion sur l'architecture scolaire a été lancée. Elle a débouché plusieurs années après sur des outils comme « archi-classe », ou sur la mise en place, récemment, d'une Cellule Bâti scolaire au niveau du ministère. Des avancées existent, mais le manque de centralisation est une constante dans notre paysage.
Le bâtiment scolaire est soumis à un ensemble de cycles, quels que soient les pays.
Le macro-cycle ou cycle « bâtimentaire » se caractérise par la transformation structurelle et fonctionnelle du bâtiment environ tous les 40 ans. Il y a des rénovations majeures, de nouveaux financements, l'application de nouvelles normes techniques (comme la norme RT2030), des changements climatologiques, des évolutions institutionnelles, comme la réforme de la voie professionnelle, qui a un impact sur la filière des Bac pro, et également l'innovation...
Concernant l'innovation, il faut rappeler que lorsqu'une innovation apparaît, il faut 3 à 7 ans avant qu'elle arrive dans la sphère publique. Mais entre le lancement des réflexions sur un projet et la réalisation du bâtiment, de nouveaux outils technologiques se développent. Je cite souvent cet exemple : en 2016, Najat Vallaud-Belkacem a inauguré un établissement scolaire particulièrement innovant aux Mureaux. Pour le construire, il a fallu à la collectivité, au rectorat et à l'État presque 6 à 7 ans de réflexion. Lorsque le concours d'architecte a été lancé, l'ipad n'existait pas ! En 2016, lorsque le bâtiment scolaire sortait de terre, François Hollande inaugurait son Plan « numérique ».
Puis, on se retrouve avec un méso-cycle dès lors que l'enseignant veut exploiter le patrimoine mobilier de son établissement et de la ville (l'utilisation d'un gymnase par exemple), ce qui correspond à du long terme pour lui, mais qui demeure du court terme pour la collectivité.
Enfin, le micro-cycle se caractérise par la disponibilité immédiate des objets pour organiser sa classe et travailler. Quand l'enseignant quitte sa salle, un nouveau cycle recommence.
Le bâtiment scolaire va être soumis à des cycles longs, des pressions terribles et, dans ses usages, à une autre cyclicité, l'année civile pour le financement, l'année scolaire pour la structure éducative... et par les évènements sociétaux, les transitions, les évolutions démographiques...
Au niveau international, il y a un consensus autour d'une architecture scolaire saine, sécurisante, bienveillante et s'inscrivant dans une démarche de développement soutenable. L'établissement scolaire doit retrouver une capacité d'accueil, être flexible, adaptatif, évolutif et pérenne dans le temps. C'est ce qui existe depuis les années 70 dans tous les pays ! Certains arrivent à le faire un peu mieux que nous, d'autres le font beaucoup moins bien.
J'aimerai juste ajouter un mot sur les problématiques physiologiques. Avec un air confiné qui contient beaucoup de CO2 et plus de 1 200 ppm (partie par million), on perd 10 % de nos capacités cognitives à résoudre des tâches complexes. Au-dessus de 1 400 ppm, un phénomène physiologique se produit dans le sang ; surviennent des troubles comme le mal de tête, l'anxiété, l'excitation... Les Anglo-saxons ont démontré l'existence d'une relation causale entre la qualité de l'air, l'environnement et l'acoustique, et l'absentéisme et les taux d'arrêts maladie des enseignants. La qualité de l'air, la luminosité, l'acoustique, la colorimétrie, la thermie, la température et le lien avec la biophilie, le rapport à la nature, sont des éléments essentiels.
J'en viens à l'état des lieux : il n'existe pas de cartographie de l'existant ; nous ne connaissons pas vraiment l'état du parc immobilier français. Or, l'école constitue le plus gros parc immobilier avec plus de 150 millions de m2, et selon nos estimations, 60 % devrait être rénové pour un coût de 40 milliards d'euros pour la seule rénovation thermique.
Depuis 2018, on nous alerte sur la rénovation thermique des bâtiments individuels ou publics qui sont passés d'une étiquette énergétique F aux catégories A ou B. On découvre toutefois que la qualité de l'air s'y est dégradée. Les vieux bâtiments avaient une ventilation naturelle qui limitait la présence de CO2 ; dans les nouveaux bâtiments rénovés ou nouvellement construits, des taux de CO2 excessifs (1 400 ppm) sont très vite atteints dès le matin, si la VMC fonctionne mal. On sait que cela pose un problème de santé. On a tous vu ce qui s'est passé dans un lycée d'Aulnay-sous-Bois, sans chauffage, ni électricité. Est-ce dû à des difficultés fonctionnelles du bâtiment ou à des conditions sociales de dégradation ?
Certains pays créent des « jumeaux numériques », ils effectuent une réplique numérique du bâtiment permettant de récolter beaucoup de données. Dans la pratique, on réalise un plan du bâtiment en trois dimensions puis on construit des bases de données dont on peut se servir à des fins très variées, comme la mutualisation des achats ou la réflexion globale de rénovation... Nous n'avons pas ces outils pour notre part.
Dans le cadre du Plan Vigipirate, chaque plan des bâtiments scolaires doit être numérisé pour que les forces de l'ordre puissent réagir en cas de danger. Une telle base de données, que l'on pourrait partager entre les ministères de l'intérieur, de l'écologie et de l'éducation nationale, n'existe pas !
Nous sommes à la recherche d'une performance technique, une baisse de la consommation de chauffage ou d'eau ... mais il n'y a rien sur l'air ! De nombreux bâtiments ont été rénovés, et il n'y a aucune évaluation d'impact. Je rappelle l'article 4 de l'Accord de Paris sur les évolutions climatologiques. Lorsque l'État travaille sur l'évolution du climat avec des fonds publics, il doit mettre les données d'évaluation d'impact en open data pour que les citoyens puissent s'emparer de cette problématique. Cela se fait en Belgique par exemple, pas en France. Des programmes européens comme « CleanAir@School » partagent aujourd'hui des données sur la qualité de l'air et la qualité environnementale des établissements scolaires. Presque tous les États européens participent à ce programme sauf la France ! La capitalisation et le partage des impacts sont essentiels. Si l'ensemble des acteurs que sont l'État, les collectivités, les opérateurs, les chercheurs, les industriels et les professionnels travaillent tous dans le même sens, il demeure très difficile d'aller chercher l'information, la traiter et la comprendre.
Une autre problématique se pose : celle du cadre de l'action publique et de la gouvernance. Je pense que nous n'aurons pas l'argent de nos ambitions. Un important chantier en termes de gouvernance et de pilotage entre l'État, les collectivités et l'éducation nationale est nécessaire. On commence à mettre en place des groupements d'intérêts publics (GIP) qui se partagent les responsabilités, par exemple comme le plan « Marseille ». Il existe des programmes européens comme « EnergieSprong » où la collectivité s'engage à rénover un bâtiment, la banque prête des financements et l'industriel est payé sur les 30 % d'économies d'énergie qui seront réalisées. Voilà de nouvelles modalités de financement, mais ce qui manque principalement aujourd'hui, ce sont les évaluations. La rénovation énergétique va améliorer la performance énergétique, mais ne permet pas forcément à l'élève d'apprendre mieux et d'être en bonne santé ! Par exemple, aujourd'hui, l'Allemagne met en place des programmes d'architecture scolaire où la santé est mise en avant.
Il existe trop d'expérimentations peu documentées en France, sans étude d'impact, que ce soit sur l'environnement, les investissements ou les financements, sur le bien-être et l'apprentissage. Aujourd'hui, il existe un établissement scolaire à Helsinki sans murs, qui exploite l'intégralité des espaces disponibles dans la ville. Les élèves se déplacent en ville entre une salle de théâtre, où ils vont avoir un cours de français, et une entreprise chimique, où ils vont suivre un cours de chimie ! On voit de nouveaux modèles de ce type apparaître car la surdensité de certaines villes ne permet plus de nouvelles constructions. La problématique d'un modèle immatériel, sans murs physiques et virtuels, apparaît. Aujourd'hui, on voit poindre dans certains États des approches en faveur d'une école promotrice de santé en appui des environnements dynamiques sains (EDS) et où la question de l'enseignement n'est plus uniquement limitée à la classe.. Dans certains pays, commence à se poser la question de savoir si la classe du XIXe siècle, est encore la structure pédagogique du XXIe siècle, et si cela a un impact sur le bâtiment. Dans les cloisons des bâtiments qui sont livrés dans certains pays, il n'y a plus d'éléments actifs comme l'eau, l'électricité ... afin de pouvoir bouger cette cloison. Les éléments actifs sont intégrés dans les façades ou dans les sols et plafonds, comme dans les hôpitaux ou les industries nouvellement livrées. Il devrait y avoir de grandes similitudes dans la construction architecturale de l'hôpital et l'école de demain.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Je souhaite revenir sur le programme « EnergieSprong » qui avait fait l'objet d'une présentation un peu différente la semaine passée.
M. Laurent Jeannin. - Ce programme est issu des Pays-Bas pour rénover les logements sociaux. L'État ne disposait pas des fonds nécessaires, mais a invité les industriels à réfléchir ensemble à cette rénovation. L'État leur a promis 50 % des parts de marché en contrepartie desquelles ils avaient huit mois pour réfléchir à la manière de rénover les logements avec le cahier des charges suivant : les travaux devaient être réalisés en site occupé, garantir une baisse des dépenses énergétiques de 30 % et permettre aux habitants de rénover leur cuisine en s'appropriant ce nouvel espace. À l'issue de ces huit mois de travail, l'État a combiné plusieurs propositions issues des réflexions des industriels. Cela a été repris par l'Union européenne en l'adaptant. Dans l'idée des marchés globaux de performance, une rénovation intelligente permet de se rémunérer sur les économies réalisées. Il y a aujourd'hui des programmes extraits d'« EnergieSprong ». Cela commence à arriver en France. Des industriels français, acteurs importants dans la construction des bâtiments publics ou individuels, commencent à s'y intéresser et, dans le cadre de marchés globaux de performances, peuvent garantir de futures économies d'énergie. Du coup, on voit apparaître de nouvelles modalités de partenariat privé-public dans des contrats de maintenance d'exploitation et de financement.
Mme Marie-Pierre Monier. - J'ai été enseignante longtemps et je suis heureuse d'entendre parler du lien entre la pédagogie et la conception des écoles.
Concernant la qualité de l'air dans les bâtiments et les rénovations énergétiques, je m'interroge sur les diagnostics qui ne tiennent pas compte du bâti ancien et pour lesquels on préconise parfois une isolation extérieure en abîmant les façades et sans tenir compte de l'aération. Du coup, on est obligé de tenir compte de ces diagnostics conduisant à une rénovation qui va à l'encontre du bâti ancien et de la santé des enfants.
Par rapport à l'ensemble des bâtiments scolaires existants, y-a-t-il une différence de qualité entre les constructions datant de Jules Ferry et celles des années 70 ? Existe-il encore des bâtiments scolaires selon le modèle Pailleron ?
Les spécificités architecturales de chaque période sont-elles suffisamment prises en compte dans les politiques de rénovation énergétique menées à l'heure actuelle ?
M. Laurent Jeannin. - J'ai donné l'exemple de la qualité de l'air, mais il y a également des problématiques sur la luminance ou le degré de lumière. Avec l'arrivée des écrans et des tableaux interactifs, des rideaux ont été installés dans les classes. On se retrouve à mesurer la luminance. Les élèves situés au fond de la classe, ou à plus de trois mètres, vont avoir plus de difficultés à lire ce qu'il y a sur le tableau, si la police utilisée est trop petite. Il existe énormément de variables. En outre, la qualité de l'air, tous les autres facteurs que j'ai évoqués - comme l'acoustique, la lumière, la colorimétrie, le visuel, la thermique, l'hygrométrie et la biophilie - sont déterminants. Ils sont plus ou moins prégnants et relèvent de domaines de recherche variés. Contrairement aux Anglo-saxons, tous les champs de recherche ne font pas l'objet d'études pluri factorielles. Lorsque des capteurs de qualité de l'air sont installés, celle-ci est meilleure grâce à une meilleure ventilation. Mais c'est difficile à démontrer scientifiquement. De même pour l'acoustique, le Brésil effectue actuellement des expérimentations dans ce domaine avec des enceintes placées sur les bureaux des élèves pour leur permettre de mieux entendre l'enseignant.
Depuis 2018, nous avons découvert grâce à des chercheurs spécialisés en physico-chimie de l'environnement que le fait d'améliorer à tout prix la performance énergétique en passant de E ou F à A, a conduit à la création de bâtiments « aquariums » ! Il faut aussi des indices de qualité de l'air intérieur, à l'image de ceux qui existent pour l'air extérieur.
Sur la question des constructions de l'époque de Jules Ferry et celles plus contemporaines, je vois de grandes différences, les procédés constructifs étant différents. Il existe encore des établissements scolaires de type Pailleron sur le territoire. Sur les 150 millions de m2, on estime a environ 60 % la part du parc à rénover.
La politique énergétique va avoir un impact important sur la consommation et la gestion des ressources, et la qualité de l'air sur la santé et sur la performance scolaire. Mes collègues étrangers commencent à travailler sur des environnements dynamiques en développement, par exemple, les mobilités douces pour aller à l'école. Cette philosophie anglo-saxonne appelée nudge sollicite les élèves au quotidien et travaille sur les espaces anxiogènes pour les élèves. Les sanitaires sont un facteur de stress chez les jeunes. C'est un problème de santé publique nationale qui n'est pas assez abordé ! Les couloirs des collèges ou lycées des années 70 sans lumière naturelle sont également anxiogènes.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous êtes la troisième personne que nous auditionnons et c'est la troisième estimation différente concernant l'immobilier scolaire. Vous intégrez par exemple l'internat, la cantine, le péri-scolaire ? Nous voudrions avoir une définition précise du périmètre de référence.
M. Laurent Jeannin. - C'est toute la difficulté ! Je vais vous expliquer ma méthode de calcul. L'État français a ouvert certaines données. Le site opendata.education.gouv.fr dispose d'un annuaire de tous les bâtiments publics, crèches, écoles, collèges, lycées généraux et techniques avec leurs coordonnées GPS. Grâce à ces données, nous avons fait, avec mes collègues, une estimation du parc. Ce travail a également été fait avec les hôpitaux. L'Observatoire de la sécurité des établissements scolaires, qui n'existe plus aujourd'hui, estimait le périmètre entre 140 et 150 millions de m2. Avec les outils en opendata et les systèmes d'information géographique, nous faisons de l'identification d'images, c'est un vrai travail de fourmis ! Quand une collectivité nous invite, nous allons prendre des mesures sur place. Pour le moment, c'est de l'artisanat !
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Personne n'a pensé à interroger les assureurs des collectivités qui devraient avoir une vision proche de la réalité ? Ce sont des comptables.
M. Laurent Jeannin. - Nous n'avons pas de légitimité pour les interroger et eux n'ont aucune obligation de nous fournir leurs données.
M. Max Brisson. - Je vous remercie pour votre éclairage. Comme historien, je ne suis pas forcément d'accord avec vos propos sur l'impact de la Loi Haby et sur la massification.
En tant qu'élu, j'ai longtemps été en charge des collèges dans le département. Vous avez parlé des financeurs. Quels sont-ils ? J'aurais été heureux de les connaître au moment de nos travaux de construction et de rénovation des collèges, car le conseil général les a intégralement financés !
Les conseils régionaux et généraux doivent souvent financer l'intégralité de ces travaux, contrairement à la commune qui peut bénéficier des fonds étatiques, à travers la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Et quand on voit dans quel état étaient les collèges et lycées quand les collectivités en ont pris la charge, l'État est mal placé pour donner des leçons.
Quand vous nous dites que les collectivités n'ont pas d'outils de prévisions je ne partage pas cette analyse : nous disposons de nombreuses études commandées par exemple aux agences d'urbanisme. Quant à l'éducation nationale, cette dernière continue de remanier la carte scolaire avec les règles de calcul datant de la IIIe République, en fermant des postes sans tenir compte des évolutions prévisionnelles en matière d'habitat dont les élus disposent !
Concernant vos comparaisons européennes, vous avez oublié de nous dire que la plupart des systèmes européens ont des systèmes décentralisés où les provinces, les cantons ou les Länder jouent un rôle majeur, et où les établissements disposent d'une grande autonomie. La comparaison avec la France est difficile car elle a un système hyper centralisé où l'éducation nationale fait partie des pouvoirs régaliens de l'État.
Les pédagogies sont de plus en plus diversifiées malgré la lourdeur de notre jacobinisme. Le numérique est venu bousculer tout cela. Et le travail que nous allons devoir faire sur la transition énergétique et écologique va à nouveau changer des choses. Je me demande si les lois de décentralisation de 1982 sont encore d'actualité ! Est-ce que le partage entre les collectivités chargées de l'immobilier et de la restauration, et l'État chargé de la pédagogie, fonctionne encore ? Car comme vous l'avez très bien dit tout acte immobilier est un acte pédagogique. L'équipement numérique participe à la pédagogie. Auparavant nous avions une pédagogie unique et l'on pouvait fixer la taille des salles de classe. Désormais, lorsqu'une collectivité territoriale équipe une classe, un établissement scolaire, elle s'occupe aussi de pédagogie.
Je pense qu'il faut construire les bases d'un dialogue et trouver le bon équilibre en requestionnant le rôle de chacun.
M. Laurent Jeannin. - Le partage des responsabilités et des tâches est un sujet essentiel, notamment entre ceux qui habitent le lieu et ceux qui paient. Pour la première fois, un plan d'investissement sur la forme scolaire dispose de 250 millions euros, avec pour objectif de travailler sur les alliances territoriales entre les collectivités, le rectorat, la communauté éducative au sens large, incluant les acteurs associatifs et péri-scolaires. Un laboratoire de recherche doit évaluer l'impact de chacune de ses alliances. Le premier appel à projets a désigné huit lauréats, dont j'ai la chance de faire partie. Les lauréats du deuxième appel à projets seront connus en juin. Il faut d'abord comprendre comment chacun fonctionne. Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il manque un espace de dialogue. Il devrait y avoir sur le territoire plusieurs expérimentations d'alliances territoriales nouvelles. Mais, je suis dubitatif sur l'évaluation qui va en être faite, ainsi que sur les conclusions qui pourront en être tirées dans une perspective de duplication à d'autres territoires.
Je m'interroge également sur l'impact de ces alliances sur les apprentissages et la performance scolaire. C'est un des éléments que nous allons évaluer.
Mme Céline Brulin. - Vous avez évoqué la nécessité de prendre en compte l'environnement global du bâtiment scolaire au même niveau que la catégorie socio-professionnelle (CSP). Dans le même temps, il y a ces injonctions qui demandent aux collectivités d'avoir rénové et investi 40 milliards d'euros d'ici 2030 pour diminuer de 40 % les émissions de gaz à effet de serre, alors qu'il n'existe même pas de cartographie de l'existant. On risque de se jeter dans une rénovation énergétique sans envisager la globalité de la question ! En outre, si vous deviez construire aujourd'hui un établissement scolaire, comment vous y prendriez-vous ?
M. Laurent Jeannin. - L'approche chilienne de l'architecture est de livrer un bâtiment public pas complètement terminé. Les cloisons et l'occupation de l'espace, par exemple, sont déterminées par l'usage. En France, il existe le « permis de faire » : quand on livre un bâtiment destiné à des personnes en situation de handicap, il est possible de ne pas le livrer terminé afin qu'il soit testé pendant les deux premières années par les personnes concernées.
La difficulté pour les collectivités est de devoir investir sur 40 ans dans des transformations de rénovation énergétique importantes sans avoir la garantie que ces travaux vont correspondre aux besoins dans 20 ans en termes, notamment, de démographie. Le niveau de la connaissance scientifique aujourd'hui est pluri-catégoriel et on ne peut pas se concentrer uniquement sur les questions d'énergie, même si c'est très important en termes d'épuisement des ressources ou de coûts... Créer des « aquariums » peut à terme avoir des impacts qu'on ne peut pas encore mesurer aujourd'hui. Quand on a conçu les établissements scolaires de type Pailleron, c'était la meilleure réponse industrielle du moment.
Dans les pays nordiques, les acteurs sont allés au-delà du partage des responsabilités État/collectivités locales pour s'intéresser la question du patrimoine mobilier public dans son ensemble.
Une analyse de l'existant dans les bâtiments publics est essentielle. Pour ma part, s'il s'agit de construire un nouvel établissement, je ferais une architecture extrêmement modulaire, style poteau/poutres, le sol et le plafond porteurs, les éléments techniques dans les façades ou dans les plafonds, avec la volonté d'une gestion des ressources la plus maîtrisée possible grâce à la gestion technique des bâtiments (GTB).
La mise en oeuvre d'une pédagogie active nécessite pour l'enseignant de disposer de plus de mètres carrés. L'emprise foncière est différente selon que 35 élèves travaillent en « configuration autobus » dans une salle de classe ou qu'ils travaillent en petits groupes. Dès lors que l'on constitue des groupes, on a besoin de plus de places : la classe se déplace dans les couloirs. Les Anglo-saxons parlent des learning corridors. Le couloir devient un espace d'apprentissage !
M. Gilbert Favreau. - Je souhaite revenir sur la dichotomie qui est l'effet de la décentralisation entre l'éducation nationale et les collectivités. Elle pose de nombreux problèmes, l'État souhaitant pouvoir continuer à gérer ces établissements. Dans mon département, il y a 36 collèges publics, et des bâtiments sans aucune homogénéité. Ne faut-il pas faire autre chose que de reprendre l'existant ? Un système modulaire permettrait dans une logique plus pragmatique de construire des collèges sur des terrains neufs. Mais cela me semble un pari difficile à réaliser.
M. Laurent Jeannin. - Peut-on imaginer des éléments modulaires pour répondre à des éléments de transition démographique sur des périodes de 7 à 10 ans, en associant le patrimoine immobilier sur le terrain ? J'évoquais la cartographie de l'existant en envisageant des problématiques de patrimoine mobilier et de flux. Par exemple dans les Landes, on observe une baisse du nombre d'enfants et une augmentation du nombre de retraités. Peut-on envisager des bâtis qui soient utilisés dans un premier temps comme des bâtis scolaires et dont l'affectation et les usages évoluent par la suite ? Ce qui m'intéresse, c'est le lien entre le bâti et l'éducation nationale. Le programme sur la forme scolaire va être un élément pour alimenter votre réflexion. Est-ce qu'on rénove ou on rase ? La question de nouveaux modèles constructifs et du déplacement d'établissements en périphérie est à l'ordre du jour.
Mme Jocelyne Guidez. - J'ai fait construire une cantine scolaire en 2017, tout en bois, isolation en paille. Elle n'a pas besoin d'être chauffée même en plein hiver, mais l'isolation était tellement forte que j'ai dû faire des aménagements pour améliorer la circulation de l'air ! On paie des architectes pour nous conseiller... Nous avons constaté des problèmes de conception une fois le bâtiment construit. Quelle est leur responsabilité ?
M. Jean-Marie Mizzon, président. - J'ajoute une dernière remarque. Le financement sera un élément déterminant. Que pensez-vous du partenariat public-privé (PPP) ? Il a eu mauvaise presse à une époque.
M. Laurent Jeannin. - Les modèles des architectes qui leur permettent de faire des simulations des consommations d'air et d'énergie doivent être très précis. Or parfois, ces modèles partent d'une base erronée, par exemple les portes restent fermées pour conserver la chaleur. Mais les portes sont souvent ouvertes pour que les enfants circulent. Je vois la difficulté de prendre en compte ces paramètres dans les modèles de conception qui doivent être de plus en plus affinés et pour lesquels les exigences n'étaient pas les mêmes il y a encore une vingtaine d'années.
Pour les PPP, la définition des clauses du contrat est importante. Les industriels s'intéressent aux marchés globaux de performance, qui favorisent le recours aux PPP. Je ne sais pas comment l'État, au sens large, financera toutes les transformations et la gestion des transitions à venir. Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur la rénovation énergétique de novembre 2022 insiste sur la nécessité de modifier la réglementation des marchés publics, car cela sera difficilement tenable pour les collectivités.
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie pour votre intervention.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 heures.