Mardi 7 février 2023
- Présidence de M. Joël Bigot, président d'âge -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Réunion constitutive
M. Joël Bigot, président. - En ma qualité de président d'âge, il me revient d'ouvrir la réunion constitutive de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi (PPL) visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » (ZAN) au coeur des territoires.
Je vous rappelle que la création de cette commission spéciale a été actée en séance publique mardi dernier et que ses trente-sept membres ont été nommés le lendemain, mercredi 1er février, sur proposition des groupes politiques.
Nous devons donc à présent procéder à la désignation du président de la commission spéciale.
J'ai reçu la candidature de notre collègue Valérie Létard, du groupe Union Centriste.
Mme Valérie Létard est désignée présidente de la commission spéciale.
- Présidence de Mme Valérie Létard, présidente -
Mme Valérie Létard, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie pour votre confiance et vous propose de procéder à la constitution du Bureau de la commission spéciale.
Nous procédons, dans un premier temps, à la désignation des vice-présidents et des secrétaires.
La règle qui s'applique est celle des commissions permanentes, fixée par l'article 13 du Règlement du Sénat. En conséquence, le nombre de vice-présidents est de onze et le nombre de secrétaires de trois : quatre vice-présidents et un secrétaire pour le groupe Les Républicains ; deux vice-présidents et un secrétaire pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; un secrétaire pour le groupe Union Centriste ; un vice-président pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants ; un vice-président pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; un vice-président pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ; un vice-président pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires ; un vice-président pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Compte tenu des candidatures qui sont parvenues au secrétariat de la commission spéciale, je vous propose de désigner comme vice-présidents : pour le groupe Les Républicains, Mme Elsa Schalck, M. Jean-Raymond Hugonet, M. Stéphane Le Rudulier et M. Bruno Rojouan ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, Mme Viviane Artigalas et M. Christian Redon-Sarrazy ; pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants, M. Didier Rambaud ; pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, Mme Cécile Cukierman ; pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, M. Éric Gold ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires, M. Emmanuel Capus ; pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, M. Ronan Dantec.
Conformément aux propositions formulées par les groupes, je vous propose de désigner comme secrétaires : pour le groupe Les Républicains, M. Jean-Claude Anglars ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, Mme Frédérique Espagnac ; pour le groupe Union Centriste, Mme Sonia de La Provôté.
Les vice-présidents et les secrétaires sont désignés.
Mme Valérie Létard, présidente. - Nous procédons, dans un second temps, à la désignation du rapporteur de notre commission spéciale.
J'ai reçu la candidature de notre collègue Jean-Baptiste Blanc, du groupe Les Républicains.
M. Jean-Baptiste Blanc est désigné rapporteur de la commission spéciale.
Mme Valérie Létard, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie de la confiance que vous nous témoignez, à Jean-Baptiste Blanc et à moi-même, pour conduire les travaux de cette commission spéciale, s'agissant d'un sujet que nous suivons depuis longtemps, ensemble et séparément, au Sénat et en dehors.
Nous avons devant nous une tâche importante, car nous savons le poids du sujet du « zéro artificialisation nette » pour les élus locaux, quel que soit leur territoire et quelles que soient leurs idées. La constitution d'une commission spéciale est symbolique de cette « mobilisation générale » du Sénat autour de cette thématique.
Notre commission spéciale s'inscrit dans la ligne directe des travaux précédents conduits dans cette assemblée, notamment au sein de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, mais surtout au sein de la récente mission conjointe de contrôle qui est à l'origine de la proposition de loi que nous sommes chargés d'examiner. Nombre d'entre vous étaient membres de cette mission et ont cosigné ce texte.
Il nous semble bel et bien important de souligner que cette proposition de loi ne tombe pas du ciel : elle est le fruit d'un long travail d'instruction, d'audition et d'analyse que nous avons mené de manière transpartisane et collective. La mission conjointe de contrôle a conduit entre octobre et décembre derniers près d'une trentaine d'auditions, qui sont venues compléter les travaux déjà menés auparavant en 2021 et 2022. Il me semble donc que notre commission spéciale ne doit pas repartir de zéro, mais qu'elle doit s'appuyer sur ces travaux précédents, de manière constructive, en respectant l'esprit général du texte présenté en décembre dernier.
Il y aura évidemment des améliorations et modifications à apporter à ce texte, à la fois techniquement et sur des paramètres de fond. Nous envisageons d'auditionner les ministres, les administrations et les associations représentatives des collectivités pour nous assurer que l'on répondra bien aux inquiétudes des élus locaux et que les curseurs sont bien placés. Mais nous pensons aussi que le texte contient des propositions fortes qu'il sera nécessaire de défendre fermement face au Gouvernement, comme la « surface minimale de développement » garantie à chaque commune ou la prise en compte des grands projets nationaux et européens.
D'un point de vue plus politique, nous savons que l'attente des élus locaux est extrêmement forte autour du ZAN. Il s'agit à l'heure actuelle du premier sujet de préoccupation au sein des collectivités. Pourtant, le Gouvernement n'a toujours pas bougé d'un iota, en dépit des annonces et des tergiversations : à ce stade, pas de réécriture des décrets, rien sur les grands projets, rien sur les outils du ZAN, pas d'avancée sur la renaturation... Alors que le temps s'écoule depuis l'installation du nouveau ministre, et si nous comprenons tout à fait qu'il ait pris le temps de s'emparer du sujet, nous constatons un immobilisme coupable - je pèse mes mots. Compte tenu du calendrier, on peut douter que la vaste concertation des collectivités, pourtant si nécessaire, ait lieu dans de bonnes conditions.
Pour cette raison, il nous semble que c'est pleinement le rôle du Sénat que de faire des propositions et d'agir, quitte à prendre le contrepied - respectueux - du Gouvernement sur ce sujet. Il nous faut porter la voix des collectivités tout au long de la navette et prendre des positions marquées en vue des discussions à venir avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Ce texte nous donne la chance de rééquilibrer les discussions entre élus locaux et Gouvernement, en maintenant la pression pour que les choses avancent. Cette proposition de loi permettra une véritable négociation, en ligne directe, avec les ministres compétents et les députés qui s'intéressent au sujet, afin de faire évoluer la loi. Il nous semble donc qu'il faudra que nous défendions fermement nos propositions les plus fortes et les plus ambitieuses, sans faire la commission mixte paritaire (CMP) avant l'heure. Au contraire, il faudra que le Sénat y arrive en position de force. Nos travaux seront scrutés de près par le Gouvernement et par l'Assemblée nationale, laquelle a d'ailleurs annoncé travailler de son côté à un autre texte... Si nous savons afficher un front uni sur ce sujet, en faisant primer l'intérêt général sur les postures partisanes, nous ferons avancer les choses.
Je conclus mon propos sur un point de calendrier : nous disposons de moins d'un mois pour examiner cette proposition de loi, qui comporte treize articles. Il nous faudra donc être efficaces et aller à l'essentiel. Nous devons tenir ces délais : d'une part, nous sommes tenus par les semaines d'initiative sénatoriale et, d'autre part, il est indispensable que le texte puisse être rapidement transmis à l'Assemblée nationale et examiné par elle ; nous avons intérêt à ce que les débats s'organisent autour de notre texte. Les collectivités sont aujourd'hui soumises à un calendrier et à des règles du jeu intenables, qu'il nous faut modifier très vite par la loi.
Nous allons donc réaliser trois auditions plénières ainsi qu'un nombre limité d'auditions « rapporteur », qui seront bien sûr ouvertes à tous, et ce dès demain.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Pour bien cadrer nos travaux et permettre à ceux de nos collègues qui n'étaient pas membres de la mission conjointe de contrôle de disposer de tous les éléments nécessaires, je vais vous présenter brièvement les mesures contenues dans la proposition de loi.
Je commencerai par quelques remarques d'ordre général.
Premièrement, au vu des délais très serrés, et afin de travailler avec méthode, nous n'avons pas inclus de volet « fiscalité » ou de volet « financement » dans la PPL. Ces sujets nécessitent une réflexion plus globale sur la fiscalité locale, et il ne faudrait pas bouleverser les équilibres du texte sans mesurer pleinement les conséquences de telles modifications sur les collectivités. Un tel travail exige davantage de temps et l'examen du projet de loi de finances de fin d'année me semble un cadre plus approprié pour réfléchir de façon plus globale.
Deuxièmement, la position exprimée dans cette PPL est une position d'équilibre : il nous semble nécessaire de nous inscrire dans l'adaptation du cadre existant du ZAN plutôt que de viser une rupture ou une remise en cause totale. En effet, nous avons voté la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience », voilà à peine plus d'un an, et nous partageons tous l'objectif de sobriété foncière et de protection des sols, notamment agricoles. Notre PPL ne modifie ni l'objectif d'une baisse de l'artificialisation de 50 % d'ici à 2031 ni les échéances de 2031 et 2050. C'est là, il faut le dire, l'une des conditions d'un dialogue fructueux avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement.
Troisièmement, nous avons cherché à adapter en la rendant plus aisée et plus équitable l'application du ZAN chaque fois que cela était possible. Nous avons voulu répondre point par point à toutes les inquiétudes exprimées : le manque de temps pour travailler, l'absence de garanties pour les communes rurales, les insuffisances de la gouvernance, etc. Il nous semble qu'avec ces garde-fous et ces souplesses nous pourrons rassurer les collectivités sur les objectifs de réduction de l'artificialisation et sur leur application.
Les vingt propositions de la proposition de loi s'articulent autour de quatre axes.
Le premier axe est de favoriser le dialogue territorial et de renforcer la gouvernance décentralisée.
Se pose d'abord la question du calendrier : les « règles du jeu » du ZAN ne sont pas même encore fixées que déjà les collectivités seraient supposées finaliser la modification de leurs documents d'urbanisme... On sait pourtant que la concertation, surtout entre différentes collectivités, sera déterminante pour l'acceptation des objectifs du ZAN et pour leur application équitable. Nous proposons donc d'assouplir les délais qui s'imposent à la modification des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), notamment en raccourcissant les délais laissés au préfet pour approuver un projet de Sraddet. Surtout, nous souhaitons donner aux régions un an supplémentaire pour mener à bien cette modification : ainsi maximisera-t-on le temps de concertation et de travail sur le fond plutôt que les contraintes de forme.
Pour ce qui est, ensuite, de l'opposabilité du Sraddet, nous souhaitons restaurer l'intégrité de l'accord de CMP noué entre le Sénat et l'Assemblée nationale autour de la loi « Climat et résilience » : nous avions voulu que les objectifs du Sraddet s'imposent aux objectifs des documents d'urbanisme locaux dans un rapport de prise en compte et non de compatibilité. Or le décret d'application est allé à l'encontre de cet accord ; il est donc essentiel d'y revenir, car cela limitera le risque juridique pour les communes et les intercommunalités et permettra une plus grande souplesse dans la territorialisation.
Dernier point de ce premier axe, nous proposons de renforcer l'association de tous les élus locaux à la gouvernance du ZAN, en élargissant la conférence des schémas de cohérence territoriale (Scot). Cette gouvernance renforcée associera mieux le bloc local, dans un triple objectif : mieux territorialiser ; assurer un suivi des trajectoires ZAN, voire les modifier ; rendre des avis sur les « grands projets ».
Le deuxième axe est justement celui des projets structurants de demain, que la politique du ZAN devra savoir préserver et accompagner.
Nous proposons, comme le Sénat l'a déjà voté dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, de faire remonter dans une enveloppe nationale les « grands projets » nationaux et européens, afin qu'ils ne soient pas imputés aux collectivités territoriales d'implantation. Nous pensons qu'il nous faut prendre une position ferme sur ce point, car le Gouvernement pourrait souhaiter en rester à une forme de mutualisation qui ne règle absolument pas le problème « quantitatif » que ces projets posent. Si l'on ne les fait pas « sortir » dans un premier temps de l'enveloppe, l'objectif que les collectivités devront atteindre d'ici à 2031 sera non pas de - 50 %, mais, parfois, de - 80 %...
En revanche, nous proposons de mieux encadrer les projets qui relèveront de cette mesure. Des critères seraient fixés dans la loi, qui concerneraient par exemple les grands projets d'infrastructure - lignes à grande vitesse (LGV), canal Seine-Nord Europe, centrales nucléaires, etc. - et les projets, notamment industriels, nécessaires à la transition énergétique et environnementale. La conférence de gouvernance du ZAN donnerait un avis sur les projets qui pourraient entrer dans ces critères prévus par la loi. Serait prévu par ailleurs un suivi triennal de la consommation de cette enveloppe nationale.
Nous proposons aussi de renforcer la mutualisation des projets d'intérêt régional, déjà prévue par la loi. En particulier, nous proposons de donner aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) un « droit de proposition » auprès de la région, pour que les projets qu'ils portent et qui relèvent de l'intérêt général soient considérés. Nous voulons aussi que les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) tiennent mieux compte des projets d'intérêt intercommunal dans la fixation des objectifs du ZAN.
Le troisième axe de notre texte vise à mieux prendre en compte les spécificités de chaque territoire.
Le premier sujet, bien sûr, est celui de la ruralité. Nous avons écouté avec une attention particulière les associations représentatives des élus des territoires ruraux : aucune ne demande à ce jour une dispense totale de ZAN. Il nous semble important de marquer l'engagement de l'ensemble du territoire dans la réduction de l'artificialisation, et de ne pas créer un territoire « à deux vitesses ». Certaines petites villes ont par ailleurs beaucoup artificialisé, d'autres non : les dérogations fondées sur la taille nous semblent donc devoir être écartées.
Mais les inquiétudes des élus ruraux se résument en réalité à deux questions : premièrement, comment garantir que, dans la répartition des droits du ZAN, aucune commune rurale ne sera sacrifiée et ne se retrouvera purement et simplement privée de droits à construire ? Deuxièmement, comment le ZAN assurera-t-il que les projets utiles au développement rural, mais qui ne rentreraient pas dans l'enveloppe quantitative, pourront être réalisés ? Nous avançons deux propositions en réponse directe à ces questions.
Un « minimum ZAN » universel, tout d'abord, garantirait à chaque commune l'octroi d'une enveloppe minimale de droits à construire ne pouvant être inférieure à un hectare, pour la première période de dix ans. Cela serait une garantie pour les petites communes rurales, qui auraient des droits proches de zéro en application « mathématique » des - 50 %.
Nous proposons, ensuite, d'instaurer une « part réservée » pour les projets supracommunaux. Cette part serait fixée et réservée au niveau de la région ou des Scot. L'idée est que 10 % ou 15 % de l'enveloppe totale soient « mis en réserve » au profit des communes faiblement « dotées » par le ZAN. Ainsi, même une petite commune qui aurait consommé le peu de droits qu'elle aura obtenu grâce à la territorialisation pourrait obtenir une petite « rallonge » pour un projet particulièrement important pour l'ensemble du territoire. Je rappelle par ailleurs que les communes placées sous le régime du règlement national d'urbanisme (RNU), c'est-à-dire la majorité des communes rurales, ne seront pas soumises à des objectifs chiffrés de ZAN : elles sont d'ores et déjà moins contraintes.
Nous proposons aussi de préciser les critères qui, dans le Sraddet, présideront à la territorialisation, afin d'offrir les mêmes garanties qu'au niveau des Scot, notamment la prise en compte des efforts passés.
Nous souhaitons en outre donner aux maires la possibilité de délimiter des périmètres de densification, dans le cadre desquels le remplissage des dents creuses et la densification ne seraient pas comptabilisés comme de l'artificialisation. Cette disposition répond à la difficulté que nous avons identifiée quant au traitement des parcs et des jardins dans la nomenclature proposée par le Gouvernement, laquelle est par ailleurs de nature réglementaire.
Nous avons aussi souhaité prendre en compte la situation particulière des communes confrontées au recul de trait de côte, en faisant en sorte que la relocalisation des activités et bâtiments menacés par le trait de côte ne pèse pas sur le compte foncier des communes : les terres perdues au profit de la mer ne sauraient être retenues contre elles...
Enfin, nous demandons au Gouvernement de se pencher sur la situation particulière de l'outre-mer, car ses spécificités - insularité, diversité de l'habitat, topographie... - justifient une approche différenciée.
Un dernier axe vise à donner aux élus locaux les outils pour « faire le ZAN », car de tels outils manquent aujourd'hui cruellement.
En matière de données, nous souhaitons prévoir la mise à disposition gratuite, par l'État, des données précises et harmonisées de consommation d'espace et d'artificialisation. À défaut de ces données d'État, il nous semble qu'il faut autoriser les Scot, les EPCI et les communes à continuer d'utiliser leurs données propres, recueillies, parfois, depuis quinze ou vingt ans via les observatoires locaux, car il faut assurer la continuité de la mesure.
Nous souhaitons de surcroît garantir la prise en compte immédiate - et non uniquement à compter de 2031 - des efforts de renaturation. Il serait à la fois contreproductif et injuste de ne pas le faire : il faut compléter la loi sur ce point, afin que les maires soient réellement soutenus dans leur politique de renaturation.
Quant à la thématique de la période transitoire, elle est très importante, en particulier pour les élus locaux dans leur action quotidienne. En attendant la modification des documents d'urbanisme, qui permettra de limiter les constructions et de refuser les permis contraires aux objectifs qui y seront définis, les élus sont démunis face aux demandes d'autorisation, parfois abusives, ou face aux achats de terrains constructibles, parfois spéculatifs. Pourtant, depuis 2021, les communes et les EPCI sont tenues de limiter la consommation d'espace ! Comment tenir les - 50 % si l'on ne peut limiter la construction qu'à compter de 2027 ?
Nous souhaitons donc donner aux maires des outils très concrets pour mieux contrôler les projets qui leur sont soumis au regard du ZAN.
D'une part, nous proposons de créer un « sursis à statuer ZAN », qui permettra au maire, s'il le souhaite, de ne pas octroyer un permis qui mettrait ostensiblement en danger l'atteinte des objectifs ZAN. D'autre part, nous plaidons pour l'instauration d'un « droit de préemption ZAN », qui permettra au maire d'éviter la captation de tout le foncier utile aux projets publics, par exemple en préemptant des friches représentant un potentiel de renaturation ou de recyclage foncier.
Voilà, mes chers collègues, la vingtaine de propositions prévues par la PPL qui vous est soumise, laquelle vise à répondre aux inquiétudes et à apaiser la mise en application du ZAN au sein des territoires.
Mme Valérie Létard, présidente. - Mes chers collègues, je souhaite vous indiquer dès à présent quelles sont les dates prévues pour les auditions plénières que nous organiserons et pour l'examen de cette proposition de loi par notre commission spéciale.
La semaine prochaine, mardi 14 février, deux auditions seront organisées : nous recevrons, à 16 heures, Mme Laurence Rouède, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine en charge de l'aménagement du territoire, qui portera la voix de Régions de France, et, à 17 heures 30, les ministres M. Christophe Béchu et Mme Dominique Faure.
Après la suspension des travaux parlementaires, nous organiserons une dernière audition plénière, le mercredi 1er mars à 16 heures 30 ; nous y entendrons, sous forme de table ronde, les associations d'élus locaux du bloc communal : l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Intercommunalités de France (AdCF) et la Fédération nationale des Scot.
Quant au calendrier d'examen de la proposition de loi par notre commission spéciale, il s'établit comme suit : le délai limite pour le dépôt des amendements de commission est fixé au vendredi 3 mars à 12 heures ; l'examen du rapport et du texte de la commission aura lieu mercredi 8 mars à 16 heures 30 ; le délai limite pour le dépôt des amendements de séance est fixé au lundi 13 mars à 12 heures ; l'examen des amendements de séance par la commission aura lieu mardi 14 mars à 9 heures 30, et l'examen du texte en séance publique le mardi 14 mars à partir de 16 heures et le soir.
Mme Françoise Gatel. - Toutes mes félicitations, madame la présidente, monsieur le rapporteur, pour les étapes déjà franchies ; le travail réalisé sous votre houlette est fort apprécié dans les territoires.
Je dirai un mot du financement du ZAN - si ce thème n'est pas traité, c'est en conscience, comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur : autant le Sénat s'est attaqué avec réalisme à la question de notre capacité d'atteindre nos objectifs, autant le sujet du financement - reconstruction de la ville sur la ville, friches agricoles et industrielles - reste pendant. L'effet du ZAN sur le financement des collectivités par le biais de la dotation globale de fonctionnement (DGF) est énorme : ce principe d'une absence nette d'artificialisation vient percuter le fondement même des dotations, avec un impact collatéral très fort sur les finances locales.
Le groupe de travail du président Larcher sur la décentralisation et la déconcentration comporte un volet relatif aux finances locales. Dans le rapport qui sera issu des travaux de la commission spéciale, il faudra au moins une phrase sur la nécessité pour le Gouvernement de lancer avec nous une réflexion globale sur les finances locales. En la matière, nous allons au-devant de découvertes assez extraordinaires auxquelles nous ne sommes pas préparés...
M. Philippe Pemezec. - Je voudrais exprimer mon mécontentement : le ZAN est une nouvelle étape dans le processus qui consiste à étouffer les prérogatives des maires en matière d'urbanisme, de construction et d'aménagement. Il est dommage qu'après avoir transféré aux régions la compétence en matière d'aménagement du territoire on contraigne encore davantage les maires par ces nouvelles dispositions. Il y a là une nouvelle atteinte à la démocratie locale et au pouvoir des élus locaux, sans compter que l'on va favoriser un urbanisme fait de tours : à défaut d'étaler, c'est dans le ciel que l'on construira.
Il eût fallu davantage de souplesse. À quelle échelle, plus ou moins contraignante, les 50 % seront-ils calculés ? À l'échelle d'un projet, d'un territoire, du département, de la région ? Quoi qu'il en soit, je suis révolté par cette amputation des pouvoirs d'aménagement et d'urbanisme du maire : il est urgent de tourner une nouvelle page de la décentralisation.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue le travail déjà accompli, s'agissant d'un exercice complexe de politique-fiction : il faut anticiper les problèmes qui risquent de se poser. Quid de l'articulation du ZAN avec les politiques publiques identifiées comme prioritaires, déploiement des énergies renouvelables, logement ? Il faudra, à cet égard, un dialogue clair avec le Gouvernement : comment fait-on quand il y a contradiction ou incompatibilité entre différents objectifs ?
Pour ce qui est de la gouvernance du ZAN dans la durée, elle promet malheureusement d'être complexe...
Quant au compte foncier national, deux grands projets de 20 000 hectares chacun suffiraient déjà à en grignoter une bonne part, rendant irréaliste la perspective des - 50 % ; encore faudra-t-il comptabiliser l'enveloppe réservée aux projets supracommunaux. Il est indispensable de se livrer à des exercices de calcul concret : la marge de manoeuvre des collectivités risque de se réduire à peau de chagrin.
Je rebondis sur ce qu'a dit Françoise Gatel au sujet de la fiscalité : qui va payer ? L'idée circule d'instaurer une compensation pour les territoires dont l'effort de réduction de l'artificialisation sera supérieur à 50 %, qui vont voir leur potentiel foncier constructible, donc leurs recettes, diminuer dans les années à venir. On n'y échappera pas : une telle compensation pourrait être le carburant du ZAN.
Mme Sonia de La Provôté. - Cette PPL est le fruit d'un travail considérable, dans les circonstances « diplomatiques » que l'on sait.
Sur la question des projets d'intérêt national et européen, il faut être extrêmement prudent : quand une prison - d'intérêt national - s'installe sur un territoire, c'est à la demande de l'État, mais un tel équipement « mange » beaucoup de foncier sans que les dimensions de développement durable ou d'intérêt européen apparaissent clairement... Prenons garde à la définition des critères !
Quid du devenir de la conférence des Scot ? Cette instance a beaucoup oeuvré en matière d'« interScot », démarche essentielle pour traiter, avec un regard différent du regard régional, la question des enveloppes ZAN.
Par ailleurs, le besoin d'ingénierie est réel dans les territoires : les élus doivent disposer de leurs propres outils de suivi du ZAN, d'un regard autonome, bottom up, sans dépendre de l'État pour mesurer et évaluer l'artificialisation. Il faudra peut-être aussi se battre pour distinguer l'artificialisation de l'imperméabilisation, cette dernière ayant un impact de stérilisation complète du foncier.
La question de la maîtrise du foncier par les collectivités est un enjeu très important : en la matière, il faut diversifier au maximum les outils ad hoc dont disposeront les élus pour lutter contre la spéculation très intense qui se développe dans les coeurs de bourg des petites communes au niveau des logements vides, des pas-de-porte vides et des friches - pour ce qui est de réussir le ZAN, c'est là qu'est l'or de demain.
Sur les questions de renaturation, il faut jeter les bases d'une méthode de fonctionnement : qui dit « artificialisation nette » dit du « plus » et du « moins » ; la solidarité entre les territoires va se jouer aussi sur le « plus ». Si certains territoires acceptent de renaturer, ce ne sera qu'en contrepartie de ce qui sera versé au pot commun à l'échelle, par exemple, d'une intercommunalité.
Mme Valérie Létard, présidente. - Nous auditionnerons demain à 9 heures 30 M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), et M. Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l'aménagement durable.
La réunion est close à 16 h 45.