Mardi 31 janvier 2023
- Présidence de Mme Françoise Férat, président d'âge -
La réunion est ouverte à 16 h 05.
Réunion constitutive
Mme Françoise Férat, présidente. En ma qualité de présidente d'âge, il me revient d'ouvrir la première réunion de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. Je vous rappelle que cette mission d'information a été créée sur l'initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage reconnu aux groupes politiques par l'article 6 bis du Règlement du Sénat.
La Conférence des présidents a pris acte de la création de cette mission d'information le 18 janvier dernier et ses vingt et un membres ont été nommés, sur proposition des groupes politiques, lors de la séance du 24 janvier. S'y ajoute un suppléant, qui n'a pas voix délibérative.
Dans le prolongement des travaux menés par le Sénat depuis de nombreuses années sur des problématiques territoriales et parce que c'est l'essence même des missions que la Constitution de la Ve République attribue au Sénat, la mission d'information s'intéressera plus particulièrement à la place et aux compétences à donner à l'intercommunalité, aux conditions d'une libre administration et d'une autonomie financière effective, à la nature des liens avec l'État et la simplification de l'environnement normatif, à un partage clair des rôles entre les communes et l'État ou encore aux risques juridiques auxquels sont exposés les maires.
Nous devons tout d'abord procéder à la désignation du président de la mission d'information.
Je vous rappelle que, en application du deuxième alinéa de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, « la fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres ».
Pour les fonctions de président, j'ai reçu la candidature de Mme Maryse Carrère, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
La mission d'information procède à la désignation de sa présidente, Mme Maryse Carrère.
- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -
Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie de votre confiance pour présider cette mission qui, j'en suis certaine, sera passionnante.
Nous poursuivons la constitution du Bureau de la mission d'information.
Nous procédons, dans un premier temps, à la désignation du rapporteur.
En application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat rappelé par notre présidente d'âge, le groupe à l'origine de la demande de création de la mission d'information obtient, de droit, s'il le demande, que la fonction de rapporteur revienne à l'un de ses membres.
Le groupe Les Républicains a proposé la candidature de M. Mathieu Darnaud.
La mission d'information procède à la désignation de son rapporteur, M. Mathieu Darnaud.
Mme Maryse Carrère, présidente. Nous procédons, dans un second temps, à la désignation des vice-présidents et des secrétaires.
Compte tenu des désignations du président et du rapporteur qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-président et de secrétaire est la suivante : pour le groupe Les Républicains, un vice-président et un secrétaire ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, deux vice-présidents ; pour le groupe Union Centriste, un vice-président et un secrétaire ; et pour chacun des groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ; communiste républicain citoyen et écologiste ; Les Indépendants - République et Territoires ; Écologiste - Solidarité et Territoires, un vice-président.
Pour les fonctions de vice-président, j'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, Mme Anne Chain-Larché ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, Mme Frédérique Espagnac et M. Didier Marie ; pour le groupe Union Centriste, M. Jean-Michel Arnaud ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, M. Georges Patient ; pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, Mme Cécile Cukierman ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires, M. Joël Guerriau ; pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, M. Guy Benarroche.
Pour les fonctions de secrétaire, j'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, M. Jean Sol ; pour le groupe Union Centriste, Mme Brigitte Devésa.
La mission d'information procède à la désignation des autres membres de son Bureau : Mme Anne Chain-Larché, Mme Frédérique Espagnac, M. Didier Marie, M. Georges Patient, Mme Cécile Cukierman, M. Joël Guerriau et M. Guy Benarroche, vice-présidents ; M. Jean Sol et Mme Brigitte Devésa, secrétaires.
Mme Maryse Carrère, présidente. Le sujet qui nous réunit aujourd'hui parle nécessairement à chacun d'entre nous.
Nos expériences passées, la pratique quotidienne de notre mandat dans nos départements, la part que nous avons tous prise à l'élaboration des nombreuses réformes législatives récentes sur l'organisation territoriale, nous ont conduits à mesurer l'importance des communes et des maires pour la vitalité des territoires ainsi que l'attachement de nos concitoyens à leur égard.
Dès lors, pourquoi s'interroger sur l'avenir des communes et des maires ? Sans doute parce qu'il n'y a pas d'avenir pour nos territoires si les communes et les maires n'en ont pas. Quel est cet avenir, quelles menaces pèsent sur lui, quels espoirs porte-t-il en lui, à quelles conditions pourra-t-il se réaliser ? Ce sont les réponses à ces questions qu'il appartiendra à notre mission d'information d'esquisser.
Notre rapporteur va maintenant vous présenter les axes de réflexion que nous pourrions suivre dans le cadre de nos travaux.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Il est une certitude, au-delà de cette mission d'information, le Sénat porte un attachement singulier à la commune et à son avenir, aux femmes et aux hommes qui président aux destinées de cette entité. À la suite des différentes réformes territoriales qui ont permis de renforcer l'intercommunalité, il importe de s'interroger.
S'interroger sur l'avenir de la commune et du maire, c'est engager une réflexion prospective. Certaines orientations, certaines déclarations récentes de la Première ministre sur le renforcement du lien entre les préfets et les présidents d'intercommunalité, certains travaux de la Cour des comptes sur le fléchage de la dotation globale de fonctionnement (DGF) nous invitent à nous poser une question claire et directe : la commune a-t-elle encore un avenir ? À quoi doit ressembler l'organisation communale dans dix ans ? Quels doivent être le rôle du maire dans ce cadre, ses pouvoirs ou ses moyens ?
Mais avant d'engager la réflexion, une question se pose : pourquoi s'interroger aujourd'hui sur l'avenir de la commune et du maire ?
J'y vois trois raisons.
La première, c'est l'inquiétante crise des vocations des maires.
En 2018, déjà, plus de la moitié des maires en exercice n'envisageaient pas de se représenter lors des élections municipales de 2020 ; à cinq mois de ces élections, seuls 48,7 % avaient décidé de briguer un nouveau mandat ; 28,3 % avaient définitivement renoncé et 23 % hésitaient encore. Depuis cette élection et les années difficiles que les maires ont traversées, notamment avec la crise sanitaire, 55 % d'entre eux indiquaient en novembre dernier ne pas souhaiter se représenter au prochain renouvellement.
Ce désamour contraste avec l'attachement de nos concitoyens à leur commune et la bonne image qu'ils ont généralement de leur maire. On peut faire l'hypothèse - qu'il nous appartiendra de vérifier - que ce désamour témoigne du divorce entre les aspirations des maires et leurs possibilités d'action, entre les attentes - nombreuses - qui pèsent sur eux et les réponses qu'ils peuvent y apporter. Entravés par la multiplication des normes, les maires auraient le sentiment de ne plus avoir les moyens financiers et juridiques d'agir ni les compétences pour mener à bien leur mandat et conduire une politique locale autonome.
L'érosion de la participation aux élections municipales, que nous avons tous constatée lors des dernières élections, doit également nous interpeller. Elle n'est pas seulement imputable aux conséquences de la crise sanitaire. Faut-il y voir les prémices d'un désinvestissement de certains de nos concitoyens à l'égard de l'institution communale ? Ce serait grave, alors que la commune est, par excellence, la cellule de base de la démocratie locale et qu'elle doit, au contraire, permettre, par les services de proximité qu'elle offre, de conforter et de retisser le lien entre le territoire et ses habitants.
La deuxième raison, c'est que nous sortons de plusieurs années de réformes territoriales à jet continu qui se sont concentrées sur l'architecture territoriale et l'articulation entre les différents niveaux de collectivité, et qui ont, parfois, délaissé l'approche centrée sur la seule commune.
Or, le moment est propice pour réfléchir à la place des communes au sein du bloc communal. En effet, le précédent mandat municipal a été celui de l'achèvement de la carte intercommunale et de la prise de compétences des intercommunalités. L'intégration intercommunale, lancée depuis plus de trente ans, est aujourd'hui arrivée à maturité, et nous pouvons - nous devons, oserai-je dire - en évaluer les effets. Certains maires n'ont-ils pas le sentiment de ne plus avoir de prise sur la décision intercommunale ? Ne convient-il pas de revaloriser la place de la commune et de conforter le caractère « associatif » de l'intercommunalité, dans la ligne qu'a suivie le Sénat lors de lors de l'examen de la loi Engagement et proximité et de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), afin d'apporter tous les assouplissements nécessaires à ces coopérations locales ? Ne faut-il pas conforter la commune dans son rôle de proximité et permettre aux élus de proposer ensemble des solutions différenciées à l'organisation du bloc local en fonction des réalités de leur territoire ?
La troisième et dernière raison tient au fait que les nombreux travaux de contrôle que le Sénat a récemment conduits ou engagés sur les questions locales ont plutôt abordé des thèmes communs à toutes les collectivités, ou ont évoqué certaines structures communales spécifiques en mesure de rivaliser avec les autres échelons territoriaux - Paris-Lyon-Marseille (PLM), métropole -, ou certains aspects de l'exercice du mandat du maire. En revanche, aucune réflexion n'a été spécifiquement menée sur la question du modèle communal à promouvoir à l'horizon 2030 : des communes, pour quoi faire ? Un maire, pour quelles fonctions ? Quel doit être le rôle d'une commune en milieu rural, en milieu urbain ?
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, notre mission doit avoir pour ambition de voir s'il est possible de rassembler tous les acteurs des territoires autour d'une vision partagée de l'avenir de la commune et du rôle des maires dans la vie locale.
Pour ce faire, nous vous proposons trois pistes de travail.
Il nous faut, tout d'abord, prendre la mesure du malaise grandissant des maires. Nous pourrons interroger plusieurs maires ayant abandonné leur mandat ou décidé de ne pas se représenter sur ce qui les a conduits à prendre cette décision. Nous pourrons aussi nous déplacer sur le terrain, afin de poursuivre l'investigation sur ce sujet et d'examiner les conséquences pour les territoires et les citoyens de ces communes sans exécutif ou avec des conseils municipaux incomplets.
Ensuite, il nous faudra recueillir le point de vue des représentants des élus locaux et des différents niveaux de collectivités territoriales, ainsi que des représentants de l'intercommunalité. Partagent-ils le même diagnostic sur la situation des communes et des maires et sur les contraintes qui pèsent sur leur action ? Et, surtout, quelle est leur vision de l'avenir de la commune et du rôle du maire ?
À cet égard, il ne faut pas oublier, me semble-t-il, le point de vue du citoyen, que nous pourrions recueillir par un sondage ou une consultation. Qu'attendent nos concitoyens de leur commune et de leur maire et que souhaitent-ils pour l'avenir ?
Enfin, il nous faudra examiner ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. D'ores et déjà, à l'occasion de chaque réforme territoriale, le Sénat a cherché à doter les communes d'une certaine souplesse d'organisation. Nous pourrions voir ce qui a fonctionné et ce qui doit encore être renforcé. Nos déplacements nous permettront également d'identifier les bonnes pratiques qui permettent aux communes de reprendre en main leur destin.
Nous devrons toutefois nous garder des approches uniquement techniques et institutionnelles : penser l'avenir de la commune, c'est s'attacher à une vision politique et fonctionnelle de cet échelon local élémentaire. Pour quelles actions la commune sera-t-elle la bonne échelle en 2030 ? À quels besoins de la population doit-elle répondre ? À quelles conditions pourra-t-elle le faire efficacement ?
Voilà quelques premières pistes. Elles doivent encore être enrichies des réflexions et propositions qui vous sembleront pertinentes. Vous pourrez également, si vous le souhaitez, nous transmettre vos suggestions par écrit, d'ici à notre prochaine réunion, pour que nous complétions le programme de nos travaux.
En effet, lorsque nous évoquons la question de la différenciation, il importe de prendre en compte les différentes spécificités des territoires. Aussi, nos travaux pourront s'enrichir des expériences que vous, élus locaux, vivez ou que vous avez vécues. Nous souhaitons que notre démarche soit la plus pragmatique possible. Il n'est pas question d'opposer, au sein du bloc intercommunal, l'intercommunalité à la commune, notre objectif est d'essayer de définir, d'une part, les conditions de nature à conforter la commune et, d'autre part, les outils nécessaires qui lui permettront de jouer son rôle de proximité, échelon de base de la démocratie locale à l'horizon 2030.
L'engouement de tous nos collègues pour participer à cette mission d'information nous oblige à être à la hauteur des espérances de la représentation sénatoriale et, au-delà, des Français qui croient encore - c'est ma conviction profonde - en l'échelon communal.
Mme Cécile Cukierman. - Au-delà de l'intérêt que nous portons à cette mission d'information, le Sénat a la volonté de réaffirmer cet échelon indispensable pour la démocratie que peut être la commune. Nous avons pu le constater lors des cérémonies de voeux qui ont jalonné tout le mois de janvier, les maires ont besoin de voir réaffirmés leur rôle, leur légitimité, leur capacité à animer le vivre ensemble. L'un des objectifs de notre mission est de contribuer à rassurer les élus locaux et à sécuriser leur action, car la crise sanitaire a montré que le lien de proximité s'était distendu. On observe d'ailleurs actuellement, parfois, une « hystérisation » des rapports entre les citoyens et les élus.
M. Jean-Marc Boyer. - N'oublions pas de différencier la commune rurale de 300 ou 400 habitants de la commune centrale d'une métropole. De même, l'avenir d'une commune rurale varie fortement, avec des objectifs différents, selon qu'elle est située dans une intercommunalité de 10 000 ou 15 000 habitants ou dans une métropole. Le décalage - je ne parle pas de fracture - entre une intercommunalité urbaine et une intercommunalité rurale doit faire partie de nos réflexions. Voyons comment nous pouvons rassembler ces deux mondes différents.
M. Jean-Michel Arnaud. - Nous partageons le diagnostic posé par le rapporteur quant au désengagement des citoyens à l'égard de la chose publique, couplé à une perte de confiance des maires en leur capacité à agir et à être utile, même si cela est sans doute moins sensible dans certains de nos territoires. Cette situation s'explique par les lois de décentralisation qui se sont succédé ainsi que par une question plus technique qu'il conviendra d'examiner, à savoir les moyens mis à la disposition du couple président d'intercommunalité-maire. Cette relation asymétrique ne facilite pas parfois l'appropriation durable des enjeux municipaux par les élus des conseils municipaux. On est vraiment à la croisée des chemins.
Il conviendra également de faire un bilan des communes nouvelles, qui ont été présentées comme une possibilité pour les communes les plus rurales de conserver une capacité d'agir et d'avoir un poids dans les intercommunalités naissantes et grandissantes. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) a privilégié fortement l'émergence des communes nouvelles, mais on arrive à point de saturation. Il faut repositionner la commune non seulement comme un lieu d'action de proximité, mais également comme un lieu de protection des libertés locales, en mesure de repousser la montée des populismes dans toute leur diversité. Toutefois, pour être crédible, le maire doit avoir les moyens et la capacité d'agir. Or les citoyens le constatent, la capacité des maires est limitée.
C'est pourquoi nous devons nous interroger sur la démocratie locale et sa capacité à se régénérer pour faire face à la montée des fractures territoriales et des populismes, ainsi qu'à la rupture du pacte de confiance entre les citoyens et les élus de proximité. Notre sujet est donc éminemment politique.
Le Président de la République a exprimé la volonté d'engager une réflexion sur les institutions, mais ce travail passe aussi, voire d'abord, par une réflexion sur la commune, car celle-ci constitue l'élément d'appropriation et d'identité d'un grand nombre de nos concitoyens. Veillons à ce que les pertes d'enracinement ne s'accroissent pas trop.
Mme Anne Chain-Larché. - Depuis 2020, les maires qui ont déjà exercé un mandat constatent que les choses sont de plus en plus difficiles, et ceux qui sont élus pour la toute première fois découvrent l'ampleur de leur mission. C'est pourquoi nous devons leur apporter des réponses.
Certes, la centralisation est une cause de la dégradation de la situation. Nous entendons encore des critiques sur la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), dont on mesure les conséquences dans certains territoires, et la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam). Par ailleurs, certaines communes souhaitent sortir de certaines intercommunalités ou communautés d'agglomération.
En outre, les maires déplorent une absence de lisibilité budgétaire d'une année sur l'autre, avec la baisse de la DGF, de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Les maires s'inquiètent également de la préconisation émise par la Cour des comptes de transmettre directement la DGF aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour la transférer ensuite aux communes.
Pour toutes ces raisons, cette mission d'information est bienvenue. Les élus attendent beaucoup du Sénat, l'assemblée qui les représente. Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, nous avions d'ailleurs voté la fin de l'obligation du reversement de la taxe d'aménagement perçue par les communes aux EPCI.
M. Éric Kerrouche. - Je ne suis pas certain que nous puissions résoudre tous les problèmes. La transformation des paroisses en communes a laissé des traces durables depuis 250 ans : on essaie de rationaliser et de supprimer les communes.
Ne faisons pas preuve d'idéalisation, mais n'adressons pas non plus de reproches excessifs. Dans le cadre de la différenciation, faut-il aller plus loin encore, en opérant une différenciation à l'intérieur du mode d'organisation communale ? Une commune de 50 habitants doit-elle s'organiser de la même façon qu'une commune de 8 000 ou de 15 000 habitants ? Je ne le crois pas. Les communes sont-elles uniquement dans une logique identitaire, selon les règles de l'affectio societatis, et non pas dans l'optique de proposer des services publics aux citoyens ? Dans cette dernière hypothèse, seules certaines communes ont les moyens de répondre à ces attentes.
De la même façon, faut-il revenir sur les intercommunalités ? Or, seule, une commune ne peut pas faire grand-chose. Ou faut-il revoir le fonctionnement des intercommunalités ? Nous aurons du mal à contourner la question constitutionnelle s'agissant de la représentativité de l'intercommunalité.
Certaines modalités du fonctionnement démocratique local ne sont plus en phase avec les exigences actuelles des citoyens. Pour reprendre une expression de Jean Viard, la démocratie locale ne peut plus être une démocratie du sommeil, ce qu'elle est actuellement avec l'effondrement de la participation locale depuis 1990. Interrogeons-nous sur ce paysage dévasté.
Pour ce qui concerne les élus, il faudrait quantifier le retrait des élus, pour voir l'évolution. En 2018, lorsque j'ai écrit Le blues des maires, 50 % des maires ne voulaient pas se représenter, mais ce n'est pas ce qui s'est passé dans les faits. Nous le savons tous, il est de plus en plus difficile d'exercer un mandat, singulièrement un mandat de maire. Interrogeons-nous aussi sur le statut du maire et donc sur celui de l'élu local.
Mme Françoise Férat. - Je partage les propos de mes collègues. Modestement, je peux partager avec vous mon expérience en tant que maire, vice-présidente d'un conseil départemental, présidente du parc naturel régional de la Montagne de Reims, élue d'un département où la moitié de la population vit dans une grande ville et l'autre dans des communes très rurales.
Le périmètre de la mission d'information est bien circonscrit. Le défi à relever est certes difficile, mais la contribution de chacun d'entre nous nous permettra d'aboutir à des propositions intéressantes, j'en suis convaincue.
Mme Catherine Belrhiti. - Mon département est extrêmement rural, il compte 725 communes. Je suis interpellée par le nombre de jeunes maires qui ont déjà démissionné face à l'ampleur du travail, mais aussi à l'évolution de la société. Les maires se retrouvent constamment confrontés aux menaces, à des actes de violence. De plus, ils ne sont pas accompagnés ; il est difficile de trouver des secrétaires de mairie parce qu'il n'y a pas de formation.
Les communes rurales se plaignent également d'une faible représentation dans les intercommunalités. Elles se retrouvent noyées dans l'intercommunalité.
Il faut se pencher sur le statut des maires, les indemnités. Comment les motiver pour les prochaines élections ?
De plus, il convient de réfléchir à la manière de leur redonner des moyens financiers, notamment avec la suppression de la taxe d'habitation. La taxe foncière ne suffira pas.
M. Hugues Saury. - Il peut être intéressant de connaître l'organisation territoriale des pays voisins.
La situation est effectivement très différente d'une commune à l'autre. Mon département du Loiret compte une métropole et des communes extrêmement rurales.
Pour ma part, je ressens une forme de désespérance des élus, qui se sentent démunis face à la multiplicité et à la complexité des normes. Ils se trouvent dans une situation d'impuissance et de dépossession. C'en est fini du maire qui porte sa commune ! Les moyens dont disposent les maires sont bien maigres face à leurs ambitions.
Le retrait des citoyens pose, d'une façon plus générale, la question de la relation des élus face à leurs administrés, qui devient, à mon sens, de plus en plus compliquée.
Dernièrement, j'ai lu un article de presse dont le titre m'a choqué : la France croule sous ses collectivités territoriales. Une petite musique laisse croire que notre organisation territoriale coûterait extrêmement cher. Mais si l'on devait se passer du maire qui fauche les bas-côtés ou fait des travaux de déneigement, quel serait le coût d'un agent d'une grande intercommunalité pour le remplacer ?
Les élus attendent nos travaux.
M. Didier Marie. - Le sujet est particulièrement sensible. Il me semble utile de prendre en considération l'évolution de notre société. Lorsque les communes ont été créées il y a 250 ans, nos concitoyens étaient attachés à leur territoire, y vivaient, y travaillaient, y passaient l'essentiel de leur vie, quelle que soit d'ailleurs la taille de la commune. Aujourd'hui, nos concitoyens sont ultramobiles. Dans la commune où j'ai été maire, en l'espace de dix ans, près de la moitié de la population est partie. La relation au territoire est différente.
De la même façon, dans leur vie quotidienne, nos concitoyens ont une approche différente, phénomène qui s'est accéléré au cours des dernières années : ils ne travaillent quasiment plus là où ils habitent, les activités de loisirs sont plus proches du lieu de travail. Cette situation explique cette distanciation à l'égard du fait communal. S'y ajoute la crise démocratique que nous connaissons et qui ne touche pas que l'échelon communal. Nous devons nous interroger sur la manière dont nous pouvons associer nos concitoyens à la décision publique.
Je vous rejoins, on n'a pas la même fonction ni le même rôle selon que l'on est maire d'une commune de 70 habitants ou de 250 000 habitants. Mais cela signifie aussi que la commune n'a pas les mêmes moyens et n'offre donc pas les mêmes services. Il nous faut engager une réflexion sur le rôle du maire, des élus, en fonction des strates de population.
Enfin, il nous faut nous pencher sur la relation entre la commune et l'intercommunalité. La proportion de cas où cela ne se passe pas bien est marginale. Si vous en êtes d'accord, nous pourrions recueillir les témoignages des intercommunalités qui ont redonné un souffle aux communes. L'intercommunalité a ses vertus : n'opposons pas les intercommunalités aux communes, mais nourrissons nos réflexions des expériences positives.
Enfin, j'aimerais savoir comment s'articulera, dans la durée et sur le fond, cette mission d'information avec le groupe de travail lancé par le président Larcher ?
Mme Brigitte Devésa. - Mon département des Bouches-du-Rhône compte 119 communes. À vous entendre les uns et les autres, je constate que les maires rencontrent quasiment les mêmes problématiques.
Je rejoins mon collègue Jean-Michel Arnaud, la protection des libertés locales est une question très importante. Gardons à l'esprit que la commune est l'échelon local indispensable. Les citoyens s'adressent directement à leur maire en cas de problème, notamment dans les petites communes rurales.
Durant tout le mois de janvier, j'ai entendu le même discours. Les maires déplorent de ne pas être écoutés, d'être privés de liberté financière. Ils se sentent étouffés. Dans le cadre des services déconcentrés, le parlementaire fait le lien entre la commune et la préfecture.
De nombreuses questions doivent être examinées. Certains ont parlé des indemnités des élus, notamment dans les petites communes. Un maire d'une commune de moins de 300 habitants est directement plongé dans la vie de la commune, pour une faible indemnité.
En outre, dans un même territoire, certaines communes ne fonctionnent pas de la même manière en fonction du plan local d'urbanisme (PLU).
J'espère que cette mission d'information apportera des éléments de réponse, car les maires comptent vraiment sur nous.
M. Guy Benarroche. - Cette mission d'information doit avoir une vraie vision prospective, comme l'a souligné le rapporteur. On ne doit donc rien s'interdire. Les communes doivent-elles aller vers l'autarcie, vers une indépendance énergétique, alimentaire, agricole, financière, fiscale la plus importante possible ? Ou doivent-elles impérativement faire partie d'un groupement plus important, car les communes actuelles ne parviendront pas à définir des politiques permettant à un territoire de se développer ? Je ne prends pas position pour l'une ou l'autre vision ; je pose la question.
Comme Didier Marie l'a indiqué, la situation a beaucoup évolué, nos concitoyens ne travaillent plus dans la commune dans laquelle ils vivent. Cela induit des changements considérables sur la vision qu'ils ont de leur commune et sur leur engagement civique.
Doit-on lier l'avenir des communes à la gouvernance d'une commune par un maire, si l'on veut que les citoyens participent à la gouvernance ? Certes, ma question peut être iconoclaste, mais il n'existe pas une seule solution pour toutes les communes.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Nous nous sommes interrogés sur la temporalité de nos travaux, compte tenu de l'existence du groupe de travail sur la décentralisation. Il faudra bien sûr qu'il y ait des passerelles et des points de cohérence avec l'ensemble des travaux du Sénat.
Ce qui a motivé la création du groupe de travail sur la décentralisation, c'est la réflexion actuellement menée par le Président de la République. Il nous était impossible de rester sourds à des évolutions annoncées en matière de décentralisation, de déconcentration, de différenciation.
Nous l'avons tous dit, la commune joue aujourd'hui un rôle singulier, atypique. Elle a, bien sûr, connu des évolutions : la commune de 2023 n'est pas celle d'il y a 250 ans. L'approche territoriale de nos concitoyens n'est sans doute pas la même. Pour autant, elle reste la cellule de base de la démocratie locale. Nous souhaitons vraiment avoir une réflexion tournée vers le citoyen et son lien avec la commune. Pour nourrir nos réflexions, nous souhaitons faire un sondage sur la perception des communes - entre petites et grandes communes, entre communes rurales ou hyperrurales et communes urbaines ou métropoles, les le regard est nécessairement différent.
Enfin, je crois qu'il y a aujourd'hui un phénomène post-lois de réforme territoriale depuis 2010, depuis la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT), en passant par la loi NOTRe. On sent bien que les mesures prises ont une incidence très directe sur l'évolution institutionnelle, avec le besoin de proximité et d'échelons exprimé par nos concitoyens, car il leur permet de lire l'action publique.
Pour ces trois raisons, il nous a semblé important de faire un focus sur le fait communal.
Je le répète, il n'est pas question pour nous d'opposer la commune à l'intercommunalité. Si la cohabitation entre la commune et l'intercommunalité ne pose pas nécessairement de difficulté, nous devons prendre en compte certaines réalités, notamment le fait que le maire ait parfois du mal, aujourd'hui, à se retrouver dans l'ensemble intercommunal, à y faire entendre la voix de sa commune.
Au-delà, la commune reste, aux yeux de nos concitoyens, l'incarnation de ce qui se passe à l'échelon de proximité. Aujourd'hui, c'est aussi le premier - ou le dernier ! - des services publics sur notre territoire. C'est fondamental. Il nous faut faire une lecture pragmatique, réaliste, et avoir un regard très politique parce que le débat ne doit pas être purement technique. C'est l'avenir de la commune qui est en jeu.
Le groupe de travail sur la décentralisation aura une approche plus globale, la commune étant l'un des éléments de l'ensemble, notre mission d'information est vraiment là pour éclairer l'avenir de la commune. Cher Guy Benarroche, nous ne devons nous interdire aucune réflexion, que ce soit sur la gouvernance ou sur la commune.
Nous sommes conscients qu'il existe des différences fondamentales entre la plus petite commune de France - Rochefourchat, dans la Drôme, qui ne compte qu'un habitant - et Paris, qui en totalise plus de 2 millions.
Avant-hier, j'ai été frappé de retrouver, dans le discours du maire de Pointe-à-Pitre, où je me suis rendu avec le président du Sénat dans le cadre d'une mission sur la déconcentration et la décentralisation, les propos des maires de mon département de l'Ardèche que j'ai entendus lors de toutes les cérémonies de voeux : il y a une philosophie qui singularise la commune, qui la rend atypique. Cette collectivité se distingue par sa clause de compétence générale et par le fait qu'elle soit ce premier lien avec nos concitoyens.
Il serait important, pour que l'on définisse bien le périmètre de nos travaux, que chacune et chacun d'entre vous puisse, d'ici à notre prochaine réunion, qui aura lieu dans quinze jours, nous faire remonter les sujets connexes que nous pourrions aborder ; les déplacements qui vous paraissent importants ; des exemples de mauvaises comme de bonnes pratiques. En effet, nous devons avancer, et la conclusion de nos travaux doit s'articuler avec ceux du groupe de travail sur la décentralisation.
Mme Marie-Christine Chauvin. - Je veux vraiment insister sur la situation des maires des petites et très petites communes. Ils font tout ! Leur seule assistance vient du secrétaire de mairie, à raison de quelques heures par semaine, loin des services techniques des communes plus importantes. Ces maires se sentent vraiment seuls. Ils manquent de soutien et se sentent un peu perdus dans les grandes intercommunalités.
Par exemple, dans mon territoire, on est passé d'une communauté de communes de 22 communes et 6 000 habitants, où chaque maire participait, apportait ses idées, à une communauté de communes de 66 communes et 24 000 habitants. Beaucoup de maires n'osent plus y aller ou s'y exprimer - c'est un vrai problème. Se posent aussi des problèmes dans le cadre du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Si nous devons évidemment porter une attention à toutes les communes, nous devons réfléchir en particulier aux plus petites d'entre elles.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Je pense que notre mission tombe à point nommé, compte tenu de l'annonce, par le Président de la République, d'une prochaine réforme des institutions, avec des propositions très novatrices - elles seraient même de nature à choquer - sur le fameux millefeuille institutionnel, même si c'est le département plus que la commune qui risque d'être en cause. Nos travaux peuvent apporter une contribution à cette réforme si l'on nous entend.
Il nous faut être concrets. C'est en allant voir les maires, en discutant avec eux, en échangeant avec ceux qui ont démissionné que l'on parviendra à comprendre la désaffection de nombre d'entre eux. Dans mon département, il n'y a aucune commune où il n'y ait pas eu de liste au premier tour des municipales : les 470 conseils municipaux ont été volontaires. Or, depuis deux ans et demi, les démissions se succèdent - c'est inédit.
J'ai relevé quelques points intéressants : la question du nouveau statut du maire, celles de la formation, de l'accompagnement, le problème de la complexité des décrets d'application des lois, qui sont toujours des casse-tête pour les maires. La relation au territoire et au citoyen a aussi changé.
Nous essaierons de vous communiquer le calendrier de nos travaux le plus rapidement possible. D'ici là, n'hésitez pas à faire remonter vos propositions.
Mme Brigitte Devésa. - Peut-on vous proposer des auditions ?
Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous organiserons évidemment des tables rondes avec les associations d'élus, mais nous sommes ouverts aux propositions d'auditions de maires qui ont démissionné ou de nouveaux maires que vous connaîtriez.
Mme Catherine Belrhiti. - Nous pouvons aussi entendre des maires qui font des choses originales.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Oui.
M. Jean-Marc Boyer. - A-t-on une idée du calendrier de l'annonce par le Président de la République de la réforme des institutions ? Cela risque sérieusement d'orienter nos travaux, nos déplacements, nos auditions...
Mme Maryse Carrère, présidente. - J'ai cru comprendre que l'idée était d'enchaîner avec la réforme des retraites.
M. Hugues Saury. - Il est question de la fin du mois de février.
Mme Anne Chain-Larché. - Permettez-moi d'ajouter un point.
La suppression du corps préfectoral, avec l'ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État et le décret du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l'État, n'est pas sans conséquence sur la vie des communes. Il sera possible de rester au maximum neuf ans dans le même corps et cinq ans dans le même poste. Les membres du corps préfectoral, qui sont des interlocuteurs privilégiés des maires, risquent tout simplement de disparaître parce qu'ils seront affectés dans d'autres ministères. C'est un coup porté à l'existence même des départements, mais aussi à la relation entre l'État, au travers du préfet, et le maire, qui me paraît lourd de conséquences pour l'avenir. Ce sujet pourrait faire l'objet d'auditions.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Le sujet des relations entre le maire et le préfet est en effet un point essentiel à étudier.
La réunion est close à 17 h 15.