Mercredi 25 janvier 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Solutions d'adaptation et de résilience hydrique de notre pays - Audition de MM. Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l'INRAE et Tristan Mathieu, directeur des affaires publiques, du développement durable et de la RSE de Veolia eau France
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis afin de poursuivre notre cycle d'auditions consacrées aux menaces que le changement climatique fait peser à la fois sur la gestion et la disponibilité de la ressource en eau dans notre pays. Il s'agit d'un enjeu d'autant plus essentiel qu'une société sans eau n'est pas concevable et que les conditions de vie dans un territoire où l'eau vient à manquer ne peuvent que se dégrader - nous ne le répéterons jamais assez. Cette question vitale mérite que notre commission s'y intéresse au long cours, afin de contribuer au débat public sur la résilience hydrique de nos territoires, en croisant pour cela les approches et les regards, avec l'aide des scientifiques et des experts. Pour y parvenir, nous savons d'ores et déjà que nous devrons faire preuve tout à la fois d'ambition, de créativité et de courage.
Ma longue expérience d'élu de terrain m'incline toutefois à envisager ce sujet avec confiance, car je sais que la force des sociétés démocratiques repose dans leur capacité à résoudre collectivement les défis. Les enjeux hydriques sont devant nous et ils seront ardus à résoudre : ne nous voilons pas la face, il nous faudra retrousser les manches. Le bon sens populaire est visionnaire quand il proclame que « c'est quand le puits est sec que l'eau devient richesse ». Cet été a démontré toute l'actualité de cette sagesse proverbiale : jamais l'expression d'« or bleu » pour qualifier l'eau n'a été plus pertinente.
Je résume rapidement pour nos invités l'état de nos travaux : notre première table ronde a mis en évidence la complexification croissante de l'exercice des compétences eau et assainissement par les communes et leurs groupements. Le constat a également été tiré que la multiplication des instances chargées de la gestion de l'eau nuisait à la cohérence et à la lisibilité des politiques publiques.
La semaine dernière, notre audition sur l'avenir de l'eau, à la suite d'un échange fructueux avec nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective, a dessiné les grandes lignes de l'avenir hydrique de notre pays et tracé des scénarios d'adaptation à cette nouvelle donne, à travers la sobriété, l'investissement dans les réseaux, la conciliation des usages, le pragmatisme et le dialogue pour mobiliser de la ressource, la repolitisation des instances de l'eau, sans oublier la nécessité de moyens financiers accrus, en particulier au bénéfice des agences de l'eau.
Aujourd'hui, place à l'optimisme : parlons solutions ! La France n'est pas sans atout pour préparer dès aujourd'hui son avenir hydrique. Nous pouvons tout d'abord compter sur les scientifiques : ceux-ci simulent à l'aide de modèles et d'observations de terrain les variations probables de la ressource, dans le temps comme à travers l'espace. Les hydrologues élaborent des scénarios sur la disponibilité en eau et donnent des clefs pour évaluer la pertinence des solutions d'adaptation au changement climatique. Je suspends un instant mon propos pour saluer le travail prospectif réalisé par les scientifiques ; sans eux, le politique serait myope.
Au niveau de l'État, la direction de l'eau et de la biodiversité s'est vu confier la noble et grande mission de concevoir, évaluer et mettre en oeuvre les politiques de l'eau. Je connais l'implication de son directeur, que nous avons le plaisir de recevoir à nouveau ce matin, afin de trouver des solutions territorialisées qui tiennent compte des situations propres à chaque bassin et sous-bassin versant. Pour l'assister, il peut s'appuyer sur l'expertise des services du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et la proximité des services déconcentrés.
Enfin, pour relever les défis hydriques, nous pouvons également compter sur les fleurons de l'école française de l'eau, des entreprises ayant acquis depuis plus d'un siècle un savoir-faire incontestable en matière de distribution de l'eau et de traitement des eaux usées, que de nombreux pays nous envient à l'international. Ces entreprises, par leur activité de recherche et développement ainsi que leur volonté d'efficience et de lutte contre le gaspillage, sont des pourvoyeuses de solutions pertinentes pour le petit cycle de l'eau.
Mais je serais ingrat si j'omettais de saluer l'implication constante des élus locaux, au sein de leur commune ou leur EPCI, en assurant au quotidien, avec leurs services techniques, la gestion de l'eau dans leur territoire, au bénéfice de tous les Français.
Afin que notre échange soit le plus transversal possible et que les différentes facettes de la résilience hydrique puissent être abordées, j'ai jugé bon de convier un représentant de chacune des catégories des acteurs chargés d'imaginer et de mettre en oeuvre les solutions d'adaptation à la nouvelle donne aquatique. Nous accueillons ce matin Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) ; Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité ; et Tristan Mathieu, directeur des affaires publiques, du développement durable et de la RSE de Veolia eau France. Au nom de la commission, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Avant de passer aux échanges avec mes collègues sénateurs, je propose pour amorcer le dialogue que chaque intervenant présente en cinq minutes ses principaux travaux sur le sujet. M. Caquet nous éclairera sur l'état des recherches scientifiques couvrant les pistes d'économie de la ressource les plus fréquemment évoquées - développement de la réutilisation, sobriété des usages, recharge des nappes, amélioration de la connaissance des espèces végétales cultivées et de leurs besoins en eau - et plus généralement sur les apports de la science que vous entrevoyez pour la résilience hydrique des territoires. M. Thibault abordera les évolutions réglementaires pour éviter et se préparer aux conflits d'usage et les solutions portées par la direction de l'eau et de la biodiversité pour favoriser la résilience hydrique territoriale de notre pays. Peut-être aussi pouvez-vous nous en dire un peu plus, sans trahir de secret, sur les annonces qui seront faites demain par le Gouvernement à l'occasion du Carrefour local des gestions de l'eau ? Enfin, M. Mathieu nous présentera l'action de Veolia eau, en particulier les innovations que la R&D ont permis de déployer au profit des territoires et le progrès technique en matière de gestion du petit cycle de l'eau. Quelles sont, selon vous, les pistes les plus intéressantes à envisager pour favoriser la résilience hydrique en chaque point du territoire ?
Ce cadre étant posé, place aux échanges. Mes collègues sénateurs ne manqueront pas de solliciter l'expertise de chacun, dans le but de verser de l'eau au moulin des bonnes idées !
M. Thierry Caquet, directeur scientifique environnement (INRAE). - En tant que directeur scientifique environnement à l'INRAE, je suis chargé du pilotage scientifique de quatre grands domaines, très interconnectés et qui font écho à vos préoccupations. Le premier est celui de l'adaptation et de l'atténuation face au changement climatique, notamment pour le secteur agricole mais aussi pour les écosystèmes forestiers. Le deuxième concerne les dynamiques propres à la biodiversité puisqu'on ne peut pas imaginer une trajectoire d'adaptation sans intégrer les dimensions de biodiversité. Le troisième a trait à la gestion durable des ressources en eau et du sol. Le quatrième domaine, plus transversal, porte sur l'évaluation et la gestion des risques, notamment liés aux phénomènes naturels mais aussi aux pressions anthropiques.
L'INRAE est né il y a 3 ans, le 1er janvier 2020, de la fusion de l'INRA (Institut national de la recherche agronomique) et de l'IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture). Ce rapprochement a permis de réunir dans un même établissement des compétences permettant d'aborder la question de l'eau sur l'ensemble du cycle, depuis les précipitations tombant à la surface des terres émergées jusqu'aux écoulements vers la mer (appelés souvent « l'eau bleue »), sans oublier « l'eau verte » qui désigne l'eau présente dans les sols, qui peut repartir dans l'atmosphère par le phénomène de l'évapotranspiration. Ce cycle de l'eau, via les plantes qui permettent la photosynthèse et la production de matières vivantes, est au fondement de l'ensemble des écosystèmes naturels.
Dans le contexte de tensions sur les ressources en eau et de possible - voire probable - diminution de ces ressources à des moments critiques de la production alimentaire, l'enjeu principal pour l'INRAE est de mieux comprendre le cycle de l'eau en recourant notamment à des modélisations. Je pourrai à cet égard revenir sur l'exercice Explore2 mené avec le ministère de la transition écologique et d'autres partenaires qui permet la projection de la disparité territoriale et quantitative des ressources en eau à l'échéance de la moitié du siècle. Ce projet, qui revisite un exercice antérieur, démontre que les ressources en eau issues des écoulements vont a priori fortement diminuer dans les années qui viennent.
Il nous faut également reconcevoir l'agriculture et les systèmes agricoles à la fois pour s'adapter aux conditions nouvelles liées au changement climatique et pour contribuer à l'atténuation du changement climatique. Pour réduire les émissions liées aux activités agricoles, l'INRAE s'appuie en grande partie sur les outils et méthodes de l'agroécologie. Le système actuel a largement atteint ses limites, notamment du fait - mais pas uniquement - de la raréfaction des ressources en eau à certaines phases critiques du cycle des plantes. L'objectif est de favoriser l'infiltration de l'eau, de ralentir son cycle pour permettre d'augmenter la réserve utile en eau des sols et de diversifier les productions agricoles à l'échelle des bassins pour mettre en oeuvre des systèmes culturaux plus économes en eau. En définitive, ces transformations impliquent de repenser l'ensemble de la chaîne alimentaire puisque l'adaptation de l'agriculture n'est pas qu'une question de production mais concerne bien l'ensemble des chaînes de valeur.
Au travers des outils de l'agroécologie et de la transformation des systèmes de production, nous devons aller vers des pratiques plus économes en intrants et être capables de nous projeter vers un avenir différent. De simples adaptations incrémentales ne suffiront pas. Dans plusieurs régions de France, il faut se préparer à de fortes réductions de la disponibilité en eau. Dès lors, les pratiques agricoles qui sont actuellement majoritaires ne pourront pas perdurer. L'anticipation est le maître mot. C'est ce que l'INRAE met en oeuvre avec des acteurs académiques à l'instar du BRGM et du CNRS, avec les acteurs de terrain comme les chambres d'agriculture, les instituts techniques, mais aussi avec les agences de l'eau ou l'Office français de la biodiversité, afin de se projeter à l'échelle des territoires sur ces futurs possibles dans un monde où la ressource en eau est devenue plus rare. Nous collaborons avec ces différents acteurs en soutien aux politiques publiques, pour imaginer notamment les scénarios de partage de l'eau.
On ne peut pas continuer sans changer les pratiques. Les transitions à l'échelle des territoires doivent concerner tout le monde. Il ne faudrait pas imaginer que l'on puisse continuer sans oeuvrer à la transition. Celle-ci peut être anticipée collectivement mais, si rien n'est fait, elle peut aussi malheureusement être subie et s'imposer via des catastrophes.
M. Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires). - Un des premiers défis pour la direction de l'eau et de la biodiversité est de rendre le sujet audible. Nous avons encore du mal à sensibiliser nos concitoyens sur l'importance et les défis qui pèsent sur la gestion de l'eau.
L'été 2022, en raison de la sévérité de la sécheresse, a fait l'effet d'un électrochoc pour un certain nombre de nos concitoyens. Cette crise, que nous n'avons presque jamais connue, ne fait cependant que préfigurer ce que nous connaîtrons dans le domaine hydrologique d'ici quelques années. Ce que nous avons vécu cet été est ce que nous vivrons de manière récurrente en termes de disponibilité en eau d'ici 15 à 20 ans. L'été 2022 doit donc constituer une alerte qu'il faut prendre au sérieux et le signal que nous devons commencer à nous adapter. Notez que je parle d'adaptation et non plus d'atténuation. Nous n'avons en effet pas réussi collectivement, au niveau mondial, à prendre les mesures et les décisions qu'il fallait pour empêcher le changement climatique. Le changement climatique, qui a des incidences immédiates sur l'eau, est à l'oeuvre ici et maintenant et non pas à l'autre bout du monde dans 50 ans.
Les réseaux d'eau de 700 communes, sur les 35 000 que compte la France, n'ont pas été en mesure de distribuer de façon permanente de l'eau à leurs abonnés cet été. Cela nous a rappelé que l'eau n'est pas infinie et que la gestion estivale de l'eau n'est pas uniquement un sujet agricole, mais bien un enjeu pour l'ensemble des usages. Il faut reprendre conscience de la finitude de cette ressource et de la nécessité de la partager. L'objectif ne saurait être de partager l'eau qui n'existe pas mais de partager celle qui existe. Le fait que 700 communes aient été en rupture d'eau cet été ne signifie cependant pas qu'il y ait eu 700 communes sans eau au robinet. Grâce à l'organisation des opérateurs et à l'implication des communes, il a été possible de remplir par camions les châteaux d'eau et de permettre la distribution d'eau. Je note, au passage, que l'on constate une corrélation très forte entre la carte de ces 700 communes et celle des communes n'ayant pas délégué la compétence à une intercommunalité. Quand les travaux d'interconnexion, de sécurisation ou de fiabilisation n'ont pas été réalisés, les communes sont en effet plus dépourvues pour réagir. Le transfert de la compétence eau et assainissement à l'EPCI à fiscalité propre est un moyen d'accroître la résilience territoriale.
Je tiens également à souligner que notre système a tenu bon cet été. Si cette crise s'était déroulée il y a dix ans, je ne suis pas certain que nous aurions rencontré le même succès. Nous avons en effet anticipé la gestion de crise, via le partage dès le mois de mai-juin des cartes d'anticipation. Des arrêtés préfectoraux cadre pour anticiper la sécheresse ont été préparés en amont. Le système n'était pas parfait mais il a tenu bon. En revanche, nous devons être vigilants face à un possible « syndrome nucléaire », qui reviendrait à être excessivement confiants. Des investissements énormes ont été réalisés en faveur de l'eau potable après-guerre et jusque dans les années 1980 ainsi que sur l'assainissement jusque dans les années 2000. Nous disposons d'un patrimoine exceptionnel mais nous ne l'entretenons pas assez. Une sorte de tyrannie du prix de l'eau s'exerce : un élu est mieux considéré s'il délivre un service minimaliste avec un prix de l'eau faible plutôt qu'un vrai service avec un prix de l'eau un peu plus élevé. Cette logique nous conduit à sous-investir et à sous-entretenir le patrimoine. Comme pour le parc nucléaire, ces sous-investissements ne sont pas visibles immédiatement, ce qui conduit à retarder la prise de décisions. Le risque d'un effondrement du système à terme est réel. Pour éviter ce risque, il faut investir davantage dans l'entretien de notre patrimoine.
Pour prendre les bonnes décisions et pouvoir investir à bon escient, il faut avant tout accroître nos connaissances sur le partage de l'eau, mieux connaître les réseaux et mieux détecter les fuites. D'importants efforts de connaissances ont été mis en oeuvre notamment grâce à Explore 2070, Explore2, ou encore grâce aux rapports du GIEC. Il nous faut également mener un travail de planification dans le domaine de l'eau. Nous avons dans ce domaine une longue histoire. Tous les bassins ont conçu des plans d'adaptation au changement climatique. Pour chaque grand bassin versant existe un SDAGE (schéma directeur d'aménagement et de gestion de l'eau), porté par les agences de l'eau. Tous les six ans nous évaluons la quantité tout comme la qualité de l'eau et nous nous fixons des objectifs pour les six années suivantes. Les SDAGE sont des outils incontournables pour fixer les objectifs par bassin et déterminer les moyens pour les atteindre. Par ailleurs, la Première ministre a lancé récemment les chantiers de la planification écologique, dont le premier volet concerne l'eau. Une très large concertation s'est organisée durant les quatre derniers mois au sein du comité national de l'eau et dans les comités de bassin. Des réunions de restitution se sont tenues, au cours desquelles de nombreuses propositions ont été formulées, dans un grand nombre de domaines. Nous avons du travail pour mettre en oeuvre toutes ces dispositions.
Je souhaite rappeler que l'eau est un sujet territorial et non national. Il faut donc se garder des fausses bonnes solutions, comme celles du recours systématique au stockage. Des parties du territoire auront moins d'eau en été et en hiver quand d'autres en auront trop en hiver et à peu près ce qu'il faut en été. L'eau du nord de la France ne peut être utilisée pour alimenter le sud de la France, et inversement. Il faut s'organiser au niveau territorial. Au ministère de la transition écologique, nous répétons qu'à un territoire donné correspond une gouvernance qui lui est propre. Cette gouvernance est par ailleurs transversale : il n'y a pas une eau agricole, une eau pour l'eau potable, une eau pour l'industrie, une eau pour l'énergie. Il y a une seule ressource en eau. Certaines parties de l'année, la somme des besoins exprimés est supérieure à l'eau réellement disponible. Chaque territoire doit s'organiser pour déterminer les choix à réaliser pour mener à bien les chantiers qu'il souhaite engager. Les élus ont un rôle essentiel à jouer pour organiser ce partage de l'eau.
Le sujet de l'eau est donc un sujet territorial, transversal et qui nécessite une gouvernance par territoire. J'insiste sur le fait qu'il faut répartir l'eau qui existe. Un de nos problèmes aujourd'hui dans la gestion de l'eau est qu'on fantasme encore sur les autorisations théoriques données il y a 20 ans. Nous sommes conduits à gérer l'eau sous l'effet des crises. Des autorisations théoriques d'eau sont délivrées et on les adapte ensuite en fonction de l'ampleur des crises. Or, pour s'organiser et s'adapter, les acteurs ont besoin de lisibilité et de visibilité sur la quantité d'eau utilisable. Avec le système de gestion structurelle de l'eau, l'objectif est de garantir de l'eau 8 années sur 10, avec une gestion en période de crise 2 années sur 10. Ce n'est néanmoins plus le cas aujourd'hui : pour la moitié des départements français, les arrêtés sécheresse sont pris 10 années sur 10. Par facilité et absence d'anticipation, plus d'autorisations sont autorisées que les ressources effectivement mobilisables.
S'agissant du modèle économique, se reposer sur les investissements d'autrui pour bénéficier de l'eau gratuitement n'est pas une solution durable. Si l'eau est gratuite, le service pour la potabiliser, la distribuer et la rendre disponible à tout moment est payant. Il faut assumer collectivement que des coûts sont inhérents à certains usages de l'eau en certains endroits, et que des décisions politiques doivent être prises pour répartir ces coûts entre l'État, les collectivités et les activités économiques du territoire.
Il ne faut pas opposer création de la ressource en eau et économies de cette même ressource. Des économies seront nécessaires, dans la mesure où il n'y a pas assez d'eau par rapport à l'ensemble des usages. Il faut donc que l'eau soit exploitée de la façon la plus efficiente possible. Nous ne pouvons pas la gaspiller, quel que soit l'usage. Dans tous nos modèles et pour toutes nos utilisations de l'eau, nous devons tendre vers la plus grande efficacité possible.
Enfin, nous devons utiliser les solutions fondées sur la nature, alors que nous avons longtemps pensé que nous pouvions nous en exonérer. En cas de manque d'eau, les retenues étaient la solution. Pour éviter les inondations, il fallait construire des barrages ou des digues. Pour les sols trop pauvres, recourir aux engrais. En réalité, la nature se rappelle régulièrement à notre bon souvenir. Vivre contre ou aux dépends de la nature ne saurait fonder un système durable. Nous devons réapprendre à vivre avec elle. Nous devons mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes afin de les utiliser de manière optimale pour nos productions. Dans le domaine de l'eau, rectifier les rivières, drainer, accélérer les flux pour hâter le retour à la mer ne sont pas des solutions pérennes. Il faut plutôt retenir l'eau et faciliter les infiltrations dans les sols via des infrastructures agro écologiques comme les haies, les bandes enherbées, les méandres des rivières, les zones humides...L'objectif consiste à stocker l'eau en hiver afin de la restituer quand il y en a moins. Si nous voulons des plantes et des végétaux qui poussent en été, nous avons intérêt à stocker l'eau en hiver. La meilleure bassine est celle qui est sous nos pieds, là où l'eau ne s'évapore pas et se restitue progressivement. Nous devons réapprendre que les écosystèmes fonctionnels sont résilients et permettent de nous adapter. Vivre avec la nature est une partie de la solution si l'on veut s'adapter à l'évolution de nos climats.
M. Tristan Mathieu, directeur des affaires publiques, du développement durable et de la RSE (Veolia eau France). - Je suis accompagné d'Anne du Crest, directrice des opérations de Véolia Eau France qui pourra vous donner des retours de terrain de ce que nous avons vécu cet été. Veolia France distribue l'eau pour un Français sur trois, emploie 15 000 salariés sur le territoire et gère plusieurs milliers d'usines de traitement d'eau.
Je partage le diagnostic et les solutions avancées par mes deux prédécesseurs. L'été 2022 a en effet été très difficile en matière de gestion de la ressource en eau et annonce les suivants. Selon les experts, d'ici une vingtaine d'années, les conditions de l'été 2022 seront les normales saisonnières d'un été sur trois en France. Pour renforcer la conscience du public, il faut sensibiliser les Français au fait que le territoire métropolitain évolue vers des températures et un climat semi-arides. Nos voisins européens, comme l'Espagne et dans une moindre mesure l'Italie, ont vécu cette situation quelques années avant nous.
Nous sommes bien face à une nouvelle donne. La prise de conscience des citoyens est en train de s'opérer. Il y a vingt ans, environ un tiers des Français craignait un manque d'eau dans sa région ; aujourd'hui ils sont deux tiers à le craindre. C'est une source de satisfaction pour Veolia de constater que le premier plan en matière de planification écologique concerne l'eau. Nous sommes impatients d'en découvrir les mesures. Notre conviction est qu'il faut réinvestir pour les services publics d'eau et d'assainissement, ce qui a insuffisamment été fait par le passé. Le critère d'alerte porte sur le taux de renouvellement des canalisations : 0,7 % des canalisations sont renouvelées chaque année, ce qui équivaut à une durée de vie théorique des canalisations de 150 ans... La réponse face à ce sous-investissement doit être ciblée. Olivier Thibault a raison de souligner qu'il s'agit de sujets locaux et temporels. La saisonnalité n'est pas assez prise en compte dans les lois. Ainsi, l'interdiction d'instaurer des tarifications dégressives pour l'eau ne dit rien de la temporalité : il y parfois trop d'eau et parfois pas assez.
Il faut aider les collectivités à investir. Il existe en effet une forme de tyrannie du prix de l'eau, qu'il faut réussir à dépasser. Ces évolutions doivent notamment reposer sur davantage de programmations publiques locales. Nous subissons aujourd'hui les effets du retrait des directions départementales de l'agriculture (DDA), des directions départementales de l'équipement (DDE) et plus généralement de l'ingénierie publique. Les collectivités sont moins accompagnées qu'auparavant dans la mise en oeuvre de leurs investissements.
Enfin, il faut développer la culture de la responsabilité. Face à une ressource limitée, chaque acteur qui prélève de l'eau doit être sensibilisé. Des engagements doivent être pris par le monde agricole pour mieux comptabiliser l'eau prélevée, pour faire évoluer les procédures de cultures, pour améliorer l'irrigation et pour renforcer la sobriété... Le monde industriel doit aussi être mis à contribution. Beaucoup d'acteurs économiques, notamment dans le domaine du golf, du kayak ou du tourisme, nous ont contactés après l'été en s'interrogeant sur la pérennité de leurs activités. Nous devons également limiter les pertes en eau. En France, 1 litre sur 5 d'eau potable n'est pas distribué à cause des fuites de canalisations. Ce n'est certes pas un mauvais rendement comparé à nos voisins européens. Mais nous pouvons faire beaucoup mieux ; dans certaines zones, des taux de fuites de l'ordre de 50 % sont constatés.
Mme Anne du Crest, directrice des opérations (Veolia Eau France). - Je dirai quelques mots sur l'été que nous avons vécu et sur les solutions technologiques que nous élaborons avec nos collectivités clientes.
Cet été 2022 a été très différent des précédents, ce qui suscite pour Veolia une vraie inquiétude pour l'avenir. Nos équipes ont été très mobilisées par les crises ; nous avons été amenés à mutualiser des supports entre équipes régionales. Outre les enjeux de disponibilité de la ressource et de risque de rupture d'eau, les incendies ont conduit à restreindre l'accès à l'eau. Par ailleurs, nous évaluons la quantité d'eau, mais aussi sa qualité. Lorsque les débits des fleuves baissent, les polluants sont plus concentrés et par conséquent plus difficiles à traiter. Lorsque la température de la ressource augmente, les polluants sont également plus difficiles à traiter et nous avons besoin d'y mettre plus de réactifs.
Parmi le panel des solutions, les interconnexions permettent de venir en aide à un territoire grâce aux ressources d'un autre. Il faut aussi travailler sur le rendement des réseaux. Aujourd'hui, la moyenne du rendement des réseaux est autour de 79 à 80 % au niveau national. Dans les services gérés par Veolia eau France, le rendement atteint 82 %. Ces 3 points de différence représentent 150 millions de mètres cubes chaque année, ce qui n'est pas négligeable. Nous n'arriverons jamais à 100 % mais il est possible d'atteindre plus de 80 % en mobilisant la technologie, avec des solutions digitales qui permettent d'identifier en temps réel les zones où des fuites sont à réparer. Nous mobilisons également d'autres technologies, notamment la recherche de fuites par satellites. Nous avons aussi recours aux capacités des chiens pour repérer des fuites dans certaines situations.
Nous visons également à la sobriété des usagers. 3,8 millions de compteurs sont télé- ou radio-relevés par Veolia eau France. Cela permet aux ménages de suivre leurs consommations et de détecter les fuites. L'année dernière, 72 000 fuites ont été signalées chez des usagers, ce qui a permis d'économiser 4 millions de mètres cubes. Les solutions que nous mettons en oeuvre mobilisent à la fois les usagers et la technologie.
Nous cherchons aussi des ressources alternatives. Nous avons lancé l'année dernière un grand plan sur la réutilisation des eaux usées, pour une centaine de sites. Grâce à ce plan, nous espérons économiser près de 3 millions de mètres cubes d'eau. Il faudrait aller encore plus loin dans ce domaine. L'Espagne est aujourd'hui à près de 15 % de réutilisation des eaux usées traitées. Or, le climat de l'Espagne sera le climat de la France demain. Nous investissons en faveur de solutions de réutilisation des eaux usées : nos exploitants et nos ingénieurs s'y forment, nos chercheurs y travaillent.
S'agissant des solutions fondées sur la nature, nous bénéficions des expériences des autres pays. Il faut bien sûr faire de la nature notre alliée et ne pas se reposer uniquement sur la technologie.
M. Guillaume Chevrollier. - Cette table ronde sur la résilience hydrique est parfaitement dans l'actualité puisque le ministre Béchu devrait présenter aujourd'hui le plan de sobriété du Gouvernement. Le GIEC a par ailleurs récemment présenté ses prévisions sur la baisse des cours d'eau entre 10 à 40 % d'ici 2050. Beaucoup de vos propos recoupent les recommandations régulières de notre commission sur la nécessité d'investir davantage dans les réseaux et d'assurer un véritable accompagnement des collectivités locales.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, j'avais interrogé le ministre sur l'opportunité d'une nouvelle loi sur l'eau. Le ministre m'avait alors répondu que ce n'était pas envisagé. Cependant, un débat législatif serait un bon moyen pour politiser le sujet de l'eau. Quelle est votre position sur le sujet ? Par ailleurs, le Sénat vient de lancer les états généraux de la simplification. Dans la nébuleuse administrative de l'eau, il est tout particulièrement nécessaire d'opérer des simplifications. Quelles peuvent être vos propositions sur le sujet ?
Quels sont les travaux menés par Veolia en matière de recherche et de développement pour améliorer le rendement et l'efficience des réseaux ? Qu'en est-il s'agissant notamment des nouvelles technologies et du pilotage informatisé ? Nous souhaiterions avoir des informations optimistes sur ces questions ! Quels efforts sont envisagés pour réduire les sources de pollution, notamment les microplastiques et les résidus médicamenteux, qui inquiètent beaucoup nos concitoyens ? Comment avancer sur le sujet de la réutilisation des eaux usées ?
Enfin, je voudrais aborder avec M. Thibault l'enjeu de la continuité écologique. Quelle est votre perception du sujet depuis l'adoption de l'article 49 de la loi « climat et résilience »d'août 2021, dans un contexte où la France cherche à densifier le déploiement des énergies renouvelables ? De votre position nationale, comment avez-vous vu évoluer le dialogue entre l'administration et les propriétaires d'ouvrages hydrauliques ? Je suppose que des difficultés subsistent...Des études plus approfondies sur les incidences des ouvrages hydroélectriques ont-elles été lancées, comme le recommandait un rapport du Sénat de mars 2021 ? Un médiateur de l'hydroélectrique a été nommé le 9 décembre dernier pour la région Occitanie pour aplanir les désaccords et les difficultés concernant les projets d'installations hydroélectriques. Jugez-vous que ce type de solution soit utile, sachant que la commission mixte paritaire sur le projet de la loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a prévu l'extension des compétences du médiateur de l'hydroélectricité au niveau national ?
M. Stéphane Demilly. - Je voudrais évoquer les agriculteurs, garants de notre souveraineté alimentaire, qui sont en première ligne face aux pénuries d'eau. Les projections climatiques semblent montrer qu'à terme, sur l'ensemble du territoire, la diminution des cours d'eau sera de 10 à 40 % pour une majorité de bassins. Les conclusions du Varenne agricole de l'eau de 2022 ont d'ailleurs mis l'accent sur l'urgence d'agir en identifiant l'ensemble des leviers, dont la création de nouvelles réserves de récupération des eaux pluviales. On évoque aussi d'autres pistes comme la réutilisation des eaux usées. Que pensez-vous de cette idée ? D'une façon plus générale, quelles sont les mesures que vous envisagez pour mieux inclure les acteurs du monde agricole dans la gestion de la ressource en eau ?
M. Bruno Rojouan. - Je voudrais aborder l'enjeu du prix du mètre cube d'eau. Après des tarifs relativement stables ces dernières années, l'eau fait face à une envolée des prix, comme d'ailleurs l'ensemble des autres ressources. Au 1er janvier 2023, de nombreuses collectivités et syndicats ont été obligés de voter des hausses de tarifs de l'eau, parfois très élevés. Cette hausse est souvent expliquée par la mise en oeuvre de procédés énergivores dans la partie mécanique, par exemple le pompage de l'eau ou son acheminement, et l'usage de produits de traitement dont le coût a augmenté du fait de la hausse du prix du pétrole.
Les augmentations annoncées par les collectivités locales vont de 6 à 12 % par rapport au prix de référence. Globalement, une famille moyenne en France connaît une augmentation du coût annuel de l'eau potable de 40 à 60 euros. Quelle vision prospective avez-vous sur l'augmentation du mètre cube d'eau en France ? Peut-on arriver d'ici 5 à 10 ans à une explosion du prix du mètre cube d'eau ? En 2018, le prix moyen en France du mètre cube d'eau était de 4,08 euros. Quel était ce prix moyen en 2022 ?
M. Éric Gold. - Je parlerai rendement des réseaux et échelle territoriale. On assiste chaque année en période estivale, comme vous l'avez rappelé, à de nombreux problèmes d'alimentation en eau potable. Des rotations de camions citernes doivent alors être mises en place, ce qui conduit les communes à régler des factures importantes. Les différents modes de gestion ont engendré des investissements plus ou moins prononcés. Aujourd'hui, beaucoup de collectivités font le choix de syndicats d'alimentation en eau potable au niveau départemental, ce qui permet d'interconnecter les réseaux et de bénéficier d'une eau de qualité et en quantité disponible partout. Pour certains, cette solidarité est mal vécue, du fait d'un sentiment diffus que les meilleurs élèves paient pour ceux qui n'ont jamais investi dans leurs réseaux. Selon vous, quel est l'échelon territorial le plus adapté à une gestion publique de l'eau ? Du moins, y a-t-il des niveaux à éviter pour que les investissements soient garantis avec un rendement optimal des réseaux ?
Mme Évelyne Perrot. - Les retenues d'eau douce - les bassines - sont à chaque mise en place l'objet de conflits entre les habitants, les agriculteurs, les pêcheurs, les chasseurs... Mon département de l'Aube compte 5 000 hectares de réservoirs d'eau douce, abritant une très grande biodiversité. Il existe de nombreux territoires en France qui, comme dans l'Aube, ne demandent qu'à servir d'exemple. Pourquoi l'État ne se sert-il pas plus de ce qu'il possède pour démontrer qu'une retenue d'eau deviendra avec le temps une superbe réserve d'eau mais aussi de biodiversité, et éviter ainsi les conflits qui ralentissent le développement des territoires ?
Le drainage des prairies pour en faire des terres céréalières est catastrophique. Cela est dommageable pour les plantes, mais aussi pour le bâti puisque les prairies entourant les villages servaient de tampons, évitant ainsi des dérangements importants dans ce secteur.
Dans l'Aube, un syndicat d'eau a été créé en 1943 par des élus précurseurs. Je tiens à souligner que nous disposons d'une gestion des réseaux et de distribution d'eau de bonne qualité.
Mme Nicole Bonnefoy. - Ce jeudi, à Jarnac en Charente, a été présentée la stratégie de résilience à l'horizon 2050 par l'établissement public territorial du bassin du fleuve Charente. Le territoire s'organise donc pour s'adapter au changement climatique et définir une stratégie de long terme. Avez-vous eu connaissance de cette étude globale, qui fourmille de propositions d'adaptation ? Je tiens à saluer cette démarche prospective et participative qui redonne à l'eau son caractère essentiel et son appartenance au patrimoine commun de la Nation. Je suis très attachée à cette notion, qui est définie dans le code de l'environnement, car elle permet de garantir la maîtrise publique de la gestion de l'eau. À l'heure où nous connaissons des tensions sans précédent sur cette ressource, il est impérieux de refonder nos usages, de l'incitation à l'aménagement du territoire.
Le sujet du zéro artificialisation nette (ZAN) est étroitement lié à celui de l'eau, s'agissant de l'infiltration, de l'adéquation des besoins et des ressources ou encore de la préservation des continuités écologiques. Quel est votre point de vue sur l'articulation entre le ZAN et la gestion de l'eau ? Ce changement de paradigme doit être entendu par l'ensemble des usagers et des décideurs. Comme nos collègues de la délégation à la prospective, je suis d'avis de repolitiser l'eau en redonnant aux élus la capacité technique d'arbitrer les choix stratégiques sur la répartition des usages de la ressource en eau. À propos des usages agricoles, si nous voulons éviter les conflits à venir, je suis favorable au développement d'un organisme unique de gestion collective, chargé de la gestion et de la répartition des volumes d'eau prélevés à usage agricole sur un territoire déterminé. Ainsi, l'accès à l'eau serait recentré dans une instance décisionnelle unique, ce qui aurait l'avantage de replacer au centre de la ressource un acteur public et de faciliter une vraie transition agroécologique indispensable à une gestion plus économe ainsi qu'à une meilleure qualité de l'eau.
S'agissant de la transition agricole, comment envisagez-vous l'outil des paiements pour services environnementaux, dont quelques agences de l'eau se sont saisies pour accompagner le monde agricole dans un cercle vertueux de bonnes pratiques ? Que pensez-vous de la démarche initiée par la métropole de Montpellier visant à mettre en place une tarification incitative de l'eau ? Le système entré en vigueur le 1er janvier dernier consiste à distribuer gratuitement les 15 premiers mètres cubes d'eau potable, le prix augmentant ensuite en fonction de la consommation. L'idée est de récompenser les familles les plus économes et de sanctionner celles qui sont les plus grosses consommatrices. Considérez-vous que cette innovation puisse être reproduite dans d'autres territoires ?
Enfin, que pensez-vous de la proposition de donner une personnalité juridique à des cours d'eau ?
M. Olivier Thibault. - S'agissant de la possibilité d'une loi sur l'eau, mon ministre a par nature raison ! Il y aura des sujets législatifs mais le choix d'une loi spécifique est une décision politique. En tant que parlementaires, vous serez amenés à débattre de l'eau à l'occasion de la loi de finances (dispositions fiscales, plafond, redevances...). Comme le ministre l'a rappelé, il faut agir tout de suite et ne pas attendre. Lancer un grand débat préalable à une future loi sur l'eau dans deux à trois ans conduirait à nous ralentir. Le choix du ministre est celui de l'action immédiate. Beaucoup de choses peuvent se faire avec le cadre législatif actuel, en simplifiant le cadre réglementaire pour libérer les territoires.
S'agissant de la continuité écologique, il s'agit d'un sujet difficile puisqu'il faut concilier des usages qu'on oppose souvent, alors qu'ils sont liés. Il ne faut pas opposer patrimoine et biodiversité. Je rappelle que la France est un grand pays hydroélectrique. Partout où nous pouvions faire de grands barrages rentables, les installations ont été réalisées. Il ne s'agit pas aujourd'hui de les détruire, mais plutôt de les optimiser. En renouvelant le matériel, on peut gagner de la puissance. Néanmoins, il faut veiller à ce que le gain de quelques kilowatts ne conduise pas à détruire des réservoirs biologiques. Il faut sur ce sujet produire des évaluations coûts-bénéfices. Les cours d'eau classés représentent 7 % du territoire et nous essayons de sauvegarder la continuité écologique pour ces territoires.
Nous n'avons pas encore trouvé les moyens pour assurer une politique apaisée en matière de continuité écologique. Le médiateur récemment institué permettra d'apporter des réponses en rassemblant les acteurs concernés pour trouver des voies de conciliation. La généralisation du médiateur de l'hydroélectricité est à encourager. Par ailleurs, il est indispensable de garantir la visibilité des contraintes. S'il y a visibilité, les contraintes peuvent être intégrées dans les modèles économiques des acteurs, ce qui leur permettra d'investir.
S'agissant de l'agriculture, il faut aussi concilier les usages. L'agriculture est essentielle, y compris pour la biodiversité. Il faut encourager une agriculture compatible avec les enjeux environnementaux des territoires. On ne peut pas développer n'importe quelle agriculture n'importe où. Ainsi, l'agriculture présente dans les périmètres de captage d'eau potable doit veiller à ne pas polluer l'eau en amont, pour éviter de devoir investir en aval pour la traiter. Cela ne signifie pas interdire l'agriculture dans les zones de captage mais implique d'y installer une agriculture avec moins d'intrants, moins d'élevage intensif, davantage de haies et de prairies...L'enjeu est de développer des outils d'accompagnement de l'agriculture pour lui permettre d'être compatible avec les enjeux propres au territoire en question.
Je crois beaucoup au paiement pour services environnementaux. Avec le deuxième pilier de la PAC, des indemnisations sont prévues pour pertes de rendement. Le paiement pour services environnementaux est un dispositif complémentaire, qui devrait être davantage développé. Des actions bénéfiques pour l'environnement sont alors rémunérées explicitement. J'ai personnellement participé à la première notification de paiements pour services environnementaux quand j'étais directeur de l'agence de l'eau Artois-Picardie. On me disait à l'époque que cela n'intéresserait jamais les agriculteurs car cela reviendrait à en faire « des jardiniers du paysage ». Contre toute attente, cela a très bien fonctionné. Cela permet en outre de rendre compétitifs certains usages qui, sans cela, disparaîtraient.
La France est mauvais élève s'agissant de la réutilisation des eaux usées. Il faut cependant rester prudent sur les comparaisons internationales. Certes, l'Espagne affiche un taux de 18 %. Mais en France, nous faisons en réalité de la réutilisation cachée. Les débits des cours d'eau en été sont en beaucoup d'endroits alimentés à 40 %, voire 50 %, par l'eau des stations d'épuration. Les agriculteurs pompent l'eau dans ces rivières et utilisent donc indirectement l'eau des stations d'épuration. Cela étant précisé, il faut reconnaître que nous sommes à moins de 1 % d'eaux usées réutilisées. Il faut donc changer de braquet. Il y a un enjeu sanitaire fort. On a pris l'habitude en France de ne pas se poser de questions s'agissant de l'eau, celle-ci devant nécessairement être potable. Des collectivités ne peuvent ainsi pas arroser leur pelouse de football avec des eaux usées en raison du risque de maladie si un enfant léchait la pelouse. Face à ces raisonnements, il faut expliquer que toute l'eau n'a pas forcément vocation à être potable. L'arrosage des espaces verts, des pelouses, des jardins municipaux doit pouvoir se faire grâce aux eaux usées. Il ne faut pas non plus négliger l'aspect économique du sujet : l'eau usée est par endroit trop chère. De l'eau usée retraitée est bien plus chère que l'eau gratuite de la rivière à proximité. Il faut accepter de payer au juste prix l'eau que l'on utilise.
Je considère que l'eau n'est pas aujourd'hui payée à son juste prix. Si l'on est rationnel et que l'on veut répondre dans la durée aux enjeux, il faudra augmenter un peu le prix de l'eau. Cette augmentation n'a pas pour objectif d'alimenter les trésoreries des grandes entreprises. Le prix de l'eau doit correspondre au service rendu et permettre d'entretenir le patrimoine. Je note au passage que deux tiers des Français ne savent pas combien ils paient l'eau. Ceux qui vivent dans des habitats collectifs ne reçoivent pas de factures d'eau. Par ailleurs, tant qu'il n'atteint pas 3 à 5 % du budget des ménages, ce poste n'est pas véritablement identifié. Il faut néanmoins apporter des réponses à nos compatriotes les plus fragiles. La tarification doit être écologique, progressive (pour inciter à ne pas la gaspiller) et solidaire (pour aider ceux n'ayant pas la capacité de payer). Les solutions pour rendre la tarification solidaire sont entre les mains des collectivités : premiers mètres cube gratuits, chèques eau...Si ces mécanismes de solidarité ne sont pas mis en place, une partie de la population risque d'être exclue.
Une commune isolée est à mon sens trop fragile pour faire face aux enjeux de l'eau. Il faut par ailleurs un service à taille critique, des gens compétents et rémunérés à la hauteur de leurs compétences. Une commune de 600 habitants n'est pas capable de disposer d'un service rémunéré à la bonne échelle. Le choix entre un syndicat d'eau, une communauté de communes, ou une communauté d'agglomération dépend du territoire et de la décision des élus. Quoiqu'il en soit, une taille critique est nécessaire pour disposer de capacités suffisantes d'investissement, de réaction et de mise en oeuvre de systèmes de crises. Le modèle où l'agent municipal dépose une fois par semaine une pastille de chlore dans le château d'eau a fonctionné pendant 50 ans, mais n'est aujourd'hui plus adapté. Il est vrai que la transition peut être pénible quand l'association regroupe une commune ayant investi et une autre qui ne l'a pas fait ou encore des communes aux prix de l'eau différents... Mais atteindre une taille critique est indispensable si l'on veut garantir un système durable.
M. Thierry Caquet. - Je voudrais approfondir le terme de résilience que vous avez choisi pour la table ronde. Si je me place du point de vue de l'agroécologie, une agriculture résiliente n'est en aucun cas celle d'hier ni même celle d'aujourd'hui. L'agriculture de 2030 sera résiliente au sens où elle continuera à produire, sans viser systématiquement le rendement maximum. L'idée est de chercher le maintien de la production et non pas sa maximalisation. Il s'agit d'un changement profond de visée, qui substitue la sécurisation à la maximalisation.
S'agissant du Varenne de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, le levier de l'irrigation et des retenues a bien sûr été évoqué. De nombreuses pistes ont été étudiées, de la génétique animale ou végétale jusqu'à la gestion de l'eau à l'échelle des territoires. Le stockage de l'eau n'est pas le seul levier disponible. Il n'est pas non plus le levier le plus efficient. Dans la Drôme, le prix de l'irrigation a été multiplié par deux entre 2021 et 2022 car le pompage nécessite de l'énergie et que ce coût augmente.
La prochaine loi d'orientation agricole est en cours de préparation. Trois grands groupes de travail ont été mobilisés : un sur la formation ; le deuxième sur la transmission et l'installation ; et le troisième sur l'adaptation au changement climatique. Les travaux du Varenne de l'eau seront réutilisés dans ce cadre. L'appropriation par les acteurs est une des voies de solution.
L'articulation entre le ZAN et la gestion de l'eau est en effet primordiale. Ralentir le cycle de l'eau et favoriser l'infiltration doivent être considérés comme des solutions sans regret. La meilleure eau est celle qui s'est infiltrée car elle est protégée de l'évaporation et des altérations de qualité, à la différence de l'eau stockée en plein air.
Il faut effectivement éviter le drainage des prairies pour préserver l'eau, mais aussi pour participer à l'atténuation du changement climatique. Les prairies peuvent être des stocks de carbone. Quant aux barrages réservoirs, ceux-ci ont été installés dans les années 1960 : la situation hydrologique n'est plus et ne sera plus la même.
L'Espagne est souvent citée dans les comparaisons internationales. La démarche de ce pays a été axée sur un pilotage par la demande, et non pas par l'offre. Or, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où l'offre va drastiquement se réduire, au moins localement. Par ailleurs, un bon nombre d'ouvrages hydrauliques en Espagne sont difficilement remplis puisque l'eau manque une, voire deux années sur trois. Le modèle espagnol n'est donc pas un modèle durable pour le long terme.
M. Tristan Mathieu. - Selon le système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA), le prix de l'eau en France s'élève en moyenne à 4,30 euros le mètre cube. Je souligne que l'assainissement coûte aujourd'hui plus cher que l'eau potable. Par ailleurs, ce chiffre de 4,30 euros implique qu'un centime d'euro permet tout de même de disposer de 2,5 litres d'eau. Cela est à la fois cher quand il y a abondance d'eau et pas cher quand il n'y en a plus. Par comparaison, des annonces ont été faites à Bruxelles sur une deuxième augmentation en 2023 de 15 % du prix de l'eau, après une première augmentation de 15 % en 2022. Le prix de l'eau devrait s'établir dans la capitale belge à 6 voire 6,50 euros le mètre cube. Le niveau des prix est similaire en Allemagne. Comme l'a souligné Olivier Thibault, les adaptations nécessaires auront une incidence sur le prix de l'eau. Les efforts doivent être partagés et tout ne doit pas reposer sur le consommateur. La TVA sur l'assainissement est de 10 % tandis que celle sur l'eau potable est à 5,5 %. L'État pourrait avoir la bonne idée d'aligner ces taux à la baisse, ce qui permettrait d'alléger la facture et de dégager des capacités de financement pour les collectivités.
Dans les moments de tension, nous avons besoin de plus de solidarité avec les plus démunis et de plus d'efficacité. S'agissant des mesures de solidarité, nous n'avons pas d'avis sur le meilleur système entre la gratuité des premiers mètres cubes d'eau, les chèques eau ou encore la tarification sociale. Une chose est cependant certaine : ces deux dernières options sont très ciblées alors que la première ne l'est pas. La gratuité des premiers mètres cubes d'eau n'est pas une mesure sociale puisqu'elle n'est pas redistributive entre personnes aisées et moins aisées. Il est dur de déterminer ce que recouvre une consommation d'eau : une volumétrie équivalente peut correspondre à la consommation d'une famille nombreuse ou à un foyer constitué d'une seule personne qui gaspille la ressource. Il est donc nécessaire de bien cibler et d'aider les collectivités à le faire. La digitalisation des services publics et la mise en place des compteurs communicants peuvent permettre d'instaurer des tarifications saisonnières, afin d'envoyer un signal prix pour faire baisser la consommation dans les périodes de forte tension sur l'eau.
S'agissant de la réutilisation des eaux usées, je rejoins les propos d'Olivier Thibault, en ajoutant un bémol. Quand l'eau de la station d'épuration est rejetée en mer ou dans l'océan, nous avons tout intérêt à la retenir sur terre. C'est ce que Veolia eau fait à Bonifacio avec la réutilisation des eaux usées pour des activités de tourisme. Cela représente environ la consommation pour le mois d'août de la ville.
Ce n'est pas à Veolia de se prononcer sur l'opportunité d'une loi sur l'eau. Il est néanmoins certain que la politique de l'eau a été trop souvent conduite en silos. Il faut la « désiloter » en abordant à la fois l'agriculture, l'urbanisme, l'industrie...La simplification, que nous appelons aussi de nos voeux, devrait tout particulièrement concerner la réglementation sur les autorisations des eaux usées traitées. Les élus et les opérateurs tentant de mettre en oeuvre ces projets de réutilisation doivent faire face à cinq ou six administrations différentes (commission locale de l'eau, agence régionale de santé, conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, services des préfectures...). Cette complexité fait que les projets mettent au moins 10 ans à se concrétiser. Une simplification qui me tient à coeur serait ainsi la création d'un guichet unique dans chaque département pour traiter les dossiers et apporter de l'expertise aux élus locaux.
Mme Anne du Crest. - Le prix de l'eau a augmenté du fait de la hausse des prix de l'énergie. Cela nous rappelle que l'électricité est nécessaire pour la production de l'eau. Les risques de délestage évoqués pour cet hiver peuvent aussi avoir des impacts sur les services d'eau et d'assainissement. Il faut donc travailler sur l'efficacité énergétique des services d'eau. Chez Veolia, nous avons pour objectif de baisser de 5 % en deux ans nos consommations énergétiques pour les services d'eau et d'assainissement que nous exploitons.
S'agissant de la réutilisation des eaux usées, je rappelle que l'eau issue des stations d'épuration a de l'intérêt non pas seulement pour sa quantité mais aussi pour sa qualité et sa valeur agronomique. Plusieurs expérimentations ont démontré qu'elle pouvait faire l'objet d'une utilisation agricole. Cela est tout particulièrement utile dans les zones littorales, où il est dommage de laisser partir cette eau dans la mer. La réutilisation doit aussi concerner les eaux utilisées dans l'industrie et les eaux de lavage. Il faut également protéger la ressource elle-même. Le programme Jourdain en Vendée cherche à utiliser les eaux usées pour recharger la ressource en utilisant la capacité épuratoire du milieu. Les eaux usées peuvent aussi être utilisées comme barrière hydraulique pour protéger les nappes de la remontée du biseau salé. Comme vous le voyez, beaucoup d'options pour la réutilisation des eaux usées existent. Il reste cependant à lever les barrières administratives et règlementaires. Les Français y sont prêts, beaucoup pensant déjà que l'eau de leur robinet vient directement des stations d'épuration ! La crise de cet été a par ailleurs contribué à son acceptation croissante.
M. Joël Bigot. - Le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) pilote actuellement plusieurs études importantes dans le Loiret, le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique pour dynamiser la réutilisation des eaux usées. Ces eaux pourraient être utilisées pour des usages agricoles mais aussi pour le nettoyage urbain. Avez-vous connaissance des premières conclusions de ces études d'opportunité du CEREMA qui permettraient de définir un nouveau cadre méthodologique d'une gestion circulaire de l'eau ?
Lors d'un récent débat parlementaire au Sénat, Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie, a annoncé une feuille de route à paraître à la fin du mois de janvier qui s'inspirera des Assises de l'eau. Connaissez-vous les grandes orientations de ce document ?
M. Hervé Gillé. - J'aurai quelques questions complémentaires, notamment sur la planification. Vous avez évoqué les SDAGE. Bien souvent, les modalités de financement de ces plans d'action sont insuffisantes. On définit des plans très structurés mais leur mise en oeuvre est complexe. La déclinaison avec les moyens financiers ne suit pas toujours. Il y a un manque d'évaluation sur la performance des SDAGE et des SAGE. J'aimerais connaître votre avis sur ce sujet.
Pour que les filières agricoles soient moins consommatrices d'eau, nous avons besoin de la recherche appliquée et nous devons accompagner au mieux les filières. Les conseils régionaux devraient théoriquement jouer un rôle important en la matière du fait de leurs compétences en matière économique. Or, les acteurs sont confrontés à un manque de lisibilité sur les dispositifs d'accompagnement des filières. Comment peut-on améliorer cette lisibilité ?
L'Union européenne enjoint à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Qu'entend faire le Gouvernement face à la mise en demeure de l'UE ? Dans le cas d'une mise en concurrence, quels seraient l'évolution et l'accompagnement des cahiers des charges pour que les stockages hydroélectriques puissent être sollicités en faveur du soutien d'étiage et que l'on puisse sécuriser au plan national les réserves disponibles ?
Mme Angèle Préville. - Le département du Lot enregistre déjà une baisse de 20 % de pluviométrie et l'on s'oriente vers - 30, voire - 40 %. Je souhaiterais vous faire état du dernier comité de bassin de l'agence de l'eau Adour-Garonne. Deux interventions d'agriculteurs m'ont particulièrement marquée. La première, portant sur la sécheresse de cet été, révélait une sorte de déni et tendait à relativiser la gravité de la crise, citant les précédents des années 1950. La deuxième soulignait les conflits d'usage entre les utilisations de l'eau pour l'agriculture et pour le tourisme.
La loi d'orientation agricole sera peut-être l'occasion d'introduire des dispositions sur l'eau.
Je m'interroge sur les dispositions prises sur le fondement des arrêtés sécheresse dans les zones où se trouvent de nombreuses piscines, comme c'est le cas dans le Lot. Alors même que la Dordogne était à un niveau très bas dès le mois de juin, le lavage des voitures a continué à être autorisé.
La qualité de l'eau est un sujet qui ne cessera de nous occuper. Les microplastiques et les résidus de pesticides ont été évoqués. Compte tenu du nombre important de nouvelles molécules mises sur le marché qui sont relâchées dans la nature, on peut avoir des craintes sur la présence d'autres substances dans l'eau.
Enfin, puisque vous n'y avez pas répondu, je repose la question de ma collègue Nicole Bonnefoy : que pensez-vous de l'idée de donner une personnalité juridique à des cours d'eau ? Un travail très important a été mené sur ce sujet par le parlement de la Loire.
M. Fabien Genet. - J'ai deux questions brèves. M. Thibault a évoqué les bienfaits de l'infiltration, affirmant que la meilleure bassine est celle que l'on trouve sous nos pieds. Les différentes interventions ont pointé l'importance des fuites dans les réseaux. Cette eau est-elle véritablement perdue ou retourne-t-elle à la nappe phréatique ?
Le comité sécheresse du département de Saône-et-Loire s'est réuni récemment et a retenu comme une des solutions en matière d'agriculture la sélection de variétés plus résistantes aux sécheresses. Sur ce sujet, jusqu'où peut-on aller ? Les décisions prises il y a plusieurs dizaines d'années s'agissant des organismes génétiquement modifiés (OGM) doivent-elles être réinterrogées ?
M. Rémy Pointereau. - M. Caquet a insisté sur la nécessité d'anticiper en matière de gestion de l'eau. Hélas, cela fait 25 ans que l'on n'anticipe plus ! Mme Dominique Voynet avait supprimé tous les projets de barrages (dont celui de Chambonchard) ainsi que les capacités d'intervention des agences de l'eau. Des moyens seront-ils redonnés aux agences de l'eau pour engager les investissements nécessaires pour mettre fin au gaspillage de l'eau ? Vous nous avez appelés à nous saisir des textes budgétaires. C'est ce que nous avons fait, mais nos propositions, notamment sur le plafond mordant, ont été refusées par le Gouvernement.
Il ne faut pas oublier que la population augmente et qu'il s'agit d'une donnée cruciale du problème. Nous aurons besoin de plus en plus d'eau, non seulement pour l'eau potable, mais aussi pour l'alimentation.
Sur la réutilisation des eaux usées, la grande difficulté est de faire parvenir ces eaux depuis les grandes villes jusque dans les campagnes où se trouvent les besoins d'irrigation.
Peut-on trouver des solutions pour recharger les nappes l'hiver ?
Enfin, avec la montée des eaux, ne devrait-on pas renforcer les outils de désalinisation afin de disposer de davantage d'eau ?
Mme Christine Herzog. - Ma question porte sur l'adhésion des communes de moins de 100 000 habitants au CEREMA. Ce centre d'études a les mêmes compétences que les cabinets qui proposent et vendent à prix d'or des études géotechniques G1 à G2 obligatoires pour les constructions et aménagements dans les communes. Le CEREMA pourrait-il se substituer à ces études géotechniques obligatoires ?
M. Étienne Blanc. - Pendant de nombreuses années, l'État et l'Europe ont accompagné le monde agricole pour procéder à des drainages. Ces politiques coûteuses ont été financées par les collectivités territoriales. Vous nous expliquez aujourd'hui que le meilleur moyen de stocker de l'eau est de reconstituer les nappes phréatiques. Se posera donc la question de l'antagonisme entre le principe du drainage et la reconstitution des nappes. Quelle est donc la stratégie du gouvernement dans ce domaine ? Envisage-t-il d'accompagner les agriculteurs qui souhaitent faire marche arrière pour réparer les turpitudes anciennes qui ont appauvri nos nappes ? Le Gouvernement n'est-il pas schizophrène sur ce sujet ?
Mme Marie-Claude Varaillas. - J'ai connu les belles années des agences de l'eau, qui accompagnaient les collectivités dans leurs travaux de remise à niveau. De plus en plus d'EPCI se voient transférer la compétence eau et assainissement. Il s'agit d'un héritage lourd à assumer compte tenu de l'état des réseaux dans les milieux ruraux.
Le dérèglement climatique nous impose d'organiser la rationalisation de nos usages de l'eau, qui doit rester accessible à tous. Pourtant, à l'été 2021, une commission d'enquête parlementaire a conclu à la mainmise sur la ressource en eau par des intérêts privés. Ce rapport fait état de l'accaparement de ce bien commun par de grands groupes internationaux, notamment les minéraliers qui, pour certains, privatisent une partie de la nappe phréatique ou exploitent des sous-sols, y compris en période de sécheresse, alors que des rationnements sont imposés à l'agriculture. La commission d'enquête recommande de rendre la gestion commune de l'eau obligatoire en inscrivant dans la loi la reconnaissance du caractère inappropriable de l'eau dans sa globalité et la hiérarchisation des usages de l'eau afin de prioriser les usages pour les ménages et ceux pour garantir notre souveraineté alimentaire. De mon point de vue, une législation claire et équitable renforcerait une gestion collective de la ressource et de la distribution de l'eau. Que pensez-vous de ce rapport ?
M. Gilbert Favreau. - Quel est aujourd'hui l'état des nappes phréatiques en France tant en quantité qu'en qualité ? On sait que le rechargement de ces nappes est très lent et la résorption des produits phytosanitaires et du nitrate particulièrement longue. Quelle est votre vision d'avenir pour les nappes phréatiques ? Je souligne que la consommation d'eau sur la nappe de la Beauce est considérable.
Mme Kristina Pluchet. - La gestion de l'eau est un enjeu crucial dont les agriculteurs sont conscients puisqu'ils sont les premiers concernés. Depuis 2015 surtout, on oscille entre périodes de stress hydrique et excès d'eau. Ces excès d'eau, manifestés par des cumuls de 80 mm en moins d'une heure, sont de plus en plus récurrents, y compris en Normandie. Face à ces phénomènes, de nombreux agriculteurs sont favorables à la création de retenues d'eau. Quelle est votre position sur le sujet ?
Mme Patricia Demas. - J'ai deux questions complémentaires. Vous avez évoqué les pertes d'eau sur les réseaux existants et vieillissants. Quel peut être l'apport des nouvelles technologies pour cibler les réparations sur ces réseaux et quels sont les moyens financiers alloués pour ces recherches ? Par ailleurs, quelles seraient selon vous les actions à mener au niveau national pour améliorer la culture des usagers sur ces sujets et pour la diffuser au sein des familles ?
M. Thierry Caquet. - L'agriculture a appris au fil des siècles à s'adapter aux conditions météorologiques changeantes. C'est la raison pour laquelle beaucoup d'agriculteurs sont convaincus qu'il est toujours possible de surmonter les mauvaises périodes en modifiant les dates des semis, en changeant les variétés, en gérant l'eau différemment... La nouveauté est que la variabilité entre deux années ou au sein d'une même année est en train d'augmenter sous l'effet du changement climatique. Dans beaucoup de régions, la sécurisation par des leviers d'adaptation incrémentale n'est plus suffisante. Ce qui était un accident survenant une année sur dix survient désormais trois années sur dix voire deux années sur trois.
La sélection génétique a permis d'incontestables progrès pour les animaux et les plantes, tout en augmentant les rendements. Je rappelle que les deux tiers de la production mondiale sont assurés par six espèces végétales (blé, riz, maïs...). C'est une base très faible en termes d'espèces, mais qui présente une grande diversité génétique. S'agissant de la France, les variétés, sélectionnées depuis longtemps, résistent plutôt bien face aux phénomènes de sécheresse. On pourrait donc être tenté de penser que la génétique est la clé et il existe en effet des marges de progrès sur ce sujet. Mais il ne s'agit pas du seul levier et la génétique ne résoudra pas tout. Il ne faut pas oublier que les plantes qui résistent le plus à la sécheresse sont celles qui produisent le moins.
S'agissant de l'utilisation d'eau par les touristes et pour les piscines, nous avons le même débat s'agissant de la montagne et de la neige de culture. La question du partage de l'eau se posera de plus en plus. Certes, nous sommes de plus en plus nombreux. Mais il faut aussi s'interroger sur les consommations d'eau par personne. Comme pour les émissions de gaz à effet de serre, tous les pays ne sont pas équivalents en termes d'utilisation d'eau. L'ordre de grandeur est de 120 à 150 litres par jour par personne en France. Nous devons favoriser la réduction de cette consommation et adopter, dans ce domaine aussi, une certaine sobriété.
En ralentissant les cours d'eau et en restaurant des zones humides, on favorise la rétention de l'eau, limite les risques de crue en aval et permet une auto-épuration de l'eau. Il faut sortir de la vision manichéenne entre drainage et non drainage. Pour l'aménagement d'un paysage, il faut combiner développement d'infrastructures agroécologiques (haies par exemple) avec une vision du cycle de l'eau qui garantit son partage. Le but est de sortir de l'alternative entre se débarrasser de l'eau parce qu'elle gêne ou la stocker parce qu'on en a besoin.
S'agissant de la culture des usagers, je citerai l'exemple de collègues de l'université d'Avignon qui ont réalisé une analyse locale sur les perceptions de la population en matière d'eau. On constate une forte opposition entre les urbains et les agriculteurs, les premiers accusant les seconds de consommer trop d'eau. Pourtant, en examinant les chiffres, dans ce cas précis, ce sont bien les urbains et non les agriculteurs qui en consomment le plus. Il y a donc des idées reçues à dissiper. Par ailleurs, la culture de l'eau est plus développée dans le sud que dans le nord de la France.
Mme Anne du Crest. - S'agissant de la réutilisation des eaux usées, il faut toujours favoriser des solutions locales. On ne peut pas trouver de solutions générales valables en tout temps et en tous lieux.
S'agissant de l'utilisation des technologies sur les réseaux, nous déployons des capteurs pour repérer les fuites et pour suivre les consommations. Le traitement des données, l'intelligence artificielle, la mise en place de jumeaux numériques sont autant d'outils que nous développons aujourd'hui pour optimiser nos réseaux. Il faut ensuite bien sûr disposer de main d'oeuvre pour réparer ces fuites.
L'investissement doit aussi se faire pour accompagner la modernisation des usines de production. La baisse du niveau des nappes conjuguée à la baisse du débit des fleuves conduit à une plus grande concentration en polluants et à l'apparition de molécules rémanentes. Cela nous oblige à investir pour des traitements. Les charbons actifs peuvent être utilisés, tout comme des solutions de micro, nano et ultra filtrations, voire d'osmose inverse.
S'agissant de la désalinisation, il est encore difficile d'atteindre un équilibre économique. Cela fait cependant bien partie des solutions qui existent.
La sensibilisation des usagers est très importante. La digitalisation peut nous y aider. Veolia eau a développé une application mobile, avec 800 000 abonnés s'y connectant 5 à 6 fois par an pour suivre leur consommation. Nous enregistrons également environ 2,8 millions de connexions sur notre agence en ligne.
M. Tristan Mathieu. - S'agissant des moyens des agences de l'eau, nous rejoignons la fédération des entreprises de l'eau pour déplorer l'existence du plafond mordant. L'eau a besoin de ressources et ce plafond mordant prive l'eau d'un important flux financier. Veolia eau s'associe aux présidents de bassin qui en demandent la suppression. Ce n'est pas opportun de vider les poches des agences de l'eau en ce moment. Nous voyons d'un bon oeil tout ce qui récompense les performances des territoires. Beaucoup d'élus locaux nous confient qu'ils essaient d'être des bons élèves, mais qu'ils ne sont pas reconnus pour cela. Nous serions favorables à réinjecter un peu de performance dans le calcul des redevances des agences de l'eau.
En matière de politique de l'eau, un ensemble de solutions est à mettre en oeuvre. Le pire serait d'en rester à des confrontations entre solutions fondées sur la nature, réutilisations des eaux usées et développements technologiques. Toutes ces solutions seront utiles.
M. Thierry Caquet. - S'agissant de l'état des nappes phréatiques, les modélisations montrent que les recharges quantitatives des nappes vont être de plus en plus difficiles en raison des cumuls de sécheresse sur plusieurs années. Leur qualité devrait également se détériorer avec une concentration plus importante de contaminants, qui ont une durée de vie très longue dans les sols. On retrouve ainsi encore aujourd'hui des résidus ou des produits dérivés de l'atrazine, pourtant interdit depuis longtemps. La présence de nitrate est aussi préoccupante. Une ressource dont la qualité se dégrade est une ressource dont les usages, à coût constant, sont moindres.
M. Olivier Thibault. - S'agissant des moyens des agences de l'eau, on peut noter une certaine constance des gouvernements successifs en la matière. Les groupes de travail sur la planification écologique de l'eau démontrent qu'il y a désormais une prise de conscience sur la nécessité de réinvestissements massifs sur le sujet. Après les Assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau, la mise en place des nouveaux SDAGE et la planification écologique de l'eau, nous sommes aujourd'hui mûrs quant aux solutions à mettre en place. Il y a une certaine unanimité sur de nombreux sujets. Il reste à déterminer qui doit investir, comment et selon quelle répartition. Si l'on veut inciter les collectivités territoriales et les autres acteurs à investir, il est certain qu'un renforcement de leur accompagnement est nécessaire. Les agences de l'eau sont de très bons outils d'accompagnement pour l'investissement. Le plafond mordant devient une contrainte pour la bonne mise en oeuvre de la politique de l'eau.
Si la gestion de crises doit être territoriale, nous prévoyons bien un cadre national de gestion structurelle de l'eau ainsi qu'un cadre national de gestion de crises. La gestion structurelle renvoie aux volumes prélevables en périodes de basses eaux ou de hautes eaux. La gestion des crises est encadrée par des arrêtés de bassin-cadre sécheresse départementaux, des comités ressources en eau pour chaque département et un guide sécheresse déployé cette année. Restent des choix politiques sur ce qu'il faut prioriser entre l'arrosage du terrain de football, le remplissage des piscines, l'arrosage des plantes...Vous avez évoqué le lavage des voitures. Pour le citoyen, il paraîtrait évident de suspendre les lavages de voiture quand on manque d'eau. Les laveurs de voitures ne sont cependant pas de cet avis, en arguant du fait qu'ils recyclent l'eau et en insistant sur le risque de pollution avec des voitures non lavées... Les sujets ne sont pas évidents. Nous avons donc besoin de guides nationaux, de visibilité et d'un portage par les territoires.
Je reste persuadé que nous pouvons chacun vivre individuellement aussi bien avec moins d'eau. L'eau n'ayant pas été perçue jusqu'ici comme un sujet d'attention, du fait de la modicité de son prix et de sa quantité qui paraissait indéfinie, nous étions conduits à la gaspiller. Introduire la notion de sobriété n'implique pas de moins bien vivre ou de devoir limiter la population. Au niveau national, nous avons assez d'eau mais pas pour en faire n'importe quoi.
La désalinisation peut être une solution attirante. Il ne faut néanmoins pas oublier qu'elle nécessite de l'énergie (électrique, thermique ou nucléaire). Dans un contexte d'énergies chères, n'oublions pas que la désalinisation est une solution onéreuse. Elle peut atteindre dix euros le mètre cube. L'eau à 4 euros le mètre cube n'est donc pas compatible avec une désalinisation à grande échelle. La désalinisation peut cependant être une solution dans certains cas particuliers, en cas de grande variation de population en bord de mer par exemple.
Plus de 100 réserves de substitution sont autorisées chaque année en France depuis 7 à 8 ans. On ne doit cependant pas faire de grandes réserves pour un mono-usage.
À mon avis, nous ne sommes pas mûrs s'agissant de la possibilité de donner une personnalité juridique aux cours d'eau. Cette disposition impliquerait de pouvoir poursuivre des justiciables à proportion de l'incidence de leurs actes pour un cours d'eau. Or, seuls 40 % de nos cours d'eau sont en bon état et les conflits d'usage entre continuité écologique, hydroélectricité, rejets et prélèvements se multiplient. Dès lors, l'intérêt général conduit plutôt à mettre en place des règles collectives lisibles et comprises par tous, puis de les appliquer. Ce n'est pas nécessairement par des contentieux que nous règlerons ces conflits d'usage.
S'agissant du drainage, il est vrai que nous défaisons aujourd'hui ce que nous promouvions dans les années 1970. La solution ne se réduit pas à l'alternative de drainer partout ou nulle part. Un des enjeux majeurs du changement climatique est la nécessaire recharge de nos nappes en hiver. La sévérité de la sécheresse de l'été se joue dès l'hiver avec la recharge des nappes. L'erreur a été de drainer trop nos terrains afin qu'ils soient plus rapidement utilisables pour l'agriculture, de rectifier les rivières et d'accélérer les cours d'eau. Il faut, au contraire, promouvoir et restaurer les zones humides.
S'agissant du rapport sur la mainmise des acteurs privés sur la ressource en eau, le fait que l'eau soit déléguée ou municipalisée n'est à mon avis pas l'enjeu central, à partir du moment où existe un service qui est contrôlé, avec un prix de l'eau juste. Sur les minéraliers, vous faisiez probablement allusion aux prélèvements du groupe Danone à Volvic. Nous travaillons avec nos collègues de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) sur la meilleure répartition dans la durée de la ressource en eau, et notamment sur les aspects de stockage.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Sur le Rhin, de grands polders ont été construits. C'est un terme que vous n'avez jamais utilisé au cours de cette table ronde. Ni les agriculteurs, ni les chasseurs ne sont favorables à ces polders. Sous l'impulsion de l'Union européenne, on en réalise des deux côtés du Rhin, avec des projets très coûteux. Cette eau est ensuite relâchée et perdue. Ne pourrait-on pas l'utiliser pour d'autres usages ?
M. Olivier Thibault. - Pour décrire le phénomène que vous mentionnez, nous utilisons le terme administratif de zones d'expansions de crues. Il s'agit de zones choisies pour être inondées en cas de surplus d'eau dans les cours d'eau. Des servitudes de surinondation sont prévues, qui permettent d'indemniser les propriétaires de ces zones. C'est ce qui est fait en amont de Paris avec les grands lacs de Seine. Ces systèmes de lutte contre les inondations doivent cependant être vides quand l'inondation arrive. Si, à l'occasion d'une deuxième crue, ces zones sont déjà remplies, le système ne fonctionne pas. Le deuxième inconvénient est que l'on prive ces terres de tout autre usage.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces échanges très nourris, sur un sujet qui nous préoccupe tous. Au-delà de l'incontournable question des moyens financiers, il y a des moyens humains à mettre en place. J'ai eu la chance d'être maire pendant 21 ans. En matière de gestion de l'eau, les élus ont besoin de l'appui des techniciens. Ils ont la volonté d'économiser l'eau et de traiter au mieux les eaux usées, mais ils ont besoin pour ce faire d'un accompagnement humain et technique.
Comme je le rappelais en introduction, nous, élus, devons faire preuve d'ambition, de créativité, de courage mais aussi d'effort de sensibilisation. Sans électricité, nous vivrions dans le noir, à la bougie. Sans eau en revanche, nous ne vivrions pas longtemps ! L'eau est vitale et nous devons continuer à sensibiliser la population, en rappelant qu'il ne suffit pas d'ouvrir le robinet pour en disposer. Lors d'un colloque sur l'eau dans ma commune, j'avais rassemblé des bouteilles de 1,5 litre pour représenter la volumétrie d'un mètre cube. J'ai ensuite comparé le prix de ce mètre cube avec celui de l'eau au robinet. La comparaison avait frappé les esprits !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.