Jeudi 8 décembre 2022
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Examen en délégation - Adoption du rapport gestion des déchets dans les outre-mer
M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteures Gisèle Jourda et Viviane Malet, sur la gestion des déchets dans les outre-mer.
Avant de leur céder la parole, je voudrais saluer l'ampleur et la qualité du travail accompli par nos collègues ainsi que les enjeux très importants de leur rapport. Je vous livre d'abord quelques éléments qui témoignent du sérieux de leurs travaux. Cette étude a donné lieu précisément à 58 auditions, soit plus de 92 heures d'auditions et 158 personnes entendues.
Elle a également occasionné trois déplacements - à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Pierre-et Miquelon. L'état des lieux a été complété par des tables rondes géographiques sur la Guyane, les Antilles, le Pacifique et même les Terres australes et antarctiques françaises !
Pour le présent rapport, comme à l'accoutumée, tous les comptes rendus des auditions seront annexés au rapport d'information dont la retranscription représente quelque 200 pages, ce qui continuera à éclairer et enrichir ce dossier complexe et d'une grande acuité.
Je tiens en effet à insister sur les enjeux fondamentaux de cette étude.
Nous constatons tous la progression du fléau insidieux que représente l'accumulation sur nos territoires de déchets liés à l'évolution des modes de production et de consommation. Face à un flux croissant qui défigure les paysages, altère les conditions de vie et détruit la biodiversité, je crois que cette étude propose des moyens d'action réalistes aux acteurs publics et privés des différents territoires afin de faire face à l'urgence sanitaire et environnementale.
Pour suivre commodément les présentations de nos rapporteures, plusieurs supports vous ont été distribués : une note de synthèse du rapport sous forme d'un « Essentiel », la liste des recommandations, et pour la première fois pour notre délégation, un tableau de mise en oeuvre et de suivi. Ce dernier est l'application de l'une des recommandations du « groupe de travail Gruny », qui nous demande désormais de flécher l'autorité qui sera responsable de la mise en oeuvre de chaque recommandation qu'elle émane d'une commission ou d'une délégation ; de préciser le support juridique nécessaire (loi, règlement, décret, etc) ; et le calendrier de réalisation souhaitable.
Dans l'esprit du groupe de travail Gruny qui a préconisé une meilleure coordination des travaux du Sénat, je tiens à saluer aussi la participation à nos auditions des membres du groupe d'études sur l'économie circulaire, et en particulier celle de sa présidente Marta de Cidrac, ainsi que sa contribution écrite au rapport final. Je suis convaincu que cette collaboration que nous inaugurons permettra de nourrir les prochains travaux législatifs du Sénat sur ce sujet.
Je vous propose sans plus tarder de céder la parole aux rapporteures et en premier lieu à notre collègue Viviane Malet.
Mme Viviane Malet, rapporteure. - Monsieur le président, mes chers collègues.
Nous parvenons au terme de cette mission très riche avec de nombreuses auditions, près de 160 personnes auditionnées ou rencontrées et trois territoires visités : Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte et La Réunion.
Ces travaux ont confirmé la pertinence de ce sujet. La gestion des déchets est en effet un service public essentiel, au coeur du quotidien des populations - au même titre que l'eau ou l'assainissement - et sans lequel il ne peut y avoir de développement harmonieux et digne. Cette réalité est vérifiée chaque jour. La question des déchets anime en permanence l'actualité des outre-mer. Il n'y a pratiquement pas un jour sans que la presse régionale ultramarine se fasse l'écho d'un dépôt sauvage, d'une initiative citoyenne, des projets innovants ou des problèmes de collecte ou de traitement des déchets.
De plus, la société civile est de moins en moins tolérante. La prise de conscience monte et les collectifs citoyens se mobilisent de plus en plus. Il y a une vraie crainte pour le cadre de vie, l'environnement. Le sentiment est que nous sommes en train d'abîmer nos territoires.
Le rapport s'est concentré sur les spécificités ultramarines, et non sur la politique des déchets en général, avec une attention particulière pour les déchets ménagers.
Le constat est simple. C'est celui d'un retard majeur des outre-mer en matière de gestion des déchets. Tous les territoires sont concernés, bien qu'à des degrés divers. Un chiffre pour illustrer ce décalage : en métropole, environ 15 % des déchets ménagers finissent dans les centres d'enfouissement, 85 % étant valorisés. Dans les outre-mer, le rapport est inversé. Le taux d'enfouissement est écrasant, le taux de valorisation faible et la valorisation énergétique quasi nulle. En Martinique qui est le territoire ultra-marin qui enfouit le moins, ce taux d'enfouissement est de 40 % environ en 2020, quand les autres se situent entre 60 et 80 %, voire près de 100 % à Mayotte. Sur la collecte sélective, les ratios sont aussi très faibles par rapport à l'Hexagone. Les emballages ménagers ont des taux 3 à 4 fois inférieurs, voire 20 fois comme à Mayotte.
D'autres filières REP sont même absentes de certains territoires ou viennent juste de s'y implanter, comme par exemple la filière « Ameublement » à Mayotte ou en Guyane. En Guadeloupe, elle est présente depuis 2021, contre 2012 dans l'Hexagone. Pour rappel, les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) ont démarré bien plus tard dans les outre-mer, alors que les écocontributions ont été versées dès leur mise en place, notamment par les metteurs en marché situés dans l'Hexagone et desservant les outre-mer. Pour prendre l'exemple des emballages ménagers, la collecte sélective a commencé dans l'Hexagone en 1992, à La Réunion en 2003, dans les Antilles en 2010, à Mayotte en 2013 et en Guyane en 2015.
Les éco-organismes ont longtemps négligé les outre-mer car cela coûtait trop cher et c'était compliqué. D'autres facteurs expliquent ce retard des filières REP. L'hétérogénéité des territoires n'a pas assez été prise en compte et les stratégies sur-mesure ont peiné à sortir de terre. Ainsi, les cahiers des charges ne sont pas toujours adaptés aux outre-mer qui ont des gisements de déchets réduits. Enfin, les contraintes communes aux outre-mer ont aussi pesé sur les éco-organismes : manque d'infrastructures de base comme des déchetteries, gisements faibles, exportations compliquées, foncier rare, prestataires peu nombreux ...
Ce n'est que depuis 3 ou 4 ans, et surtout depuis l'adoption de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire dite loi AGEC, largement amendée par le Sénat, que les éco-organismes se penchent sérieusement sur ces territoires. Une nouvelle dynamique est là, il faut le dire, même si elle peine encore à produire des effets marquants en matière de taux de collecte. Les éco-organismes commencent à travailler ensemble, grâce à des plateformes multifilières impulsées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
La loi AGEC contraint aussi tout éco-organisme à élaborer et à mettre en oeuvre un plan de prévention et de gestion des déchets dans chaque territoire, afin que les performances de collecte rejoignent la moyenne nationale dans les trois ans qui suivent la mise en oeuvre du plan. Enfin, le barème de prise en charge par les éco-organismes des coûts supportés par le service public de gestion de déchets est majoré. Le cahier des charges prévoit ainsi des majorations variant d'un facteur de 1,5 à 2,2 selon les territoires.
Un autre point saillant est la part importante des flux qui échappe à la collecte. Leur estimation est par définition difficile, d'autant plus que les données disponibles sont souvent imparfaites. Les douanes sont peu coopératives pour donner des chiffres sur les importations de certains produits. En Guyane et à Mayotte, les quartiers informels peuvent représenter jusqu'à 41 % de la population. Le service de collecte n'y va pas et les habitants ne contribuent pas au service public.
Enfin, il y a le fléau des dépôts sauvages. Jusqu'à 1200 recensés à La Réunion par exemple par l'ARS. Plus de 300 en Martinique. Et pour les VHU abandonnés, le stock historique estimé à 65 000 en 2015 n'aurait diminué que d'un tiers sept ans après, malgré un plan spécial.
Ce tableau des défaillances et retards de la gestion des déchets outre-mer place ces territoires dans des situations d'urgence environnementale, mais aussi et surtout d'urgence sanitaire. Le constat est alarmant en Guyane et à Mayotte. À Mayotte, des enfants jouent dans les dépotoirs comme nous avons pu le constater avec Gisèle Jourda. Cela semble inimaginable dans la République française, et pourtant ce n'est que la stricte réalité. Cette situation exige d'en faire une cause nationale. Un exemple très concret de conséquences sanitaires graves: la leptospirose, qui peut être mortelle, est nettement favorisée par l'abandon de déchets et la prolifération des rats. En Guyane, son taux de prévalence est 70 fois supérieur à celui de la France hexagonale.
Il y a aussi le problème des anciennes décharges illégales qui peuvent polluer les sols et l'eau très longtemps après leur fermeture. Un suivi est nécessaire. À La Réunion, des cas de saturnisme auraient été détectés dans des habitats défavorisés situés à proximité d'anciennes zones de dépôt de batteries. Les anciennes décharges littorales qui présentent des risques de relargage en mer font en revanche l'objet d'un plan national de réhabilitation qui est à saluer. 14 de ces décharges sur 55 se situent outre-mer.
Sur le volet sanitaire, j'évoquerai aussi rapidement la situation particulière de Saint-Pierre-et-Miquelon à propos de l'élimination des pièces anatomiques d'origine humaine (PAOH). Les PAOH doivent être normalement incinérés. Lorsqu'il n'existe pas d'incinérateur, un autre système doit être mis en place. En Guyane, ces déchets sont enfouis par des sociétés funéraires. Le préfet de Guyane a émis un arrêté pour permettre cet enfouissement dérogatoire. Mais à Saint-Pierre-et-Miquelon, où aucun incinérateur n'est en fonctionnement, aucune solution légale n'a pu être trouvée jusqu'à présent. Lors du déplacement, nous avons constaté cette grave carence. Plusieurs pistes existent néanmoins. L'enfouissement, dans des conditions contrôlées, comme en Guyane. Une seconde piste, qui fut proposée par un entrepreneur local, est l'aquamation. C'est un nouveau procédé qui n'est pas autorisé en France. Dans tous les cas, il y a urgence à trouver une solution pour ces pièces anatomiques, le brûlage « sauvage » étant la pire.
Les enjeux environnementaux sont forts sans qu'il soit besoin d'en dire plus, tant ils sont évidents. Pour rappel, les outre-mer hébergent 80 % de la biodiversité française. Cela appelle un effort national à la hauteur de la responsabilité de la France pour défendre sa biodiversité. Mais c'est aussi un enjeu économique, notamment pour le développement touristique.
En conclusion, très clairement, la cote d'alerte est atteinte, voire dépassée dans certains territoires. Toutefois, ce panorama général ne doit pas masquer des différences importantes entre les outre-mer. Un état des lieux a été fait territoire par territoire. Les différences concernent aussi bien la gouvernance, les modes de financement, le cadre légal, les performances ... La situation de chacun pourrait être résumée ainsi.
Mayotte et la Guyane sont en urgence absolue. Tout reste à construire. À titre d'exemple, il n'y a pas de déchetteries à Mayotte, et seulement deux en Guyane pour un territoire grand comme le Portugal. Les taux de collecte sont les plus faibles et la population croit à une vitesse affolante. L'habitat informel rend très difficile la collecte. À Mayotte, le seul point fort est l'existence d'une installation de stockage aux normes qui dispose d'une capacité de stockage pour encore une quinzaine d'années au rythme actuel, voire moins. Cela laisse un peu de temps pour déployer une politique qui inversera les tendances. En Guyane, les installations sont aussi très limitées et les installations de stockage sont proches de la saturation. La taille du territoire complique aussi l'organisation de la collecte.
La Guadeloupe, la Martinique et la Polynésie française sont sur une ligne de crête et ne parviennent pas à accélérer. L'urgence est gérée, pas au-delà. Le cas de la Martinique est particulier. Seul département et région d'outre-mer (DROM) à s'être doté tôt d'une unité d'incinération, la Martinique n'est pas parvenue à capitaliser sur cet acquis pour déployer une politique plus ambitieuse. Pire, l'incinérateur a vieilli faute d'investissement et connaît de nombreux arrêts techniques qui se répercutent sur l'ensemble de la chaîne de traitement des déchets. En 2016, l'enfouissement était le troisième mode de traitement. En 2020, il est devenu le premier, malgré un tonnage de déchets en baisse du fait du recul démographique.
Wallis-et-Futuna est en train de bouger avec un vrai essor du tri sélectif, grâce à l'écotaxe. Les dépotoirs sauvages sont en voie de résorption. L'éloignement complique naturellement la gestion, en particulier pour les exportations qui ne peuvent se faire au fil de l'eau.
La Réunion et la Nouvelle-Calédonie sont davantage engagées vers un changement de modèle, avec de meilleures infrastructures, en particulier à La Réunion avec de grands projets en construction. Pour La Réunion un des grands défis sera celui des déchets dangereux. L'arrêt complet de l'exportation de ces déchets pendant plus d'un an a embolisé le système de collecte. La prise de conscience de cette fragilité a été forte. À long terme, l'enjeu est de gérer localement une part croissante des déchets dangereux, soit en recyclage, soit en stockage.
Saint-Barthélemy est à part avec une gestion moderne, mais une absence de prévention et des volumes records par habitant.
Saint-Martin enfouit la quasi-totalité des déchets et doit coopérer avec la partie néerlandaise. Le cyclone Irma a également profondément désorganisé le service.
Saint-Pierre-et-Miquelon est le bon élève de la prévention et du tri, mais est complètement défaillant sur le traitement, avec des décharges littorales illégales qui brûlent à ciel ouvert. Pire, à chaque coup de mer, des tonnes de déchets partent dans la baie de Saint-Pierre.
De manière générale, il faut souligner la fragilité financière du service public des déchets. Le coût de gestion outre-mer est en moyenne 1,7 fois plus élevé qu'en métropole. Par ailleurs, les recettes rentrent mal. Les taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) sont déjà très élevés (près du double de la moyenne nationale). Surtout, la TEOM est perçue avec la taxe foncière, hors cette taxe est souvent très mal collectée, notamment en raison du cadastre défaillant. Beaucoup de syndicats mixtes sont financièrement exsangues. La TEOM incitative n'a encore été mise en oeuvre nulle part, même à La Réunion où des études ont été réalisées. Ma crainte principale est qu'elle incite surtout les usagers à se débarrasser de leurs déchets ou à les brûler au fond du jardin.
Je terminerai ce bilan en évoquant l'action de l'État. L'ADEME, qui en est le fer de lance, est appréciée et saluée. De vrais partenariats se nouent avec les territoires pour financer des équipements, élaborer et déployer des plans et monter en compétence. Côté financement, plusieurs dispositifs existent. Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) bien sûr qui est plébiscité en raison de sa souplesse. Il y a surtout les fonds gérés par l'ADEME, en particulier le fonds « économie circulaire ». En 2021, 39 millions d'euros d'aides ont été versés dans les outre-mer sur des projets liés à l'économie circulaire et aux déchets. L'effet de levier est important, car ces aides permettent la réalisation de projets représentant environ le triple d'investissements. Ces crédits sont attribués dans le cadre des contrats de convergence et de transformation.
On observe néanmoins que le montant total des aides allouées outre-mer varie beaucoup d'une année sur l'autre, certains grands projets comme celui d'Ileva à La Réunion en mobilisant la moitié. Sans ce projet, les montants d'aides sont plus proches de 20 millions d'euros par an.
Enfin, il y a les aides européennes, essentielles, mais dont la complexité est comme toujours pointée. Par ailleurs, une inquiétude monte à propos de la pérennité de ces aides. En effet, l'Union européenne est désormais pleinement engagée vers une stratégie d'économie circulaire et s'est fixée des objectifs très ambitieux, qui sont hors d'atteinte pour les outre-mer. La crainte est donc qu'à terme, le versement des aides puisse être remis en cause au motif que les plans et les résultats ne sont pas en ligne avec les objectifs européens de recyclage, de valorisation et de réduction.
Mes chers collègues, le défi pour les outre-mer est donc double. D'une part, gérer l'urgence avec des actions rapides et des investissements structurants « classiques ». D'autre part, s'engager sur la voie de l'économie circulaire, qui est souvent un chemin plus long, bien que plus durable.
L'équilibre est difficile à trouver. Les 26 propositions du rapport s'y efforcent.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Dans notre rapport, nous formulons pour répondre aux défis que Viviane Malet vient de vous exposer 26 propositions. Je les évoquerai toutes, en insistant sur une dizaine d'entre elles.
L'urgence donc, c'est d'abord des plans de rattrapage exceptionnels et un puissant ballon d'oxygène financier pour ces territoires. L'effort doit porter aussi bien sur l'investissement que sur le fonctionnement, trop souvent négligé par les dispositifs d'aides. Pour investir, nous proposons donc un plan exceptionnel de 250 millions d'euros sur 5 ans, en plus des financements existants. Un plan Marshall pour Mayotte et la Guyane, et même un « plan Marshall XXL » oserais-je dire. Très clairement, il s'agit de doter ces territoires d'un vrai réseau de déchetteries, de centres de tri et d'unité de valorisation énergétique. Les centres d'enfouissement seront aussi mis aux normes.
Autre mesure forte : l'exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour 5 à 10 ans. Cette taxe est en effet injuste et inefficace outre-mer. Ma collègue Viviane Malet en parlerait mieux que moi, car elle en a fait son cheval de bataille. Encore cette année, elle a défendu et fait adopter des amendements pour alléger le poids de cette taxe qui plombe les budgets de fonctionnement. Cette taxe est quasi-unanimement contestée. Les auditions l'ont encore montré. Elle a été plusieurs fois rabotée pour soulager les outre-mer. Pourtant, malgré ces réfactions, la TGAP représente déjà 16 % de certains budgets de fonctionnement et si rien n'est fait, elle va doubler d'ici 4 ans.
Cette exonération pour 5, 7 ou 10 ans selon les territoires permettrait d'alléger massivement et immédiatement les dépenses de fonctionnement des syndicats mixtes ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cela permettra de renforcer l'ingénierie en recrutant, de renforcer la collecte, la prévention, la communication et de réinvestir. En 2020, la TGAP a coûté 17 millions d'euros. Sur 5 ans, c'est donc près de 100 millions d'euros réinjectés pour les déchets dans les seuls DROM.
En matière de financement, nous proposons aussi de baisser de 8 à 3% les frais de gestion perçus par l'État sur la TEOM dans les outre-mer. Nous estimons en effet que le recouvrement médiocre de la TEOM est en grande partie imputable à l'État qui ne modernise pas le cadastre. Dans les communes touristiques, une taxe additionnelle sur la taxe de séjour pourrait aussi compléter les recettes.
Dans les collectivités d'outre-mer, le modèle de l'écotaxe wallisienne, qui alimente un système de gratification du tri des déchets, est très intéressant et pourrait être repris par d'autres collectivités d'outre-mer. Dans les DROM, si l'octroi de mer devait être revu à moyen terme, l'intégration d'une forme d'écotaxe mériterait d'être étudiée.
Sur la gouvernance, il est ressorti des travaux un manque de vision globale dans certains territoires, avec plusieurs acteurs en charge du traitement. Aussi bien dans certains DROM que dans les collectivités d'outre-mer, même si les organisations diffèrent dans chaque territoire, il faut aller vers un opérateur unique pour assurer le traitement.
Dans les DROM, un seul syndicat mixte serait la bonne solution, comme cela existe en Martinique ou à Mayotte, indépendamment des difficultés propres de ces établissements. En Polynésie, le pays doit récupérer la compétence assumée par des communes dépourvues de moyens. En Nouvelle-Calédonie, il faut simplifier le millefeuille gouvernement-provinces-communes. Il manque aussi une meilleure coordination. Dans les DROM, la région est en charge d'élaborer le plan régional de prévention et de gestion des déchets. Mais ensuite, il n'y a pas de réel suivi, de coordination et de pilotage régulier, au plus près. Le comité de suivi du plan doit devenir une véritable instance de pilotage et de coordination, surtout sur des territoires insulaires.
Un autre aspect qui entrave une gouvernance efficace est la faiblesse des données. Cet état de fait n'est pas propre aux outre-mer, comme le relève un récent rapport de la Cour des comptes, mais il y est exacerbé. Deux propositions pourraient contribuer à améliorer la qualité des données :
- une meilleure coopération des douanes, qui refusent de transmettre des données clés sur les gisements ;
- et la création d'observatoires régionaux des déchets dans chaque territoire.
Reste enfin le problème de l'ingénierie et de l'expertise. Ce problème dépasse largement notre rapport. Les conséquences concrètes sont bien connues, comme l'a encore montré cette année le rapport de la Cour des comptes : sous-consommation des crédits, manque de projets... C'est pourquoi, afin que le plan exceptionnel de 250 millions d'euros sur 5 ans soit réellement consommé, nous proposons que dans chaque territoire, des « plateformes de projets » regroupant l'ingénierie de l'État et des collectivités soient créées. Pour que cela fonctionne, il faut que ces plateformes ciblent un nombre restreint de projets, les plus structurants et les plus complexes. D'autres mesures sont proposées comme un guichet unique pour les collectivités ou le renforcement du « fonds outre-mer », géré par l'Agence française du développement (AFD) et dédié à l'ingénierie, qui a montré son efficacité.
S'agissant des éco-organismes, comme l'a relevé Viviane Malet, ils commencent seulement à s'investir sérieusement dans nos territoires. Après tant de retard, le temps des obligations de résultat est venu. Nous proposons donc, si des résultats ne viennent pas cette année, d'expérimenter des pénalités automatiques pour les éco-organismes n'atteignant pas des objectifs chiffrés. Il faut également que les cahiers des charges des filières REP prennent mieux en compte les outre-mer. C'est encore insuffisant. Les éco-organismes doivent y mutualiser leurs moyens et non pas agir chacun dans leur couloir. Les cahiers des charges doivent l'imposer.
Les propositions que je viens de vous exposer visent à insuffler une nouvelle dynamique avec plus de financements, une meilleure gouvernance, de l'ingénierie et des éco-organismes investis. Elles doivent doter les acteurs du déchet des moyens d'agir.
La seconde série de propositions concerne plutôt les stratégies à déployer pour entamer un virage vers plus d'économie circulaire dans le contexte particulier des outre-mer.
Premier point important : il faut adapter la réglementation. Les objectifs de collecte et de traitement sont très largement calqués sur ceux de l'Hexagone et de l'Union européenne. De même pour les règles relatives au transfert des déchets. Or cette réglementation n'a pas été conçue pour des territoires insulaires, isolés, parfois très éloignés d'un État membre de l'OCDE. Elle ne tient pas compte non plus du retard pris par les outre-mer. Elle ne facilite pas la coopération régionale entre des îles très proches, mais au statut politique différent. Il faut donc adapter la législation dans tous ces domaines aux spécificités de nos outre-mer. L'impact pour l'Europe sera minime, mais pour nos territoires, il sera énorme. Cela implique une action résolue du Gouvernement à Bruxelles.
À cet égard, s'agissant des biodéchets, pour lesquels l'obligation de proposer une solution de tri à la source entrera en vigueur au 1er janvier 2024, sa mise en oeuvre sera très compliquée, voire impossible dans ces délais. Sans compter que le climat tropical n'autorise pas des stockages longs en bac. Le principe de réalité commanderait donc de repousser l'échéance. Toutefois, des dynamiques se mettent en place sur les territoires. Un report pourrait les casser, alors même que les biodéchets sont un gisement facilement mobilisable pour réduire le poids des déchets collectés. Il est plus aisé de gérer un composteur ou un méthaniseur que de créer une filière industrielle de recyclage du plastique ou de déchets dangereux. Nous ne proposons donc pas de modifier les délais.
En revanche, pour adapter la réglementation aux territoires, une proposition serait d'habiliter les outre-mer, à titre expérimental, à fixer leurs propres normes en matière d'interdiction de mise sur le marché de certains produits, de réemploi ou de consigne. La consigne sur le verre peut ainsi avoir un grand avenir, comme à La Réunion. La réglementation est un levier à mieux exploiter. Elle doit soutenir la prévention en réduisant ou supprimant certains produits particulièrement difficiles à traiter sur ces territoires. Par exemple, des systèmes de consigne sur les batteries seraient intéressants à expérimenter pour qu'elles cessent de finir au bord des routes ou dans les ravines.
Lors des auditions, les cas des territoires isolés ou les plus défavorisés sont fréquemment revenus. Une piste prometteuse serait de développer les dispositifs de gratification du tri. Les expériences de Mayotte ou de Wallis-et-Futuna sont très encourageantes. À Mayotte, un projet innovant a en effet été mis en place par la société LVD Environnement Mayotte, avec le soutien de Citéo. L'idée part du constat que le tri sélectif ne fonctionne pas à Mayotte, en particulier dans les quartiers informels. Les points d'apport volontaire sont éloignés, insuffisants et très vite dégradés. Le geste du tri n'a pas été approprié par la population.
Enfin, la collecte en porte-à-porte est limitée par les difficultés d'accès (pas ou peu de routes carrossables). Une collecte alternative a donc été imaginée à titre expérimental. Le principe est double : s'appuyer sur les commerces de proximité des quartiers, les doukas (épicerie de quartier offrant une diversité de services) et gratifier le tri.
En dix mois, avec huit points de collecte seulement, 11 tonnes de déchets plastiques (les bouteilles en PET essentiellement) ont été récupérées. La récupération des déchets dans les doukas se fait une fois par semaine. La gratification consiste à offrir des récompenses, en particulier des produits sanitaires (savons, couches, serviettes hygiéniques), aux apporteurs à partir de 5 kg. Des cartes de fidélité sont aussi distribuées, avec une gratification au bout de 15 passages. L'objectif est d'étendre le réseau de collecte et d'atteindre une centaine de tonnes d'ici trois ans, sachant que le gisement est estimé à Mayotte à 1 200 tonnes par an et que le Syndicat intercommunal de valorisation et d'élimination des déchets de Mayotte (SIDEVAM) n'en récupère à ce jour qu'une quarantaine. À plus long terme, LVD Environnement travaille à développer une filière locale de valorisation avec l'entreprise Mayco pour fabriquer des préformes de bouteille à Mayotte. Le lancement de la première ligne de production pourrait démarrer courant 2023.
Les déchetteries mobiles fonctionnent très bien aussi et doivent être développées. De même, les éco-carbets, sorte de centre d'enfouissement simplifié, ont montré de bons résultats en Guyane dans les villages isolés. Cette expérience pourrait inspirer d'autres projets, par exemple dans les îles polynésiennes les moins accessibles.
Un autre sujet majeur est celui des dépôts sauvages qui sont un fléau. Sur ce point, le constat est que la répression est encore trop faible. La loi était complexe, mais depuis la loi AGEC de 2020, les moyens légaux ont été renforcés et clarifiés. Il est indispensable que tous les EPCI ultramarins se saisissent de ces nouveaux pouvoirs. Des polices municipales intercommunales concentrées sur la lutte contre les dépôts sauvages doivent être créées partout.
Un autre levier possible est celui des éco-organismes. La loi AGEC met à la charge des éco-organismes le coût du nettoiement des dépôts, à partir de 100 tonnes. Vu l'urgence outre-mer, il faut l'abaisser drastiquement, à une tonne par exemple. Le seuil exact peut être discuté.
J'en viens à présent à un point très important qui est celui de la priorité à donner aux filières locales de recyclage. Pendant nos travaux, nous avons constaté un foisonnement de projets. De premières réalisations d'envergure, comme le recyclage du verre et du plâtre à La Réunion, sont opérationnelles. Sur tous les territoires, des projets se développent. Même sur des petits territoires, comme à Wallis-et-Futuna, des projets naissent. Par exemple, pour fondre localement l'aluminium collecté et l'exporter avec cette valeur ajoutée. C'est l'axe majeur à soutenir dans les prochaines années pour sortir de la logique de l'exportation, de moins en moins tenable et durable, et faire des déchets une ressource. La crise de l'exportation des déchets dangereux à La Réunion et à Mayotte ces deux dernières années est un vrai signal d'alarme.
Il n'existe pas de solutions clés en main sur ce sujet qui demandera de la patience et une multitude d'actions, à commencer par un soutien financier aux projets. Mais quelques pistes se dégagent :
- mieux partager les expériences entre les outre-mer pour les dupliquer ;
- renforcer la défiscalisation et les aides à la recherche. Ces projets exigent la réalisation de prototypes, puis des investissements lourds ;
- structurer des éco-pôles autour des centres de tri multifilières, afin de favoriser les synergies et les mutualisations ;
- enfin, fixer aux éco-organismes des objectifs de recyclage local.
Dernier axe fort : les outre-mer ne pourront pas faire l'impasse sur une meilleure valorisation énergétique des déchets. À ce jour, seule la Martinique et Saint-Barthélemy y ont recours. Dans l'Hexagone, cela représente 30 % des déchets ménagers. Ce mode de traitement, qui n'est plus privilégié en Europe, paraît incontournable si on veut réduire rapidement l'enfouissement et valoriser des déchets qui aujourd'hui, en l'état des technologies et des capacités des territoires, ne peuvent pas encore être recyclés.
Pour cela, il faut que la commission de régulation de l'énergie définisse un cadre clair, pérenne et favorable au prix de rachat de l'électricité produite par l'incinération des déchets. L'équilibre économique de ces projets en dépend. Les déchets peuvent compléter le mix énergétique des outre-mer pour tendre vers l'autonomie.
Mme Viviane Malet, rapporteure. - Pour conclure, nos travaux ont mis en lumière l'extrême précarité de certains territoires, et l'urgence à agir pour endiguer la vague de déchets. Comme nous l'avons dit, c'est une cause nationale qui mérite que la solidarité nationale joue pleinement. Les 26 propositions sont aussi concrètes que possibles et appellent des traductions précises, par la loi, le règlement ou des mesures administratives.
Le travail avec le groupe d'études sur l'économie circulaire permettra de faire fructifier certaines d'entre elles, notamment lors des débats en séance publique.
Nous remercions le président Stéphane Artano qui nous a permis de réaliser ce rapport.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - J'aimerais encore insister sur l'urgence qu'il y a à se saisir de ces problématiques. L'urgence sanitaire notamment à Mayotte et en Guyane doit alerter l'État, afin qu'il se mobilise.
Mme Nassimah Dindar. - Je voulais vous remercier pour la qualité de votre travail. Ce rapport est attendu par tous les territoires et revêt une importance capitale, en particulier dans les îles et territoires les plus excentrés de la France métropolitaine. Je souhaiterais que ce rapport soit envoyé à l'ensemble des maires de nos communes, afin de montrer les pistes que nous proposons. Vous avez rencontré la totalité des acteurs concernés par le traitement des déchets, il est important de le faire savoir.
M. Michel Dennemont. - Je vous remercie également pour la qualité du travail que vous avez effectué. Je souhaiterais également que ce rapport soit transmis aux services de l'État, notamment aux directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement, afin de les alerter sur la problématique des déchets et la nécessité de faire aboutir des projets concrets et réalistes. Il y a trop d'idéologie sur ce sujet.
Mme Marta de Cidrac. - Je souhaiterais également pouvoir exprimer la satisfaction du groupe d'études « Économie circulaire » du Sénat, que j'ai l'honneur de présider. Je vous remercie pour l'implication très étroite du groupe d'étude aux travaux de la délégation aux outre-mer. Cette collaboration démontre, s'il en était besoin, la capacité de l'institution sénatoriale à mobiliser ses différentes structures de travail autour d'une thématique commune, dans un souci constant d'amélioration de nos politiques publiques.
Je souscris aux conclusions du rapport d'information, qui illustrent clairement la nécessité d'une approche spécifique aux outre-mer dans la prévention et la gestion des déchets. Le retard alarmant dans le déploiement des politiques d'économie circulaire y emporte des conséquences sanitaires et environnementales dont l'ampleur et la nature sont inconnues du reste du territoire national. Des solutions spécifiques doivent donc être apportées, pour remédier urgemment aux causes identifiées par le rapport d'information : financements insuffisants, carence d'action des éco-organismes, filières locales de recyclage très limitées en raison de l'étroitesse des marchés, prévention quasi-inexistante, gouvernance locale non adaptée, difficultés découlant des exportations de déchets, notamment dangereux...
L'adaptation de la réglementation européenne sur les transferts de déchets, proposée par le rapport, me semble à cet égard particulièrement pertinente. Cette proposition pourra utilement être relayée par la commission des affaires européennes du Sénat.
Je souscris également à la proposition tendant à instaurer un contrôle plus strict des éco-organismes, en activant si nécessaire le régime de sanctions que la loi AGEC a instauré pour améliorer la performance des filières de responsabilité élargie du producteur (REP). À titre expérimental, comme le propose le rapport, des pénalités quasi-automatiques pourraient même être instaurées en cas d'objectifs non atteints, si jamais le dispositif actuel issu de la loi AGEC ne produisait pas rapidement des résultats.
En y regardant de plus près, les outre-mer ont également beaucoup à nous apprendre sur les orientations que notre politique nationale de prévention et de gestion des déchets pourrait ou devrait prendre. Faire des territoires ultra-marins des laboratoires de l'économie circulaire : voilà une belle ambition, qui avait déjà irrigué les travaux sénatoriaux sur la loi AGEC !
La mise en place en outre-mer d'une « prime au retour » afin d'inciter les détenteurs de VHU à remettre leur véhicule à la filière légale - permise, à notre initiative, « si elle permet d'accompagner l'efficacité de la collecte » - constitue par exemple une innovation très intéressante qui pourra utilement être évaluée dans la perspective de son éventuelle extension à d'autres parties du territoire national.
Je forme le voeu que l'ensemble des propositions formulées par le rapport puisse trouver une traduction adéquate, le cas échéant législative. Engagé dans un travail régulier d'évaluation de la loi AGEC, le groupe d'études « Économie circulaire » s'appuiera à cet égard sur ces travaux pour préparer les prochaines échéances législatives qui mobiliseront, à plus ou moins brève échéance, le Parlement sur les thématiques relatives à la prévention et à la gestion des déchets.
Je vous remercie de nouveau de nous avoir associés à ces travaux.
Mme Viviane Malet, rapporteure. - Nous vous remercions également pour votre présence. Nous espérons que vous pourrez également sensibiliser vos collègues de la commission des affaires européennes.
Mme Marta de Cidrac. - En effet, il ne faudrait pas oublier que plusieurs outre-mer sont des régions ultrapériphériques de l'Union européenne. À ce titre, il faut que nous puissions communiquer sur les spécificités et difficultés qui sont les vôtres.
Mme Nassimah Dindar. - D'ailleurs, il y a quelques années, nous avons bénéficié de fonds européens pour financer certains équipements. Monsieur le Président, je crois que nous pourrons fièrement adopter ce rapport à l'unanimité.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - J'aimerais ajouter que nous devrons profiter des textes de lois qui arrivent pour présenter des amendements. Dans ce rapport, il y a des propositions que nous pouvons concrétiser très rapidement.
Mme Micheline Jacques. - Ce rapport est un très bel exemple de la différenciation territoriale, et de la nécessité d'adapter certaines normes aux réalités des outre-mer.
Mme Viviane Artigalas. - Il serait intéressant de le présenter au groupe d'études sur l'économie circulaire. Nous l'avions fait lors de l'adoption de l'un de nos rapports sur la politique de la ville. Ces échanges avaient été très appréciés.
Mme Marta de Cidrac. - J'y suis très favorable. Je transférerai ce rapport aux membres de notre groupe d'études sur l'économie circulaire, mais il serait intéressant d'en faire une présentation synthétique. Cela nécessite du temps libre et une organisation.
M. Stéphane Artano, président. - Chers collègues, si vous n'avez plus rien à ajouter, je vous propose d'adopter ce rapport. Je vous remercie pour la qualité de votre travail, et propose de lever la séance sur cette dernière proposition. Je vous rappelle, enfin, qu'une conférence de presse se tiendra, à 11 heures 30 dans la nouvelle salle de presse au 1er étage du Palais et que vous êtes cordialement invités à y assister.
La Délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.