- Jeudi 8 décembre 2022
- Culture - Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010-13-UE, COM(2022) 457 final - Communication et proposition de résolution portant avis motivé
- Institutions européennes - Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE) dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture - Communication
Jeudi 8 décembre 2022
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 8h30.
Culture - Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010-13-UE, COM(2022) 457 final - Communication et proposition de résolution portant avis motivé
M. Jean-François Rapin, président. - La semaine dernière, sur la suggestion de notre groupe de travail sur la subsidiarité qui s'était réuni le 23 novembre, notre commission a désigné Florence Blatrix Contat, André Gattolin et Catherine Morin-Desailly comme rapporteurs de cette proposition de règlement de la Commission européenne qui tend à créer un cadre législatif européen commun pour la liberté des médias. Ils ont donc été chargés, dans un premier temps, d'en examiner la conformité au principe de subsidiarité. L'objectif du texte européen est louable : garantir l'indépendance des médias, notamment en contrôlant les concentrations entre organes de presse. Le pluralisme permet de vérifier l'information - pour l'anecdote, le 25 février, la télévision serbe annonçait que l'Ukraine envahissait la Russie...
La proposition instituerait à cette fin un comité de régulation européen chargé de préserver le pluralisme du paysage médiatique européen, ce qui peut mener assez loin et déstabiliser notre propre système national de régulation des médias. Je remercie nos rapporteurs qui ont dû travailler très vite, dans le délai imparti aux parlements nationaux pour examiner la conformité des initiatives législatives européennes au regard du principe de subsidiarité. D'autres parlements ont déjà jugé ce texte non conforme au principe de subsidiarité : les rapporteurs y reviendront certainement.
Le sujet qu'ils vont traiter trouve des échos immédiats dans l'actualité puisque, hier encore, une chaîne de télévision russe, réfugiée à Riga depuis juin, s'est vue privée de licence par le régulateur de l'audiovisuel letton, en raison d'un positionnement jugé ambigu à l'égard du régime russe. De telles décisions, très sensibles en matière de liberté de l'information, devraient-elles être prises à l'échelon européen ? C'est à mon sens la question en filigrane du travail de nos rapporteurs ce matin.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Tout d'abord je vous prie de m'excuser : la concomitance de nos engagements en commission et en délégation le jeudi, avant l'ouverture de la séance publique, nous amène parfois à faire des choix douloureux, et je devrai vous quitter très vite. Aussi ne pourrai-je rester au-delà de ce court propos introductif, mais nous avons bien sûr travaillé ensemble, mes deux co-rapporteurs et moi.
M. Jean-François Rapin, président. - Je devrai aussi vous quitter vers 9 h 30 afin de pouvoir assister à la session du conseil régional des Hauts de France auquel j'appartiens. Je céderai la présidence à André Reichardt.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous vous présentons donc ce matin le fruit de l'analyse collective que nous avons dû mener dans les délais très contraints, fixés par les traités pour l'examen des textes européens au regard du respect du principe de subsidiarité, en application de l'article 88-6 de la Constitution, et de l'article 73 octies du Règlement du Sénat. Ce fut une gageure d'autant plus qu'il s'agit d'un texte dense, touffu et complexe : la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2022 a en effet pour objet d'établir un cadre européen commun de régulation de l'ensemble du secteur des médias.
Porté par la vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourová et par le commissaire français au Marché intérieur, Thierry Breton, il met en oeuvre l'engagement politique pris par sa présidente, Mme von der Leyen, qui avait annoncé cette initiative dans son discours sur l'état de l'Union de 2021 : « Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Leur indépendance est essentielle. Voilà pourquoi l'Europe a besoin d'une loi qui garantisse cette indépendance. L'année prochaine, nous présenterons précisément une telle loi sur la liberté des médias ». Elle figure effectivement dans le programme de travail de la Commission pour 2022.
Elle prolonge un paquet de mesures destinées d'une part, à réguler le cadre d'exercice des services numériques et des services de médias ; d'autre part à défendre la liberté de la presse, conformément au « plan d'action de la Commission européenne » pour la démocratie européenne, tout en établissant un nouveau cadre législatif commun et harmonisé d'un « marché intérieur » des services de médias.
C'est donc un texte aux objectifs louables, très ambitieux et disparate.
Nous partageons l'objectif principal de cette nouvelle proposition de législation européenne : il s'agit, au vu des constats qui ont pu être faits depuis plusieurs années dans quelques pays de l'Union, et récemment en Pologne ou en Hongrie, de renforcer la liberté et l'indépendance éditoriale des « entreprises de médias », en recommandant des financements dédiés aux médias de service public, des mesures sur l'attribution équitable et transparente de la publicité, des règles sur la transparence de la propriété des organes de presse et un contrôle des concentrations.
Ce texte institue pour cela un comité de régulation européen qui jouerait également un « rôle spécifique dans la lutte contre la désinformation ». Ce comité se substituerait au groupe des régulateurs européens pour les services de médias audiovisuels (dit Erga, de son acronyme en anglais, European Regulators Group for Audiovisual Media Services, institué par la directive de l'UE sur les services de médias audiovisuels, dite directive SMA). D'où les modifications proposées de ladite directive, supprimant son article 30 ter instituant l'Erga, et remplaçant en conséquence les références qui y sont faites.
Il s'agit ainsi de protéger les « entreprises de médias » contre des mesures nationales « injustifiées, disproportionnées et discriminatoires », afin de préserver le pluralisme du paysage médiatique européen, de garantir son bon fonctionnement et de renforcer la protection de l'État de droit, dans un contexte international et européen où celui-ci est parfois remis en cause, au sein même de l'Union européenne, dans certains États membres, mais aussi dans des États candidats ou potentiellement candidats ; et, dans la plupart des États membres, il est souvent mis au défi par l'expansion d'internet, des grandes plateformes et des réseaux sociaux, mais aussi par les risques d'ingérences d'États tiers, dans les campagnes électorales nationales ou européennes, notamment.
Que cette préoccupation, que cette inquiétude, que cette nécessité d'agir soient largement partagées, au niveau européen, ne fait guère de doutes.
Mais, car il y a un « mais », la Commission européenne justifie sa proposition sur le seul fondement de l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui prévoit l'adoption de mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - C'est en effet sur cette base juridique que la Commission propose de réduire la « fragmentation » des approches réglementaires nationales en matière de liberté et de pluralisme des médias et d'indépendance éditoriale, fragmentation qu'elle estime préjudiciable : il s'agit donc, pour elle, de favoriser une approche commune et une coordination au niveau de l'UE pour assurer le « fonctionnement optimal » du marché intérieur des services de médias et éviter l'apparition de futurs « obstacles » aux activités des fournisseurs de services de médias dans l'ensemble de l'UE.
Or le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias, présidée par le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, et dont le rapporteur était David Assouline, publié le 29 mars 2022 soit avant la publication de la présente proposition de règlement, a rappelé deux éléments essentiels pour notre réflexion de ce matin.
D'une part, que le secteur des médias, si on peut l'envisager comme un marché, présente actuellement une segmentation principalement nationale, voire régionale, en particulier dans les États fédéraux comme l'Allemagne.
D'autre part, que la plupart des pays européens - et particulièrement le nôtre - ont mis en place de longue date des règles spécifiques nationales pour réguler le secteur.
Faut-il rappeler que la liberté de la presse et le pluralisme des médias sont issus de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?
En France, la liberté et le pluralisme de la presse et des médias sont solidement établis sur le socle de la loi du 29 juillet 1881 et de la loi du 30 septembre 1986, dans le cadre d'un objectif à valeur constitutionnelle, défini par le Conseil constitutionnel comme une condition d'exercice de la démocratie.
Dès lors, à traité constant, au nom de la construction d'un « marché intérieur des médias » dont elle postule l'existence et déplore la « segmentation », la Commission européenne propose un nouvel accroissement du champ des compétences matérielles du législateur européen, au détriment des parlements nationaux. Ce constat est au coeur de notre analyse de subsidiarité.
En effet, je rappelle que l'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Reconnaissons qu'il n'est pas simple de peser au trébuchet ce qui est « suffisant », ce qui peut être « mieux » fait, mais nous devons examiner, non seulement l'objectif de l'action de l'UE, mais surtout sa valeur ajoutée réelle par rapport au corpus juridique existant, ainsi que l'intensité de cette action : n'excède-t-elle pas la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif ? Ce sens de la « mesure » nous conduit d'ailleurs à lier étroitement subsidiarité et proportionnalité. Ce sont les deux axes principaux qui ont guidé notre examen, avec le concours des quelques auditions que nous avons pu réaliser et documents que nous avons pu consulter pour éclairer notre lecture de ce texte dans le délai imparti.
Quant aux deux grandes lois de 1881 et 1986, elles devraient sans doute, si la présente proposition de règlement était adoptée en l'état, être amendées.
La loi du 29 juillet 1881, d'abord, en raison des dispositions de son article 4, qui élargissent la protection des sources des journalistes, et de son article 6, relatives à l'indépendance éditoriale. La responsabilité pénale des « chefs de rédactions », selon la terminologie proposée, demanderait en effet à être précisée au regard du droit français, lequel ne reconnaît que la responsabilité pénale des « directeurs de publication ».
Mais la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication devrait aussi être amendée. En effet, les articles 21 et 22 de la présente proposition de règlement, relatifs à l'évaluation des concentrations et aux avis susceptibles d'être donnés à ce sujet par le comité européen qui se substituerait à l'Erga, soulèvent une difficulté, au regard du champ d'application du présent texte : si l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui garantit en France la liberté de communication et serait rattachée à ce comité, régule déjà les plateformes en ligne - réseaux sociaux, moteurs de recherche -, elle n'est pas compétente, en l'état actuel du droit français, pour statuer en matière de presse.
Nous touchons là une des limites importantes de ce texte au regard de la subsidiarité : quelle est en effet sa valeur ajoutée réelle par rapport à nos dispositifs nationaux ?
La question doit être franchement posée et la réponse est d'autant plus inquiétante que le cadre français est l'un de ceux qui garantissent le mieux le pluralisme en Europe.
Cela signifie que la France pourrait être amenée à remettre en cause ses acquis sur le pluralisme, patiemment et sagement construits au fil des années, pour y substituer un cadre européen moins protecteur.
Comme l'ont souligné les organisations professionnelles représentant les éditeurs de presse, cette proposition de règlement présente à cet égard des risques majeurs.
De fait, le texte s'inspire quasi exclusivement de la réglementation audiovisuelle : au lieu de reconnaître les spécificités sectorielles de la presse, il vise à la soumettre à un cadre commun avec l'audiovisuel.
Or, s'il est possible, dans une certaine mesure, de justifier l'existence d'un marché unique dans l'UE pour les services audiovisuels, il est vraiment impossible de démontrer l'existence d'un marché européen pour la presse, compte tenu de l'importance majeure des différences culturelles et linguistiques entre les États membres.
C'est toute la fragilité de la base juridique invoquée, celle de l'article 114 du TFUE, qui n'est pas du tout appropriée pour inclure les contenus de presse dans son champ d'application. Ce problème ne concerne pas que la France; plusieurs parlements étrangers s'y sont intéressés, dont l'Allemagne, la semaine dernière : nous mentionnons dans notre exposé des motifs les arguments qui fondent l'avis motivé du Bundesrat et la résolution du Bundestag, qui ne concernent pas que le caractère fédéral de la régulation outre-Rhin, mais aussi et surtout la base juridique même du texte. Nous rejoignons ici nos collègues allemands.
En effet, le pluralisme des médias et de la presse écrite, qui conditionne l'effectivité de la vie démocratique dans les États membres, incarne, voire symbolise la diversité culturelle et linguistique de l'Union européenne, et n'a pas à relever du seul marché intérieur.
À ce titre, c'est l'article 167 du TFUE qui constitue, à notre avis, une base juridique pertinente et robuste, à tout le moins pour la presse, mais aussi peut-être pour les radios, si riches de diversité régionale voire locale. Cet article, dont nous rappelons les termes dans notre projet d'avis motivé, dispose notamment que « l'Union contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun ».
Or, en cette matière, selon l'article 6 c) du TFUE, l'UE ne dispose que d'une compétence d'appui, venant en complément ou en soutien de celle des États membres, ce qui ne justifie nullement une harmonisation législative, laquelle pourrait d'ailleurs se faire aussi bien par le haut que par le bas, entraînant un risque de nivellement pour les États membres ayant un corpus législatif ancien et solide en ce domaine, tel celui de notre pays.
Au-delà, pour apprécier la « valeur ajoutée » et la « bonne mesure » de ce texte, et statuer sur sa nécessité et son efficacité - va-t-il au-delà de ce qui est « suffisant », peut-on faire « mieux » autrement ? -, il faut aussi examiner son articulation avec le corpus de textes européens existants. Or cette articulation manque de clarté et de précision.
Elle doit pourtant se faire avec les trois principaux textes européens qui constituent la base de l'acquis communautaire en matière de régulation des médias : la directive sur les services de médias audiovisuels (dite SMA) ; la directive établissant des règles sur l'exercice du droit d'auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d'organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio (dite CabSat2) ; le règlement relatif à un marché unique des services numériques (dit DSA).
M. André Gattolin, rapporteur. - La proposition que nous examinons est en effet très imprécise sur son articulation avec la directive SMA qu'elle est censée pourtant prolonger, selon le long exposé des motifs de la Commission européenne. Or les définitions proposées devraient être intégralement harmonisées avec celles de la directive SMA, en particulier pour les services de médias, mais aussi pour les notions de responsabilité et de décisions éditoriales.
L'article 6, qui concerne le niveau de protection applicable aux fournisseurs de services de médias et d'actualité, ne tient aucun compte des dispositions existantes dans ce domaine dans la directive SMA. Il en va de même des dispositions obligatoires sur l'organisation éditoriale des médias.
Aux articles 7 et suivants sur le rôle des autorités de régulation et la création d'un « comité » européen - curieuse traduction d'ailleurs de l'anglais board, qui désigne à mon sens un « conseil » plus puissant, un directoire -, la proposition de règlement modifie de façon importante l'équilibre entre autorités nationales et européennes, tout en prévoyant que la Commission européenne en assure le secrétariat. Mais si nous créons des autorités indépendantes, c'est précisément pour les détacher de l'exécutif et de l'État, et pour garantir une plus grande neutralité. Or en l'espèce, au contraire, le comité européen serait chapeauté par la Commission. La question se pose : la Commission est-elle une instance technique ou politique ? Nous avons auditionné les représentants de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique : ils ne sont pas défavorables à ce texte, mais ce point les inquiète.
Quant à la compatibilité avec la directive CabSat2, la notion de contenus d'informations et d'actualités (« news and current affairs ») soulève des questions importantes, bien que différentes, à la presse et à l'audiovisuel.
Dans l'audiovisuel, la notion se trouve déjà dans la directive CabSat2. Selon cette directive, les programmes de télévision qui sont « des programmes d'informations et d'actualités » sont soumis au principe du pays d'origine pour faciliter la collecte des droits. Le législateur européen a considéré que les programmes d'information et d'actualités sont très spécifiques aux États membres et ont donc peu de valeur de licence en dehors de leur territoire d'origine. Qui va racheter en France les informations qui sont diffusées au Danemark, sauf images particulières ? C'est ce qui explique pourquoi ces programmes ont été inclus dans le champ d'application de la disposition du pays d'origine et, a contrario, pourquoi d'autres types de contenu audiovisuel en ont été exclus.
Les programmes d'information et d'actualité doivent donc être strictement distingués de programmes d'autre nature, tels que les documentaires, les émissions de variétés et les programmes de téléréalité. Or la présente proposition laisse planer sur le périmètre de cette notion une totale incertitude, tant qu'elle ignore ou feint d'ignorer la différenciation fondamentale, selon nous, entre les écosystèmes de la presse et de l'audiovisuel.
Quant à la compatibilité avec le DSA, à l'article 17, la proposition de règlement prévoit un nouveau mécanisme destiné à éviter une double modération des contenus publiés ou édités par les médias.
De fait, il instaure une obligation pour les « fournisseurs de très grandes plateformes » de mettre à disposition des utilisateurs un formulaire de déclaration en tant que « fournisseur de services de médias » afin de bénéficier de modalités de modération spécifiques. Il s'agit là d'une modification significative des dispositions du DSA, alors même que ce dernier n'est pas encore entré en application.
En outre, le DSA prévoit à l'article 33 que les dispositions qui s'appliquent aux très grandes plateformes s'appliquent également aux très grands moteurs de recherche, ce qui ne semble pas être le cas dans la rédaction de la précédente proposition de règlement. Il est indispensable de lever ces ambiguïtés pour articuler cette proposition avec le DSA qui vient d'être adopté.
Il nous semble donc, pour répondre à notre interrogation sur la « mesure » dont a fait preuve la Commission européenne, qu'elle soit ici, sur une base juridique insuffisante et fragile, allée un peu trop loin, trop vite, dans son ambition législative, en confondant la régulation des médias locaux et culturels de presse avec le développement d'un « marché intérieur » des médias dans l'audiovisuel et le numérique.
Il n'existe pas ou très peu de facteurs communs entre la presse et les services audiovisuels. La volonté de doter l'Europe d'un règlement qui embrasse ainsi ces deux écosystèmes nous paraît peu conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Il importe enfin de souligner, pour le sénateur membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) que je suis, que, selon l'article 167 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), paragraphe 5, l'Union et les États membres « favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier avec le Conseil de l'Europe ». Or celui-ci a adopté plusieurs conventions dans le domaine de la protection du pluralisme et de la liberté des médias. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est très active dans ce domaine. Pour ne citer que deux exemples relativement récents, elle a adopté en janvier 2020 une résolution intitulée Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe et, en juin 2022, une résolution intitulée Le contrôle de la communication en ligne : une menace pour le pluralisme des médias, la liberté d'information et la dignité humaine.
Hélas, la présente proposition de règlement de la Commission ne mentionne nullement le Conseil de l'Europe, négligeant d'encourager l'Union européenne et ses États membres à coopérer avec cette institution particulièrement attentive au respect des droits des journalistes et des médias. C'est pourquoi nous avons inclus dans notre avis motivé un paragraphe à ce sujet. Tout ceci nous conduit in fine à apprécier négativement la conformité au principe de subsidiarité du texte que nous examinons.
Tel est en effet, vous l'aurez compris, le sens du projet que nous vous soumettons, qui rejoint, au stade initial où nous en sommes de l'examen de la proposition de la Commission européenne, le point de vue de nos collègues allemands, mais aussi l'initiative que s'apprêtent à adopter demain nos collègues du Folketing danois et, à ce stade, les interrogations de nos collègues suédois et irlandais.
Sans aller, comme le fit naguère Helmut Kohl dans une déclaration retentissante, à dénoncer une « furie réglementaire » de la Commission, nous appelons, par cette résolution, à la prudence, à la mesure, au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, qui sont, conformément à l'esprit des traités, des principes régulateurs particulièrement nécessaires à la pérennité du projet européen.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cette analyse, qui confirme les impressions que nous avions eues lors de la réunion de notre groupe de travail sur la subsidiarité. Finalement, voilà encore une fausse bonne idée. Peut-être avons-nous besoin d'un mécanisme supranational, comme je le relevai à travers deux exemples dans mon propos initial, mais pas en ces termes et pas en ce moment.
M. André Gattolin, rapporteur. - Récemment, à la demande de notre président, je me suis rendu à une réunion organisée par les parlements nationaux et le Parlement européen à Bruxelles : la séance du matin portait sur la question des ingérences dans les élections, dans la perspective évidemment des prochaines élections européennes de 2024 ; l'après-midi était consacré à l'État de droit, mais je me suis rendu compte que tout le monde parlait de ce projet de règlement. Naturellement, les eurodéputés sont favorables à une réglementation européenne, mais certaines inquiétudes se sont fait jour. J'ai l'impression que le choix de s'appuyer juridiquement sur l'article 114 procède d'une volonté conjointe de la Commission et du Parlement européen d'aller vite, avec un double objectif. D'abord celui d'adopter un texte avant les élections européennes, afin d'éviter un certain nombre d'ingérences dans ces élections. Ensuite, au deuxième semestre 2024, la Hongrie assurera la présidence du Conseil européen en la personne de Viktor Orban... Néanmoins, nous devons respecter la procédure législative classique, étant donné la complexité du texte et de ses implications.
M. Patrice Joly. - Les différents contextes nationaux rendent le sujet plus ardu. Nous examinons ce texte au lendemain de l'annonce selon laquelle Bernard Arnault serait devenu hier l'homme le plus riche du monde. Sans doute ne l'a-t-il été que pendant une heure et demie, mais c'est très symbolique, eu égard à sa place dans les médias français. Sa puissance est aussi un risque, au regard de nos intérêts économiques et politiques.
Ces sujets sont complexes au regard de la typologie des médias et de leur articulation avec les contextes locaux, les cultures, les langues. Comme le disait notre président, on sent bien la nécessité d'une action sur ce sujet, compte tenu des risques de manipulation de l'information dans certains pays. Nous avons vu, ces dernières années, comment les élections pouvaient être manipulées. La question de la régulation est donc devant nous, mais il faut s'adapter aux contextes nationaux. Avez-vous identifié des concentrations de médias problématiques à l'échelle européenne ou dans les différents pays ? L'exemple présenté par notre président dans son propos était assez édifiant. Quels sont les pays à risques, notamment dans la perspective des élections européennes de 2024 ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Notre travail consistait à vérifier et à contrôler la question de la subsidiarité et de la proportionnalité. Dans le temps imparti, nous n'avons pas pu traiter la question que vous soulevez. Ce sera la deuxième étape. Je vous renvoie à l'excellent rapport publié en mars 2022 de nos collègues de la commission d'enquête sur la concentration des médias.
M. André Gattolin, rapporteur. - Il y a deux ans, avec Jean Bizet et Jean-Yves Leconte, nous avions rédigé un rapport sur l'État de droit en Hongrie. Les Hongrois savent se protéger sur le plan juridique. Le texte propose des limitations aux concentrations sans préciser quel serait le périmètre pertinent. En effet, la situation est différente selon qu'il s'agit de la presse locale ou des médias transnationaux. Surtout, le texte propose de veiller au poids des investissements publicitaires décidés par l'État ou le Gouvernement dans les médias.
Dans le cas hongrois, toute la pression exercée sur la liberté de la presse passe par la publicité, mais pas particulièrement par la publicité d'État. En Hongrie, deux centrales d'achat gérées par des amis du président concentrent l'essentiel du marché de la publicité. C'est une atteinte au pluralisme qu'illustre le cas de Klubrádió, qui a dû fermer car les grandes centrales d'achat lui ont coupé les vivres. En tout cas, si la Hongrie est visée, la situation n'y serait, en l'état, pas résolue avec ce projet de règlement européen.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Vous avez évoqué votre crainte de manipulation de l'information, notamment lors de scrutins électoraux. De mon point de vue, la meilleure façon de lutter contre la désinformation consiste à s'assurer de la vitalité des médias dits traditionnels, c'est-à-dire des groupes audiovisuels publics européens et des groupes de presse, car ce sont eux qui travaillent à corriger la désinformation et prévenir la manipulation de l'information. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), les représentants des groupes audiovisuels européens s'étaient réunis à Paris pour réaffirmer l'importance de leur rôle dans ce domaine auquel ils consacrent beaucoup de temps.
Il faut aussi veiller à ce que s'applique rapidement le règlement DSA, car la désinformation, la manipulation de l'information, les théories du complot et tout ce qui s'ensuit concernent principalement les réseaux sociaux. L'information diffusée par les réseaux sociaux n'est pas une information professionnelle, mais de l'opinion véhiculée via des communautés créant des bulles de vérités et de contre-vérités. Malheureusement, les plateformes qui façonnent ces mauvaises informations refusent de mettre à disposition leurs données pour que ces phénomènes puissent être étudiés, comme nous l'avions proposé avec Florence Blatrix Contat pour améliorer le DSA. Celui-ci permettra-t-il de contrôler les plateformes qui encouragent, par leur modèle économique, la circulation de cette désinformation ? Nous verrons. Appliquons déjà les textes existants, c'est important.
M. Jean-François Rapin, président. - Avec mon ancien homologue aux affaires européennes du Sénat tchèque, David Smoljak, actif dans les médias, nous avons eu une conversation à ce sujet : les Tchèques n'ont pas la même vision que nous. Selon lui, ce texte leur permettra de régler les défauts du secteur des médias dans leur pays.
M. André Gattolin, rapporteur. - Je tiens à préciser que nous ne sommes pas contre la régulation. Quand nous avons auditionné hier le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), dont l'avis est neutre sur le texte, j'ai demandé pourquoi donc nous ne pourrions pas envisager deux textes, ce qui est fréquent quand on veut réguler. L'un, d'application directe, se fonderait sur l'article 114 ; l'autre, éventuellement une directive, permettrait des adaptations nationales. C'est ce qui s'est passé avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui renvoie au droit national sur certains points.
En l'espèce, on observe une volonté de tout harmoniser. Mais si l'on fixe un niveau minimal, la crainte des pays nordiques, de l'Allemagne ou de la France est de parvenir à un texte moins-disant à l'égard des pays disposant d'une protection plus avancée. Si l'on ne précise pas que ces pays peuvent avoir des exigences renforcées, on abaissera le niveau de la liberté de la presse.
M. Didier Marie. - Je rejoins ce que disait Catherine Morin-Desailly. Les médias publics sont, en effet, garants du bon fonctionnement de la démocratie. À ce titre, si la proposition de règlement protège les médias publics, le texte ne va pas assez loin sur les modalités de leur financement. Nous sommes loin de la subsidiarité. Ne s'y trouve qu'une formule évasive : le secteur public « doit bénéficier de financements suffisants et stables ». En France, nous essayons généralement d'aller plus loin, en prévoyant une pérennité du financement. Eu égard aux débats passés sur l'audiovisuel public, on constate que ce sujet, déjà complexe en France, peut être encore plus sensible dans un certain nombre de pays européens. Sans médias publics financés de façon pérenne et indépendante, on n'y arrivera pas.
La commission adopte la proposition de résolution européenne portant avis motivé, disponible en ligne sur le site du Sénat à l'unanimité..
M. Jean-François Rapin, président. - Nous verrons si un nombre suffisant de chambres dans les différents Etats membres nous rejoignent dans cette démarche, afin d'atteindre le seuil à partir duquel nous pouvons présenter un « carton jaune » à la Commission.
- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -
Institutions européennes - Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE) dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture - Communication
M. André Reichardt, président. - Le projet de loi dit Ddadue rassemble diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (UE) dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. Or, depuis quatre ans, vous le savez, la commission des affaires européennes assure une mission de veille sur les sur-transpositions de textes européens, dans le cadre de l'examen des projets et propositions de loi comportant des mesures de transposition en droit interne de directives ou des mesures d'application de règlements européens. Ainsi notre commission formule, en tant que de besoin, des observations, lorsqu'elle constate qu'il est proposé d'aller au-delà de ce qu'impose le droit européen au détriment de la compétitivité de nos entreprises, et sans justification documentée ou recevable. Cette mission, d'abord mise en oeuvre à titre expérimental, a été consacrée à l'article 73 sexies du Règlement du Sénat en 2019.
C'est dans ce cadre que la Conférence des présidents a décidé, à la demande du président Jean-François Rapin, de consulter notre commission sur le projet de loi Ddadue. Déposé le 23 novembre dernier, ce texte doit être examiné par le Sénat en séance publique dès la semaine prochaine, motif pour lequel les commissions permanentes compétentes se sont déjà prononcées : la commission des affaires sociales au fond, sur le rapport de notre collègue Pascale Gruny, hier, et les commissions des finances, des lois, des affaires économiques, et de l'aménagement du territoire et du développement durable, pour avis, avec délégation au fond, ce mardi.
Le président Jean-François Rapin m'a demandé de vous présenter les observations qui lui paraissent pouvoir être faites au titre du risque de sur-transposition de textes européens dans le droit français.
Première observation, la démarche de transposition sectorielle par un véhicule dédié est de bonne méthode, car elle permet de mieux identifier les risques de sur-transposition. Deux autres textes ayant le même objet ont d'ailleurs été adoptés en 2020 et 2021. Toutefois, les secteurs concernés sont aussi divers que nombreux, alors même que les délais d'examen sont particulièrement contraints.
Deuxième observation, les modifications apportées au droit interne sont d'importance inégale. Six d'entre elles sont de simples coordinations de références dans différents codes ou rectifient des erreurs de transposition, dans un cas après une procédure d'infraction et, dans un autre, après que le juge a constaté que la transposition française ne respectait pas le texte européen. Par ailleurs, plusieurs articles procèdent directement à la transposition de textes européens, sans rien y ajouter.
Troisième observation, il est proposé de supprimer une sur-transposition résultant du choix d'une option plus exigeante ouverte par une directive de 2017 en cas de perte grave du capital social souscrit. La commission des lois, sur le rapport de notre collègue Didier Marie, a estimé qu'il s'agissait d'un allègement justifié, « à l'aune des conséquences économiques des crises récentes [...] ainsi que des nouvelles modalités de financement des sociétés ».
Quatrième observation, plusieurs transpositions sont tardives et le seront plus encore lorsque le Gouvernement demande à procéder par voie d'ordonnances, avec des délais d'habilitation allant au-delà du calendrier prévu par le texte européen.
Cinquième et dernière observation, il est proposé de procéder par voie d'ordonnances dans sept cas, surtout pour des textes techniques n'ouvrant pas de marges de manoeuvre, mais dont la transposition en droit national exige des mesures d'adaptation et de coordination ainsi que la définition des modalités d'application outre-mer.
Il n'en va pas ainsi pour la directive concernant la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (dite CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive). Définitivement adoptée en novembre dernier mais non encore publiée, cette directive procède à une harmonisation des obligations d'information non financières des entreprises en matière de durabilité plus exigeante que celle que prévoyait la directive européenne sur le reporting extra-financier, dite NFRD (Non Financial Reporting Directive) de 2014, à laquelle elle succède. Elle impose ainsi la publication d'informations détaillées standardisées sur l'impact environnemental et social des entreprises, et sur les droits humains, en s'appuyant sur des critères communs alignés sur les objectifs climatiques de l'UE. Il s'agit, ce faisant, de porter la publication d'informations sur la durabilité au même niveau que celle des informations financières, pour répondre aux attentes des parties prenantes. Pour s'assurer de leur fiabilité, les informations seront soumises à des vérifications et des audits indépendants qui feront l'objet d'un rapport d'assurance écrit.
Le périmètre des entreprises visées est fortement élargi : 50 000 à terme, contre 11 700 actuellement. Les entreprises concernées devront prendre en compte, non seulement leurs propres activités, mais également leur chaîne de valeur, y compris les produits et services, les relations d'affaires et la chaîne d'approvisionnement.
Le Gouvernement précise que la transposition de la directive impose d'adapter, de clarifier et de mettre en cohérence les critères d'application des obligations de publication d'informations extra-financières en droit français, à la fois en termes de champ d'application et de contenu, tout en assurant un cadre clair et articulé avec les dispositions en vigueur en France en matière de publication environnementale, sociale et de gouvernance des entreprises.
Or, si le contenu des obligations d'information à transposer est détaillé par la directive, il n'est pas limitatif. Il en est de même pour les modalités de contrôle de celles-ci, ou encore le périmètre des entreprises concernées, qui pourrait donc être étendu en droit interne, sans compter que la directive ouvre aux États membres des marges de manoeuvre.
En 2017, l'ordonnance de transposition avait introduit des dispositions plus exigeantes que celles prévues par la directive NFRD, au motif de l'expérience de la France en matière d'obligations de publication d'informations extra-financières résultant de la loi de 2001 dite NRE (sur les nouvelles régulations économiques) et de la loi Grenelle 2 de 2010.
L'habilitation sollicitée pour la transposition de la directive CSRD est également très large : elle permet en effet de procéder à des modifications des obligations des entreprises en matière d'enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance. En raison du long délai d'habilitation, les services de l'État n'ont pas été en mesure d'apporter au Sénat des réponses précises sur les intentions du Gouvernement en la matière. Il pourrait donc en résulter des obligations de transparence renforcées pour les opérateurs français, susceptibles d'avoir des effets concurrentiels négatifs au regard des autres opérateurs européens.
Notre collègue Hervé Maurey, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, a également fait ce constat d'un risque de sur-transposition. Il a proposé en conséquence un amendement visant à restreindre le champ de l'habilitation, qu'il qualifie de « bien trop large », aux seules mesures modifiant les obligations de publication dans les domaines couverts par la directive CSRD et les actes délégués que celle-ci prévoit. Le président Rapin, qui est membre de la commission des finances, a bien sûr soutenu cette proposition.
M. Didier Marie. - Il est bon de disposer d'un véhicule de cette nature, qui permet de balayer assez largement les sujets ; il concerne treize directives et une dizaine de règlements, c'est hétéroclite... mais cela permet de connaître les transpositions choisies.
J'ai déposé un amendement, que la commission des lois a adopté, à l'article 9. Il s'agit de mettre fin à une situation de sur-transposition, qui met les entreprises françaises en difficulté par rapport à d'autres entreprises, avec le risque de provoquer des mises en liquidation judiciaire plus rapides. Nous avons donc proposé d'allonger les délais de remise en santé financière des entreprises.
Sur l'article 8 et la transposition de la directive CSRD, nous ne sommes pas forcément opposés à certaines sur-transpositions. On peut en effet considérer qu'une directive ne va pas suffisamment loin et qu'une sur-transposition est souhaitable. Je ne suis donc pas forcément favorable à restreindre le champ des habilitations. En revanche, je considère que ce texte est important et que sa transposition ne doit pas faire l'objet d'une habilitation à légiférer par ordonnances. Je n'ai pas encore déposé d'amendement, mais je me réserve la possibilité de demander la suppression de cet article, de telle sorte que le projet de transposition soit renvoyé devant le Parlement pour que nous examinions la question au fond. Et ce d'autant qu'une proposition de directive est en cours de négociation sur le devoir de vigilance des entreprises et qu'il existe un certain nombre de croisements et de chevauchements entre les deux directives.
La directive CSRD est un texte important, qui concerne beaucoup d'entreprises et touche à des sujets sensibles en Europe et en France. Sa transposition mérite une analyse au fond par le législateur, et non une simple habilitation à y procéder par ordonnances.
M. Patrice Joly. - Nombre de sujets abordés dans le projet de loi méritent, en effet, plus qu'une habilitation. Certes, quelques-uns d'entre eux ne posent pas de difficultés, par exemple l'amélioration de la garantie apportée aux victimes d'accidents de la route à l'échelle européenne.
En revanche, à l'heure où nous discutons des problématiques de retraite, des bénéfices de la capitalisation et de la répartition, un texte sur le produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle ne peut que nous conduire, même si ce produit d'épargne est très peu développé, à interroger la philosophie même de notre système de retraite et la philosophie qui sous-tend notre sécurité sociale.
Quant à la question de la réglementation des cryptomonnaies, elle devrait faire l'objet d'un vrai débat quand on voit les dégâts causés par la faillite de FTX.
De nombreux sujets abordés par le projet de loi méritent des débats clairs, et non de simples habilitations à procéder par ordonnances.
M. André Reichardt, président. - La commission des affaires européennes ne se prononce pas sur le fond des dispositions proposées ; elle met en garde sur d'éventuels risques de sur-transposition. C'est la commission permanente compétente qui est appelée à se prononcer sur le fond, en particulier sur l'opportunité d'une sur-transposition. Une habilitation peut être donnée pour légiférer par voie d'ordonnances sur des sujets qui ne posent pas de difficultés. La commission des lois dont je suis membre n'aime guère le recours aux ordonnances ; dès qu'elles paraissent trop larges ou trop compliquées, nous demandons la suppression des articles d'habilitation.
M. Jacques Fernique. - Les délais d'examen sont serrés. Cinq commissions permanentes ont examiné des parties du texte. Je n'ai pas trouvé d'espace regroupant les analyses des différents rapporteurs. Il nous manque une vision globale du dossier.
M. André Reichardt, président. - C'est en effet un texte « fourre-tout ». Les analyses des différentes commissions sont accessibles en ligne. Chaque commission se prononce au fond sur les articles qui lui sont délégués et publie son rapport et ses propositions d'amendements sur sa page du site internet du Sénat.
M. Didier Marie. - Avec ce genre de textes, le risque est double : soit en rester au stade des généralités, soit se perdre dans des dispositions trop techniques. Je regrette que les délais soient si contraints, nous avons eu à peine huit jours pour examiner le projet de loi.
M. André Gattolin. - Il fut un temps où il n'y avait pas de transposition par le Parlement ; c'étaient les services juridiques de l'État et du Conseil d'État qui adaptaient les textes. Il ne faudrait pas que l'on revienne par la multiplication des ordonnances à l'ordre qui prévalait avant...
M. André Reichardt, président. - Peut-être conviendrait-il de reconstituer un seul rapport afin de pouvoir plus aisément tirer quelques conclusions.
La séance est close à 9 h 40