Mercredi 30 novembre 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l'enfant - Examen du rapport et du texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous commençons nos travaux par l'examen de la proposition de loi (PPL) tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l'enfant, déposée par Xavier Iacovelli et plusieurs de nos collègues. Xavier Iacovelli, n'étant pas membre de notre commission, je vous propose d'accéder à sa demande de nous présenter son texte, conformément aux dispositions de l'article 15 bis de notre Règlement.
M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de m'accorder ce droit de présenter cette proposition de loi, qui revêt, à mes yeux, une importance particulière compte tenu de mon attachement à la protection de l'enfance. La création de délégations parlementaires aux droits des enfants constitue une demande régulière et ancienne, puisque cela fait vingt ans que le milieu associatif la demande. Le juge Jean Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, avait rédigé une proposition en ce sens dans le rapport de 2014, rédigé dans le cadre du groupe de travail institué par la ministre déléguée à la famille. À quelques jours du trente-troisième anniversaire de la ratification de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), il faut rappeler que celle-ci incite également fortement les États à créer cette délégation, sans toutefois l'imposer.
Ainsi, même si le rapport de l'Unicef montre que les progrès réalisés par la France ont été importants durant les trois dernières décennies, de nombreux défis restent à relever pour garantir l'effectivité des droits des enfants : la protection de l'enfance, l'accès aux soins, la lutte contre les inégalités, l'accès à la pratique sportive et à la culture, la question du handicap, mais aussi la lutte contre l'inceste ou la cyberpédocriminalité.
L'intérêt supérieur de l'enfant doit guider nos politiques publiques. Or les enfants les plus vulnérables peinent à accéder à leurs droits, comme les enfants en situation de grande pauvreté, ceux qui sont porteurs de handicap ou victimes de violences, ou encore les enfants détenus ou en situation de migration. Nous avions d'ailleurs rédigé avec Henri Leroy, Laurent Burgoa et Hussein Bourgi un rapport d'information portant sur la question des mineurs non accompagnés (MNA). De plus, nous nous sommes rendu compte que la santé mentale des enfants, qui plus est dans le contexte de crise sanitaire, constitue un sujet majeur. Aussi, tous ces défis doivent être traités de manière pérenne dans le cadre de délégations spécifiques.
L'enfant n'est pas seulement un être fragile devant être protégé, mais il est aussi un sujet de droit. À ce titre, nous devons avoir un regard transversal sur les politiques publiques concernées.
Le 13 février 2003, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants, qui n'a malheureusement jamais été inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat. Ce texte, déposé notamment par Jacques Barrot, visait à doter chacune des assemblées d'une structure permanente, afin d'accroître le rôle du Parlement dans le cadre de la protection du droit des enfants. En 2019, une proposition de loi du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) du Sénat tendant également à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants avait été rejetée par le Sénat.
Depuis lors, la situation a évolué dans la mesure où la réforme constitutionnelle de 2008 a expressément consacré la mission de contrôle et d'évaluation du Parlement. Ce dernier s'est organisé en conséquence pour travailler plus efficacement, notamment en supprimant cinq délégations et offices en 2009.
Je comprends bien les craintes du Sénat quant à la création d'une nouvelle délégation. J'ai également entendu que certains redoutaient que la présidence d'une telle délégation revienne à l'opposition sénatoriale ; après vérification, je tiens à vous rassurer, la présidence reviendrait bien à la majorité. La création d'une délégation n'enlèverait rien aux prérogatives et au pouvoir législatif des commissions permanentes, bien au contraire, elle pourrait alimenter leurs travaux, car celles-ci sont souvent surchargées.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'objet de cette proposition de loi est simple. Chacun l'aura compris, la création de deux délégations parlementaires aux droits de l'enfant ne procède pas de la volonté de créer de nouveaux droits de l'enfant, ni de distinguer ceux qui s'intéressent aux droits de l'enfant de ceux qui s'en désintéressent. Il s'agit d'afficher - le terme n'est pas péjoratif - l'intérêt du Sénat pour le sujet et d'organiser le travail parlementaire, puisque la délégation est un organe de travail. Pour rappel, le Sénat avait rejeté en 2019 la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants de notre collègue Éliane Assassi - j'avais déjà émis à l'époque un avis défavorable en tant que rapporteur sur ce texte.
Tout d'abord, preuve est déjà faite que le Sénat porte un intérêt aux droits des enfants. En témoignent les nombreux travaux que nous menons au sein de la commission des affaires sociales, de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et, dans une moindre mesure, de la commission des lois.
Permettez-moi de citer les travaux réalisés depuis 2019 par la commission des affaires sociales : audition de Charlotte Caubel à venir, le 14 décembre prochain, dans le cadre des travaux de suivi de la mission commune d'information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs ; rapport d'information sur la lutte contre l'obésité en juin 2022 ; audition de Jean-Marc Sauvé, président de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église en octobre 2021 ; examen de la proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d'un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu en octobre 2021 ; examen du projet de loi relatif à la protection des enfants en octobre 2021 et de la proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote en mai 2021. Elle a également procédé à l'audition d'Adrien Taquet le 5 février 2020, le 9 décembre 2020 et le 29 septembre 2021.
Pour ce qui concerne la commission de la culture, je citerai le rapport d'information établissant le bilan des mesures éducatives du quinquennat en février 2022 ; l'examen de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire en février 2022 et de la proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne en juin 2020.
La commission des lois a procédé, quant à elle, à l'audition de Claire Hédon, Défenseure des droits, en juillet 2022 et en mars 2021 ; à l'audition de Jacques Toubon, son prédécesseur, en avril et en juin 2020 ; et à l'examen de plusieurs textes : la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation en février 2022 ; la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire en janvier 2022 ; la proposition de loi visant à réformer l'adoption en octobre 2021 ; le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs en janvier 2021 ; la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels et de l'inceste en janvier 2021 ; la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales en juin 2020. Elle a également organisé quatre auditions sur le nouveau code de la justice pénale des mineurs en janvier et en février 2020.
La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à encourager l'usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d'accéder à internet en janvier 2022.
Sans oublier la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a adopté un rapport d'information sur l'industrie de la pornographie en septembre 2022 et un rapport d'information sur le bilan de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille en juillet 2020. Elle a organisé plusieurs tables rondes : une première sur la régulation de l'accès aux contenus pornographiques en ligne en juin 2022 ; une deuxième sur la protection des mineurs face aux contenus pornographiques en avril 2022 ; une troisième sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan en novembre 2021. Elle a auditionné Adrien Taquet en avril 2020, en novembre 2020 et en décembre 2021, ainsi que Catherine Champrenault et Gilles Charbonnier, magistrats du parquet, sur la prostitution des mineurs en novembre 2021.
Je pourrais encore mentionner la participation des sénateurs à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nos questions d'actualité au Gouvernement, nos questions écrites, ainsi que les travaux communs de nos commissions permanentes, avec le rapport d'information sur la délinquance des mineurs en septembre 2022, le rapport d'information sur les mineurs non accompagnés en septembre 2021 et enfin le rapport d'information sur l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs en février 2020.
Cette liste exhaustive prouve bien que le Sénat n'a jamais fléchi quant à son travail sur la protection des mineurs. D'ailleurs, la délégation aux droits des enfants qui vient d'être créée à l'Assemblée nationale ne fera rien d'autre que de procéder aux auditions que nous avons déjà réalisées.
Concernant l'organisation de notre travail au sein du Parlement, le rapport réalisé en 2015 par nos collègues Alain Richard et Roger Karoutchi avait préconisé d'éviter la « polysynodie », c'est-à-dire la multiplication des instances. D'une part, les sénateurs ne peuvent être présents lors de toutes les réunions de ces organes, et d'autre part nous devons veiller à la cohérence de nos travaux. N'émiettons pas notre travail.
Enfin, la voie à privilégier pour modifier l'organisation du travail parlementaire est de s'adresser au Bureau, même si une proposition de loi n'est pas forcément iconoclaste.
Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable sur cette proposition, comme je l'avais fait en 2019.
Mme Marie Mercier. - Je veux affirmer que personne ici, j'y insiste, ne pense que l'enfant ne mérite pas tout notre intérêt. En atteste la liste précise des travaux menés dans nos instances que notre rapporteur nous a communiquée.
J'ai été extrêmement marquée lors des auditions concernant les violences sexuelles sur mineurs par les propos d'un procureur : « Quand on parle de mineurs, dans notre esprit, le sujet devient mineur. » Le sujet est bien au contraire majeur ! Nous devons veiller à ces considérations qui peuvent habiter l'inconscient collectif. En effet, tous ces mineurs sont des adultes en construction qui constitueront la société de demain.
Si je comprends parfaitement l'avis défavorable du rapporteur d'un point de vue organisationnel et technique, ne pourrait-on pas réfléchir à une structure qui fédérerait les trois commissions autour des sujets liés à l'enfance, sans qu'il s'agisse d'une nouvelle délégation ?
Dans notre monde actuel, marqué par les réseaux sociaux et la souffrance des enfants, ne pourrions-nous pas réfléchir à une structure plus pérenne pour traiter ces questions et donner plus de force à la protection de l'enfance qu'elle n'en a aujourd'hui ?
M. François Bonhomme. - Pour m'inscrire dans la droite ligne des propos du rapporteur, je rappelle que la commission des lois a eu de multiples occasions de procéder à des améliorations concernant les droits de l'enfant : la longue liste égrenée en témoigne.
La question est donc de savoir si la création d'une délégation serait de nature à améliorer le travail parlementaire. Cette question doit être mise en regard des travaux réalisés et de l'éventuel alourdissement, voire de la possible opacification, du travail parlementaire par cette délégation. Une réponse administrative n'est pas de nature à améliorer la question des droits de l'enfant. Méfions-nous des postures immédiates et inscrivons nos travaux dans la durée.
Mme Nathalie Goulet. - J'avais fait la même démarche en demandant une délégation chargée de la lutte contre la fraude fiscale. Ce fut un véritable parcours d'obstacles pour finalement aboutir à la création d'un groupe de travail sur le sujet au sein de la commission des finances. Nous nous sommes également heurtés à des raisons financières liées aux coûts engendrés par la création d'une délégation supplémentaire.
Il faudra réexaminer la question des instances thématiques après le prochain renouvellement sénatorial en 2023. Les sujets évoluent, notre manière de les traiter doit évoluer, car l'accès de nos concitoyens aux informations évolue également.
M. Hussein Bourgi. - Je souhaite remercier le rapporteur pour son travail et son rappel exhaustif des différents travaux menés par les commissions. La question des droits des enfants constitue une préoccupation récurrente de nos travaux.
Ainsi, lorsque nous avons traité du harcèlement scolaire, les enfants étaient au coeur de nos préoccupations et de nos réflexions. Il en fut de même avec la pornographie, sujet au travers duquel les enfants sont apparus en filigrane, soit comme spectateurs, soit parfois, malheureusement, comme acteurs. Cela va sans dire lorsque nous traitons de la délinquance des mineurs, de la précarité, de l'échec scolaire, du suicide des jeunes, du mariage pour tous, de la procréation médicalement assistée (PMA), de la bioéthique, du changement de nom patronymique. On s'est toujours posé la question de l'intérêt supérieur de l'enfant.
C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) est favorable à cette proposition de loi.
Nous avons en réalité les mêmes débats depuis 2003, quand Jacques Barrot et Dominique Paillé avaient eu l'excellente idée de déposer une proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants, qui avait été adoptée par l'Assemblée nationale, mais n'avait pas été examinée par le Sénat.
Permettez-moi de relever un paradoxe : affirmer, d'un côté, qu'il n'y a pas lieu de créer une délégation aux droits de l'enfant, alors que, de l'autre, le Sénat a créé une délégation sénatoriale à la prospective en 2009 et une délégation sénatoriale aux entreprises en 2014. Cela revient à faire injure aux sénateurs qui siégeaient avant ces dates, comme s'ils ne s'étaient pas intéressés à ces sujets. Pourquoi la création d'une délégation serait-elle souhaitable et légitime pour certaines thématiques et pas pour les droits de l'enfant ? Cet argument me semble fragile.
Ne soyons pas dans une posture. Si les commissions permanentes travaillent de manière approfondie sur ces sujets, il est nécessaire que les différents travaux soient synthétisés dans une instance dédiée afin d'éclairer utilement le Parlement.
Mme Esther Benbassa. - Même si nous avons déjà eu ces débats, nous ne pouvons pas nier que l'actualité crée un focus sur le sujet de l'enfance. Or la délégation aux droits des femmes a fait avancer la question et a su se mettre au diapason du débat public. Dès lors, pourquoi retarder la création d'une délégation aux droits de l'enfant ? Nous enverrions un signal positif à la société, qui débat amplement de ce sujet, des conventions ayant gravé dans le marbre les droits des enfants.
L'ensemble des sénateurs ne serait évidemment pas obligé d'assister à toutes les réunions de cette nouvelle délégation. Celle-ci représenterait un apport pour le Sénat, qui pourrait alors suivre de plus en plus étroitement les débats sociétaux.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je veux remercier Xavier Iacovelli de nous avoir présenté sa proposition de loi et le rapporteur de son analyse.
Cette délégation permettrait de centraliser tous les travaux cités, de mieux les coordonner, de spécialiser la thématique de l'enfance qui tend à évoluer au fil des avancées des technologies numériques. Pour ma part, j'ai des craintes quant aux conséquences de l'utilisation d'internet sur les enfants.
À l'image de la délégation aux droits des femmes, de la délégation aux outre-mer, de la délégation aux entreprises, qui font un travail formidable, cette nouvelle délégation prendrait le relais du travail réalisé par les commissions.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Marie Mercier et Nathalie Goulet ont souligné que nous devrions peut-être travailler différemment sur certains sujets. J'entends leurs arguments. Néanmoins, il ne m'appartient pas de remettre en cause le consensus de 2015 ; il revient au Bureau du Sénat de modifier notre organisation, de la même manière que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale a créé la délégation aux droits des enfants. La commission des lois n'a pas cette compétence.
François Bonhomme a posé la vraie question : cette délégation permettra-t-elle d'améliorer notre travail ou, au contraire, ne risque-t-elle pas de l'opacifier ? Voire d'avoir des avis divergents sur une même question ? Je partage ses craintes sur ce point.
S'agissant du paradoxe soulevé par Hussein Bourgi, je rappelle que les délégations citées ont été créées en 2009 et 2014, soit avant la position du Bureau en 2015. Il n'y a donc pas de paradoxe, ma position s'inscrit dans la droite ligne de la décision d'arrêter de créer des instances supplémentaires et de travailler dans les commissions législatives.
Esther Benbassa, vous soulignez que nous enverrions un signal à la société si nous créions cette délégation. Pour ma part, je me méfie des signaux, de l'affichage, des symboles. Toutefois, le signal positif, nous l'envoyons d'ores et déjà : notre travail sur la protection des droits de l'enfant n'est pas neutre.
Enfin, Thani Mohamed Soilihi, je ne crois pas que l'énumération plaide en faveur d'une centralisation. N'oublions pas la différence fondamentale qui existe entre les délégations et nos commissions. La délégation n'a aucun pouvoir législatif, contrairement à une commission. Nous n'allons donc pas centraliser les travaux législatifs dans une délégation qui n'a pas de pouvoir législatif.
M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à la création d'organes parlementaires spécialisés en matière de droits de l'enfant.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Etant défavorable à la création d'une nouvelle délégation, je ne peux qu'être défavorable aux amendements COM-3, COM-1 et COM-2 .
Les amendements COM-3, COM-1 et COM-2 ne sont pas adoptés.
Intitulé de la proposition de loi
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Par cohérence, je suis également défavorable à l'amendement COM-4.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément, au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposé sur le Bureau du Sénat.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-président -
Proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Di Folco, président. - Nous examinons à présent, selon la procédure de législation en commission définie aux articles 47 ter à 47 quinquies de notre Règlement, le rapport de Stéphane Le Rudulier sur la proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales, présentée par François-Noël Buffet. Nous avons le plaisir d'accueillir la ministre Dominique Faure.
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi. - La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui est modeste dans son ambition : très loin de viser la refonte du régime électoral applicable aux élections sénatoriales, elle a pour objectif précis de remédier aux difficultés constatées à l'occasion du scrutin du 27 septembre 2020.
Comme vous le savez, la loi du 2 décembre 2019, issue de la proposition de loi de notre collègue Alain Richard, a étendu aux élections sénatoriales l'ensemble des règles applicables en matière de propagande électorale aux autres scrutins. Cette loi est entrée en vigueur en juin 2020, si bien que les élections du 27 septembre 2020, qui ont vu le renouvellement de la série 2 des sénateurs, ont été le premier scrutin concerné par son application.
Ce scrutin a toutefois révélé deux types de difficultés liées à la mise en oeuvre de la loi du 2 décembre 2019 précitée, et plus précisément à l'application aux élections sénatoriales des interdictions posées aux articles L. 49 et L. 52-2 du code électoral.
Ces deux articles interdisent, d'une part, de mener toute action de propagande la veille ainsi que le jour du scrutin ; et, d'autre part, de communiquer les résultats de l'élection en métropole avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain.
Or, l'application de ces dispositions s'est révélée problématique dans le cas des élections sénatoriales, qui sont les seules élections où peuvent avoir lieu deux tours de scrutin dans la même journée. Dans les circonscriptions où l'élection se déroule au scrutin majoritaire, le premier tour de scrutin est ainsi ouvert de 8 heures 30 à 11 heures, tandis que le second tour est ouvert, le cas échéant, de 15 heures 30 à 17 heures 30. En conséquence de l'application de la première disposition mentionnée, les candidats qualifiés pour le second tour se sont trouvés dans l'impossibilité de faire campagne entre les deux tours du scrutin.
Par ailleurs, l'embargo sur les résultats qui a été imposé jusqu'à la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain, soit 17 heures 30, est apparu en totale contradiction avec la nécessité de communiquer les résultats du premier tour de scrutin dès la fin de la matinée, et en tout état de cause avant l'ouverture du second tour de scrutin.
C'est pourquoi la proposition de loi que je porte prévoit que les deux dispositions de droit commun évoquées, relatives à la propagande et à la communication des résultats, ne s'appliquent pas aux élections sénatoriales. Plus précisément, l'interdiction de mener des actions de propagande pour les candidats aux élections sénatoriales serait levée uniquement pour la période de l'entre-deux-tours dans les départements concernés par le scrutin majoritaire. L'embargo sur les résultats, tel qu'il est prévu par le droit commun, serait, quant à lui, supprimé pour l'ensemble des départements, afin que les résultats des premiers tours de scrutin puissent être de nouveau communiqués dès la fin de la matinée. De plus, les résultats du second tour de scrutin et ceux des scrutins à la représentation proportionnelle pourraient de nouveau être diffusés sur l'ensemble du territoire métropolitain de façon progressive, au fur et à mesure de leur communication par les départements.
Par ces deux aménagements, cette proposition vise ainsi à garantir le bon déroulement des élections sénatoriales à venir. Naturellement, l'objectif est qu'elle puisse s'appliquer dès le prochain scrutin, en septembre 2023. Pour ce faire, nous comptons sur une inscription de ce texte à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale dès le mois de janvier prochain.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Comme l'a expliqué le président François-Noël Buffet, la proposition de loi dont il est l'auteur vise un objectif clair et circonscrit : remédier aux difficultés constatées lors du scrutin sénatorial de septembre 2020 s'agissant des modalités de publication des résultats, d'une part, et de propagande électorale, d'autre part.
Je ne m'attarderai pas sur les problèmes soulevés par l'application aux élections sénatoriales des deux dispositions de droit commun mentionnées par le président Buffet.
Dans les départements concernés par le scrutin majoritaire - au nombre de 34 lors du renouvellement de septembre 2020 -, l'embargo sur les résultats imposé jusqu'à 17 heures 30 est en effet apparu peu compatible avec la nécessité de communiquer les résultats du premier tour dès la fin de la matinée. Cet embargo s'est également révélé difficile à respecter dans les départements concernés par le scrutin proportionnel : en dépit des actions d'information menées spécialement à cette fin par le ministère de l'intérieur et par le Sénat lui-même, des fuites ont été constatées avant 17 heures 30 de la part de sites internet ainsi que d'organes de la presse locale. Ces derniers étaient en effet habitués à diffuser progressivement les résultats, ce qui était la norme durant les scrutins antérieurs à 2020.
C'est pourquoi il apparaît pertinent de rétablir la possibilité de communiquer les résultats en métropole dès la proclamation des résultats, et indépendamment du fait que des bureaux de vote soient encore ouverts dans d'autres départements métropolitains.
Le retour au principe d'une diffusion des résultats au fil de l'eau est à la fois indispensable dans les départements concernés par le scrutin majoritaire et bienvenu dans les départements visés par le scrutin proportionnel.
En outre, il est pour le moins incongru d'interdire aux candidats qualifiés pour le second tour de faire campagne durant les quelques heures qui séparent la clôture du premier tour de l'ouverture du second.
En permettant de déroger, pour la seule période de l'entre-deux-tours, à l'interdiction posée par l'article L. 49 du code électoral, l'article 1er de la proposition de loi apparaît comme une mesure de bon sens. Les candidats qualifiés au second tour seraient donc de nouveau autorisés à distribuer des tracts, envoyer des messages ou encore tenir des réunions électorales à ce moment-là.
Je souhaite souligner que cette mesure ne remettrait aucunement en cause l'interdiction de mener des actions de propagande durant la journée du samedi ainsi que le matin du dimanche de l'élection. Elle ne remettrait pas davantage en question l'interdiction d'introduire tardivement éléments nouveaux de polémique électorale, qui est posée par l'article L. 48-2 du code électoral.
Par ailleurs, le rétablissement de la possibilité pour les candidats de faire campagne entre les deux tours de scrutin pose également la question du financement des dépenses à visée électorale qui seraient engagées durant cette période.
Comme vous le savez, les règles relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales prévues pour les élections législatives, départementales et municipales s'appliquent également aux élections sénatoriales.
Les candidats aux élections sénatoriales ayant réalisé au moins 1 % des suffrages exprimés doivent déposer auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) leur compte de campagne retraçant l'ensemble des recettes perçues et l'ensemble des dépenses engagées en vue de l'élection. Les candidats ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés peuvent ensuite prétendre, sous certaines conditions, au remboursement forfaitaire de la part de l'État.
Conformément à l'article L. 52-4 du code électoral, seules les dépenses « engagées en vue de l'élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise » et inscrites au compte de campagne peuvent être considérées par la CNCCFP comme des dépenses électorales, et donc être éligibles au remboursement forfaitaire de l'État. En toute rigueur, ne sont donc pas concernées les dépenses intervenant le jour même de l'élection.
Avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 décembre 2019, la CNCCFP admettait, à titre exceptionnel, que les dépenses liées à l'organisation de réceptions avec les grands électeurs dans l'entre-deux-tours ou encore à l'envoi de messages durant cette même période pouvaient être qualifiées d'électorales. Cette position procédait d'un ajustement de la doctrine classique de la CNCCFP, et d'un écart par rapport à la lettre de l'article L. 52-4 du code électoral.
Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, les dépenses liées aux actions de propagande entreprises entre les deux tours du scrutin et qui sont inscrites au compte de campagne du candidat présentent un caractère irrégulier. Elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'un remboursement de la part de l'État.
En toute logique, l'adoption de la présente proposition de loi lèverait, pour la période de l'entre-deux-tours de l'élection sénatoriale, l'interdiction posée par l'article L. 49 du code électoral, si bien que la position de la CNCCFP admettant le remboursement des dépenses de propagande intervenues entre les deux tours du scrutin serait de nouveau susceptible de s'appliquer. Pour autant, il n'apparaît pas satisfaisant, notamment au regard de l'objectif de sécurité juridique, de faire dépendre l'éligibilité des dépenses engagées par les candidats aux élections sénatoriales durant la période de l'entre-deux tours de la seule prise de position de la CNCCFP.
C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à adapter la rédaction de l'article L. 52-4 du code électoral à la spécificité du scrutin sénatorial. L'objectif est de garantir, sans ambiguïté, l'éligibilité au remboursement des dépenses engagées entre les deux tours de scrutin lorsque ceux-ci ont lieu le même jour.
Enfin, comme l'a rappelé le président Buffet, cette proposition de loi a vocation à entrer en vigueur avant la prochaine échéance électorale de septembre 2023. Les délais impartis sont donc relativement serrés, et en tout état de cause, inférieurs au délai d'un an que la loi précitée avait posé comme durée minimale à respecter entre la modification des règles électorales et les élections concernées. Le législateur est toutefois libre de déroger au cas par cas à cette règle ; en l'espèce, une telle dérogation semble justifiée.
Par conséquent, je vous propose d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. - Je tiens tout d'abord à saluer la mission essentielle que remplit votre commission pour la bonne administration de notre pays. Je tiens à dire, à l'aune des nouvelles fonctions qui m'ont été confiées, l'importance que j'attache à la qualité de nos relations au service des collectivités, des territoires et des citoyens. Je crois profondément au dialogue, à la nécessité de dégager des consensus. Cette proposition de loi nous en offre une très bonne occasion.
Le texte qui nous est présenté porte sur un sujet sensible en ce qu'il touche à la mécanique même de notre démocratie. Il se fonde sur un constat que nous partageons tous, celui du caractère inadéquat de certaines modifications opérées en 2019 au regard des particularités du scrutin sénatorial dans notre pays, notamment dans les départements concernés par le scrutin majoritaire à deux tours. C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à l'ensemble des dispositions proposées, car celles-ci permettront de lever l'interdiction de la communication de résultats avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain ainsi que de faire campagne entre les deux tours des élections sénatoriales.
Ces mesures de bon sens permettront de corriger les difficultés et les ambiguïtés constatées en 2020. La communication des résultats dans les départements à scrutin majoritaire dont le premier tour avait été conclusif avait été longuement repoussée jusqu'à la fin de la journée, alors même que les résultats fuitaient déjà dans les médias. Par ailleurs, l'impossibilité de faire campagne entre les deux tours avait présenté le risque de remettre en cause la sécurité juridique des élections sénatoriales, comme a pu le montrer la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel. Aussi, il convient d'adapter ces dispositions aux spécificités des élections sénatoriales et donc aux réalités de nos territoires.
Concernant la levée de l'interdiction de la communication des résultats avant 17 heures 30, nous n'avons aucune réserve, dans la mesure où cette disposition ne risque pas de créer un précédent pour d'autres scrutins. S'agissant de la levée de l'interdiction de faire campagne entre les deux tours, il convient de prendre en compte une difficulté : rendre inapplicable l'article L. 49 du code électoral ne doit pas conduire à une politisation excessive de l'entre-deux-tours, et ce afin de préserver la neutralité du vote. C'est pourquoi nous proposons de reconduire les recommandations antérieures de mesure et de retenue pour les candidats au niveau infraréglementaire, comme c'était le cas auparavant.
Ces ajustements techniques sont les bienvenus en vue du prochain scrutin sénatorial. Cette proposition de loi va dans le sens de l'intérêt général de notre démocratie et de la juste prise en compte des caractéristiques des élections des membres du Sénat, chambre des territoires.
Mme Cécile Cukierman. - Comme l'a rappelé son auteur, cette proposition de loi ne vise pas à remettre en question l'organisation des élections sénatoriales dans leur ensemble. La proposition de loi de 2019 de notre collègue Alain Richard avait pour objet d'harmoniser les règles s'appliquant en matière de propagande la veille du scrutin. Or les élections sénatoriales sont soumises aux mêmes règles en dépit de leurs particularités, et les élections de 2020 ont mis en lumière des difficultés.
Madame la ministre, j'entends vos recommandations, mais c'est bien dans l'entre-deux-tours que le temps est politique. Ce serait un voeu pieux que d'envisager un deuxième tour qui ne soit pas politique. C'est d'ailleurs ce qui fait vivre la démocratie.
Si nous voulons sécuriser le temps de campagne de l'entre-deux-tours, il faudrait le formaliser davantage encore, et non pas le faire par simple parallélisme des formes. Dans ce cas, quid de l'intégration des dépenses liées au deuxième tour dans les comptes de campagne ? Le plafond du candidat est-il augmenté dès lors qu'il est qualifié au deuxième tour ? Ou remettons-nous les compteurs à zéro ? Ne risque-t-on pas de créer une inégalité entre les candidats qui ont un compte de campagne pour un seul tour et ceux qui disposeraient d'un compte pour les deux tours ?
Quoi qu'il en soit, au-delà de cette proposition de loi, il conviendra sans doute de procéder ultérieurement à d'autres ajustements.
Concernant l'heure de publicité des résultats, veillons à ne pas remettre en cause le code électoral, car il garantit, aux yeux de nos concitoyens, la sincérité du scrutin. La règle veut que l'on attende la fermeture du dernier bureau de vote pour communiquer les résultats. Même si les élections sénatoriales sont singulières, prenons garde aux dérogations.
Mme Nathalie Goulet. - Les départements ruraux ont certaines traditions - par exemple, les conseillers départementaux invitent les maires à déjeuner -, si bien que la question de la communication ne se pose pas exactement de la même façon que dans d'autres départements. Les difficultés d'organisation que nous rencontrons sur le terrain n'ont rien à voir avec la vision théorique que vous exposez.
Concernant les comptes de campagne, veillons à ce que ce texte de clarification ne se retourne pas contre les candidats. Je comprends que l'on adapte les règles, mais les candidats ne maîtrisent pas forcément la chaîne des opérations des comptes de campagne. Les dispositions doivent être extrêmement synthétiques, claires et rigoureuses dans leur énoncé.
M. Alain Marc. - Je suis favorable à cette proposition de loi, mais je rejoins les propos de Nathalie Goulet. Dans les faits, l'organisation des élections sénatoriales dans les départements ruraux ne se passe pas du tout comme vous le pensez :pendant l'entre-deux-tours, les grands électeurs déjeunent dans les restaurants de la ville et échangent des SMS. Quelle forme va prendre la propagande autorisée dans l'entre-deux-tours ? Il faut être prudent et précis en la matière.
M. Éric Kerrouche. - La proposition de loi émane du fait que les sénateurs sont élus selon deux modes de scrutin différents.
L'article 49 du code électoral tel qu'il a été modifié par la loi de 2019 semblait de bon sens, mais son application a été dysfonctionnelle en 2020. Un candidat à l'élection sénatoriale dans le département de la Haute-Saône a déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel, au motif qu'une propagande électorale avait eu lieu entre les deux tours, contrairement aux règles énoncées dans la loi de 2019. Il nous appartient en effet de corriger les difficultés identifiées et de codifier les règles s'attachant au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
Le groupe socialiste, écologiste et républicain votera la proposition de loi modifiée par l'amendement du rapporteur.
Concernant la publicité des élections, la différence de communication est là encore liée à la différence de scrutin. On imagine mal que les résultats communiqués localement ne le soient pas au niveau national. Régularisons les choses.
Enfin, l'amendement du rapporteur apporte une précision nécessaire pour ce qui concerne les comptes de campagne.
M. Dany Wattebled. - Je suis favorable à cette proposition de loi, qui me semble logique : tout scrutin à deux tours implique une campagne entre les deux tours. Toutefois, pour les élections sénatoriales, l'entre-deux-tours s'organise dans un temps très contraint.
S'agissant des dépenses, il faudrait les encadrer par rapport à l'enveloppe totale. Il en est de même pour la publicité. Évitons les éventuels excès de certains candidats lors du deuxième tour.
Mme Agnès Canayer. - Toutes les dispositions tendant à mieux encadrer les élections sénatoriales vont dans le bon sens. Même avec leurs particularités, ces élections doivent être considérées comme de véritables élections, à l'instar de toutes les autres élections démocratiques.
Aussi, Madame la ministre, je veux attirer votre attention sur la nécessité d'accompagner les préfectures et de leur donner les moyens nécessaires d'organiser ces élections dans de bonnes conditions. En 2020, dans le département de la Seine-Maritime, les maires avaient fait la queue pendant deux heures et demie sous la pluie, et le dépouillement s'était terminé à vingt et une heures. Cette mauvaise organisation avait déjà été constatée en 2014. Je vous demande donc de transmettre le message qu'il s'agit de véritables élections qui nécessitent des moyens adéquats.
M. François Bonhomme. - Je souscris à la proposition de loi de François-Noël Buffet. Les élections sénatoriales sont singulières en raison de la faible amplitude horaire entre le premier tour et le second dans la même journée. Il faut prendre en compte cette particularité pour ce qui concerne la diffusion des tracts, la tenue de réunions, voire la réponse à apporter lors de l'introduction d'éléments nouveaux de propagande entre les deux tours. Face au flou qui existe, les candidats sont souvent pris au dépourvu. La clarification et la sécurisation juridique sont donc bienvenues.
Toutefois, des recours seront toujours possibles, que seule la CNCCFP sera à même de clarifier. En effet, nous n'avons pas aujourd'hui toutes les réponses aux questions qui peuvent se poser.
M. Alain Richard. - Mon intervention sera d'autant plus modeste que cette proposition de loi vise à corriger des imperfections de la proposition de loi que j'ai présentée en 2019.
Il convient en effet de fixer le cadre légal de ce que peut être une campagne entre les deux tours. Permettez-moi de rappeler le principe de toute campagne électorale : la liberté d'expression des candidats avec, comme contrepartie, le contrôle du juge quant à la loyauté de l'expression des uns et des autres. Ce principe qui prévaut déjà appelle les candidats à la prudence. Aussi, j'approuve le fait que le Gouvernement rappelle ces principes de base aux candidats avant l'élection.
Je veux souligner une règle qui sera encore plus prégnante dans la campagne de l'entre-deux-tours : toutes les dépenses engagées au profit d'un candidat et non pas forcément par lui-même sont considérées comme des dépenses de campagne.
Enfin, je veux redire au Gouvernement qu'il faut refondre le code électoral, qui est un document juridique périmé. Il faut faire appel à la Commission supérieure de codification.
Mme Nadine Bellurot. - Si cette proposition de loi est adoptée, ce que je souhaite, il serait bon que les sénateurs soient consultés sur les décrets d'application. En effet, il ne faudrait pas que ces décrets mettent à mal les dispositions votées pour remédier aux difficultés constatées sur le terrain.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Madame Cukierman, la logique des élections municipales, dans laquelle le plafond des dépenses est fonction du nombre d'habitants, ne s'applique pas ici. Pour les élections sénatoriales, le plafond des dépenses s'élève à 10 000 euros par candidat ou par liste, avec une majoration de 5 centimes d'euros par habitant du département en cas de scrutin majoritaire, et de 2 centimes en cas de scrutin proportionnel.
Vous l'avez noté, le temps de la campagne entre le premier tour et le second est très restreint.
Monsieur Marc, les interdictions prévues à l'article L. 49 du code électoral sont très précises. Il est interdit de diffuser ou de faire diffuser des messages électroniques ; de tenir une réunion électorale ;de distribuer ou de faire distribuer des bulletins et de procéder à l'appel téléphonique en série des électeurs. Les modalités de campagne sont déjà clairement définies dans la loi.
Monsieur Kerrouche, à la suite des élections de 2020, le Conseil constitutionnel a considéré qu'un déjeuner avec des grands électeurs peut être assimilé à une réunion électorale, ce qui constitue une irrégularité en vertu de l'article L. 49. Néanmoins, l'écart de voix entre les deux candidats était tel que le Conseil constitutionnel a estimé que la sincérité du scrutin n'avait pas été altérée. Pour autant, le risque juridique de voir l'élection annulée existait bel et bien, et la décision aurait été tout autre si l'écart des voix avait été minime.
Monsieur Wattebled, l'article L. 308-1 du code électoral encadre les montants de dépenses engagées par les candidats aux élections sénatoriales. Il appartient au candidat de gérer sa campagne en fonction du premier et du second tour. Cette proposition de loi n'a pas pour conséquence d'augmenter le plafond des dépenses actuel.
Il faut faire oeuvre de pédagogie auprès des candidats, notamment au travers du guide que le ministère de l'intérieur rédige en vue de ces élections. Il conviendra notamment de préciser que la période de la propagande électorale est rouverte uniquement entre le premier et le second tour, pour éviter toute ambiguïté.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - J'ai pris bonne note de vos remarques concrètes et pragmatiques à court terme : la rédaction du guide, une organisation sans faille dans les préfectures, une concertation avec les sénateurs pour l'élaboration des décrets d'application.
Mme Catherine Di Folco, président. - Nous comptons sur vous pour que cette proposition de loi soit définitivement adoptée dans les meilleurs délais.
EXAMEN DES ARTICLES
SELON LA PROCÉDURE
DE LÉGISLATION EN COMMISSION
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à adapter la rédaction de l'article L. 52-4 du code électoral afin d'assurer l'éligibilité au remboursement des dépenses de campagne engagées par les candidats aux élections sénatoriales entre les deux tours d'un scrutin.
Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 52-4 du code électoral exclut des dépenses éligibles au remboursement les dépenses intervenant le jour même du scrutin. Or les candidats aux élections sénatoriales qualifiés au second tour sont susceptibles d'engager des dépenses le jour même du scrutin. Même si cet article s'applique à l'ensemble des élections, la modification proposée n'aurait aucune incidence, dans les faits, sur le financement des dépenses électorales des candidats aux élections autres que sénatoriales. Pour toutes les élections autres que sénatoriales, les articles L. 47-A et L. 49 du code électoral s'appliquent : par conséquent, toute action de propagande menée dans le cadre des autres élections qui interviendrait le jour même de l'élection serait considérée comme illégale au regard de ces dispositions.
Mme Catherine Di Folco, président. - Pour faire suite aux remarques de M. Richard, il conviendrait de préciser dans le guide que sont aussi concernées les dépenses engagées pour le compte du candidat.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Tout à fait. Seule la CNCCFP apprécie le caractère des dépenses engagées.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Cet amendement COM-1 apporte une souplesse dans la définition de la période prise en compte pour le recueil des dépenses engagées en vue d'une élection. Il permet, uniquement pour les élections sénatoriales, de prendre en compte d'éventuelles dépenses électorales engagées entre les deux tours - c'est le cas, par exemple, des déjeuners électoraux entre les deux tours de scrutin -, période qui est nécessairement le même jour que le scrutin, sans porter atteinte à l'équilibre général ni à l'esprit de la disposition garantissant la sincérité des opérations électorales.
L'adoption de cet amendement n'entraînerait pas de conséquences sur les autres scrutins, car l'article L. 49 du code électoral interdit effectivement toute campagne électorale le jour du scrutin.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis favorable à cet amendement.
L'amendement COM-1 est adopté et devient article additionnel.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 25.