- Mardi 8 novembre 2022
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » et compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » (et article 42) - Examen du rapport spécial
- Mercredi 9 novembre 2022
- Projet de loi de finances pour 2023 - Tome II du rapport général - Examen des articles de la première partie
- Projet de loi de finances pour 2023 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques », « Crédits non répartis » - Compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Action extérieure de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Aide publique au développement » et compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Économie » (et article 43) et compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Examen du rapport spécial
- Jeudi 10 novembre 2022
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Engagements financiers de l'État », et comptes de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Travail et emploi » (et article 47) - Examen du rapport spécial
Mardi 8 novembre 2022
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons aujourd'hui le rapport de M. Patrice Joly et M. Vincent Segouin sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar).
Nous accueillons Mme Françoise Férat, M. Jean-Claude Tissot et M. Laurent Duplomb, rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques.
M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s'élèvent à un peu plus de 3,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP). Ces crédits progressent de 29,6 % par rapport à loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Toutefois, si l'on raisonne à périmètre constant, cette augmentation ne s'élève plus qu'à 15,5 % ; et au regard de l'inflation prévisionnelle pour l'année prochaine, elle se situe plutôt autour de 8 ou 9 %.
Depuis l'année dernière, les crédits de la pêche ont été transférés au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, tandis qu'un nouveau programme vient compléter la mission ; il s'agit du programme 381 « Allègements du coût du travail en agriculture », avec le fameux dispositif concernant les travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE), qui vise à soutenir les employeurs de saisonniers agricoles.
La mission s'inscrit dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC), couvre la période de 2023 à 2027. Le plan stratégique national (PSN) a été validé par la Commission européenne (CE) le 31 août dernier. Celui-ci porte sur une enveloppe de 45,2 milliards d'euros pour la période. Il précise notamment les dotations minimales attribuées aux écorégimes, aux mesures agroenvironnementales du second pilier, à l'aide aux jeunes agriculteurs et à l'aide redistributive au revenu qui permet de soutenir les plus petites exploitations.
Le fait marquant de notre budget est la nouvelle répartition des aides non surfaciques entre l'État et les régions. Les dispositifs surfaciques relèvent de la compétence de l'État ; il s'agit notamment de l'indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN) et du soutien à l'agriculture biologique. Les aides non surfaciques sont, quant à elles, transférées aux régions ; cela concerne le soutien aux investissements, les aides à l'installation des jeunes agriculteurs et les aides au développement local, à l'exception de Mayotte où les aides non surfaciques demeurent sous l'autorité de l'État.
Cette nouvelle répartition se traduit par une budgétisation au bénéfice des régions de 100 millions d'euros en AE et CP dans le programme 149. Ces crédits viennent soutenir la compétitivité et la durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, dont la dotation globale s'élève à 2,08 milliards d'euros en CP.
Une autre caractéristique de cette mission concerne la traduction budgétaire de certaines réformes ; je mentionnerai la création de la police unique de la sécurité sanitaire, tandis que mon collègue Vincent Segouin évoquera « l'assurance récolte », qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2023.
La nouvelle police unique de sécurité sanitaire relève du programme 206 recouvrant la sécurité et la qualité sanitaires de l'alimentation, dont la dotation s'élève à 654 millions d'euros en AE et CP, soit une augmentation d'un peu plus de 7 % par rapport à la LFI pour 2022. Cette police unique répond à un besoin de lisibilité, de réactivité et d'efficience en termes de contrôle. Elle était très attendue, à la fois par les agriculteurs et par tous ceux qui portent une attention particulière à la compétitivité de notre agriculture.
La sécurité alimentaire fait intervenir de nombreux acteurs. Dans la nouvelle organisation, la direction générale de l'alimentation (DGAL) deviendra l'organisme de contrôle officiel. La portée de ses contrôles concernera toute nourriture à destination des personnes comme des animaux, les denrées animales ou d'origine animale comme les denrées végétales ou d'origine végétale.
Un certain nombre de compétences de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère en charge de l'économie seront transférées vers la DGAL.
Un total de 150 équivalents temps plein (ETP) sera affecté au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, provenant, d'une part, d'un transfert de 60 ETP de la DGCCRF et, d'autre part, d'une création de 90 ETP supplémentaires.
Au-delà des réformes et de l'augmentation des dotations, plusieurs constats demeurent alarmants au regard des enjeux auxquels sont confrontées à la fois l'agriculture et la forêt. Le premier constat concerne l'état de nos forêts. Les crédits du programme 149 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois » s'élèvent à 286 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 3,7 % par rapport à 2022. L'an dernier, nous observions déjà que la filière était confrontée à des difficultés économiques majeures, tandis que l'opérateur principal de la gestion forestière traversait de grandes difficultés auxquelles le nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) devait répondre.
Nous constatons aujourd'hui une amélioration de la situation financière de l'Office national des forêts (ONF), en raison notamment de la conjoncture économique favorable du marché du bois ainsi que des effets du contrat État-ONF prévu sur la période 2021-2025.
Toutefois, selon l'ONF, « la situation de l'établissement reste fragile et fortement exposée aux aléas de la conjoncture économique du marché du bois ». Or, l'Office représente un acteur essentiel de la préservation de nos forêts aujourd'hui atteintes par la sécheresse et les incendies. Le bilan de l'année 2022, avec son cumul exceptionnel de canicule et de sécheresse, s'élève à plus de 70 000 hectares de surface brulée.
Les forêts sont également menacées de dépérissement. D'ici à 2050, selon les experts de l'ONF, 30 % d'entre elles risquent de basculer en situation « d'inconfort climatique marqué ». L'ONF devra procéder au renouvellement des espèces à un rythme annuel de l'ordre de 70 000 hectares par an. Le défi est de taille, et il ne peut être relevé avec la réduction constante du schéma d'emplois observée ces dernières années.
Aussi, je me réjouis de l'amendement du Gouvernement dotant le programme 149 de 10 millions d'euros supplémentaires, afin de ralentir la réduction d'emplois à l'ONF. Cet amendement permettra de financer 60 emplois - les 20 emplois supplémentaires prévus devant être financés par l'ONF -, ainsi que les outils destinés à répondre aux nouveaux enjeux. Nous sommes encore très loin des moyens nécessaires pour affronter les incendies ou pour travailler aux perspectives d'avenir.
Autre constat : le danger qui pèse sur le renouvellement des générations agricoles. Cela renvoie à la question du revenu des agriculteurs et à celle de la transmission des exploitations et de l'installation des jeunes agriculteurs.
Concernant les revenus, les chiffres sont évocateurs. Selon l'Insee, la population agricole est plus exposée à la pauvreté monétaire que les autres : 18 % des agriculteurs vivent ainsi sous le seuil de pauvreté, soit 3 % de plus que la moyenne nationale ; en 2018, le niveau de vie des 10 % des personnes les plus modestes ne dépassait pas 9 800 euros par an ; enfin, le revenu annuel d'une entreprise agricole s'élevait à seulement 27 000 euros en moyenne sur la période 2009-2019.
L'activité agricole est le plus souvent insuffisante pour assurer un niveau de vie minimum. Seul un tiers des ressources des ménages agricoles provient, en moyenne, de l'activité agricole.
Quant à la transmission des exploitations, elle constitue un « angle mort » des politiques publiques. Certes, le territoire ne perd plus de terres agricoles depuis l'an 2000, avec une stabilisation de la surface agricole utile (SAU) à 48 % du territoire national. Toutefois, on observe une forte diminution du nombre des exploitations, avec 390 000 exploitations recensées en 2020, soit 260 000 de moins qu'en 2000.
Par ailleurs, la population des exploitants vieillit : 43 % des exploitants agricoles sont âgés de 55 ans ou plus. Vincent Segouin et moi-même plaidons pour un soutien plus actif aux entrants comme aux sortants. Une politique de l'installation est préférable à une politique de l'installé ; il s'agit de sortir de la seule logique de la dotation jeune agriculteur (DJA) et de privilégier un accompagnement qui relève de l'ingénierie, avec des moyens humains mis à disposition.
La politique actuelle est ambitieuse, elle vise à favoriser l'installation, préserver le modèle familial français et protéger les modes de production. Cependant, la traduction de ces objectifs n'est pas à la hauteur des enjeux et ne peut se réduire au nombre de DJA. Au regard de cette augmentation en trompe-l'oeil des crédits, et sachant les besoins de l'agriculture et de la forêt pour répondre aux enjeux vitaux précédemment évoqués, les moyens dédiés à la mission sont très loin d'être suffisants. Je propose d'émettre un avis défavorable à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Je souhaite ajouter quelques observations. Il me semble indispensable de renforcer les moyens en ETP pour assurer les contrôles sanitaires aux frontières et garantir une concurrence loyale. Par ailleurs, le secteur de l'agriculture biologique, qui a connu un développement soutenu durant la période 2015-2020, a vu la croissance de son marché s'interrompre en 2021, avec une baisse de 3,1 % des ventes en valeur par rapport à 2020, sans que l'on sache encore si les raisons de cette baisse sont conjoncturelles ou structurelles. Aussi, j'approuve l'amendement de crédits de 5 millions d'euros de nos collègues députés, repris par le Gouvernement, en faveur du fonds Avenir Bio. On ne peut par ailleurs que regretter l'absence du chèque alimentaire annoncé par le Président de la République lors de sa campagne électorale, qui aurait pu favoriser une alimentation de meilleure qualité pour l'ensemble de nos concitoyens.
Malgré sa perfectibilité, je recommande l'adoption des crédits du CAS-DAR, avec la réserve suivante : celle de consommer l'ensemble des crédits qui y sont affectés. Ceux-ci proviennent d'une taxe sur le chiffre d'affaires des agriculteurs, ils doivent donc être totalement utilisés pour la recherche appliquée dans le monde agricole.
Je vous présente enfin deux articles rattachés à la mission, issus des amendements du Gouvernement, mais qui relèvent plutôt de la mise en oeuvre de dispositifs déjà adoptés ou de clarification de problématiques techniques. Il s'agit de l'article 41 D, qui prévoit la répartition entre les régions des dotations destinées à leurs nouvelles compétences dans le cadre du transfert de la gestion, d'une part, des aides non surfaciques de la nouvelle PAC et d'autre part, de celle des sites terrestres Natura 2000, conformément au dispositif de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS).
L'article 41 C, quant à lui, s'inscrit dans le cadre du contrôle des conditions de transports frigorifiques des denrées périssables. Ce contrôle peut être délégué à des tiers. Qu'en est-il des biens qui servent à ce contrôle ? Il existe actuellement un vide juridique sur la nature de ces biens, qu'ils soient de retour ou pas. L'article tranche, ces biens demeurent la propriété du délégataire. De mon point de vue, il ne pose pas de problème.
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Le 28 septembre dernier, la commission des affaires économiques rendait son rapport sur la ferme France, un rapport alarmant qui mesurait la perte de compétitivité de notre pays sur les vingt dernières années : « Alors que le commerce international de produits agroalimentaires n'a jamais été aussi dynamique, la France est l'un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. » Les exportations, portées par les vins et les spiritueux, augmentent, et les importations, qui représentent plus de la moitié des denrées consommées, explosent.
Ces pertes de marché sont dues à la perte de compétitivité de la « Ferme France" qui, comme je le rappelle chaque année, est due à un coût du travail élevé ; à la surtransposition de règles environnementales ; à l'interdiction de construction de retenues d'eau et de moyens de prévention contre les aléas entraînant des pertes de volume ; et, surtout, à la stratégie de montée en gamme des produits agricoles et agroalimentaires menée depuis 2017, sans un raisonnement adapté par filière.
On aurait pu croire que, dans le pays où l'industrie du luxe est bénéficiaire, la stratégie de la montée en gamme soit opportune, mais c'est ignorer le besoin de consommation et le pouvoir d'achat des Français - à mon sens, nous faisons fausse route.
À titre d'exemples, on interdit la production de volailles en batterie par souci du bien-être animal et, en même temps, on importe des poulets issus de ces élevages pour la consommation quotidienne des Français ; on interdit le diméthoate pour la culture de la cerise au risque de perdre les producteurs français et, en même temps, on importe de la cerise de Turquie sans vérifier s'il reste des résidus de diméthoate dans les fruits ; on laisse détruire des réserves d'eau autorisées administrativement alors qu'en France nous ne retenons que 4 % des eaux de pluie, sachant que l'Espagne en retient 40 %. Nous pourrions encore citer beaucoup d'autres exemples. La balance commerciale est de moins en moins excédentaire et les alertes que nous lançons pour l'agriculture rappellent celles qui ont été lancées au moment des choix de désindustrialisation de la France. Nous en connaissons les conséquences et faisons machine arrière.
À la lecture du budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », nous observons une augmentation de budget de 29,88 %. Comme vient de l'expliquer Patrice Joly, il s'agit d'un budget en trompe-l'oeil. Si tout se résumait au budget, nous pourrions penser que tout va bien ; mais tous les problèmes ne se règlent pas avec de l'argent public. De plus en plus, les ministères font la course aux dotations supplémentaires, plutôt que d'essayer de maîtriser ces dotations.
L'augmentation du budget est due, en partie, à la mise en place de l'assurance récolte, qui a le mérite de définir le rôle de chacun entre l'agriculteur, l'assureur et l'État. Le budget est donc plus sincère et évitera sûrement des projets de loi de finances rectificative (PLFR) pour couvrir les risques assurables ou non assurables.
Une dépense de 560 millions d'euros est prévue pour subventionner cette assurance qui, je le rappelle, couvre les cotisations à hauteur de 70 % et les pertes au-delà de 50 % - sauf en arboriculture et en prairie, où les pertes seront prises en compte au-delà de 30 %. Ces crédits sont financés à hauteur de 120 millions d'euros par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et de 184,5 millions d'euros par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) de la PAC ; le reste est financé par le budget.
Avec l'augmentation des aléas, nous ne sommes pas certains que ce budget soit suffisant. Cette assurance était très attendue, sachant qu'une récolte sur cinq a été perdue et que ce constat démotivait les jeunes de s'installer.
La « Ferme France » perdait de la compétitivité à cause d'un coût de travail élevé. Pour y remédier a été créé le dispositif TO-DE, qui vise à exonérer de charges sociales les emplois saisonniers. Reconduit par les députés, la pérennité du dispositif est décisive pour l'installation des jeunes employant de la main-d'oeuvre, afin qu'ils puissent établir un plan de financement prévisionnel stable et rentable.
Ce dispositif serait aussi nécessaire, de façon générale, dans l'industrie ; mais cela paraît très compliqué, tant les besoins en prestations sont importants. Cependant, il est temps d'avoir à l'esprit que les dépenses supplémentaires entravent notre compétitivité dans de nombreux domaines et accentuent le déclin de la balance commerciale.
Nous perdons de la compétitivité en imposant à nos agriculteurs des normes supplémentaires, qui n'apportent pas de rentabilité. Elles ne sont même pas revalorisées dans les prix de vente, car nos concitoyens n'ont pas un pouvoir d'achat extensible. La filière bio a eu le mérite de donner un prix à la qualité, mais cela reste un marché de niche, comme nous avons pu le constater avec la hausse de l'inflation. Tout le monde a envie de manger mieux, mais le pouvoir d'achat fixe les limites.
Nous importons et nous ne contrôlons pas aux frontières la qualité des produits en fonction des normes françaises. Nous renforçons même les effectifs pour contrôler les fermes françaises au risque de les décourager et sans plus-value. Il est temps que l'administration accompagne l'économie française.
Enfin, les agriculteurs ont financé en moyenne les cinq dernières années le CAS-DAR à hauteur de 138 millions d'euros. Ce fonds a vocation à financer la recherche notamment dans la lutte contre les aléas. Le budget plafonne à 126 millions d'euros et, considérant le faible nombre de projets, l'excédent s'avère transféré sur le solde comptable du compte. Comment le ministère de l'agriculture peut-il se satisfaire d'une telle situation ?
Le ministère doit fixer les objectifs en matière de politique agricole afin de rétablir la situation économique actuelle et retrouver à la fois notre compétitivité et notre souveraineté alimentaire. Allons-nous développer et imposer les mêmes contrôles aux produits importés qu'aux produits français, et renforcer ainsi les effectifs pour cet exercice ? Allons-nous développer la recherche pour adapter nos productions aux aléas et aux maladies ? Allons-nous avoir une politique de l'eau en accord avec la politique agricole ?
En attendant des réponses précises, je vous propose malgré tout d'accepter ce budget à trois conditions : que le plan de travaux de réhabilitation du site du Maine du ministère de l'agriculture, estimé à 22 millions d'euros soit reporté ; que les amendements augmentant les effectifs de l'ONF, les crédits du fonds Avenir Bio, soient supprimés ; que le CAS-DAR soit utilisé dans sa totalité pour la recherche et que les effectifs ou les contrôles aux frontières des produits importés soient accrus.
M. Claude Raynal, président. - Pour résumer, je comprends que l'un des rapporteurs spéciaux n'est pas favorable au vote des crédits de la mission, tandis que l'autre y serait favorable à condition qu'elle soit profondément modifiée.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Le ministre semble se satisfaire de maintenir le budget du CAS-DAR à hauteur de 126 millions d'euros. Il faut rappeler que, l'année dernière, ce budget était passé de 136 à 126 millions d'euros. En euros constants, dans la mesure où l'on ne tient pas compte de l'inflation, on observe une baisse des moyens dédiés à l'agriculture. En cumulé, les pertes du CAS-DAR correspondent à plusieurs dizaines de millions d'euros ; des sommes qui - j'ose le mot - ont été spoliées au monde agricole et réinjectées dans le budget général de l'État. On a pris de l'argent aux paysans sans leur rendre.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Après l'examen de ce rapport, qui fait suite au rapport publié en septembre dernier sur l'état de la compétitivité de l'agriculture, me revient une phrase écrite par une journaliste qui résume très bien la politique agricole française : « L'histoire pourrait ressembler à un conte pour enfants dans lequel les habitants d'un pays comblé par la nature, croulant sous ses bienfaits, en seraient curieusement venus à se persuader que les richesses les entourant étaient les fruits non pas de siècles de labeur des générations précédentes, du climat ou de la géographie, mais de leur propre vertu, et qui, à force de s'aveugler sur eux-mêmes, en viendraient à détruire leur trésor. »
Tant que nous ne comprenons pas que nous sommes en train de détruire notre trésor, nous n'arriverons pas à inverser la tendance. Le budget proposé cette année, malheureusement, ne permettra pas d'impulser une inversion du système actuel. Bien sûr, on peut fixer des prescriptions, apporter des critiques ; il n'en reste pas moins que ce budget est plus encore qu'en trompe-l'oeil. Il augmente de 900 millions d'euros, soit un budget passant de 3 à 3,9 milliards d'euros. On pourrait se dire qu'enfin on va mettre les moyens nécessaires pour améliorer la compétitivité de l'agriculture, mais ce n'est pas le cas.
La commission des affaires économiques, qui n'a pas encore totalement arrêté son avis, tend plutôt à rejeter ce budget. En effet, nous assistons à une forme de supercherie financière, dans la mesure où, sur ces 900 millions d'euros, 430 millions proviennent d'un transfert du TO-DE. Le Président de la République déclarait en début d'année au salon de l'agriculture qu'il souhaitait pérenniser ce dispositif. Or, dans les faits, il n'a fait que le maintenir pour une année supplémentaire ; et, grâce à un amendement à l'Assemblée nationale, le dispositif s'étendra sur trois ans - attendons de voir si le Sénat adoptera un amendement pour le pérenniser véritablement. C'est une politique de gribouille, pas une politique qui comprend la situation et veut améliorer la compétitivité.
En outre, 60 millions proviennent non pas du budget de l'État, mais de taxes additionnelles sur les assurances payées par les agriculteurs. Une somme de 250 millions d'euros est orientée vers l'assurance récolte. Mais, si l'on respectait les quatre critères de la loi telle qu'adoptée par le Sénat - les 20 % de franchise ; les 70 % de subvention de l'assurance récolte ; les 30 et 50 % correspondant aux taux d'intervention -, les crédits devraient s'élever non pas à 580 millions d'euros euros, mais à 680 millions d'euros. Encore une fois, le Gouvernement n'a pas compris la réalité de l'agriculture et ne fait pas les choses complètement.
Cette augmentation de 7 % du budget réel correspond, comme par hasard, à peu près au taux de l'inflation. Il s'agit donc de faire la même chose avec le même budget et, si l'inflation augmente encore, il s'agira de faire moins.
Donner un avis positif, même circonstancié, ne permettrait pas de s'opposer à cette mauvaise interprétation de la réalité. Il faut un électrochoc et dire clairement que le Gouvernement doit réviser sa copie, en prenant en compte la réalité de la souveraineté alimentaire et en arrêtant de soumettre sans cesse les agriculteurs à des contraintes, des conditions, des normes. À mon sens, cela ne coûterait pas très cher et, au contraire, permettrait même d'économiser de l'argent.
Enfin, j'évoquerai un dernier point de nature à vous inviter à ne pas adopter les crédits de cette mission. J'étais très favorable à la création d'une police au sein de la DGAL, car c'est le sens de l'histoire. Mais, si l'on souhaite mieux contrôler notre alimentation, est-ce la bonne solution de retirer des effectifs à la DGCCRF pour les transférer à la DGAL ? On en revient à la problématique des clauses miroirs. Vincent Segouin a pris l'exemple des cerises ; nous interdisons une molécule et laissons entrer des cerises de Turquie gorgées de cette même molécule. Agir ainsi, c'est être d'une naïveté coupable et s'appauvrir. Si l'on ne veut pas connaître de telles situations, il faut pouvoir contrôler, et pour ce faire, il faut que notre police alimentaire soit à un Rungis. Or on nous propose de disséminer cette police dans les départements. Des fonctionnaires tatillons vont embêter les restaurateurs, alors que l'on devrait plutôt se doter d'une vraie police à nos frontières pour contrôler les produits ne respectant pas nos normes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les interventions démontrent que la situation de l'agriculture est complexe et que celle-ci se trouve à la croisée des chemins. Entre les contraintes climatiques, les enjeux liés à l'Europe - je rappelle que la PAC était l'une des politiques emblématiques de l'Union européenne (UE). S'il faut sans doute s'interroger de nouveau sur cette politique, il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain.
M. Segouin propose de reporter le projet du Maine. Est-ce sur l'exercice suivant ? Peut-il nous en donner les raisons ?
Concernant le CAS-DAR, je ne crois pas que les contributions des agriculteurs, quand elles ne sont pas consommées, passent dans le budget général. À ma connaissance, cela reste dans le budget du CAS-DAR.
M. Arnaud Bazin. - Je souhaite intervenir sur la question de la sécurité sanitaire des aliments, en particulier des aliments d'origine animale. Jusque récemment, nos compatriotes vivaient dans l'idée que la sécurité sanitaire des aliments qu'ils achètent dans le commerce traditionnel était un acquis d'un pays développé comme le nôtre. Ces derniers temps, il y a eu des accidents dramatiques ; des familles ont perdu des enfants, d'autres verront leurs enfants handicapés pour le restant de leur vie. Ces accidents ne se sont pas produits avec des denrées alimentaires acquises dans un commerce de quartier qui aurait échappé à la surveillance, mais dans des unités de production importantes, dans de gros groupes agroalimentaires. Cela pose la question de la qualité du contrôle par les services de l'État de ces unités de production. On ne peut pas imaginer, surtout avec les signaux d'alerte diffusés par certains salariés, que les contrôles n'aient pu éviter d'en arriver à cette situation.
M. Duplomb a évoqué la question de la réorganisation des services, avec le souci de mieux contrôler les importations. Ma question, complémentaire, porte sur les éléments qu'ont pu recueillir nos rapporteurs sur cette réorganisation. On nous indique 7 % de moyens supplémentaires. La question fondamentale est la suivante : va-t-on reconstruire un système de contrôle de la qualité sanitaire qui garantisse à nos compatriotes qu'ils n'empoisonnent pas leurs enfants en achetant leurs denrées dans le système traditionnel et théoriquement inspecté ? Dispose-t-on d'éléments qui nous rassurent ? Allez-vous, dans l'année qui vient, vous intéresser plus particulièrement à ce sujet en termes de contrôle ?
M. Michel Canévet. - La manière dont nos rapporteurs abordent les choses me semble un peu sévère. Nous sommes dans un contexte d'accroissement significatif des crédits. Un certain nombre d'orientations me semblent aller dans le bon sens ; je pense à la mise en oeuvre de la nouvelle PAC, à l'assurance récolte, à la pérennisation et, je l'espère, à l'extension du dispositif TO-DE. Sans occulter la baisse préoccupante du nombre d'exploitants agricoles ou encore la question de la sécurité alimentaire, je vois des signes positifs dans ce budget.
Je souhaite interroger nos rapporteurs sur trois sujets ; le premier concerne la forêt. Compte tenu des ambitions affichées en matière de reforestation, ne doit-on pas se réjouir de l'augmentation des crédits dédiés à la forêt ?
Le deuxième sujet concerne le bâtiment du Maine. Plutôt que de freiner un tel projet, j'ai le sentiment qu'il faudrait accélérer sa réalisation. Nous sommes confrontés au problème de rénovation énergétique des bâtiments publics, et il nous faut agir beaucoup plus vite pour moderniser le parc immobilier de l'État.
Le troisième sujet concerne le CAS-DAR. Je partage l'ambition de développer la recherche dans le domaine agricole, mais comment expliquer la sous-consommation de crédits ? Manque-t-on de projets ?
M. Christian Bilhac. - Nos exploitations doivent faire face à des contrôles fréquents et tatillons. Pendant ce temps, les produits importés passent au travers des mailles des contrôles, car les contrôleurs ne sont pas là où il faut, en particulier à Rungis. Il y a un gros travail à effectuer sur la sécurité alimentaire, mais les petits exploitants ne sont pas la bonne cible ; ce sont les grands groupes qui empoisonnent les populations.
Je souhaite revenir sur l'installation des jeunes. La situation devient problématique, vous avez cité les chiffres : des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois ; près de 400 000 exploitations ont disparu. Comment enrayer cela ? Comment peut faire celui qui reprend l'exploitation si, en plus des charges de fonctionnement, il doit supporter les charges d'acquisition ?
Dans ma région et ailleurs aussi, de plus en plus de domaines viticoles sont repris par des gens fortunés qui, sans souci de rentabilité, font des déplacements ou des actes de défiscalisation. Les agriculteurs ne sont plus des paysans autonomes comme autrefois ; ils deviennent des salariés de grands groupes. Ainsi se perd le modèle agricole français.
M. Daniel Breuiller. - Ma première question concerne la forêt. Le modèle économique de l'ONF, qui repose pour une grande part sur la vente de bois, est-il compatible avec les missions de l'organisme ? Quelle est la part, dans le budget de l'ONF, des recettes subventionnées par l'État et celle qui est liée à la vente ?
Ma deuxième question porte sur l'agriculture. J'ai été étonné par la vigueur des propos de Vincent Segouin. Les agriculteurs ont toujours rempli leur mission de nourrir la population. Face à l'agro-industrie, il est nécessaire d'être vigilant à la fois sur la sécurité alimentaire, les produits choisis, la durabilité des ressources.
Le chlordécone, par exemple, était très utile à la compétitivité de la banane française pendant des années ; il n'empêche que, à juste titre, nous y avons renoncé. La mesure d'interdiction me semble également justifiée concernant la cerise. Mais a-t-on les moyens de mettre des contrôles aux frontières pour garantir à nos agriculteurs qu'ils jouent à armes égales avec les produits d'importation ? Le sujet n'est pas d'augmenter la compétitivité en diminuant les exigences qualitatives, mais de protéger tout le monde en augmentant la qualité des accords internationaux et des contrôles aux frontières.
M. Bernard Delcros. - Ma première question porte sur les travaux du site du Maine. Y a-t-il un intérêt à reporter les travaux alors que des opérations immobilières, me semble-t-il, sont déjà engagées, permettant aussi de se séparer de locations coûteuses ?
Ma deuxième question concerne la transmission des exploitations. Vous souhaitez un soutien plus actif aux entrants comme aux sortants. Avez-vous évalué le coût de ce soutien ?
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, en effet, l'excédent de recettes, non engagé du CAS-DAR y demeure en étant affecté à son solde comptable, mais il ne peut être disponible que sur autorisation d'une loi de finances.
Concernant le projet du Maine, le démarrage des travaux est prévu en décembre 2023 pour un emménagement en 2026. Dans ma démonstration, j'ai cherché à vous faire comprendre qu'il y avait urgence à s'occuper de la politique agricole. La balance commerciale est un critère à suivre de près ; chaque année, nous perdons des parts de marché. Le coût des travaux s'élève à 22 millions d'euros. Avant de nous occuper de l'immobilier, nous devons mobiliser les fonds pour revoir et clarifier la politique agricole.
L'autre sujet est le montant de la dette. Va-t-on continuer d'avoir des budgets en déséquilibre, en faisant croire à tout le monde que l'on peut dépenser à tout-va ?
Monsieur Bazin, la DGAL va employer des acteurs privés pour répondre à la question du contrôle des unités de production et assurer la qualité sanitaire des Français. La commission des affaires économiques doit également s'occuper du sujet et vérifier la rigueur des contrôles.
M. Canévet a évoqué les bonnes orientations liées à l'assurance récolte et l'extension du dispositif TO-DE. L'assurance récolte est, en effet, primordiale pour favoriser l'installation des jeunes et trouver un moyen d'assurer une rentabilité. Au sujet du TO-DE, la déclaration du Président de la République était de rendre pérenne ce dispositif ; il est essentiel qu'il le devienne. Je déplore que l'amendement déposé hier dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui va dans ce sens, n'ait pas été adopté.
Je partage l'idée que nous allions vers une agriculture de référence. Mais si l'on s'impose des normes de qualité, celles-ci doivent aussi pouvoir être imposées aux produits importés.
L'augmentation des crédits dédiés à la forêt dans l'amendement du Gouvernement s'élève à 10 millions d'euros. J'ai déposé un amendement de suppression de ces 10 millions d'euros. Cela correspond à 60 ETP supplémentaires. Aujourd'hui, l'ONF a une masse salariale trop élevée. Peut-être faut-il séparer, dans la gestion de l'organisme, la partie exploitation du bois et celle qui est dédiée à son programme de recherche, d'entretien, de conservation des forêts et de la biodiversité.
Le CAS-DAR souffre d'un manque de projets qui entraîne une sous-consommation des crédits. Il est primordial de lancer des projets de recherche pour adapter nos variétés aux aléas climatiques. De même pour les vaccins, plutôt que de décimer les élevages chaque fois qu'apparaît un problème, on aurait intérêt à lancer des projets de recherche.
Pour répondre à M. Bilhac, ce contrôle trop tatillon des exploitants, ajouté à l'absence de contrôle sur les produits importés, est intolérable ; c'est ce qui tue l'installation des jeunes. Les installations sont ensuite reprises par des porteurs de capitaux ; c'est le modèle de l'exploitation agricole aux Pays-Bas. Si l'on veut aller vers ce modèle, continuons ainsi.
Aujourd'hui, il faut plus de marges et de rentabilité pour que les jeunes puissent reprendre les exploitations et faire vivre leur projet sur le long terme. La vocation de l'agriculture, comme l'indiquait M. Breuiller, est de nourrir la population. Mais on n'installera pas des jeunes sans tenir compte du critère économique.
M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - La réserve du CAS-DAR, moins importante que ce que l'on pouvait penser, est de l'ordre de 28 millions d'euros. Pour le reste, le budget est consommé. Cela fait des sujets de contrôle qui mériteront d'être affinés à l'avenir. La question de la recherche est un vrai sujet au regard des évolutions climatiques et des modèles économiques à construire.
Le projet du Maine me semble cohérent, avec un système de poupées russes qui permettait, à terme, d'optimiser les surfaces du ministère de l'agriculture. Je ne sais pas si, d'un point de vue financier, le choix de reporter les travaux d'une année est pertinent.
Pour répondre à M. Bazin, la question de la sécurité alimentaire est un sujet majeur. Il faut créer davantage d'ETP, faire appel également à des prestataires en établissant un cahier des charges.
M. Canévet a trouvé notre jugement sévère, considérant les crédits importants dédiés aux DO-TE et à l'assurance récolte. Mais ces crédits existaient déjà ; par exemple, les crédits nécessaires pour indemniser les récoltes endommagées faisaient l'objet d'ouvertures complémentaires. Il n'y a pas d'apport de ce point de vue. La présentation budgétaire est un peu plus pérenne et sécurise la viabilité économique des exploitations, mais la contribution demandée aux agriculteurs est également plus importante que par le passé. Au final, comme l'a également précisé M. Duplomb, on se retrouve avec des crédits qui ne sont guère au-dessus du niveau nécessaire au maintien du pouvoir d'achat.
Concernant la forêt, les 10 millions d'euros supplémentaires permettent de ramener le budget presqu'au niveau de l'année précédente. Une réduction de 95 ETP était initialement prévue par le contrat État-ONF 2021-2025, puis a été ramenée à 80 emplois dans le projet de loi de finances initiale.
Nous ne disposons pas d'éléments précis pour identifier la part des missions d'intérêt général et celle qui est liée à l'activité économique de l'ONF. Ses missions d'intérêt général seront sans doute plus importantes à l'avenir, car l'ONF est seul capable de produire des expérimentations, de travailler sur l'adaptation des modèles de production.
La question des contrôles est un vrai sujet. Tous les exploitants, qu'ils soient Français ou étrangers, doivent être sur un pied d'égalité, les importations ne peuvent pas continuer de bénéficier d'un avantage concurrentiel. Il s'agit également, au regard des typologies de production, de travailler sur les modèles économiques des exploitations. Le Président de la République a annoncé une loi d'orientation agricole pour l'année qui vient ; ce sera l'occasion de réfléchir à tous ces sujets.
M. Claude Raynal, président. - Notre collègue Vincent Segouin nous propose trois amendements visant à modifier les crédits. L'amendement no 1 revient sur l'ouverture de 10 millions d'euros décidée par le Gouvernement en faveur de l'ONF.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
M. Claude Raynal, président. - L'amendement no 2 revient sur l'abondement de 5 millions d'euros à la dotation du fonds Avenir Bio.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
M. Claude Raynal, président. - L'amendement no 3 repousse la mise en oeuvre des travaux du site du Maine, qui doivent démarrer en 2023 pour un aménagement en 2026. En conséquence, cet amendement prévoit une réduction de 22 millions d'euros en AE et 5,8 millions d'euros en CP de l'action n° 04 Moyens communs du programme 215 de la mission.
L'amendement n° 3 n'est pas adopté.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Segouin, les amendements n'ayant pas été adoptés, pouvez-vous nous indiquer votre position sur les crédits de la mission ?
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - J'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Avis également défavorable.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
Article 41 C (nouveau)
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 41 C.
Article 41 D (nouveau)
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 41 D.
M. Claude Raynal, président. - Quelle est la position des rapporteurs sur les crédits du compte d'affectation spéciale ?
M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Je vous avais proposé de voter favorablement, mais, au regard du vote sur la mission et des besoins en matière de recherche, j'opte pour un vote défavorable.
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Je partage la position de mon collègue.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale «Développement agricole et rural ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. -Nous passons à l'examen de la mission « Recherche et enseignement supérieur »
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Les deux programmes qui portent les crédits dédiés à l'enseignement supérieur bénéficient cette année encore d'une hausse importante, pour atteindre 18 milliards d'euros. L'augmentation s'élève à près de 750 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une progression de 4,3 % par rapport à 2022.
Compte tenu de la masse salariale des universités, près de la moitié des nouveaux crédits sont consacrés à la mise en place pour 2023 de la compensation de la hausse du point d'indice pour les établissements d'enseignement publics. Il est à noter qu'aucune mesure de compensation n'aura été mise en place pour les mois de juillet à décembre 2022, pour lesquels les universités devront mobiliser leurs fonds propres.
Je partage avec mon collègue Jean-François Rapin la satisfaction de voir que l'ensemble des engagements figurant dans la loi de programmation de la recherche (LPR) sont respectés dans ce budget. La poursuite de la mise en oeuvre de cette LPR contribue, en effet, à la croissance de la mission « Enseignement supérieur » à hauteur de 140 millions d'euros. Ces crédits sont essentiellement destinés aux personnels, via des mesures de revalorisation salariale et d'élargissement des voies de recrutement. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 prévoit, en outre, la création de 413 emplois, dont 385 au titre de la LPR.
Nous pouvons, je le pense, nous féliciter du renforcement des moyens consacrés aux universités, qui contribue à leur redonner des marges de manoeuvre et à limiter les tensions sur leur masse salariale.
Nouveauté de ce budget, 35 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour la mise en place expérimentale des contrats d'objectifs et de moyens pluriannuels avec une dizaine d'universités. L'idée me semble être intéressante, mais les montants destinés à être contractualisés sont à ce stade extrêmement faibles à l'échelle des crédits accordés aux universités. Nous n'en sommes pour l'instant qu'à la phase de définition de cette expérimentation, mais nous serons attentifs à la négociation en cours entre le ministère et les universités.
Permettez-moi toutefois de souligner un point de vigilance. Du fait de la taille de leur patrimoine immobilier et des infrastructures de recherche qu'ils hébergent, les établissements d'enseignement supérieur sont particulièrement touchés par la crise énergétique. Le surcoût en 2022 s'élèverait à 40 à 50 % de plus par rapport à 2021, soit 100 millions d'euros. Concernant 2023, et bien que l'évaluation des surcoûts potentiels soit un exercice délicat, le ministère estime que le surcoût énergétique s'élèvera à 400 millions d'euros par rapport à 2022.
En 2022, les universités devront mobiliser leurs fonds de roulement pour tenir compte de ces hausses. En 2023, elles devraient bénéficier du fonds de compensation du surcoût de l'énergie qui devrait être créé dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR). La ministre avait annoncé un fonds doté de 275 millions d'euros, dont plus de 200 pour les établissements d'enseignement supérieur. Cette aide devrait être versée au prorata des surcoûts aux universités, en fonction de la situation financière ad hoc de chacune d'entre elles et du coût de l'énergie dans leurs dépenses.
Si, sur le principe, cela semble être un signal très positif pour les universités, seuls 150 millions d'euros de nouveaux crédits sont en réalité ouverts par ce PLFR. Il semblerait que les 125 millions complémentaires soient en partie financés sur les crédits dégagés par la baisse du nombre d'étudiants boursiers.
Le constat de la vulnérabilité des établissements d'enseignement supérieur aux difficultés énergétiques m'amène à évoquer les enjeux cruciaux en matière d'investissement dans le patrimoine immobilier universitaire. J'ai déjà souligné à plusieurs reprises l'ampleur du défi, considérant le caractère parfois vétuste et souvent énergivore du patrimoine immobilier universitaire. Alors qu'il est impératif de lancer un plan massif de rénovation de ce patrimoine, seuls 30 millions d'euros supplémentaires sont consacrés, dans le PLF, à l'immobilier universitaire. Cet effort ponctuel demeure insuffisant et ne permettra pas à la France de respecter les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixés en matière de transition énergétique. Le coût de l'inaction serait bien supérieur à celui des dépenses engagées par anticipation, et nous devons tenir compte de plusieurs décennies de délaissement du patrimoine immobilier universitaire. Je vous le redis, nous ne pourrons repousser indéfiniment le plan de rénovation immobilière de grande ampleur qui s'avère indispensable.
J'en viens maintenant aux moyens consacrés à la vie étudiante, qui constituent l'autre pan de la mission pour son volet « Enseignement supérieur ». En 2021 et 2022, ils avaient enregistré une hausse très importante. Le PLF 2023 prévoit cependant une stabilisation des crédits.
Le montant des bourses sur critères sociaux a été revalorisé de 4 % à la rentrée de 2022, afin de tenir compte de l'inflation. Le coût de cette mesure s'élèvera à 85,1 millions d'euros en 2023, mais les crédits dédiés restent cependant identiques à ceux qui ont été prévus l'année dernière, du fait de la baisse attendue du nombre d'étudiants boursiers. En outre, cette revalorisation ne permettra pas de couvrir l'érosion du pouvoir d'achat découlant de l'inflation constatée en 2022 et 2023.
En parallèle, la subvention versée au réseau des oeuvres universitaires progressera de 35,6 millions d'euros par rapport à 2022 pour financer notamment la prolongation du ticket de resto U à 1 euro pour les étudiants boursiers et du gel des loyers dans les résidences étudiantes. Le coût du repas à 1 euro s'élèvera à 51 millions d'euros en 2023, pour 430 000 étudiants bénéficiaires.
La situation financière du réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), qui avait été très exposé pendant la crise sanitaire, continue de s'améliorer. Là encore, je voudrais soulever un point d'attention. La hausse des coûts des denrées alimentaires pourrait engendrer un effet ciseaux, puisque le nombre de repas servis augmenterait alors de façon parallèle. Les prévisions à date du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) font état d'une possible répercussion à la hausse des effets du repas à 1 euro pour la fin de l'année, pour un coût total de l'ordre de 50 millions d'euros. La fréquentation des restaurants universitaires croît en parallèle très rapidement, l'activité à la rentrée 2022 étant supérieure de 20 %, voire 30 %, à l'année précédente.
Au-delà de ces quelques remarques, la mission dans son volet « Enseignement supérieur » bénéficiant de hausses de crédits conséquentes, permettant le respect de la trajectoire définie en loi de programmation, je vous propose d'en adopter les crédits.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Les crédits des programmes « Recherche » de la mission devraient atteindre, en 2023, 12,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), soit une hausse de plus de 7 % par rapport à l'année précédente. Cette évolution résulte essentiellement de l'enveloppe supplémentaire de 330 millions d'euros allouée aux organismes de recherche du programme 172, ainsi que de la forte hausse des crédits dédiés à la recherche spatiale.
Avant d'entrer dans les détails, je tire deux premiers constats de cette augmentation.
D'abord, j'exprimerai une satisfaction. La trajectoire proposée pour 2023 respecte la hausse prévue par la LPR. Ce sera la troisième année que cette loi sera mise en oeuvre : nos avions alors salué l'ambition inscrite sur le papier en faveur de la recherche. À l'échelle de la mission, ce sont ainsi 400 millions d'euros supplémentaires qui sont prévus pour 2023 afin de respecter les engagements pris dans le cadre de cette loi, et nous pouvons nous en féliciter.
Cependant, la trajectoire de la LPR a été établie en 2020 en volume, c'est-à-dire sans tenir compte de l'inflation. À l'époque, en tant que rapporteur pour avis sur ce texte, je vous avais averti sur les risques qui en découlaient. Il est vrai que l'inflation était alors très faible, ce que n'avait pas manqué de mettre en avant le Gouvernement, mais elle devrait s'élever cette année à 5,4 %. En euros constants, les 400 millions d'euros de hausse au titre de la LPR en 2023 équivalent ainsi à 385 millions d'euros en 2022.
En conséquence, la loi de programmation aura surtout protégé la mission « Recherche et enseignement supérieur » d'une érosion de ses moyens par l'inflation. La clause de revoyure figurant dans ce texte prévoyait une actualisation de la programmation au moins tous les trois ans - j'espère que cette occasion sera saisie en 2023.
Par ailleurs, de nombreuses infrastructures de recherche sont très consommatrices d'électricité et seront donc très impactées par la hausse des coûts énergétiques en 2023. À titre d'exemple, la hausse du coût de l'énergie est estimée à 60 millions d'euros pour le seul nucléaire civil par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Le PLFR que nous discuterons la semaine prochaine prévoit que 55 millions d'euros devraient revenir en 2022 aux établissements de recherche, intégralement couverts par l'annulation de la réserve de précaution.
L'enjeu pour les organismes est donc de stabiliser au minimum les activités de recherche afin de maintenir la continuité de l'activité expérimentale. Espérons que la mobilisation des ressources propres des opérateurs et le dégel de la réserve y pourvoiront.
J'en viens maintenant aux détails de ce budget.
Les organismes de recherche bénéficient au total de plus de 7 milliards d'euros de crédits, en hausse de 370 millions d'euros par rapport à l'année précédente. Une part importante est destinée à financer la hausse du point d'indice en 2023, à hauteur de 130 millions d'euros. Les efforts portés par la LPR expliquent le reste de l'augmentation constatée en 2023. Celle-ci concerne notamment l'amélioration des carrières dans la recherche, la rémunération des doctorants et l'augmentation des moyens alloués aux laboratoires et aux grandes infrastructures de recherche nationales et internationales.
Il est indéniable que ces moyens nouveaux redonneront des marges de manoeuvre aux organismes de recherche. Alors que la subvention pour charges de service public versée aux opérateurs subissait une lente érosion année après année, le budget pour 2023 confirme l'inversion de tendance qui avait pu être espérée en 2022.
J'évoquerai maintenant le redressement financier de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui se poursuit cette année.
En 2023, les crédits de l'ANR au titre du programme 172 devraient s'élever à 1,226 milliard d'euros en AE et 961 millions d'euros en CP, soit une hausse de 15,4 % en AE et de 8,6 % en CP.
Les hausses de crédits des deux dernières années permettront d'atteindre un taux de succès sur les appels à projets de 23,7 % en 2023, contre 16 % en 2020. Le taux de préciput - dont je rappelle qu'il s'agit de la somme versée aux organismes de recherche lorsqu'une de leur équipe a remporté un appel d'offre, afin d'inciter les organismes de recherche à se porter candidats - a également progressé, pour atteindre 25 % dès 2021, contre 19 % en 2020. Il s'élèvera à 200 millions d'euros et 28,5 % en 2023.
De manière générale, le redressement financier de l'ANR constitue un signal très encourageant pour nos chercheurs. Il me semble que nous devons être attentifs aux enjeux d'articulation avec les appels à projets européens, afin que les appels à projets nationaux et européens ne se concurrencent pas.
Je salue enfin la rebudgétisation au sein de la mission du programme 191 - Recherche duale pour 150 millions d'euros. Les crédits avaient été déplacés au profit de la mission « Plan de relance » en 2021 et 2022. Le passage par la mission « Plan de relance » de ces crédits ne se justifiait pas par leur nature et a permis de masquer une baisse des montants accordés au programme depuis 2020. En d'autres termes, la création de cette ligne sur la mission « Plan de relance » n'aura pas permis d'accroître les moyens consacrés à la recherche duale en 2021 et 2022, mais aura, au contraire, accompagné leur diminution.
Enfin, le budget de la recherche spatiale représenterait, en 2023, 1,7 milliard d'euros, soit une hausse de 74 millions d'euros à périmètre constant. Ainsi, les moyens globaux alloués au Centre national d'études spatiales (Cnes) progresseront en 2023 de 10 %.
Néanmoins, plus de la moitié de ces montants sont in fine transférés à l'Agence spatiale européenne (ESA). Les fonds à destination de cette dernière devront d'ailleurs sans doute augmenter au cours des prochains mois, notamment pour financer le surcoût lié au retard du projet Ariane 6, estimé à environ 200 millions d'euros. La participation de la Russie au programme étant incertaine, il semble d'autant plus indispensable d'envisager que le budget soit réévalué.
En conclusion, dans la mesure où le budget 2023 se révèle conforme à la LPR, je souhaite que notre commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits de cette mission.
Mme Laure Darcos, rapporteure pour avis de la commission de la culture sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - La prééminence de la question des surcoûts énergétiques est revenue lors de chaque audition. Sur l'enveloppe supplémentaire de 275 millions d'euros annoncée par Sylvie Retailleau pour les opérateurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR), 55 millions seront alloués aux seuls frais de surcoût énergétique. La ministre est ouverte à une clause de revoyure l'année prochaine, ce qui est de bon augure pour abonder le budget de cette mission dans les années à venir. Le « 1% culture scientifique » est très prisé par les appels à projets de l'ANR, ce qui permet de diffuser la culture scientifique auprès de nos concitoyens au travers de différents programmes. Je partage l'avis du rapporteur spécial sur le vote des crédits.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Je me réjouis de la convergence de points de vue entre les rapporteurs spéciaux de la commission des finances et les rapporteurs pour avis de la commission de la culture. J'attire votre attention sur la non-compensation du point d'indice en 2022 - près de 180 millions d'euros ne sont pas compensés - et celle du glissement vieillesse technicité (GVT) et les conséquences sur le budget des universités.
Concernant l'enveloppe supplémentaire de 275 millions d'euros obtenue par la ministre Retailleau, nous attendons d'en savoir plus sur la ventilation de ces crédits.
J'appelle à la mise en place depuis plusieurs années d'un grand plan Campus. Les passoires thermiques existent notamment en région parisienne. Sur le financement des Crous, il n'y a aucun lien entre la fréquentation des restaurants universitaires et la dotation accordée - la dotation est à moyens constants. Il est étonnant que l'on ne tienne pas compte de l'augmentation très significative de la fréquentation des restaurants universitaires depuis le confinement et qui s'explique également par le renchérissement du coût de la vie. J'ai également proposé à la commission de la culture d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les problèmes d'énergie, de consommation et de dépenses supplémentaires vont-ils provoquer des fermetures anticipées d'établissement ou un possible retard de la rentrée universitaire ? Quelles sont les éventuelles annonces de soutien du Gouvernement, et à quelle hauteur ? Le bouclier énergétique va concerner quasiment tous les secteurs d'activité, qu'en est-il des universités ?
M. Antoine Lefèvre. - Je partage l'inquiétude de mes collègues à propos de l'insuffisance des crédits alloués à la rénovation de l'immobilier universitaire, et sur la question des passoires thermiques. Savez-vous combien d'universités envisageraient aujourd'hui, pour lutter contre le surcoût d'énergie, de revenir à des cours en distanciel ou d'allonger les périodes de vacances scolaires ?
M. Michel Canévet. - Les crédits supplémentaires sont principalement destinés à lutter contre le surcoût énergétique, mais où en est-on de la mise à niveau du parc immobilier ? Les 12 milliards d'euros des fonds de roulement des établissements d'enseignement supérieur sont-ils prévus pour anticiper des investissements ou pour couvrir les frais courants des établissements, car le montant est élevé ?
Par ailleurs, j'aimerais savoir si l'ANR est efficace pour relancer la recherche dans notre pays ou bien si elle est, au contraire, un frein à l'engagement d'autres actions de recherche.
M. Rémi Féraud. - La jeunesse a été la grande abandonnée au cours de la crise du covid. Depuis, des centaines d'étudiants fréquentent des banques alimentaires, notamment à Paris. Or, face à l'inflation, les crédits alloués aux restaurants universitaires risquent d'être insuffisants en 2023. Le Sénat ne peut-il pas demander un effort budgétaire supplémentaire en faveur la vie étudiante ? Cela constituerait un symbole important et cela permettrait d'éviter l'écueil d'un budget sous-évalué.
M. Didier Rambaud. - Je souhaite attirer l'attention sur un volet méconnu de la recherche française, la recherche polaire. J'assiste dans mon département à la fonte et à la disparition de glaciers. Je rappelle que la France est une nation polaire grâce à l'excellence de sa recherche, par exemple avec l'Institut polaire Paul-Émile Victor. Il convient d'accorder les moyens nécessaires à la poursuite des recherches dans ce domaine.
M. Claude Raynal, président. - J'ai une interrogation à propos des montants transférés entre 1993 à 2020 du budget de la recherche vers l'ESA. L'année 2020 est-elle une exception ?
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - Les universités pourront bénéficier du fonds de compensation du surcoût de l'énergie qui sera créé dans le projet de loi de finances rectificative, mais son périmètre, ses modalités et les conditions d'éligibilité n'ont pas encore été définis précisément. Comme je l'ai indiqué, les crédits nouveaux ne représentent en réalité que 150 millions d'euros. Les établissements pourront également bénéficier du dispositif général appelé « amortisseur électricité ».
Certains d'entre vous nous ont interrogés sur une éventuelle modification des conditions d'enseignement pour réduire la facture énergétique. Je rappelle que les universités sont autonomes. Elles peuvent décider d'organiser des cours en distanciel ou en présentiel à leur choix. Le Gouvernement ne semble pas avoir le souhait de fermer les universités au-delà de la période des vacances universitaires. L'université de Strasbourg a annoncé qu'elle allait fermer ses portes deux semaines supplémentaires cet hiver pour faire face à l'envolée des prix de l'énergie. Il s'agit d'une initiative locale. La généralisation d'une telle mesure n'est pas envisagée, et ne me semble d'ailleurs pas souhaitable, tant pour des raisons d'ordre psychologique, dans la mesure où les étudiants ont déjà connu l'expérience du covid, que pour des raisons financières : en raison de l'inertie énergétique des bâtiments, il revient plus cher de remettre en marche des locaux après les avoir fermés une semaine supplémentaire que de les laisser ouverts. J'ajoute que fermer temporairement un établissement d'enseignement supérieur qui abrite des laboratoires de recherche risquerait de mettre en péril des expérimentations en cours.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Notamment dans le nucléaire !
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - M. Féraud a raison de souligner l'effet de ciseaux pour les Crous à cause de la hausse des coûts des denrées alimentaires, qui devrait s'établir à 10 % en 2023. Il faut financer les repas à 1 euro : alors que le coût d'un repas est de 8 euros environ, la compensation de l'État s'élève seulement à 3,5 euros, et la différence est à la charge des restaurants universitaires.
La Cour des comptes a publié un rapport sur le patrimoine immobilier des universités, dont les conclusions vont dans le même sens que notre rapport de 2020 : il manque 8 ou 9 milliards d'euros pour remettre à niveau les 18 millions de mètres carrés de locaux universitaires. Une part importante du parc immobilier est notée D ou moins dans le classement relatif à la performance énergétique des bâtiments, et comme le parc continue à se dégrader, on peut craindre que la situation n'empire.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Les établissements de recherche ne devraient pas fermer temporairement pour limiter les surcoûts énergétiques. Nous avons noté un « avant » et un « après » cette annonce lors des auditions que nous avons menées. Monsieur Canévet, le projet de loi de finances rectificative prévoit que 55 millions d'euros devraient revenir en 2022 aux laboratoires de recherche pour les aider à compenser le surcoût de l'énergie.
La France avait une dette importante envers l'Agence spatiale européenne en 2017. Celle-ci a été comblée en 2019 et 2020. La hausse de crédits en 2020 s'explique également par les engagements pris par la France lors de la conférence interministérielle de l'ESA à Séville cette même année.
En ce qui concerne l'ANR, mon opinion a évolué par rapport à quelques années plus tôt. On pouvait raisonnablement craindre que cet organisme ne parvienne pas à financer la recherche. Aujourd'hui, le taux de succès sur les appels à projets s'élève à près de 25 % et le montant des financements octroyés s'élève à plus de 1 milliard d'euros. On peut donc considérer que l'objectif a été atteint. L'ANR est un bon opérateur. Le taux de préciput a également progressé. Il s'élèvera à 200 millions d'euros et 28,5 % en 2023. Il est vrai qu'il existe une forme de concurrence avec les appels à projets européens. L'ANR en a pris conscience. Les opérateurs ont d'ailleurs souvent embauché des chargés de projets pour monter les dossiers et répondre aux appels à projets européens.
Les opérateurs de recherche sur les pôles doivent passer par l'ANR. Le champ de ses appels à projets est vaste.
Mme Laure Darcos, rapporteure pour avis. - L'Institut polaire français Paul-Émile Victor estime qu'il a besoin de 3 millions d'euros. Sylvie Retailleau a annoncé le déblocage d'une enveloppe d'urgence de 1 million d'euros. Nous devrons rester vigilants sur ce point.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Je précise que le fonds de compensation sera créé dans le PLFR. C'est pourquoi ses modalités restent encore imprécises.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » et compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les crédits de la mission « Sécurités » et du compte d'affectation spéciale (CAS) « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial sur les programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités » et sur le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». - Dans son discours de clôture du Beauvau de la sécurité, en septembre 2021, le Président de la République avait annoncé un projet de loi de programmation pour la sécurité intérieure, dont le but était notamment « de penser la police et la gendarmerie de 2030 ». Une première version du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) a ainsi été déposée en mars 2022, en toute fin de quinquennat, et n'a pu être examinée par le Parlement. Une seconde version allégée a ensuite été élaborée. C'est cette version que le Sénat a examinée en octobre 2022. La loi comporte trois objectifs principaux : « être à la hauteur de la révolution numérique » ; « doubler la présence des forces de sécurité sur le terrain à l'horizon 2030 » et enfin « mieux anticiper les menaces et les crises ».
Le budget du ministère de l'intérieur passerait ainsi, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions » et sans compter quelques programmes spécifiques, de 20,78 milliards d'euros en crédits de paiements (CP) annuels en 2022 à 25,29 milliards d'euros en 2027, soit une hausse significative de 4,51 milliards d'euros, en augmentation de 21,7 %. Au total, la hausse cumulée de budget du ministère de l'intérieur sur les cinq années 2023-2027 atteindrait 15 milliards d'euros.
Les crédits prévus pour 2023 pour la mission « Sécurités » s'inscrivent dans le prolongement de la Lopmi. Pour l'ensemble de la mission, la hausse des crédits s'élève à 1,55 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 1,43 milliard d'euros en crédits de paiement (CP). La hausse concerne l'ensemble des quatre programmes de la mission. Nous avions voté les crédits de cette mission les deux dernières années, car la police et la gendarmerie nationales bénéficiaient du concours des crédits du plan de relance. On pouvait donc légitimement se demander si l'effort d'investissement allait être maintenu avec la fin du plan de relance. Force est toutefois de constater que le projet de loi de finances poursuit et renforce surtout, en 2023, la trajectoire de hausse des dépenses de personnel constatée sur les précédents budgets, avec une augmentation de 4,96 % pour la police nationale et de 6,91 % pour la gendarmerie nationale.
Cette hausse s'explique tout d'abord par l'engagement du Président de la République et du Gouvernement d'augmenter les effectifs : le projet de loi de finances prévoit ainsi la création de 2 857 équivalents temps plein (ETPT) pour les deux forces, dont 1 907 pour la police nationale et 950 pour la gendarmerie nationale. La hausse des crédits du titre 2 s'explique aussi par la revalorisation du point d'indice de la fonction publique, pour un coût de 164 millions pour les deux forces. Il faut enfin évoquer le poids des mesures catégorielles : 84,7 millions d'euros pour la police nationale et 71,80 millions d'euros pour la gendarmerie nationale. Ce montant est en forte hausse du fait des premières conséquences budgétaires des deux protocoles conclus en mars 2022 pour la police nationale et pour la gendarmerie nationale. J'ai souvent déploré, lors de l'examen des budgets des années passées, la dégradation du ratio entre les crédits de personnels, d'une part, et ceux de fonctionnement et d'investissement, d'autre part : ce ratio se stabilise en 2023, autour de 86,1 % en CP, mais nous devrons être vigilants, car il reste élevé. Il est aussi supérieur à celui de nos voisins : il s'établit autour de 75 % en Allemagne, entre 75 % et 80 % au Royaume-Uni, où le système est différent, et à 85 % en Espagne.
Un mot sur les rythmes de travail. L'année 2023 sera marquée par l'abandon du système de la vacation forte, mis en place en 2016, et que j'avais eu l'occasion de critiquer à plusieurs reprises. Selon l'inspection générale de la police nationale (IGPN), pour compenser la généralisation de ce régime de travail à l'ensemble des unités travaillant en régime cyclique, il aurait fallu envisager le recrutement de 4 542 ETP supplémentaires pour maintenir le nombre total d'heures travaillées. Ce chiffre est à comparer aux 10 000 postes qui ont été créés dans les forces de sécurité durant le dernier quinquennat. Un nouveau cycle de travail, qui a la faveur des syndicats, se met en place, dans lequel les agents doivent effectuer 140 vacations dans l'année de 12 heures et 8 minutes de suite. Reste à savoir si les agents pourront tenir pendant une telle durée dans la mesure où leur travail est très exigeant.
Le stock d'heures supplémentaires à apurer se réduit peu à peu ; la dotation qui a été prévue en 2020, 2021 et 2022 permet d'indemniser un flux annuel de 2 millions d'heures environ, correspondant à un volume identifié comme incompressible pour donner aux chefs de service des marges de manoeuvre opérationnelles, et de réduire peu à peu le stock accumulé d'heures supplémentaires. En 2023, il est prévu le relèvement de cette enveloppe de crédits dédiés à la campagne d'indemnisation des heures supplémentaires de 18,7 millions d'euros, pour atteindre 45,2 millions d'euros. Nous devons rester vigilants quant à la nécessité de ne pas laisser subsister un compte par agent d'heures supplémentaires non indemnisables trop important, au risque de déstabiliser fortement les services. En effet, les fonctionnaires peuvent liquider leurs heures supplémentaires avant leur départ à la retraite. Ces derniers étant juridiquement en congés et non en retraite, ils ne sont pas remplacés durant cette période, ce qui contribue à creuser un « trou » opérationnel, particulièrement prégnant dans certains services.
Une réforme est par ailleurs engagée pour doter la police nationale d'une réserve opérationnelle de police de 30 000 hommes à l'horizon de 2027, comme il en existe dans la gendarmerie, qui est dotée de 31 500 hommes et dont la mobilisation représente environ 1 900 ETP par jour. L'objectif semble particulièrement ambitieux. Il est peu probable que la réserve de la police sera suffisamment opérationnelle pour contribuer significativement à la sécurisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.
Enfin, ce projet de loi de finances ne comporte aucune disposition quant à une réforme de la police nationale. Celle-ci avait pourtant été annoncée : elle devait entrer en vigueur le 1er janvier 2023, mais le ministre a annoncé son report. Cette réforme aurait évidemment des conséquences financières.
Concernant le fonctionnement, nous pouvons dire que le principal effort qui est fait dans la Lopmi porte sur le numérique. Premièrement, il y a une explosion de la cybercriminalité - des rançons sont, par exemple, demandées à des citoyens ou à des entreprises. Le paradoxe est que les voyous se modernisent beaucoup plus rapidement que nos forces de police. Ce qui était simple avant devient plus compliqué pour ces dernières ; un investissement très significatif est donc effectué pour lutter contre la cybercriminalité. Deuxièmement, il y a une modernisation du numérique pour les agents de l'État, notamment dans les procédures et les outils informatiques. Enfin, nous faisons en sorte d'améliorer le fonctionnement des forces de sécurité vis-à-vis du citoyen, notamment en lui donnant la possibilité de porter plainte en ligne - pour les violences faites aux personnes, notamment.
Je constate par ailleurs que l'enjeu de la drogue reste particulièrement prégnant aujourd'hui. À titre d'exemple, via Cayenne, des mules viennent en nombre par avion pour importer de la cocaïne en provenance du continent sud-américain, le but étant de saturer nos services, puisqu'ils savent que nos forces de police ne peuvent arrêter que trois à quatre mules par vol, en raison des procédures médicales et policières associées. Pendant ce temps, les autres mules peuvent passer. Le procureur de Cayenne a pris des mesures, comme, par exemple, ne plus poursuivre une mule qui transporte une petite quantité, pour essayer d'arrêter ceux qui transportent le plus de drogue. Sur certains vols, il a été constaté que de 25 % à 30 % des passagers ne se présentaient pas lorsque la compagnie aérienne annonçait qu'un contrôle de police serait réalisé au départ.
S'agissant des véhicules, s'il y a une baisse des crédits de renouvellement pour 2023, il faut reconnaître que la police comme la gendarmerie ont bénéficié du plan de relance et ont donc été bien pourvues ces deux dernières années. Je suis toutefois méfiant sur l'effet stop and go : lorsqu'il y a eu une forte dotation, on a tendance à oublier ce poste dans les années qui suivent. Le parc est d'environ 32 000 véhicules pour chacune des deux forces. Le renouvellement est nécessaire : il maintient le parc et l'empêche de vieillir.
Un effort significatif a été effectué récemment pour la gendarmerie nationale, puisque 50 % des véhicules ont été renouvelés en cinq ans, entre 2017 et 2021. Pour autant, nous devons être vigilants, car il s'agit d'un outil essentiel pour la gendarmerie nationale. Une brigade de neuf gendarmes rayonne sur une surface comparable à la ville de Paris.
Toujours s'agissant du fonctionnement, deux autres points sont à noter. Un effort sera réalisé pour l'habillement compte tenu des deux événements internationaux que j'évoquais tout à l'heure. Par ailleurs, un changement est prévu sur la formation, puisqu'elle repasse progressivement à douze mois, contre huit aujourd'hui.
Concernant l'investissement dans l'immobilier de la police nationale - et cela contribue à m'inciter à donner un avis favorable à l'adoption des crédits- les crédits sont supérieurs à ceux de l'année dernière : 74 millions supplémentaires en AE et 56 millions en CP. Pour la police nationale, nous comptons 2 641 sites et 1,3 million de mètres carrés de surface. Le budget tient pour 2023 le rythme qui avait été donné dans le cadre du plan de relance.
Il y a un léger fléchissement pour la gendarmerie, mais elle avait été mieux dotée que la police ces dernières années. Néanmoins, une véritable interrogation politique peut se poser. La Lopmi a prévu la création de 200 nouvelles brigades - le territoire en compte actuellement 3 100. Il y a quelques années, le général Favier m'avait expliqué qu'il était difficile de rigidifier l'implantation des brigades au motif que, souvent, les collectivités territoriales payaient les bâtiments et qu'il n'était donc pas possible de supprimer des effectifs pour mieux les répartir sur le territoire. L'installation d'une brigade se faisait donc sur du long terme et grevait le budget. Ces 200 brigades supplémentaires sont bien accueillies par les territoires concernés et par la gendarmerie, mais en même temps l'immobilier existant se dégrade ; il ne bénéficie pas des crédits d'investissement qui étaient espérés au moment du plan de relance. Il convient donc d'être prudent, car créer des brigades, mais ne pas disposer de budgets d'investissement n'est sans doute pas une bonne orientation. Je vous rappelle en effet que les gendarmes sont logés dans les brigades ou les casernes. Telle est la réserve que j'émets.
Je vous propose donc de donner un avis favorable sur ces deux programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Je tiens tout de même à souligner qu'il n'y a pas dans le budget de réserve pour une augmentation éventuelle des frais d'énergie. Sans doute cela fera-t-il l'objet d'un budget rectificatif.
S'agissant de la sécurité routière et du compte d'affectation spéciale « radars », je vous ferai part d'un point d'attention : le financement des kits de détection de drogues, notamment du cannabis. Dans 13 % des cas d'accidents mortels, il est constaté que les responsables ont consommé de la drogue. Pour l'instant, 500 000 dépistages de drogues sont effectués par an, contre plus de 9,4 millions pour l'alcool.
Par ailleurs, 200 millions d'euros seront investis en 2023 dans les radars, en particulier de nouvelle génération, faisant ainsi passer le nombre de 4 447 radars à 4 600 à fin 2023. Il s'agit d'une source de recettes supplémentaire pour l'État. L'État ne veut pas dépasser le seuil fatidique ou psychologique de 4 700 radars.
Je rappelle également que près de la moitié des départements sont repassés à une limitation de vitesse à 90 kilomètres par heure.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères sur le programme « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités ». - Je saluerai tout d'abord l'augmentation globale des crédits, notamment les 120 millions d'euros dont bénéficieront les systèmes d'information et de communication de la gendarmerie. Cela permettra de poursuivre l'équipement des personnels en téléphone NEO2, qui est devenu un outil de travail essentiel pour l'ensemble de nos gendarmes.
Il faut ensuite se féliciter de l'augmentation des crédits destinés à la création de la future agence du numérique des forces de sécurité intérieure. À ce propos, nous avons été rassurés sur le fait que cette nouvelle agence sera bien construite à partir du service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (Stsisi), qui a fait ses preuves par le passé. En réalité, c'est un véritable retour en arrière par rapport à la réforme de 2020, qui avait créé la direction du numérique du ministère de l'intérieur. Cependant, nous nous en félicitons, car nous avions exprimé de fortes réserves sur cette réforme en son temps.
Concernant l'immobilier domanial, qui est pour nous un sujet de préoccupation récurrent, je redirai ce que nous avons souligné lors de l'examen de la Lopmi : ce texte n'est pas vraiment une loi de programmation, puisqu'il ne présente toujours pas d'échéancier de crédits pour remettre le parc domanial à niveau. Avec 150 millions d'euros en 2023, ce sont environ 25 euros qui seront consacrés à l'État pour chaque mètre carré de caserne. Or, nous estimons qu'il en faudrait quelque 60 par mètre carré. Nous attendons à ce sujet que l'amendement que nous avons déposé, et qui a été adopté dans la Lopmi, prévoyant une remise à niveau pérenne des crédits d'investissement immobiliers, reçoive une traduction concrète de la part du Gouvernement.
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur le programme « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités ». - D'abord, comme l'a dit le rapporteur spécial, ce sont 15 milliards d'euros supplémentaires qui seront attribués à nos forces de sécurité avec la LOPMI. Un effort considérable qui était très attendu, avec notamment la création de postes de policiers et de gendarmes - 950 postes de gendarmes sont prévus pour 2023, avec un montant de crédits supplémentaires de 349 millions d'euros. En outre, il est prévu, pour « mettre plus de bleus dans la rue », d'augmenter les forces de réserve, les faisant passer de 30 000 à 50 000 pour la gendarmerie nationale. Il faudra cependant être vigilants, car nous le savons, à partir du mois d'octobre - et de juillet dans certains départements -, il n'y a plus d'argent pour les financer. Je n'ai pas besoin de le rappeler, mais les gendarmes ont de plus en plus de mal à se loger, les loyers étant très chers, et l'explosion du prix du carburant met encore plus à mal les budgets alloués.
Concernant les 200 brigades qu'il est prévu de créer, je précise que deux tiers d'entre elles seront des brigades fixes et un tiers des brigades volantes. Beaucoup de territoires sont en attente de cette création, quelque 500 gendarmeries ayant été fermées il y a plusieurs années. C'est la raison pour laquelle nous avions voté un amendement lors de l'examen de la Lopmi visant à associer les élus des collectivités locales qui seront sollicitées pour construire les bâtiments. L'État a promis une dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) à un taux pouvant aller jusqu'à 30 % pour les communes de 20 000 habitants et plus.
Pour ce qui est de l'immobilier, nous avons beaucoup insisté sur le fait que, selon les estimations effectuées, le parc immobilier nécessiterait tous les ans 300 millions d'euros ; 100 millions pour l'entretien des casernes existantes et 200 millions d'euros pour la création de bâtiments neufs. Il conviendra également d'être vigilant sur ce point, même si dans l'ensemble ce programme est positif.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. - Je souhaiterais ajouter, concernant les 200 brigades, que les consultations sont déjà lancées sur les territoires par les préfets. Je vous demande donc d'être vigilants, et de vous assurer que les élus locaux y soient associés en amont, en étant à l'initiative des demandes. En effet, j'ai l'impression que les consultations avaient été lancées avant même que la Lopmi n'arrive devant le Sénat.
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial sur le programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». - Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une dotation de près d'1,1 milliard d'euros en AE et de 640,6 millions d'euros en CP sur le programme « Sécurité civile », soit une augmentation substantielle de près de 58 % en AE et de 13 % en CP par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Cette hausse est particulièrement bienvenue, au lendemain d'un été marqué par les feux de forêt d'une ampleur exceptionnelle.
Par ailleurs, ces montants ne prennent pas en compte les annonces du Président de la République le 28 octobre dernier, lesquelles ont donné lieu au dépôt d'un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale, repris dans le texte transmis au Sénat, majorant de 150 millions d'euros en AE et de 37,5 millions d'euros en CP les crédits du programme.
Si les mesures annoncées constituent des avancées à certains égards, on peut toutefois regretter que ces annonces interviennent en plein examen du projet de loi de finances par le Parlement, ce qui nuit considérablement à la visibilité des crédits du programme, d'autant plus que certaines des mesures annoncées entrent en contradiction avec les informations transmises par le ministère de l'intérieur.
Je voudrais tout d'abord m'attarder sur l'enjeu du soutien de l'État en faveur des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), et plus particulièrement sur la concrétisation en 2023 des « pactes capacitaires » qui permettront, dans le cadre de cofinancement entre l'État et les collectivités locales, de porter des projets d'investissement dans des besoins opérationnels des Sdis, qui seront ensuite mutualisés au sein d'une même zone défense de sécurité.
La concrétisation de ces pactes capacitaires doit ainsi être saluée, et fait par ailleurs l'objet d'une attente très forte de la part des Sdis, comme j'ai pu le constater lors de mon déplacement dans les Bouches-du-Rhône.
Le montant initialement prévu pour ces pactes capacitaires, de 30 millions d'euros sur cinq ans pour 100 Sdis, dont seulement 8 millions d'euros en AE et 1 million d'euros en CP pour 2023, apparaissait toutefois particulièrement faible au regard des besoins d'investissement des Sdis. L'enveloppe de 150 millions d'euros ajoutée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale est à cet égard bienvenue, mais s'inscrit dans le cadre de la compensation de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), sur laquelle l'État s'est déjà engagé. On peut donc difficilement présenter cette enveloppe comme un renforcement de l'effort financier de l'État en faveur des Sdis, puisqu'elle repose sur un procédé de budgétisation consistant en réalité à leur réaffecter une recette qui bénéficiait déjà dans les faits à leurs principaux financeurs, à savoir les collectivités locales.
J'en viens maintenant à l'enjeu du dimensionnement et du renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile, qui a été au coeur de l'actualité lors de la saison des feux de cet été.
À cet égard, ce projet de loi de finances constitue une avancée, puisqu'il concrétise le renouvellement de la flotte des hélicoptères Dragons vieillissante, qui avait été amputée ces dernières années de plusieurs appareils, suite à des accidents. Ainsi, l'augmentation des autorisations d'engagement du programme en 2023 est en grande partie portée par la commande de 36 nouveaux hélicoptères, annoncée dans le cadre de la présentation du projet de la Lopmi, et concrétisée dans ce PLF pour 2023 par l'inscription de 471,6 millions d'euros en AE, soit environ 13 millions d'euros par appareil. Ces hélicoptères, contrairement à la flotte de Dragons actuelle, seront équipés d'une capacité de largage d'eau importante et pourraient dès lors utilement être mobilisés pour la lutte contre les feux de forêt.
La saison des feux en 2022 a également souligné la nécessité de compléter et de renouveler la flotte de Canadairs vieillissante. Notre flotte d'avions amphibies bombardiers d'eau devrait ainsi être portée à 16 appareils à l'horizon de 2027, grâce à l'acquisition de deux appareils financés à 90 % par l'Union européenne (UE), puis par l'achat de deux appareils sur fonds nationaux. Nous pouvons toutefois émettre des doutes sur la crédibilité de l'annonce du Président de la République d'un renouvellement intégral des 12 Canadairs existants à l'horizon de 2027. En effet, la chaîne de production des Canadairs vient seulement d'être relancée, et il ressort de mes auditions qu'il est très peu probable que la France puisse obtenir la livraison d'autant d'appareils dans un délai aussi court.
Je tiens enfin à attirer votre attention sur le fait que l'enjeu du renforcement des moyens aériens de la sécurité civile ne peut être envisagé sous le seul prisme capacitaire. Les problématiques de prévention du risque, de gestion des ressources humaines ou encore du dimensionnement des infrastructures nécessaires au fonctionnement opérationnel de la flotte doivent également être prises en considération.
J'ai notamment eu l'occasion de rencontrer, dans le cadre de mon déplacement à Nîmes le 13 octobre dernier, les services de la base aérienne de la sécurité civile (Basc), qui ont indiqué rencontrer des difficultés pour recruter et fidéliser des pilotes de la sécurité civile, dont la rémunération est en moyenne trois fois inférieure à celle des pilotes des compagnies aériennes commerciales. Ainsi, quel serait l'intérêt d'acquérir de nouveaux appareils, si nous ne disposons pas, par ailleurs, des ressources pour les piloter ?
Le présent projet de loi finances prévoit certes des mesures de revalorisation pour les personnels navigants, estimées à 1,5 million d'euros, mais celles-ci devront à l'avenir être doublées d'une véritable stratégie de valorisation du métier de pilote de la sécurité civile.
Je conclurai mon propos en évoquant le projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, NexSIS 18-112. L'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), qui est chargée du projet, nous a fait part de difficultés, qui se sont traduites par des retards importants dans le déploiement effectif de NexSIS. Ces retards ont entamé la confiance des Sdis dans la concrétisation du projet, et ont de fait fragilisé la situation économique de l'agence, puisque les SDIS sont largement impliqués dans le financement de NexSIS par leurs contributions volontaires.
Si le déploiement effectif au sein du Sdis préfigurateur de Seine-et-Marne devrait permettre de rétablir cette confiance, il sera par ailleurs essentiel que les contributions des Sdis soient complétées par un soutien renforcé de l'État en faveur de l'agence, et notamment de ses moyens humains qui apparaissent aujourd'hui bien trop faibles.
M. Michel Canévet. - Je voudrais tout d'abord féliciter les deux rapporteurs spéciaux pour la qualité de leurs exposés qui nous permettent de bien appréhender la situation de deux missions importantes.
Monsieur Vogel, concernant la flotte aérienne, si des engagements ont été pris quant au renouvellement de la flotte d'hélicoptères, qu'en est-il de la flotte d'avions, qui est, elle aussi, vieillissante ? Quel est le facteur limitant à ce renouvellement ? Est-ce l'absence de modèle idéal ou faut-il attendre que l'usine de Canadairs se remette en route ?
J'interrogerai M. Dominati sur les questions liées à la gendarmerie. Les moyens affectés à la gendarmerie pour l'immobilier sont trois fois moins importants par rapport à ceux qui sont dévolus à la police. Cela veut-il dire qu'un effort avait été fait antérieurement ?
Par ailleurs, les écoles de gendarmerie sont-elles bien dimensionnées pour assurer la formation d'un grand nombre de gendarmes ?
Concernant le parc de véhicules, le renouvellement intègre-t-il les préoccupations environnementales ? D'autres modes de propulsion des véhicules sont-ils prévus ?
Mme Isabelle Briquet. - Je remercie les rapporteurs pour tous les éléments d'analyse qu'ils nous ont livrés.
Ma question concerne les gendarmeries, puisque la création de 200 brigades a été annoncée. Le plan de déploiement de ces gendarmeries est actuellement relayé par les préfets dans le cadre d'un appel à projets en direction des collectivités. Je partage l'inquiétude soulevée quant au financement desdites gendarmeries. Si nous ne pouvons que saluer cette annonce d'un plus grand maillage des forces de gendarmerie dans les territoires, les brigades actuelles - au-delà de la question des bâtiments - disposent-elles des moyens humains et matériels suffisants pour mener à bien leurs missions dans de bonnes conditions ?
M. Jean-François Rapin. - Ma question est relative aux effectifs de gendarmerie et de police. Vous avez indiqué, monsieur Dominati, que l'année 2024 sera spéciale, avec notamment les Jeux Olympiques, et elle sera particulièrement tendue pour les forces de sécurité en matière de congés. Vous le savez, en été, les forces de sécurité sont appelées en renfort, à la fois sur nos plages et au sein des pôles touristiques importants. Avez-vous des informations sur la façon dont tout cela sera organisé, sachant que les effectifs seront fortement mobilisés sur les grands événements.
M. Vogel a évoqué son déplacement à Nîmes ; or je pense que nous devons être exemplaires sur la question de la flotte. En effet, Nîmes a fait une demande au niveau européen pour être centre de référence sur la sécurité civile, mais aussi agence de référence au niveau européen pour la sécurité civile. De fait, le discours un peu négatif qui est porté n'est pas forcément bon. En êtes-vous conscient ?
M. Éric Jeansannetas. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour leurs exposés, ainsi que les rapporteurs pour avis de nous avoir éclairés de manière supplémentaire.
Si nous pouvons nous satisfaire des crédits de cette mission, il y a aussi des points de vigilance. Je reviendrai sur le volet immobilier : disposons-nous aujourd'hui d'un état des lieux en termes énergétiques des bâtiments de la gendarmerie nationale et des locaux de la police nationale, qui sont globalement des passoires thermiques ? Il est nécessaire d'avoir des crédits supplémentaires en vue d'investissements importants.
Par ailleurs, une question se pose pour le recrutement et la montée en charge des réserves. L'appareil de formation de la police et de la gendarmerie sera-t-il au rendez-vous ? Un effort budgétaire est-il réalisé en direction des outils de formation ? Avons-nous le personnel nécessaire pour former les gendarmes - nous passons de huit à douze mois de formation avec une ambition assez élevée pour la réserve ?
Enfin, s'agissant de la sécurité civile, vous avez noté que les déclarations du Président de la République sont venues percuter la discussion et la préparation budgétaires. Les Sdis vont être impactés. Le financement est largement assuré par les collectivités territoriales. Avons-nous une idée de l'impact financier sur ces dernières de la nouvelle organisation des Sdis ?
M. Marc Laménie. - Je remercie également nos rapporteurs spéciaux pour leurs exposés ainsi que nos deux rapporteurs pour avis pour leurs remarques judicieuses.
Nos collègues des commissions des affaires étrangères et de la défense ont évoqué le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, avec notamment des moyens financiers supplémentaires et la création de 200 brigades, alors qu'il y a quelques années des brigades ont été fermées dans plusieurs départements. Comment seront choisis les lieux d'implantation de ces brigades et surtout qui sera le maître d'ouvrage pour construire les casernes ? Cela vaut aussi pour la sécurité civile, car nous avons des difficultés à recruter et à fidéliser des sapeurs-pompiers. Comment s'articulera l'attractivité de ces métiers ?
M. Didier Rambaud. - Je souhaiterais également attirer l'attention des rapporteurs sur les conditions de financement des constructions des nouvelles brigades de gendarmerie. En l'espace de huit jours, j'ai rencontré deux maires qui m'ont fait part de leurs difficultés à concrétiser cette construction, alors qu'ils avaient obtenu l'accord de la direction de la gendarmerie.
Nous connaissons le principe : la commune met à disposition le foncier et trouve un bailleur qui construit. Mais il s'avère qu'aujourd'hui les bailleurs se font tirer l'oreille, parce qu'ils n'arrivent pas à équilibrer leur opération, en raison, paraît-il, d'un décret de décembre 2016, qui met en valeur deux points : d'une part, la durée du bail limitée à neuf ans et, d'autre part, le montant trop faible de la location par unité logement, notamment pour les brigades inférieures à vingt unités logement. Ce décret devrait, semble-t-il, être actualisé.
M. Christian Bilhac. - J'évoquerai également l'immobilier, car il reflète l'ambiance dans les casernes : lorsque l'on regroupe deux anciennes brigades, la moitié des gendarmes vit dans des bâtiments neufs, tandis que l'autre moitié vit dans des taudis. Tout l'immobilier que l'État a gardé est en ruines. C'est un constat d'échec. Et si les bâtiments transférés aux collectivités locales sont en bon état, celles-ci ne peuvent pas toujours en supporter le coût.
Les CP sont en baisse. Avons-nous une idée de la masse financière qui serait nécessaire pour arriver à loger dignement nos gendarmes ? Je vous assure que, dans mon département, certains vivent dans des logements indignes, et le fait que d'autres gendarmes vivent dans des logements neufs crée des tensions dans les compagnies.
S'agissant de la sécurité civile, le projet Antares a été un fiasco. Si NexSIS en est un aussi, je ne sais pas ce que feront demain les Sdis quand nous leur dirons que le nouveau modèle de communication ne fonctionne pas ; nous ne pouvons pas nous tromper.
Enfin, concernant la flotte aérienne, je m'interroge : connaissez-vous les raisons pour lesquelles l'Airbus A400M ne peut être utilisé pour lutter contre les feux de forêt ?
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Tout d'abord, s'agissant de la flotte d'avions, nous avons appris que l'industriel ne pouvait relancer la fabrication des Canadairs que s'il avait une commande de plus de vingt appareils, le budget pour relancer la chaîne de fabrication étant de 850 millions d'euros. C'est pourquoi l'annonce qui a été faite d'acheter seize Canadairs d'ici à 2027 n'est pas raisonnable. Si nous nous en procurons deux, voire quatre, ce serait déjà bien.
Par ailleurs, de tels appareils doivent être livrés dans un délai relativement court, car les pilotes formés sur d'anciens Canadairs auraient des difficultés à piloter des avions qui ne seraient pas issus de la même fabrication.
En ce qui concerne la base aérienne de Nîmes, il a été rappelé et acté dans la Lopmi que ce serait bien un hub européen. A priori le ministère chargé de la sécurité civile est propriétaire de surfaces foncières relativement importantes, d'une quarantaine d'hectares. Par contre, nous avons pu constater qu'à certains endroits le tarmac était dégradé. Et la question se pose de savoir qui doit financer la remise en état du tarmac. Il faudrait, en cas d'augmentation du nombre de bombardiers d'eau ou d'avions de la sécurité civile qui seraient stationnés à Nîmes, bénéficier de remises en surface suffisamment importantes pour pouvoir abriter les avions et assurer la maintenance en conditions opérationnelles. C'est la raison pour laquelle il ne faut qu'une seule base de référence et qu'elle soit à Nîmes pour pouvoir assurer la maintenance dans des conditions satisfaisantes, car cela nécessite à la fois de la ressource humaine et des pièces détachées en nombre suffisant. D'ailleurs, un Canadair est resté cloué au sol l'été dernier en raison d'une problématique d'approvisionnement de pièces détachées.
En revanche, il faut soulever les véritables problèmes liés, d'une part, à la ressource humaine et aux pilotes et, d'autre part, à la concurrence qui existe avec la flotte commerciale qui a repris depuis l'apaisement de la crise sanitaire.
L'impact financier des colonnes de renfort sur les Sdis est difficile à évaluer, mais si nous prenons le pacte capacitaire des 150 millions d'euros sur cinq ans, cela fait une moyenne de 30 millions d'euros divisés par 100 Sdis, soit 300 000 euros chacun. L'État les financerait à hauteur de 50 %, et les Sdis prendraient en charge l'autre moitié, l'impact ne serait donc pas très significatif.
S'agissant de la difficulté de recruter des sapeurs-pompiers volontaires, le Président de la République a fait des annonces pour favoriser le volontariat et créer un statut spécifique de sapeurs-pompiers volontaires. Il a aussi fait des annonces sur les conventions de mise à disposition de sapeurs-pompiers volontaires par les employeurs privés qui pourraient être sur une durée plus longue avec une meilleure indemnisation, sachant que, en vérité, le recrutement se fait localement, notamment via les maires et les chefs de centre. Ce n'est donc pas forcément une meilleure indemnisation qui déciderait un employeur à libérer l'un de ses employés qui travaille sur une chaîne de production, si celle-ci devait s'arrêter. Cependant, il faut le dire, certaines annonces sont bien reçues par la fédération nationale des sapeurs-pompiers.
Il est vrai qu'Antares a été un vrai problème, mais ce n'est pas le cas de NexSIS. Le nouveau directeur nous a indiqué que NexSIS irait jusqu'au bout, car il n'y a pas d'autre choix ; NexSIS est un bon système, il doit aboutir et il aboutira. Des engagements de création de postes ont déjà été pris, même s'ils sont encore insuffisants, mais surtout l'État doit soutenir financièrement NexSIS. Ainsi, les Sdis reprendront confiance et accepteront de continuer à le financer sur leur budget - il existe notamment une procédure qui leur permet de participer via leur budget d'investissement, qui est plus souple que le budget de fonctionnement.
Je n'ai donc pas de crainte sur l'aboutissement de NexSIS, mais il ne faudrait pas que le projet prenne du retard, car cela nuirait à sa crédibilité et à la confiance que lui accorderaient les Sdis.
Concernant les Airbus A400M, une très bonne publicité a été faite avec l'atterrissage de l'un d'eux sur une plage bondée. Selon les professionnels, il est nécessaire de les voir en action et non pas uniquement sur des photos de synthèse ou de montage. Mais il semblerait que ces avions ne soient pas totalement au point, et vu les délais nécessaires pour obtenir un Canadair, je ne suis pas certain que ce type d'avion pourrait être, aujourd'hui, disponible et opérationnel pour les pilotes dans les trois ou quatre prochaines années. Sachant que le dernier Dash, le huitième, arrivera l'année prochaine.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas compter que sur les Canadairs ; il faudrait ajouter les Dash, les hélicoptères légers et les hélicoptères lourds qui peuvent contenir une réserve d'eau dans une espèce de big bag important.
Pour revenir à l'A400M, les pilotes que nous avons rencontrés demandent à les piloter en réel pour pouvoir juger, mais il semblerait que, techniquement, ils ne soient pas prêts à servir en tant que bombardiers d'eau.
Je proposerai néanmoins de poursuivre les investigations sur la flotte avionique de bombardiers d'eau, car il semblerait que plusieurs constructeurs soient en capacité de proposer des appareils, alors qu'aujourd'hui nous ne parlons que des Canadairs et des Dash. Cela mériterait peut-être l'organisation de nouvelles auditions.
M. Claude Raynal, président. - Le coût de mise au point d'un avion comme l'A400M sur une application nouvelle est considérable. Et le temps de validation de l'avion dans sa nouvelle configuration est un programme en soi.
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - D'abord, en ce qui concerne les véhicules, les questions d'écologie ne sont pas oubliées. Ainsi, dans le cadre du plan de relance, 2,8 millions d'euros ont été consacrés à l'installation de prises électriques pour la police nationale, par exemple. En outre, un effort important est consenti annuellement pour doter la police et la gendarmerie de véhicules électriques.
Par ailleurs, en matière de moyens humains et matériels, on peut s'interroger sur l'opportunité des créations de brigades. La question se pose depuis des années de revoir la carte des compétences territoriales de la police et de la gendarmerie. Cette dernière, dont les brigades sont souvent situées dans les périphéries de zones urbaines et qui sont de plus en plus confrontées à la criminalité, a besoin d'être renforcée. Cependant, la carte n'ayant pas évolué, nous avons recours à l'installation de brigades, financées par les collectivités territoriales. Le Gouvernement devrait commencer par arbitrer et revoir la carte dans un certain nombre de départements.
M. Claude Raynal, président. - Le ministre Darmanin a dit lui-même à Toulouse qu'il n'en avait pas l'intention.
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - En effet, il a dit que c'était prématuré, comme l'ont fait ses prédécesseurs, alors que ce problème des périphéries est lancinant.
Ensuite, en termes d'investissement immobilier, l'effort fourni n'est pas le même pour la police et la gendarmerie. Certaines régions cherchent à investir dans l'immobilier de la police tandis que dans la gendarmerie, les collectivités territoriales investissent dans les brigades. J'aurais préféré que le budget consacré par la Lopmi à la création des brigades soit dédié à l'investissement, compte tenu de l'état de dégradation de nombreux locaux existants.
Pour donner une idée, en parallèle des 143 millions d'euros d'AE investis dans l'immobilier de la gendarmerie en 2023, le relèvement du point d'indice et les mesures catégorielles représentent à eux seuls un coût de 138 millions d'euros pour elle, sans compter le coût de l'augmentation des effectifs. Cette question des équilibres entre dépenses d'investissement et dépenses de personnel mériterait un vrai débat.
J'avais été frappé il y a quelques années par les arguments fondés du directeur général de la gendarmerie d'alors, le général Favier, expliquant que les petites brigades posaient problème parce qu'elles manquaient d'efficacité opérationnelle, mais qu'il n'était pas possible d'en réduire les effectifs puisque les communes avaient investi. Il aurait donc fallu développer une stratégie de long terme consistant à privilégier les brigades mobiles ou à restreindre le champ des brigades, mais nous avançons dans le sens inverse. Par ailleurs, comme il s'agit de créer 200 brigades, ce qui représente un objectif ambitieux, les difficultés liées au déploiement et aux appels d'offres devraient conduire à l'utilisation de brigades mobiles et à l'usage d'une certaine souplesse.
En 2021 et 2022, la gendarmerie nationale avait bénéficié au titre du plan de relance de 90 millions d'euros d'investissement supplémentaires dans l'immobilier. Cette année, la police rattrape donc un peu la gendarmerie en termes d'investissement immobilier. Le directeur général de la gendarmerie nationale m'assure d'ailleurs être satisfait de ce budget, les moyens étant présents en termes de véhicules, mais aussi de formation, tout en soulignant les enjeux en termes d'immobilier.
L'école des officiers est revenue au système antérieur quant au temps attribué à la formation. En effet, pour accélérer le recrutement et l'entrée en fonction après les attentats, les sessions avaient été raccourcies, et nous reprenons désormais progressivement un rythme plus raisonnable, sur 12 mois.
Pour conclure, j'invite les élus à réfléchir à l'opportunité de la création des brigades, qui est toujours très populaire sur un territoire. Cependant, si une partie de ce budget pouvait être transférée dans l'investissement, ce serait une bonne chose.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Sécurités ».
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Cet article vise à tirer les conséquences des négociations ayant conduit à l'intégration de mesures catégorielles dans les protocoles de mars 2022 dans la police et la gendarmerie nationale. Des primes ayant été prévues concernant les agents de terrain et opérationnels, les personnels de soutien se voient également attribuer une indemnité. Il s'agit d'une indemnité de sujétion spécifique pour les personnels administratifs, techniques et spécialisés de la police nationale et les personnels civils et des corps militaires de soutien de la gendarmerie nationale.
Le présent article prévoit, conformément à ce qu'annonçaient les protocoles, que les personnels concernés admis à faire valoir leurs droits à la retraite à compter du 1er juillet 2023 bénéficient d'un complément de retraite au titre de l'indemnité de sujétion spécifique qu'ils ont perçue au cours de leur carrière.
Si les incidences financières précises de cette disposition n'ont pas été communiquées par le Gouvernement, mon avis est favorable.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 46 ter.
M. Claude Raynal, président. - En ce qui concerne le compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », quel est votre avis, monsieur le rapporteur ?
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Favorable, monsieur le président.
Mme Christine Lavarde. - De mon côté, je suis favorable à une suppression pour des raisons déjà évoquées devant le ministre. Des problèmes insolubles se posent en raison de l'existence de ce CAS.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » (et article 42) - Examen du rapport spécial
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense ». - Les crédits de la mission « Défense » s'élèvent à 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 53,1 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).
Sans compter les pensions et à périmètre courant, les CP progresseraient donc de 3 milliards d'euros, pour s'établir à 44 milliards, dans un strict respect de la marche prévue par la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025. En 2023, les crédits de la mission seraient donc supérieurs de 8 milliards d'euros à ceux de 2019.
Ainsi, d'un strict point de vue budgétaire, la LPM aura été respectée chaque année depuis 2019, ce dont nous nous félicitons. Cependant, si elle est respectée d'un point de vue budgétaire, elle ne l'est pas d'un point de vue capacitaire.
Le prélèvement de 24 avions Rafale d'occasion sur la dotation de l'armée de l'air et de l'espace, pour les besoins d'un export au profit de la Grèce et de la Croatie, constitue à ce titre une profonde remise en cause de l'objectif fixé par la LPM à l'horizon de 2025 pour la flotte de Rafale.
Par ailleurs, dans le cadre de l'actualisation stratégique présentée en 2021, plusieurs ajustements ont été effectués par rapport aux priorités de la programmation initiale, dans un contexte d'évolution des menaces. Le périmètre de cette actualisation représente au moins 3 milliards d'euros, ce qui entraîne des retards dans la mise en oeuvre de plusieurs programmes d'armement. Nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l'évaluent même à au moins 8,6 milliards. Il ne s'agit donc pas tout à fait de l'épaisseur du trait...
Alors qu'une actualisation législative en bonne et due forme se justifiait pleinement, le Gouvernement s'est contenté d'une déclaration devant les assemblées au titre de l'article 50-1 de la Constitution, ce qui ne représente pas une modalité d'association suffisante du Parlement.
Les conséquences de la ponction des 24 Rafale - soit près de 20 % du parc - se font aujourd'hui gravement ressentir sur la capacité de l'armée de l'air et de l'espace à remplir son contrat opérationnel. De plus, elle affecte de façon grave et durable la formation des pilotes de chasse, dont le nombre annuel d'heures de vol passerait de 162 à 147 en 2023, loin de l'objectif fixé par la LPM.
En outre, notre potentiel opérationnel est affecté par la cession de 18 canons Caesar aux forces armées ukrainiennes - soit près du quart du parc de l'armée de terre.
Les commandes de recomplètement de notre flotte de Rafale - pour un montant de plus de 2,5 milliards d'euros - et du parc de canons Caesar - pour près de 80 millions d'euros - sont financées sous enveloppe LPM, dans l'attente de la prochaine programmation annoncée pour le premier trimestre de l'année prochaine.
Cette année, nos armées ont également été mobilisées sur le flanc Est de l'Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). À ce titre, la France intervient notamment comme nation-cadre de la mission AIGLE en Roumanie. Le surcoût de cette projection de nos armées s'élève à près de 700 millions d'euros en 2022 et il est déjà estimé à environ 250 millions d'euros pour 2023. Il doit faire l'objet d'un financement grâce à l'ouverture de crédits dans le cadre du projet de loi de finances rectificative en cours d'examen.
Cependant, comme les années précédentes, les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) - liés notamment à la ré-articulation en cours du dispositif Barkhane au Sahel - seraient financés par des redéploiements internes à la mission, sous enveloppe LPM, contrairement aux dispositions de son article 4. Ces surcoûts représentent près de 400 millions d'euros.
Par ailleurs, l'exercice 2023 sera marqué par l'impact de l'inflation sur le budget des armées, évalué à 1 milliard d'euros. Afin que cet impact ne conduise pas à absorber le tiers de l'augmentation des crédits, le Gouvernement a fait le choix de le financer par reports de charges sur l'année 2024, privilégiant ainsi l'affichage d'un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées. Cette méthode, qui revient à créer de la dette dans la dette, me paraît constitutive d'une forme d'insincérité. À l'heure où le Gouvernement parle d'« économie de guerre » et attend une réactivité accrue de la part des industriels, il paraît malvenu de laisser entrevoir un paiement différé, lui-même générateur d'agios.
En outre, le rapport fait le point sur la disponibilité technique opérationnelle des équipements des trois armées, qui reste globalement en deçà des objectifs, avec un point de vigilance qui perdure s'agissant des hélicoptères de l'armée de terre. Certes, des efforts importants ont été consentis ces dernières années en matière de maintien en condition opérationnelle, notamment grâce à la conclusion avec les industriels de larges contrats verticalisés, dont il conviendra d'évaluer l'efficacité.
Le rôle du budget des armées étant également de préparer l'avenir, je souhaiterais conclure mon propos en évoquant le projet du système de combat aérien du futur (Scaf), lancé en 2017 et mené en coopération avec les Allemands et les Espagnols.
Le projet consiste à rassembler et connecter des moyens de combat, autour d'un nouvel avion de chasse polyvalent et en ayant recours à l'intelligence artificielle. Ce futur avion devra aussi répondre aux exigences opérationnelles des armées françaises puisqu'il devra assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et être « navalisable », c'est-à-dire en mesure de pouvoir apponter sur le nouveau porte-avions.
Toutefois, les négociations ont pris un sérieux retard. Ainsi, l'accord devant fixer le cahier des charges du nouvel avion, en vue du lancement de la phase de démonstration prévue pour l'an prochain, n'a toujours pas été signé.
Chaque jour de retard supplémentaire dans les négociations est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur, alors même que les besoins opérationnels ont été exprimés avec la plus grande clarté par nos chefs d'états-majors.
Dans ce contexte, il me semble nécessaire d'envisager la possibilité d'une alternative nationale au Scaf. Si le « plan A » doit demeurer celui de la poursuite de la coopération engagée, je propose d'adopter un amendement destiné à financer des études supplémentaires pour permettre d'explorer la faisabilité d'un « plan B », qui soit national. Je précise cependant que cet amendement vise avant tout à engager un débat avec le Gouvernement, pour le forcer à se positionner sur le sujet et à s'engager sur un calendrier.
Sous réserve de l'adoption de cet amendement, et à un an d'une nouvelle LPM, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.
M. Vincent Capo-Canellas. - Ma première question concerne la ponction de 24 avions Rafale prélevés sur la dotation de l'armée de l'air ; ce type d'opération est-il habituel ? De plus, vous insistez sur le trou capacitaire qui doit durer jusqu'en 2027 ; comment expliquer que de telles décisions aient été prises ?
Ensuite, au sujet du Scaf, vous semblez à la fois pessimiste et réaliste, ce qui vous pousse à prévoir ce « plan B ». L'espoir de voir aboutir un compromis est-il donc si ténu ?
M. Rémi Féraud. - Je remercie particulièrement M. de Legge de nous avoir éclairés sur l'impact de l'inflation, sur ce qu'il reste des 3 milliards d'euros supplémentaires en 2023 et sur l'effet de cavalerie sur l'année 2024, qui ne pourra pas être reproduit chaque année. Ainsi, entre l'inflation et l'augmentation du coût de l'énergie, nous sommes loin des 3 milliards d'euros prévus.
Par ailleurs, le financement de notre soutien à l'Ukraine reste obscur. Passe-t-il par d'autres voies ? Comment les dons de matériel sont-ils compensés ? De plus, la France est aujourd'hui mise à l'index pour être l'un des plus faibles fournisseurs d'armement à l'Ukraine et le président de la République vient de s'engager à doubler cette aide. Quel sera l'impact sur le budget de la défense pour 2023 et sur les privations de matériel pour nos armées ? Je précise que je ne conteste pas la nécessité d'aider les Ukrainiens en matière d'armement.
M. Jérôme Bascher. - Je ne m'inquiète pas du respect de la LPM, mais celle-ci ne porte visiblement pas le bon nom puisqu'il s'agit en fait d'une loi de moyens. En effet, les programmes sont déprogrammés. De plus, ni les moyens ni l'entraînement des forces ne sont au rendez-vous. Ne faudrait-il pas prévoir une loi de programmation révisée plutôt que de continuer à dire qu'on respecte budgétairement quand on n'atteint pas les objectifs fixés ?
M. Marc Laménie. - Premièrement, les forces militaires participent depuis plusieurs années à la sécurité intérieure dans le cadre de l'opération Sentinelle. Des interventions militaires ont-elles toujours lieu dans ce cadre ? A-t-on une idée de leur coût ?
Deuxièmement, en ce qui concerne la Journée défense et citoyenneté (JDC), le service national universel (SNU) et l'objectif de susciter des vocations chez les jeunes, quelles sont les perspectives d'évolution ?
M. Claude Raynal, président. - Ma question porte sur l'amendement proposé par le rapporteur. Les programmes militaires franco-allemands sont compliqués, dans tous les domaines. Ils prennent souvent beaucoup de temps et n'aboutissent pas toujours. Les Allemands semblent se désintéresser du développement d'équipementiers européens et préférer acheter sur étagère aux Américains. À ce titre, le Scaf ressemble à de nombreux programmes précédents. Depuis 2017, rien n'a bougé et les industriels ne se sont pas mis d'accord. Je suis inquiet pour notre industrie de défense. En effet, les Français semblent bien seuls à soutenir l'idée d'une industrie de défense européenne solide et, sans commande européenne, le marché ne peut se développer. Cependant, j'ai un doute quant à l'idée de remplacer un système franco-allemand en difficulté par un système français, dans l'état de nos capacités budgétaires.
M. Jean-François Rapin. - La France a longtemps connu une position de leadership dans les domaines de l'avionique et de l'espace. Elle devrait avoir la capacité d'entraîner les Européens sur cette question et je regrette qu'elle ne l'ait pas, notamment en ce qui concerne l'espace, domaine dans lequel nous serons bientôt dépassés. Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons plus les moyens de peser et d'exercer un leadership fort.
En ce qui concerne le Scaf, je suis d'accord avec Dominique de Legge : il faut prévoir un plan B. Par ailleurs, cela pourra peut-être stimuler et aider les Allemands à retrouver un chemin européen sur les questions de défense et d'espace.
Mme Christine Lavarde. - Je voudrais profiter de la présence des rapporteurs des missions « Défense » et « Recherche et enseignement supérieur ». À titre d'exemple, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) procède à de la recherche duale, civile et militaire, en matière de nucléaire. Qui porte les dépenses liées à la dissuasion nucléaire ? Les armées ? À combien s'élève le montant consacré à cette politique ? Que représente-t-il par rapport à d'autres investissements ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - D'abord, souvenez-vous des difficultés que nous avions à vendre nos Rafale lors du quinquennat de M. Hollande. Nous étions les seuls à les utiliser et n'étions pas capables d'assurer le maintien de la chaîne sans exporter. Aujourd'hui, nous exportons. De plus en plus de pays se sont intéressés à nos avions et, quand les Grecs et les Croates ont voulu s'en procurer, ils ont demandé si nous avions la possibilité de les vendre moins cher. Ainsi est née l'idée de vendre des avions d'occasion, ce qui devait aussi permettre de produire des avions neufs, pour remplacer les appareils vendus.
Cette manoeuvre pose toutefois une difficulté puisqu'elle empêche d'atteindre les objectifs de la LPM. Le stock de Rafale prévu à horizon de 2025 ne sera donc prêt qu'en 2027, et il faut faire avec ce « trou » capacitaire en attendant. Lors des auditions, nos interlocuteurs ont indiqué que le nombre de nos avions Rafale n'était plus suffisant pour mener à bien à la fois les missions et réaliser nos objectifs d'entraînement des pilotes en termes d'heures de vol. Je ne remets pas forcément en cause cette décision, mais ses effets ont sans doute été sous-évalués et leur impact se fera sentir pendant un certain temps encore.
Pour conclure sur ce sujet, nous allons recevoir environ 1 milliard d'euros de recettes de la vente, dont la moitié serait réinvestie dans la commande de recomplètement par des appareils neufs mais ce dernier représentera un surcoût net de près de 2,5 milliards d'euros, financés sous enveloppe LPM.
J'en viens au Scaf. Il y a deux ans, le président de la République expliquait que l'Otan était en état de « mort cérébrale ». Aujourd'hui, la présence et la réalité de l'Otan est indéniable dans le conflit russo-ukrainien et, après avoir rencontré un certain nombre d'homologues, je me rends compte que plus on avance vers la frontière Est de l'Europe, plus on se sent otanien. Personne n'attend grand-chose des Français et tous pensent que ce sont plutôt les Américains qui les protègeront. L'enjeu est donc de savoir si nous devons garder une industrie de défense qui nous soit propre, mais qui intéresse aussi les Européens ou si, comme le dit le président Raynal, nous décidons d'acheter des F 15 sur étagère. L'enjeu est industriel et économique, mais il s'agit aussi d'autonomie stratégique.
La vision qu'ont les Allemands de la question de la défense est très différente de la nôtre. Alors que nous Français avons une armée de projection, la vision allemande est celle d'une armée de protection, destinée à protéger leur sol et non à se projeter sur des opérations extérieures. D'après ce que je comprends de la situation, les états-majors des deux pays sont à peu près d'accord sur ce qu'il convient de faire. Le blocage se situe au niveau politique : comment exporterons-nous, demain, ce nouvel avion ? Quelle sera sa place dans un système de défense européen ? C'est à cause de ce blocage que je dépose cet amendement, tout en sachant qu'il y a neuf chances sur dix pour que je finisse par le retirer. Je voudrais néanmoins que nous ayons ce débat, qui est essentiel pour notre industrie de défense, pour nos relations avec nos partenaires européens et pour l'avenir même de notre défense.
Je suis toujours très étonné par le discours autour de la « défense européenne ». La défense européenne n'existe tout simplement pas, et n'existera jamais. Nos conditions d'engagement des forces ne sont pas les mêmes. En France, le Président de la République peut décider tout seul d'engager nos forces et peut attendre quatre mois avant de se présenter devant le Parlement pour être autorisé à continuer. En Allemagne, le chancelier doit passer devant le Parlement avant de tirer une cartouche ! En termes de surprise et d'efficacité, ce n'est pas tout à fait la même chose...
Le débat doit avoir lieu et je cherche à le provoquer. Je ne souhaite pas que l'amendement aille au bout et je souhaite que le « plan A » aboutisse. Mais il y a urgence parce que nous devons mener en parallèle le projet de porte-avions de nouvelle génération qui a vocation à remplacer le Charles-de-Gaulle. Les deux projets sont liés puisque le futur avion de combat devra, comme je l'ai expliqué, être en mesure d'apponter sur le nouveau porte-avions. Si la décision politique n'est pas prise maintenant, ce sont l'ensemble de ces projets d'importance majeure pour notre outil de défense qui seront retardés.
Rémi Féraud a posé une question sur l'impact de l'inflation. La marche prévue dans la LPM a été respectée. Nous avions indiqué, lors de l'examen du texte, qu'il ne nous semblait pas raisonnable de prévoir une marche si importante pour les deux dernières années, 2023 et 2024 ; nous aurions préféré lisser davantage la trajectoire. Je dois néanmoins reconnaître que l'augmentation prévue de 3 milliards d'euros est respectée en 2023. Cependant, sur cette progression de 3 milliards d'euros, près de 1 milliard d'euros serait absorbé par l'inflation. Pour y remédier, celle-ci serait financée par un report de charges sur 2024. Cette méthode me gêne puisque, comme je l'ai expliqué, on ne peut pas, d'un côté, demander aux industriels de produire plus vite des canons Caesar et des avions Rafale afin que nous puissions faire remonter nos capacités opérationnelles, tout en leur expliquant que même s'ils produisent plus vite, ils seront payés plus tard.
Par ailleurs, sur le sujet du soutien à l'Ukraine, les 18 canons Caesar coûtent 80 millions d'euros, le fonds de soutien pour l'achat de matériels militaires représente un effort budgétaire de 100 millions et le surcoût 2022 lié aux opérations menées sur le flanc Est sont évaluées à 700 millions d'euros. Ces dépenses devraient être financées par un abondement de crédits sur la mission dans le PLFR de fin de gestion. Hors « Ukraine » le coût global des opérations extérieures, incluant notamment l'opération Barkhane, et des missions intérieures en 2022 est estimé à 1,6 milliard d'euros, soit 400 millions de plus que la provision prévue en loi de finances initiale. Comme les années précédentes, ce surcoût Opex devrait être financé par redéploiements internes au budget des armées.
Quant aux dépenses de recherche financées par la défense, elles s'élèvent à environ 210 millions d'euros, dont une partie est consacrée au CEA pour ses recherches en matière de dissuasion.
J'ai été interrogé sur l'impact de l'opération Sentinelle sur le budget. Le surcoût annuel lié à cette mission est d'environ 100 millions d'euros.
Enfin, sur le SNU et la JDC, nous nous sommes toujours battus pour considérer le SNU comme un service national et non pas un service uniquement militaire, afin que le budget de la défense ne soit pas le seul à le financer. Les militaires confient ne pas avoir de problème, leur contribution passant dans l'épaisseur du trait. En effet, ce ne sont, pour l'essentiel, pas eux qui financent le SNU. Par ailleurs, en ce qui concerne les objectifs, on n'en parle plus beaucoup depuis le covid et je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'une promesse de campagne que l'on cherche à honorer à tout prix.
Article 27
L'amendement FINC.1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Défense », sous réserve de l'adoption de son amendement.
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Je suis favorable à cet article, qui vise à étendre le bénéfice de la majoration de traitement, instituée dans le cadre du « Ségur » de la santé, à l'ensemble des éléments du Service de santé des armées (SSA)
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 42.
La réunion est close à 18 h 45.
Mercredi 9 novembre 2022
- Présidence de Mme Christine Lavarde, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi de finances pour 2023 - Tome II du rapport général - Examen des articles de la première partie
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements du rapporteur général sur les articles de première partie du projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Après avoir eu l'occasion de vous présenter la semaine dernière mon analyse concernant les principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2023, nous examinons aujourd'hui les articles de la première partie.
Comme vous le savez, cette année, la partie « recettes » est particulièrement fournie sous l'effet de deux phénomènes très différents. D'une part, la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) que nous venons de voter entre en vigueur avec ce PLF : désormais toutes les mesures concernant les recettes de l'État figurent en première partie, que leur impact concerne l'année 2023 ou non. D'autre part, et peut-être paradoxalement, le recours à la procédure de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, après plusieurs jours de discussion en séance publique à l'Assemblée nationale, a conduit au fait que le Gouvernement conserve un nombre important de mesures présentées par les députés.
Parmi les 111 articles de la première partie, quelques-uns surtout sont d'importance ou retiendront particulièrement notre attention. Je citerai notamment l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu qui, cette année, prend une ampleur toute particulière puisqu'elle équivaut à 6 milliards d'euros. Mais il y a aussi, bien sûr, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), sur laquelle je reviendrai, ou encore la prorogation de la réduction des tarifs d'accise sur l'électricité, qui constitue l'un des pans du bouclier tarifaire et fiscal qui protège actuellement les ménages.
De nombreux articles ont surtout été introduits dans le texte présenté par le Gouvernement lors de l'engagement de sa responsabilité, comme l'augmentation du plafond pour l'application aux petites et moyennes entreprises (PME) du taux réduit d'impôt sur les sociétés (IS), ou encore deux mesures transposant les décisions prises au niveau européen, dans le contexte de forte inflation des prix de l'énergie, et traduites dans un règlement européen : la contribution temporaire de solidarité sur les secteurs de l'extraction, de l'exploitation minière, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie ; et la rente inframarginale de la production d'électricité.
Évidemment, vous le savez tous, le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale contient aussi un article 14 ter qui comporte un nouveau « filet de sécurité » destiné aux collectivités territoriales faisant face à de grandes difficultés en raison de la hausse des prix de l'énergie en 2023.
Au total, je vous propose aujourd'hui 46 amendements, parmi lesquels figure tout particulièrement le report d'un an de la suppression de la CVAE. En effet, je souhaite toujours que soit poursuivie la baisse des impôts de production dans notre pays, alors que ceux-ci représentent encore, en 2022, 5,6 % de la valeur ajoutée des entreprises, soit le niveau le plus élevé d'Europe.
Pour autant, il faut se laisser le temps de faire cette réforme, pour plusieurs raisons.
D'abord, la priorité, actuellement, est de protéger les ménages, les services publics et notre tissu économique contre les ravages de la hausse des prix de l'énergie. L'évolution des tarifs est considérable, et nous connaissons tous, dans nos régions, des entreprises, des établissements agricoles, des collectivités qui se demandent comment elles vont faire pour passer l'hiver et poursuivre leurs activités. Des mesures de soutien aux entreprises face à cette hausse des prix doivent être privilégiées, tout en gardant à l'esprit la forte dégradation de nos comptes publics.
Ensuite, comme souvent, la réforme n'est pas prête. En particulier, le dispositif de compensation n'est pas abouti, les discussions avec les associations d'élus se poursuivent concernant les modalités de territorialisation de la dynamique de la TVA. Il est indispensable de maintenir le lien entre le dynamisme économique des territoires et les ressources fiscales des collectivités territoriales.
Au vu des enjeux majeurs de définition des critères de répartition de la dynamique, la mise en place du nouveau système semble donc prématurée sous peine d'engendrer d'importants effets de bord sur les ressources des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Sans compter que certains sujets essentiels ne sont pas traités, parmi lesquels la question de la métropole du Grand Paris ou celle de l'impact de la réforme dans le calcul des différents indicateurs financiers entrant notamment en compte dans les mécanismes de péréquation.
Sans revenir sur le principe de la suppression de la CVAE et de la compensation définie par l'article 5, je propose de décaler d'un an la mise en place de la réforme, la CVAE serait donc supprimée en deux temps à partir du 1er janvier 2024. Cela permettrait de caler au mieux les conséquences de cette suppression et de concentrer les efforts de l'État sur la protection des acteurs économiques face à la crise énergétique, tout en restant attentif à la situation des comptes publics.
Je propose également une clause de revoyure, en prévoyant que le mécanisme de reversement du fonds national d'attractivité économique des territoires soit défini en loi de finances, et non par un simple décret.
J'indique que je souhaite réserver à la semaine prochaine le vote de trois articles, pour des raisons différentes.
Tout d'abord, il s'agit de l'article 14 ter, relatif au filet de sécurité des collectivités locales confrontées à la hausse des prix de l'énergie. Le dispositif s'adresse potentiellement à toutes les collectivités territoriales : bloc communal, départements, EPCI et régions. Pour pouvoir y prétendre, une collectivité doit satisfaire à trois conditions d'éligibilité : en premier lieu, un critère de potentiel financier ; en second lieu, un critère de perte d'épargne brute en 2023, avec un seuil proposé à 25 % ; et enfin, en troisième et dernier lieu, un critère qui constitue la principale originalité du dispositif. Pour en bénéficier, il faudra que le montant de la hausse en 2023 des dépenses d'électricité, d'énergie et de chauffage urbain de la collectivité au titre du budget principal et des budgets annexes soit supérieur à un seuil fixé à 60 % de la hausse de ses recettes de fonctionnement en 2023.
D'après le chiffrage du Gouvernement, le coût total de ce prélèvement sur recettes (PSR) serait de 1,5 milliard d'euros. Il repose toutefois sur des hypothèses extrêmement fragiles. Il est vrai que nul ne peut, aujourd'hui, prédire la hausse du coût de l'énergie en 2023, mais quand bien même les hypothèses du Gouvernement s'avéreraient parfaitement justes, le coût serait bien inférieur à 1,5 milliard d'euros, et ce pour une raison simple : le texte transmis au Sénat intègre, en deuxième partie, une majoration des crédits de la mission « Écologie » pour financer un « amortisseur électricité », destinée à bénéficier aux entreprises et aux collectivités territoriales. Le coût de ce second dispositif pour les collectivités territoriales serait de 1 milliard d'euros, sur une enveloppe de 3 milliards d'euros.
Ce dispositif, qui doit permettre de limiter les dépenses d'électricité, aura nécessairement un impact sur le filet de sécurité énergie. Contrairement à ce que dit le Gouvernement, les deux dispositifs ne devraient pas conduire à une enveloppe totale dépensée à hauteur de 2,5 milliard d'euros, dans la mesure où l'amortisseur viendra minorer les montants qui seront engagés pour le filet de sécurité.
Compte tenu de ces évolutions très récentes, il m'est apparu nécessaire de vous proposer de réserver notre position sur l'article 14 ter, et de poursuivre nos travaux dans la semaine qui vient, d'autant qu'à la demande du président Larcher, nous avons lancé la semaine dernière une consultation des élus locaux, sur la plateforme dédiée du Sénat, au sujet des conséquences pour leur collectivité ou leur groupement des prix de l'énergie. Une semaine de plus nous permettra peut-être de disposer d'éléments intéressants pour proposer des modifications au dispositif. En particulier, avec l'acompte sur le premier filet de sécurité, nous pouvons déjà avoir un aperçu des collectivités qui en bénéficieront.
Dans cette attente, je suis à l'écoute de vos observations éventuelles. Plusieurs questions de principe doivent en effet être tranchées : quelle enveloppe viser ? Doit-on privilégier de toucher un maximum de collectivités territoriales avec le risque de verser des montants plus faibles de dotation, ou alors mieux cibler pour permettre un soutien plus important ? Une certaine humilité s'impose néanmoins, car, comme je l'ai expliqué, cet exercice de calibrage ne peut reposer que sur des hypothèses très incertaines.
Ensuite, je propose également de réserver l'examen de l'article 18, relatif à la fixation pour 2023 de la fraction du produit de TVA transférée à l'audiovisuel public.
En effet, il s'agit de la première application des dispositions que nous avons votées l'été dernier, avec la suppression de la contribution à l'audiovisuel public. Aucune réforme n'a accompagné la suppression de cette recette. Le Gouvernement n'a pas bougé, malgré les nombreux travaux sur lesquels il pourrait s'appuyer, comme l'excellent rapport d'information de notre collègue Roger Karoutchi. Je ne comprends pas cette inertie, alors que c'est le parfait exemple de réforme structurelle qui devrait être menée. Aussi, je pense à réduire la dotation allouée dans le cadre de cet article, mais je me laisse encore quelques jours de réflexion et de travail.
Enfin, je m'interroge encore sur l'article 10 octodecies qui porte une demande d'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour modifier l'article 60 du code des douanes, relatif au droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes. En effet, les dispositions de l'article 60 ont été déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans une décision de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de septembre dernier. Au regard des enjeux en matière de conciliation entre, d'une part, la lutte contre la fraude et la recherche des auteurs d'infraction, et, d'autre part, la protection des droits et libertés, il n'est pas sérieux de légiférer par ordonnance. Je souhaite donc vous proposer un dispositif inscrit dans la loi, mais j'ai besoin d'un peu plus de temps pour répondre efficacement aux objections énoncées par le Conseil constitutionnel. C'est donc le troisième article pour lequel je vous propose de réserver notre vote.
Enfin, je vous annonce d'ores et déjà que je vous présenterai également, d'ici à la séance, des amendements permettant de concrétiser les recommandations de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
M. Arnaud Bazin. - Je suis favorable au report de la suppression de la CVAE, mais certaines communes ont fait des investissements et en attendent un juste retour. J'aimerais donc savoir comment le fonds de compensation fonctionnera. La trajectoire d'évolution de la CVAE sera-t-elle prise en compte ?
Deux dispositifs vont coexister pour aider les collectivités à faire face au surcoût énergétique : un nouveau filet de sécurité et un « amortisseur électricité ». Comment s'articuleront-ils ? Selon quelles modalités ?
M. Pascal Savoldelli. - Pourrions-nous disposer d'une étude d'impact sur le premier filet de sécurité qui a été mis en place cet été et qui est doté de 350 millions d'euros ?
Vous proposez de reporter la suppression de la CVAE d'un an. Souhaitez-vous pour autant en conserver le taux ?
Que pensez-vous d'une indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l'inflation ? Enfin, seriez-vous favorable au retour d'une exit tax, une imposition sur les plus-values latentes mobilières en cas de départ à l'étranger ?
M. Roger Karoutchi. - Le Gouvernement a eu recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution et ne semble guère coopératif. Il prend des engagements en séance ou lors des questions d'actualité au Gouvernement, mais ne les tient pas dans la pratique. Il choisit le texte qui sera adopté et a seul la main. Avez-vous décelé des ouvertures de sa part ? Si l'on sait qu'il n'a pas l'intention d'accepter nos propositions, la nature du débat change ! M. Philippe Dominati. - Je ne comprends pas le report de la suppression de la CVAE : cette mesure plutôt de gauche sera difficilement compréhensible pour certains électeurs ! Doit-on en conclure que vous avez eu des contacts avec le Gouvernement ?
M. Claude Raynal, président. - J'irai dans le sens inverse de Philippe Dominati ! Tout dépend de notre capacité de négociation : si le Gouvernement ne fait pas preuve d'ouverture, mieux vaudrait voter l'annulation de la suppression de la CVAE. Les associations d'élus sont opposées à la suppression de la CVAE. Un report d'un an est un non-choix qui ne satisfera personne.
Mme Christine Lavarde. - Le Gouvernement a calculé que la suppression de la CVAE, avec une compensation sur la base de la moyenne des trois dernières années, permettrait de dégager un gain budgétaire qu'il a déjà prévu d'utiliser notamment pour créer le fonds vert doté de 500 millions d'euros. Nous devons dénoncer ce recyclage de crédits, qui sont d'ailleurs déjà fléchés vers des programmes d'État, sur lesquels les collectivités n'auront aucune prise.
M. Claude Raynal, président. - Merci d'avoir rappelé qu'une compensation à l'euro près aurait coûté au moins 500 millions d'euros de plus.
M. Daniel Breuiller. - Je rejoins les propos de M. Karoutchi. Il faut savoir si notre travail pourra être fructueux, ou si le Gouvernement a déjà tout décidé !
Le Gouvernement a retenu à l'Assemblée nationale un amendement de Julien Bayou sur les huiles de friture, mais il a repoussé un autre amendement des écologistes sur la rénovation thermique des bâtiments. C'est dommage. Une marge de négociation existe-t-elle ? Elle ne saurait se résumer en tout cas à l'acceptation de quelques amendements ici ou là. Le Gouvernement devrait plutôt se nourrir du débat parlementaire pour réaffirmer des priorités pour la nation. L'article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques, que nous avons massivement rejeté, revient sous la forme d'un article 40 quater dans le projet de loi de finances. Toutes les associations d'élus y sont opposées. Et quel mépris pour le Parlement !
Je ne comprends pas la position de Philippe Dominati sur la CVAE : je croyais que la droite était attentive à l'équilibre des comptes de la Nation ! Or, la suppression de la CVAE coûtera à l'État 8 milliards d'euros liés aux recettes de cet impôt qui ne seront plus perçues, pendant que la TVA, qui sera affectée aux collectivités territoriales pour la remplacer en compensation, ne servira plus, quant à elle, pour couvrir une autre dépense de l'État. Notre pays n'a pas les moyens de faire de tels cadeaux !
M. Marc Laménie. - Quelle sera l'évolution de la DGF en 2023 ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Chacun souhaite que la suppression de la CVAE donne lieu à une juste compensation. C'est l'une des raisons pour lesquelles je propose de reporter d'un an la réforme. Le niveau des prélèvements obligatoires est trop important ; cela nuit à la compétitivité économique de notre pays, y compris par rapport à nos voisins européens. Il me semble fondamental de soutenir notre compétitivité, mais la violence et le caractère inattendu de la crise de l'énergie, que nous traversons, nous imposent de définir des priorités. Les associations d'élus travaillent avec le Gouvernement, mais la réforme n'est pas mûre, car toutes les garanties et compensations n'ont pas encore été apportées. La suppression de cet impôt ne sera acceptée que si elle s'accompagne de mesures de compensation équitables. Le Sénat est prêt à participer à la réflexion.
En ce qui concerne la protection face au surcoût de l'énergie, le premier mécanisme qui interviendra sera l'« amortisseur électricité », qui vise les entreprises comme les collectivités territoriales ; ensuite, le filet de sécurité prendra le relais pour les collectivités, mais ses modalités sont trop complexes. Je plaide pour un dispositif simple et large, car beaucoup risquent d'être durement touchées. Celles qui bénéficient du tarif réglementé de l'électricité seront relativement protégées, mais pour les autres la situation sera difficile. Certaines communes ont été écartées du premier filet de sécurité, alors même qu'elles avaient fait des choix vertueux sur le plan énergétique ou qu'elles avaient une bonne gestion. Il faut un dispositif équitable, notamment pour celles qui assument des fonctions de centralité : sinon, elles risquent de fermer des équipements indispensables à toute la population.
Nous devons donc trouver un mécanisme équitable pour protéger les services publics du quotidien des communes, en première ligne pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Monsieur Savoldelli, il est trop tôt pour procéder à une évaluation du premier filet de sécurité. Des acomptes commencent à être versés aux communes les plus exposées. Ce dispositif est doté non pas de 350 millions d'euros, mais de 430 millions d'euros. Je pense que le nombre de communes bénéficiaires sera moindre qu'escompté, mais l'enveloppe globale sera probablement supérieure à 430 millions d'euros.
Vous évoquez une indexation de la DGF sur l'inflation, ce n'est pas le choix que je propose, non par dogmatisme, mais pour des raisons d'efficacité et d'équité. Nous devons mieux cibler les mesures en période de crise. Une mesure universelle ne serait ni efficace ni équitable.
M. Karoutchi m'a interrogé sur l'état d'esprit du Gouvernement. C'est nébuleux, le Gouvernement demande aux collectivités de réduire leurs dépenses de fonctionnement de 0,5 % par an en volume, mais l'État augmente les siennes ! Bruno Le Maire avait indiqué, lors de l'examen de la loi de programmation des finances publiques au Sénat, que notre proposition était juste et honnête ; on aurait pu s'attendre à un geste, mais à peine l'article 23 a-t-il été rejeté que le Gouvernement revient à la charge par le biais de l'article 40 quater introduit dans le projet de loi de finances, pour imposer un cadre contraignant aux finances locales, ignorant le principe de la libre administration des collectivités territoriales. J'ai clairement indiqué au Gouvernement qu'il s'agissait pour nous d'une ligne rouge. Les contrats de Cahors ont produit des effets, certes, mais ils ont été suspendus pendant la crise covid et cela n'a pas empêché les collectivités de rester vertueuses. On peut donc douter de leur nécessité. D'ailleurs, les collectivités territoriales qui ne les avaient pas signés ont eu des résultats comparables aux autres : cela montre bien que les collectivités savent être raisonnables ; elles ne contribuent que peu à la dette de la France. Le Président de la République avait annoncé une nouvelle méthode. Le Gouvernement parle d'un pacte de confiance, mais la manière avec laquelle il procède n'y contribue pas.
Monsieur Dominati, notre pays est celui qui a le niveau de dépenses publiques et de dettes le plus élevé en Europe. Il convient de le réduire. N'oublions pas non plus la dette climatique. Nous ne parviendrons à réduire cette dernière que si nous associons tous les acteurs. La Banque centrale européenne (BCE) a reproché aux banques de ne pas en faire assez à cet égard. Si le secteur privé s'engageait, nous pourrions avancer. Il est vrai que le contexte international risque de peser sur l'attitude de l'opinion publique quant à l'acceptabilité d'un effort en ce domaine. J'observe en tout cas que ce sont les mêmes qui se plaignent des efforts demandés et qui, en cas d'aléa climatique ou de sécheresse, se tournent vers l'État ou les assurances !
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à la présentation des amendements proprement dits.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 3 ter
L'amendement de précision FINC.1 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'article 3 septies prévoit la prolongation de plusieurs dispositifs de défiscalisation outre-mer arrivant à échéance entre le 31 décembre 2023 et le 31 décembre 2025. Or, le II de l'article précise que la prolongation entre en vigueur le 1er janvier 2026. Dans la mesure où le dispositif fiscal prévu à l'article 199 undecies A s'achèvera le 31 décembre 2023, sa prolongation doit intervenir dès le 1er janvier 2024 et non le 1er janvier 2026. L'amendement FINC.2 vise donc à corriger cette erreur. Par ailleurs, la prolongation de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts, relative aux investissements productifs neufs, est prévue par l'article pour les seuls départements d'outre-mer (DOM) et Saint-Martin. Elle n'est en revanche pas prévue pour les autres collectivités d'outre-mer. Mon amendement prévoit de les inclure dans la prolongation.
L'amendement FINC.2 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cet article comporte des dispositions redondantes avec celles qui sont prévues à l'article précédent. L'amendement FINC.3 vise à le supprimer.
L'amendement FINC.3 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.4 vise à porter de 25 % à 30 % le taux bonifié transitoire applicable aux souscriptions en numéraire au capital des petites et moyennes entreprises non cotées - dispositif Madelin -, des entreprises solidaires d'utilité sociale et des foncières solidaires. Cela correspond au niveau maximum prévu par les lignes directrices de la Commission européenne en la matière. L'évaluation de ces dispositifs, prévue par le présent article et dont il est proposé de renforcer le contenu par l'amendement FINC.5, permettra de mesurer les effets de cette bonification.
L'amendement FINC.4 est adopté, de même que l'amendement FINC.5.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.6 vise à supprimer cet article qui prévoit d'imposer aux contribuables bénéficiaires du crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile d'indiquer, dans leur déclaration d'impôt sur le revenu, les services au titre desquels ils ont versé les sommes ouvrant droit au bénéfice du crédit d'impôt. Cela va à l'encontre de la simplification recherchée depuis des années !
Mme Christine Lavarde. - Ces précisions sont inutiles en effet. Les personnes qui ont recours au chèque emploi service universel (CESU) doivent déjà préciser la nature de l'emploi occupé.
L'amendement FINC.6 est adopté.
Article 3 quaterdecies
L'amendement de coordination FINC.7 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.8 vise à supprimer cet article, qui permet de soumettre les cessions des entreprises individuelles ayant opté pour l'impôt sur les sociétés au régime prévu pour la cession des droits sociaux.
Rien ne justifie que la possibilité, pour les entreprises individuelles, d'opter pour l'impôt sur les sociétés doive entraîner parallèlement l'application du régime d'imposition des cessions de droits sociaux au moment de la cession de l'entreprise individuelle, d'autant que les droits d'enregistrement sont payés par les acquéreurs.
J'ajoute que le dispositif est imprécis. D'une part, l'article n'indique pas lequel des trois taux applicables pour l'imposition des cessions de droits sociaux doit être retenu s'agissant de la cession des entreprises individuelles. D'autre part, une difficulté pourrait apparaître s'agissant de l'assiette de la cession. En effet, dans la mesure où les entreprises individuelles ne disposent pas de capital social, mais d'un patrimoine professionnel composé notamment du fonds de commerce, il paraît hasardeux de soumettre leur cession à une taxation dont l'assiette est justement constituée par le prix d'un capital social.
En outre, il convient de préciser que l'entrepreneur individuel peut déjà passer par une « mise en société » et qu'il pourrait se voir appliquer l'article 726 du code général des impôts au moment de la cession de tout ou partie de ses parts sociales.
L'amendement FINC.8 est adopté.
Article 3 septdecies
L'amendement de coordination FINC.9 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'article 793 du code général des impôts prévoit une exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit en faveur des biens ruraux loués à long terme, ou par bail cessible hors du cadre familial, ainsi que des parts de groupements fonciers agricoles. Cette exonération n'est applicable qu'à concurrence des trois quarts de la valeur des biens. Lorsque cette valeur excède 300 000 euros, l'exonération de 75 % est ramenée à 50 % pour la fraction de la valeur des biens excédant cette limite. En outre, le donataire ou héritier doit conserver le bien pendant cinq ans. L'article 3 septdecies tend à augmenter à 500 000 euros la limite jusqu'à laquelle l'exonération de 75 % s'applique, à condition de conserver le bien cinq ans de plus, soit dix ans au total.
Afin de favoriser la reprise des baux ruraux à long terme par les jeunes agriculteurs et de soutenir un secteur essentiel de notre économie, je propose, avec l'amendement FINC.10, de réduire à trois années la durée de conservation supplémentaire permettant de bénéficier du taux maximal d'exonération jusqu'à 500 000 euros. Une obligation de conservation sur huit ans paraît suffisante.
L'amendement FINC.10 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les dépenses d'innovation sont exclues du calcul de l'intensité de la dépense permettant d'être éligible au dispositif des jeunes entreprises innovantes (JEI). En effet, seules les dépenses de recherche, au sens de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont prises en compte. Alors que l'exonération de cotisations sociales sur les salaires inclut les rémunérations versées aux personnels chargés des tests préconcurrentiels, des opérations de conception de prototypes ou des installations pilotes de nouveaux produits, il semble légitime d'aligner le régime d'éligibilité aux JEI sur le même champ. C'est l'objet de l'amendement FINC.11. Un rapport remis au Parlement par le Gouvernement recommande la mise en oeuvre de cette mesure, dont le coût est estimé à 25 millions d'euros.
L'amendement FINC.11 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'article 4 quinquies concerne l'impôt sur le revenu des indemnités des députés européens.
M. Jean-François Rapin. - Quel est l'objet de cet article ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'article tire les conséquences d'une décision du Conseil d'État.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.12 vise à rehausser le plafond des bénéfices des PME soumis au taux réduit de 15 %. Ce plafond a été fixé à 38 120 euros lors du passage à l'euro et n'a pas été réévalué depuis. L'Assemblée nationale a proposé de porter ce plafond à 42 500 euros lors de son examen du projet de loi de finances pour 2023. Le présent amendement propose la fixation d'un plafond plus cohérent, en le portant à 51 530 euros, soit en fonction de l'évolution de l'inflation. Il apparaît indispensable de soutenir le tissu des PME, aujourd'hui fragilisé, en améliorant leur rentabilité financière et en facilitant leurs projets d'investissements.
Par ailleurs, la loi de finances pour 2021 a relevé de 7,63 millions à 10 millions d'euros le seuil de chiffre d'affaires en deçà duquel une PME applique un taux réduit d'impôt sur les sociétés pour une fraction de son bénéfice ; mais elle n'a pas aligné le seuil de chiffre d'affaires à la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés. L'idée est donc de réaliser cet alignement des dispositifs, avec un plafond identique fixé à 10 millions d'euros.
L'amendement FINC.12 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.13 prévoit de supprimer l'extension du crédit d'impôt audiovisuel à l'adaptation audiovisuelle de spectacles, mise en place dans le cadre du plan de relance. Nous ne sommes plus dans le temps du plan de relance, et d'autres dispositifs existent par ailleurs.
L'amendement FINC.13 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.14 prévoit de proroger la déduction spéciale appliquée aux entreprises uniquement pour l'acquisition d'instruments de musique. Cela semble moins justifié pour les oeuvres d'art originales, d'autant que d'autres dispositifs de soutien existent. Pour donner un ordre d'idée, le montant minimum pour un violon adapté à la pratique d'un étudiant de niveau cycle III du Conservatoire national de Paris s'élève à 15 000 euros.
L'amendement FINC.14 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.15 s'inscrit dans la logique de présentation d'évaluation des dépenses fiscales lorsqu'elles sont prorogées.
L'amendement FINC.15 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La question du malus écologique concernant un certain nombre de véhicules utilisés par les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) avait été abordée dans le cadre de la discussion du premier projet de loi de finances rectificative pour 2022 (PLFR) cet été. L'amendement FINC.16 vise à exonérer les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et les associations affiliées à la Fédération nationale de Protection Civile de la taxe sur les émissions de dioxyde de carbone des véhicules de tourisme (malus écologique) et de la taxe sur la masse en ordre de marche des véhicules de tourisme (malus au poids).
L'amendement FINC.16 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Représentant une dépense fiscale de 15 millions d'euros en 2022 et 2023, le crédit d'impôt pour les dépenses de production de spectacles vivants musicaux et de variétés faisait suite à un aménagement de la loi de finances pour 2021, au plus fort de la crise sanitaire.
Un certain nombre d'incertitudes entourent encore la reprise de l'activité. La situation, contrastée selon les territoires et les types de salles, nous a conduits à réfléchir sur la nécessité de prolonger ce dispositif dérogatoire, au risque de créer un effet d'aubaine et connaissant les aides budgétaires existant déjà dans le cadre du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps).
Le Fonds devrait être doté d'un peu plus de 30 millions d'euros en 2023, soit 7 millions d'euros de plus qu'en loi de finances pour 2022. Ce montant reste inférieur aux exécutions passées, puisque les crédits consommés devraient atteindre 56 millions d'euros. Une logique de double guichet et un effet d'aubaine sont à craindre. Compte tenu de ces éléments, l'amendement FINC.17 propose de supprimer l'article, le coût du maintien des dérogations n'étant, par ailleurs, pas chiffré.
M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, je vous trouve un peu sévère, monsieur le rapporteur général. La situation du spectacle vivant est loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant 2019. Il n'est peut-être pas très adroit de proposer cet amendement, alors que le secteur connaît encore de grandes difficultés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'entends votre remarque, monsieur le président, mais il y a déjà beaucoup d'aides...
M. Claude Raynal, président. - Elles sont nécessaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous devons éviter l'accumulation de dispositifs.
M. Claude Raynal, président. - Le spectacle vivant coûte, mais il rapporte aussi beaucoup, au niveau du tourisme notamment.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je partage l'avis du président Raynal.
L'amendement FINC.17 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.18 propose plusieurs aménagement au crédit d'impôt en faveur de la rénovation énergétique dans les PME, qui a pris fin le 31 décembre 2021 après un peu plus d'un an d'application et que l'article 4 novodecies propose de proroger pour deux ans. Dans le détail, l'amendement prolonge d'une année supplémentaire, soit jusqu'à fin 2025, l'éligibilité des dépenses au crédit d'impôt, afin de laisser le temps aux entreprises de s'approprier le dispositif, voire de procéder à une seconde vague de travaux pour celles qui auraient déjà commencé.
L'amendement relève également le plafond du crédit d'impôt de 25 000 à 50 000 euros pour inciter à la réalisation de travaux de rénovation énergétique d'ampleur.
Enfin, il conditionne le bénéfice du crédit d'impôt à des critères de performances minimales des travaux et équipements, définis par arrêté ministériel. Il s'agit de mieux soutenir les entreprises concernées, avec une dépense efficace pour la consommation énergétique. La perte de recettes devrait rester limitée, puisque la dépense fiscale est estimée à moins de 20 millions d'euros en 2021 et en 2022.
M. Arnaud Bazin. - Je me réjouis de cet amendement qui améliore la rédaction de celui que j'avais proposé l'année dernière. Les entreprises ont disposé de seulement six mois après la parution du décret pour faire le nécessaire, ce qui était ridicule. Si un arrêté ministériel est décidé pour fixer les performances auxquelles doivent répondre les travaux, il ne faudrait pas que la même chose se reproduise et que cela paraisse trois mois avant la fin du dispositif.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La fin du dispositif est prévue pour le 31 décembre 2025. Le Gouvernement semble vouloir accélérer les projets. On a jeté beaucoup d'argent par les fenêtres, comme on l'a vu avec le dispositif MaprimeRenov'. Il s'agit, encore une fois, de soutenir et d'être efficace.
L'amendement FINC.18 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'article 5 a pour objet la suppression de la CVAE. Sept amendements sont proposés sur cet article, dont plusieurs sont rédactionnels.
Par l'amendement FINC.19, nous voulons ne pas préjuger de l'utilité ou de l'inutilité des déclarations faites par les entreprises et de la transmission de cette information aux collectivités avec la possibilité de prendre en compte les effectifs salariés comme critère de territorialisation du futur fonds d'attractivité économique. L'idée est de maintenir, cette année encore, les choses en l'état, et nous verrons ensuite, en fonction du dispositif qui sera retenu, comment on ajustera les choses.
L'amendement FINC.23 décale d'un an la suppression de la CVAE.
L'amendement FINC.25 ne se satisfait pas d'un décret et propose un passage en loi de finances.
L'amendement FINC.19 est adopté.
L'amendement rédactionnel FINC. 20 est adopté.
L'amendement rédactionnel FINC.21 est adopté.
L'amendement rédactionnel FINC.22 est adopté.
L'amendement FINC.23 est adopté.
L'amendement rédactionnel FINC.24 est adopté.
L'amendement FINC.25 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.26 propose de regrouper les dispositions de l'article 5 sexies et de l'article 10 septies, ce dernier devant en conséquence être supprimé.
L'amendement FINC.26 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.27 propose de mettre de la cohérence dans les durées de dépenses fiscales et de se conformer à ce que nous avons voté lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, en limitant à trois ans, soit jusqu'en 2025 - plutôt que 2026 -, la durée de prorogation de l'extension de 10 ans de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles à caractère social.
Avec l'amendement FINC.28, l'idée est d'exonérer de la taxe d'aménagement les places de stationnement extérieures non-artificialisées, conformément à l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) et, dans un premier temps, à l'objectif de réduction de l'artificialisation fixé par la loi Climat et résilience d'août 2021.
Enfin, l'amendement FINC.29 supprime l'alinéa 56 concernant la mise en place du « rétrofit », ce dispositif consistant à remplacer le moteur thermique, à essence ou diesel d'un véhicule par un moteur électrique à batteries ou à hydrogène.
Si le « rétrofit » présente un intérêt indéniable et contribue au verdissement du parc de véhicules, je m'interroge sur la pertinence de l'intégrer au dispositif de prêt à taux zéro (PTZ). Le coût du « rétrofit » est estimé, en moyenne, à 8 000 euros pour un véhicule particulier - un montant bien inférieur à celui de l'acquisition d'un véhicule neuf. En outre, il existe déjà un bonus en faveur de ce procédé de conversion de motorisation à hauteur de 2 500 à 5 000 euros, ciblé sur les ménages modestes.
Le dispositif n'en est aujourd'hui qu'à ses balbutiements. En dehors des deux roues, seuls deux véhicules ont été homologués : la 2CV et la 2CV fourgonnette. Quoi que l'on pense de l'esprit, la pratique du « rétrofit » ne semble pas avoir atteint un niveau de maturité ; quand il sera atteint, nous adapterons le dispositif.
M. Claude Raynal, président. - Ma question porte sur l'amendement FINC.28 et l'exonération de taxe d'aménagement pour les places de stationnement extérieures non artificialisées. Cela ne revient-il pas à priver les collectivités territoriales de recettes ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - À un moment, il s'agit de privilégier certains dispositifs et de répondre aux préoccupations exprimées dans la démarche ZAN. L'idée, comme nous le faisons depuis déjà plusieurs années, est d'encourager les collectivités dans leurs efforts de verdissement des dispositifs, de récupération d'eau, d'assainissement.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je suis très surprise par l'amendement FINC.29. Contrairement à votre analyse, je pense que le « rétrofit » est en plein essor. Envoyer un tel signal ne correspond pas du tout au sens de l'histoire.
M. Daniel Breuiller. - Mon interrogation porte sur l'amendement FINC.27. Dans l'état où se trouve le logement social et sachant la difficulté d'investissement dans les réhabilitations ou rénovations thermiques, la proposition de limiter à 2025 l'exonération de taxe foncière ne me paraît pas opportune.
M. Arnaud Bazin. - Je soutiens l'amendement FINC.29 sur le « rétrofit ». Il faut être prudent avant de fixer des conditions financières plus favorables aux personnes souhaitant recourir à ce dispositif. À ce stade, les autonomies me semblent très limitées pour les véhicules transformés ; cela peut convenir aux besoins de certains, mais sûrement pas à tout le monde. Nos concitoyens, avant de s'engager, doivent être bien informés du produit qu'ils vont acquérir.
Mme Christine Lavarde. - Le « rétrofit » qui se développe actuellement s'applique à la conversion de type d'essence ; le « rétrofit » visé est très différent puisqu'il vise à encourager le passage au moteur électrique. Ce n'est pas la même chose, car nous insérons un poids de charge dans une carrosserie qui n'est pas prévue pour le supporter. Cela va également poser des questions sur l'homologation des véhicules.
Autre remarque : nous avons eu beaucoup de mal à obtenir un PTZ pour l'acquisition de véhicules. Nous ne sommes pas dans le même ordre d'engagement financier de la part des particuliers entre l'achat d'un nouveau véhicule et le « rétrofit » ; compte tenu de l'enveloppe allouée, il ne faudrait pas que les coûts de gestion se révèlent trop élevés. Par ailleurs, la technologie du « retrofit » n'est pas encore prête pour déployer quelque chose à grande échelle.
M. Claude Raynal, président. - Je reviens, une nouvelle fois, sur l'amendement FINC.28. De mon point de vue, l'exonération me semble inutile. En effet, lorsqu'on délivre un permis de construire à une copropriété et qu'elle doit réaliser des parkings extérieurs, il suffit d'imposer un parking non artificialisé dans le permis.
M. Gérard Longuet. - Quelle partie ne se trouve pas artificialisée dans un parking ? Une voiture peut rouler sur un terrain ouvert à la circulation de l'eau dès lors que le compactage est convenable. En revanche, l'expérience prouve que les femmes, ayant des chaussures différentes des hommes, aiment bien avoir un support stable. Entre les places de chaque voiture, on installe des pavés autobloquants qui « artificialisent » la place de stationnement. Il faut accepter une artificialisation minimale pour la circulation des usagers.
Je partage l'observation de ma collègue Christine Lavarde sur le « rétrofit » électrique des voitures. C'est une aimable plaisanterie, car les batteries n'existent pas encore pour faire fonctionner ces moteurs.
M. Vincent Capo-Canellas. - Au sujet de l'amendement FINC.29, le dispositif s'adresse à une clientèle de passionnés, qui dispose de véhicules anciens. J'entends bien que le dispositif technique n'est pas mature, mais ne peut-on pas tenter l'expérimentation ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La question importante est effectivement celle du moteur. Nous avons vérifié : très peu de véhicules peuvent aujourd'hui bénéficier de ce dispositif. Je rappelle également que les revenus modestes sont la cible du PTZ.
Enfin, pour répondre à Daniel Breuiller, l'idée est de demander un rapport d'évaluation au bout de trois ans.
L'amendement FINC.27 est adopté.
L'amendement FINC.28 est adopté.
L'amendement FINC.29 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.30 vise à réserver l'autorisation de l'utilisation des huiles alimentaires usagées comme carburant aux seuls véhicules exploités dans le cadre de flottes captives. Il s'agit d'un dossier que je suis avec intérêt. J'avais déjà interrogé la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et il reste des questions à résoudre pour que cela soit pleinement opérationnel.
L'idée est de continuer à chercher, en prévoyant une sorte d'expérimentation sur les flottes captives pour, je l'espère, trouver le bon dispositif et le généraliser.
L'amendement FINC.30 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.31 vise à supprimer l'article, dont je n'ai pas compris l'objectif, puisqu'il propose de borner dans le temps deux dépenses fiscales applicables sur les accises de l'énergie - qui seraient les seules - sans que nous ayons d'éléments, notamment d'études d'impact, portés à notre connaissance.
L'amendement FINC.31 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.32 a pour objectif de maintenir le transfert à la direction générale des finances publiques (DGFiP) du recouvrement des taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2024.
L'amendement FINC.33 vise à supprimer la ratification de l'ordonnance du 22 décembre portant partie législative du code des impositions sur les biens et les services et transposant diverses normes du droit à l'Union européenne.
M. Arnaud Bazin. - Quelles seront les conséquences de cette suppression de la ratification ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cela n'entraînera pas de conséquence particulière.
L'amendement FINC.32 est adopté.
L'amendement FINC.33 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.34 complète le dispositif proposé par cet article qui s'inscrit dans le droit fil des recommandations du rapport d'information de notre mission relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
L'amendement FINC.34 est adopté.
Article 10 sexies
L'amendement rédactionnel FINC.35 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.36 vise à renvoyer les modalités d'application de cet article à un décret en Conseil d'État, et non à un simple décret comme prévu initialement. Ce décret déterminera les informations devant figurer sur les registres détaillés des bénéficiaires et des paiements transfrontaliers tenus par les prestataires de services de paiement, ainsi que les modalités de transmission de ces informations à l'administration fiscale.
L'amendement FINC.36 est adopté.
M. Jean-François .Husson, rapporteur général. - Les dispositions de l'article 10 septies étant intégrées dans l'article 5 sexies, l'amendement FINC.37 supprime en conséquence l'article 10 septies.
L'amendement FINC.37 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.38 a pour objet de sécuriser la procédure d'invalidation par l'administration fiscale du numéro individuel d'identification à la TVA.
L'amendement FINC.38 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.39 vise à étendre aux avoirs détenus à l'étranger sur un contrat de capitalisation ou placement de même nature la taxation d'office au tarif le plus élevé des droits de mutation à titre gratuit aujourd'hui seulement applicable aux avoirs détenus sur un contrat d'assurance-vie souscrit à l'étranger, lorsque le contribuable n'a pas transmis d'informations sur l'origine des fonds..
L'amendement FINC.39 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.40 tend à limiter à deux ans le report de l'entrée en vigueur de la réforme des modalités de déclaration des rentes viagères. Imaginer mettre en oeuvre une réforme quatre ans après me semble improbable, tout le monde l'aura oubliée.
L'amendement FINC.40 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Par cet amendement FINC.41, je propose la suppression de cet article prévoyant un décalage de deux ans du calendrier de mise en oeuvre de la revalorisation des valeurs locatives des locaux d'habitation.
Les élus locaux sont dans l'attente de la modernisation des impôts. L'établissement de bases reflétant mieux la valeur des locaux est un impératif de justice fiscale et un élément essentiel pour préserver le consentement à l'impôt et le lien fiscal entre le citoyen et sa commune.
L'amendement FINC.41 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.42 prévoit que le Gouvernement présente au Parlement une évaluation des principales caractéristiques des bénéficiaires de l'exonération du forfait social pour les versements abondant les contributions des salariés sur les plans d'épargne d'entreprise, tout en précisant son efficacité et son coût.
M. Marc Laménie. - Quel est votre sentiment sur la complexité des modes de calcul de la DGF ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage avec vous la complexité du dispositif. Par ailleurs, la DGF est proposée sur une tendance de revalorisation avec un abondement complémentaire à hauteur de 320 millions d'euros dans le dispositif actuel du PLF. J'ai dit tout à l'heure, concernant la question de l'indexation sur l'inflation de cette dotation, que le dispositif de l'amortisseur « électricité » et la version nouvelle en cours de construction, au Sénat, du filet de sécurité permettaient de commencer à approcher d'une version entendable et acceptable pour les collectivités territoriales confrontées à la hausse des prix de l'énergie.
L'amendement FINC.42 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.43 vise à distinguer deux prélèvements sur recettes (PSR) destinés au soutien exceptionnel aux collectivités, puisque ce ne sont pas forcément les mêmes collectivités qui en sont bénéficiaires.
L'amendement FINC.44 répond à une demande certainement unanime des collectivités visant à faire entrer les agencements et les aménagements de terrains dans le dispositif permettant de bénéficier du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Nous l'évaluons à 250 millions d'euros pour l'État.
La question avait aussi été posée sur les acquisitions de terrains, mais peu d'acquisitions de terrains entrent a priori dans le principe d'éligibilité de la TVA. La demande, au travers de cet amendement, répond à de nombreuses sollicitations.
L'amendement FINC.43 est adopté.
L'amendement FINC.44 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Par l'amendement FINC.45, je propose la suppression de l'article, car je pense que la biodiversité n'est pas un jeu. Cela doit relever de choix de politiques publiques clairement affichées, avec des moyens adaptés.
Par ailleurs, il faut faire attention de ne pas jouer avec des politiques publiques et de ne pas céder à des effets d'affichage, même si le loto du patrimoine a permis de mettre en lumière les enjeux de mise en valeur de notre patrimoine, de restauration et d'identité des territoires. Le public est exposé, avec ces jeux de hasard, aux addictions. Nous sortons d'une période où le sujet de la santé mentale éclate en plein débat public. Je ne pense donc pas qu'il faille ajouter un loto de la biodiversité.
M. Vincent Éblé. - Le bénéficiaire prévu par cet amendement, l'Office français de la biodiversité (OFB), est un organisme parapublic, il y a donc peu de motifs de recourir aux jeux de hasard pour financer un service public.
L'amendement FINC.45 est adopté.
M. Claude Raynal, président. - Cet article est d'importance, car il concerne une ponction faite à Action logement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Effectivement, je rencontre d'ailleurs les dirigeants d'Action logement en audition ce soir...
M. Claude Raynal, président. - ... le vote sur l'article pourrait donc être réservé jusqu'à la semaine prochaine, au même titre que les trois autres que vous nous avez annoncés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'y souscris.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je retire l'amendement FINC.46, car j'ai besoin de chiffres plus précis et de connaître les collectivités concernées. Il pourrait y avoir une manne financière importante qui profiterait à quelques collectivités. Et comme le dispositif prévoyait d'affecter le delta supplémentaire à l'État pour financer le bouquet énergétique, j'ai besoin de vérifier tous les éléments.
L'amendement FINC.46 est retiré.
La commission propose au Sénat d'adopter l'ensemble des autres articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2023 sans modification, à l'exception des articles 10 octodecies, 14 ter, 16 et 18 sur lesquels le vote est réservé.
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, le vote sur quatre articles de la première partie ayant été réservé, la commission se prononcera la semaine prochaine sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2023.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Projet de loi de finances pour 2023 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques », « Crédits non répartis » - Compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Claude Nougein, rapporteur spécial sur les missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques », « Crédits non répartis ». -Je vais vous présenter au nom de mon collègue Albéric de Montgolfier, qui n'a pu être présent ce matin, et moi-même, les crédits d'un bloc de trois missions assez différentes et d'ampleur budgétaire inégale, mais que nous avons l'habitude d'examiner ensemble : les missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques » et « Crédits non répartis ». Je vous présenterai également le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », au nom d'Albéric de Montgolfier, car je ne suis pas le rapporteur spécial de ce compte.
Je commencerai par la mission « Crédits non répartis », dont les deux dotations sont prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
La « provision relative aux rémunérations publiques » fait de nouveau l'objet d'une ouverture de crédits, à hauteur de 80 millions d'euros cette année. Cette dotation vise à financer des dépenses du titre 2, dont la répartition exacte au sein des programmes du budget de l'État ne peut être déterminée au moment de la programmation budgétaire. Cette année encore, la dotation servira à financer des mesures pourtant décidées plusieurs mois à l'avance. Elle aura ainsi vocation à financer l'extension du « forfait mobilités durables » décidée dans le cadre du rendez-vous salarial de la fonction publique du 28 juin dernier, et des mesures de convergences indiciaires et indemnitaires s'inscrivant dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, qui a pourtant été actée en 2021. Ce procédé n'est évidemment pas satisfaisant du point de vue de la bonne information du Parlement, c'est pourquoi il est souhaitable que la répartition de ces crédits intervienne au plus vite.
J'en viens maintenant à la « dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles », qui fait l'objet cette année d'une ouverture de crédits particulièrement élevée, à hauteur de près d'1,8 milliard d'euros en crédits de paiement (CP). Pour mémoire, cette provision était systématiquement dotée depuis 2018 de 124 millions d'euros. Le Gouvernement sollicite donc cette année une enveloppe 14 fois supérieure au montant conventionnel, avec pour seule justification les incertitudes liées à la crise énergétique et au contexte international et macroéconomique. Ce montant nous semble particulièrement excessif au regard de l'exécution des deux exercices précédents. Pour les années 2021 et 2022 le Gouvernement avait sollicité en cours de gestion l'ouverture d'enveloppes supplémentaires sur ce programme, pour des montants et des motifs du même ordre, contre l'avis de notre rapporteur général. Il s'avère que l'exécution budgétaire a donné raison à notre commission, puisqu'aucun crédit n'a été consommé sur cette dotation lors de ces deux exercices. C'est pourquoi nous vous proposons, dans une logique de sincérité budgétaire, et dans la droite ligne de la position constante de notre commission, un amendement visant à minorer d' 1 milliard d'euros les crédits de ce programme.
Sous réserve de cet amendement, nous vous proposons d'adopter les crédits de cette mission.
J'en viens maintenant à la mission « Gestion des finances publiques », dotée de 10,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 10,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Elle porte les crédits des deux grandes administrations de réseau du ministère de l'économie et des finances, c'est-à-dire la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI). Elle porte également les crédits du secrétariat général du ministère.
Nous avons l'habitude de vous dire, avec Albéric de Montgolfier, que la mission est l'une des seules à contribuer à la maîtrise des dépenses publiques. Nous ne pourrons pas faire la même chose cette année : les crédits demandés sur la mission en 2023 connaissent une hausse inédite de 9 % en autorisations d'engagement et de 5,4 % en crédits de paiement.
Lors de nos auditions, nous avons cherché à comprendre les raisons de cette hausse très significative. Elle s'explique en large partie par la hausse des dépenses informatiques et, dans une moindre mesure, par l'engagement d'un grand projet immobilier pour le ministère.
Par ailleurs, les dépenses de personnel, qui représentent 80 % des dépenses de la mission, augmentent moins vite que le total des dépenses de la mission. Cela s'explique par le fait que le schéma d'emplois de la mission est une nouvelle fois négatif : 680 équivalents temps plein (ETP) seraient supprimés en 2023. Il faut noter que la DGFiP est l'administration qui participe le plus à cet effort, à hauteur de 850 ETP supprimés. À l'inverse, le programme 218, porté par le secrétariat général du ministère, verrait ses emplois augmenter de 181 ETP, notamment en faveur de Tracfin et de l'Agence pour l'informatique financière de l'État (AIFE).
Je rappelle que la mission est quasiment la seule à présenter une baisse de ses emplois. Il est vrai cependant que le rythme des suppressions d'effectifs ralentit de plus de moitié cette année : selon les personnes que nous avons entendues, c'est lié à des redéploiements sur des missions sous-dotées, dans l'attente de gains de productivité supplémentaires.
Les responsables de programme nous ont en effet indiqué que l'objectif était bien de retrouver une trajectoire de stabilisation voire de baisse des crédits à moyen terme. D'ailleurs, lorsque nous tenons compte de l'inflation, les crédits de la mission baisseraient en volume sur la période 2023-2025.
Voici donc pour ce qui a trait aux grands équilibres de la mission. Si nous comprenons les besoins en informatique pour cette année, nous serons vigilants au retour d'une trajectoire de stabilisation pour 2024. Celle-ci nous semble tout à fait envisageable, alors que les réformes engagées par les administrations de la mission devraient porter leurs fruits.
Les administrations poursuivent en effet les chantiers entamés ces cinq dernières années.
Le premier chantier, entamé de longue date par la DGFiP, est celui de la rationalisation de son réseau et de ses emprises territoriales. Vous le savez, il y a eu un changement de méthode en 2019 avec le lancement du « nouveau réseau de proximité », qui devrait être finalisé à la fin de l'année 2023. En comptant les services relocalisés dans les villes moyennes, la DGFiP est désormais présente dans 2 844 communes. C'est bien mais, attention, il ne s'agit pas toujours d'une présence permanente mais de points de contact et de présence dans les maisons France Services.
À côté de cette réforme, qui touche surtout les contribuables, il y a aussi la mise en oeuvre des conseillers aux décideurs locaux, pour les collectivités territoriales et surtout les communes. La cible de 1 200 conseillers installés en 2022 ne sera pas atteinte, après une montée en charge plus lente que prévue : 447 conseillers aux décideurs locaux sont entrés en fonction en 2021, ils devraient être environ 800 en 2022 et 1 013 à la fin de l'année 2023.
Selon la DGFiP, les élus locaux sont plutôt satisfaits des prestations effectuées par les conseillers aux décideurs locaux. Nous avons pour notre part toutefois insisté sur la répartition de ces conseillers sur les territoires. Il faut trouver un équilibre entre les grandes collectivités, aux enjeux financiers les plus importants, et les petites communes rurales, souvent les moins à même de disposer d'une expertise technique en interne.
Le deuxième chantier est le transfert à la DGFiP du recouvrement des impositions jusqu'ici gérées par la Douane. Ces transferts ont commencé en 2019 et devraient se poursuivre au moins jusqu'en 2025. Cette réforme peut générer des gains de productivité et des économies d'échelle. Elle doit surtout conduire la douane à s'interroger sur ses missions fondamentales et à se recentrer sur son coeur de métier, le contrôle des flux de marchandises et de passagers.
Troisième et avant-dernier axe prioritaire de développement pour la DGFiP et la douane, la valorisation de la donnée. Au départ, il s'agissait surtout de développer des techniques d'analyse de données de masse au service du contrôle fiscal pour la DGFiP et de la lutte contre les trafics de toute nature pour la douane. L'objectif est double : améliorer le ciblage des contrôles et parvenir à détecter les cas de fraude les plus complexes.
Le quatrième et dernier chantier est celui de l'informatique. Les dépenses informatiques ont trop longtemps servi de variables d'ajustement : cela ne fait que quelques années que les budgets ont été sanctuarisés. Ces dépenses sont pourtant extrêmement importantes, d'une part pour résorber la dette technique des applications et systèmes d'information des administrations, et, d'autre part, pour développer de nouvelles applications à même de générer des gains de productivité à moyen terme.
La gestion des chantiers informatiques souffre toutefois encore d'un problème majeur : ainsi, lors de chaque projet de loi de finances, nous constatons que les coûts et les délais des projets ont été réévalués à la hausse. Au fil du temps, certains doublent voire triplent de volume ! Il est grand temps que des indicateurs soient mis en place pour mieux suivre ces projets.
Au regard de ces constats, vous aurez compris que nous avons quelques réserves sur la programmation des crédits pour l'année 2023, même si nous comprenons une partie des hausses. Toutefois, compte tenu de la gestion des administrations et du retour à la stabilisation prévu dès 2024, avec une baisse des crédits en volume à moyen terme, nous vous proposons d'adopter les crédits de cette mission.
Je passe désormais à la mission « Transformation et fonction publiques », qui se compose désormais de six programmes à vocation interministérielle et qui concernent des sujets aussi variés que la rénovation des cités administratives de l'État, les projets porteurs d'économie à moyen terme, les ressources humaines ou encore les start-ups d'État. Pour 2022, elle est dotée de 800 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et d'1,1 milliard d'euros en crédits de paiement (CP). C'est une très forte augmentation par rapport à 2022, de près de 44 % pour les crédits de paiement.
La hausse de ces crédits doit toutefois être nuancée. Elle résulte d'abord d'une mesure de périmètre sur le programme 348. Ce dernier, auparavant entièrement dédié à la rénovation des cités administratives de l'État, compte une nouvelle action en 2023, dénommée « Résilience ». Derrière ce titre ampoulé, se cache un appel à projets pour le financement d'actions dites à « gains rapides », avec une enveloppe dotée de 150 millions d'euros. Ce sont des actions à faible coût qui génèrent de très importantes économies d'énergie. Il s'agit pour nous d'une mesure de bonne gestion. Le directeur de l'immobilier de l'État nous a ainsi expliqué que le coût du mégawatheure économisé par la mise en place d'une action à gains rapides est de 1 000 à 1 500 euros. Pour une rénovation globale, c'est de l'ordre de 7 000 euros le mégawatheure.
L'année dernière, nous avions noté des progrès dans la gestion de la mission. Ces progrès se poursuivent, même s'il faut reconnaître qu'il existe encore des difficultés. Par exemple, la sous-consommation des crédits demeure importante sur certains programmes, comme celui portant le fonds pour la transformation de l'action publique. 190 millions d'euros sont encore annulés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2022. Pourtant, le Gouvernement propose de prolonger le fonds de trois ans, en le dotant de 330 millions d'euros.
Il est vrai que les objectifs de ce fonds doivent être soutenus : il s'agit d'apporter l'impulsion nécessaire à l'amorçage de projets ou de réformes porteurs d'économies à moyen terme, notamment dans le domaine numérique. Encore faut-il cependant que les délais de contractualisation soient raccourcis.
Autre exemple, sur le programme 348, avec la rénovation des cités administratives. Les retards pris dans les travaux ont conduit à décaler les délais de livraison de la plupart des projets de rénovation. Entretemps, le coût des matières premières a fortement augmenté et seule l'annulation de deux projets permet de couvrir l'augmentation de ces coûts.
Au final, si la mission porte des objectifs ambitieux, la réalisation n'est pas encore totalement au rendez-vous. Il est vrai cependant que la gestion s'améliore et que ces progrès doivent être encouragés. Nous vous proposons donc d'adopter les crédits de cette mission, en notant également qu'elle est l'un des vecteurs de l'investissement public.
Mme Christine Lavarde, présidente. - Merci pour cette présentation.
M. Claude Nougein, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial des crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - Il me revient de vous présenter, au nom de mon collègue Albéric de Montgolfier, les crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
Malgré des efforts notables, tant sur le volet dépenses que sur le volet recettes, la baisse tendancielle des recettes du CAS risque d'entamer sa soutenabilité financière.
Le CAS enregistre une baisse de 18,2 % de ses dépenses entre 2022 et 2023, passant de 415 à 340 millions d'euros. Cette diminution concerne surtout les opérations structurantes et les cessions tandis que les dépenses d'entretien du propriétaire augmentent. Il y a lieu de s'en réjouir, puisque l'entretien a longtemps été le parent pauvre de la politique immobilière de l'État. La marge de manoeuvre devrait encore s'élargir dans les années à venir, puisque les dépenses d'entretien devraient atteindre 200 millions d'euros en 2025. La sous-consommation des crédits hors période de crise doit toutefois conduire à la prudence.
Par ailleurs, la diminution de la programmation en 2023 vise aussi à reconstituer la trésorerie du CAS. Les recettes du compte connaissent en effet une baisse tendancielle, en dépit d'un rebond en 2023. Ainsi, par rapport à 2022, les produits de cessions immobilières augmenteraient de 90 millions d'euros avant de diminuer de 150 millions d'euros par la suite, tandis que les redevances domaniales augmenteraient de 20 millions d'euros en 2023 pour se stabiliser ensuite.
La répartition des recettes est préoccupante : en finançant aux deux tiers les dépenses du CAS par les produits de cession, une érosion excessive du patrimoine immobilier de l'État pourrait survenir, qui pourrait entraîner les recettes du CAS dans une spirale baissière.
La politique de redynamisation des redevances menée par la direction de l'immobilier de l'État est à cet égard louable, mais on peine encore à en percevoir les fruits dans les recettes du compte. De même, le recours au bail emphytéotique permet de concilier l'impératif de dégager des recettes et celui de conserver, pour l'État, ses biens emblématiques. Une réflexion stratégique sur la durée optimale des baux devrait toutefois être menée, faute de voire leur nombre diminuer.
Ces constats en demi-teinte s'ajoutent au fait que le CAS ne remplit pas le rôle d'impulsion stratégique qui devait être le sien.
Le compte demeure d'ailleurs contourné dans ses règles et concurrencé par d'autres vecteurs budgétaires. Les entités ou ministères occupants ne sont censés pouvoir exercer leurs droits de tirage sur le CAS qu'en contrepartie de la mutualisation de produits de cession. Or, certains ministères ou projets disposent de dérogations. D'autres bénéficient d'avances sur cession, dont le montant s'élèverait à 373 millions d'euros pour l'année 2022.
Enfin, compte tenu de l'insuffisance des recettes du CAS, d'autres vecteurs budgétaires reprennent ses objectifs, entraînant, selon les mots du directeur de l'immobilier de l'État, « un véritable éclatement qui nuit à la performance ». La rénovation des cités administratives est par exemple, cette année encore, portée par le programme 348 de la mission « Transformation et fonction publiques ».
Au total, si CAS n'est, dans son état actuel, pas suffisant pour porter les grands projets immobiliers de l'État, il n'est pas interdit d'envisager que son modèle fasse l'objet d'une réforme dans les années à venir. Le chemin est étroit, mais il existe.
C'est pourquoi Albéric de Montgolfier vous propose de réserver notre position sur les crédits du CAS.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'insiste sur l'importance de regarder de plus près les trajectoires à moyen terme des dépenses de l'État et de ses opérateurs, c'est ce qui nous permet d'avoir une vision plus juste des efforts engagés. Il semble par ailleurs possible, par une gestion rigoureuse et comme la DGFiP l'a démontré, d'améliorer l'efficacité des dépenses publiques, voire de réaliser des économies.
M. Marc Laménie. - Nos rapporteurs ont publié récemment un rapport très intéressant sur l'organisation et les moyens de la douane face au trafic de stupéfiants. Ils formulaient des recommandations et soulignaient les carences de moyens humains, en tout cas sur les missions de surveillance, ainsi que la nécessité d'investir dans des moyens techniques. Où en est-on sur ce sujet dans le projet de loi de finances ?
Les trésoreries de la DGFiP sont les interlocuteurs des élus. Or, beaucoup ont fermé et leurs effectifs se sont réduits. Pourriez-vous nous donner des précisions sur l'évolution des effectifs et du réseau, au niveau central comme local ?
Enfin, je m'interroge sur les défis de la gestion du patrimoine immobilier de l'État, le suivi des opérations de vente ou de rénovations. Certains ministères, comme celui de la défense, conservent encore un patrimoine important.
M. Thierry Cozic. - J'aimerais revenir sur le programme 156 de la mission « Gestion des finances publiques ». Globalement, ses crédits augmentent de plus de 9 % et représentent, cette année encore, la part la plus importante des moyens de la mission. C'est dans ce programme que figure la restructuration de la présence de proximité de la DGFiP. Le Gouvernement a annoncé pour 2023 l'achèvement de la couverture nationale du réseau France Services avec une présence à moins de 30 minutes des usagers. Les remontées de terrain dont nous disposons aujourd'hui font notamment état du caractère artificiel de cette présence, dans la mesure où les amplitudes horaires d'ouverture des services sont très réduites. Je m'interroge donc sur la faisabilité de ce dispositif.
Deuxième point, je reviens sur les cités administratives et leur plan de rénovation : en 2023, on aurait dû en livrer dix-huit, et dix-neuf sont prévues pour 2024. Or le programme 348 « Performances et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » est celui qui enregistre le plus de retard dans le décaissement des crédits et, par voie de conséquence, le plus de reports de crédits. Je m'interroge donc sur la sincérité des montants prévus dans le budget.
Enfin, les crédits du programme 552, « Dépenses accidentelles et imprévisibles », progressent de 389 % pour s'établir à 2,074 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,774 milliard d'euros en crédits de paiement (CP). Or, il suffit au Gouvernement de les annuler en fin de gestion pour donner artificiellement l'impression de bien tenir les dépenses. Votre amendement visant à minorer les crédits du programme d'un milliard d'euros me semble donc pertinent.
M. Arnaud Bazin. - Je note la forte augmentation des crédits de la DGFiP, principalement motivée par la mise à jour de grands programmes informatiques. En général, quand on parle de grands programmes informatiques à la commission des finances, notre attention s'éveille assez vite. Nous avons en effet constaté à maintes reprises de regrettables et notables échecs. De plus, qui dit grand programme informatique dit souvent recours à des cabinets de consultants. Quels sont les objectifs principaux visant à améliorer notre efficacité en matière de gestion ? Fera-t-on appel aux services compétents de la fonction publique comme cela devrait être le cas ? La DGFiP recourt-elle fréquemment à des prestataires externes ?
M. Michel Canévet. - Je note deux bonnes nouvelles dans le rapport. D'abord, la poursuite de la baisse des effectifs, signe d'une volonté de maitriser les dépenses de personnel et de fonctionnement, et ensuite la réduction du patrimoine bâti de l'État qu'il importait de rationaliser. Il convient maintenant de le moderniser, mais les opérations semblent difficiles à concrétiser, par exemple sur la rénovation des administratives. Est-ce un problème lié à la longueur des procédures et des contrats ? à l'importance des délais de paiement ? Enfin, quelles sont les deux cités administratives dont la rénovation envisagée ne pourra être réalisée ?
M. Antoine Lefèvre. - Puisque nous évoquons les difficultés de rénovation des cités administratives, je témoigne qu'à Laon l'essentiel des travaux réalisés a consisté à refaire un parking et à en interdire l'accès au public... Les horaires de permanence se réduisent. Si les cités se transforment en bunkers, c'est un problème pour les usagers. Certes, la dématérialisation se développe, mais une partie de nos concitoyens a besoin d'une présence physique, de pouvoir venir se faire expliquer certaines démarches.
Quant à l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), s'applique-t-il aussi à l'État dans ses opérations immobilières ? Le projet de l'Agence française de développement d'installer son nouveau siège du côté de la gare d'Austerlitz suscite par exemple des débats à cause de sa consommation du foncier.
M. Jérôme Bascher. - Parvient-on à recruter de nouveaux informaticiens à Bercy ? Le tarif « fonction publique » n'est pas très attractif. Les spécialistes de finance et de statistiques sont très recherchés : par exemple, à la Caisse des dépôts, les fonctionnaires disposant de ces compétences se font souvent débaucher avec des offres de salaires jusqu'à deux fois supérieures. Aurons-nous les moyens de nos ambitions sur ce sujet ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - M. Laménie revient sur l'organisation et les moyens de la douane face au trafic de stupéfiants. Les douanes réalisent 80 % des saisies de stupéfiants. On note une stabilité du nombre des agents de douane - 17 000 agents environ -, mais, comme nous le soulignions avec M. Albéric de Montgolfier dans notre rapport, ils manquent de matériel moderne, notamment de scanners - scanners corporels dans les aéroports et scanners pour les conteneurs arrivant par bateau dans les grands ports. Je salue l'effort réalisé à cet égard dans le budget 2023, avec par exemple l'acquisition de huit camions équipés d'un système de scanner à rayon X et de deux scanners fixes pour le contrôle du fret postal.
Les effectifs de la DGFiP connaissent une nouvelle baisse en 2023, mais moindre que celle des années antérieures, où jusqu'à 2 000 postes ont pu être supprimés. Le plafond de la mission s'établit à un peu plus de 93 000 équivalents temps plein, dont la très grande majorité, 76 000, sont dans les services départementaux. Plus de 2 700 sont en administration centrale. M. Cozic m'a interrogé sur la présence dans la DGFiP dans les territoires : je peux lui dire que le ministre de la transformation et de la fonction publiques, M. Guérini, a confirmé que 98 % des Français se situaient aujourd'hui à moins de 30 minutes d'un point d'accueil. Nous partageons toutefois son constat, il ne s'agit pas toujours d'un point fixe ouvert cinq jours dans la semaine...
À propos des cités administratives, le retard est incontestable. Pendant longtemps, le Gouvernement nous a dit qu'il fallait faire des choix, qu'on ne pouvait pas tout faire et il y a eu un très long processus de sélection puis de définition des projets. Bref, si je caricature un peu, on a eu beaucoup de réflexion, mais peu d'action ! Aujourd'hui, après avoir pris du retard, le Gouvernement semble enfin vouloir terminer son programme, certes en décalé puisque les dernières cités administratives ne seraient plus livrées en 2024 mais en 2025. Or, entretemps, le coût des matières premières a fortement augmenté et seule l'annulation de deux projets permet de couvrir l'augmentation de ces coûts. Les deux projets abandonnés sont ceux de Brest, arrêté par la direction de l'immobilier de l'État, et de Melun, sur décision du préfet dans le cadre d'une réflexion plus générale sur la gestion du patrimoine immobilier de l'État dans le département. M. Lefèvre a raison : ce n'est pas en transformant les cités administratives en « bunkers » que l'on répond aux attentes de nos concitoyens. Au contraire ! Le rapport humain reste primordial : certains de nos concitoyens n'ont pas du tout accès au numérique et ne pourront jamais faire leurs démarches administratives en ligne.
Les crédits demandés sur la dotation des « dépenses accidentelles et imprévisibles » sont quatorze fois plus élevés que ceux demandés chaque année depuis 2018 en loi de finances initiale. La hausse est impressionnante ! Notre amendement vise à les réduire d'1 milliard d'euros. Je rappelle que notre commission s'était déjà opposée à des hausses d'une ampleur comparable dans le cadre des projets de loi de finances rectificative en 2021 et en 2022 et que, finalement, les crédits n'avaient pas été utilisés. Le Gouvernement doit réviser son modus operandi, car la question de la sincérité de ce budget se pose.
À propos des grands programmes informatiques, j'ai posé la question des cabinets de conseil en audition à M. Jérôme Fournel, le directeur général de la DGFiP, qui a répondu qu'il se montrait « prudent » et que la DGFiP se distinguait parmi les administrations de l'État par un très fort degré d'internalisation de la maitrise à assistance d'ouvrage et, plus globalement, de la gestion des projets informatiques. Accordons-lui le bénéfice du doute.
Thierry Carcenac et moi-même avions, en 2019 déjà dans le cadre de notre rapport budgétaire, proposé l'instauration d'une grille de rémunération particulière aux informaticiens de l'État. Des progrès ont été réalisés, notamment sous l'égide de la direction interministérielle du numérique (Dinum), qui a mis en oeuvre et diffusé des grilles de rémunération dérogatoires pour certaines compétences rares et spécialisées.
La question de la baisse des effectifs de la DGFiP a enfin été abordée : c'est vrai qu'on est passé de plus de 100 000 agents il y a trois ou quatre ans à un peu plus de 94 000 aujourd'hui. Cette évolution s'explique notamment par l'instauration du prélèvement à la source, par la suppression de la taxe d'habitation et de la redevance audiovisuelle ainsi que par la dématérialisation de nombreuses procédures, source de gains de productivité. C'est de la bonne gestion : je suis toujours surpris quand j'entends parler de « dynamisme de la dépense publique », le vrai dynamisme devrait se traduire par une baisse des dépenses publiques, et non par une hausse !
La commission décide à l'unanimité de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Gestion des finances publiques ».
Mme Christine Lavarde, présidente. - Je soumets au vote l'amendement FINC.1. qui vise à minorer d' 1 milliard d'euros les crédits du programme « Dépenses accidentelles et imprévisibles ».
M. Didier Rambaud. - Je m'abstiens.
L'amendement FINC.1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Crédits non répartis », sous réserve de l'adoption de son amendement.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques ».
La commission décide de réserver son vote sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons désormais la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE).
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La promesse du réarmement de l'État territorial portée par le Gouvernement trouvera en 2023 une traduction budgétaire d'une ampleur très limitée. En effet, les effectifs du programme 354, « Administration territoriale de l'État », augmenteront de 48 équivalents temps plein (ETP), soit une hausse de seulement 0,16 %. Peut-être est-ce l'amorce d'un changement de paradigme, mais en tout état de cause, il s'agit d'une avancée bien limitée au regard des enjeux considérables de la mission.
Je souhaite aborder, dans un premier temps, les grands enjeux de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. En effet, les préfets sont au coeur de cette réforme et disposent de nouvelles marges d'action, en particulier pour redéployer des emplois entre missions budgétaires. Outre la mission AGTE, plusieurs autres missions budgétaires sont concernées : Agriculture, Écologie, Culture, Travail et Emploi, Solidarités, Économie... Les préfets de région peuvent, en fonction des priorités locales et nationales, piocher dans ces viviers d'emplois et redéployer jusqu'à près de 2 000 ETP.
Alors que la circulaire permettant les redéploiements prévoit que « sur la base des mouvements effectués en cours d'année, un amendement sera déposé par le Gouvernement à l'occasion du projet de loi de finances de fin de gestion pour traduire le solde des mouvements », aucun amendement n'a été déposé à ce stade.
Je déplore que l'information soit aussi tardive et ne nous permette pas de nous prononcer sur ces évolutions dans de bonnes conditions. Il me semble indispensable de faire évoluer les modalités d'examen par le Parlement de ces redéploiements, en prévoyant une information plus précoce au sein des documents budgétaires.
Par ailleurs, alors que j'avais dressé un certain nombre de constats sur la situation des secrétariats généraux communs départementaux lors de mes travaux de contrôle en juin dernier, les auditions que j'ai menées ces dernières semaines semblent montrer que les difficultés sont loin d'être résolues.
Cette réforme n'a pas été suffisamment anticipée et a placé les agents dans des situations de grande difficulté. Les différents chantiers de convergence sur le périmètre de l'administration territoriale de l'État doivent se poursuivre impérativement pour permettre à ces services de fonctionner dans de bonnes conditions.
Je souhaite également aborder les constats dressés par la Cour des comptes, dans son rapport sur les effectifs de l'administration territoriale. La Cour considère que les suppressions de postes de ces dernières années « n'ont pas été réalistes » au sein des préfectures, qui « ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services ».
La Cour fait également le constat que « le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. [...] En dix ans, le programme a réalisé un schéma d'emplois cumulé négatif de - 4 748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. » Aujourd'hui on nous propose une hausse de 0,16 %...
Alors que la Cour met en évidence une évolution de la ventilation des schémas d'emplois qui n'a visé qu'à préserver les équilibres historiques, le Gouvernement a annoncé « un rééquilibrage de la répartition des emplois entre préfectures ». Je considère que ce rééquilibrage devra s'opérer en fonction de critères objectifs et transparents. Il est nécessaire que l'évolution de la répartition des emplois entre préfectures résulte davantage des besoins réels des territoires que du pouvoir de négociation des préfets.
Par ailleurs, le ministère de l'intérieur a mis en place un document stratégique : missions prioritaires des préfectures (MPP) 2022-2025. Ce document porte assez mal son nom puisque, loin de prioriser certaines missions par rapport à d'autres, il se contente de reprendre l'ensemble des missions des préfectures.
Non que je souhaite remettre en cause le caractère essentiel des missions du réseau préfectoral, mais il est nécessaire que l'État clarifie son discours : ou bien les préfectures doivent prioriser leurs missions et à ce titre les missions les moins importantes auront vocation à abonder en moyens et en emplois les missions prioritaires ; ou bien toutes les missions sont d'égale importance et il faut conforter en urgence les effectifs et les moyens des préfectures.
Au sujet de la délivrance des titres, depuis plusieurs mois, les délais d'obtention de cartes nationales d'identité et de passeports atteignent des records inacceptables. Fin mai dernier, une personne souhaitant obtenir un passeport ne pouvait, en moyenne, espérer en disposer avant la mi-septembre.
Si, les services instructeurs des préfectures ont multiplié par 4,5 le nombre de contractuels afin de répondre à cet afflux de demandes, il me semble que les solutions apportées à ce stade ne sauraient suffire, en particulier en matière de déploiement des dispositifs de recueil (DR).
En effet, pour 2023, la situation ne devrait pas vraiment s'améliorer : d'après les projections de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), la hausse des demandes de titres serait structurelle et s'élèvera à 14 millions de demandes à compter de 2023. Les demandes seront ainsi en hausse de 45 % par rapport à 2019, alors que le nombre de DR augmenterait sur la même période, de 17 % en début d'année 2023, et si les 600 DR promis étaient déployés, de 29,5 % en fin d'année.
Même si des mesures sont mises en oeuvre dans le projet de loi de finances pour augmenter la dotation « titres sécurisés » des communes, il me semble indispensable d'augmenter suffisamment les DR pour être en phase avec l'augmentation des demandes... Alors qu'il reste encore beaucoup de demandes en stock, je m'inquiète des délais nécessaires pour revenir à une situation normale.
Par ailleurs, les services en charge de l'accueil et des demandes de titres auprès des publics étrangers sont en grande difficulté. La dématérialisation des rendez-vous et d'une partie des démarches, dans le cadre de l'administration numérique des étrangers en France (Anef), sont très loin d'apporter les réponses attendues à la crise de ces services.
Lors des précédents exercices, l'Anef m'avait été présentée comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, mais le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation.
En effet, dans la lignée des engagements pris par le ministre de l'intérieur cet été, la consigne a été passée aux services de mobiliser les marges en effectifs dégagées grâce à l'Anef pour améliorer la qualité de l'accueil et du traitement des dossiers.
Par ailleurs, des renforts en contractuels sont prévus. Je regrette ce choix qui laisse craindre qu'une fois l'Anef pleinement opérationnelle, les vacataires ne seront pas renouvelés au-delà de 2024. Alors que la priorité devrait être à consolider des services et à fidéliser des compétences, le Gouvernement fait encore une fois le choix de recourir à des vacataires, ce qui traduit en réalité la volonté de désengager des effectifs pourtant indispensables à la réalisation de ses missions.
Je souhaite évoquer, pour conclure, la situation des intervenants sociaux en commissariats de police et en unité de gendarmerie (ISCG). Ils jouent un rôle majeur pour l'accueil des victimes en situation de fragilité, en particulier les femmes victimes de violence intrafamiliale ou les personnes en situation de handicap. Dans son discours de Nice du 10 janvier 2022, le président candidat Emmanuel Macron s'est engagé à faire passer à 600 le nombre d'ISCG. Ils sont aujourd'hui 420.
Dans les territoires, il revient au préfet de piloter le déploiement de ces intervenants, en mobilisant les financements de différents partenaires : le conseil départemental, les conseils municipaux, mais également des associations. Le préfet dispose pour ce faire des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui lui permettent de donner une impulsion au dispositif : ainsi, le FIPD couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième. Alors que nombre de conventions triennales arrivent à leur terme, et que l'État s'est engagé à conserver à leur issue un niveau minimal de financement de 10 %, il me semble nécessaire de renforcer la prise en charge afin de pérenniser ces emplois.
L'obtention de financements ayant pu être comparée à un véritable parcours du combattant pour les services préfectoraux, il est urgent de simplifier les modalités de financements et renforcer l'engagement de l'État. J'appelle donc à clarifier le régime de financement des intervenants sociaux, en suivant les recommandations d'un rapport de l'inspection générale de l'administration et en le stabilisant à hauteur de 33 % de prise en charge par le FIPD.
Ainsi, pour conclure, même si des évolutions à la marge sont à relever sur le périmètre de la mission, les grandes réserves que j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer les années précédentes ne sont pas levées, et j'émets donc un avis défavorable sur les crédits de la mission.
Je vous proposerai également un amendement visant à supprimer l'article 41 B rattaché à la mission, qui prévoit une demande de rapport évaluant les conséquences budgétaires, pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), de plusieurs évolutions majeures dans le champ de ses attributions. Ainsi, le dispositif propose d'évaluer les conséquences budgétaires de la création d'un droit de communication au profit de la CNCCFP, sur le modèle de celui dont dispose l'administration fiscale, de la possibilité de consulter le fichier national des comptes bancaires et assimilés, de l'habilitation à saisir la cellule du renseignement financier (Tracfin), et de la possibilité d'accéder en temps réel à la comptabilité des partis politiques.
Il apparaît très clairement que le coeur du dispositif concerne l'extension des pouvoirs de contrôle de la CNCCFP, et non pas véritablement les conséquences budgétaires pour la commission de telles évolutions. Ainsi, la CNCCFP, sur son site internet, analyse-t-elle l'amendement comme un pas « vers une évolution des moyens d'enquête du régulateur financier de la vie politique ». Dans ces conditions, une telle demande de rapport ne relève aucunement du domaine des lois de finances.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la commission des lois sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Le réseau préfectoral se trouve dans une situation préoccupante, j'ai souhaité m'y intéresser et accorder une attention particulière à l'échelon de proximité que représentent les sous-préfectures. Le Gouvernement nous annonce dans le PLF 2023 un véritable réarmement de l'État territorial dans la continuité des missions prioritaires des préfectures 2022-2025 et du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) qui prévoyait déjà un renforcement des services déconcentrés.
Si nous saluons cette prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l'État ne peut diminuer davantage sa présence dans les territoires au risque d'amplifier le sentiment d'abandon de nos concitoyens et des élus locaux, les annonces surviennent après dix années de coupes budgétaires qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l'effectif initial de l'administration territoriale de l'État entre 2010 et 2021, et de plans de réforme incessants qui ont mis à mal les services de l'État. Dans la mesure où les secrétariats généraux communs départementaux créés en 2021 en sont encore au stade de la mise en oeuvre, nous n'avons pas encore pu dresser un véritable bilan de cette réforme, et le Gouvernement déploie déjà un nouveau plan d'action pour les préfectures à l'horizon 2025.
Enfin, l'annonce de la création de 210 ETP au cours des prochaines années et l'ouverture de six sous-préfectures dont cinq sont en réalité des dé-jumelages, apparaissent dérisoires au regard des besoins et de l'atrophie que subissent les services de l'État territorial depuis plus de 10 ans.
Dans ces conditions, je proposerai la semaine prochaine à la commission des lois un avis défavorable sur les crédits de cette mission.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La révision générale des politiques publiques (RGPP), qui visait à rationaliser et optimiser les moyens, avait suscité des critiques ; mais les gouvernements se sont succédé depuis, et le taux de satisfaction des usagers des services publics reste faible. En dépit des efforts pour rapprocher les services publics de l'État, des collectivités territoriales et d'autres organismes, notamment par la mise en place des maisons France Services, le résultat est insatisfaisant. Il conviendrait de mieux coordonner les moyens et de stabiliser les dispositifs de financement. On l'a constaté avec le financement des intervenants sociaux en commissariat de police et en unité de gendarmerie par le fonds interministériel de prévention de la délinquance, l'État lance des politiques régaliennes puis « passe le relais » aux collectivités, tout en réduisant ses financements. Nous devons tous faire notre auto-critique, car tous les partis de l'arc républicain ont été aux responsabilités. Est-ce une question de moyens, d'organisation ? Il faudrait conclure un pacte de confiance autour de certaines politiques publiques, au moins sur la durée d'un quinquennat, afin de garantir la pérennité de l'engagement de l'État.
M. Antoine Lefèvre. - Je reviens sur le scandale des retards de production des titres d'identité. Un tourisme administratif s'organise : les Parisiens découvrent les joies de la province, vont dans les métropoles et les villes moyennes pour obtenir un titre ; les habitants des villes moyennes vont dans les chefs-lieux de canton... Nos concitoyens qui doivent se rendre à l'étranger sont dans l'embarras. Certains découvrent au dernier moment que leur carte d'identité, dont la durée de validité a été prolongée de cinq ans en France, ne sera pas valide dans tel ou tel pays européen et qu'ils devront attendre plusieurs mois pour en obtenir une nouvelle. Le Gouvernement a augmenté la dotation « titres sécurisés », mais cela sera-t-il suffisant alors que les demandes augmentent de 45 % par rapport à 2019 ? En tout cas, l'effort devra s'inscrire dans la durée.
M. Marc Laménie. - Je déplore à mon tour les difficultés rencontrées par les préfectures et les sous-préfectures. Leurs effectifs baissent depuis des années, et désormais elles ne sont pratiquement plus ouvertes au public. Il y a quelques années, dans les communes rurales, nos concitoyens s'adressaient à nous, nous portions leur dossier à la sous-préfecture, et l'obtention du titre d'identité était rapide. Quel recul aujourd'hui ! Il faut aller à la commune-centre, et il est bien compliqué d'obtenir un rendez-vous ! Les délais s'allongent, d'autant que les Parisiens viennent désormais chercher leurs papiers en province, au prix de déplacements qui ne sont pas très bons du point de vue écologique...
Mme Christine Lavarde. - L'encombrement des sous-préfectures sous l'effet des demandes de titres de séjour est une question majeure qu'illustre l'exemple de celle de Boulogne, avec 27 000 titres en attente de traitement. Autre problème, il n'est pas possible de réaliser les mêmes démarches par internet selon les préfectures. Ainsi, pour faire venir en France un enfant de parents français, le formulaire de prise de rendez-vous existe ou n'existe pas selon le site de préfecture consulté. Pourquoi ne pas créer une plateforme unique pour l'ensemble du territoire et faire en sorte que, partout en France, nous ayons les mêmes droits ? Quant au choix de la localisation géographique des nouvelles sous-préfectures, puisqu'on propose d'en ouvrir une à proximité d'une autre, les choix du Gouvernement sont-ils toujours pertinents ? La localisation serait-elle guidée par des motifs politiques ?
M. Arnaud Bazin. - La demande de titres de séjour ou de naturalisation par prise de rendez-vous numérique n'est pas toujours adaptée aux publics concernés. De plus, l'accès en ligne est limité à certains horaires, de temps en temps, parfois entre 2 et 3 heures du matin, ce qui donne lieu, d'ailleurs, à un commerce parallèle de créneaux de rendez-vous. Une amélioration des capacités d'accueil dans ce domaine semble souhaitable.
M. Dominique de Legge. - Première observation, je pensais que les préfets et les sous-préfets avaient pour principale mission d'être disponibles et de régler les problèmes de leurs concitoyens. Nous faisons face à un très grave problème de sous-effectifs, qui n'ont cessé de baisser, et à un décrochage entre les services locaux et nationaux. J'ai l'impression que l'administration nationale n'a pas du tout subi ces contraintes d'effectifs tandis qu'on a fait supporter l'intégralité de l'effort aux services locaux.
Seconde observation, à quoi sert une préfecture aujourd'hui ? Qui porte la parole de l'État dans les territoires ? Le préfet n'a pas de compétence sur la DGFiP, ni sur les agences régionales de santé, ni sur les rectorats, ni, au niveau régional, sur les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Alors que nous sommes confrontés à une crise institutionnelle et politique, il me semble qu'au lieu de produire des circulaires, l'État central devrait faire en sorte que les préfets puissent répondre aux attentes des citoyens.
M. Christian Klinger. - Je rejoins mes collègues pour constater le nomadisme dans la prise de rendez-vous pour obtenir des papiers d'identité. Considérez-vous que les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui sont liées à l'absence de renouvellement des titres pendant la crise sanitaire ou bien le problème est-il structurel ? Dans ce dernier cas, je partage le constat de la rapporteure, selon lequel il sera nécessaire de recalibrer le nombre de dispositifs de recueil.
M. Rémi Féraud. - Concernant le problème des délais d'émission des titres d'identité, on ne peut laisser croire que la faute incomberait aux Parisiens qui possèdent une résidence secondaire. L'État doit fournir des papiers à chaque Français, c'est une de ses missions élémentaires. Quant à la question des droits des étrangers à obtenir leurs titres, j'espère qu'elle sera traitée dans le cadre de la prochaine loi Immigration. Les moyens augmentent, mais cela sera-t-il durable ou est-ce du bricolage ? Peut-on considérer qu'il y a une prise de conscience du Gouvernement ? Ne devrait-il pas changer de braquet ?
M. Thierry Cozic. - Comment évaluer le délai raisonnable de délivrance d'un titre ? Le délai était-il identique avant la réforme de la délivrance des titres ?
Mme Frédérique Espagnac. - Des étudiants qui passent des examens en juin se voient promettre un titre d'identité pour le mois de décembre suivant... Je vois des personnes à Hendaye en attente d'un titre de séjour qui sont censées aller le chercher à Bordeaux et non à Pau ! Ce n'est plus tenable.
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - La question de notre rapporteur général est finalement celle des moyens. L'État n'a pas les moyens d'assurer sa mission d'administration territoriale à cause des carences accumulées pendant des années. Les réformes se sont succédé sans avoir vraiment pour objectif d'améliorer la situation, mais plutôt de réduire les moyens. Certes, une prise de conscience apparaît, mais la réforme numérique ne fait pas tout, les moyens humain demeurent indispensables.
Le pacte de confiance entre l'État et les collectivités, proposé par notre rapporteur général, pour adapter les moyens aux politiques publiques, me paraît une piste intéressante. Ce n'est pourtant pas ce qui nous est présenté à l'heure actuelle, la tendance étant plutôt à l'attrition des moyens...
En effet, des personnes sont contraintes de parcourir des centaines de kilomètres pour obtenir des papiers. L'ANTS estime qu'il faudra désormais s'attendre à 14 millions de demandes chaque année, la hausse des demandes étant pérenne. Les délais ne vont donc pas se réduire... Oui, monsieur Laménie, en dépit du développement du numérique, je confirme qu'en termes de délais, c'était plus rapide quand vous portiez les dossiers directement en préfecture !
Je ne pense pas que la création de cinq sous-préfectures en métropole et d'une sous-préfecture en Guyane relève du clientélisme - en tout cas, la création d'une sous-préfecture dans la Haute-Vienne n'a eu aucune influence sur ma position, comme vous pouvez le constater !
Pour répondre à madame Lavarde au sujet de l'homogénéisation des procédures entre les différentes préfectures, le projet Anef vise justement à créer une plateforme de gestion unique des demandes de titres pour les publics « étrangers », et donc de disposer de procédures unifiées. Il serait sans doute pertinent de disposer de procédures homogènes sur d'autres thématiques.
Un changement est en cours en Île-de-France, monsieur Bazin, en ce qui concerne la prise de rendez-vous des étrangers pour les demandes de titres. Ce seront les préfectures qui s'en chargeront en réponse à une pré-demande de l'usager, mais une amélioration est nécessaire dans le domaine de l'accueil ; des vacataires sont recrutés, mais j'ai des inquiétudes quant à la pérennisation de leurs postes.
M. de Legge m'interroge sur le rôle des préfets aujourd'hui. Le besoin de cohérence est réel. La coordination des politiques est complexe. La mise en place des secrétariats généraux communs se révèle plus problématique que prévu. Je ne suis pas, pour le moment, favorable à l'extension du périmètre de l'administration territoriale de l'État sous le contrôle du préfet.
Monsieur Klinger, les retards se sont surtout accumulés au moment de la fin des restrictions liées à l'épidémie de covid, mais on ne pourra pas les résorber totalement avec les moyens disponibles et les annonces du Gouvernement. Sans renforcement massif des moyens, les délais resteront très élevés.
Par ailleurs, en ce qui concerne le personnel dédié aux étrangers pour lequel il y a bien une augmentation, il s'agit de postes précaires. Le ministère compte sur le déploiement de l'Anef pour faire des économies et nous verrons ce que cela donnera. Décider d'une réforme ayant pour objectif premier la réalisation d'économies me semble un procédé aléatoire. Aucune pérennité n'est assurée pour ces postes au-delà de 2024.
Pour le reste, nous ne connaissons pas les délais de délivrance des titres avant la réforme. Cependant, nous ne pouvons pas nous satisfaire des délais actuels de quatre ou cinq mois. S'il est difficile de définir ce que serait un délai raisonnable, il me semble qu'un mois serait déjà bien.
Je propose de ne pas adopter les crédits de la mission.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - Comme présenté tout à l'heure, l'amendement FINC.1 vise à supprimer l'article, qui ne relève pas du domaine des lois de finances.
L'amendement est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 41 B.
La réunion est close à 12 h 50.
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Action extérieure de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État ». - Les crédits de la mission représentent 3,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP). La hausse des CP atteint 5,2 % en valeur et 0,9 % en volume, lorsqu'elle est corrigée de l'inflation.
Trois grands postes sont concernés par cette hausse. Ainsi, les dépenses de personnel augmentent de 64 millions d'euros, les contributions internationales de 55 millions d'euros et les dépenses immobilières de 24 millions d'euros.
De manière générale, en ce qui concerne les dépenses de personnel, j'ai noté un relâchement - voire un effacement - des efforts antérieurs, ce que je regrette. D'abord, de nouvelles mesures catégorielles, cumulées depuis 2022, entraînent une augmentation des dépenses de 30 millions d'euros. De plus, nous constatons une hausse similaire de l'indemnité de résidence à l'étranger (IRE) en 2023. Lors d'un précédent travail de contrôle des dépenses de personnel, nous avions pointé le problème représenté par cette IRE ; deux ans plus tard, rien n'a changé et l'IRE réelle continue d'être déconnectée de l'IRE théorique. Enfin, le budget prévoit la création d'environ 100 équivalents temps plein (ETP), effaçant ainsi un tiers des efforts réalisés dans le cadre d'Action publique 2022.
J'en viens aux contributions internationales, pour lesquelles nous observons un effet de la dépréciation de l'euro, qui entraîne une augmentation de 52 millions d'euros sur les contributions versées en dollar ou en franc suisse. Cependant, nous voudrions décerner un satisfecit au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MAE), qui a enclenché le mécanisme de couverture de change très tôt, permettant ainsi d'éviter d'importantes pertes de change, qui pourraient s'élever à environ 20 millions d'euros si les paiements avaient lieu dans trois mois.
Enfin, l'importante augmentation des dépenses immobilières est due aux effets de l'inflation et à une programmation dynamique. Il s'agit en premier lieu de dépenses courantes d'entretien, qui augmentent sous l'effet de la hausse des prix de l'énergie. En second lieu, les dépenses d'investissement à l'étranger augmentent pour mettre en oeuvre le schéma directeur. Nous pourrons vous en dire davantage lorsque nous aurons terminé la mission de contrôle budgétaire que nous conduisons sur cette question. Nous rendrons probablement nos conclusions début 2023, après avoir effectué une visite à Madrid, où nous observerons les mesures prises dans un pays où les choses sont bien faites en la matière.
Je voudrais terminer en faisant part de mon appréciation globale des crédits de la mission. D'abord, je regrette que la culture de la recherche d'économies soit peu développée au MAE. À titre d'exemple, les crédits de la communication augmentent de 2,5 millions d'euros pour financer la lutte contre la désinformation. Certes, le sujet est important et la somme n'est pas énorme, mais nous aurions pu la trouver ailleurs afin d'éviter cette augmentation. De la même manière, 5,4 millions d'euros ont été ajoutés pour financer l'exposition universelle d'Osaka quand d'autres lignes budgétaires auraient pu servir.
Par ailleurs, le relâchement quant aux dépenses de personnel me semble critiquable.
Enfin, je doute de la crédibilité de la trajectoire de la programmation. Nos interlocuteurs du ministère semblaient découvrir la programmation des finances publiques sur les cinq prochaines années comme l'évolution de leur budget, qui prévoit 100 millions d'euros d'économies d'ici 2025. Ils n'ont pas indiqué comment celles-ci seraient réalisées.
Je suis donc réservé quant aux crédits de cette mission.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État ». - Les crédits de la diplomatie culturelle et d'influence - hors Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) - s'élèvent à 296,8 millions d'euros en CP, ce qui représente une hausse de 11,7 millions d'euros.
Cette augmentation s'explique notamment par le financement de 5,4 millions d'euros consacrés à l'exposition universelle d'Osaka. Chaque année, nous découvrons un événement exceptionnel à financer et il est difficile de juger de la rigueur du montant dégagé. Par ailleurs, la campagne Destination France entraîne un financement de 5,8 millions d'euros, dont je m'étonne. En effet, la compétence tourisme a été transférée au ministère de l'économie et des finances et Atout France ne fait plus partie de la diplomatie culturelle et d'influence.
En ce qui concerne les Instituts français à l'étranger, les moyens sont stables, ce qui représente une source d'inquiétude puisqu'une perte de ressources en volume est à prévoir en raison de l'inflation, souvent plus élevée encore dans les pays concernés qu'en France. De plus, ces Instituts présentent un déficit d'environ 43 millions d'euros en 2022. Enfin, certaines dépenses, liées notamment aux salaires, augmentent de manière significative. La stabilité des crédits en euro courant permettra-t-elle de préserver un niveau d'activité correct ? Cette question nous intéressera au cours de l'année et les sénateurs représentant les Français à l'étranger y seront sans doute attentifs.
En outre, les crédits dédiés au financement des bourses pour les étudiants et chercheurs étrangers s'élèvent à 59 millions d'euros, comme en 2022. Cependant, ce montant stable ne doit pas cacher que ces crédits sont sous-consommés, année après année. Ce phénomène peut être considéré de deux façons. D'une part, on peut s'intéresser à la marge de manoeuvre budgétaire qu'il permet, y compris pour encaisser les effets de l'inflation. D'autre part, on peut regretter le manque de volontarisme politique en la matière.
Enfin, les crédits du réseau consulaire - hors bourses aux élèves de l'AEFE -s'élèvent à 285,9 millions d'euros et connaissent une hausse de 2 %. Cependant, n'oublions pas que l'essentiel de cette enveloppe est consacré aux services consulaires, notamment à leurs dépenses de personnel pour un montant de 193 millions d'euros. De plus, contrairement à 2022, aucun crédit n'est dédié en 2023 à l'organisation d'élections.
Par ailleurs, ce programme 151 a supporté pendant des années la plus grande part des efforts de maîtrise des effectifs de la mission, ayant entraîné la suppression de 169 ETP entre 2018 et 2021.Cette baisse s'étant avérée difficilement soutenable, le ministère a recréé 136 ETP et lancé le service France Consulaire, pour mutualiser la prise en charge des appels aux postes consulaires sur un site du Quai d'Orsay situé à la Courneuve. Ainsi, une grande part des efforts réalisés dans le cadre d'Action publique 2022 pour diminuer le nombre d'emplois d'agents publics à l'étranger a été annulée. On pourrait considérer qu'il est dommage d'annuler si brutalement un effort considérable ou conclure, comme je le fais, que ces efforts étaient si déraisonnables que le Gouvernement doit revenir dessus.
En ce qui concerne l'AEFE, ses moyens sont renforcés, mais plusieurs points d'alerte demeurent. En effet, la subvention pour charges de service public, en hausse de 28 millions d'euros, atteint 441,2 millions d'euros, dont 10 millions d'euros correspondent à une partie de l'aide française versée au Liban, à travers le soutien à l'enseignement français dans le pays.
De plus, les crédits pour les bourses aux élèves de l'AEFE augmentent de 10 millions d'euros. Néanmoins, n'oublions pas qu'il s'agira aussi de faire face à une très forte inflation qui touche les frais de scolarité dans certains pays du monde, l'impact de ces hausses sur les bourses n'ayant pas été inscrit dans le budget. En outre, si le surplus nécessaire pour le versement des bourses aux élèves a été pris en charge ces dernières années par la soulte de l'AEFE, la réserve n'est plus aujourd'hui que de 15,5 millions d'euros et devrait être épuisée fin 2023. La question de l'augmentation de ces crédits se posera donc en 2024.
Pour conclure, je souhaiterais rappeler qu'il nous faut considérer cette mission avec attention, parce qu'elle subit à la fois l'inflation et le risque de change, ce qui est assez singulier.
À court terme, les crédits, qui restent très contraints, demeurent stables en valeur et diminuent modérément en volume.
À moyen terme cependant, une baisse en volume de l'ordre de 100 millions d'euros est prévue d'ici 2025 sur l'ensemble de la mission. Nos interlocuteurs au ministère ne semblent pas penser que cette contraction s'appliquera réellement.
En plus de n'être pas crédible, cette baisse ne serait pas souhaitable. En effet, les économies antérieures ont mis en tension le réseau et il apparaît désormais nécessaire de redonner les crédits et effectifs suffisants.
Enfin, je m'interroge sur l'intégration de la dimension affaires étrangères au bloc de priorités régaliennes, sur notre volonté de développer notre politique d'influence dans le monde durant ce quinquennat, sur notre capacité à faire face à l'objectif de doublement des élèves dans le réseau d'enseignement français à l'étranger, non pas tant avec ce budget 2023, que nous pourrions approuver, mais en considérant la programmation établie pour l'ensemble du quinquennat. En effet, tous les efforts d'augmentation sont inscrits pour 2023, et seules des économies sont prévues pour les années suivantes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Malheureusement, l'État revient sur ce qu'il avait défendu lors du quinquennat précédent. Le « en même temps » semble ici préjudiciable, à la fois pour les acteurs concernés, mais aussi pour l'image de la France dans son action extérieure. Cela me semble regrettable.
M. Michel Canévet. - La France affiche une grande ambition en matière d'action extérieure de l'État et cherche à développer son influence. Face aux ambitions d'augmentation du nombre de locuteurs du français à travers le monde, qui doit passer de 300 à 500 millions, les crédits dédiés sont-ils suffisants ?
De plus, je nourris quelques inquiétudes en ce qui concerne les crédits liés à l'accompagnement des investissements. J'ai visité le lycée Jean Mermoz de Buenos Aires, dans lequel le précédent Président de la République avait lancé les travaux de restructuration. Or rien ne s'est passé depuis. Les besoins importants en la matière peuvent-ils être couverts ? Peut-on accompagner la création de nouveaux lycées dans le monde pour accroître l'influence française ? La façon dont s'organise l'enseignement du français à l'étranger vous semble-t-elle pertinente ? Comment pourrait-on l'améliorer ?
M. Roger Karoutchi. - L'état des établissements français à l'étranger est en effet calamiteux. Non seulement les déficits sont considérables, mais les établissements manquent de soutien quand ils rencontrent des problèmes. La francophonie n'est plus soutenue. Nous avons discuté avec l'AFD pour que l'aide au développement soit aussi consacrée au soutien de ces écoles, dans lesquels les élèves ne sont pas seulement français, mais aussi locaux. Ainsi, dans ces établissements, on se demande aujourd'hui à quel moment on va devoir fermer parce que les moyens manquent et parce qu'il est de plus en plus difficile de recruter des enseignants, qu'ils soient locaux ou français. Nous peinons à soutenir la concurrence face aux établissements américains, anglais, allemands ou chinois.
La France cherche à être présente partout, mais elle n'en a pas les moyens et, à force de demi-mesure, la francophonie s'effondre et nos établissements français à l'étranger n'ont plus les moyens de fonctionner. Il faut interpeller le Gouvernement sur ce sujet.
Mme Christine Lavarde. - Je soutiens les moyens financiers consacrés aux écoles libanaises, car il s'agit là d'un moyen de faire rayonner la francophonie.
Je voudrais revenir sur le centre appels qui a ouvert l'an dernier pour les Français de l'étranger et semble subir un grand afflux. Est-il prévu de pérenniser cette expérimentation ? Et si oui, à quel coût ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - En ce qui concerne l'apprentissage de la langue française, différents dispositifs existent, qu'ils soient liés à l'Alliance française, à l'AEFE ou aux postes diplomatiques. Cependant, au total, les crédits sont stables, ce qui représente même une diminution en volume. Le passage de 300 à 500 millions de locuteurs ne sera donc pas financé par ces crédits.
Sur l'enseignement français à l'étranger et les établissements scolaires, je serai moins sévère que Roger Karoutchi, même si nombre d'établissements auraient besoin de travaux immobiliers importants, qui sont difficiles voire impossibles à réaliser aujourd'hui, compte tenu du mode de financement et du statut de l'AEFE. C'est pourquoi je soutiens, comme le font le MAE et l'Agence, la possibilité d'avoir recours à des capacités d'emprunt pour financer les opérations immobilières à mener. Cependant ce recours est aujourd'hui interdit par la loi et Bercy y est hostile.
Quant à la plateforme téléphonique France Consulaire, elle concerne une douzaine de pays d'Europe. Ce dispositif semble fonctionner et a permis d'offrir à nouveau un accueil téléphonique de qualité, pour nos citoyens qui appelaient les postes consulaires sans obtenir de réponse, les agents étant devenus trop peu nombreux. Vincent Delahaye et moi avons visité le centre d'appels situé à la Courneuve. Le dispositif de mutualisation nous a semblé utile, puisqu'il permet de répondre aux questions simples et de renvoyer vers les postes consulaires les questions plus compliquées. Le ministère envisage de le développer.
Enfin, j'en viens aux postes consulaires. Dans un certain nombre de pays, la situation rappelle celle que nous avons évoquée ce matin en examinant les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». En effet, de la même manière, la dématérialisation éloigne un certain nombre de personnes de l'administration, retarde des procédures comme le renouvellement des papiers d'identité et il devient difficile d'avoir un accès direct au consulat, comme pour d'autres à la préfecture.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Michel Canévet a eu la chance de se rendre à Buenos Aires, nous sommes allés à la Courneuve... Ce n'est pas la même destination, mais nous avons été très bien accueillis ! Le dispositif mis en place doit être développé puisqu'il permet à la fois de réaliser des économies et d'offrir un meilleur service. Cependant, son évolution demeure trop lente, parce que nous prenons des précautions et que certains postes consulaires émettent des inquiétudes.
Nous n'avons pas les moyens de nos ambitions, que ce soit pour le développement de l'AEFE, l'augmentation du nombre de francophones ou le maintien du réseau, dont l'appauvrissement commence à se faire sentir dans certains endroits. En outre, Alliances françaises et Instituts français se font parfois concurrence et ne travaillent pas ensemble. Tout cela est préoccupant et les inquiétudes sont bien réelles sur le réseau. Des décisions fortes doivent être prises.
Par ailleurs, je partage les propos du rapporteur général. En effet, nous avons fourni des efforts pendant des années et nous revenons dessus sans bien comprendre pourquoi. Ainsi, des moyens supplémentaires sont donnés au début du quinquennat, tout en rappelant qu'il faudra faire des économies les années suivantes.
Mon avis est mitigé. Je m'en remettrai à la sagesse de notre commission et m'abstiendrai sur le vote des crédits.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Mon avis est favorable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le mien aussi.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
M. Rémi Féraud. - Nous proposons l'amendement FINC.1, qui vise à la suppression de cet article. En effet, cet article introduit par le Gouvernement est sans lien avec la loi de finances.
De plus, s'il était maintenu, il entraînerait un bouleversement profond du système de l'enseignement français à l'étranger puisqu'un comité de gestion largement co-piloté par les parents serait créé, ce qui représenterait une forme de démantèlement de l'AEFE.
Par ailleurs, je ne suis pas non plus favorable au procédé employé. En effet, il ne s'agit pas d'une question dont on peut décider de cette façon, au détour d'une loi de finances. Cet amendement n'a semble-t-il même pas été discuté en séance à l'Assemblée nationale et il pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel.
La suppression de ce cavalier rassurera aussi les acteurs de l'enseignement français à l'étranger, qui se sont émus à sa découverte.
L'amendement FINC.1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 41 A.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Aide publique au développement » et compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - Examen du rapport spécial
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - Avant d'entrer dans le détail de la mission, je souhaite rappeler que les crédits demandés - environ 8 milliards d'euros en AE et 5,9 milliards d'euros en CP - ne représentent qu'une partie de l'aide publique au développement engagée par la France.
En 2022, la France se situe au cinquième rang des pays donateurs après les États-Unis, l'Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni. Cependant, le montant global de l'aide, qui s'élève à 13,1 milliards d'euros, représente 0,51 % du revenu national brut (RNB). Pourtant, selon la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, l'objectif à atteindre est de 0,7 % du RNB en 2025.
Il nous faudra sans doute revoir cet objectif devenu trop ambitieux, au regard des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques. En effet, pour atteindre un tel niveau, nous devrions accroître l'aide publique au développement de 10 milliards d'euros en deux ans, ce qui semble trop élevé.
En ce qui concerne les pays bénéficiaires, l'aide publique au développement de la France est principalement tournée vers l'Afrique. J'en profite pour annoncer que désormais, la France n'engage plus de crédits d'aide en Chine, comme c'était encore le cas il y a peu de temps. De plus, si la Turquie perçoit 41,4 millions d'euros, il s'agit de crédits versés pour financer le mécanisme d'accueil des réfugiés syriens.
Par ailleurs, le principal opérateur de l'aide publique au développement en France est l'Agence française de développement (AFD), dont le portefeuille d'activités correspond à un montant d'environ 12 milliards d'euros.
Cet opérateur ne perçoit aucune subvention de fonctionnement de la part de l'État, mais des crédits qui compensent à la fois la part concessionnelle des prêts accordés et les subventions versées sans contrepartie.
L'AFD et ses tutelles négocient en ce moment le prochain contrat d'objectifs et de moyens, dont l'un des buts principaux sera de resserrer le nombre des indicateurs de suivi, afin de rendre le pilotage plus stratégique ; cette idée nous semble intéressante.
Par ailleurs, le rapport présente pour la première fois les développements concernant l'aide engagée par les collectivités territoriales. Si elle reste encore modeste avec un montant d'environ 145 millions d'euros, cette aide est en progression depuis 2018.
M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - D'après le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, que nous avons adopté la semaine dernière, les CP de la mission devraient atteindre 7 milliards d'euros en 2025, soit une augmentation d'1 milliard d'euros. Cet objectif devra probablement être questionné.
Toutefois, en 2023, les crédits augmentent fortement. Ainsi, les AE connaissent une hausse de 1,4 milliard d'euros et les CP de plus de 819 millions d'euros.
Le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », qui relève du MAE, concentre les hausses les plus importantes. Ainsi, le montant des crédits demandés augmente de 837 millions d'euros en AE et de 383,1 millions d'euros en CP, notamment pour renforcer les capacités de gestion de crise et soutenir les politiques de santé au niveau mondial, comme cela était déjà le cas en 2022.
En matière de santé, les crédits augmentent de 336,4 millions d'euros en AE, en raison de la mobilisation de 256,7 millions d'euros pour la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et du financement consacré à l'alliance Gavi, à hauteur de 94,7 millions d'euros.
Par ailleurs, la création d'un mécanisme de réserve pour les crises majeures explique une hausse de 270 millions d'euros des crédits demandés sur ce programme. Cette enveloppe viendra compléter les 460 millions d'euros en AE et CP déjà dédiés aux opérations de gestion et de sortie de crise.
La création d'un mécanisme de réserve pour crise majeure paraît bienvenue puisqu'elle permettra de donner aux responsables de programmes des marges de manoeuvre pour financer des dispositifs d'urgence, sans mettre en cause le financement d'opérations déjà engagées.
Toutefois, nous nous interrogeons sur les garanties qui seront apportées par le Gouvernement, afin que ces crédits ne constituent pas une réserve de budgétisation par temps calme et qu'ils donnent bien lieu à des annulations ou à des reports en fin de gestion.
Sur le programme 110, qui relève du ministère de l'économie et des finances, le montant des crédits demandés pour 2023 connait une forte augmentation, de 632 millions d'euros en AE et de 475 millions d'euros en CP.
Cette hausse s'explique principalement par la persistance d'un important besoin de crédits pour participer aux cycles de refinancement des fonds internationaux. Par ailleurs, les effets de la hausse des taux d'intérêts sur le coût des opérations de bonification de prêts jouent aussi un rôle.
En effet, afin de permettre à l'AFD de prêter à des taux concessionnels aux bénéficiaires de l'aide au développement, l'État prend en charge, par le versement de crédits de bonification, la différence entre le coût de financement de l'AFD et le taux auquel elle prête.
Or, dans le contexte de remontée des taux d'intérêts au niveau mondial, les coûts de financement de l'AFD ont augmenté alors même que, pour être considérés comme concessionnels, les taux proposés doivent rester inférieurs à un seuil fixé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Ainsi, afin de maintenir le niveau d'aide publique au développement généré par les prêts de l'AFD, le ministère de l'économie et des finances a pris la décision d'accroître le montant des crédits dédiés à la bonification des prêts de 390 millions d'euros en 2023.
Par ailleurs, des crédits importants sont demandés au titre du programme 110, afin de participer à la reconstitution des ressources de divers fonds internationaux tel que le Fonds vert pour le climat.
Enfin, le programme 365 est dédié à la recapitalisation de l'AFD. Comme l'année dernière, les 190 millions d'euros demandés correspondent à une opération de conversion de ressources financières de l'AFD en crédits budgétaires, une opération totalement neutre pour le budget de l'État. Il ne s'agit donc ni d'accroître les engagements de l'État envers l'AFD ni de lui permettre d'augmenter son volume d'activité, figé à 12 milliards d'euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci à nos deux rapporteurs pour ces explications sur les moyens, les contraintes, les difficultés et la trajectoire retenue il y a peu de temps. Néanmoins, il me semble que pour le budget 2023, à l'exclusion du domaine régalien, nous souhaitons réaliser des économies. Au regard de la situation et des contraintes extrêmes subies en matière de dépenses énergétiques, je souhaiterais interroger les rapporteurs sur notre capacité à tenir la trajectoire retenue. Il s'agit pour moi d'un budget sur lequel nous pourrions temporairement infléchir la trajectoire. C'est la raison pour laquelle j'émets des réserves sur les crédits présentés.
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la mission « Aide publique au développement ». - Ce budget est compliqué parce qu'il mélange beaucoup de choses : frais d'écolage, frais d'accueil des demandeurs d'asile, prêts et dons, aides bilatérale et multilatérale.
La France se place effectivement à la cinquième position du classement des pays donateurs, mais je précise qu'on ne retient ici que les pays membres de l'OCDE. En effet, la Chine et la Russie se trouvent largement devant nous.
Les crédits connaissent donc une nette augmentation, ce qui semble logique puisque la loi de programmation du 4 août 2021 prévoyait une hausse très nette dans le cadre d'une trajectoire qui est désormais revue par le Gouvernement. En effet, l'objectif à atteindre de 0,7 % du RNB en 2025 est descendu à 0,6 %.
Dans ce budget, deux points me semblent importants. D'abord, la loi du 4 août avait mis en place des conseils de développement pays par pays, à la main de nos diplomates. Ainsi, le budget consacré à l'aide directement géré par les ambassadeurs a augmenté.
De la même façon, l'enveloppe budgétaire gestion et sortie de crise connait une augmentation considérable de 145 %, passant de 297 millions d'euros à 730 millions d'euros. Grâce à cette augmentation, la France rattrape un peu son retard en la matière, mais reste septième par rapport aux autres bailleurs européens. À titre de comparaison, les Allemands consacrent 2 milliards d'euros à ces dépenses importantes. En effet, la dégradation de la situation internationale et la multiplication des conflits nécessitent une intervention grandissante des pays, notamment du nôtre.
Pour conclure, si la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n'a pas encore discuté de ce budget, la tendance serait plutôt à l'accepter.
M. Vincent Delahaye. - Je n'avais pas voté la loi de programmation du 4 août 2021 pour trois raisons, que je retrouve un peu ici. D'abord, les objectifs sont trop ambitieux et nous n'avons pas les moyens de les atteindre. L'augmentation ici présentée me semble déraisonnable. Certes, nous pouvons continuer ainsi, mais que se passera-t-il le jour où l'on cessera de nous prêter ?
Ensuite, je suis opposé au projet du nouveau siège de l'AFD, qui doit coûter 1 milliard d'euros, ce qui paraît déraisonnable. Par ailleurs, je n'ai pas bien compris le tour de passe-passe comptable qui rend neutre le renforcement des fonds propres de l'AFD. Ces renforcements correspondent-ils à la somme nécessaire pour acquérir le siège ?
Enfin, il me semblait que les crédits et nos efforts n'étaient pas forcément tournés vers les pays qui en avaient le plus besoin. J'ai du mal à m'y retrouver dans les crédits de cette mission, car il est difficile de distinguer entre prêts et subventions. J'aurais aimé retrouver cette distinction dans la synthèse, ainsi que la répartition géographique des subventions afin que l'on s'assure qu'au moins les trois quarts des subventions sont bien versés aux pays les plus pauvres de la planète.
M. Dominique de Legge. - La France est le cinquième pays en matière d'aide au développement, mais quel est l'objectif recherché ?
Il y a quelques semaines, j'ai remis un rapport présentant les conclusions de la mission de contrôle budgétaire que j'ai menée sur les forces de souveraineté. J'avais été frappé par la manière dont mes interlocuteurs indiquaient que lorsqu'ils devaient entretenir des coopérations avec les pays voisins - autour du canal du Mozambique par exemple -, l'AFD était absente, alors qu'il s'agit de pays potentiellement éligibles à son aide, de pays dont nous avons besoin en matière de coopération, notamment pour travailler sur les questions de sécurité et de trafic.
Par ailleurs, quels liens entretenons-nous avec les pays candidats à notre aide, dont les ressortissants sont par ailleurs candidats à un accueil en France ?
Enfin, quel retour attendons-nous des opérations menées ? Qu'exigeons-nous des entreprises françaises qui pourraient vouloir travailler sur ces projets financés par l'État ?
M. Patrice Joly. - Je souhaiterais commencer par une mise en perspective : nous parlons ici d'humanité et l'indice de développement humain a subi une très sévère dégradation au cours de l'année passée, pour la première fois depuis 32 ans. La pandémie en est responsable, mais aussi la situation géopolitique et ses conséquences en matière de sécurité alimentaire.
Pour répondre à ces crises humanitaires, la France joue sa part, en répondant aux besoins vitaux des populations, mais aussi en assurant une politique de développement.
Nous émettons de nombreuses critiques, mais le système fonctionne plutôt bien quand les États sont organisés et suffisamment structurés, que l'on dispose dans les pays bénéficiaires d'un levier pour accompagner leur développement.
Par ailleurs, nous observons une hausse significative des crédits, qui ne sont pas à la hauteur de ce qui figurait dans la loi de programmation, mais respectent néanmoins la trajectoire au regard de ses orientations.
En outre, je remarque que la part des prêts est plus importante que celle des dons. Il nous faut mesurer les conséquences de cette répartition au regard du contexte financier international de hausse prix et des problématiques de taux de change, qui peuvent accroître les difficultés de certains pays. Il nous faut donc anticiper et envisager dès aujourd'hui d'être confrontés, dans les années qui viennent, à des problématiques d'annulation de dettes.
Je souhaiterais enfin poser deux questions. D'abord, la Chine n'apparaît pas comme pays donateur dans le rapport ; comment se situe-t-elle par rapport à la France en matière de volume d'aide ? En effet, on entend beaucoup parler de sa présence, notamment en matière de développement des infrastructures.
Ensuite, quelle proportion représente la coopération décentralisée par rapport à la coopération globale nationale ? Comment s'articulent les deux ? Que pourrait-on améliorer dans ce domaine ?
M. Roger Karoutchi. - L'AFD, c'est un État dans l'État, son budget est considérable et ses décisions souvent non contrôlées. Le président Larcher et moi recevons pratiquement chaque semaine des délégations d'assemblées et de sénats, africains ou asiatiques. Tous nous confient qu'il leur manque un correspondant politique, que nous avons besoin d'un ministre de la coopération qui soit politiquement responsable des crédits de l'aide au développement pour que cela fonctionne. Les ministres et présidents de ces États ne peuvent pas avoir comme correspondants des gens qui sont certes de qualité, mais n'ont aucune responsabilité politique. De manière plus générale, des personnes nommées ne peuvent pas décider de l'affectation de milliards d'euros sans contrôle politique.
Par ailleurs, comme l'a dit Patrice Joly, nous avons accordé beaucoup de prêts que de nombreux États ne sont pas en mesure de rembourser. Ainsi, non seulement nous augmentons les crédits pour 2023, mais il faut aussi s'attendre à ce qu'un certain nombre de remboursements prévus n'aient pas lieu dans les années à venir.
M. Rémi Féraud. - Je voudrais revenir sur la question du siège de l'AFD. Vous ne le mentionnez pas dans votre synthèse, mais il n'existe toujours pas et il est toujours contesté. Dans Le Journal du dimanche de la semaine dernière, j'ai découvert une pétition signée par des gens aussi divers que Stéphane Bern et Sandrine Rousseau, par des élus de droite comme de gauche. Ce siège coûte effectivement très cher. Je suis élu parisien et la ville de Paris a accompagné l'État dans ce projet. Est-il sécurisé aujourd'hui ? Reste-t-il des recours juridiques ? La somme prévue d'1 milliard d'euros a-t-elle déjà été dépensée par l'AFD ? Ce projet arrivera-t-il à terme ? Si ce n'est pas le cas, quel sera l'impact pour l'AFD ?
M. Jérôme Bascher. - Je voudrais évoquer l'AFD en France, comme banque de développement des territoires ultramarins. Cette implantation est-elle encore raisonnable ? Ne faudrait-il pas mettre fin à certaines missions pour retrouver des fonds propres ? Quand une banque de développement est bien gérée, on n'a pas recours à la recapitalisation. Et quand c'est le cas, il faut nous expliquer pourquoi.
M. Marc Laménie. - Je voudrais évoquer les moyens humains. Quels sont les effectifs liés à cette mission, en France et à l'extérieur ? Par ailleurs, comment fonctionne la gouvernance de l'AFD ?
M. Sébastien Meurant. - Quels sont les pays bénéficiaires ? Comment les choisit-on ? Selon une vision géopolitique ? Pour soutenir le développement de la francophonie ? Quels sont les retours pour nos entreprises ?
M. Daniel Breuiller. - D'abord, en ce qui concerne le siège, je fais partie de ceux qui pensent que la dépense d'1 milliard d'euros pour des locaux ne représente pas une priorité raisonnable.
Par ailleurs, l'aide au développement prévoit des crédits pour l'adaptation au changement climatique - 5 milliards au moment de la COP 21, si je ne me trompe pas. Il s'agit là d'un sujet majeur. Vous avez mentionné le financement d'1 milliard d'euros dans le cadre du Fonds vert ; comment cette somme s'articule-t-elle aux sommes destinées à l'adaptation ? Enfin, je partage l'idée selon laquelle le politique devrait guider l'affectation de l'aide, et cela semble important pour répondre à la question des inégalités territoriales face au dérèglement climatique.
M. Christian Bilhac. - Je suis perplexe. En effet, cette mission devrait emporter l'unanimité puisqu'elle touche au régalien pur, qu'elle porte les valeurs de notre pays et devrait nous permettre de répondre au premier des deux grands défis qui nous attendent : l'immigration qui ne va cesser d'augmenter et le déficit du commerce extérieur. Cependant, nous traversons une période de tension financière et l'argent public doit être dépensé de façon utile. Ces milliards sont-ils utilisés judicieusement ? Pourrait-on mieux distribuer ces crédits en accordant plus de place au politique et moins à l'administration ?
Enfin, quand ils arrivent à maturité, les prêts sont-ils tous transformés en subventions ou une partie est-elle remboursée ?
M. Gérard Longuet. - Les chefs d'entreprises français, industriels en particulier, qui réalisent des équipements d'infrastructure dont ont besoin les pays qui sont nos partenaires dans le cadre de l'AFD, aimeraient eux aussi avoir un interlocuteur politique. En effet, l'AFD ne semble pas se préoccuper du soutien à l'industrie française d'exportation. Les industriels s'entendent dire qu'il s'agit de financements mixtes internationaux et qu'il y a des règles d'appels d'offres. Néanmoins, tous les pays européens, dont le Royaume-Uni par exemple, mais aussi la Belgique, soutiennent leurs industries dans le cadre des projets de coopération pour la réalisation d'infrastructures de développement. À ce titre, l'expertise mondialement reconnue de la ville universitaire de Nancy en matière d'eau, n'a jamais été utilisée par l'AFD. J'avais pourtant cru comprendre que l'eau était un préalable au développement...
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - D'abord, en ce qui concerne la trajectoire, la loi de programmation du 4 août prévoyait d'atteindre 0,55 % du RNB en 2022 et nous sommes déjà en retard. Parvenir à l'objectif de 0,7 % supposerait d'augmenter l'aide publique de 10 milliards d'euros supplémentaires, ce qui n'est pas au goût du jour.
Ensuite, pour répondre à Roger Karoutchi, je voudrais dire qu'il y a bien une secrétaire d'État au développement international et que nous avons rencontré son cabinet.
J'en viens aux prêts, qui sont concédés à des taux préférentiels et sont assez largement remboursés, sauf quand les États font faillite.
Quant à la Chine, elle n'est pas comptabilisée
parmi les principaux donateurs, car son aide est souvent liée alors que
l'aide publique au développement est par
principe
déliée. En outre, elle ne fait pas partie de la liste
des pays du Comité d'aide au développement de l'OCDE qui
comptabilise l'effort réalisé en aide au développement.
Pour répondre à Marc Laménie, la mission comporte 1 462 ETP, qui sont répartis entre le MAE et Bercy. Quant à l'AFD, elle emploie 2 700 agents.
Enfin, l'aide attribuée par les collectivités locales représente 145 millions euros en coopération décentralisée.
M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Certains ont évoqué le coût très élevé du siège de l'AFD. La décision de réaliser l'opération a été prise en février 2020 et les travaux devaient s'achever en 2025. Par ailleurs, le sujet est aujourd'hui purgé de tout recours et l'opération aura donc bien lieu, dans le quartier d'Austerlitz. Sur les 50 000 mètres carrés prévus, 30 000 seront dédiés à l'AFD et nous ignorons à quoi servira la surface restante, ce qui constitue un sujet de préoccupation. Nous suivons ce dossier de près.
En ce qui concerne les prêts et subventions, l'essentiel de l'action internationale de la France prenait jusqu'à présent la forme de prêts, ce qui a conduit au développement considérable du budget de l'AFD et posé des problèmes de capitalisation. La loi de programmation du 4 août 2021 prévoit une réorientation et une hausse de la part des subventions. Par ailleurs, la décision a été prise de contingenter la capacité d'intervention de l'AFD en termes de prêts à 12 milliards d'euros, mettant ainsi un frein pour éviter de possibles dérapages.
Dominique de Legge a évoqué le lien entre les pays aidés et les ressortissants candidats à l'accueil. Beaucoup reste à faire en la matière. Quand la France intervient à l'étranger, elle offre un accompagnement pour faire face aux situations d'urgence, notamment en matière de sécurité alimentaire. Nous devons vérifier que les choses se passent correctement sur ce plan.
Nous avons évoqué la question des entreprises françaises avec l'ensemble de nos interlocuteurs...
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - ... nous avons même reçu des entreprises qui nous ont fait part de leurs récriminations.
M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Pour rappel, l'aide au développement doit être déliée, c'est la philosophie de l'OCDE. Cependant, nous ne pouvons pas être les ennemis de nos propres intérêts et nous devons nous montrer attentifs à ce que l'aide ne serve pas à remplir les poches des dirigeants ou des intermédiaires, mais aussi à ce que les entreprises françaises y trouvent leur intérêt. Au sein de l'AFD, la filiale Proparco a vocation à accompagner les entreprises françaises dans les actions de développement à l'étranger. Cependant, il reste beaucoup à faire pour que les intérêts français soient mieux préservés dans les opérations financées, comme cela se passe dans nombre de pays.
Par ailleurs, en matière de gouvernance, je rappelle que deux sénateurs siègent au conseil d'administration de l'AFD - il manque d'ailleurs deux suppléants, qui n'ont pas encore été nommés par le Sénat. Selon nos interlocuteurs, le conseil d'administration, qui a récemment changé de présidence, travaille sérieusement.
En outre, la recapitalisation prévue en 2023 concerne en réalité la transformation d'une créance en prise de participation. C'est entièrement neutre pour l'État en comptabilité nationale puisque la contrepartie des crédits engagés est la détention d'une participation au capital de l'AFD. À plus long terme, la question du renforcement des fonds propres pourrait être posée puisque que l'AFD intervient dans des pays considérés comme étant à très haut risque. En effet, les normes prudentielles pour intervenir dans ces pays requièrent la présence de fonds propres significatifs. Ces opérations sont donc liées à l'essence même de l'activité de l'Agence.
En ce qui concerne les effectifs, je voudrais préciser qu'une partie des 2 700 employés se trouvent au siège à Paris, mais que l'AFD compte aussi 90 implantations à travers le monde. La loi du 4 août 2021, ayant pour objectif de rationaliser la coordination des différents intervenants à l'étranger, elle a prévu la mise en place des conseils locaux de développement, qui se déroule plutôt bien, afin que l'action de la France soit unifiée.
Quant au retour sur les aides, évoqué par Sébastien Meurant, il faudrait qu'il advienne.
J'en viens au montant d'1 milliard d'euros dédié au fonds vert et confirme, Daniel Breuiller, qu'il est bien amplifié par d'autres actions. La doctrine d'intervention de l'AFD rend nécessaire le respect des accords de Paris. Ainsi, les projets choisis doivent être compatibles à 100 % avec les cibles fixées en matière de santé, d'égalité hommes-femmes et d'environnement. Les membres du conseil d'administration veillent bien à ce respect.
Je voudrais enfin dire à Christian Bilhac que nous ne sommes pas tout à fait dans le régalien pur... En effet, les collectivités territoriales interviennent aussi à hauteur de 145 millions d'euros.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Je voudrais préciser que pendant longtemps les rapporteurs spéciaux de la commission des finances siégeaient au conseil d'administration de l'AFD. Cela a été modifié pour que nous ne soyons pas juges et parties.
M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Une dernière précision quant aux pays pour lesquels le remboursement de la dette est problématique. En Argentine, au Sri Lanka, au Pakistan, en Zambie et au Tchad, des questions se posent sur la situation d'enlèvement et des remises de dette seront sans doute à prévoir. Cela se fera dans le cadre des accords de Paris et non pas de façon unilatérale.
Notre avis sur les crédits est favorable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'abstiendrai.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Aide publique au développement ».
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Économie » (et article 43) et compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport de nos collègues Thierry Cozic et Frédérique Espagnac, rapporteurs spéciaux sur la mission « Économie » et sur le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».
M. Thierry Cozic, rapporteur spécial sur la mission « Économie » et sur le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ». - Comme vous le savez sans doute, l'examen des crédits de la mission « Économie » est marqué cette année par un amendement du Gouvernement intégré au texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, qui augmente de 4 milliards d'euros les crédits initialement demandés pour 2023. Cette hausse doit financer des aides exceptionnelles aux entreprises pour le paiement de leurs factures de gaz et d'électricité l'année prochaine.
Mais avant d'aborder ce sujet, nous vous proposons d'analyser les crédits initialement demandés pour 2023, qui financent les différentes politiques de la mission.
Par rapport à 2022, les crédits initialement demandés augmentent de 3,3 % en autorisations d'engagement, tandis que les crédits de paiement baissent de 3,2 %. Néanmoins, la mission connait en réalité d'importantes évolutions de périmètre pour 2023.
D'une part le programme 367 « Financement du compte d'affectation spéciale «Participations financières de l'État» », n'est pas abondé cette année, alors qu'il l'était de 748 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2022. D'autre part, la mission connaît plusieurs transferts de crédits rattachés auparavant à d'autres missions, pour un solde cumulé entrant d'environ 335 millions d'euros.
Finalement, à périmètre constant, hors programme 367, les autorisations d'engagement augmentent d'environ 520 millions d'euros en autorisations d'engagement (soit une hausse de 20 %) et d'environ 280 millions d'euros en crédits de paiement (soit une hausse de 8,5 %).
Comme l'année dernière, l'essentiel des crédits se trouve concentré sur les grandes administrations économiques de la mission et sur trois dispositifs. Tout d'abord, les compensations au groupe La Poste au titre de ses différentes missions de service public. Ensuite, la compensation carbone des sites électro-intensifs, dont le coût augmente d'ailleurs très significativement par rapport à 2022, de 512 millions d'euros. Enfin, le plan France Très haut débit.
Nous souhaitons, en premier lieu, évoquer la situation des administrations et des opérateurs de la mission. Globalement, leurs emplois et moyens sont préservés pour 2023, comme l'année dernière, après plusieurs années de baisse.
S'agissant de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous sommes satisfaits de constater qu'après avoir été réduits d'un quart en quinze ans, ses effectifs augmentent légèrement cette année. Comme nous l'indiquions dans notre rapport de contrôle présenté il y a un peu plus d'un mois sur le sujet, une légère hausse des effectifs était indispensable au bon accomplissement des missions de cette administration, sur l'ensemble du territoire. En 2023, le plafond d'emplois augmente de 13 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Il nous faudra rester vigilants quant à l'effectivité de cette hausse en cours d'exécution et aux évolutions les années suivantes.
Les effectifs de la direction générale du Trésor (DGT) augmentent également légèrement, pour la première fois depuis 2015, hors présidence française de l'Union européenne. Le plafond d'emplois augmente ainsi de 18 ETPT, tandis que son réseau à l'étranger est préservé pour la deuxième année consécutive. Sur ce sujet, nous avions constaté dans notre rapport du printemps 2021 que les fortes baisses d'effectifs ne pouvaient continuer sans mettre en danger la diplomatie économique.
Par ailleurs, la mission est marquée cette année par l'intégration d'un nouvel opérateur, désormais rattaché exclusivement au ministère de l'économie et des finances. Il s'agit d'Atout France, l'opérateur de l'État en charge du développement touristique de la France. Il en résulte un transfert entrant de crédits dédiés à la dotation versée à cet opérateur (pour environ 30 millions d'euros) et de crédits destinés à développer le tourisme en France.
En outre, en 2023, un effort financier est déployé en faveur des exportations et de l'internationalisation des entreprises via la hausse des subventions de Business France et de Bpifrance Assurance Export, respectivement de 16 millions d'euros et de 28 millions d'euros.
Plusieurs autres administrations ou opérateurs connaissent une légère hausse ou une stabilisation de leurs moyens. Les crédits de l'Insee sont ainsi en légère hausse et ses effectifs se stabilisent cette année, après plusieurs années de baisse. De même, les effectifs de la direction générale des entreprises, de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) et de l'Autorité de la concurrence augmentent très légèrement. Enfin, les effectifs de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) restent quasi-stables.
À l'inverse, deux opérateurs voient leurs moyens être contraints. Les recettes propres de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) restent plafonnées à 94 millions d'euros, comme en 2022. Ce plafond, s'il permet de contraindre l'INPI à utiliser sa trésorerie à court terme, n'apparaît pas viable à moyen terme. En outre, la Banque de France voit sa dotation se réduire de 17 millions d'euros.
Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale sur la mission « Économie » et sur le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ». - Nous souhaitons tout d'abord aborder les compensations financées par la mission « Économie » et versées à La Poste au titre de ses différentes missions de service public.
Trois compensations sont pérennisées pour 2023.
En premier lieu, la compensation pour financer le transport postal de la presse par La Poste est maintenue et sera de 40 millions d'euros en 2023. De même, la dotation pour le service postal universel sur l'ensemble du territoire national ne connait pas de modification et sera de 500 à 520 millions d'euros en 2023. Enfin, comme l'année dernière, une dotation au fonds postal national de péréquation territoriale est prévue pour la mission d'aménagement et de développement du territoire de La Poste, qui consiste à maintenir des points de contact dans l'ensemble du pays. Cette dotation devait initialement être maintenue à 74 millions d'euros.
Néanmoins, la réforme proposée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en 2023 aboutit à une baisse du produit de l'abattement sur celle-ci dont bénéficie par ailleurs le fonds de péréquation. En conséquence, le Gouvernement a intégré au texte transmis par l'Assemblée nationale une hausse complémentaire de 31 millions d'euros de la compensation.
Surtout, en 2023, une nouvelle compensation au groupe La Poste intègre la mission « Économie ». En effet, la Banque postale est chargée par la loi d'une mission d'intérêt général d'accessibilité bancaire. Elle se matérialise par l'obligation pour cet établissement d'ouvrir gratuitement à toute personne qui le demande un Livret A fonctionnant comme un quasi-compte courant. Cette mission vise un objectif d'insertion bancaire et sociale en permettant aux personnes dont les besoins spécifiques ne sont pas couverts par les autres dispositifs d'avoir accès à un support bancaire simple dont le mode de fonctionnement est adapté à leurs besoins : montant minimum des retraits faible et absence de moyens de paiement notamment.
En 2021, la Banque postale recensait environ 1 million de clients relevant de la mission d'accessibilité bancaire. Cette mission représente un coût pour la Banque postale, qui s'explique par la consommation accrue de services de guichet liée, d'une part, à l'absence de moyens de paiement associés à ce type de livrets A et, d'autre part, au besoin d'un accompagnement humain renforcé.
En contrepartie de cette mission d'intérêt général, la Banque postale reçoit donc une compensation. Celle-ci est jusqu'ici débudgétisée : c'est le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui en assume la charge. Cette compensation suit une trajectoire dégressive pour inciter la Banque postale à assurer l'efficience de sa mission : d'un montant de 338 millions d'euros en 2021, elle sera de 303 millions en 2023 et s'établira à 252 millions d'euros en 2026.
L'article 43 du projet de loi de finances (PLF) pour 2023 prévoit la budgétisation de cette compensation au sein du budget général de l'État, et plus précisément de la mission « Économie ».
Cette réforme nous apparaît opportune pour plusieurs raisons.
Premièrement, elle soulage le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations d'une charge importante qui ne rentre pas dans le cadre de sa mission principale, le financement du logement social. Deuxièmement, la budgétisation de la compensation met en cohérence l'objectif du dispositif, une mission d'intérêt général, et le financeur, l'État. Elle offre en outre une plus grande portée au vote des crédits par le Parlement. Troisièmement, nous observons qu'en principe, la réforme sera globalement neutre pour l'État d'un point de vue budgétaire ; en effet, l'État pourra prélever le surplus de fonds propres que génèrera le fonds d'épargne à la suite de cette réforme. Nous resterons toutefois particulièrement vigilants quant à l'effectivité de la neutralité budgétaire de cette réforme.
Nous proposerons l'adoption de l'article 43 sans modification.
Outre ces sujets de compensation au groupe La Poste, nous avons également souhaité centrer une partie de nos travaux sur le plan France Très haut débit (FTHD).
Le programme 343 porte en effet une part substantielle de la participation de l'État au financement du plan, qui devrait s'élever au total à 3,64 milliards d'euros d'ici fin 2023. Ce plan vise à contribuer à atteindre l'objectif d'une couverture intégrale du territoire en fibre optique à l'horizon 2025 en subventionnant les réseaux d'initiative publique (RIP), qui sont mis en oeuvre dans les zones dans lesquelles le déploiement n'est pas rentable pour les opérateurs. Les RIP sont des réseaux de très haut débit mis en place dans le cadre de projets des collectivités territoriales, qui doivent s'associer à l'échelle départementale pour bénéficier d'un soutien de l'État, via le FTHD.
Il ressort de notre analyse que ce plan a eu des conséquences très positives sur les déploiements du très haut débit dans les zones concernées. La dynamique est forte avec près de 1 500 000 nouvelles prises de fibre optique déployées sur le premier semestre 2022 dans les RIP, soit 64 % des déploiements sur l'ensemble du territoire sur la période.
Mais nous tenons à évoquer plusieurs points d'alerte s'agissant du déploiement de la fibre optique dans les autres zones.
Tout d'abord, contrairement à ce que l'on pense parfois, les difficultés d'accès à la fibre optique ne concernent pas uniquement les territoires ruraux. Dans les zones très denses, où le déploiement relève de l'initiative des opérateurs, le rythme insuffisant constaté ces derniers semestres perdure. En outre, il existe une forte disparité dans l'avancement du déploiement dans ces zones.
Par ailleurs, dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii), dans lesquels les opérateurs privés ont pris des engagements de déploiement vis-à-vis de l'État, ces derniers ne sont pas atteints. De plus, la dynamique de déploiement des opérateurs ralentit dans ces zones.
Enfin, nos inquiétudes portent également sur les zones d'appel à manifestation d'engagement local (Amel), dans lesquelles les opérateurs ont également pris des engagements de déploiement, sur le modèle des zones Amii. À ce jour, seulement un tiers des locaux à rendre raccordables en zone Amel l'a été et le respect des échéances prévues dans chacun des cas n'apparaît pas assuré, loin de là.
Nous considérons, dans ces conditions, que l'Autorité de régulation (Arcep) doit impérativement se saisir de son pouvoir de sanction, afin de contraindre les opérateurs à atteindre leurs objectifs en zones Amii et en zones Amel. Comme nous l'indiquions déjà l'année dernière, l'Arcep ne doit pas attendre d'être saisie par les collectivités elles-mêmes pour agir. Celles-ci ne sont pas vraiment en position de force vis-à-vis des opérateurs pour lancer une procédure de sanction de la part de l'Arcep.
Par ailleurs, alors que les réseaux sont aujourd'hui en phase de déploiement, il nous apparaît nécessaire d'anticiper les coûts liés à l'entretien des réseaux, ainsi qu'à la réalisation des raccordements complexes.
Le financement de ces raccordements complexes doit permettre de sécuriser l'éligibilité de tous nos concitoyens à la fibre. C'est l'alerte que nous avions lancée l'année dernière. Le Gouvernement a annoncé en fin d'année dernière la mobilisation de 150 millions d'euros de crédits pour financer ces raccordements complexes, dont 89 millions d'euros en 2022. La seconde tranche de ce plan est prévue dans le présent budget pour 2023, pour 61 millions d'euros. L'appel à projets correspondant a été lancé en avril 2022.
Si nous nous satisfaisons de l'ouverture de crédits d'un montant identique à ce que nous avions proposé par amendement l'année dernière, nous serons vigilants quant aux résultats obtenus et sur le fait de savoir si ce montant sera suffisant.
Nous souhaitons également aborder un troisième sujet, que nous connaissons bien au Sénat : le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac). Alors que les difficultés touchent de plein fouet l'économie de nos territoires, l'artisanat et le commerce, nous proposons un amendement n° 1 visant à rétablir, au sein de la mission, le Fisac, pour un montant de 30 millions d'euros.
Face à la situation actuelle, il me semble qu'il faut nettement distinguer ce qui relève des dispositifs d'urgence pour sauver les entreprises, notamment en matière énergétique, et les outils d'intervention qui permettent d'aider spécifiquement à la création, à la transmission, au maintien ou à la modernisation des entreprises et des commerces dans les territoires les plus fragiles.
Le Fisac doit permettre aux commerces des territoires d'être préservés et surtout de se moderniser en développant de nouveaux outils. Je pense notamment aux artisans qui pourraient renforcer leur recours aux dispositifs numériques.
Nous voudrions par ailleurs évoquer le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers et à des organismes privés ».
En 2023, les crédits de ce compte s'établissent à 275 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 495 millions d'euros en crédits de paiement. Ces crédits financent notamment les prêts du fonds de développement économique et social (FDES), pour 75 millions d'euros en 2023, auxquels s'ajouteront des reports de crédits.
Sur ce sujet du FDES, nous souhaiterions d'ailleurs que les conséquences de la prolongation de l'encadrement temporaire des aides d'État pour 2023, résultant de la décision de la Commission européenne du 28 octobre 2022, soient tirées, s'agissant du dispositif des prêts bonifiés. En effet, la décision de la Commission européenne ouvre la porte à la prolongation en 2023 du dispositif des prêts bonifiés au bénéfice des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) touchées par les conséquences économiques de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En l'état, le projet annuel de performance du programme 877 correspondant ne prévoit pas la prolongation du dispositif, alors que des crédits non consommés demeurent. Ils étaient de 158 millions d'euros à l'été 2022, sur les 500 millions d'euros de dotation initiale. Nous encourageons donc le Gouvernement à prolonger l'application de ces prêts bonifiés en 2023 en utilisant les crédits non consommés en 2022, sans qu'il n'y ait besoin d'adopter un amendement.
M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - En effet, nous voudrions également vous faire part de notre proposition de prolonger, par un amendement n° 2, les prêts participatifs au profit des petites entreprises. Ce dispositif, financé par le FDES et donc par le compte de concours financiers, avait été mis en place à l'initiative du Sénat lors de la crise sanitaire ; il a été prolongé plusieurs fois, notamment à notre initiative et à celle du rapporteur général.
Le prêt participatif est un moyen de financement intermédiaire entre le prêt à long terme et la prise de participation. Ce dispositif offre des possibilités de prêts aux entreprises de moins de 50 salariés qui rencontrent des difficultés de financement, qui n'ont pas obtenu un prêt garanti par l'État à hauteur d'un montant suffisant pour financer leur exploitation et enfin, qui justifient de perspectives réelles de redressement.
La loi borne aujourd'hui ces prêts à la fin de l'année 2022. Or ils restent utiles dans un contexte d'accès au crédit pouvant rester très contraint pour les petites entreprises. En 2021, environ 19 millions d'euros ont ainsi été octroyés au titre de ces prêts participatifs selon les documents budgétaires.
Notre amendement n° 2 propose donc de prolonger le dispositif jusqu'au 31 décembre 2023. Cette prolongation pourra être financée par les crédits dont il est déjà prévu l'ouverture au profit du FDES pour l'année 2023.
Pour finir sur le sujet du compte de concours financiers, nous soulignons la nécessité de le dépoussiérer en amorçant la suppression des programmes dont l'existence n'apparaît plus justifiée.
Le programme 868 « Prêts et avances pour le développement du commerce avec l'Iran » en est un parfait exemple. Ce programme a été créé par la loi de finances pour 2018 dans le but de permettre à l'État d'accorder des prêts à Bpifrance pour financer le dispositif que cet établissement était en train de mettre en place pour soutenir les entreprises françaises souhaitant exporter leurs produits en Iran. Toutefois, l'entrée en vigueur de sanctions économiques américaines contre l'Iran à compter du mois de novembre 2018 a conduit Bpifrance à suspendre le projet, son directeur général estimant que les conditions n'étaient plus réunies pour le mettre en oeuvre. En conséquence, le programme 868 n'a jamais connu de consommation de crédits depuis sa création.
Nous vous proposons donc, par un amendement n° 3, de supprimer ce programme. En outre, j'invite le Gouvernement à enclencher la suppression du programme 861 « Prêts et avances pour le logement des agents de l'État », dont l'utilisation est presque nulle : 50 000 euros sont ouverts annuellement depuis 2019, ce qui est trop faible pour justifier son maintien. À défaut, j'estime qu'il reviendra au Parlement d'être à l'initiative de sa suppression au profit d'autres instruments budgétaires plus proportionnés.
Enfin, le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale un amendement rehaussant de 4 milliards d'euros les crédits du programme 134 « Développement des entreprises et régulations ». Cette hausse vise à financer une partie des deux dispositifs d'aides aux entreprises en matière énergétique pour 2023, confirmés par le Gouvernement le 27 octobre dernier, pour un coût total de 7 milliards d'euros.
S'agissant des factures d'électricité, un guichet d'aide au paiement des factures d'électricité et de gaz a été ouvert à l'été 2022. En 2023, ce guichet sera maintenu pour les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises. Les très petites entreprises (TPE) et les PME se verront quant à elles appliquer, comme les collectivités, un nouveau dispositif d'« amortisseur électricité ». Celui-ci se matérialisera par une aide forfaitaire sur 25 % de la consommation, permettant de compenser l'écart entre le prix plancher de 325 euros par mégawattheure et un prix plafond de 800 euros par mégawattheure.
S'agissant des factures de gaz, le guichet d'aide ouvert à l'été 2022 restera ouvert pour 2023 pour l'ensemble des types d'entreprises.
Dans ce contexte, une hausse de 3 milliards d'euros des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » vise à financer la mise en place de « l'amortisseur électricité ».
La hausse des crédits de la mission « Économie » de 4 milliards d'euros vise, quant à elle, à financer le guichet d'aides pour le paiement des factures d'électricité et de gaz des entreprises. Selon les informations disponibles, cette somme s'ajoute aux 3 milliards d'euros dont était déjà doté le guichet en 2022. Les rapporteurs spéciaux, qui sont favorables à ces aides, ne peuvent toutefois que constater qu'au 4 novembre de cette année, sur les 6 milliards d'euros ouverts sur le programme 134 en 2022, seul 1,44 milliard d'euros a été consommé, soit moins d'un quart. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022, que nous allons prochainement examiner, prévoit d'ailleurs l'annulation de 245 millions d'euros en crédits de paiement.
Ces éléments laissent transparaître un enjeu quant au rythme de décaissement des aides, probablement du fait de critères d'éligibilité trop stricts ou complexes par rapport à l'ambition financière du dispositif. De nouveaux critères d'éligibilité simplifiés devraient être prochainement publiés selon le Gouvernement. C'est un enjeu fort pour l'effectivité des aides annoncées.
En conclusion, nous sommes favorables à l'adoption des crédits de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption de l'amendement n° 1 relatif au rétablissement du Fisac.
Nous serons également favorables à l'adoption de l'article 43 rattaché, sans modification.
Par ailleurs, nous vous proposerons un amendement n° 2 portant article additionnel après l'article 43, afin de permettre la prolongation en 2023 des prêts participatifs pour les petites entreprises.
Enfin, nous sommes favorables à l'adoption des crédits du compte de concours financiers, sous réserve de l'adoption de l'amendement n° 3 supprimant le programme 868 « Prêts et avances pour le développement du commerce avec l'Iran ».
M. Serge Babary, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques de la mission « Économie ». - La commission des affaires économiques n'a pas encore examiné officiellement, pour avis, les crédits de cette mission, mais je vais tenter de vous livrer en quelques mots le sentiment général qui se dégage du travail déjà réalisé au sujet des crédits concernant le commerce et la consommation, et notamment des auditions conduites jusqu'à présent. Je note tout d'abord que la stabilité apparente des crédits de cette mission masque en réalité, dans le détail, une augmentation forte liée à la compensation carbone et à la rebudgétisation de prestations réalisées par la Banque postale, et une diminution forte liée à l'absence d'abondement du programme 367 qui permet d'alimenter le compte de l'État actionnaire.
En tout état de cause, le commerce et l'artisanat continuent d'être les parents pauvres de cette mission : il n'y a quasiment plus aucun crédit à ce sujet, le Gouvernement ayant fait le choix de s'en remettre essentiellement à 1'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour développer l'activité commerciale dans nos territoires. J'ai donc fait le choix de me pencher plus particulièrement sur l'inadéquation entre les missions et les effectifs de la DGCCRF, et sur le mouvement consumériste.
Rarement une administration n'aura vu, en quelques années, ses missions et ses outils se développer à un tel rythme. Les lois relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire et portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets étendent le champ de son contrôle : allégations environnementales à vérifier, garanties sur les biens et services numériques, contrôle des prix de référence en cas de promotion, encadrement du démarchage téléphonique, contrôle des relations commerciales et de l'application de pénalités logistiques sont autant de nouvelles tâches qu'elle doit réaliser. On aurait donc pu imaginer qu'en parallèle, le Gouvernement lui octroierait les moyens nécessaires pour absorber une telle hausse de sa charge de travail.
Or, ainsi que l'a montré le contrôle budgétaire des rapporteurs spéciaux en septembre, ainsi qu'un rapport de la commission des affaires économiques publié au mois de juin et qui concernait alors le sujet spécifique de l'information aux consommateurs, les effectifs ont fondu en dix ans. Il existe un vrai effet ciseaux dont les victimes principales, au-delà des agents de la DGCCRF, sont les consommateurs et les PME.
Pour la première fois, en 2023, il semblerait que l'hémorragie cesse ; mais les 50 équivalents temps plein (ETP) prévus ne sont que l'épaisseur du trait, eu égard à l'ampleur de la réduction d'effectifs en une décennie, et ils seront bien insuffisants pour absorber toutes ces nouvelles missions. Certes, le transfert de la police sanitaire des aliments vers le ministère de l'agriculture va permettre de redéployer certains effectifs vers ces missions, mais là aussi le diable se cache dans les détails.
Puisque 60 emplois sont transférés, mais que seule une vingtaine d'agents se portent volontaires, une quarantaine de personnes se retrouveront au-dessus du plafond d'emplois en 2023. Autrement dit, afin de respecter ce plafond, il y a tout à craindre que la DGCCRF soit contrainte de baisser le nombre de places ouvertes à son concours de septembre 2023, alors que 150 départs en retraite sont attendus.
Il nous paraît donc nécessaire, pour ne pas dire d'une impérieuse urgence, d'augmenter les moyens de la DGCCRF en la matière ! C'est le sens d'un amendement que je présenterai à mes collègues de la commission des affaires économiques, et dont l'adoption conditionnera la validation, pour nous, de ces crédits.
Par ailleurs, j'ai souhaité examiner les subventions publiques réparties par l'État entre les associations de défense des consommateurs. Ces dernières sont au nombre de 15, ce qui morcelle souvent inutilement le mouvement consumériste. En tout état de cause, il sera nécessaire de redéfinir et clarifier les critères à l'aune desquels sont réparties ces subventions, et de porter une attention particulière à la situation de l'Institut national de la consommation, qui est aujourd'hui déficitaire en raison de la baisse des ventes en kiosque de son magazine 60 millions de consommateurs.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue la qualité du rapport présenté par nos deux rapporteurs spéciaux et souscris aux propos qu'ils ont tenus sur les effectifs de la DGCCRF, car je considère que nous devons éviter d'émettre des demandes contradictoires. J'ai entendu également les propos de notre rapporteur pour avis qui a décrit toutes les nouvelles missions qui incombent aux services de la DGCCRF, mais je pense que la réorganisation entreprise constitue déjà un début de réponse aux problèmes pointés par le précédent rapport. Toutefois nous devons rester vigilants car les chiffres peuvent masquer certains déséquilibres.
S'agissant des amendements, je ne suis pas favorable à la restauration du Fisac dans ces conditions, car il existe des dispositifs existants, comme les contrats de ruralité portés par l'ANCT, ou encore le programme « Petites villes de demain », qui peuvent concourir à la vitalité économique et de commerce dans les territoires.
À l'inverse, je suis favorable à l'amendement portant article additionnel après l'article 43 qui correspond à un dispositif que la commission des finances a porté, dans la droite ligne de sa philosophie.
Enfin, j'opterai pour une attitude d'abstention vis-à-vis de la suppression du programme 868 « Prêts et avances pour le développement du commerce avec l'Iran », car je considère que ce sujet mérite une expression publique des ministres. Il en va même, pour les programmes qui connaissent une très faible consommation des crédits, comme le programme 861 « Prêts et avances pour le logement des agents de l'État ».
M. Michel Canévet. - Je partage l'avis du rapporteur général sur la question du Fisac aujourd'hui : il n'est pas pertinent de le rétablir. L'action en direction des commerçants et des artisans doit relever davantage d'une action régionale en lien avec les EPCI que nationale.
S'agissant de la DGCCRF, je m'interroge sur la répartition des effectifs. Je me réjouis que les recommandations de nos rapporteurs aient été suivies d'effets. Le transfert de 60 ETPT vers la direction générale de l'alimentation (DGAL) correspond finalement à moins d'un ETPT par département, ce qui paraît très faible. Quelles en seront les modalités ?
J'ai également noté qu'une partie des postes créés était justifiée par la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques à Paris : ces jeux nécessitent-ils qu'il y ait de la part DGCCRF des moyens supplémentaires ?
Enfin, si le remplacement des agences de La Poste par des agences postales ne pose pas de problème de principe, la compensation financière versée aux collectivités gérant ces agences postales n'est pas à la hauteur du coût des dépenses engendrées. Peut-on envisager d'augmenter ces compensations ?
M. Rémi Féraud. - Je souhaite avoir l'avis des rapporteurs sur le transfert de la compétence « tourisme » de la mission « Action extérieure de l'État » vers la mission « Économie ». De plus, savent-ils pourquoi le plan « Destination France », doté de plus de 5 millions d'euros, est resté attaché la mission « Action extérieure de l'État » ? S'agit-il d'une ambition plus forte pour le tourisme de la part du Gouvernement ou au contraire d'une volonté de réduire les crédits ?
Mme Isabelle Briquet. - Les rapporteurs connaissent-ils la date d'achèvement envisagée du plan France Très haut débit et du déploiement de la fibre ? Les objectifs sont aujourd'hui loin d'être atteints, en zones Amii comme Amel.
M. Patrice Joly. - S'agissant de l'accessibilité bancaire, je souhaite évoquer également l'accessibilité au numéraire, au regard de la disparition progressive des distributeurs automatiques de billets (DAB). En effet, ne faudrait-il pas reconnaître l'existence d'un service répondant à une mission particulière d'intérêt général pour garantir le maillage du territoire en DAB ? Des transporteurs de fonds prennent le relais des banques, mais en faisant payer très cher aux collectivités l'installation et l'entretien.
Deuxièmement, les rapporteurs ont-ils des informations sur les contentieux engagés par l'État et les collectivités locales dans le cadre du déploiement de la fibre ?
Enfin, je déplore que le Fisac ait été supprimé. Ce dispositif était particulièrement utile au niveau local. De même, comment certains départements pourraient-ils ne pas se sentir abandonnés lorsqu'ils ne comptent plus qu'une poignée d'agents de la DGCCRF et de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ?
M. Christian Bilhac. - Les écarts entre les besoins des territoires et les crédits accordés sont énormes. S'agissant de La Poste, l'Arcep estimait que l'accomplissement de sa mission de service public d'aménagement du territoire coûtait entre 230 et 240 millions d'euros. Or l'État ne lui accorde que 74 millions d'euros. On est loin du compte ! De même pour la presse, avec 40 millions d'euros accordés contre 500 millions d'euros de besoins chiffrés. Les maires se plaignent de La Poste, mais celle-ci n'a peut-être pas les moyens d'assurer ses missions.
M. Marc Laménie. - Je souhaite connaître l'avis des rapporteurs sur l'évolution de la participation financière de l'État au groupe La Poste. Je partage leur constat : on compte de moins de moins d'agents de l'État sur le terrain pour accompagner les entreprises. Il en est de même pour les chambres consulaires qui voient leurs effectifs et leurs ressources décliner. Par ailleurs, quelles sont vos analyses sur l'évolution du nombre d'intervenants en matière de financement sur le sujet du très haut débit ?
M. Vincent Segouin. - Au vu de la dégradation du service de La Poste, je souhaiterais savoir si la dotation d'équilibre versée pour service rendu que celle-ci perçoit est bien justifiée si l'on pense à la nullité du service, qui ne cesse de se dégrader !
Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - S'agissant du Fisac, je souhaite éclaircir un point à la suite de l'intervention du rapporteur général. Premièrement le dispositif « Petites villes de demain » ne répond pas suffisamment spécifiquement, loin de là, aux besoins d'aide du commerce et de l'artisanat ; il en va de même pour les contrats de ruralité. Le secteur du commerce et de l'artisanat sera aussi touché par la suppression des exonérations d'impôt dans les ZRR annoncée pour le 31 décembre 2023. Le Fisac était ainsi le seul à pouvoir réellement financer un certain nombre d'actions territoriales : aider le dernier commerce ou café de la commune à se maintenir, faciliter la transmission d'un local commercial ou d'un hôtel, soutenir la mise aux normes des stations-services dans les zones rurales, etc. Aucun dispositif régional ou national ne le relaye, et avec la fin des avantages fiscaux des ZRR, on s'apprête à dégrader encore la situation pour les commerces et l'artisanat dans les zones rurales.
En ce qui concerne la compensation par La Poste des collectivités, il faut savoir que les investissements des collectivités pour maintenir une agence postale ne sont pas compensés à leur juste hauteur. Elles ne pourront bientôt plus assurer ce service de proximité. Mais la situation est complexe, car la Poste fait face à la concurrence d'Amazon pour la distribution de colis. L'entreprise doit assurer des fonctions de service public de plus en plus étendues et le service se dégrade. Elle est victime de critiques, mais le bureau de poste est souvent le dernier service qui reste. Les DAB ferment. Le service proposé par les transporteurs de fonds est onéreux, les communes n'ont pas toujours les moyens de le financer. Finalement, les populations rurales se sentent de plus en plus isolées.
M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - S'agissant de la DGCCRF, je ne serais pas favorable à une forte hausse des effectifs pour 2023. En effet, nous avons souhaité fixer, dans notre rapport, un objectif d'effectif socle par département, que nous avons chiffré à sept ; nous souhaitons que la hausse se fasse progressivement. L'objectif étant également de ménager une respiration salvatrice pour cette administration, qui a connu de nombreuses réformes ces dernières années, et de préserver le sens du travail pour les agents. La ministre compétente a d'ailleurs exprimé son intérêt s'agissant des conclusions du rapport.
Pour répondre à la question sur le transfert de la police sanitaire des aliments vers le ministère de l'agriculture, le transfert prévu concerne 60 ETP de la DGCCRF vers la DGAL, tandis que 90 postes supplémentaires seront créés dans cette dernière direction générale, pour un total de 150 ETP. Le problème est que ce type de transfert ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut aussi noter que la sécurité alimentaire ne représente qu'une petite partie des missions de la DGCCRF et qu'elle n'occupe à temps plein des agents que dans un nombre très limité de cas.
Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Enfin, s'agissant de la DGCCRF, 84 ETP doivent être créés pour répondre aux nouvelles missions concernant les Jeux Olympiques et Paralympiques et le handicap.
Nous n'avons pas de réponse précise à apporter à la question du transfert de la compétence « tourisme » de la mission « Action extérieure de l'État » vers la mission « Économie », en dehors d'une volonté claire de Bercy de récupérer cette compétence, qui faisait l'objet d'une cotutelle avec le ministère des affaires étrangères depuis l'époque où Laurent Fabius était ministre des affaires étrangères ; mais le programme « Destination France » est resté attaché au ministère des affaires étrangères en raison de sa nature internationale.
Enfin, s'agissant du Plan Très haut débit, il existe effectivement un problème d'atteinte des objectifs : les cartes de l'Arcep sont d'ailleurs parfois trompeuses, car il suffit dans certains cas qu'une seule maison soit couverte pour que tout le bourg soit considéré comme l'étant aussi... Il existe aussi un problème d'entretien des réseaux de plus en plus prégnant, à mesure qu'il se développe.
Par ailleurs, face aux retards constatés, les collectivités ont pendant longtemps eu peur de saisir l'Arcep en raison des chantages menés par les opérateurs, mais cette situation devrait changer. Enfin, je ne peux que souscrire aux propos de M. Bilhac sur la sous-compensation des missions d'aménagement du territoire.
M. Claude Raynal, président. - L'amendement no 1 vise à rétablir les crédits du Fisac à hauteur de 30 millions d'euros.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Économie ».
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
Article 43
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 43.
Après l'article 43
L'amendement n° 2 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de son article additionnel après l'article 43.
M. Claude Raynal, président. - Nous passons au vote sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».
M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Le programme 868 « Prêts et avances pour le développement du commerce avec l'Iran » a été créé par la loi de finances pour 2018 au sein du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », mais ce compte n'a jamais servi, comme nous l'a confirmé Bpifrance. Le but de l'amendement est donc de le supprimer pour dépoussiérer le compte de concours financier et d'inciter au passage le Gouvernement à rationaliser à l'avenir l'utilisation de l'ensemble de ses programmes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'abstiens.
L'amendement n° 3 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », ainsi modifiés.
La réunion est close à 19 h 10.
Jeudi 10 novembre 2022
- Présidence de Mme Christine Lavarde, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Engagements financiers de l'État », et comptes de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux » - Examen du rapport spécial
Mme Christine Lavarde, présidente. - Nous examinons la mission « Engagements financiers de l'État », et les comptes de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux ».
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». - La charge de la dette étant en forte augmentation, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes spéciaux rattachés sont ceux qui augmentent le plus. C'est par eux que je commencerai puisqu'ils me donnent la rare occasion d'accorder un satisfecit au Gouvernement.
Depuis la crise de la dette grecque, nous accordions des prêts à la Grèce et elle nous versait des charges d'intérêts que nous lui rétrocédions, ce qui revenait à lui accorder un prêt à taux zéro. C'est une bonne nouvelle, le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce » sera clôturé au 31 décembre 2022.
Le compte de concours financiers (CCF) « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » est renommé « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». Cela fait deux ans que j'ai mis en évidence le décalage entre l'ancienne appellation et l'octroi de nombreuses avances qui s'apparentaient à des prêts. Je me félicite de ce changement de sémantique.
En ce qui concerne les crédits de la mission, le seul point positif est l'ouverture en loi de finances des crédits au titre de la contribution française au capital du mécanisme européen de stabilité (MES) dans le cadre du programme 336. En revanche, je le dénonçais déjà l'année dernière et je le dénonce encore aujourd'hui très fortement, les modalités de calcul de la dette Covid mélangent capital et charges d'intérêt et donc l'isolement budgétaire à travers le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » n'a aucun sens. Il s'agit d'un programme d'affichage sans justification budgétaire, que l'Agence France Trésor gère d'ailleurs avec l'ensemble de la dette.
Autre artifice comptable, la reprise de la dette de SNCF Réseau, qui ne figure pas parmi les crédits dévolus à la charge de la dette alors qu'elle le devrait. Or les charges d'intérêt s'élèveront à près de 1 milliard d'euros en 2023 - avec Emmanuel Macron, le milliard est devenu l'unité de compte monétaire ! -, précisément 900 millions d'euros.
Je souhaite ici établir une comparaison avec le budget général. Les dépenses du budget général se situent à hauteur de 443,9 milliards d'euros, dont 27,3 milliards d'euros pour les dépenses d'investissement et 416,6 milliards d'euros pour les dépenses de fonctionnement, ce qui correspond à un déficit primaire, c'est-à-dire le déficit budgétaire retraité des intérêts de la dette, de 108,6 milliards d'euros. L'amortissement de la dette à moyen et long termes, en remboursement du capital, s'élève à 155,5 milliards d'euros. Les émissions de dettes à moyen et long termes à 270 milliards d'euros. Nous qui avons géré des collectivités, nous savons que notre dette doit correspondre exactement aux dépenses d'investissements réalisés, or nous voyons ici que nos émissions de dettes, qui pour une part significative viennent amortir une dette déjà émise, vont représenter l'équivalent de dix fois ce que nous investissons !
Avant, plus on s'endettait, moins on payait cher : la théorie de l'évaporation suit celle du ruissellement. La corrélation négative entre la charge de la dette et l'endettement effectif a évolué. Exposée aux mouvements de l'inflation, la charge de la dette a diminué de 25,8 % entre 2012 et 2020, mais elle augmente de 45,5 % de 2020 à 2023. Il s'agit d'une explosion inattendue. J'attire votre attention sur la hausse tout aussi impressionnante des taux d'intérêt, au cours des six derniers mois : jamais ils n'ont tant augmenté en si peu de temps, il s'agit d'une hausse historique. L'État prévoit une stabilisation l'année prochaine, une hypothèse à laquelle je ne crois pas trop.
En 2021, la charge de la dette s'élevait à 36,3 milliards d'euros. Plusieurs effets se sont conjugués pour aboutir à une charge de la dette de 49,4 milliards d'euros en 2022 : l'effet volume, provenant du déficit supplémentaire, de 1,3 milliard, l'effet taux de -300 millions d'euros, l'effet inflation - 10 % de la dette environ sont indexés sur l'inflation - de 12 milliards d'euros, et un effet calendaire. L'effet inflation est massif en 2022 en raison de la hausse de la provision pour indexation du capital des titres indexés, mais sera plus favorable en 2023 (-2,2 milliards d'euros) en raison d'une inflation moins forte qu'en 2022, l'effet taux devenant défavorable. Il s'ajoutera à l'effet volume dont l'augmentation (+1,5 milliard d'euros) indique l'absence d'effort accompli sur la maîtrise de la dépense publique par le Gouvernement.
Malgré la volatilité du contexte, nous pouvons miser sur une décélération de l'inflation en 2023, si la récession que nous pressentons se confirme. Il en a toujours été ainsi dans l'histoire économique.
Grosso modo, tous ces crédits sont très évaluatifs. Si les taux remontaient de 10 %, si l'inflation s'accélérait, la France honorerait de toute façon ses engagements.
J'évoquerai maintenant un sujet dont nous avons beaucoup entendu parler cette année : la hausse des crédits des obligations assimilables du Trésor indexées sur l'inflation (OATi) et des obligations assimilables du Trésor indexées sur l'indice des prix de la zone euro (OAT€I). De nombreux acheteurs de notre dette ont besoin d'être couverts par l'inflation. La Caisse des dépôts et des consignations est l'un des plus grands propriétaires d'OATi, les intérêts des livrets A sont en partie indexés sur l'inflation. Les OATi offrent une excellente gestion de l'actif et du passif. Le programme, qui porte la réputation d'être trop cher, s'avère utile et neutre sur le long terme. Ainsi, son impact budgétaire est longtemps resté neutre de 1999 à 2013, mais il a généré beaucoup de recettes entre 2013 et 2021, jusqu'à ce que l'inflation nous fasse revenir, cette année, au point zéro.
Un dernier sujet, les prêts garantis par l'État (PGE), pose un problème. Avec la loi d'écoulement, le remboursement aura lieu avec deux ans de décalage par rapport à la première échéance. Or en cas de défaut de paiement, les autres échéances sont payées par la garantie d'État. Le calibrage opéré en loi de finances pour 2022 s'est avéré large. Sur les 3,5 milliards d'euros votés, le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022 prévoit d'annuler 2 milliards d'euros. La somme de 2 milliards est conséquente et nous sommes dans le flou en ce qui concerne cette opération. Il n'est pas interdit de penser qu'à hauteur de 2,48 milliards d'euros pour 2023, le budget se révèle, a contrario, trop optimiste. Aussi, nous avons beaucoup de doutes, et je souhaiterais examiner le calibrage du PGE pour 2023 jusqu'au dernier moment.
À ce stade, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La provision chiffrée en milliards d'euros n'a rien de neutre dans le jeu d'écriture, au moment où le ministre de l'économie demande au Parlement de faire des économies. Et comme le ministre est attentif à l'euro près, il y a même là quelque chose de paradoxal.
M. Patrice Joly. - Le montant de dette à rembourser est sous-estimé. Il reste une part d'incertitude, notamment sur les prévisions de taux et les risques de sinistralité liés aux PGE. Se pose une nouvelle fois la question du désarmement fiscal, que notre groupe a dénoncée cette année. Nous constatons une absence de remise en cause des choix fiscaux par le Gouvernement, ce qui fragilise la situation financière de notre pays.
Certains économistes questionnent la stratégie d'endettement du Gouvernement. Si l'État avait su faire des choix plus judicieux et adaptés, notamment en matière de performance énergétique, il ne se trouverait pas dans cette fragilité financière. C'est paradoxal, mais aujourd'hui, la dette peut être facteur de sécurité budgétaire. Encore convient-il d'avoir une stratégie au regard des besoins d'investissements.
Le rapporteur spécial partage-t-il mon point de vue sur l'absence de vision en matière d'endettement de la part du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi. - M. Joly veut simplement casser le thermomètre, réviser la gestion de la dette publique, or elle atteint les 3 000 milliards d'euros. D'année en année, on regarde le même tableau et j'entends les mêmes choses, que le gouvernement soit de gauche ou macroniste, et on accumule la dette.
Le rôle du Parlement porte historiquement sur l'impôt, le contrôle des finances. Qu'attend donc le Parlement pour prendre une initiative forte afin de réduire la dette ? Alors que la Cour des comptes publie des rapports et que le Parlement débat du budget, il ne se passe rien. Pourquoi ne disons-nous pas : « Stop, nous refusons de continuer à valider le budget, sans propositions offensives concernant la réduction de la dette ! » Klaxonnons, car nous allons dans le mur !
Mme Christine Lavarde, présidente. - Nous aurons l'occasion de revenir sur le cadre général du PLF lors de la discussion générale.
M. Vincent Segouin. - Le budget est aussi une question de confiance. Or, à un moment, tout peut basculer. En témoigne le Royaume-Uni avec le Brexit. Certains veulent plus d'impôts, mais la France détient le record absolu du taux de prélèvement ! Quand serons-nous unis pour demander une diminution de nos dépenses ? Devenons raisonnables, nous vivons au-dessus de nos moyens. Comment arrêter ce système, cette folie meurtrière du recours à la dette ? La charge de la dette va dépasser le budget de la défense !
M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur spécial pour sa présentation très pédagogique des conséquences de la dette. Nous avons longuement évoqué la dette et les PGE, mais la mission des engagements financiers de l'État ne se limite pas là. Quel est l'impact de la dette des organismes rattachés à l'État ?
M. Vincent Capo-Canellas. - À propos des PGE, sait-on où nous en sommes par rapport au stock de prêts déjà remboursés par les entreprises en 2022 ? A-t-on établi des prévisions sur les remboursements de 2023 ? Nous gardons en effet à l'esprit une conjonction défavorable, un contexte de quasi-récession.
M. Christian Bilhac. - C'est l'investissement qui trace la voie de l'avenir. Or ici on ne prépare pas l'avenir. En tant que paysan, j'ai appris qu'il convient de dépenser moins que ce qu'on gagne et de toujours mettre une petite part de côté. L'État n'a toujours pas compris cela. Il va falloir supprimer la moitié des ministères non régaliens et tous les doublons de la haute administration, rationaliser le service public au bénéfice des collectivités locales, qui gèrent mieux que l'État.
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Monsieur Bilhac, les dépenses du budget général s'élèvent à 444 milliards d'euros, financées par un déficit de 159 milliards d'euros, dont le financement nécessite lui-même des émissions de dettes de moyen et long terme de 270 milliards d'euros - qui vient également amortir les dettes précédentes - contre 260 milliards l'an passé. Les émissions de dette représentent donc l'équivalent de plus de la moitié des dépenses. Sans la dette, le budget devient impossible. C'est, pour citer Audiard, une « béchamel infernale ».
Monsieur Capo-Canellas, en 2022, la règle 80/20 s'est appliquée aux PGE : l'enveloppe a été répartie à hauteur de 80 % vers les grosses entreprises et à 20 % vers les moyennes et petites entreprises. Ainsi, le risque de non-remboursement vient principalement des grandes entreprises. Les trésoreries sont abondantes en 2022 malgré l'inflation, nombre d'entreprises ont remboursé leur prêt par anticipation : le risque anticipé a diminué par rapport à la prévision de défaillance initiale, passée de 5,1 % à 4,6 %. Mais c'est sans compter l'année prochaine avec le retour des cotisations Urssaf, le remboursement du PGE, et l'explosion du surcoût énergétique. Dans un contexte si volatile, les prévisions ne semblent toutefois pas si mauvaises. Bien malin celui qui saurait avancer de meilleures prévisions !
Monsieur Canévet, la dette de la SNCF reprise par l'État est gérée par l'Agence France Trésor. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) est, elle aussi, gérée par l'Agence France Trésor. D'ailleurs, oui, monsieur Joly, la France a une stratégie de gestion de dette, car elle gère sa dette avec prudence. Avec la Cades, nous faisons de la dette sociale et dans d'autres devises, ce qui permet de diversifier le marché de la dette.
Nous avons la dette la plus liquide au monde, monsieur Karoutchi. C'est notre force. Les marchés étrangers sont toujours intéressés par la dette française, liquide, bien remboursée. La France est la mieux armée. Par comparaison, un exemple : l'Allemagne, après un premier déboire, a raté une émission de dette en octobre dernier. Elle voulait placer 4 milliards de dettes et a dû se contenter de 1,8 milliard à cause de ses taux trop bas. C'est la dette américaine qui est aujourd'hui la dette de référence. Je souligne une nouvelle fois l'excellente gestion de la dette par l'Agence France Trésor.
C'est la remontée des taux qui coûte cher au pays en 2022, mais ce sera pire en 2024 et, si la tendance se confirme, dans trois ou quatre ans, cette mission sera le premier budget, devant celui de l'éducation nationale !
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Travail et emploi » (et article 47) - Examen du rapport spécial
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». - Avec plus de 20 milliards d'euros dans le PLF 2023, la mission « Travail et emploi » est, avec la mission « Écologie », celle qui enregistre la plus forte progression par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. L'augmentation est de 4,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 6,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).
Nous allons, Daniel Breuiller et moi-même, présenter les déterminants de cette évolution. Je rappelle que la mission est constituée à plus de 80 % de dépenses d'intervention finançant la politique de l'emploi et de la formation professionnelle. La subvention à Pôle emploi représente traditionnellement l'essentiel des dépenses de fonctionnement. S'y ajoute cette année, dès le PLF initial, une subvention à France compétences. Les dépenses de personnel représentent moins de 3 % des dépenses de la mission, avec un plafond d'emplois du ministère du travail en baisse de 188 équivalents temps plein (ETP) en 2023.
Je proposerai trois observations générales avant d'entrer avec Daniel Breuiller dans le détail des actions financées par la mission.
Premièrement, la lecture de ce budget doit s'effectuer à la lumière du traitement très spécifique dont a fait l'objet le financement de la politique de l'emploi et de la formation professionnelle depuis 2020. Durant trois années, la mission « Travail et emploi » a reçu en cours d'exercice d'importants volumes de crédits transférés de la mission « Plan de relance » ou ouverts dans les collectifs budgétaires successifs.
Ces mouvements ont notablement brouillé la lisibilité du suivi budgétaire de cette mission. De ce fait, la simple comparaison à la loi de finances initiale pour 2022 est inopérante. En cumulant les effets du PLFR 2 et les mouvements déjà intervenus en cours d'année, la mission disposerait sur 2022 de dotations supérieures à celles demandées pour 2023.
La deuxième observation tient au contexte dans lequel s'inscrit la mission. Des moyens très importants ont été consacrés ces trois ou quatre dernières années à des dispositifs dont beaucoup étaient antérieurs à la crise, d'autres mis en place durant la crise, mais destinés à être en partie pérennisés, notamment en direction des jeunes ou des chômeurs de longue durée. Dans le même temps, la situation de l'emploi s'est améliorée. Par rapport à fin 2019, l'emploi salarié a progressé de 800 000 personnes et le nombre de demandeurs d'emploi a diminué de près de 400 000 personnes. La dépense budgétaire portée par la mission s'est alourdie, mais d'autres dépenses ont diminué, notamment l'indemnisation du chômage. L'Unédic sera en excédent cette année, pour la première fois depuis 2008. Quant à la progression de la masse salariale, elle se répercute évidemment sur les recettes de l'État et des organismes de protection sociale.
Enfin, dernière observation, le « décollage » de l'apprentissage, au-delà de toute prévision, a aussi engendré la difficulté budgétaire majeure de cette mission, avec un poids financier qui dépasse largement celui de toutes les autres actions. La soutenabilité du financement de l'apprentissage est donc un enjeu critique auquel de premières réponses commencent à peine à être apportées.
M. Daniel Breuiller, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». - Je vais plus particulièrement présenter les aspects de la mission relatifs à la politique de l'emploi.
Tout d'abord, sur un plan strictement financier, l'amélioration de la situation de l'emploi se répercute sur les crédits de la mission. Les dépenses d'allocations chômage prises en charge par l'État diminuent de 500 millions d'euros. Inversement, la compensation à la sécurité sociale des exonérations de cotisations sociales s'alourdit de près de 700 millions d'euros, passant à 5 milliards d'euros, soit un quart du budget total de la mission.
S'agissant des actions en faveur de publics spécifiques, le budget destiné aux entreprises adaptées poursuit sa progression (+ 8,7 %). Mais comme l'a souligné Emmanuel Capus dans le contrôle présenté à la commission le mois dernier, plusieurs freins subsistent au développement de ce type d'emploi, tenant notamment à l'implication du service public de l'emploi. Par ailleurs, le démarrage de plusieurs expérimentations a été perturbé par la crise sanitaire. L'article 47 rattaché à la mission propose de les prolonger d'un an, comme le proposait Emmanuel Capus.
L'insertion par l'activité économique (IAE) a aussi bénéficié ces dernières années d'un fort soutien, passant de 900 millions d'euros en 2019 à 1,3 milliard d'euros en 2022. Ce secteur apporte une contribution efficace à l'insertion des personnes les plus éloignées de l'emploi. Fin juin dernier, il employait près de 152 000 salariés, contre 134 000 fin 2019. En 2023, les moyens seront stabilisés, ce qui suscite une certaine inquiétude des acteurs. En raison de la hausse du Smic, sur lequel les rémunérations des bénéficiaires de l'IAE sont indexées, on peut craindre qu'à enveloppe constante, le nombre de postes finançables soit moindre, ce qui remettrait en cause l'élan constaté ces dernières années. Le secteur regroupe par ailleurs des structures de statuts différents - entreprises intermédiaires, associations intermédiaires, ateliers et chantiers d'insertion - avec de forts écarts d'aide au poste. Les acteurs de l'IAE soulignent un certain manque de visibilité pour 2023, dû aux incertitudes sur la répartition territoriale de l'enveloppe entre les différents types de structures alors que le coût des contrats sera plus élevé qu'en 2022.
La dotation destinée aux contrats aidés est en repli d'environ 10 % pour 2023. Ces contrats ont été relancés au moment de la crise sanitaire, avec une forte augmentation en 2021. Leur nombre devrait légèrement diminuer en 2022. En 2023 les emplois aidés dans le secteur non marchand - parcours emploi compétences - seraient maintenus au niveau de 2022, la réduction de l'enveloppe affectant les contrats dans le secteur marchand, les contrats initiative emploi (CIE). Cela va plutôt dans le sens, me semble-t-il, de la position qu'avait soutenue dans sa majorité la commission des finances, position qui fait bien sûr l'objet de choix politiques différents par ailleurs.
Les actions en faveur de l'accompagnement renforcé des jeunes vers l'emploi ont quant à elles été marquées par la mise en place, depuis le 1er mars dernier, du contrat d'engagement jeunes (CEJ).
Il s'adresse aux jeunes de 16 à 25 ans n'étant ni en étude, ni en formation et présentant des difficultés d'accès à l'emploi durable. Le contrat peut durer jusqu'à 12 mois, voire 18 mois pour certains jeunes, et comporte 15 à 20 heures d'activités par semaine. L'allocation est conditionnée à l'assiduité du jeune dans son parcours.
Ce dispositif prend le relais de la « garantie jeunes », avec un accompagnement plus intensif et une meilleure articulation avec des structures comme les écoles de la 2e chance, l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Épide), le service civique ou la possibilité de mise en situation en milieu professionnel.
Il a été introduit dans des conditions critiquables, sans évaluation préalable, en cours de discussion budgétaire du PLF 2022.
Le recul manque pour effectuer une évaluation approfondie du CEJ, mais les premiers éléments que nous avons recueillis sont plutôt encourageants.
Ce dispositif étant mis en oeuvre tant par Pôle emploi que par les missions locales, on pouvait craindre un effet de concurrence ou de confusion.
Les conditions d'orientation des jeunes ont été clarifiées. Les mineurs et les jeunes présentant des besoins périphériques importants (logement, santé, contraintes familiales, maîtrise du français) relèvent de manière privilégiée des missions locales, les autres de Pôle emploi. La montée en charge du dispositif devrait essentiellement concerner les missions locales, puisque sur un objectif de 300 000 entrées en 2023, 200 000 relèveraient des missions locales et 100 000, comme en 2022, de Pôle emploi. Il semble également que la mise en place du CEJ ait amélioré les échanges entre deux opérateurs agissant jusqu'à présent de manière trop cloisonnée.
Par ailleurs, le soutien de l'État aux missions locales, sur lesquelles repose en majorité cet accompagnement intensif, est conforté. Il sera de 633 millions d'euros en 2023 alors qu'il variait entre 300 et 400 millions d'euros dans les années 2018 à 2020. Pôle emploi conserve pour sa part les moyens qui lui ont été attribués en 2022 pour la mise en place du CEJ.
La condition d'activité hebdomadaire minimale semble également avoir pu être satisfaite, mais exige évidemment un temps d'investissement plus important de la part des conseillers. De ce point de vue, la gestion du dispositif induit une charge administrative assez lourde, au détriment des tâches d'accompagnement. Il y a sans doute matière à simplifier dans ce domaine.
La dotation pour le CEJ atteint 1 milliard d'euros en 2023, dont 88 % consacrés à l'allocation, le restant à des actions d'accompagnement.
Comme je l'indiquais, il est trop tôt pour évaluer les résultats du CEJ en matière d'insertion dans l'emploi. Nous pensons en tous cas que le dispositif améliore celui de la « garantie jeunes », déjà intéressant, et mérite d'être consolidé.
J'ai mentionné Pôle emploi. La subvention de l'État inscrite au budget de la mission avait baissé jusqu'en 2021. Elle a été stabilisée en 2022 avec les moyens supplémentaires alloués pour le CEJ. Elle augmente de 136 millions d'euros en 2023, mais dans le même temps, des crédits attribués au titre de la mission « Plan de relance » ne sont pas reconduits.
Le plafond d'emplois de Pôle emploi, en très légère baisse (-31 équivalents temps plein travaillé, ETPT), sera globalement maintenu en 2023 au niveau de ces deux dernières années. Il avait diminué jusqu'en 2019, mais depuis, les moyens ont été renforcés pour le CEJ, l'accompagnement des chômeurs de très longue durée et le plan de réduction des tensions de recrutement.
La convention tripartite liant Pôle emploi, l'État et l'Unédic arrive à expiration fin 2022. Elle sera provisoirement reconduite pour un an, en l'attente des résultats des travaux lancés sur France travail.
Nous ne pourrons pas vous donner beaucoup de détails sur ce point. Actuellement, France travail est davantage définie par ce qu'elle ne serait pas - une fusion ou réorganisation administrative des acteurs du service public de l'emploi - que par ce qu'elle serait. S'il s'agit, comme plusieurs de nos interlocuteurs nous l'ont dit, d'une meilleure coordination des acteurs sur le terrain, pour mieux identifier les personnes nécessitant un accompagnement, mieux orienter, mieux partager les données, mieux assurer le suivi, cela pourrait constituer un progrès. Mais le Gouvernement est resté très discret sur ses intentions et il est vraiment trop tôt pour émettre un jugement.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial - Je vais pour ma part aborder le second volet de la mission, qui pesait budgétairement bien moins dans la précédente décennie et a pris beaucoup d'ampleur depuis : le financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
Présenté de longue date comme la meilleure voie d'insertion professionnelle des jeunes, l'apprentissage a longtemps stagné. Le nombre annuel de contrats conclus a même baissé de 2012 à 2017 avant de remonter nettement en 2018 et 2019, puis de « décoller » à un rythme tout à fait inattendu : 300 000 contrats conclus en 2017, 370 000 en 2019, 530 000 en 2020, 740 000 en 2021 et autant sinon plus en 2022. La progression concerne tous les niveaux de formation, mais davantage les bac+2 ou plus (+ 260 % en 3 ans), que les niveaux bac (+ 70 %) et CAP (+ 35 %).
Au plan strictement budgétaire, ce succès de l'apprentissage s'analyse à trois niveaux.
Premièrement, l'État soutient l'embauche d'apprentis.
Avant 2019 coexistaient différentes formes d'aides budgétaires et fiscales. En 2019, elles ont été simplifiées et remplacées par une aide unique ciblée sur les entreprises de moins de 250 salariés et les diplômes équivalant, au plus, au bac. Puis en juillet 2020, une aide exceptionnelle beaucoup plus large et plus avantageuse est mise en place. Elle concerne toutes les entreprises, y compris de plus de 250 salariés, et les formations allant jusqu'à bac + 5. Cette aide exceptionnelle a certainement joué dans l'essor de l'apprentissage, et le coût budgétaire a bondi de 1,3 milliard d'euros en 2020 à 4,2 milliards d'euros en 2021. Pour 2022, le montant sera certainement du même ordre.
La question d'un nouveau paramétrage de cette aide est aujourd'hui posée avec une certaine urgence. Le projet de budget prévoit une dotation de 3,5 milliards d'euros en 2023, inférieure aux dépenses prévues sur 2022. À ce stade, la définition de nouveaux paramètres est en discussion entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. L'aide exceptionnelle, applicable aux contrats conclus jusqu'au 31 décembre prochain, ne sera pas reconduite telle quelle. Doit-on revenir purement et simplement à l'aide unique d'avant 2020 ? Doit-on diminuer le montant de l'aide actuelle, la cibler davantage sur certaines entreprises ou certains niveaux de formation ? Il me paraît assez sain que ces questions soient d'abord discutées avec les partenaires sociaux, pour faire la part entre de probables effets d'aubaine et les incitations vraiment utiles au maintien de la dynamique actuelle de l'apprentissage.
En tout état de cause, tous les contrats conclus avant la fin de l'année 2022 bénéficieront pour un an de l'actuel régime des aides à l'embauche. L'effet budgétaire d'une révision à la baisse ne se fera sentir qu'à l'échéance des contrats actuels et à la conclusion de nouveaux contrats, c'est-à-dire, en large partie, sur les quatre derniers mois de 2023.
Deuxième aspect budgétaire : les exonérations de cotisations sociales. Plus il y a d'apprentis, plus le « manque à gagner » de la sécurité sociale est important, plus la charge de compensation est élevée pour le budget de l'État. Elle était de 580 millions d'euros en 2019. Pour 2023, la dotation prévue est proche de 1,4 milliard d'euros, soit 800 millions d'euros de plus et une multiplication par 2,4 en quatre ans.
Enfin troisième volet, le plus préoccupant : le soutien de l'État à France compétences.
Créée en 2019 par fusion de quatre organismes préexistants, France compétences est chargée de répartir le versement des contributions à la formation professionnelle et à l'apprentissage aux différents acteurs concernés, principalement les opérateurs de compétences (OPCO).
À sa création, aucun soutien de l'État à cet opérateur n'avait été envisagé. C'était même l'inverse, puisque la loi de 2018 prévoit que France compétences verse des fonds à l'État pour la formation des demandeurs d'emploi. Depuis 2019, et cette année encore, l'État reçoit à ce titre, sur un fonds de concours, 1,6 milliard d'euros par an en provenance de France compétences.
France compétences bénéficie de ressources affectées - principalement la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance - qu'elle redirige pour deux tiers au financement de l'alternance et pour un tiers à celui de la formation professionnelle. Plus de la moitié des fonds de formation professionnelle alimente le compte personnel de formation (CPF). Le produit de ces ressources est de l'ordre de 10 milliards d'euros.
Dès 2020, France compétences s'est trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, avec un déficit de 4,6 milliards d'euros. En 2021, malgré une subvention de l'État de 2,7 milliards d'euros, elle a enregistré un résultat négatif de 2,9 milliards d'euros. Pour 2022, le déficit était évalué à 5,4 milliards d'euros, après obtention de 2 milliards d'euros dans la LFR de l'été. Le nouveau soutien de l'État de 2 milliards d'euros, prévu dans le PLFR de fin de gestion ramènerait le déficit autour de 3 milliards et demi d'euros.
Ce déséquilibre a des causes structurelles. Les deux principaux dispositifs financés par France compétences - l'apprentissage et le CPF - constituent des enveloppes ouvertes. Le nombre de places en CFA n'est plus contingenté, chaque contrat d'apprentissage ouvre droit à une prise en charge sur les fonds de France compétences. De même, les droits à la formation professionnelle, désormais monétisés, peuvent être directement mobilisés par les titulaires du CPF.
La commission des affaires sociales a adopté au mois de juin un rapport très complet intitulé France compétences face à une crise de croissance. Il formule près de 40 propositions pour une meilleure régulation, tant du CPF que de l'apprentissage. Le ministre du budget s'est d'ailleurs référé à ce rapport, comme aux propositions de la Cour des comptes, lors de son audition devant notre commission le 3 novembre dernier.
À court terme, le projet de loi de finances comporte deux mesures intéressant France compétences.
Premièrement, l'État décharge France compétences d'une bonne part de la contribution qu'elle lui verse au titre de la formation des demandeurs d'emploi. Elle passe, en crédits de paiement, de 1,6 milliard d'euros en 2022 à 400 millions d'euros en 2023. C'est donc l'État qui assumera le financement des actions correspondantes pour les demandeurs d'emploi. Mais comme l'a souligné la Cour des comptes, les dotations du plan d'investissement dans les compétences ne sont que partiellement consommées et font l'objet de reports importants.
Deuxièmement, une subvention à France compétences, d'un montant de 1,7 milliard d'euros, est inscrite d'emblée dans les crédits de la mission. De ce point de vue, le PLF 2023 est plus sincère que celui de 2022, qui passait la question sous silence.
Il est maintenant indispensable que l'État, en lien avec les partenaires sociaux, définisse une trajectoire soutenable pour le financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, sans casser la dynamique en cours.
Une révision des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage est intervenue en septembre dernier, avec un effet d'économie évalué à 200 millions d'euros en 2023. Une autre révision doit intervenir en avril 2023. Au-delà, il faudra sans doute définir des priorités, en termes de niveau de soutien, selon les différents types de structures et de niveaux de formation.
S'agissant du CPF, des mesures de lutte contre la fraude, de sécurisation, de déréférencement ont été prises. Une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale sera discutée au Sénat le 8 décembre. Un principe de régulation du CPF figure dans l'article 49, rattaché à la mission, inséré à l'Assemblée nationale. Ici également, des priorités devront certainement être définies entre les formations éligibles, au regard des enjeux de qualification et d'emploi.
En conclusion, la mission inclut, dans le PLF 2023, des crédits qui, jusqu'alors, provenaient de la mission « Plan de relance » ou des collectifs budgétaires. La lisibilité des moyens affectés aux politiques menées par le ministère du travail en est améliorée.
Sur le fond, ces moyens sont maintenus à un niveau élevé, autour de 20 milliards d'euros. Ils traduisent un effort envers les publics les plus éloignés de l'emploi. Cet effort nous paraît justifié tant que subsistent des difficultés spécifiques entravant une baisse plus prononcée du taux de chômage. Celui des jeunes est notamment en France beaucoup plus élevé que dans la moyenne des pays européens. Je précise qu'à l'Assemblée nationale, deux amendements ont majoré de 5 millions d'euros les crédits pour les écoles de la deuxième chance et les maisons de l'emploi.
S'agissant de l'apprentissage, le budget 2023 est largement conditionné par le régime applicable aux contrats conclus en 2022. Il est néanmoins nécessaire de trouver un équilibre entre le développement d'une voie très positive pour l'insertion des jeunes et un financement soutenable. De premières mesures sont en cours, sur l'apprentissage, avec la révision des aides et des niveaux de prise en charge, comme sur le CPF, mais il faudra certainement aller plus loin.
J'observe au demeurant que le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit pour 2024 et 2025 un reflux des crédits de la mission, entre 16 et 17 milliards d'euros.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous proposons l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2023.
Mme Christine Lavarde, présidente. - Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) augmente beaucoup dans votre mission, or vous ne nous avez pas donné beaucoup d'explications, alors même que la Cour des comptes a un regard assez critique sur cette politique publique. Comment la percevez-vous ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie les rapporteurs de leur exposé. J'ai entendu de nombreuses choses intéressantes et justes.
Il s'agit d'un budget paradoxal : un chômage qui baisse, un emploi salarié qui monte, une explosion des dépenses de formation ...
Je vous interrogerai sur la compétition entre les dispositifs de formation sous l'autorité de l'État d'ailleurs, qui déshabille l'un au détriment de l'autre, sans forcément d'efficacité.
Par exemple, les écoles de la deuxième chance accueillent des jeunes orientés par Pôle emploi ou des missions locales. Ils bénéficient d'une formation de 35 heures, rémunérée jusqu'à 500 euros par mois, exactement comme le contrat d'engagement jeunes qui prévoit quant à lui seulement 15 heures de présence hebdomadaire ne débouchant pas sur une formation.
Les écoles de la deuxième chance continuent d'essayer de se développer, mais l'État assigne des objectifs quantitatifs pour la signature des contrats d'engagement jeunes ; je trouve que c'est hypocrite et grave, puisque depuis l'école primaire il est demandé de former les jeunes pour leur donner des compétences. Or là, l'État joue contre l'intérêt général, ce qui n'est pas acceptable. Cette dépense publique est non seulement mal ciblée, mais elle décourage surtout ce qui devrait être encouragé : la formation, l'insertion, la qualification...alors qu'en Lorraine, par exemple, plus de 70 % des élèves de l'école de la deuxième chance ont été définitivement insérés sur le marché de l'emploi.
Enfin, nous devons mettre fin rapidement à la dérive budgétaire.
M. Antoine Lefèvre. - Je me réjouis de l'augmentation des crédits de l'insertion par l'économie, comme de ceux destinés aux entreprises adaptées.
Les dotations pour les maisons de l'emploi et les missions locales vont-elles véritablement progresser ? Nous connaissons le rôle important de ces structures, nous avons pu le constater pendant la crise sanitaire pour le public jeune.
S'agissant des écoles de la deuxième chance, il me semble que l'État ne répond plus aux candidatures, ce qui me donne l'impression que le dispositif n'est plus à l'ordre du jour. Avez-vous des chiffres à nous indiquer sur le nombre de structures ? Lors du lancement du dispositif, il en était prévu au moins une par département ; or nous sommes loin du compte.
M. Éric Jeansannetas. - Je rejoins mon collègue sur les missions locales ; elles ont 40 ans. Il s'agit d'un outil bien utile pour les jeunes gens de moins de 25 ans qui connaissent des difficultés périphériques.
Nous manquons de recul par rapport au nouveau dispositif CEJ pour l'évaluer. Une évaluation, justement est-elle prévue dans les mois qui viennent pour nous assurer que ce dispositif est vraiment opérationnel sur les territoires ? Quelles difficultés peuvent rencontrer les missions locales ? Et si cette évaluation devait avoir lieu, il ne conviendrait pas d'avoir comme seul élément de référence le quantitatif. Je rappelle l'essence même des missions locales : l'insertion professionnelle certes, mais également l'insertion sociale.
Une question posée par Thierry Cozic, qui n'a pas pu rester, est relative au renouvellement des contrats aidés, et notamment des PEC. Il s'avère que des difficultés ont lieu pour le renouvellement, du fait d'une circulaire de juillet 2002, qui fait que les personnes bénéficiaires de ces contrats voient leurs renouvellements rejetés.
Enfin, le programme d'Emmanuel Macron évoquait une refonte du service public de l'emploi ; qu'en est-il de France travail ?
M. Jérôme Bascher. - S'agissant de France compétences, n'avons-nous pas trop élargi les formations ? Nous avons tous été démarchés ; moi pour le repassage ! Et une fois que tout est ouvert, la dépense est de droit. Ce n'est pas tant la fraude que je cible même si elle a lieu, mais n'y a-t-il pas là un vrai travail à réaliser ?
Nous pouvons nous gargariser sur l'apprentissage des bac+2, bac+3 ou bac+4, mais le vrai sujet pour l'apprentissage, c'est de viser les jeunes les moins qualifiés ; c'est l'intelligence de la main qui manque, comme disait Jean-Pierre Raffarin. Ne faudrait-il pas diminuer des normes pour les jeunes ? Il n'est en effet pas normal qu'une jeune de 15 ans arrive à 7 heures du matin dans la pâtisserie alors que le patron commence à 5 heures.
Enfin, les jeunes qui vont à l'école de la deuxième chance touchent, dites-vous 500 euros par mois, soit 6 000 euros par an, le coût d'un apprentissage. Il faut donc réfléchir à ce que nous faisons de l'argent public.
M. Vincent Delahaye. - Je partage les propos du rapporteur général, il est assez paradoxal d'avoir un budget qui n'a jamais été aussi élevé pour la mission « Travail et emploi », alors que nous sommes dans une période où l'on dit que cela va nettement mieux, que la croissance est là, que le chômage a largement baissé et que l'emploi salarié a augmenté. Comment cela va être quand ce sera moins bien ?
Je ne suis pas favorable à la politique de guichet ; je pense que nous devons gérer notre budget et que lorsque nous n'avons plus d'argent, nous devons attendre l'année suivante.
Il est urgent de revoir les critères de l'aide à l'apprentissage. Il y a un effet d'aubaine alors qu'un certain nombre de jeunes ont des formations leur permettant largement d'être recrutés sans qu'il y ait besoin d'aider les entreprises par de l'argent public. Nous devons nous recentrer sur les jeunes et les entreprises qui en ont vraiment besoin.
C'est exactement le type de budget qui ne me convient absolument pas. Je voterai contre.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je salue le travail des rapporteurs spéciaux. J'ai une question spécifique sur France compétences. La programmation triennale prévoit la disparition de la subvention à France compétences. Cette suppression suppose que des réformes soient opérées notamment sur la politique de formation. Avez-vous eu, dans le cadre de vos auditions, des informations sur ce qui était en cours en ce qui concerne la politique de formation ?
M. Vincent Segouin. - Les effectifs de Pôle emploi dépendent-ils du nombre de chômeurs ? Dans ce cas, n'ont-ils pas intérêt à diriger les personnes en recherche d'emploi vers de la formation plutôt que de l'emploi ? La semaine dernière, lors de réunions avec des chefs d'entreprises, ceux-ci nous disaient qu'ils ne s'adressaient plus à Pôle emploi. Ils vont plutôt vers les missions locales et le bouche-à-oreille fonctionne très bien. Je rappelle que la France a un taux de chômage de 7,1 % quand il est à 3,5 % chez nos voisins.
M. Rémi Féraud. - Je poserai deux questions. La première est relative à la compensation des exonérations de cotisations sociales - c'est avec l'alternance l'autre part des crédits de la mission qui augmente beaucoup. Où en sommes-nous en termes de suppression ou de maintien dans la durée de ce dispositif et d'évaluation ? Car tout cela coûte finalement très cher, soit à la sécurité sociale soit au budget de l'État. Cela fait partie du « désarmement fiscal » évoqué par le Président Raynal.
Par ailleurs, par rapport à la politique de l'emploi, j'ai été saisi à Paris de la question de l'absence de crédits pour les maisons de l'emploi. Est-ce bien le cas ? Peut-elle être revue ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - En ce qui concerne le plan d'investissement dans les compétences, madame la présidente, son financement relève désormais intégralement de la mission, alors qu'une partie des crédits figuraient l'an passé sur la mission « Plan de relance ». Globalement, il n'y a pas véritablement d'augmentation : les crédits s'élèvent, à 1,5 milliard d'euros en 2022 et tomberont à 1,3 milliard d'euros en 2023. En outre, en 2023, l'État prendra à sa charge une partie de la contribution de France compétences, à hauteur de 800 millions d'euros. Il convient de préciser qu'un volume important des crédits du PIC ont été reportés des années antérieures, en raison d'un taux élevé de sous-consommation.
Je partage l'avis de notre rapporteur général, ce budget est celui des paradoxes. Je partage aussi son inquiétude forte quant à la dérive budgétaire : il faut trouver les solutions de nature à mettre un terme à un déséquilibre manifestement mal évalué lors de la réforme de la formation professionnelle.
En ce qui concerne l'apprentissage, il faudra probablement diminuer les aides pour les niveaux de diplôme supérieurs au bac, car les aides en leur faveur représentent une part substantielle des crédits, afin de nous concentrer, je reprends la formule citée par Jérôme Bascher, sur « l'intelligence de la main ».
La commission des affaires sociales a formulé 40 recommandations à propos du financement de l'apprentissage et du compte personnel de formation. À l'article 49 figure une proposition de régulation du CPF. Peut-être faudra-t-il amender cet article, qui renvoie à un décret : il conviendrait sans doute de ne pas laisser totalement le champ libre au Gouvernement.
La situation des missions locales constitue un sujet de préoccupation important, j'avais d'ailleurs rédigé avec Sophie Taillé-Polian un rapport détaillé sur le sujet. Leurs crédits augmentent, passant de moins de 400 millions d'euros entre 2018 et 2020 à plus de 633 millions d'euros, pour répondre au succès du contrat d'engagement jeunes.
Je laisse également le soin à Daniel Breuiller de revenir sur la refonte du service public de l'emploi. Il s'agit davantage d'une réorganisation que d'un projet de fusion, mais nous n'avons guère obtenu de précisions supplémentaires à ce jour.
Je partage votre avis : l'élargissement des formations éligibles au CPF s'avère excessif.
Nous faisons confiance aux partenaires sociaux sur l'apprentissage : une réforme passera par la baisse des aides, un meilleur ciblage des entreprises et des niveaux de formation. Jérôme Bascher a raison sur la nécessité d'assouplir les normes, l'exemple de l'apprenti boulanger est probant.
S'agissant des compensations pour les exonérations de cotisations sociales, quand le chômage baisse et l'emploi progresse, le montant des exonérations augmente et la dépense à la charge de la mission s'accroît ! C'est contre-intuitif.
Un amendement du rapporteur spécial de l'Assemblée nationale prévoyant une dotation de 5 millions d'euros pour les maisons de l'emploi a été inclus à l'Assemblée nationale dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité. Nous aurions pu envisager de redéposer, comme certaines années précédentes, au nom de notre commission, un amendement pour porter à 10 millions d'euros les crédits des maisons de l'emploi, mais un tel amendement n'a jamais été retenu dans le texte final. La commission des finances n'avait pas déposé cet amendement l'an passé.
Vanina Paoli-Gagin a posé une excellente question ! Manifestement le Gouvernement anticipe une réforme et une reconfiguration des aides à l'apprentissage à l'avenir puisque les crédits du programme 103 relatif à l'accompagnement de l'apprentissage baisseraient de 4 milliards d'euros en 2024. Le Gouvernement est en discussion avec les partenaires sociaux sur ce point.
M. Daniel Breuiller, rapporteur spécial. - Je donne rarement des satisfécits à l'action gouvernementale, mais je dois constater le décollage de l'apprentissage. J'ai cherché à savoir à qui il bénéficiait. Objectivement, il existe un effet d'aubaine pour des entreprises recevant des jeunes de niveaux supérieurs au bac en contrats subventionnés, que l'on qualifie d'« apprentissage » ; mais cela donne aussi à ces jeunes déjà qualifiés l'occasion de mettre un pied dans l'entreprise, en espérant que leur apprentissage débouchera sur un emploi. Par ailleurs, l'apprentissage a aussi augmenté pour les niveaux inférieurs au bac - +35 % - et n'est plus une voie de garage, mais une véritable voie d'accès à l'emploi. Nous ne devons pas casser cette dynamique.
Le CEJ est né d'une parole présidentielle dans des conditions assez particulières. Les écoles de la deuxième chance présentent des avantages sur le CEJ en termes de mobilisation de partenariats. Mais le CEJ a réussi une massification et s'adresse à un public de jeunes en difficulté, sans qualification. Le dispositif répond à sa mission, à savoir offrir un accompagnement à ces jeunes.
Certes, la situation de l'emploi s'améliore, en partie d'ailleurs grâce à l'apprentissage, mais plus elle s'améliore, plus les gens qui sont éloignés de l'emploi sont des gens pour qui les freins préalables au retour à l'emploi sont importants. Il est donc indispensable que les dispositifs soient adaptés pour traiter différemment ceux pour qui les obstacles initiaux sont les plus importants.
Concernant les maisons de l'emploi, nous serions plutôt favorables à un amendement de majoration de 5 millions d'euros s'il était déposé. Cependant, j'ai compris que le Gouvernement considérait que les maisons de l'emploi devenaient un sujet territorial et non plus étatique. Mais partout où elles existent, elles font la preuve de leur utilité.
Je me permettrai de vous livrer deux idées sur le CPF. D'abord, le droit à la formation personnelle ne bénéficie jamais de la même façon selon la catégorie sociale à laquelle on appartient. Plus vous êtes qualifié, plus vous bénéficiez de droits à la formation. Il faudrait être attentif à ne pas freiner l'accès à la formation pour les gens qui en ont le moins bénéficié dans leur vie. Mais il convient aussi de dénoncer ces machines à formation qui ont été créées uniquement pour capter l'argent de l'État. Il serait nécessaire de faire un grand ménage dans ces usines à formations, dont l'intérêt est parfois très discutable...
Pôle emploi a obtenu des moyens spécifiques permettant à un conseiller de Pôle emploi d'accompagner 30 jeunes en CEJ. Pour le public général, incluant les demandeurs d'emploi de longue durée et ceux issus des zones prioritaires, un conseiller accompagne en moyenne 200 demandeurs d'emploi. En tout cas, je note que Pôle emploi s'est modernisé et a fait un travail pour mettre en relation les demandeurs d'emploi et les offres proposées par les entreprises. Il ne faut pas réduire le taux d'accompagnement si l'on vise le plein emploi.
Enfin, je souhaite que dans les futures orientations prises pour maîtriser ces budgets, on cherche plutôt à prioriser ceux qui ont le plus besoin d'un accès à l'apprentissage que de revenir à une enveloppe fermée. Il faut préserver un champ très large d'accès à l'apprentissage. Un dispositif fermé crée des injustices pour ceux qui déposent leur dossier en fin d'année lorsque les crédits sont déjà consommés.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Travail et emploi ».
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - L'article 47 prolonge d'une année, jusqu'au 31 décembre 2023, deux expérimentations ouvertes aux entreprises adaptées et prévues par loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : le contrat à durée déterminée dit « Tremplin » destiné à accompagner les transitions professionnelles vers d'autres entreprises et la création d'une entreprise adaptée de travail temporaire. Cet article va dans le sens de nos recommandations. J'émets un avis favorable à son adoption.
M. Vincent Delahaye. - Je m'abstiens.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 47.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - L'article 48, issu d'un amendement du Gouvernement inséré lors de l'examen à l'Assemblée nationale, pérennise l'extension du bénéfice de l'activité partielle réalisée par l'ordonnance du 27 mars 2020 au profit des salariés de droit privé de certains employeurs publics et des salariés exerçant en France mais relevant d'une entreprise n'y étant pas établie. Un amendement pourrait être envisagé par le rapporteur de la commission des affaires sociales pour compléter le dispositif. Dans l'immédiat nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption de l'article.
Mme Christine Lavarde, présidente. - Il s'agit de prévoir le mécanisme d'activité partielle qui s'appliquerait en cas de nouveau confinement ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Le dispositif exceptionnel de crise arrive à son terme. Nous revenons au régime d'activité partielle de droit commun. Mais il s'agit effectivement de tirer les enseignements de la crise sanitaire pour compléter le dispositif de droit commun.
M. Vincent Delahaye. - Je m'abstiens.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 48.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Le présent article, issu d'un amendement du Gouvernement inséré lors de l'examen à l'Assemblée nationale, précise que la mobilisation du compte personnel de formation par son titulaire pour le financement d'une action de formation fait l'objet d'un mécanisme de régulation dont les modalités sont définies par décret en Conseil d'État. Si nous sommes favorables à une régulation du CPF, nous vous proposons que notre commission réserve son vote pour nous permettre de rédiger un amendement afin d'encadrer davantage le renvoi au décret.
La commission décide de réserver son vote sur l'article 49.
La réunion est close à 11 h 30.