Jeudi 27 octobre 2022
- Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 10h38.
Audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d'EDF
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre présence au Sénat pour participer à cette audition publique contradictoire de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée aux problèmes de corrosion sous contrainte (CSC) rencontrés sur le parc nucléaire d'EDF.
Je salue collectivement les acteurs du contrôle de sûreté nucléaire, au travers du président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Je salue également les représentants d'EDF conduits par Cédric Lewandowski, directeur exécutif groupe chargé de la direction du parc nucléaire et thermique. Je rappelle qu'EDF est un acteur essentiel de la sûreté nucléaire, dont l'un des principes fondateurs est que la responsabilité première incombe à l'exploitant. Enfin, je salue les représentants de la société civile, Yves Marignac, chef du pôle d'expertise nucléaire et fossile de l'institut négaWatt, ainsi que Jean-Claude Delalonde et Yves Lheureux, respectivement président et directeur de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI).
C'est l'une des particularités de l'Office que d'articuler sur un certain nombre de sujets, comme la sûreté et la transparence dans le domaine nucléaire, une vision de long terme et une grande réactivité, chaque fois que l'actualité le justifie.
Depuis sa création, il y a près de 40 ans, 'l'Office a consacré plus d'une vingtaine de rapports, soit environ 10 % de ses travaux, à des sujets touchant au contrôle de la sûreté et de la sécurité nucléaires, ou à sa transparence. L'audition de ce jour s'inscrit dans une logique de continuité, puisque l'Office a déjà abordé la corrosion sous contrainte à l'occasion de l'audition annuelle du président de l'ASN, le 17 mai dernier, puis lors de l'audition du directeur général de l'IRSN, le 18 juillet. Au cours de ces auditions, tous deux ont appelé l'attention de la représentation nationale sur les anomalies qui nous intéressent aujourd'hui.
Je rappelle que cette audition publique contradictoire est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. La vidéo sera ensuite disponible à la demande sur les portails des deux assemblées. Le public et la presse pourront adresser leurs questions en se connectant à la plateforme dont les coordonnées figurent sur les pages internet du Sénat et de l'Assemblée nationale. Les parlementaires présents aujourd'hui pourront également poser leurs questions.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - En ma qualité de sénateur, il me revient de vous accueillir dans ces bâtiments aussi majestueux que peu pratiques.
Parmi nos responsabilités de parlementaires figure le devoir d'informer nos compatriotes sur un certain nombre de réalités scientifiques, pour en donner l'état de l'art.
Nos rapports, souvent orientés sur les questions nucléaires, constituent en partie l'origine et la raison d'être de l'OPECST. Ce choix du nucléaire remonte à la IVe République et aux déclarations de Pierre Mendès France, que j'aime à citer pour illustrer la continuité de la volonté nationale d'assurer à notre pays une indépendance énergétique, dans un temps où nous étions privés d'énergie fossile.
Force est de reconnaître que nous avons extraordinairement progressé en termes de transparence et de connaissances scientifiques, en particulier dans le secteur de l'énergie et notamment du nucléaire. Si le manque de transparence a parfois inquiété nos compatriotes, il existe désormais un accès à l'information rassurant qui permet de débattre, comme ce fut le cas au sujet de Flamanville il y a trois ans. L'Office a également abordé la métallurgie des cuves en 2016. S'il n'est pas certain que tous les problèmes aient été résolus, les excès d'inquiétude et de potentiels soupçons d'indifférence ont néanmoins pu être dissipés.
Dans quelles conditions ces corrosions sous contrainte ont-elles été identifiées et pourquoi ne l'ont-elles pas été plus tôt ? Des réponses peuvent être apportées, j'en suis convaincu. Par ailleurs, la science et la connaissance progressent. Je note que si la satisfaction est à l'horizon, elle recule chaque fois que nous avançons, à mesure que nous maîtrisons mieux la connaissance de tel ou tel sujet.
Quelles sont l'origine, l'ampleur et la gravité des problèmes de corrosion sous contrainte ? Il vous appartiendra d'exposer vos points de vue respectifs.
Comment les contrôles et réparations nécessaires seront-ils réalisés ? Quelle sera leur durée ? À ma connaissance, la production annuelle du parc nucléaire français avoisine 300 térawatts, quantité manifestement insuffisante. Les attentes politiques, sur le plan national et même européen, sont également considérables sur ces questions.
Quelles garanties offrent les contrôles et les réparations quant à la maîtrise de ce risque ? Enfin, derrière cette colline se trouve-t-il une montagne cachée qui nous attend ? Tel est le sujet qui nous rassemble.
Je vous présente par avance mes excuses, car je devrai partir un peu avant la fin de l'audition. Il se trouve que le Sénat a mobilisé la Commission des affaires économiques pour visiter le futur centre de stockage en couche géologique profonde des déchets nucléaires de haute et moyenne activité à vie longue, dit Cigéo, à Bure dans la Meuse. J'ai l'obligation d'accueillir mes collègues, sachant qu'en tant que ministre de l'Industrie en 1993 et 1994, j'ai accepté de ne pas me résigner à la formule « Pas dans mon jardin ». De fait, c'est dans le jardin de la Haute-Marne et de la Meuse que se trouve le futur centre de stockage. Ainsi, j'expliquerai comment nous avons survécu aux tensions naturelles et légitimes que suscite la perspective d'un tel projet, sans lequel aujourd'hui nous parlerions non pas de nucléaire, mais de fin du nucléaire. S'il existe une perspective de continuité, c'est parce que des citoyens acceptent d'assumer leur part de responsabilité au service d'une forme d'énergie qui a assuré et assurera à notre pays l'indépendance, la décarbonation et un bonheur collectif.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je donne à présent la parole à Cédric Lewandowski.
M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. - Je vous remercie de donner à EDF l'opportunité de s'exprimer devant l'OPESCT sur un phénomène inédit et inattendu : la corrosion sous contrainte des tuyauteries des circuits auxiliaires du circuit primaire. Ce phénomène perturbe aujourd'hui le fonctionnement de notre parc nucléaire. Mon exposé, nécessairement un peu technique, aura pour objectif de retracer les différentes étapes qui nous ont permis de comprendre ce phénomène et de le traiter.
Je récapitulerai d'abord brièvement la chronologie des événements. C'est à l'automne 2021, lors de la visite décennale du réacteur de Civaux 1 dans la Vienne et des contrôles programmés dans le cadre de cet arrêt, que nous découvrons des indications, c'est-à-dire des signaux anormaux et atypiques, sur des portions de tuyauterie du circuit d'injection de sécurité RIS, circuit auxiliaire du circuit primaire. Ce circuit de sauvegarde, à l'arrêt en fonctionnement normal, injecte de l'eau dans la cuve du réacteur en cas d'incident, par exemple en cas de brèche dans le circuit primaire. Ce circuit est donc important pour la sûreté du réacteur. La portion de tuyauterie sur laquelle ces indications ont été détectées est directement connectée au circuit primaire, avant le premier organe d'isolement, c'est-à-dire avant la première vanne de ce circuit. Les tuyauteries mesurent 30 centimètres de diamètre. L'épaisseur du métal est de trois centimètres. Enfin, la longueur totale des portions de circuit équivaut à une dizaine de mètres.
Lors de chaque visite décennale, nous effectuons des contrôles sur les tuyauteries de tous les réacteurs du parc nucléaire afin d'y rechercher d'éventuels défauts, dont le phénomène de fatigue thermique. Ce mécanisme d'endommagement est induit par des fluctuations répétitives de la température, liées par exemple à la présence de tourbillons d'eau chaude à l'entrée du circuit. Pour ce faire, nous effectuons des contrôles par ultrasons, au moyen d'un appareil qui envoie des ondes sonores dans la tuyauterie. La lecture et l'analyse complexe de l'écho renvoyé nous permettent de déterminer la présence d'une fissure dans le métal.
À la fin de l'année 2021, nous détectons des indications sur les tuyauteries de Civaux 1, qui ne correspondent cependant pas à une fatigue thermique. Nous découpons ces portions de tuyauteries pour les remplacer et les expertiser dans notre laboratoire intégré d'expertise des matériaux de production nucléaire, le LIDEC, à Chinon. À notre grande surprise, nous découvrons qu'il s'agit de fissures initiées par de la corrosion sous contrainte. Leur taille est significative : cinq à six millimètres de profondeur sur toute la circonférence de la tuyauterie. Elles se sont développées dans le métal à proximité des soudures.
La corrosion sous contrainte correspond à une fissuration progressive, fondée sur une interaction entre un matériau, ici un acier inoxydable assez classique dit 316L, un environnement, c'est-à-dire l'eau qui passe dans le tuyau, avec ses composants chimiques, le bore, le lithium et l'hydrogène, enfin une sollicitation mécanique qui peut provenir soit de contraintes résiduelles du soudage initial, soit du fonctionnement même de ce circuit.
Ce phénomène résulte d'interactions complexes entre ces trois dimensions. Nous avons déjà rencontré à la fin des années 1990, des premiers cas de fissuration d'acier inoxydable par corrosion sous contrainte'. Mais ces cas étaient liés à une pollution identifiée lors des expertises. Un recensement par zone avait alors été effectué et aucun risque d'apparition de corrosion sous contrainte n'avait été identifié sur les lignes auxiliaires, dont les lignes RIS, entre la connexion sur le circuit primaire et la première vanne. Le caractère de nos découvertes à Civaux est donc inattendu.
Nous avons repéré une seule situation similaire au Japon, sur le réacteur numéro 3 de la centrale d'Ohi, avec la détection en 2020 d'une corrosion sous contrainte en milieu primaire, sur une tuyauterie constituée d'un acier inoxydable assez proche de celui de Civaux.
Les résultats des contrôles menés à Civaux 1 et la nature des défauts relevés nous conduisent à mettre immédiatement à l'arrêt le réacteur de Civaux 2 pour y réaliser les mêmes contrôles. Nous y détectons des défauts similaires et nous mettons à l'arrêt, à titre de précaution, les deux autres réacteurs du palier N4 de Chooz dans les Ardennes. La sûreté à EDF constitue en effet une priorité absolue.
En parallèle, un autre événement survient à Penly 1. Au cours de contrôles programmés lors d'une visite décennale, une indication correspondant à de la corrosion sous contrainte est relevée sur une tuyauterie d'injection de sécurité RIS. Nous comprenons alors que l'ensemble du parc nucléaire est potentiellement concerné. Nous sommes confrontés à un défaut générique.
La réglementation française, notamment l'arrêté du 10 novembre 1999 relatif à la surveillance de l'exploitation du circuit primaire principal de nos réacteurs, est claire : le maintien en service d'un circuit avec des défauts de cette nature ne peut se poursuivre qu'après une instruction technique longue et approfondie. Il nous est apparu que seule la réparation des défauts rencontrés permettait d'assurer un retour rapide des réacteurs sur le réseau. Nous avons donc établi une stratégie de contrôle pour nous doter d'une vision précise de l'état de notre parc. Cette stratégie est basée sur deux piliers : la définition de réacteurs témoins par palier et surtout une relecture a posteriori de tous les contrôles réalisés au cours des dix dernières années sur l'ensemble des réacteurs du parc.
À la suite de ces travaux, sept réacteurs supplémentaires ont été mis à l'arrêt en complément des quatre réacteurs N4 et de Penly 1. Il s'agit des douze réacteurs arrêtés, dont chacun a entendu parler au cours du premier semestre 2022.
Nos équipes ont dû réaliser ces contrôles par ultrasons, seul dispositif alors disponible. Cependant, initialement destiné à la détection de fatigue thermique, cet outil n'était pas en mesure de préciser la nature et la profondeur des indications relevées. Pour cette raison, nous n'avions d'autre choix que de procéder à la découpe de portions de tuyauterie.
Ainsi, au premier semestre 2022, 115 soudures différentes ont été expertisées avec des équipements de laboratoire de haute technologie et 230 échantillons métallographiques ont été analysés avec des microscopes de grande précision. L'ensemble de ce travail d'expertise titanesque a amélioré notre compréhension du phénomène et nous permet raisonnablement d'affirmer que le caractère prépondérant d'apparition de la CSC est la géométrie des lignes des circuits auxiliaires, car elle détermine le niveau de contrainte rencontré dans les tuyauteries, que les 32 réacteurs de 900 mégawatts et les 8 réacteurs de 1 300 mégawatts du palier P4 sont peu ou très peu sensibles à la CSC, que les 12 réacteurs de 1 300 mégawatts de type P'4 et les réacteurs N4 sont sensibles ou fortement sensibles à l'apparition de CSC, et que la zone de tuyauterie dans laquelle le phénomène apparaît est délimitée par une soudure au-delà de laquelle la corrosion ne se développe plus.
Tous ces éléments, combinés avec des analyses de sûreté et des calculs de tenue mécanique des tuyauteries, nous ont permis de présenter à l'ASN, le 13 juillet dernier, un dossier complet comprenant notre analyse et une stratégie de contrôle et de réparation pour l'ensemble de nos réacteurs.
Aujourd'hui, sur les douze réacteurs, dix ont fait ou font l'objet de réparations des circuits déposés et deux méritent quelques commentaires. Pour Flamanville 1, l'opération de remplacement des générateurs de vapeur en cours ne peut être menée de concert avec les réparations. S'agissant d'un réacteur du palier P4, nous espérons ne pas découvrir de corrosion sur ses tuyauteries. Pour Bugey 3, réacteur du palier 900 mégawatts, nous avons décidé, avec l'accord de l'ASN, de ne pas procéder à des découpes pour expertise, celles réalisées sur Bugey 4 et Fessenheim n'ayant révélé aucune trace de CSC.
En ce qui concerne les dix chantiers de réparation, six sont aujourd'hui terminés, permettant le retour de ces réacteurs sur le réseau pour l'hiver. Le chantier de Penly 1 devrait se terminer au cours du mois de novembre. Notre objectif est que les trois derniers chantiers, Chooz 1 et 2 ainsi que Civaux, soient terminés d'ici la fin de l'année. Toutefois, à la fin d'un chantier de corrosion sous contrainte, il peut rester un certain nombre d'actions à réaliser.
Nos procédés sont basés sur des modes opératoires semblables à ceux utilisés à l'origine, car ils ont fait l'objet d'une qualification. Le temps imparti empêche, en effet, de qualifier de nouveaux procédés. La réussite de ces chantiers résulte d'une mobilisation de plusieurs partenaires industriels qui se sont engagés à nos côtés et que je souhaite remercier. Ainsi, Monteiro et son partenaire ONET ont réalisé un travail remarquable à Civaux 1 et à Tricastin 3. Ils travaillent aujourd'hui à Civaux 2 et à Chooz 2. Par ailleurs, Endel a rapidement terminé le chantier de Chinon B3 et se trouve aujourd'hui mobilisé à Penly 1. L'entreprise a également effectué un travail remarquable avec Sigedi à Cattenom 4. Enfin, Framatome et Westinghouse, chaudiéristes présents sur les chantiers de Bugey 4, Flamanville 2 et Chooz 1, nous ont apporté une expertise technique et internationale, avec la sollicitation de soudeurs venus notamment d'Amérique du Nord.
J'aurais évidemment souhaité que ces industriels soient plus nombreux, ou que leurs ressources soient plus importantes, pour agir plus rapidement et minimiser les doses reçues par les travailleurs. Dans le respect de la réglementation, nous sommes en passe grâce à eux de tenir nos objectifs et de remettre ces réacteurs sur le réseau pour l'hiver prochain. Par ailleurs, dès le début de l'année 2022, nous avons mobilisé des fondeurs et des forgerons italiens, avec qui nous avions l'habitude de travailler dans le cadre du programme Grand Carénage. Grâce à cette mobilisation, au bout de six mois, nous avons disposé de toutes les pièces de rechange pour réaliser les travaux de réparation. Cette anticipation des besoins a été un élément clé de la résolution de la crise. Au vu de la situation actuelle, nous sommes en mesure de respecter les objectifs fixés pour l'hiver par RTE, responsable de l'équilibre du réseau électrique.
Toutefois, le dossier n'est pas clos. Conformément à l'engagement que nous avons pris vis-à-vis de l'ASN, nous allons procéder à des contrôles sur l'ensemble des réacteurs les plus sensibles, ceux du palier P'4. Ces contrôles sont déjà engagés à Cattenom 1, Golfech 1 et Penly 2 et le seront sur les autres réacteurs l'année prochaine. Les réparations dépendront du résultat des contrôles.
C'est une vraie prouesse d'avoir développé en moins d'un an une nouvelle technique de contrôle par ultrason aussi performante et capable de sonder trois centimètres d'épaisseur de métal. Je tiens à saluer tous ceux qui ont travaillé sur cet outil, certes perfectible, mais dont nous pensons pouvoir disposer totalement à partir du début de l'année prochaine.
Par ailleurs, de nombreux efforts doivent encore être réalisés en matière de recherche et développement, pour décrypter tous les mécanismes complexes du phénomène. Pour nous éclairer, nous avons réuni au mois d'octobre 15 experts internationaux de la métallurgie. Un certain nombre de recommandations ont émergé des auditions. De façon unanime, les experts ont partagé nos conclusions. Mais ils nous ont également recommandé d'approfondir certains sujets tels que la température et le taux d'oxygène des circuits, pour lesquels nous allons lancer des campagnes de mesure. Les experts ont rendu un avis favorable sur le nouveau dispositif de contrôle ultrasonore. Enfin, tout en soulignant le bien-fondé du remplacement des tuyauteries à l'identique, certains ont souligné la possibilité de recourir à l'overlay, ou manchonnage. Ce dispositif consiste en l'ajout, à l'extérieur de la tuyauterie, d'un dispositif métallique soudé sur la tuyauterie elle-même, à l'endroit où une fissure est présente. Ce dispositif est qualifié selon les codes et normes ASME américaines. EDF examinera la pertinence de ce type de solution et engagera un dialogue avec l'ASN sur le sujet.
Nous passons à présent à une seconde phase qui vise à réaliser des contrôles et des actions de recherche de plus long terme, sur plusieurs années. Certes, les impacts sur la production devraient décroître au fil des mois, mais beaucoup de moyens seront encore mobilisés.
Pour conclure, trois éléments ont constitué notre fil directeur au cours de l'année qui vient de s'écouler. Premièrement, la sûreté nucléaire a été et demeurera notre priorité absolue. Les mises à l'arrêt de certains réacteurs en plein hiver ont constitué des décisions difficiles, mais nécessaires. Deuxièmement, la relation avec l'Autorité de sûreté nucléaire doit être fondée sur la confiance, le dialogue et la transparence, élément indispensable au bon fonctionnement de l'industrie nucléaire civile. Troisièmement, nous avons la volonté constante, partagée avec l'ASN, de disposer aussi rapidement que possible d'un état de situation précis.
Nous sortons progressivement de la crise pour apporter au pays l'électricité dont il a besoin cet hiver et les prochaines saisons. Vous pourrez toujours compter sur EDF et ses agents pour assurer cette belle et grande mission d'intérêt général qu'est le service public de l'électricité. Avec Étienne Dutheil, directeur du parc nucléaire, et Hubert Catalette, directeur du projet corrosion sous contrainte, nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous avons bien compris que votre priorité absolue était la sûreté nucléaire. Je laisse à présent la parole au président Bernard Doroszczuk pour exposer son analyse.
M. Bernard Doroszczuk, président de l'ASN. - Je suis accompagné d'Olivier Gupta, directeur général de l'ASN, et d'un certain nombre de représentants de l'ASN qui pourront également répondre à vos questions. Je souhaiterais de manière générale et liminaire insister sur quatre points.
Premièrement, la fissuration par corrosion sous contrainte est un sujet sérieux qui a été traité sérieusement par EDF. En effet, elle comporte de réels enjeux de sûreté, dès lors qu'elle peut conduire à une brèche sur un circuit auxiliaire directement connecté au circuit primaire sans possibilité de l'isoler. En cas de brèche primaire et de rupture des circuits auxiliaires, nous serions dans une situation accidentelle, avec des dommages à l'installation, potentiellement accompagnée d'une perte durable du réacteur et de rejets modérés à l'extérieur. La fissuration par corrosion sous contrainte est générique sur les quatre réacteurs du palier N4 et potentiellement générique sur les douze réacteurs du palier P'4. Les fissurations découvertes sont potentiellement évolutives au sein de l'épaisseur de la tuyauterie et peuvent atteindre plusieurs millimètres, jusqu'au quart de l'épaisseur. En outre, il existe une faible marge par rapport à la taille du défaut critique qui pourrait entraîner une rupture de la canalisation en cas de déclenchement du circuit d'injection de sécurité.
La fissuration par corrosion sous contrainte est également un sujet difficile à traiter. Cette fissuration était inattendue, au vu du type de matériau utilisé, et inédite à cette échelle sur le parc mondial des réacteurs à eau sous pression. Les exploitants d'EDF ne disposaient donc d'aucun retour d'expérience international permettant d'accélérer le traitement de ce problème. Cette fissuration est difficile à détecter, car elle se propage en lignes brisées, en suivant les joints du métal. Les dispositifs de contrôle non destructif disponibles au moment de la découverte n'étaient pas adaptés à la caractérisation de ce type de fissuration. Ils ne permettaient donc pas d'en connaître la taille. Enfin, la corrosion sous contrainte nécessite des interventions pour le contrôle et la réparation en milieu dosant proche du circuit primaire principal, ce qui impose des protections et une durée limitée d'intervention pour les travailleurs. Les équipes d'EDF ont travaillé en étroite relation avec la direction des équipements sous pression et la direction des centrales nucléaires de l'ASN, avec l'appui technique de l'IRSN.
Deuxièmement, EDF a rapidement déployé un plan d'investigation conséquent qui a permis de proposer une stratégie de priorisation des contrôles et des réparations, approuvée par l'ASN fin juillet. Le premier semestre 2022 a été consacré à la mise en oeuvre d'un plan d'investigation basé sur des découpes, des expertises ainsi que des justifications de sûreté. Il était indispensable pour comprendre le phénomène, identifier les zones des réacteurs les plus concernées et définir une stratégie de contrôles priorisés. Les investigations menées ont permis d'identifier la géométrie des tuyauteries et les contraintes thermomécaniques comme principaux facteurs influençant l'apparition des fissures de corrosion sous contrainte. Les soudures réalisées avec de fortes énergies de soudage et sans arasage constituent également un facteur aggravant. La qualité des soudures mises en oeuvre pour réparer les circuits doit être particulièrement soignée, pour éviter autant que possible la réapparition de ce type de fissurations. Ce plan d'investigation a permis d'identifier les réacteurs N4 et les réacteurs de 1 300 mégawatts du palier P'4 comme étant les plus concernés. Ainsi, au total, seize réacteurs sont prioritaires. Sept ont fait l'objet de découpes et d'investigations, trois sont en cours de contrôle et six restent à contrôler d'ici mi-2023. Nous avons estimé que cette stratégie proposée par EDF était appropriée, compte tenu des connaissances accumulées sur le phénomène et des enjeux de sûreté associés. Les contrôles seront réalisés par un nouveau procédé non destructif par ultrasons qui permettra de caractériser la taille des défauts sans procéder à des découpes, donc à des réparations. Les premiers résultats de cette nouvelle méthode, qui devra être qualifiée, sont encourageants, mais restent à consolider. Une attention particulière devra être portée aux soudures réparées au moment de la construction d'origine, car les expertises ont mis en évidence qu'elles induisent des champs de contrainte différents à proximité des soudures et peuvent être à l'origine de développements plus rapides de corrosion sous contrainte. En fonction des résultats obtenus sur ces seize réacteurs, l'ASN pourra demander la remise en état des circuits affectés si la taille des fissurations est importante, ou bien accepter la remise en état de manière différée après justification. Les décisions de l'ASN seront proportionnées aux enjeux de sûreté. D'ici fin 2025, conformément aux engagements d'EDF, les réacteurs de l'ensemble du parc nucléaire devront être contrôlés et éventuellement réparés.
Troisièmement, au vu du caractère inédit et des enjeux de sûreté, le phénomène de corrosion sous contrainte suscite un besoin de transparence, d'information et de partage d'expérience. Pendant toute la période d'investigation et de dialogue technique avec EDF, l'ASN s'est efforcée de garantir cette information à l'égard du public, ainsi que l'échange d'expérience avec ses homologues à l'étranger. Dès janvier 2022, l'ASN a mis en ligne un dossier spécifique sur la problématique de corrosion sous contrainte dans lequel figure l'ensemble de ses courriers de demande, de ses prises de position, ainsi que les notes d'information émises sur le sujet. Les divisions territoriales de l'ASN ont participé aux réunions des commissions locales d'information (CLI) qui ont abordé ce sujet. De la même manière, l'ASN est intervenue à l'occasion des présentations organisées par EDF devant le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Elle participera au prochain webinaire organisé par l'ANCCLI sur ce sujet. Les groupes permanents d'experts placés auprès de l'ASN ont été tenus informés et se sont prononcés, en vue des avis émis par l'ASN, sur la stratégie proposée par EDF et les moyens de contrôle développés. Nous avons à ce jour réalisé 38 inspections sur le sujet, dont les lettres de suite sont disponibles sur le site internet de l'ASN. Nous avons mené plusieurs actions de partage de connaissances et d'échanges avec les autres régulateurs internationaux dans le cadre de réunions bilatérales, ainsi que dans le cadre des instances européennes : le Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (ENSREG) et l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA, en anglais Western European Nuclear Regulators Association), ou internationales : l'Association internationale des autorités de sûreté nucléaire (INRA, en anglais International Nuclear Regulators'Association). Je dois souligner la forte demande de connaissances de la part de nos homologues européens, nord-américains, asiatiques et sud-africains. De nombreux régulateurs ont d'ores et déjà demandé à leurs exploitants de réaliser des contrôles sur leurs propres installations.
Quatrièmement, nous pouvons tirer trois principaux enseignements de cet événement. D'abord, la prudence s'impose. Les connaissances sur le phénomène de corrosion sous contrainte sont évolutives et le programme de contrôle devra être adapté si de nouveaux éléments sont mis en évidence. Le premier résultat d'un contrôle réalisé par la technique d'examen non destructif (END) améliorée montre que des tailles de fissuration non rencontrées dans la phase d'investigation avec découpe pourraient être détectées. De même, il est nécessaire de rester prudent sur les capacités industrielles disponibles qui mobilisent des segments industriels en tension : contrôleurs non destructifs, tuyauteurs et soudeurs. Il convient de renforcer davantage ces capacités industrielles pour faire face à l'ampleur des opérations de contrôle et de travaux.
Le second enseignement est que la capacité des exploitants à concevoir la survenue d'événements inattendus doit être entretenue. C'est l'objet des plans de maintenance préventive des exploitants et de l'examen de conformité détaillé que nous demandons lors des visites décennales. Examiner des parties difficilement visibles en exploitation normale : réseaux enterrés, câbles électriques, etc., vérifier que les a priori sur la tenue des équipements sont bien justifiés et utiliser les nouvelles techniques de contrôle non destructif restent une préoccupation des exploitants dans toutes industries à risque : nucléaire, chimie, pétrole offshore et génie civil.
Enfin, le dernier enseignement a trait à la réaffirmation du besoin de disposer de marges pour la sûreté. En 2013, dans le cadre du débat sur la politique énergétique, l'ASN a émis un avis qui soulignait l'importance de disposer de marges suffisantes dans le système électrique pour pouvoir faire face à la nécessité de suspendre simultanément, pour des raisons de sûreté, le fonctionnement de plusieurs réacteurs. Ce besoin a été réaffirmé dans les rapports annuels de l'ASN sur l'état de la sûreté, ainsi que lors de la présentation de ces rapports à l'OPECST en 2018 et 2021. La situation actuelle illustre la nécessité impérieuse de restaurer des marges pour la sûreté et dans les décisions prises pour le dimensionnement des capacités de production électrique dans le cadre du mix énergétique à l'horizon 2050.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je laisse la parole à Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN, qui complétera le propos technique sur la corrosion sous contrainte.
Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN. - C'est toujours un honneur d'aborder des sujets d'une telle importance. L'IRSN intervient notamment sous forme d'avis à destination de l'ASN.
Le phénomène de corrosion sous contrainte est plus fréquent sur les réacteurs à eau bouillante en raison de la présence de vapeur et d'eau. L'Electric Power Research Institute (EPRI) a recensé 150 cas. Ce nombre apparaît faible au regard du nombre de soudures, réacteurs et composants potentiellement concernés. Le taux de sondage reste toutefois variable, entre 10 et 25 %. La majorité des cas concernent des milieux occlus, c'est-à-dire des sections de tuyauterie dans lesquelles le fluide ne circule pas ou peu. Dans un certain nombre de cas non nominaux, des écarts par rapport aux spécifications chimiques sont identifiés. La corrosion sous contrainte détectée sur le parc nucléaire français est donc atypique, en termes d'étendue sur l'ensemble des réacteurs à eau sous pression.
Sur l'origine, nous partageons la position d'EDF selon laquelle il s'agit d'un problème de stratification thermique, c'est-à-dire d'étalement de la température dans un même tuyau. Au contact de l'eau froide, le tuyau a tendance à se contracter, et au contact de l'eau chaude, il a tendance à s'étendre. Il ne faut cependant pas confondre cette contrainte avec la fatigue thermique, qui correspond à une alternance de chaud et de froid.
Nous considérons la présence d'oxygène dans le circuit primaire comme un facteur de risque de corrosion sous contrainte pour l'acier inoxydable austénitique. Cet oxygène est introduit dans le circuit primaire à l'occasion d'injections d'eau ou de bore depuis un réservoir, appelé bâche. Le bore permet de ralentir la réaction nucléaire. Il est utilisé en fonctionnement normal, mais aussi en situation accidentelle. Cependant, dans certains cas, l'eau injectée n'a pas été désaérée, c'est-à-dire inertée. Dans le cas des réacteurs de 1 300 et 1 450 mégawatts, depuis l'origine, la bâche est au contact d'oxygène et peut en entraîner dans le circuit primaire. Les réacteurs de 900 mégawatts sont désinertés depuis quelques années, notamment à la suite d'un accident du travail d'anoxie, lié à l'azote. Même si les mesures réalisées en branche chaude en sortie du réacteur font état d'un taux d'oxygène plutôt faible, il nous semble qu'EDF doit s'intéresser à l'oxygène en amont du coeur du réacteur, c'est-à-dire à l'eau qui provient directement desdites bâches. L'IRSN a d'ailleurs repris cette demande dans les suites des travaux du groupe permanent d'experts, auquel nous avions proposé cette démarche. Ce facteur a un impact sur la cinétique de propagation des fissures.
Le circuit d'injection de sécurité est essentiel à la prévention de la fusion du coeur en cas d'accident. Il est connecté sur le circuit primaire. Entre la connexion au circuit primaire et le premier isolement, la fissuration d'un morceau de tuyauterie engendre une fuite sur le circuit primaire. Les réacteurs comprennent quatre lignes d'injection dans les branches froides du circuit. La démonstration de sûreté réalisée par l'opérateur dans le cadre de la mise en service de son installation inclut l'étude de la rupture d'une ligne. EDF a procédé à des calculs pour deux brèches simultanées sur deux lignes et conclut à l'absence de fusion du coeur sur les réacteurs de 1 300 mégawatts. Autrement dit, le combustible resterait intègre. L'IRSN a réalisé ses propres calculs et partage les conclusions tirées par EDF.
Il n'existait aucun système de contrôle adapté à la corrosion sous contrainte. Les systèmes ultrasoniques étaient destinés à détecter une fatigue thermique. En effet, les contrôles ultrasonores mesurent le rebond d'une onde sonore pour l'analyser. Or, la corrosion sous contrainte poursuit un parcours déstructuré qui ne favorise pas le renvoi d'un faisceau homogène et, in fine, sa lecture. Dans un premier temps, EDF a souhaité renforcer la sensibilité du dispositif existant, opération qui s'est révélée infructueuse. Aussi, un nouveau dispositif de contrôle a été mis au point. Il permet de détecter des défauts de corrosion sous contrainte, de caractériser leur hauteur et d'enregistrer les images ultrasonores. Ces dernières peuvent être communiquées à des experts plus pertinents. EDF peut ainsi trouver la taille effective du défaut. Il est cependant nécessaire de procéder à une qualification de l'outil. Le dispositif présente un certain nombre de limites, notamment par rapport aux géométries complexes. Enfin, les défauts situés à proximité de soudures n'ont pas été utilisés pour qualifier le procédé.
De manière générale, il est préférable de réparer plutôt que de justifier, mais cela peut être utile pour certaines situations. La démarche consiste alors à définir un défaut critique. Autrement dit, il est nécessaire d'apporter la garantie que le système reste sous le défaut critique. Une mesure est donc réalisée à laquelle est ensuite intégrée l'incertitude de la mesure et la propagation de la fissure sur la durée de fonctionnement.
En conclusion, la compréhension du phénomène reste à parfaire. Le sujet le plus important demeure le procédé de contrôle, qui devra à terme être intégré dans les programmes de maintenance d'EDF. Pour ce faire, il sera nécessaire de qualifier ce procédé pour réaliser des contrôles sur l'ensemble des réacteurs, en priorisant les réacteurs P'4. Enfin, la question de l'oxygène dans l'eau d'appoint du circuit primaire doit être étudiée pour mieux comprendre ce phénomène, mieux instrumenter les circuits et le cas échéant faire évoluer les modes de gestion afin de réduire le taux d'oxygène. Depuis un an, l'IRSN est très mobilisée sur ce sujet et une dizaine de personnes y travaillent, soit 5 équivalents temps plein. L'IRSN doit régulièrement mobiliser des moyens sur des sujets inattendus, ce qui n'est pas sans effet sur sa capacité de fonctionnement.
Les avis sur lesquels nous nous sommes positionnés pour l'ASN sont essentiellement ceux relatifs à l'analyse des procédés d'examen ultrasonore optimisés et à l'analyse du risque de rupture brutale, incluant l'étude de sûreté avec deux brèches simultanées, le rôle de l'oxygène et la possibilité de fonctionnement avec une fissure - pour laquelle il serait nécessaire de renforcer la démonstration. S'agissant des mesures compensatoires prises par EDF pour anticiper une brèche, notamment par la détection de fuites sur le circuit primaire, nous avons attiré l'attention sur l'utilité des dispositifs d'incendie : environ 50 % des circuits RIS et RRA passent dans des locaux comportant des détections et des sondes incendie qui se déclenchent en cas d'apparition de vapeur d'eau.
Je suis accompagné de Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'IRSN, qui pourra également répondre à vos questions.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vous remercie pour cette présentation claire et synthétique. L'énergie nucléaire constitue un enjeu technique, mais également politique, notamment en cette période de crise énergétique. C'est pourquoi nous avons le plaisir d'accueillir des représentants de la société civile. Nous allons d'abord entendre Yves Marignac, interlocuteur de longue date de l'OPECST.
M. Yves Marignac, chef du pôle d'expertise nucléaire et fossile de l'institut négaWatt. - Je suis très heureux d'apporter un éclairage complémentaire aux comptes rendus des acteurs institutionnels. Je souhaiterais commencer par saluer le sérieux, l'étendue, la rapidité du travail d'analyse technique mené, bien que je regrette que nous ne disposions pas du même niveau de mise en critique par l'IRSN que sur d'autres dossiers de sûreté. Pour autant, je souhaiterais souligner quelques points.
Les résultats à date mettent en évidence l'apparition et le développement rapide du phénomène. Or, une dizaine de réacteurs ont fonctionné depuis 15 à 20 ans avec des fissures non détectées sur un circuit d'importance essentielle pour la sûreté. Certes, ces fissures semblent s'être arrêtées à une profondeur qui permet de tenter de justifier leur absence de nocivité, mais aucune situation d'accident n'a nécessité d'éprouver leur robustesse en situation critique. Ce constat doit nous amener à beaucoup de modestie quant à l'état réel des réacteurs.
Si l'instruction technique s'est concentrée à juste titre sur la caractérisation, la compréhension du phénomène et sur la stratégie de gestion, nous n'avons pas suffisamment évoqué la manière dont ce risque a été pris en compte à la conception. Si l'on en croit les explications techniques, le phénomène de stratification lié à l'allongement des lignes serait le facteur déclenchant. Nous pouvons donc en déduire que si le risque de corrosion sous contrainte était bien identifié dès l'origine, il n'a pas été maîtrisé à deux niveaux clés de la défense en profondeur : la conception et la surveillance. Si l'ensemble des paramètres a apporté une qualification correcte sur les réacteurs de 900 mégawatts de Westinghouse, l'impact de l'allongement de ces lignes n'a pas été anticipé lors du passage aux paliers 1 300 mégawatts et N4. Au demeurant, nous pouvons nous interroger sur la manière dont ce point a été traité dans l'augmentation des puissances des réacteurs conçus au fil du temps par Westinghouse, qui ne semblent pas affectés par le même problème.
Au-delà de ce constat, je suis inquiet de la faible capacité à pouvoir prédire les propriétés mécaniques des équipements sous pression nucléaire hors de leur domaine qualifié. Dans le domaine qualifié, nous disposons d'une grande capacité de caractérisation destructive des propriétés de ces équipements qui nous permet de qualifier un domaine de dimensionnement. Cependant, la multiplication des facteurs en jeu : nuances d'acier, écarts de composition, modes de soudage, différentes contraintes, etc. et la complexité des relations entre ces différents facteurs compliquent la projection des conséquences sur les propriétés attendues de différents écarts par rapport au domaine qualifié. Ainsi, autant d'essais ont été nécessaires pour caractériser les propriétés du couvercle et du fond de cuve de l'EPR de Flamanville que pour qualifier l'ensemble des cuves du parc nucléaire français. Tel est également le cas pour le dossier du générateur de vapeur de Fessenheim pour lequel une pièce fabriquée de façon explicitement non conforme au procédé initial a fait l'objet d'une conclusion positive. En groupe permanent, de nombreux experts se sont déclarés surpris du comportement étonnamment « bon » de cette pièce. En d'autres termes, ils n'étaient pas en mesure de prévoir correctement l'impact des écarts constatés. Nous sommes donc exposés au risque que des écarts, même minimes, dans les conditions de fabrication ou d'exploitation de ces équipements sous pression nucléaire conduisent à des écarts potentiellement importants de leur comportement par rapport à leurs propriétés attendues. Ce point m'amène à évoquer deux préoccupations.
Premièrement, il est nécessaire de s'interroger sur tous les écarts de conformité repérés, voire non repérés sur le parc nucléaire actuel. Ainsi, une grande partie des dossiers de fabrication de Creusot Forge a fait l'objet d'écarts. Nous devons également nous interroger sur la manière dont les incertitudes générées par ces écarts sont croisées dans les démonstrations de sûreté. Cette hypothèse d'écart n'est pas suffisamment croisée lorsqu'il s'agit des analyses de conformité, des analyses de vieillissement ou de tenue à des situations extrêmes menées dans le cadre du retour d'expérience de Fukushima. J'avais déjà proposé, dans le cadre du volet conformité du quatrième réexamen décennal des réacteurs de 900 mégawatts, d'engager une démarche de type stress-test, consistant à postuler des écarts non détectés des propriétés mécaniques des équipements et à tester la robustesse de la démonstration de sûreté à ces écarts. De plus, le principe d'exclusion de rupture est fragile, puisque tout problème constaté après application de ce principe affaiblit irréversiblement la défense en profondeur. Lors de la conception de l'EPR de Flamanville, EDF a étendu l'application de ce principe. Nous avons ainsi pu observer les problèmes des soudures du circuit secondaire principal ou de piquages des circuits auxiliaires sur le circuit primaire. Pourtant, EDF souhaite à nouveau appliquer de façon extensive le principe d'exclusion de rupture à la conception de l'EPR2. Les difficultés constatées dans ce dossier doivent amener à beaucoup plus de prudence.
Deuxièmement, la question de l'arbitrage entre sûreté et sécurité mérite réflexion. La forte dépendance du système électrique français à un parc nucléaire standardisé constitue une véritable fragilité du point de vue de la sécurité électrique, même si elle représente un avantage sur le plan de la sûreté de fonctionnement. Le président de l'ASN de l'époque avait souligné dès 2013 que le système électrique ne disposait pas des marges nécessaires pour faire face à l'indisponibilité d'une dizaine de réacteurs pour une raison de sûreté générique. Par ailleurs, la France est le seul pays à avoir raté son objectif européen en 2020 en matière d'énergie renouvelable. La faiblesse des actions de maîtrise de la demande constitue notamment un frein à la fermeture des réacteurs, pour diversifier et réduire cette dépendance. Cette situation nous expose mécaniquement à un arbitrage malsain entre sécurité électrique et sûreté nucléaire, qui se double d'une pression induite par l'envolée des prix de marché dans le contexte de crise énergétique que nous connaissons. Les perspectives d'EDF, avec une prévision de 50 % de facteur de charge du parc nucléaire pour 2022, à peine plus pour 2023, ont évidemment exacerbé cette pression. Par ailleurs, EDF a beaucoup communiqué sur une application volontaire et vertueuse du principe de précaution, lorsque les premiers résultats ont conduit au constat rappelé sur Civaux 1, en arrêtant préventivement les quatre réacteurs du palier N4. Toutefois, nous constatons que ce principe de précaution n'a pas été appliqué lorsqu'un problème a été détecté sur un réacteur du palier P'4, celui de Penly 1. Nous pouvons y mesurer le poids de l'impact qu'aurait eu la même application du principe de précaution sur la sécurité électrique.
Nous avons vu l'orientation générale du dossier évoluer sous cette pression des enjeux d'approvisionnement électrique. EDF a bien sûr réalisé de nombreuses opérations, comme cela a été rappelé, mais l'opérateur s'est rapidement engagé dans une démarche d'étalement des contrôles, en priorisant certains réacteurs pour mieux retarder l'examen des autres. Puis, une fois l'étalement accepté par l'ASN, EDF a plaidé pour une mise en oeuvre rapide des réparations des portions de circuits découpées, avant même que l'instruction technique ait permis de caractériser avec suffisamment de certitude les facteurs en jeu, pour s'assurer de la non-reproduction de ce problème. Appelé par le Gouvernement à produire des signaux susceptibles « de refroidir les marchés », EDF a pris des engagements très volontaristes sur le redémarrage des réacteurs. Pour nous en convaincre, nous pouvons observer que l'analyse prévisionnelle de RTE prévoit en hypothèse haute, sur le passage de l'hiver 2022-2023, une disponibilité moyenne du parc inférieure d'environ 10 gigawatts aux engagements pris par EDF. Cette situation conduit aujourd'hui à accélérer les réparations, en faisant appel à des soudeurs américains et en relâchant les marges de prudence habituellement appliquées vis-à-vis des limites réglementaires de radioprotection des travailleurs.
Le cas de Cattenom 1, mentionné à la fin de l'intervention de l'IRSN, constitue une nouvelle étape, EDF cherchant à justifier, plutôt qu'une découpe et réparation immédiate sur une, voire deux fissures suspectées, le report de ces opérations à un nouvel arrêt programmé après l'hiver. Une telle stratégie, si elle était validée par l'ASN, ne reposerait pas sur un raisonnement fondé exclusivement sur la sûreté, mais sur une forme de dérogation motivée par les enjeux de sécurité électrique. Cette dérive me semble dangereuse. Elle appelle à s'interroger sur les options pour rendre le système électrique moins dépendant de la disponibilité à tout prix du parc nucléaire. C'est en partie l'objet du débat public sur les nouveaux EPR qui s'ouvre aujourd'hui, et de la concertation ouverte par le gouvernement sur l'avenir du système énergétique. Elle appelle également - et c'est une préoccupation vivement exprimée par le groupe permanent d'experts - à l'élaboration par EDF d'une stratégie plus pérenne de traitement de cette situation que la méthode de détection et de réparation mise en oeuvre jusqu'à présent, dans une approche court-termiste. Enfin, la question de la transparence ne se réduit pas à mettre à disposition du public l'information synthétique que l'exploitant ou l'autorité estime nécessaire. Elle doit permettre l'accès à toute l'information non légitimement couverte par les différents secrets. À mon sens, nous en restons encore très loin pour ce dossier.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je laisse la parole à Monsieur Jean-Claude Delalonde, président de l'ANCCLI.
M. Jean-Claude Delalonde, président de l'ANCCLI. - L'ANCCLI est une fédération des 35 comités et commissions locales d'information (CLI) implantés près des installations nucléaires de base qui regroupent 5 000 bénévoles. La loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN) nous a institutionnalisés en tant que fédération. Nous existions certes déjà auparavant, mais de façon informelle. Une circulaire du Premier ministre Pierre Mauroy avait incité les présidents de départements à nous créer. Chaque CLI délègue quatre représentants à l'ANCCLI. Ils constituent la gouvernance de notre instance, constituée à parts égales, à raison d'un par CLI, d'élus, de représentants d'associations de défense de l'environnement, de représentants syndicaux qui exercent dans les installations nucléaires de base et de représentants du monde économique, d'experts en matière nucléaire ou de personnes qualifiées.
Dans une constante unanimité, l'ANCCLI travaille et réfléchit sur un sujet qui nous tient à coeur : la défense, le maintien et le développement de la sûreté nucléaire du modèle français. Malgré la diversité de notre représentativité, nous nous exprimons unanimement sur ce sujet. Nous sommes également très respectueux de la représentation nationale, même si nous pouvons parfois être en désaccord. Il est important que nous puissions l'exprimer quand c'est le cas, en toute confiance et sans aucune invective.
M. Yves Lheureux, directeur de l'ANCCLI. - Nos inquiétudes, nos questionnements et nos attentes rejoignent des propos déjà tenus par les autres acteurs du nucléaire.
Cet événement générique se produit malheureusement dans une période de pleine tension sur le marché de l'énergie, de recherche d'indépendance énergétique et de préoccupations de nos concitoyens quant à l'alimentation électrique de leurs habitations. L'ASN avait déjà alerté sur l'éventualité d'un tel événement générique, qui pouvait impacter plusieurs réacteurs. Sa survenue crée des contraintes dans un moment qui n'est pas le plus propice. Toutefois, ce sujet a été abordé avec sérieux par l'ensemble des acteurs, avec un souhait de transparence et un partage des informations. Le retour d'expérience des événements passés a probablement favorisé cette posture de l'ensemble des acteurs du nucléaire, dont nous considérons faire partie en tant que quatrième pilier. Nous sommes ainsi parvenus, dans nos indépendances respectives et une confiance réciproque, à développer cette transparence et ce partage des informations.
Ce sujet de la corrosion sous contrainte a donné lieu à de nombreuses présentations dans les CLI, même dans des commissions locales non concernées par ce sujet, comme à Gravelines. Les citoyens et acteurs locaux ont toutefois ressenti le besoin d'expliquer ce processus. J'ai participé à des réunions publiques des CLI de Golfech et du Tricastin, à Valence. Plus d'une centaine de personnes étaient présentes. Le public a posé des questions au sujet de la corrosion sous contrainte, qu'il s'agisse de la sûreté, du redémarrage, de l'indépendance électrique ou du calendrier des opérations de réparation. En somme, les citoyens partagent légitimement les interrogations que nous soulevons ce jour.
Dans ce contexte, sous l'impulsion de Madame Noiville, présidente du HCTISN, du président de l'ANCCLI, Jean-Claude Delalonde, et de tous les partenaires : exploitants, ASN, et IRSN, nous avons décidé d'organiser un webinaire le 10 novembre 2022, à l'attention de tous les membres des CLI et des citoyens, afin de présenter la chronologie, les explications, les expertises et les perspectives sur ce sujet des CSC.
Pourquoi découvrons-nous ce phénomène aujourd'hui ? Les tests réalisés lors de la deuxième visite décennale (VD2) de Civaux 1 ont-ils été plus importants que prévu ? Ne passons-nous pas à côté d'autres phénomènes inattendus et inédits ? Nous nous interrogeons sur la nécessité de réaliser des maintenances préventives plus précoces sur d'autres circuits. Ce sujet a également mis en évidence le besoin de compétences qui nous font défaut. Nous avons parlé de soudeurs italiens et américains, ainsi que d'une école de soudure créée par EDF. Ces informations circulent dans la presse et les citoyens nous interrogent naturellement sur le fait de devoir chercher des compétences à l'étranger, alors que nous sommes un pays nucléarisé depuis de nombreuses années. Nous devons donc engager une réflexion sur les compétences dont nous avons besoin aujourd'hui, mais également à l'avenir, pour la politique énergétique de notre pays, avec les projets d'EPR2, dont celui de Penly. Nous devons également tenir compte de la pyramide des âges et du transfert des compétences. EDF l'a pris en compte depuis de nombreuses années et a conscience des conséquences du départ à la retraite de nombre de ses personnels, mais est-ce suffisant ? N'avons-nous pas besoin de davantage de formations et de compétences ?
Sur ce sujet organisationnel et humain, l'ANCCLI envisage de réaliser un livre blanc et d'organiser un séminaire en 2023.
Il existe évidemment des tensions sur le marché de l'énergie et nous partageons un souhait d'indépendance. Toutefois, il est nécessaire de s'assurer que les réacteurs redémarrent dans les meilleures conditions et dans l'optimum de sûreté nécessaire. Les avis de l'IRSN et les décisions de l'ASN doivent être pris en compte par les décideurs pour que ce phénomène très sérieux ne se reproduise pas et ne conduise pas non plus à des redémarrages précipités, que nous pouvons craindre compte tenu du contexte actuel.
La transparence et le partage des informations doivent être poursuivis. Les travaux et redémarrages qui auront lieu dans les prochaines années imposent de maintenir les rendez-vous réguliers organisés par le HCTISN, les CLI ou l'OPECST.
Enfin, cette découverte inattendue et inédite ne rend-elle pas nécessaire la réalisation plus fréquente de contrôles, de processus de surveillance et d'opérations de maintenance ? Le vieillissement du parc nucléaire pose question. Une visite décennale pour des réacteurs âgés de plus de quarante ans est-elle suffisante ?
M. Jean-Claude Delalonde. - Pour reprendre l'image développée par le Président Longuet dans son introduction, cette colline nucléaire ne cacherait-elle pas d'autres phénomènes systémiques qui pourraient conduire à son effondrement ? L'ANCCLI s'inquiète non seulement du phénomène de corrosion, mais aussi des enjeux nucléaires sans précédent posés à notre pays qui ne sont pas résolus : soudures, démantèlements, retards de l'EPR, construction de nouveaux réacteurs, piscines de retraitement des déchets, etc.
Nous avons récemment alerté les responsables nationaux pour leur rappeler que la simplification et l'accélération des procédures, pour gagner quelques mois au motif de l'urgence afin de faire aboutir des projets dans 15 ans, engendrent, au détriment de la sûreté, une forte pression sur les exploitants, sur l'autorité de contrôle et sur l'expert public. Ces derniers auront à émettre des avis dans des délais contraints, avec des ressources humaines probablement insuffisantes. Or, la sûreté constitue une priorité qui ne peut se réaliser sous contrainte.
Il est nécessaire de donner à l'ASN et à l'IRSN les moyens proportionnés à l'ambition politique nucléaire française et au vieillissement de notre parc. Il convient également de soutenir l'expression de la société civile sur le plan financier, en lui accordant le temps nécessaire pour mener des expertises. En effet, la société civile participe au renforcement de la sûreté nucléaire. Le Président Longuet a mentionné les trois piliers de la sûreté : l'exploitant, l'autorité de sûreté et l'IRSN. J'y ajouterais un quatrième pilier : la société civile, à laquelle nous contribuons.
Nous sommes inquiets de l'annonce d'un avant-projet de loi de simplification des procédures au motif de l'urgence. Il nous est parfois reproché d'avoir une posture quelque peu entravante. Nos missions et notre rôle ont pourtant été fixés par les lois de 2006 et 2015, puis le décret d'application pris en 2019. Nous sommes tenus par ces textes de faire connaître à nos gouvernants, donc à vous-mêmes, nos éventuelles craintes. Simplifier les processus revient à prendre un chemin en inadéquation avec les principes de démocratie, de transparence et de participation du public aux décisions. Rappelons enfin que cette approche reviendrait à renier des engagements pris par le Gouvernement assez récemment. De notre point de vue, l'urgence d'une solution n'est pas une solution.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vous remercie de saluer l'effort de l'OPECST pour s'ouvrir à la société civile depuis de nombreuses années. Il est important de recueillir des éléments contradictoires et d'organiser le débat pour nous appuyer davantage sur l'expertise scientifique et technique de nos grandes institutions publiques. C'est tout l'enjeu de faire émerger à la fois la science et la société dans une compréhension commune. Je laisse à présent la parole à mes collègues parlementaires.
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Je voudrais souligner la qualité du travail et le sérieux avec lequel ce phénomène a été traité. Nous disposons de moyens de contrôle sans commune mesure avec ceux d'autres pays. En outre, la mise en ligne des avis sur un site public constitue déjà un grand pas vers la transparence et tout citoyen qui souhaite s'informer en a la possibilité.
Je souhaiterais également souligner l'utilité des contrôles décennaux des réacteurs, qui permettent parfois de détecter des phénomènes inattendus. Bien évidemment, il n'est pas question de réduire les marges de sûreté, que ce soit à travers le projet de loi sur l'accélération du nucléaire ou celui relatif aux ENR. Nous ne pouvons pas court-circuiter les documents d'urbanisme et les enquêtes publiques au seul motif d'un désir d'accélération.
D'une part, j'aimerais savoir pourquoi ce phénomène de corrosion sous contrainte ne touche qu'une partie du parc et différentes générations de réacteurs, anciens et récents ? Des changements d'utilisation de matériaux et de géométrie sont-ils intervenus ? Le nombre de coudes a-t-il augmenté au sein de ces installations ?
D'autre part, cet événement aura-t-il des conséquences sur les solutions techniques des prochains chantiers ? Je pense en particulier à l'EPR 2, annoncé comme une simplification structurelle de l'EPR.
Pourquoi le manchonnage, solution moins invasive que la découpe et le remplacement des tuyauteries, n'a-t-il pas été retenu ? En effet, il semble plus facile à mettre en oeuvre, d'autant qu'il offre davantage de visibilité sur la solidité de la structure, en particulier autour des soudures.
Disposez-vous d'éléments sur la vitesse de propagation des fissures de corrosion sous contrainte ? Cela permettrait d'anticiper l'éventuelle altération d'autres circuits et les éventuelles réparations nécessaires pour y faire face.
Enfin, je partage le constat du manque d'investissement chronique qui affecte depuis 30 ans les énergies renouvelables et le nucléaire. Je n'ai aucune hostilité à l'égard des soudeurs italiens et américains, mais nous pouvons en effet déplorer la disparition de ces compétences sur notre sol.
M. Philippe Bolo, député. - Quel intervalle de temps s'écoule entre la capacité à détecter de premières fissures et l'éventualité d'une brèche ? Les contrôles réguliers effectués se situent-ils avant ou après cet intervalle ? Ces fissures apparaissent-elles rapidement ou sur le long terme ? En quoi la connaissance de la cinétique et de la temporalité d'apparition des fissures peut-elle conditionner la durée de vie de la réparation ?
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Les réacteurs de 900 mégawatts sont-ils moins touchés par les problèmes de fissuration en raison de la composition des aciers ?
Par ailleurs, je conçois qu'une soudure supplémentaire instaure une rigidité additionnelle, susceptible d'occasionner de nouvelles contraintes qui n'existaient pas auparavant. Quelle est donc l'ampleur des soudures opérées sur le parc nucléaire et à quels endroits ?
Je partage enfin les inquiétudes sur l'état de la production d'électricité, avec le vieillissement du parc nucléaire et le faible développement des énergies renouvelables, ainsi que sur les projets de loi axés sur l'accélération des énergies sans réexamen préalable de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
M. Cédric Lewandowski. - Je réitère ma conclusion : il n'y a pas d'arbitrage entre la sûreté et la sécurité d'approvisionnement. La sûreté est une priorité absolue. Si nous avons la moindre conviction technique ou scientifique qu'un réacteur se trouve en difficulté, nous l'arrêtons. C'est ce que nous avons démontré en arrêtant une douzaine de réacteurs en plein hiver, moment crucial pour l'approvisionnement en électricité. À ce titre, je récuse le terme d'arbitrage, car nous serons toujours d'abord au service de la sûreté et en second lieu de la sécurité de l'approvisionnement.
Il reste encore beaucoup de travail de recherche et de développement pour aboutir à un consensus scientifique et technique permettant de comprendre pourquoi seule une partie du parc est touchée. Selon EDF, le facteur prépondérant de l'apparition de cette corrosion sous contrainte est le design des lignes, devenu complexe avec le temps. En effet, celui-ci est plus complexe dans les réacteurs de 1 450 mégawatts que dans les réacteurs de 1 300 mégawatts et plus complexe dans ces derniers que dans les réacteurs de 900 mégawatts. Toutefois, d'autres facteurs peuvent intervenir comme l'oxygène, la température et les typologies de soudure. De notre point de vue, la prépondérance du facteur des lignes nous conduit à considérer que les 32 réacteurs du palier 900 mégawatts ne sont pas ou sont peu affectés par la corrosion sous contrainte. Néanmoins, nous n'affirmons pas pour autant qu'il n'y aurait aucun risque de corrosion sous contrainte sur ce palier. Nous devons encore travailler sur ce sujet. Dans cette perspective, nous avons pris des engagements vis-à-vis de l'ASN pour contrôler les lignes de l'ensemble des réacteurs d'ici fin 2025. Nous avons simplement priorisé les réacteurs potentiellement les plus affectés, c'est-à-dire les 12 réacteurs du palier P'4, pour les contrôler avant mi-2023.
Aujourd'hui, nos experts estiment que la vitesse de propagation des fissures serait d'environ 0,5 millimètre par an. Cette donnée ne fait toutefois pas consensus et reste à approfondir.
Le manchonnage, ou overlay, n'a pas été retenu, car ce procédé n'est pas qualifié dans la réglementation française. Nous ne l'excluons pas, mais qualifier un procédé de cette ampleur requiert plusieurs mois, voire plusieurs années d'instruction. Il nous était donc impossible de mettre en place cette technique au regard de l'enjeu relatif à la sécurité d'approvisionnement. Pour autant, nous avons pris en compte les remarques des experts internationaux que nous avions invités à Paris, notamment ceux de l'Electric Power Research Institute (EPRI). Nous allons donc étudier cette question et engager un dialogue avec l'ASN.
En ce qui concerne la présence de soudeurs et d'usineurs étrangers, je voudrais mettre en exergue deux points. Premièrement, nous avions besoin de fonderies en mesure de préparer des lingots d'inox de qualité forgés en fonction de nos spécifications. C'est une tristesse pour nous de ne pas avoir trouvé dans le temps imparti des fondeurs français. Aussi, je suis très reconnaissant à deux fondeurs d'Italie du Nord d'avoir répondu présent et d'avoir fourni un travail de très grande qualité. En revanche, notre pays déplore un déficit de soudeurs, d'usineurs et de tuyauteurs. Pour y faire face, nous avons par exemple recréé une école de métiers à Cherbourg pour le soudage. Ce déficit industriel ne concerne pas uniquement la filière nucléaire.
Deuxièmement, les travaux s'effectuent dans un environnement radioactif avec une dosimétrie importante. Nous allons d'ailleurs au-delà de la réglementation et fixons une marge de sécurité pour chacun des salariés, d'EDF et de ses prestataires. À partir d'un certain nombre d'heures de travail, les travailleurs doivent se retirer pour éviter de dépasser la dose prescrite. La rotation de personnel est donc considérable. Dans ce contexte, certains des groupements qui travaillent avec nous ont fait appel à une main-d'oeuvre étrangère de grande qualité, américaine, canadienne et européenne, représentant cependant moins de 10 % des effectifs qui travaillent à nos côtés.
M. Étienne Dutheil. - S'agissant de l'évolution des matériaux entre les différentes générations de réacteurs, nous avons toujours utilisé des aciers inoxydables austénitiques, qui ont des propriétés intéressantes de résistance et de capacité à être soudés. L'évolution des matériaux n'est donc pas une explication retenue à ce jour dans le cadre de la corrosion sous contrainte. Par ailleurs, nos analyses n'ont pas mis en évidence de déviation sur les matériaux utilisés par rapport aux spécifications. Tous les matériaux étaient conformes.
La question de la temporalité a trait à la périodicité des contrôles de maintenance. Or, la maintenance est une pratique revisitée en permanence, en fonction du retour d'expérience et des constats sur les installations, qui peuvent occasionner un allègement, un renforcement ou un approfondissement. Nous sommes dans ce cas de figure, puisque la situation était inattendue et nécessite un renforcement des opérations de maintenance. À la suite de la découverte de corrosions sous contrainte, nous avons élaboré un programme de contrôle adapté à la surveillance de cette « maladie ». Sa périodicité sera adaptée à ce que nous comprenons de la cinétique du phénomène et de son évolution.
Jean-Christophe Niel. - Nous expertiserons le manchonnage si l'ASN nous en saisit. Mais le contrôle des soudures, si elles sont entourées d'un manchon, constituera alors certainement un sujet complexe.
S'agissant des conséquences sur les futurs chantiers, le juge de paix est lié aux moyens de contrôle.
À ce stade nous n'avons pas encore convaincu EDF de l'importance de l'oxygène.
Enfin, les soudures de l'EPR et de l'EPR2 sont arasées, ce qui constitue un facteur favorable pour la réparation des soudures et pour le contrôle.
M. Alexandre Sabatou, député. - Je vous remercie pour vos retours, la qualité et la rapidité du traitement de ces incidents qui doivent rassurer les Français.
Toutefois, n'avons-nous pas commis un excès de zèle dans cette gestion de crise, notamment du fait de l'hyper médiatisation des sujets nucléaires ? En effet, notre démarche consiste à conduire une première analyse par l'ASN, qui ajoute une marge de sûreté. Les acteurs des centrales nucléaires ajoutent ensuite eux-mêmes leurs propres marges pour s'assurer que les contrôles par l'ASN seront satisfaisants. De telles précautions n'entravent-elles pas notre capacité nucléaire ? Qu'en est-il chez nos voisins ? Sommes-nous à la pointe sur le plan sécuritaire ? Les États-Unis, par exemple, semblent adopter une approche plus souple.
Les fissures représentaient 10 % de l'épaisseur du tuyau. L'IRSN a mentionné la notion de « défaut critique ». Dans la mesure où la propagation de ces fissures est de l'ordre d'un millimètre par an, était-il donc nécessaire d'interrompre un tiers de la production du parc nucléaire français ? Aurions-nous pu imaginer lisser ces réparations pour limiter ce que nous vivons avec la crise énergétique ?
Enfin, je ne remets pas en question l'existence de l'association négaWatt ou la pertinence de sa contribution au débat. En effet, les débats contradictoires sont nécessaires pour adopter les meilleures solutions pour nos concitoyens. Néanmoins, je m'interroge sur la présence de cet institut au sein de cette audition sur ce sujet.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Nos contrôles sont-ils plus rigoureux qu'à l'étranger ? Nos méthodes, nos tuyaux et nos soudures sont-ils différents ? Nous savons qu'en France, grâce à l'ASN et l'IRSN, nous disposons d'une grande fiabilité sur la sûreté.
Ce n'est pas la première fois que l'Office examine ce problème des soudures dans le parc nucléaire, puisque je me souviens d'auditions sur le problème des soudures de l'EPR. Monsieur Lewandowski, vous nous avez parlé d'une relecture a posteriori des contrôles sur 10 ans : a-t-elle été fructueuse et constitue-t-elle une pratique habituelle ?
M. André Guiol, sénateur. - Je remercie les intervenants et l'Office de développer cette transparence dont le nucléaire a tant besoin. En tant que membre de la Commission de la défense, je me demande si les installations embarquées de notre Marine : sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et le porte-avions Charles de Gaulle, connaissent les mêmes problèmes, sachant que les géométries sont différentes ? Dans le cas contraire, quelles leçons pouvez-vous en tirer pour les installations nucléaires ? Enfin, comment les petites unités nucléaires, dont le développement a été évoqué par le Président de la République, peuvent-elles trouver leur place dans le mix énergétique développé par EDF ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous débordons du cadre de la corrosion sous contrainte, mais vos avis sur ces questions nous intéressent.
M. Cédric Lewandowski. - Confrontés à un phénomène que nous ne comprenions pas à Civaux 1, il nous a paru intéressant de rechercher dans l'ensemble de nos archives, pour retrouver des indications ou des signaux atypiques qui auraient pu être signifiés dans les précédentes visites décennales. Il s'agit d'une pratique régulière, mais dont l'ampleur est dans ce cas inédite. Des dizaines de personnes ont ainsi été mobilisées pour redétailler l'ensemble des archives. Ce travail documentaire a été utile, car il a permis de définir précisément les sept réacteurs complémentaires : nos experts ont mis en évidence que les indications consignées à l'époque ressemblaient à celles que nous pensions observer sur Civaux 1. Ce travail renvoie à la qualité des archives d'EDF et à l'utilité de la traçabilité de nos outils.
Nous avons des contacts réguliers avec nos homologues de la Défense qui ont été informés de nos travaux. Je vous inviterai à les interroger directement. Nous sommes toutefois dans une situation difficilement comparable.
M. Étienne Dutheil. - Depuis le début de cette crise de la corrosion sous contrainte, j'ai tenu informés mes homologues, notamment européens, de son évolution et de nos premières conclusions pour nourrir leurs réflexions. Je pense, en particulier, à ce que nous avons détecté sur l'influence du design. Récemment, dans le cadre d'une réunion mondiale des exploitants, les organisateurs ont sollicité EDF pour réaliser une présentation sur la corrosion sous contrainte. Des échanges ont donc bien lieu entre les différents exploitants, chacun traitant le sujet dans le cadre réglementaire qui est le sien.
M. Cédric Lewandowski. - S'agissant de la question de l'excès de zèle, nous avons eu le sentiment d'avoir une approche pragmatique, avec la sûreté comme priorité absolue. Quand vous êtes confronté à un défaut inconnu, situé dans un circuit auxiliaire du circuit primaire, il est impératif de prendre un maximum de précautions. Le temps semble nous donner raison, car la taille et la profondeur d'un certain nombre de fissures, notamment lorsqu'elles sont localisées sur l'ensemble de la circonférence, renvoient à des analyses de sûreté qui doivent être remises sur le métier. C'est le travail que nous menons actuellement, conjointement avec l'ASN et l'IRSN. Nous n'avons donc pas le sentiment d'en avoir trop fait. Par ailleurs, la réglementation française stipule qu'il n'est pas possible d'admettre de défauts sur ce type de tuyauterie. Nous devons garantir à nos concitoyens que le matériel du circuit primaire est dans un état d'exception.
Je tiens également à vous rassurer : la corrosion sous contrainte n'a pas causé l'arrêt d'un tiers de l'appareil de production. En effet, les sujets se cumulent en cette période avec le programme du Grand carénage qui doit permettre de passer de 40 à 50 ans de vie pour les réacteurs de 900 mégawatts. Or, ces travaux initiés depuis deux ans conduisent à arrêter ces réacteurs pendant six mois. C'est bien le cumul de ces travaux considérables et de la corrosion sous contrainte qui a occasionné une perte de production conséquente. Ainsi, nos prévisions estiment un productible compris entre 280 et 300 térawattheures pour l'année 2022.
L'ensemble des analyses internationales, de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et de l'Union européenne, s'accorde sur le fait que la consommation d'électricité connaîtra des courbes de croissance considérables au cours des prochaines années, notamment du fait de nouveaux usages. Ainsi, nous aurons besoin de toute l'électricité décarbonée possible, dans le domaine du renouvelable et du nucléaire. C'est pourquoi EDF propose de prolonger la durée de vie de ses centrales et a déposé un dossier auprès du Gouvernement au printemps 2021 pour la construction de six EPR2. Par ailleurs, nous considérons que les petits réacteurs, les SMR, pourraient être un complément fort utile, à la fois à l'international et sur le sol français, pour un certain nombre d'usages dans les prochaines années. Nous avons créé un consortium avec TechnicAtome, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Naval Group pour concevoir un réacteur de 170 mégawatts électrique. Nous espérons proposer au Gouvernement un design du SMR NUWARD en 2023.
M. Bernard Doroszczuk. - Nous avons chacun tenté d'expliquer le caractère inédit du phénomène par rapport au parc mondial et le fait qu'EDF ne disposait d'aucun moyen pour caractériser la taille de la fissuration au moment de cette découverte. Nous avons donc évolué en aveugle pendant près d'un semestre et il n'était donc pas envisageable de demander à EDF de justifier le maintien en service des réacteurs. Nous ignorions en effet quels étaient les circuits affectés, les tailles potentielles des défauts et les marges par rapport à un risque de rupture. Nous savions simplement que le phénomène était présent sur des circuits non isolables par rapport au circuit primaire. En cas de rupture, nous aurions été confrontés à un accident nucléaire. Il était donc indispensable de mener des investigations qui nécessitaient des découpes pour expertiser et identifier l'ampleur des dégâts sur l'ensemble du parc nucléaire.
À présent, nous entrons dans une deuxième phase. Grâce au travail d'investigation mené, un ordre de priorité a été défini. Nous l'avons reconnu comme acceptable, au regard des justifications sur les facteurs prépondérants de développement de cette corrosion, liée aux géométries des lignes. Ce phénomène n'a pas été observé à l'étranger parce que la géométrie des lignes a évolué avec le temps. À ma connaissance, il n'existe pas de réacteurs à travers le monde avec des géométries de lignes comparables aux paliers des réacteurs de 1 300 mégawatts et du palier N4. Les réacteurs à eau sous pression les plus répandus sont comparables aux réacteurs de 900 mégawatts de conception Westinghouse. Le phénomène n'est donc pas lié au vieillissement, car ces réacteurs, plus anciens puisqu'ils ont 40 ans, ne sont pas ou peu affectés. En revanche, la corrosion peut se développer rapidement sur des réacteurs relativement récents, comme ceux du palier N4 qui ont 20 ans. Dans un premier temps, nous étions donc dans une certaine méconnaissance du phénomène et il fallait développer une technique de contrôle non destructif, qui reste à améliorer et à qualifier. Nous sommes maintenant en mesure d'accepter la priorisation proposée par EDF. En fonction des résultats des investigations, cette stratégie de contrôle pourrait encore évoluer.
La situation a été présentée à nos homologues étrangers. Aucun d'entre eux n'a estimé qu'EDF et l'ASN avaient commis un excès de zèle. Ils auraient d'ailleurs pris les mêmes décisions dans leur pays si des fissurations représentant parfois le quart de l'épaisseur de la tuyauterie avaient été découvertes. Dans certains cas, il n'existe aucune marge par rapport à la taille du défaut critique qui, en cas de sollicitation du circuit d'injection de sécurité, pourrait entraîner une rupture. Le circuit n'est pas utilisé en fonctionnement normal de l'installation, mais si c'est nécessaire pour faire face à une brèche primaire, il faut pouvoir injecter rapidement une quantité importante d'eau pour réduire l'activation du coeur. Dans une telle hypothèse, un choc thermique aurait nécessairement lieu, en raison de l'arrivée rapide d'eau froide en direction du coeur. En cas de fissures des tuyauteries jusqu'au quart de l'épaisseur, celles-ci pourraient alors se rompre.
Ainsi, durant la première phase d'investigation, EDF a fourni des justifications en termes de tenue mécanique, sur la capacité à replier le réacteur en cas de rupture de deux lignes RIS, ainsi que de mesures de surveillance en exploitation. C'est cet ensemble de justifications qui nous a conduit à accepter le maintien en service des réacteurs.
De plus, à aucun moment, nous n'avons validé des propositions d'EDF en prenant en compte le risque d'alimentation électrique. Nous avons pris des décisions proportionnées aux enjeux, toutes justifiées par des raisons de sûreté. Si nous avions estimé qu'un enjeu de sûreté était à craindre, nous aurions demandé à l'exploitant de mettre à l'arrêt les réacteurs. Mettre en débat la question d'un arbitrage ne serait pas une position tenable ou acceptable, car la sûreté doit être considérée comme un bien commun. Aucun acteur, qu'il s'agisse du Gouvernement, de l'exploitant ou du public, ne peut soutenir l'idée d'un arbitrage, car une telle voie remettrait en cause toute la confiance dans le contrôle du nucléaire.
Jean-Claude Delalonde. - Je me félicite de la réponse apportée par Monsieur Lewandowski sur l'excès de zèle. Il y a plusieurs années, en commission à l'Assemblée nationale, le représentant d'EDF s'était interrogé sur un éventuel excès de zèle de Pierre-Franck Chevet, alors président de l'ASN, relatif à l'arrêt en plein hiver des installations nucléaires. Nous avions unanimement répondu que ces contrôles étaient nécessaires. Comme vous, les députés nous avaient fait remarquer que de telles précautions n'étaient pas prises aux États-Unis et ailleurs.
Or, êtes-vous sûrs que demain un accident nucléaire ne peut arriver dans notre pays ? Un expert public, un exploitant, un responsable de la sûreté doivent être exigeants sur ces sujets. De fait, seriez-vous à même d'assumer la responsabilité et la culpabilité d'avoir laissé survenir un accident ? Nous devons nous assurer que le nécessaire est entrepris pour que la sûreté soit maintenue, ne se dégrade pas et se développe.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Au vu des propos tenus par le président de l'ASN, il me semble que la réponse à cette question a déjà été donnée avec la garantie apportée en termes de prévention de la sûreté nucléaire.
M. Alexandre Sabatou, député. - Je précise que ma question n'était pas axée sur la gestion de crise. Ma question était plus générale : une sécurité excessive, qu'elle soit justifiée ou non, n'entrave-t-elle pas notre productivité ?
M. Yves Marignac. - Je maintiens que l'arbitrage entre sécurité et sûreté s'applique d'ores et déjà implicitement. Dans ses considérants, l'ASN a par le passé fait état de l'impératif de sécurité électrique. Affirmer que la sûreté constitue une priorité absolue ne signifie pas qu'elle est un critère absolu. Nous relativisons et proportionnons en permanence les décisions, comme c'est le cas actuellement avec la pression exercée par l'enjeu de la sécurité électrique. Des propos récents du ministre de l'Économie enjoignaient notamment EDF de redémarrer à tout prix ses réacteurs avant l'hiver.
Le manchonnage n'était pas une option tant que la stratégie consistait à procéder à des examens destructifs, qui impliquent une réparation des coudes. En revanche, c'est bien une option qui peut répondre à la préoccupation d'apporter une réponse pérenne, pour éviter le risque de réapparition de ce phénomène.
La corrosion sous contrainte repérée sur un réacteur du palier 900 mégawatts serait due à un micro-défaut sur une soudure, non détecté au préalable. Nous devons avoir conscience que des écarts jugés minimes a priori peuvent devenir importants. Le retour d'expérience grâce aux 115 découpes réalisées et aux analyses des fissures apparentes n'explicite par ailleurs pas exhaustivement la vitesse à laquelle de nouvelles fissures pourraient se propager dans des équipements vieillissants. Nous devons être très prudents sur ces sujets.
Enfin, à ma connaissance, les articles 8 et 9 du projet de loi d'accélération nucléaire prévoient, dans l'exposé des motifs, de sécuriser juridiquement la prolongation des réacteurs existants. Il s'agit donc d'une orientation qui peut aller contre la prudence à laquelle nous appelle le dossier évoqué ce jour.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - D'après les questions des internautes, la presse aurait révélé de premiers cas de corrosion sous contrainte dès 1984 concernant le circuit RIS du troisième réacteur de Bugey. Pourriez-vous nous éclairer ?
M. Cédric Lewandowski. - Je l'ai évoqué dans mon propos liminaire. En 1983, nous avons découvert une trace de corrosion sous contrainte à Bugey 3, mais liée à une pollution.
M. Étienne Dutheil. - En effet, cette corrosion sous contrainte était liée à l'existence d'un milieu extrêmement agressif pour l'acier inoxydable. Le niveau d'eau avait baissé à l'intérieur d'une tuyauterie, de ce fait remplie d'eau liquide et de vapeur. À l'interface de l'eau et de la vapeur, une concentration de polluants a attaqué l'acier inoxydable et créé les conditions favorables à l'apparition et au développement d'une corrosion sous contrainte. Nous n'avons jamais affirmé que le phénomène de la corrosion sous contrainte était inattendu, mais qu'il n'était pas attendu à l'endroit où nous l'avons observé à Civaux 1.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Merci pour ce rappel. Il s'agissait donc d'un phénomène chimique, tandis qu'il s'agirait actuellement d'un phénomène plutôt physique.
M. Étienne Dutheil. - La cause prépondérante à Bugey 3 concernait le milieu. Je rappelle le triptyque : matériau, milieu et contrainte. Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, toute proportion gardée, la contrainte constituerait une cause prépondérante.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vous remercie pour l'ensemble de vos propos éclairants. Nous aurons grand intérêt à débattre ultérieurement sur les nouveaux équipements à venir. Dans la perspective du projet de loi sur le nucléaire, l'OPECST sera présent pour éclairer sur les plans scientifiques et technologiques l'ensemble des enjeux qui se présentent.
La réunion est close à 13 heures.