Mercredi 19 octobre 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Situation du Centre national de la musique – Audition
M. Laurent Lafon, président. – Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue à nos cinq invités du jour :
- Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM) ;
- David El Sayegh, directeur général adjoint de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) ;
- Guilhem Cottet, directeur général de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) ;
- Alexandre Lasch, directeur général du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) ;
- Olivier Darbois, président du Syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle musical et de variété (Prodiss).
Je les remercie d’avoir accepté notre invitation pour évoquer en notre compagnie l’avenir du Centre national de la musique en général et celui de son financement en particulier.
Il me semble nécessaire de rappeler que le Centre national de la musique a été créé dans un rare et désormais lointain moment d’harmonie parlementaire. La loi du 30 octobre 2019 a en effet été adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Parlement à l’issue du remarquable travail réalisé par le plus musicien des sénateurs – ou le plus sénateur des musiciens –, Jean-Raymond Hugonet, qui était rapporteur du texte pour le Sénat.
C’est peu dire que le navire du CNM a appareillé par gros temps !
Lancé le 1er janvier 2020, il a immédiatement dû affronter une crise qui a failli emporter tout un secteur. Cette naissance tourmentée a permis à ce nouvel acteur d’acquérir une formidable dimension en devenant le seul vecteur d’aide au secteur de la musique durant la pandémie.
Le Centre a été doté de près de 500 millions d’euros pour faire face aux conséquences de la crise et a, de l’avis unanime des professionnels, parfaitement rempli cette délicate mission.
Cependant, comme le soulignait notre collègue Julien Bargeton dans son rapport pour avis sur le PLF 2022, cet accueil plus que positif repose sur une forme de malentendu. Le CNM n’a en effet pas été conçu comme un financeur du secteur, mais plutôt comme un instrument de structuration de la profession.
L’année 2023 devrait être – si l’on peut dire, la première année « normale » du CNM.
Or d’une part la profession a de vastes attentes à son égard compte tenu de son rôle pendant la crise et, d’autre part, son modèle budgétaire initial, considérablement plus modeste que les deux dernières années, est déjà fragilisé, pour ne pas dire caduc.
En effet, le rendement de la taxe sur les billets n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant crise et les organismes de gestion collective (OGC) souffrent des conséquences d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 8 septembre 2020 qui limite sérieusement les fonds qu’ils peuvent choisir d’allouer au CNM.
Dans ce contexte troublé, l’idée d’une taxation spécifique fait son chemin, sur un modèle qui n’est pas sans rappeler celui du CNC. D’aucuns soutiennent à cet égard la création d’une taxe sur le streaming, le dépôt d’amendements en ce sens n’ayant pas manqué de faire polémique à l’Assemblée nationale le 30 septembre dernier.
L’idée n’est pas aujourd’hui de débattre spécifiquement du bien-fondé d’une telle taxe, mais de prendre au contraire un peu de hauteur pour esquisser les différents scénarii possibles qui permettront demain au CNM de fonctionner correctement.
Pour ce faire, je vous serais reconnaissant, monsieur Thiellay, de bien vouloir brosser à grands traits la situation actuelle de la filière musicale, dresser le bilan de l’action du Centre depuis sa création et évoquer ses perspectives de financement.
Je demanderai ensuite à MM. El Sayegh, Cottet, Lasch et Darbois de nous préciser, dans le temps qui leur a été imparti, à savoir sept minutes chacun, non seulement leurs attentes vis-à-vis du CNM, mais aussi le niveau et les modalités de financement qui leur paraissent appropriés.
Je passerai ensuite la parole au rapporteur des crédits des industries culturelles, Julien Bargeton, puis aux sénatrices et sénateurs de la commission qui souhaitent vous interroger, les uns et les autres, sur le sujet.
Après avoir rappelé que cette audition était captée et diffusée sur le site du Sénat, je cède sans plus tarder la parole à M. Thiellay, président du CNM, pour ouvrir nos échanges.
M. Jean-Philippe Thiellay, président du CNM. – Vous avez rappelé, monsieur le président, le lien qui existe entre le CNM et le Parlement, grâce aux travaux qui ont conduit à l’adoption de la proposition de loi, dans le climat de consensus que vous avez décrit, après près de 40 ans de tergiversations et d’hésitations.
Je me joins également aux remerciements que vous avez adressés au sénateur Hugonet.
Tout d’abord, la situation de la filière est assez contrastée. Jeudi dernier, à l’occasion de la convention « MaMA », nous avons rendu publics les chiffres de fréquentation des salles de spectacle en 2021 et sur les neuf premiers mois de 2022. On constate un recul modéré, de l’ordre de 10 % en moyenne en termes de billetterie, qui traduit des contrastes extrêmement forts. En 2021 et 2022, nous avons plus de stades et d’Arena qu’en 2019 mais, en revanche, tout ce qui est en deçà de ces grandes jauges souffre terriblement, avec des baisses pouvant aller jusqu’à – 50 %.
Je rappelle que 60 % des concerts qui ont lieu en France se tiennent dans des salles de moins de 800 places. Or ce qui compte, notamment pour l’emploi, ce sont les cachets, non la recette de billetterie. Si l’ensemble de ces salles souffrent énormément, on ne le voit pas tellement dans les chiffres moyens alors que, notamment dans les territoires, les salles sont gravement fragilisées, endettées pour certaines, avec des coûts qui explosent et des factures énergétiques multipliées parfois par douze. Le coût de l’énergie est extrêmement préoccupant, mais c’est aussi le cas des transports, des matières premières, et l’on rencontre des difficultés de recrutement avec, dans les musiques actuelles, une forte hausse des cachets.
Cela se manifeste par une crise en ciseaux, avec des coûts qui augmentent de plus en plus et des recettes qui baissent ou stagnent. C’est un vrai risque pour l’hiver 2022-2023 et pour l’année 2023, après deux années catastrophiques. Je rappelle qu’on a encore connu, début 2022, des interdictions de spectacles. Le temps passe et on oublie les vagues et les différentes mesures…
La crise s’est également fait sentir du côté du phono. Il existe en effet un lien de plus en plus fort entre le phono et le live. Combien de projets et de disques enregistrés n’ont pu vivre leur vie, se développer, rencontrer le public dans les salles et les festivals afin de générer ensuite des revenus ? Il n’en reste pas moins – et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde – que le marché de la musique, d’après les chiffres communiqués par le SNEP au mois de septembre, a marqué une avancée globale de 8,2 % par rapport au premier semestre 2021, avec une progression du streaming payant et gratuit de 15 %, et de 13 % pour le streaming par abonnement. C’est une bonne nouvelle, car il y a là des éléments de création de valeurs à nouveau très importants.
Il faut aussi dire que, grâce au soutien du ministère de la culture et de l’État, il n’y a pas eu de faillite. Certes, des emplois n’ont pas été créés, de la valeur a été détruite irrémédiablement, mais le paysage existe et on a échappé à la catastrophe.
Vous avez, monsieur le président, eu l’amabilité de dire que le CNM avait été le seul financeur dans la crise. C’est le financeur principal, mais les collectivités territoriales ont vraiment joué le jeu, l’État aussi, dans une certaine mesure, pour une partie de ses compétences. On s’est souvent demandé ce qui se serait passé si le CNM n’avait pas existé, mais nous n’avons pas été seuls.
Je n’ai pas évoqué la question du financement de la vie musicale par les collectivités territoriales mais, là aussi, les mauvaises nouvelles s’enchaînent dans le Grand Est, en Auvergne-Rhône-Alpes depuis déjà quelque temps, dans certaines villes ou métropoles, et cela participe à nouveau d’un risque d’attrition car, pour faire des économies, il n’y a pas d’autre solution que de moins jouer.
S’agissant du financement du CNM, je voudrais, de la manière la plus claire possible, dire qu’il n’existe pas de questions à ce sujet, mais des problèmes pour certaines missions. Le plafond d’emplois de l’établissement public n’a pas bougé pendant la crise, alors même qu’au lieu de gérer une cinquantaine de millions, nous en avons géré 200 par an. Je ne peux d’ailleurs pas prendre la parole en public sans dire que je suis fier de l’équipe que je dirige, car les mots que vous avez eus, monsieur président, s’adressent à eux.
Le budget de fonctionnement du CNM est le même depuis 2020, avec la fusion des cinq structures, et c’est la subvention de l’État qui couvre le budget de fonctionnement, qui s’élève à environ 18 millions d’euros. Il n’y a donc pas de problème de financement du CNM comme dans d’autres établissements publics.
J’ajoute que le CNM n’a pas encore trouvé son rythme de croisière. Nous nous sommes installés l’an dernier dans des locaux dans le 13e arrondissement. Nous avons investi dans différents systèmes d’information dont bénéficient les entreprises et les structures affiliées au CNM, et je crois que l’établissement fonctionne.
J’en profite pour dire qu’il y a eu quelques interrogations, surtout à l’Assemblée nationale, me semble-t-il, sur une prétendue opacité et absence de transparence. Je ne sais pas ce que cela veut dire : nous avons un agent comptable, nous avons un contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM), nous avons la Cour des comptes, que nous avons vue beaucoup depuis deux ans et demi. Toutes les aides que nous versons sont publiées : en trois clics, on tombe sur un tableau Excel qui fait 4 491 lignes pour ce qui est des aides 2021. C’est la transparence que doit tout établissement public, et je ne crois pas qu’on aurait pu faire beaucoup mieux.
Je tiens aussi à dire qu’un des sujets importants réside dans les crédits d’impôt. Depuis octobre 2020, nous délivrons au nom de l’État les agréments pour les crédits d’impôt. Il n’y a pas eu de rupture, et c’est extrêmement important pour toute la filière musicale.
Le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté l’an dernier un nouveau crédit d’impôt en faveur des éditeurs de musique, qui n’est pas entré en vigueur, les textes d’application n’ayant pas été pris. Nous sommes dans l’attente de ce dispositif.
Troisième et dernier point extrêmement important sur les besoins et les sources de financement pour les missions du CNM : j’ai indiqué que le fonctionnement du CNM était assuré. Sans m’appesantir, le CNM n’est toutefois pas qu’une caisse d’aides. Il fait également de l’observation et de l’analyse. Nous avons ainsi travaillé sur l’user centric et sur la place des femmes dans les festivals. Nous travaillons actuellement sur les faux streams et la manipulation des streams sur les plateformes, etc. Toutes ces missions, comme la formation professionnelle, sont extrêmement importantes face aux grands enjeux auxquels la filière est confrontée.
Il n’en reste pas moins que des questions se posent sur le volet financier. Avant de se demander où trouver des ressources, il faut établir les besoins, qui correspondent à des lignes budgétaires à placer en regard des missions que vous avez définies à l’article 1er de la loi du 30 octobre 2019. Début 2020, avant la crise, nous nous sommes concertés avec les professionnels, dont ceux qui sont ici présents, pour analyser les besoins de la filière, compte tenu de l’évolution des métiers, des opportunités à l’international, de la compétition des contenus. Nous nous sommes demandés ce qu’il fallait pour que l’équipe de France de la musique soit plus forte.
Cette concertation a abouti, en s’appuyant sur les travaux parlementaires préparatoires à la création de la loi, sur le rapport de Roch-Olivier Maistre ou de Franck Riester et autres, en 2010. On arrive à un périmètre d’intervention d’une cinquantaine de millions d’euros pour l’établissement public, hors fonctionnement et droits de tirage, les droits de tirage ne constituant pas une aide et échappant à toute orientation politique. Cette cinquantaine de millions d’euros est destinée à soutenir le live, la diversité, à investir dans les salles, à aider les tournées, etc., au nom de la diversité, mais aussi à aider la filière du phono, dans la mesure où, avec les opportunités liées au streaming, énormément de labels indépendants se sont montés partout sur le territoire, notamment dans certaines esthétiques plus fragiles que d’autres, qui n’existeraient pas sans le crédit d’impôt ou les aides sélectives, auparavant gérés par le fonds pour la création musicale (FCM) ou, pour la production internationale, par le Bureau Export de la musique française.
Certains sujets transversaux nouveaux que la loi avait bien cernés prennent une importance capitale, comme la transition écologique. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin : nous avons passé un été un peu particulier, avec des annulations pures et simples de festivals ici ou là, et des enjeux en termes d’évolution des modèles, dans le phono et la production, où il est nécessaire d’analyser les choses et d’observer pour aider les professionnels à prendre ce virage en matière d’égalité femmes-hommes ou de transition digitale, autant d’enjeux transversaux qui figurent dans la loi et donnent à l’établissement public sa légitimité.
Pour 2023 en tout cas, compte tenu de la baisse modérée du rendement de la taxe, on estime qu’on va avoir une trentaine de millions d’euros, dont il faut retrancher les deux tiers au titre du droit de tirage, ce qui n’en fait plus qu’une dizaine, en y ajoutant les dotations de l’État, qui a respecté ses engagements, plus les dotations des organismes de gestion collective qui, auparavant, finançaient les structures que nous avons fusionnées. Celles-ci ont également subi la crise et l’arrêt « rap », sur lequel je ne m’appesantirai pas, qui a constitué en quelque sorte une tempête dans le tsunami. Nous pensons ainsi que nous arriverons, en 2023, à une grosse vingtaine de millions d’euros en cash disponible, si je puis m’exprimer ainsi.
La ministre de la culture, dont je partage l’opinion, a indiqué à l’Assemblée nationale qu’avec quelques sous-consommations sur la fin des crédits France Relance, nous pourrions redéployer, ici ou là, une trentaine de millions d’euros, dans le cadre d’une mesure que je ne peux vous exposer aujourd’hui, car nous sommes en pleine phase de prévision, d’exécution et de préparation du budget. J’en accepte l’augure bien volontiers.
Nous travaillons dans ce sens avec le ministère de la culture, mais on est loin des 50 millions d’euros. On n’abandonnerait pas vraiment de missions mais, au lieu de consacrer 4,5 millions d’euros à l’export, on redescendrait à ce que faisait le Bureau Export de la musique française, soit 1,5 million d’euros.
En matière d’égalité femmes-hommes, nous étions à 250 000 euros en 2020 et étions passés à 1,7 million d’euros en 2022. On ne sera pas dans ce cas, alors même que ce sont des transitions pour lesquelles on ne peut considérer avoir réglé le sujet.
Si on arrive en forçant les choses à 30 millions d’euros, énormément de projets, de spectacles et d’enregistrements n’existeront pas. C’est aussi simple que cela. Une OGC comme la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) n’aide plus aucun label discographique du fait de la crise et de l’arrêt « Recorded Artists Actors Performers » de la Cour de justice. L’Adami se tourne vers nous pour savoir si nous allons compenser. Nous n’avons évidemment pas ces 25 millions d’euros par an.
Pour 2024, c’est encore pire. Si on arrive à 30 millions d’euros grâce au redéploiement de sommes que nous allons soit sous-consommer, soit récupérer, ce sera en toute hypothèse en 2024. Le risque qu’on arrive à un CNM minoré, très loin des ambitions de la loi, me semble très important.
Nous avons connu, depuis plusieurs années, maintes propositions de taxes sur les objets connectés, de projets de taxe YouTube ou de taxe sur les plateformes de streaming. J’ai toujours été agnostique : nous avons besoin d’une vingtaine de millions d’euros pour assumer les missions fixées par la loi. Une taxe affectée à la musique, et qui irait à la musique, me semble être une bonne logique, dans la mesure où cela échappe aux discussions interministérielles. Cela paraît vertueux parce que cela permet de montrer que l’aval finance l’amont et que la diffusion finance la création.
Nous avons estimé, avec la ministre, qu’une taxe streaming n’était pas mûre pour 2023.
Une certaine agitation a pris des formes que je regrette – on a affirmé que le CNM n’aidait pas le rap : c’est purement et simplement faux ! Peu importe, c’est le passé. La bonne nouvelle, c’est la mission qui a été confiée au sénateur Bargeton. Nous espérons, dans les six mois, pouvoir clarifier tous ces points et arriver à l’été 2023, en vue du PLF 2024, avec un dispositif consensuel qui permettra à l’établissement d’assumer ses missions.
M. David El Sayegh, directeur général adjoint de la Sacem. – Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, indépendamment de la mission de structuration et de coordination du CNM se trouve dans la loi l’idée de promouvoir et de mettre en œuvre une politique ambitieuse. C’est cette ambition qui nous a tous amené à soutenir le CNM, et j’aimerais que cette ambition se traduise concrètement.
Par modestie, Jean-Philippe Thiellay n’a pas dit que le CNM a joué un rôle essentiel pendant la crise. Comment aurions-nous fait sans lui ? Le fonds de secours pour les créateurs, qui représente 20 millions d’euros, a aidé plus de 8 000 personnes qui ne pouvaient plus vivre, payer leur loyer, et qui nous appelaient tous les jours parce qu’elles ne pouvaient plus exercer leur métier, principalement le spectacle vivant. Sans l’aide du CNM et du Parlement, qui a introduit, au titre de l’article 324-17, un critère qui a permis de débloquer des fonds pour les créateurs en détresse, la Sacem n’aurait pas consacré 15 millions pour aider ces créateurs en détresse. Le rôle du CNM a été essentiel pendant la crise, et même après la crise. Je pense aux bourses pour les auteurs, aux aides pour les éditeurs, qui sont pour nous essentielles et permettent de développer et de garantir la diversité culturelle.
Je ne reviendrai pas sur les modes de financement, ni sur les difficultés. Il existe aujourd’hui trois sources de financement, le spectacle vivant, l’État et les organismes de gestion collective. Le dispositif des organismes de gestion collective est aujourd’hui menacé pour plusieurs raisons : la première, c’est qu’on a dû faire face à la crise sanitaire. La Sacem a perdu en deux ans, tout cumulé, 200 millions d’euros de collecte, soit 200 millions d’euros de moins pour les créateurs.
Cette perte cache une autre réalité : pour le spectacle vivant, ce sont 300 millions d’euros qui ont été perdus, dont une partie a été compensée par les revenus numériques, car nous avons fait mieux en la matière. Malheureusement, lorsque vous passez un contrat avec Spotify, Deezer ou un label de musique dans 180 pays, ce n’est pas forcément le répertoire francophone qui profite de cette augmentation.
En revanche, en matière de spectacle vivant, ce sont principalement nos talents qui se produisent en France. Une baisse sur le spectacle vivant se fait donc ressentir de manière beaucoup plus dure pour les membres de la Sacem. Nous sommes à notre niveau le plus bas de répartition depuis 2012, malgré un amortissement de la chute. On est donc dans une situation compliquée.
Par ailleurs, vous le savez, le dispositif de rémunération pour copie privée fait l’objet d’attaques constantes, récurrentes, injustifiées, tant au niveau européen qu’au niveau national, ce qui met en péril toute l’aide culturelle : une année de copie privée, je le rappelle, c’est 12 000 projets aidés et 3 000 pour la Sacem, soit environ 70 millions d’euros pour l’ensemble des OGC. Si l’on considère simplement celles qui interviennent dans le secteur de la musique, cela représente 40 millions d’aides. À chaque fois qu’on fragilise un dispositif qui représente 1 % du prix d’un iPhone, on remet en cause de nombreuses aides à des festivals, à de la création, à de l’éducation artistique et culturelle, qui sont par ailleurs des missions que poursuit aussi le CNM. Il est donc aujourd’hui très important de stabiliser ce dispositif. S’il est menacé, c’est tout l’ensemble de ce cercle vertueux qui sera mis en péril.
Venons-en aux sources de financement du CNM. Les besoins méritent incontestablement d’être discutés pour éviter de laisser penser que certains chercheraient à capter la valeur du streaming à leur profit exclusif, au détriment des autres. Je pense que c’est ce qui a quelque peu empoisonné le débat ces dernières semaines, alors qu’aucun inventaire précis des besoins n’a été fait, même si le CNM a déjà avancé sur la question. Il est donc indispensable de définir ces besoins. C’est un préalable.
Une fois les besoins déterminés, il faudra définir les modalités d’une possible taxe sur le streaming. La question est ouverte. Pas besoin d’être expert en matière musicale pour savoir que le streaming est aujourd’hui la source principale de revenus et de croissance de la musique enregistrée. C’est donc un gisement, mais ce n’est peut-être pas le seul. Il faudra donc s’interroger sur d’autres sources de financement. On a parlé de la taxe sur les objets connectés. Pourquoi pas, à partir du moment où elle ne vient pas percuter le principe de rémunération pour copie privée, ce qui ne servirait à rien puisque les deux taxes s’annuleraient.
Je suis ouvert à des contributions. J’observe que les diffuseurs traditionnels sont des contributeurs massifs au financement du Centre national du cinéma (CNC). Pourquoi ne le seraient-ils pas pour le CNM ? La question mérite d’être posée, même si je ne dis pas qu’il faut le faire.
Si l’on devait aller vers une taxe sur le streaming – option intéressante, je tiens à le préciser –, il faudrait tenir compte de plusieurs paramètres. En premier lieu, cette taxe devrait s’appliquer à tous les acteurs du streaming. J’observe d’ailleurs un consensus autour d’une contribution sur le streaming au sein de la filière, mais il existe de vifs désaccords sur les modalités de mise en œuvre de cette taxe. Pour nous, il est essentiel que les plateformes de partage de contenus – YouTube, TikTok, Facebook – contribuent à cette taxe, si taxe il devait y avoir. Il est inenvisageable d’octroyer un avantage concurrentiel à des plateformes qui rémunèrent très mal la création.
Le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC) a publié une étude il y a deux semaines. D’après les chiffres, qui sont concordants avec les nôtres, un million de streams sur une plateforme comme YouTube ne représentent que 100 euros en droits d’auteur. En moyenne, quatre auteurs-compositeurs participent à une chanson. Pour un million de streams, vous vous partagez cinquante euros à quatre. C’est le niveau de rémunération d’une plateforme financée exclusivement par la publicité.
Ce niveau augmente évidemment lorsque vous avez un abonnement payant. Il est en moyenne de 1 200 euros pour un million de streams et peut aller, pour un abonnement individuel, jusqu’à 2 000 euros. Sur les plateformes de partage de contenus qui appartiennent à des mastodontes du numérique, c’est à peine 200 euros. Ces plateformes doivent donc participer au financement du CNM.
Se pose donc la question de savoir si les plateformes éditorialistes pourraient également participer. C’est une question d’équité et de logique : à partir du moment où on embrasse le streaming il faudrait prendre toutes les formes en compte et avoir une taxe affectée sur l’ensemble des revenus.
Je pense qu’il est important que le spectacle vivant, au sein de la filière musicale, ne soit pas le seul contributeur du CNM. C’est essentiel. C’est à la fois une question d’équité, mais aussi d’ambition par rapport à une véritable politique, qui irait bien au-delà des problématiques du spectacle vivant, qui embrassent la musique enregistrée, les plateformes l’innovation, etc. Ce sont là énormément de points transverses.
Selon moi, la priorité reste l’export. Aujourd’hui, grâce au numérique, la Sacem a la capacité d’appréhender des revenues à l’export, ce qui était une illusion il y a quelques années. Un artiste qui génère des streams dans le monde entier est en capacité d’être rémunéré par sa société d’auteurs. Pour nous, il faudra choisir des priorités parmi tous les enjeux qui ont été cités. On ne peut pas tout faire au même moment, mais cela constitue une formidable priorité qui réunit l’ensemble de la filière et intéresse aussi bien la musique enregistrée que le spectacle vivant.
Nous sommes donc vraiment très favorables à votre mission, monsieur Bargeton, et à regarder dans le détail comment envisager une telle contribution.
M. Guilhem Cottet, directeur général de l’UPFI. – Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, merci d’avoir mis sur pied cette table ronde, qui permet d’aborder en toute transparence ce sujet ô combien important pour la filière musicale qu’est le financement du CNM. De fait, on pourrait estimer qu’il aurait été préférable que cette concertation ait lieu un peu plus tôt, afin d’éviter certaines confrontations. Quoi qu’il en soit, elle arrive aujourd’hui, et c’est tant mieux.
Je rappelle que la filière a voulu le CNM. Elle l’a profondément et intensément appelé de ses vœux pendant de nombreuses années. C’est désormais une réalité depuis le 1er janvier 2020, ce dont nous nous sommes tous félicités, d’autant plus pendant la crise.
Pour autant, le projet de CNM, de notre point de vue, est resté inachevé pour des raisons qui ont déjà été en partie évoquées. La crise sanitaire a évidemment ralenti l’agenda de cet établissement, ce qui a parfois été un bien. Du côté de la musique enregistrée, ces aides ont été en effet absolument cruciales, car elles ont permis de maintenir un très haut niveau d’investissement et d’emplois.
La filière fonctionne sur deux jambes, le spectacle vivant et la musique enregistrée. Si l’une de ses jambes est à l’arrêt forcé, il est impératif que l’autre continue à fonctionner afin de faire en sorte, lorsque la crise est passée et que le corps essaye de fonctionner à nouveau, que les choses puissent se faire progressivement et sans effondrement général.
La deuxième raison de cet inachèvement est un schéma de financement incomplet à ce jour. Hormis la dotation de l’État, dont on peut se réjouir qu’elle soit conforme à la trajectoire budgétaire prévue initialement, hormis la taxe sur la billetterie, héritée de l’ancien Centre national des variétés et qui vise à soutenir le spectacle, quid de la musique enregistrée ? À ce stade, elle ne contribue malheureusement pas au budget de l’établissement – ou de manière extrêmement marginale. Il existe donc une asymétrie entre le financement par le live et le financement par la musique enregistrée qui, selon nous, est incompatible avec cet objectif de maison commune de la musique qui était prévu pour le CNM.
La musique enregistrée savait dès le début qu’elle serait amenée à contribuer. Selon nous, ce jour-là est venu. Plusieurs pistes de financement avaient été évoquées avant la création de l’établissement. On ambitionnait en effet d’impulser une dynamique de création et de production bien plus forte que ce que pouvait faire le FCM, le Bureau Export, etc.
C’est cette politique ambitieuse que l’on souhaite toujours pour le CNM, mais cela se finance. Il faut des ressources pour soutenir l’observation impartiale de la filière, l’aide financière à la diversité musicale, à l’export, à l’innovation, à la transition écologique et à l’égalité femmes-hommes, etc.
Parmi ces pistes, il en existait une, que nous appelons aujourd’hui « contribution de l’écosystème de la diffusion numérique au financement de la diversité musicale ». Afin de faciliter les choses, appelons-la « taxe streaming », comme c’est désormais le cas dans la presse.
Les producteurs indépendants ont regretté que le Gouvernement n’ait pas pris l’initiative d’inscrire ce projet dans le cadre du PLF pour 2023. Il s’agit d’appliquer à l’ensemble des acteurs diffusant de la musique en ligne, que ce soit sur un modèle payant ou gratuit, une taxe d’un taux très faible, dont le produit abondera le CNM et lui permettra de financer les missions que j’ai mentionnées. De notre point de vue, la croissance constante à deux chiffres du streaming justifie que ce marché soit ciblé en priorité pour contribuer au financement du CNM.
C’est de notre point de vue une solution pérenne, sans incidence pour les finances publiques. Je le précise, car nous venons de passer par deux ans et demi de « quoi qu’il en coûte », et il nous semble important de ne pas solliciter à nouveau la ressource publique. C’est sans incidence pour les finances publiques, mais ô combien bénéfique pour la création locale, la prise de risques artistiques, la diversité musicale et également pour la survie de notre tissu de TPE-PME ! C’est un mécanisme contributif, qui permettra de corriger les effets de la seule loi du marché et de dupliquer ce qui existe pour le cinéma français depuis des décennies, qui a fait sa vitalité.
Il s’agit également, de notre point de vue, d’un pari à long terme, puisque aujourd’hui, la production de nouveauté, c’est le catalogue de demain. Or si l’on assèche la production locale, on assèche également le catalogue des plateformes. Nous trouvons donc étonnant que les plateformes ne soient pas plus enthousiastes à l’idée de créer ce mécanisme redistributif vertueux pour la création.
M. Alexandre Lasch, directeur général du SNEP. – Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes honorés de l’intérêt que vous portez à ce sujet, et nous vous remercions de votre présence.
Aujourd’hui, on constate que le secteur de la musique enregistrée est en croissance depuis assez peu de temps. D’ailleurs, ce retour à la croissance a peu ou prou coïncidé avec la création du CNM. Quinze ans de crise du disque ont conduit à une destruction de valeur, dans le secteur, d’environ 70 % de notre chiffre d’affaires, entre le début des années 2000 et l’année 2015.
C’est une période extrêmement complexe pour le secteur, qui a amené de la casse sociale et une diminution de la production, mais l’outil productif s’est malgré tout maintenu en grande partie, grâce à un dispositif extrêmement structurant pour le secteur qu’est le crédit d’impôt à la production phonographique (CIPP).
Le retour à la croissance est évidemment précieux. Il se fonde d’abord et avant tout sur le pari que les ayants droit ont fait – la Sacem en premier, il faut le dire – sur le nouveau modèle économique qu’est le streaming par abonnement. Ce modèle est extrêmement vertueux et a permis de ringardiser le piratage dans le secteur de la musique, même si cela ne l’a malheureusement pas complètement éteint. Ceci a surtout recréé du consentement à payer pour la musique via ses abonnements, ce dont nous nous réjouissons évidemment.
Dans ce contexte, la création du CNM a permis de rationaliser les guichets d’aide et de créer une maison commune de la musique, avec des missions qui vont bien au-delà de la simple distribution de soutiens financiers.
À l’heure de ce premier bilan, il faut constater que le CNM a été plus qu’au rendez-vous de la crise sanitaire, qui a eu aussi un impact sur la musique enregistrée : la fermeture des commerces culturels a handicapé le secteur, alors que nous aurions dû être en croissance rapide et en rattrapage par rapport à la perte de valeur que j’évoquais. La perception de certaines contributions, telles que celles portant sur la diffusion de musique dans les lieux publics, a bien évidemment été également affectée par cette période. Nous sommes restés stables, alors que nous aurions dû connaître la croissance durant cette période.
Le soutien du CNM à la musique enregistrée a donc été plus que bienvenu. Il a permis de rassurer les entreprises et de leur permettre de continuer à envisager l’avenir à peu près sereinement pour poursuivre les investissements et la production et la création.
Le CNM a fusionné des associations préexistantes que sont le FCM ou le Bureau Export de la musique, entre autres, qui intéressaient particulièrement le secteur de la musique enregistrée. Le CNM a également repris la gestion du crédit d’impôt pour la production phonographique, mais le soutien du secteur s’est aussi historiquement organisé par lui-même, notamment par la contribution des OGC et la mise en place de guichets d’aide par les organismes de gestion collective.
Aujourd’hui, environ 15 millions d’euros ont été distribués à la profession par la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), pris sur des ressources telles que la copie privée ou les irrépartissables.
Bien sûr, les aides à la création des sociétés de gestion collective ont été fortement affectées par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Nous savons que la Commission européenne et le Gouvernement français travaillent au rétablissement de la situation antérieure. Ce sera long et complexe et c’est encore incertain, mais cela va dans le bon sens.
Je le souligne parce que, pour capitale que soit l’intervention du CNM, le secteur a aussi organisé sa propre forme de soutien direct aux entreprises, et il faut qu’il en soit tenu compte.
Toujours dans le modèle de soutien à la musique enregistrée, je veux également souligner une mesure particulière qui bénéficie aux très petites entreprises du secteur, issue du Fonds national pour l’emploi dans le spectacle (FONPEPS), doté de 29 millions d’euros en PLF 2023. Une enveloppe, à l’intérieur de ce fonds, bénéficie aux entreprises de moins de dix salariés du secteur de la musique enregistrée afin de les aider à embaucher un nombre toujours plus important d’intervenants artistiques, qu’ils soient musiciens ou artistes principaux.
Jusqu’à une date très récente, nous n’étions pas certains que cette mesure se poursuive l’année prochaine. Nous avons désormais davantage de certitudes, après avoir échangé sur cette question avec le ministère de la culture, mais je tiens à rappeler que c’est là aussi une forme de soutien indispensable à la diversité pour les très petites entreprises du secteur.
Le Parlement – et nous vous en remercions à nouveau – a soutenu l’an passé le renforcement du CIPP, désormais géré par le CNM. Il avait très peu évolué depuis son origine, en 2006, au plus fort de la crise du disque. C’est heureux, car il est, là aussi, un vrai moyen de soutien à la diversité. Pour vous donner un ordre de grandeur, le CIPP représentait, depuis 2006, 10 et 11 millions d’euros de dépense pour l’État. Il devrait représenter, sous réserve de l’évaluation qu’en fera le CNM, environ 17 millions d’euros dans sa version renforcée. Là encore, ces éléments positifs ne doivent pas éteindre le contexte qui a été rappelé mais il est, me semble-t-il, important de le mentionner.
Je rejoins la Sacem quant au fait qu’il est nécessaire de lister les besoins, et je salue la mise en place de la mission parlementaire. Certes, la concertation permanente existe au CNM, mais le fait est que, pour l’instant, elle est intervenue alors que l’établissement bénéficiait de ressources exceptionnelles et que nous n’étions pas en mode de gestion de pénurie.
Enfin, je veux dire qu’il n’est évidemment pas question pour notre secteur de ne pas être mis à contribution et de ne pas compléter le modèle de financement du CNM. Nous sommes toutefois extrêmement attentifs à ce que ceci ne vienne pas remettre en cause le modèle sur lequel on se reconstruit. Nous souhaitons tout au contraire nous appuyer sur les acteurs qui, aujourd’hui, ne soutiennent pas suffisamment la création, comme les services de partage de contenus vidéo que sont Facebook, TikTok ou YouTube.
M. Olivier Darbois, président du Prodiss. – Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour l’organisation de cette table ronde, qui nous permet, collectivement, de rappeler le rôle essentiel joué par le Centre national de la musique depuis bientôt trois ans, dont l’avenir est aujourd’hui au cœur de tous les débats de la filière musicale.
La semaine dernière encore, lors du MaMA Festival qui rassemble tous les acteurs du monde de la musique, nous échangions sur les défis et les moyens d’un CNM qui, rappelons-le, est encore très jeune, malgré l’expérience acquise pendant la crise sanitaire, celle-ci ayant d’ailleurs montré toute la légitimité de la création, en 2020, d’une vraie maison commune de la musique, à l’image de ce qui a été fait pour le cinéma.
Le Prodiss, que j’ai l’honneur de présider, qui est aujourd’hui la première organisation professionnelle du spectacle vivant privé et regroupe 400 entreprises, producteurs, diffuseurs, exploitants de salles et organisateurs de festivals, s’est mobilisé pendant plusieurs années pour la création d’une telle instance, jugée indispensable à la cohésion et au renforcement de la filière.
La gestion de la crise sanitaire par le CNM, seulement deux mois après sa création, et alors que le secteur du spectacle vivant est resté à l’arrêt durant deux ans, n’a fait que renforcer cette conviction.
Dans un contexte difficile et tendu, le CNM a fait preuve d’une agilité incroyable, permettant d’accompagner et même de sauver tout un secteur qui subissait encore des restrictions au premier trimestre 2022.
Néanmoins, le CNM n’a pas vocation à être uniquement le pompier de la filière musicale. Bien au contraire, il a des missions précises qui lui ont été confiées par la loi, et il est désormais temps de lui donner les moyens de les remplir, dans un contexte nécessairement bouleversé, d’abord par la crise sanitaire. Sur ce point, il est important de ne pas confondre reprise et relance. Certes, le secteur se relève progressivement, mais il doit être encore accompagné dans sa prise de risques, car la reprise se fait sous tension.
Par ailleurs, des enjeux plus structurels touchent toute notre filière. En effet, nous ne nions pas les mutations profondes que connaît le monde de la musique : numérique, transition écologique, compétences nouvelles. Accompagnons-les ! Pour le secteur du spectacle vivant, par exemple, l’évolution du live dans notre société est au centre de nos réflexions.
Nous savons d’ores et déjà que nous allons devoir opérer notre propre transition. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si nous parlons parfois de 2023 comme de l’année zéro du CNM, celle qui lui permettra enfin de déployer toute sa puissance pour répondre à des transformations de fond.
Or chacun le sait, un tel objectif n’est atteignable que si des moyens sont mis en place. Ce constat n’est évidemment pas qu’une marotte du Prodiss même si, rappelons-le, nous avons toujours alerté les pouvoirs publics sur l’importance de prévoir un financement pérenne pour le CNM afin d’éviter le syndrome de la coquille vide.
C’est en effet aussi une réalité, rappelée à plusieurs reprises par Jean-Philippe Thiellay. Que les choses soient claires : le budget du CNM, en 2023, ne sera pas à la hauteur des enjeux et de son ambition initiale. Que faire ? Devons-nous sacrifier certaines actions, au risque de rogner sur la diversité musicale ou sur notre souveraineté culturelle française ? Ce serait un contresens !
Dès lors, face au constat partagé selon lequel le CNM a besoin de ressources supplémentaires pour assurer ses missions, nous avons réfléchi collectivement à la façon d’assurer un financement solide, mais surtout équilibré, car maison commune ne veut pas dire maison témoin. Après l’avoir construite, il est essentiel de la consolider, de la préserver mais, surtout, d’y inclure tous les acteurs pour qu’ils s’y sentent réellement chez eux. L’idée n’est certainement pas de créer une multitude d’annexes autour de cette maison.
Vous le savez tous, l’idée d’une taxe ou contribution streaming pour renforcer le financement du CNM n’a pas fait l’unanimité. Or je veux le redire très clairement : nous avons besoin de tout le monde pour développer ce projet culturel français. Ainsi, nous, acteurs du spectacle vivant, avons-nous besoin de la musique enregistrée et travaillons déjà avec elle au quotidien depuis de très longues années.
Néanmoins, aujourd’hui, l’asymétrie dans le financement du CNM pose un problème réel. En dehors de l’État le spectacle vivant est le seul financeur du CNM via la taxe sur la billetterie. Ce n’est plus tenable pour une instance qui regroupe tous les acteurs de la filière musicale dans son périmètre.
C’est dès lors une question d’équité. C’est pourquoi nous sommes plusieurs acteurs du spectacle vivant, comme du secteur phonographique, à défendre une contribution des plateformes en ligne de streaming musical. Cela permettrait ainsi à tous les secteurs de la filière éligibles aux actions du CNM de partager les charges de la maison commune.
Preuve que le défi est immense, Mme la Première ministre vient de confier au sénateur Julien Bargeton, que je salue, une mission parlementaire sur le financement de la filière musicale, avec un volet consacré au CNM. Les résultats de cette mission sont évidemment très attendus. Des amendements ont été déposés par vos collègues députés sur le sujet, mais l’examen avorté du projet de loi de finances ne permettra certainement pas d’avoir une discussion à bâtons rompus dans l’hémicycle. Nous verrons si le Sénat s’en empare de son côté.
Si l’État a été au rendez-vous dans la création du CNM, il doit désormais être au rendez-vous de son développement.
M. Laurent Lafon, président. – Merci pour cette présentation liminaire très claire, qui pose bien les termes des problématiques auxquelles la filière est confrontée et auxquelles nous sommes évidemment très attentifs.
La parole est à Julien Bargeton, rapporteur pour avis des crédits des industries culturelles de notre commission.
M. Julien Bargeton. – Tel Atlas, je sens peser sur mes épaules une légère pression – mais nous allons essayer de porter le ciel musical !
Il n’est pas anodin que la Première ministre ait choisi un sénateur pour mener la mission dont je suis chargé. Je sais pouvoir m’appuyer sur cette commission, ses travaux et l’expertise des uns et des autres, que j’auditionnerai.
Je voudrais également rendre hommage à Jean-Raymond Hugonet, sur qui je sais pouvoir compter. Pour autant, il faut séparer les choses. Il s’agit d’une mission ministérielle, et il ne faut donc pas mélanger les genres, même si l’apport du Sénat est déjà important.
Le sujet est celui de l’identification des besoins. Pourriez-vous détailler les grandes tendances du secteur, notamment concernant les esthétiques musicales : où en est-on de leur diversité ? Où en est-on, en France, de la part du local ? On entend souvent dire, malgré les quotas, que la musique locale est parfois moins écoutée chez nous que dans d’autres pays, comme le Japon ou la Corée.
Par ailleurs, peut-on revenir sur le sujet de la création française et en parallèle sur l’export ? Que faut-il faire pour renforcer la capacité d’exportation de la création musicale française ?
Que pouvez nous dire, de manière générale sur la filière ? Le directeur du CNM a évoqué la hausse des cachets sans en donner d’explications. Pouvez-vous détailler certaines des évolutions que vous avez évoquées ?
En second lieu, vous êtes tous fort élogieux quant à l’action du CNM – et je crois que nous pouvons l’être également. Chaque année, je rends hommage à vos équipes dans mes rapports, car elles ont accompli un travail exceptionnel dans un temps record, il faut le souligner. On critique parfois l’action publique, mais quand celle-ci est capable de s’adapter, il faut savoir le dire.
Le rôle du CNM est de rassembler la filière, d’être un lieu de ressources. Quelles sont les évolutions ? Comment pourrait-on renouveler ce rôle ? Faut-il revoir la gouvernance dans son ensemble ? Le CNM est l’interlocuteur principal, mais ce n’est pas l’interlocuteur unique.
Par ailleurs, il faudra bien sûr répondre à la question du financement, étant entendu que les outils doivent correspondre à la réalité de l’état des lieux et à celle des besoins. Toutefois, il existe d’autres outils, comme les crédits d’impôt. Quelles sont vos attentes en la matière ?
En parallèle du sujet relatif aux taxes existe aussi celui des recettes existantes et des dépenses. Un crédit d’impôt est en effet une dépense, fiscale certes, mais une dépense néanmoins. Quelles évolutions le crédit d’impôt pourrait-il connaître, notamment en vue de renforcer un certain nombre d’entreprises du secteur, petites ou moyennes ?
Il s’agit pour moi de préparer la rédaction du rapport budgétaire 2023, mais je sais que nous serons amenés à échanger à de multiples reprises dans les six mois à venir.
M. Laurent Lafon, président. – La parole est à Jean-Raymond Hugonet, qui a été le rapporteur de la proposition de loi sur la création du CNM.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je souhaiterais lire quatre lignes de la synthèse de ce rapport, qui louait la création du CNM, dont nous sommes tous très fiers : « Encore faudra-t-il que les réponses apportées à deux questions absentes de cette proposition de loi permettent aux acteurs de la filière musicale de trouver leur place et de vouloir effectivement se rassembler au sein de cette maison commune : la gouvernance de l’établissement, dont les modalités devraient être déterminées par voie réglementaire, comme son financement, dont la discussion est renvoyée au prochain projet de loi de finances, qui cristallise en effet les inquiétudes du secteur ». Ce n’est donc pas nouveau !
Depuis 44 ans que je pratique ce beau métier de musicien, j’ai l’impression de vivre le film Un jour sans fin. L’heure est grave ! Vous voudrez bien m’excuser de parler ici plus en tant que musicien que sénateur, mais il m’est impossible de faire autrement.
On sait que le secteur de la musique est depuis longtemps en profonde mutation. Je rappelle que c’est le secteur artistique qui, le premier, a connu la révolution numérique. Il l’a connu surtout dans ce qu’il y a de plus important dans la musique, mes chers collègues, et qu’on oublie trop souvent : les créateurs eux-mêmes ont eu à faire face à une révolution numérique et se sont parfaitement adaptés. Ils ont guidé nos vies depuis ce moment avec intelligence et en sachant rebondir à chaque fois, trouvant les moyens de nous faire vibrer.
Aujourd’hui, je suis à la fois très heureux et excessivement agacé. Je suis très heureux, parce que j’ai vraiment le sentiment qu’avec la création du CNM, on a franchi un pas très important en faveur de la musique, et donc de la vie. D’autres l’ont dit brillamment avant moi, notamment Victor Hugo : s’il n’y avait pas la musique, que seraient nos vies ?
En revanche, dès qu’il s’agit d’industrie, je m’agace véritablement : ce métier connaît des lignes de fracture énormes. Tout le monde s’embrasse sur scène – ici même peut-être, autour de la table –, mais entre la musique enregistrée et le spectacle vivant, ce n’est pas forcément l’amour fou, je peux vous le garantir, ayant la chance d’être depuis quelque temps sur scène le week-end.
Il y a un véritable gouffre entre le secteur subventionné et le secteur privé, les musiques savantes, les pratiques professionnelles et les amateurs. Une culture commune est nécessaire. Vous affirmez, monsieur le président – et merci encore une fois pour ce que vous faites avec vos équipes depuis la création du CNM – qu’il n’existe pas de problèmes de financement. C’est vrai pour la structure de base. C’est fondamental, mais le plus intéressant, c’est l’avenir, c’est ce dont on parle aujourd’hui et que l’on devrait avoir déjà abordé depuis un bon moment.
Pour mettre les musiciens autour de la table, c’est plus compliqué : quand le temps se couvre, chacun pense à sa chapelle. C’est un réflexe humain classique. Le CNM vient d’être créé, et c’est une excellente chose. Je défendrai ici aussi la Sacem, qui existe depuis bientôt deux siècles dans notre pays, et dont on peut être fier. Si je partage votre vision sur les objectifs transversaux, monsieur le président – je n’ai rien contre la transition écologique ni contre l’égalité femmes-hommes –, il n’en demeure pas moins qu’il existe des urgences. Elles ont été développées par David El Sayegh et sont très claires : ce sont les créateurs et l’export. J’aimerais que vous nous expliquiez si vous êtes d’accord et savoir comment vous allez faire pour y répondre.
Je voudrais également savoir pourquoi la réflexion n’a pu aboutir avant que des tiraillements n’arrivent sur la place publique, alors même qu’on a besoin d’union et qu’on est incapable de la réaliser. Je trouve cela contre-productif.
Enfin, comment percevez-vous la place des collectivités territoriales ? Elle est importante, et j’aimerais que vous puissiez approfondir cette question.
M. Laurent Lafon, président. – Merci. Je précise que le film Un jour sans fin, évoqué par Jean-Raymond Hugonet, se termine bien.
M. Jean-Philippe Thiellay. – La question de la diversité musicale est extrêmement importante par rapport à la part de la création musicale sur les plateformes de streaming et sur les autres moyens de diffusion de la musique.
De fait, le CNM a repris les missions auparavant assurées par le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), en lien avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Nous allons rendre d’ici quelques semaines l’observation publique portant sur la diversité à la radio, à la télévision et, pour la première fois, sur les plateformes de streaming. Je ne peux toutefois pas vous en donner encore les résultats, car nous sommes en cours d’analyse. C’est une question de semaines.
Il est clair que, notamment sur les plateformes de streaming, qui constituent le mode de développement de créations de valeur majoritaire, le véritable sujet est celui de la découvrabilité et de la visibilité des productions locales. J’ai dit l’autre jour que 70 000 titres nouveaux étaient mis chaque jour en ligne sur les plateformes de streaming. Le responsable de Deezer m’a corrigé en disant qu’on en était à présent à 100 000 titres nouveaux par jour !
Comment émerger dans cet océan ? Quelle responsabilité pour les algorithmes et pour les plateformes ? Quel rôle dans la diversité ?
Je laisserai mes collègues en dire davantage concernant les écoutes nationales, mais il existe une belle visibilité pour la production locale, mais ultra-concentrée sur quelques genres, comme le hip-hop et le rap. Sur le top 10 000, le hip-hop et le rap représentent un quart des écoutes, la majorité étant représentée par la variété internationale, notamment anglo-saxonne, et ce qu’on appelle le back catalog, c’est-à-dire les titres d’un certain âge. Il ne faut donc pas se concentrer sur le top 100 ou sur le top 200.
En second lieu, renforcer l’export me paraît assez simple. Nous disposons d’artistes fantastiques, de professionnels qui connaissent leur métier. Il faut donc s’appuyer sur ce que le Bureau Export, créée par les professionnels et soutenu par l’État, avait fait, traduire des paroles, des livrets de disque, du matériel de promotion, des supports digitaux afin d’être présent sur les réseaux sociaux. Cela fait partie des dépenses éligibles à la fois dans les crédits d’impôt et dans les aides du CNM. Cinq mille concerts ont été réalisés en 2019 par des équipes françaises. On doit pouvoir atteindre les 10 000 à 15 000 avec la musique électro, où il n’y a pas de problème de langue, mais aussi avec la chanson, les musiques d’aujourd’hui, le classique. Si on n’a pas les moyens de leur apporter notre soutien, on passera à côté d’un formidable outil de rayonnement et de développement.
S’agissant de la hausse des cachets, je ne suis pas sûr d’être le mieux placé pour en parler. On nous dit que, du côté des musiques actuelles, cette hausse est de l’ordre de 25 % pour les artistes internationaux qui ont exercé une forme de pression, puis pour les artistes nationaux qui ont suivi, avec des motivations certes humaines, mais qui posent problème en termes de soutenabilité. Je note que dans le classique, la tendance est plutôt à la baisse.
Quant à la gouvernance du CNM, je crois qu’elle fonctionne sous une forme assez originale, avec des dizaines de groupes de travail, un conseil professionnel de 40 membres – on pourrait presque être un peu plus nombreux – pour représenter la facture instrumentale ou tel ou tel secteur qui, indéniablement, fait partie de la chaîne de production de valeur, mais qui n’est peut-être pas assez représenté. C’est dans le décret et non dans la loi, mais c’est en tout cas une question de gouvernance. Pour moi, avec un conseil d’administration de 25 membres, la gouvernance du CNM fonctionne de façon assez agile, quoique complexe.
Le lien avec le classique n’est toutefois pas clarifié. Cela fait partie des ambiguïtés que la loi n’avait pas réglées. La question est posée au ministère de la culture, qui n’est pas représenté aujourd’hui. Le sujet de la taxe, que ne paye pas le classique, mériterait d’être creusé. Les acteurs du classique avaient interrogé le ministère qui n’a, à ma connaissance, pas répondu. C’est une question qui n’est pas évidente, qui comporte des enjeux symboliques plus que financiers, ainsi que des enjeux juridiques.
Pour le CNM, monsieur le sénateur, je ne sais pas si c’est Un jour sans fin, mais c’est en tout cas Un long dimanche de fiançailles, qui a débuté il y a 40 ans. Le film se termine bien également.
Enfin, je suis d’accord avec le sénateur Hugonet : il n’y a pas de musique sans compositeur, quel que soit le nom qu’on donne à ce créateur. Je pense cependant qu’un outil de politique publique ne peut aujourd’hui négliger les questions de diversité, qui sont essentielles. On vit dans un monde concurrentiel, où quelques acteurs qui relèvent plus de l’épicerie universelle que de la création musicale pourraient décider de rayer d’un trait de plume le paysage musical français, je le dis comme je le pense. La musique deviendrait un alibi pour vendre des barils de lessive, alors que la musique n’est pas un produit comme un autre, c’est ma conviction. Un établissement public comme le nôtre ne peut pas dire que la transition écologique est secondaire alors qu’on a connu, cet été, des annulations pures et simples. Ce sont ces aides que nous essayons de calibrer.
Pourquoi existe-t-il des tiraillements ? Les questions que le sénateur Bargeton doit clarifier dans les six prochains mois, de mon point de vue, n’ont pas été creusées par l’administration de l’État, qu’il s’agisse du ministère de la culture ou du ministère des finances. Sentant l’arrivée d’amendements parlementaires à l’Assemblée nationale, certains ont dégainé. C’est humain. Je l’ai regretté, ce n’est pas la peine d’y revenir. On est passé à une autre phase, mais ce n’est pas souhaitable dans la gouvernance du CNM. J’ai dit que tout ce qui affaiblissait le CNM affaiblit en réalité la filière.
S’agissant de la place des collectivités territoriales, nous avons une action très déterminée pour signer des conventions et des contrats avec les régions et les métropoles. Nous avons une toute petite équipe pour cela. C’est un peu soumis à la bonne volonté des élus que je rencontre. Cela a fonctionné pour Clermont-Ferrand, c’est en train de fonctionner avec Montpellier ou Le Havre. J’ai signé avec la région Centre. Cela fonctionne bien, et c’est un levier fondamental.
Pour terminer, je pense qu’il faut sérier les sujets : si on repart sur les questions de légitimité, je pense que l’on va perdre du temps. En clair, j’ai entendu Alexandre Lasch dire qu’on ne remettait pas en cause l’idée d’une contribution des entreprises à la diversité : tant mieux ! Il faut que l’aval finance l’amont et, techniquement, aller voir comment cela se passe, sans tuer ou affaiblir certaines entreprises, y compris dans le streaming, dont on a besoin pour créer de la valeur. Le CNM ne souhaite pas affaiblir qui que ce soit dans la musique européenne.
Existe-t-il des moyens juridiques pour cibler tel ou tel secteur plutôt qu’un autre ou tel segment plutôt qu’un autre, sans créer de rupture d’égalité ? Comment déterminer l’assiette de taxation sur le gratuit ? Il faut considérer le payant, qui est un mode vertueux, sans négliger le gratuit, qui est moins vertueux. Comment faire ? Il existe un précédent, comme la taxe YouTube du CNC, probablement avec des faiblesses juridiques que je ne connais pas.
Il ne suffit pas, selon moi, d’abaisser un abattement pour créer ipso facto une source de financement pour le CNM, mais ce sont des questions de législation fiscale. La qualité de membre de la Cour des comptes du sénateur Bargeton augure bien de la conclusion de ce travail. C’est un travail technique qu’il faut réaliser, et le CNM est à votre disposition pour cela.
Enfin, on parle de 20 millions d’euros pour une filière qui pèse 10 milliards d’euros. Trois cent mille personnes en tirent des revenus. Vingt millions, c’est l’épaisseur du trait. Si on le fait en 2023, on aura vraiment donné sa pleine ampleur à la loi que vous avez votée il y a trois ans.
M. Alexandre Lasch. – Quelques compléments en réponse à M. le sénateur Bargeton sur la place de la création française dans la consommation. Nous observons ces éléments avec intérêt. Cela donne une indication par rapport au classement des meilleures ventes. Depuis l’avènement des plateformes de streaming, dix-sept à dix-neuf des vingt meilleures ventes de l’année concernent des artistes français, produits en France et chantant en français. Sur un top 50 000, qui représente l’essentiel de la consommation, 80 % du streaming est porté par des titres de moins de dix ans – donc des titres récents qui font l’actualité musicale –, dont 62 % sont produits en France. C’est là un vrai motif de fierté pour la création française de musique par rapport à d’autres industries culturelles, qui démontre l’extrême dynamique de la création locale. Lorsque le public a le choix, il se tourne en priorité vers la chanson française.
Pour répondre à M. le sénateur Hugonet à propos de la rémunération des musiciens, je tiens à signaler qu’après une dizaine d’années de débats dans la filière, nous avons conclu avec les partenaires sociaux et les organismes de gestion collective représentant les artistes un accord majeur, en mai dernier, portant sur la garantie de rémunération minimale. C’était une commande du législateur qui remonte à 2016. Je ne reviens pas sur les débats compliqués qui se sont ensuivis, mais nous sommes parvenus à un terrain d’entente, qui marque le début d’une relation apaisée avec les musiciens sur la question de leur rémunération, dans le cadre des exploitations en streaming. Ce sont là des éléments positifs à cet égard.
M. David El Sayegh. – S’agissant de la part du local, je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit Alexandre Lasch : localement, la chanson française ou la production locale fonctionnent plutôt bien, mais l’enjeu n’est pas tellement local. Les quotas remplissent leur rôle, monsieur le sénateur. Je me souviens que le sénateur qui, en 2016, était en charge de la loi sur les quotas nous avait expliqué qu’on avait créé une usine à gaz. L’usine à gaz a permis d’augmenter de 15 % le nombre d’artistes francophones exposés en cinq ans !
L’enjeu, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, n’est pas tellement local, mais se situe ailleurs. Il y a là encore énormément de progrès à faire. La balance commerciale de la Sacem est déficitaire. On envoie environ 120 millions d’euros à l’étranger vers les sociétés représentées par des sociétés sœurs, notamment américaines et anglaises, et on reçoit 80 millions de l’étranger. C’est cela qu’il faut combler. C’est aujourd’hui tout l’enjeu.
Un autre chiffre permet de toucher du doigt la problématique de l’export, qui représente 9 % des revenus de la Sacem. Pour notre homologue britannique, c’est 30 %, et 25 % des revenus de notre homologue suédois. Nos homologues coréens sont quant à eux très contents car – qui l’eut cru ? – les artistes chantant en coréen peuvent remplir aujourd’hui plusieurs Stade de France. On en aurait tous ri il y a dix ans si on nous avait dit cela. Discutez avec les enfants de la musique qu’ils écoutent et des biens culturels qu’ils consomment : ce ne sont pas les États-Unis qui les font rêver, mais la Corée et le Japon. C’est toute cette culture qui a déferlé chez nous – et ils ont du talent !
Il faut donc saluer l’action qui a été menée par ces pays. Ce n’est pas par hasard si ces artistes rencontrent aujourd’hui le succès. Il existe l’équivalent d’un Bureau Export dans ces pays, qui ont investi et qui récoltent aujourd’hui les fruits de leurs investissements. On est capable, en français ou dans d’autres langues, de faire la même chose. On a des artistes qui s’exportent, même en français. La langue n’est pas une barrière. L’enjeu, pour nous, grâce au numérique, est de pouvoir faire rayonner nos artistes au-delà de nos frontières.
M. Guilhem Cottet. – J’aimerais ajouter un point à propos de la production locale et de la diversité. Les deux doivent en fait être liées. On parle de production locale en l’opposant à la production internationale. Les chiffres sont assez divergents selon les sources. Je me souviens d’une étude du CNM, sortie l’année dernière, sur le user centric, qui faisait état, sur Spotify, d’une part de marché à l’international de 60 %.
Tout ceci légitime le fait que le CNM doit s’emparer de l’observation impartiale de la filière et produire des études consensuelles. Pour cela, il faut effectivement un financement.
S’agissant de la diversité, on se réjouit tous que la musique française soit présente dans le top 20 ou le top 100 mais, ce qui nous importe, c’est la diversité des esthétiques. Parmi les esthétiques, il y en a qui font appel aux musiciens. On peut effectivement beaucoup capitaliser sur des esthétiques qui fonctionnent bien à l’export, du type musique urbaine ou électro. Ce sont des esthétiques aujourd’hui somme toute assez faciles à produire au niveau financier. Cela nécessite très peu de moyens. En revanche, toutes les esthétiques du type classique, jazz, rock ou chanson française sont très peu rémunérées par le streaming, dont le modèle favorise la concentration des écoutes autour de certains artistes ou de certaines esthétiques qui sont écoutés de manière très massive. C’est la part de marché d’une esthétique qui produit la rémunération et non l’écoute réelle de l’artiste.
Ce qui nous importe, s’agissant de ces esthétiques, qui coûtent beaucoup plus cher à produire, c’est de faire en sorte qu’elles puissent continuer à être produites. Un label qui n’est aujourd’hui pas suffisamment rémunéré en streaming et qui ne bénéficierait pas d’un soutien financier émanant du CNM, par exemple, ne serait pas en capacité de poursuivre cette activité.
La question de savoir si on est pro ou anti-rap ou autres ayant été posée, je vous le dis tout net : j’ai chez moi autant de labels de rap que de labels classiques. La question est de savoir si on est en mesure de créer un mécanisme redistributif qui va permettre à ces esthétiques moins favorisées sur le streaming de survivre. C’est une question largement partagée, les artistes-interprètes et les musiciens étant également concernés, tout comme les labels ou la diffusion. Nous devons tous faire en sorte que toutes les esthétiques, puissent continuer à être produites. Elles ne rapporteront pas toutes le même revenu mais, néanmoins notre diversité dépend de la capacité à percevoir un revenu qui sera ensuite réinjecté dans la production et permettra entre autres choses à nos productions classiques d’être produites à l’étranger.
M. Laurent Lafon, président. – La parole est aux commissaires.
Mme Sonia de La Provôté. – Beaucoup de réflexions ont été émises, notamment à propos de l’idée de maison commune, qui est certes commune, mais pas complètement, les questions d’équité territoriale et de choix d’accompagnement des collectivités territoriales créant finalement de la dysharmonie ou de la désunion dans certains territoires.
On a vu aussi, par échanges médiatiques interposés, que l’unité n’était pas toujours au rendez-vous quand on devait défendre son propre pré carré. Il reste donc encore quelques questions à régler.
Le modèle économique s’est monté à un moment où un certain nombre de sujets n’existaient pas. Or les défis sont énormes : ressources humaines, cachets, développement durable. Ce sont des coûts importants qui vont s’imposer à la filière, comme le décret son, pour ne parler que de celui-là, ou les questions assurantielles. Je pense aux festivals, avec les problématiques climatiques ou sanitaires, ainsi qu’à tous les problèmes de fonctionnement, de fluides, de matières premières, etc.
On voit bien que la question des surcoûts risque de fragiliser l’existence même du CNM s’il n’a pas les moyens de répondre et de sécuriser la présence et la diversité des acteurs dans les territoires. Ce sujet déborde le cadre du fonctionnement et les échanges que nous avons autour de la taxe streaming. On est là face à une structuration de l’accompagnement qui répond à tous les objectifs identifiés au départ dans le texte de loi sur la création du CNM.
Vous n’avez pas parlé du défi que constituent les jeux Olympiques de 2024. On entend dire que vont s’y ajouter des considérations budgétaires à propos du renchérissement des coûts de sécurité, etc., et de raréfaction d’un certain nombre de ressources humaines. On doit avoir des perspectives budgétaires pour 2023, mais le débat prend déjà en compte la question de 2024.
Par ailleurs, l’observation doit être impartiale. Dans le cas contraire, on arrive aux polémiques actuelles et on n’est pas en capacité de défendre à terme un véritable budget d’accompagnement et de structuration des aides pour 2023-2024 et pour la suite. Or la filière a besoin d’être accompagnée.
Enfin, ma dernière question porte sur l’éducation artistique et culturelle, qui faisait partie des missions du CNM. Je reconnais que cela n’a pas été simple depuis la création de celui-ci. Il n’empêche que le discours est plutôt taiseux sur le sujet. Pour le coup, l’éducation artistique et culturelle concerne aussi l’accès à la diversité musicale dans tous les territoires pour le public adulte de demain. C’est un sujet qui peut également conditionner la réussite du CNM.
M. Laurent Lafon, président. – Je tiens à préciser que Sonia de La Provôté est présidente du groupe d’études sur les festivals.
Mme Sylvie Robert. – Au préalable, je voudrais d’abord saluer l’action du CNM, que nous avons défendu et soutenu. Nous avons voulu transformer le CNV en CNM, et je crois que nous partageons la même ambition. La ministre a précisé que le CNM n’aurait pas de problèmes de financement. Peut-être conviendra-t-il de prévoir à ce sujet une solution transitoire pour 2023, plutôt qu’inscrire la réforme du CNM dans le PLF. C’est un peu différent.
L’important est de défendre l’intérêt général et la capacité de tous les acteurs de la filière à être solidaires, à pouvoir travailler sur la redistribution et sur la question du partage de l’investissement et de la valeur ajoutée, qui doit être au rendez-vous pour atteindre l’ambition du CNM.
Ce n’est pas anodin, et il faut en avoir conscience. Les polémiques sur le rap n’ont rien apporté. Cela n’aurait pas dû arriver dans le débat public, et cela ne sert pas la cause que nous défendons tous depuis le début au Sénat.
Je vous poserai quant à moi trois questions précises.
Tout d’abord, je trouve que la question de l’observation et de la remontée des données est absolument centrale. Comment se déroule le processus ? Existe-t-il des garde-fous ? Comment garantissez-vous à la fois la fiabilité, la sincérité et l’objectivité des données ? C’est un point méthodologique extrêmement politique.
Par ailleurs, êtes-vous tous d’accord, si taxe sur le streaming il y a, pour taxer les plateformes ? Certains pourront estimer que les abonnements risquent d’augmenter. Quand on voit le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad) et ce qui se passe dans l’audiovisuel aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas.
Enfin, il s’avère que je suis rapporteure pour avis sur le budget « Spectacle vivant ». Lors de nos auditions, une certaine tension est apparue autour de la question des festivals qui relèveraient du CNM et ceux qui relèveraient du Fonds festival. Comment remédier à cette tension, que l’on peut regretter ?
J’attends pour ma part une vision stratégique de la part de l’État afin qu’il puisse revenir sur des fondamentaux, mais la question de la diversité et de l’émergence constitue aussi un sujet stratégique. J’imagine que le rapport de Julien Bargeton va l’y aider. J’espère que, lorsque nous nous retrouverons, nous pourrons nous appuyer sur une vision un peu plus claire du Gouvernement sur la question.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Monsieur le président du CNM, vous avez récemment tiré la sonnette d’alarme au sujet du spectre des déserts musicaux. Après plus de deux ans de pandémie, nous nous attendions à ce que le retour des festivals rime avec une liberté pleinement retrouvée. Dans les Alpes Maritimes, par exemple, le département a offert 500 spectacles, notamment dans les communes rurales, pour soutenir la culture et divertir les habitants.
Vous avez souligné une baisse de fréquentation, avec des inquiétudes sur la saison des festivals 2023. Vous avez par ailleurs évoqué un observatoire de l’analyse. Comment expliquez-vous cette baisse de fréquentation, et quels sont vos leviers pour parvenir à une reprise de la fréquentation ?
Par ailleurs, le Market Centric Payment System (MCPS) consiste à répartir les revenus aux ayants droit en fonction de leurs parts de marché. Ce sont donc les artistes les plus écoutés qui seront les plus favorisés. Deezer suggère quant à lui de passer à un système plus équitable, selon lui, le User Centric Payment System (UCPS). Celui-ci rémunérerait uniquement les artistes écoutés par les abonnés des plateformes. Cela permettrait de rémunérer plus justement les artistes les moins écoutés, mais également de redonner des couleurs à la diversité musicale.
Que pensez-vous de cette proposition ? Va-t-elle selon vous produire les effets escomptés ?
M. Jérémy Bacchi. – Je ne reviendrai pas longuement sur la question de la taxe affectée, mais j’en dirai quand même un mot. Je partage pleinement l’idée de partir des besoins de la filière et d’adapter ensuite les moyens aux besoins. Si, comme vous le dites – et je ne suis pas loin de partager cet avis –, les besoins s’estiment à 50 millions d’euros, on a un trou dans la raquette de 20 à 25 millions d’euros. Nous défendons donc l’idée d’une taxe de 1,5 % sur l’ensemble des plateformes.
En second lieu, j’ai rencontré nombre de festivaliers, à la fin de l’été, qui ont été profondément touchés par le manque de personnel en capacité d’organiser les festivals par rapport à la période Covid et à des reconversions professionnelles. J’aurais aimé connaître votre sentiment sur ce secteur fragilisé. Quelles pourraient être les pistes de travail pour permettre le maintien des plus petits festivals ou des festivals de taille moyenne, qui ont les plus grandes difficultés à recruter, voire à se tenir ?
Enfin, la question de la diversité a été évoquée à plusieurs reprises. N’y a-t-il pas à ce sujet un travail pédagogique à réaliser en amont pour permettre à un certain nombre de musiques de pouvoir trouver leur public ? Lorsqu’un nouveau chanteur apparaît, il ne vient pas empiéter sur d’autres styles musicaux, il se surajoute aux autres. N’existe-t-il pas des pistes de réflexion en ce sens afin, dès le plus jeune âge, d’éveiller très largement à l’ensemble des styles musicaux ?
Mme Laure Darcos. – Avez-vous eu des retours concernant le rapport conjoint qui a été réalisé par l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et l’Inspection générale des finances (IGF) ? Vous avez tous été sollicités, moi aussi, ainsi que le président Lafon. Existe-t-il encore des choses à améliorer ou pensez-vous qu’on pourrait arriver à trouver un juste équilibre entre ce qui a été fait dans le cadre de la proposition de loi de Patrick Chaize sur les produits reconditionnés et vos rémunérations ?
Mme Catherine Morin-Desailly. – Trois années plus tard, j’avoue ma consternation de constater qu’on n’a toujours pas avancé sur le mode de financement du CNM. Jean-Raymond Hugonet, à l’époque rapporteur de la loi, l’a rappelé avec force et à juste titre. Je me revois encore dans l’hémicycle, avec les interventions des uns et des autres, affirmer notre soutien à la création du CNM, en pointant du doigt l’écueil que représentait l’absence d’un financement identifié. Je veux bien que la Covid ait perturbé un certain nombre de fonctionnements, mais tout de même ! Deux ministres plus tard, on n’a toujours pas de modèle sur lequel s’appuyer.
Je veux à mon tour saluer le travail du CNM pendant cette période de crise. Certes, vous avez été financé par le ministère dans le cadre du plan d’urgence, il faut le souligner, et vous n’avez pas manqué de fonds à redistribuer, mais enfin ! Vous avez fait votre travail et avez prouvé votre utilité dans la structuration de la filière.
Je me rappelle qu’à l’époque où s’est créée la taxe sur les plateformes, notamment la taxe YouTube pour le cinéma, nous avions alerté le Gouvernement sur le fait qu’il serait utile d’en affecter une à l’ensemble des industries culturelles, la musique compris. Nous avons eu à nouveau ces débats lors de la création du CNM. Il faudra poursuivre la réflexion sur la taxation des plateformes, cela me semble tout à fait légitime.
S’agissant du financement et de la gouvernance de la filière, qui renvoie au rôle du ministère, comment travaillez-vous avec la direction de la musique ? Vous avez souligné qu’un certain nombre de points n’ont toujours pas été clarifiés. Or on les avait mis sur la table lors des débats qui ont présidé à la création du CNM. On a eu aussi l’occasion de le redire à Franck Riester lors des débats budgétaires. Je l’ai moi-même fait savoir en tant que présidente de l’Association française des orchestres, il y a quinze jours, à notre ministre de la culture. Il serait fort utile de joindre nos efforts pour avancer sur la question des musiques de patrimoine et de création.
S’agissant de la taxe sur la billetterie d’entrée, je rappelle l’exception que prévoit la loi s’agissant des orchestres, dans la mesure où ils relèvent de subventions publiques à 80 %.
Le Parlement aura sûrement un rôle de clarification à jouer. Julien Bargeton, qui se lance dans cette mission, devra nous aider à avancer. Je rappelle que la mission sur l’art lyrique et la mission sur les orchestres sont au point mort. Les comités de pilotage devaient se poursuivre. Ils n’ont toujours pas repris leurs travaux, alors qu’ils avaient été installés par Roselyne Bachelot. Tout est lié dans cette histoire. Tout cela a besoin d’être clarifié, et il est nécessaire d’avoir un vrai plan pour la musique.
M. Pierre Ouzoulias. – En écoutant le débat sur la taxe affectée, j’ai eu l’impression de revivre celui sur la redevance, qui a été tranché par le Gouvernement, celui-ci ayant considéré que les fonds d’aide à l’audiovisuel public devaient être reversés dans le budget général. Je ne sais si c’est votre lettre de cadrage, cher Julien Bargeton mais, si c’est le cas, il faut travailler autrement.
Quant au débat sur la redevance, je regrette vivement, au même titre que le président de la commission, qu’on n’ait pas eu un débat de fond sur le mode de financement du service public de la culture : qui le finance et comment ? Est-ce le seul usager qui finance la culture ou est-ce l’État, sur l’impôt, avec une assiette la plus large possible, qui le finance ? C’est plutôt ma conception du service public. Dans ce cas, il faut trouver une solution pour que personne ne puisse échapper à l’impôt. Je pense bien évidemment aux plateformes et aux GAFAM, car il existe une distorsion de concurrence que vous n’allez pas régler par une taxe affectée. Il y a là un vrai problème de politique publique.
Par ailleurs, le parlementaire que je suis est fatigué d’avoir à discuter tous les ans, au moment du budget, d’une vingtaine ou d’une trentaine de taxes affectées pour la culture. Le ministère de la culture est celui qui a le plus grand nombre de taxes affectées, ce qui ne donne plus aucune visibilité politique au budget de la culture.
Il existe des programmes d’opérateurs, des financements d’opérateurs, mais où est le programme de la culture ? Où sont ses ambitions ? On nous renvoie à chaque opérateur : je pense que ce n’est pas une bonne solution.
M. Jacques Grosperrin. – Si le développement durable et l’environnement ne sont pas une priorité, le CNM doit favoriser en tout cas la contribution de la musique à cette protection. Quelles sont les modalités concrètes et le bilan de cette action ?
Par ailleurs, le Sénat étant la chambre des territoires, j’aimerais savoir quelles sont les forces et les faiblesses des relations avec les collectivités locales, les difficultés, connaître la modalité des échanges, notamment financiers. Quel appui le CNM tire-t-il de cette relation ? Quel appui pratique fournit-il aux collectivités locales ?
M. Laurent Lafon, président. – Pour faire écho à un certain nombre de remarques, et singulièrement celle de Pierre Ouzoulias sur l’impact d’une taxe, quelle qu’elle soit, qui de l’usager, du diffuseur ou de l’éditeur va la payer ? C’est un point important dans la réflexion qui va s’ouvrir dans les semaines et les mois à venir.
M. Jean-Philippe Thiellay. – S’agissant tout d’abord des questions de Mmes de La Provôté et Robert, l’étude de l’observation est un point extrêmement important, qui avait constitué une des explications de la création du CNM.
Concrètement, la direction des études et de la prospective est issue pour l’essentiel des forces du Bureau Export et du CNV. Elle comporte une dizaine de salariés. Nous nous concertons de manière assez systématique sur la méthode. On a besoin des données des professionnels. En matière de taxe sur la billetterie, c’est automatique et cela relève de la déclaration de la billetterie. On consolide donc les données que notre système d’information a permis de collecter.
En revanche, dès qu’on a une étude plus qualitative sur l’user centric, sur la manipulation des streams ou sur la diversité, on a besoin des professionnels. N’étant ni un service fiscal ni l’Insee, nous nous concertons sur la méthode plus ou moins facilement, et on essaye de maintenir cette confiance indispensable à la crédibilité de l’étude.
Concernant l’user centric, on s’est appuyé sur un prestataire externe, les choses étant extrêmement compliquées. C’est un cas de figure qui ne s’est pas reproduit, et l’étude sur la manipulation des streams se fait totalement en interne.
L’exemple est très intéressant. Mme Bachelot, en débat, à l’Assemblée nationale, je crois, nous avait confié cette mission sur la manipulation des streams. Nous avons mis un an et demi à nous mettre d’accord. J’ai failli, en tant que président du CNM, siffler la fin de la partie à plusieurs reprises. C’est vendredi dernier, tardivement, que nous avons finalement fini par recueillir les données, alors que je m’apprêtais à dresser un constat d’échec sur le fait qu’il n’existait pas de transparence.
Certains acteurs ont joué le jeu tout de suite, comme Qobuz, Deezer, Believe. En revanche, d’autres ont traîné les pieds, se sont renvoyé la balle, ont dressé des rideaux de fumée. Finalement, nous avons les données et nous allons pouvoir travailler, grâce aussi à l’aide du SNEP, que je salue.
C’est un enjeu fondamental : les organisations professionnelles, les syndicats ont un rôle d’observation qu’ils se sont construit parce que cela n’a pas intéressé grand monde au sein de la sphère publique pendant des décennies. C’est le Bureau Export qui se chargeait des certifications export. Nous avons repris cette tâche. Le SNEP qui organise les certifications relatives aux disques d’argent, etc., et il le fait très bien. Dès lors qu’il existe un établissement public qui détient cette mission d’observation, il faut qu’on travaille pour pouvoir donner les résultats en tant que maison commune de la musique, car il existe des dispositifs qui en découlent, comme l’accès à des crédits d’impôts ou à des aides publiques. Il est un peu gênant, sur le principe, que des aides publiques ou des crédits dépendent de certifications données par des organisations privées – sans remettre en cause la qualité de ce travail, qui s’est construit pas à pas.
S’agissant du MCPS et de l’UCPS, l’étude faite à la demande de Franck Riester est sortie en janvier 2021. Elle portait sur la question de ce qui se passerait demain si on passait en user centric. Cette étude montrait que cela provoquerait des mouvements d’esthétique marginalisés en termes d’écoute, sans changer les choses. Augmenter de 25 % la rémunération d’une esthétique très peu écoutée représente peu. C’était une photographie, mais le marché du streaming se développe, et une photographie est moins intéressante qu’un film.
Il faut continuer à étudier le sujet, tout en observant qu’il s’agit de relations contractuelles privées entre des plateformes, des fournisseurs de données et des labels. Je ne suis pas sûr de ce que peut faire l’établissement public, voire le législateur, en se mêlant de relations contractuelles de ce type. On en est là, et j’avoue que, depuis l’étude de janvier 2021, il n’y a pas eu de suite, si ce n’est la manipulation des streams, qui sortira d’ici le début du mois de décembre.
Quelques mots sur les festivals. Oui, il existe des vraies craintes pour tous les motifs que j’ai indiqués, en termes de diversité et d’offres. Vous m’avez interrogé sur la baisse de la fréquentation. Je pense que les facteurs sont multiples, à commencer par une offre très abondante en 2022 du fait des reports. Des festivals ont jugé qu’ils s’en sortiraient mieux économiquement s’ils allongeaient leurs propositions. Or ils ont plutôt eu tendance à aggraver la situation, sauf pour les plus gros, qui ont écrasé les autres.
On a assisté à une suroffre de payants, voire de gratuits. Des groupes que je ne vais pas citer ici on fait 30, 40, 50 dates, y compris dans des manifestations locales subventionnées par des communes, des départements ou des régions, faisant concurrence à des manifestations payantes. Je l’ai vécu dans le Sud.
Offre abondante, perte de lien avec le public : c’est la même chose avec le cinéma, le théâtre, alors même que les restaurants sont assez pleins. On a perdu l’habitude d’acheter des billets, peut-être pour des questions de prix. Les festivals engendrent des déplacements, des frais d’essence, etc.
Pour 2023, j’ai entendu le président du Prodiss dire, il y a quelques semaines, qu’un réexamen du modèle était nécessaire pour savoir quoi proposer, à quel public, pour quelle qualité, sûrement pour éviter de soumettre la même chose que le voisin, à 100 kilomètres de là. Cela pose aussi des problèmes de transition écologique : si vous devez faire 100 kilomètres pour voir l’artiste que vous aimez, le bilan carbone ne va pas être bon. On est donc là dans une certaine quadrature du cercle.
Quant aux festivals, à leurs liens avec les Drac et, au-delà, aux questions posées par Mme Morin-Desailly et M. Bacchi, on n’y est pas de mon point de vue, non seulement en matière de festivals mais aussi, plus largement, d’articulation entre l’opérateur et le ministère. Pendant longtemps, le ministère a été réservé sur la création d’un opérateur de la musique. Il y avait, d’un côté, la musique subventionnée, noble, à laquelle on s’intéressait et, de l’autre, les musiques actuelles, largement privées, auxquelles on ne prêtait pas attention.
La loi d’initiative parlementaire, avec l’accord du Gouvernement, a permis de créer le CNM, mais cela n’a pas réglé toutes ses ambiguïtés. Je pense qu’il faut aujourd’hui se poser les questions qu’on se serait posées en 2020. Le ministère de la culture, qui est notre direction de tutelle – et je le dis avec mon devoir de réserve – doit jouer dans certains domaines un rôle stratégique, déterminer les objectifs, la façon de les évaluer, de sanctionner leur non-respect, bref faire de la politique en faveur du secteur musical, plutôt que gérer la subvention ici ou là.
Pour ce qui est des festivals, j’ai la faiblesse de penser qu’en 2021, avec les fonds mis en place par le ministère, nous avons bien travaillé avec les Drac. Elles connaissent le terrain. Il n’y aura pas de délégation territoriale du CNM, ce n’est pas possible, et on doit travailler avec les directions régionales.
En 2021, nous avons géré les crédits de tous les festivals, y compris classiques. Pour que les Drac ne se sentent pas écartées, nous avons transformé nos méthodes de travail afin que la commission festivals examine tous les dossiers d’une région en même temps. La Drac était là. On a régionalisé nos ordres du jour. Certes, nous gérions les crédits, mais il est normal qu’un opérateur opère. Les Drac apportaient leur propre regard. En fin d’année dernière, les états généraux des festivals sont parvenus, pour des raisons que je n’ai pas tellement envie de qualifier, à un arbitrage différent en attribuant les festivals dans le champ de la taxe au CNM, et les festivals classiques aux Drac.
Toutefois, il n’existe pas de commission dans les Drac. Or nous nous concertons et votons les conditions en conseil d’administration. Elles sont publiées. Ce sont des commissions de professionnels qui examinent les dossiers et proposent les aides, que l’établissement délivre ensuite. Je crois que c’est une bonne manière de travailler. L’arbitrage qui a été rendu en décembre 2021 lors des états généraux des festivals – que j’applique naturellement – était un arbitrage administratif, mais non conforme à l’intérêt de la filière ni, peut-être, des Drac.
S’agissant des relations avec les collectivités territoriales, nous avons mis 3,5 millions d’euros en plus des autres interventions. Je fais le tour des régions, en présence des Drac, pour proposer de signer des contrats tous différents. À Clermont-Ferrand, on fait de la musique, de l’image et de la formation professionnelle. Dans la région Centre, c’est autre chose, etc. Il n’y a donc pas de guichet unique, mais un effet de levier. Étant donné l’état des finances locales qu’on annonce, je ne sais quel sera le succès de cette démarche, mais cela permet vraiment de faire plus avec les acteurs locaux, sans créer de machine administrative, puisque c’est en général le CNM et la petite équipe de quatre collaborateurs qui gèrent ces crédits. C’est assez simple et léger. Nous sommes à la disposition des élus pour développer cette action, qui me semble aller dans le sens des acteurs de la musique et être adaptée aux réalités de chaque région.
S’agissant du prix de l’abonnement, je pense que les plateformes n’ont pas encore trouvé le modèle économique. Avoir accès à 100 000 titres supplémentaires tous les jours pour 9,90 euros ne représente pas le juste prix. Le problème vient du fait qu’il existe des abonnements en streaming vidéo, de presse digitale, etc. C’est sûrement une question d’élasticité, mais je pense qu’une taxe sur un chiffre d’affaires national de 1,5 % ne peut pas être l’argument pour augmenter les prix. Il existe bel et bien une question de prix, mais elle n’est de mon point de vue pas liée au projet de taxe.
M. Olivier Darbois. – Lorsque nous parlons de la taxe streaming, nous parlons de quelques centimes sur des abonnements d’une dizaine d’euros. Ne vous y trompez pas : l’augmentation de ces abonnements est déjà sur le bureau des boards des grandes plateformes, taxe ou non. Vous allez voir les abonnements augmenter dans les mois qui viennent. Nous proposons une assiette large, avec une taxe très minime.
Quant aux festivals, le bilan est compliqué. Tous les artistes qui n’ont pu tourner en 2020-2021 se sont reportés sur 2022, voire sur 2023, créant un embouteillage jamais vu et une offre énorme. L’euphorie de la sortie de crise a certainement produit chez les organisateurs une envie de rattraper un peu le temps perdu, d’augmenter le nombre de journées de festivals, d’en créer d’autres.
Les études ont montré qu’il existait 17 % de nouvelles créations, journées comme festivals. Personnellement, je trouve que c’était un peu prématuré. On n’envoie pas un sportif en convalescence en finale d’une coupe du monde. Il fallait certainement y aller progressivement. Bien entendu, cela a créé de l’inflation, avec des prestataires qui n’étaient pas tous au rendez-vous étant donné l’abondance de demandes.
Vous l’avez par ailleurs souligné, énormément de personnels ont quitté nos métiers. Pourquoi ? Au bout de deux ans de crise, sans horizon, une grande partie des cadres et des techniciens spécialisés ont tout simplement quitté nos métiers. Il va falloir travailler avec le CNM et aller dans les écoles pour faire renaître cette envie. Les modèles économiques du spectacle vivant sont extrêmement fragiles et compliqués. Il faut énormément de passion pour faire ces métiers. Je pense que, grâce au CNM, nous parviendrons à donner aux jeunes l’envie de rentrer dans nos métiers, même si nous ne récupérons pas les cadres d’un certain âge, qui sont partis définitivement selon nous.
S’agissant du baromètre et des études, une des vertus de la taxe fiscale sur la billetterie est de servir d’outil d’observation. Il est plus simple de partir de l’existant. L’obligation pour chacun d’assumer cette taxe conduira à un outil extrêmement performant. Dans le passé, les outils qui ont été mis en place par le ministère de la culture ont souvent été très compliqués à déchiffrer et manquaient de rationalité. Nous devons tout déclarer à tout le monde. Il conviendrait donc d’avoir un établissement centralisateur. Le CNM se propose de jouer ce rôle. C’est dans sa mission. Nous sommes totalement favorables à des études d’observation menées par le CNM, qui est indépendant.
Concernant les aides, le CNM est très efficace face aux Drac, qui le sont peut-être un peu moins. On leur demande beaucoup, mais elles doivent aussi faire des choix qui ne sont pas forcément motivés par des critères, là où ceux-ci existent au CNM, même s’ils sont certainement perfectibles.
On a posé la question de 2024. Nous avons subi le Bataclan, les grèves, les gilets jaunes, puis la crise du Covid et l’inflation. En 2024, nous allons avoir les jeux Olympiques. Nous ne pourrons accéder aux grands équipements, et les grands concerts et les grands festivals ne pourront se déployer de juin à septembre. Quand j’ai commencé ce métier, il existait deux stades par saison. Très souvent, c’était pour Johnny Hallyday. Aujourd’hui, on a une dizaine de Stade de France par saison. Toutes les séances sont complètes à 98 %. Les stades des territoires suivent également.
Les festivals subiront le même sort. Pourquoi ? Les événements sportifs vont bien entendu préempter les capacités de production, les prestataires techniques, les forces de police nationale, ainsi que les services de sécurité privés. De juin à septembre, nous n’aurons donc pas la capacité de nous déployer. Notez-le, parce que cela va affecter le rendement de la taxe fiscale de façon drastique.
M. David El Sayegh. – Le CNM a beaucoup fait en matière d’observations, mais il dépend des informations que lui fournissent les plateformes. Je vais être très clair : si on ne force pas d’une certaine manière les plateformes à renseigner et à communiquer ces informations, nous dépendrons toujours du bon vouloir desdites plateformes.
Si le CNM a rencontré des difficultés pour mener son étude sur les faux streams et la manipulation des streams, c’est parce qu’il n’avait pas d’informations précises. Demain, si on veut vraiment un observatoire de la diversité sur les plateformes, il va falloir que celles-ci renseignent très précisément ces éléments, comme le font les médias traditionnels.
On parle de fond de catalogue. Un titre qui rejoint le fond de catalogue a plus d’un an. Peut-on raisonnablement comparer un titre des Beatles, sorti dans les années 1960, avec un titre qui est sorti il y a un an et demi, alors qu’ils sont rangés dans la même catégorie aujourd’hui ? C’est ce degré d’analyse dont nous disposons. On a donc absolument besoin que ces informations soient renseignées. C’est mieux si cela est fait spontanément, mais s’il est nécessaire de réguler pour que les plateformes renseignent ces informations, il convient de le faire. C’est essentiel.
Pour répondre sur la taxe streaming, il existe deux paramètres à prendre en considération. En premier lieu, toutes les plateformes n’évoluent pas dans le même secteur. Certaines ne dépendent et ne vivent que de la musique. D’autres entités constituent un produit d’appel, dans de grands groupes qui font bien autre chose que de la musique.
On dit que les prix des abonnements vont augmenter. Je ne partage pas cet avis. J’observe que le revenu moyen de l’utilisateur du streaming musical a baissé depuis cinq ans. Il était à 7 euros, il est à peine à 5 euros aujourd’hui. Pourquoi ? Tout d’abord, il y a eu une stagnation du prix facial mais, surtout, on a assisté à un développement d’offres alternatives – offre étudiante, offre famille, bundle, six mois gratuits – que, bien évidemment, ces plateformes répercutent sur les titulaires de droits. Le streaming est compliqué. Ce n’est pas simplement un prix que l’on montre. Il existe beaucoup de formulations et beaucoup d’offres. Il faut être très vigilant, mais je ne pense pas que cela entraînera une augmentation du prix. Je partage l’analyse de Jean-Philippe Thiellay sur ce point.
Market centric ou user centric, c’est la même chose : Deezer nous a vanté les vertus d’user centric. Pourquoi pas ? Toutefois, il faut pouvoir vérifier si cela crée vraiment plus de diversité. Il est vrai qu’on a aujourd’hui une loi de Pareto exacerbée en matière de streaming. Aujourd’hui, d’après une étude réalisée par l’autorité britannique de la concurrence, 1 % des titres font 80 % des streams. En 2020, plus de 50 millions de titres étaient disponibles sur les plateformes. À peine 4 millions ont été « streamés » au moins une fois, 1 %, soit environ 40 000, représentant une volumétrie de 80 % des streams. Cela fait quand même 40 000 titres, mais c’est une vraie question.
Pour y répondre, il faudrait suivre les choses pendant un an, voire deux ans, et réaliser un comparatif. On ne peut le faire par échantillonnage, parce que cela se mesure au titre, mais aussi au catalogue. Très sincèrement, on a besoin de données robustes de la part des plateformes. On ne peut se contenter de ce qu’a fait Deezer en appliquant un coefficient pour augmenter la valeur ou l’abaisser. Ce n’est absolument pas la méthode à suivre.
S’agissant de la baisse des fréquentations, la Sacem constate un nombre important de séances occasionnelles, menées par des petites structures, qui baissent de manière drastique et qui contribuent à la collecte de droits d’auteur de manière significative. C’est donc un sujet de préoccupation.
Enfin, une question a été posée sur la copie privée. Nous attendons aussi le résultat de l’étude. Lorsque j’ai été auditionné, on m’a expliqué qu’il s’agissait d’un dispositif obsolète. Le lendemain, la Cour de justice de l’Union européenne rendait un arrêt qui appliquait la copie privée au Cloud Computing. Je n’ai pas aujourd’hui le sentiment, compte tenu des évolutions dans ce secteur, que ce soit un dispositif obsolète. La Cour de justice dit dans son arrêt qu’« il est du devoir du législateur de préserver une neutralité technologique et de s’adapter en fonction des nouvelles technologies ». Aujourd’hui, il existe une plasticité de la copie privée qui permet d’appréhender les nouveaux usages.
M. Alexandre Lasch. – Mme Robert a demandé si nous souhaitions mettre les plateformes à contribution. Il faut constater que les plateformes ne sont pas un ensemble homogène. On a la chance d’avoir, dans le marché de la musique enregistrée, des plateformes européennes leaders en France. Je parle évidemment de Spotify et de Deezer. On a aussi la chance d’avoir un écosystème très riche de start-up, de plateformes européennes et françaises, qui font vivre la musique et les créateurs. Souhaite-t-on mettre ces acteurs européens davantage à contribution, alors qu’ils reversent déjà 70 % de leurs revenus aux ayants droit, quel que soit le niveau de cette contribution ? Ma réponse est claire : non, car il existe des plateformes – elles ont été citées – qui ne jouent toujours pas le jeu de la rémunération de la création, en particulier musicale, malgré la directive sur les droits d’auteur et sa transposition en droit français. Ce sont en particulier les plateformes de partage vidéo, Facebook, TikTok et les autres.
Mme Morin-Desailly a rappelé que , lors de la création de la taxe sur les services vidéo gratuits, la question se posait déjà de savoir si cette taxe devait ou non profiter à la musique, en parallèle de son apport au CNC. À l’époque, le CNM n’existait pas. Cela n’a donc pu être prévu. C’est le sens de la proposition du SNEP pour que ces plateformes qui, encore une fois, ne rémunèrent pas suffisamment la création musicale, participent et apportent leur juste écot au CNM.
M. Guilhem Cottet. – User Centric mériterait presque une autre table ronde. Je vous encourage donc à relancer ce sujet. Nous serons ravis d’y contribuer.
S’agissant de la taxe streaming, j’aimerais répéter ce qui vient d’être dit : toutes les plateformes doivent être concernées, autant YouTube que Spotify. Pourquoi ? Prenez la taxe sur la vidéo : tout le monde la paye, de YouTube à Netflix. Si nous décidions de ne taxer que certaines plateformes, elles seraient fondées à invoquer une rupture d’égalité devant l’impôt. Cela nous semble juridiquement risqué. Nous avons bien évidemment toute confiance dans les pouvoirs publics pour expertiser ce sujet et attribuer des mérites et des défaillances aux différentes propositions.
Concernant le scénario de répercussion, notre approche est simple. On a entendu tout et son contraire. On a dit que cela allait être potentiellement répercuté sur les ayants droit, sur les revenus pris en charge par les plateformes – on a un léger doute sur ce point –, ou sur les abonnements. Quel que soit le scénario, personne n’est aujourd’hui en capacité de déterminer le modèle de répercussions. Une chose est sûre : si nous en sommes arrivés à proposer un taux extrêmement bas, c’est pour que cet impact soit indolore, quel que soit le scénario de répercussions, qu’il soit à 100 % ou partiel.
Imaginons, dans le pire des cas, une augmentation de 1,5 % de l’abonnement sur un abonnement à 10 euros. Cela va-t-il vraiment perturber l’équilibre économique des plateformes ? J’exprime ici mes doutes les plus sérieux.
S’agissant de la question des résiliations, argument qu’on a souvent entendu, notamment dans cette période où le coût de la vie augmente et où certains sont amenés à faire des choix, nous n’avons pas constaté de mouvements sur les marchés. On l’a vu un peu au Royaume-Uni, mais la différence tient surtout à la taille entre l’audiovisuel et la musique. Dans l’audiovisuel, en France, si vous voulez avoir accès à l’intégralité du catalogue disponible, vous devez cumuler les abonnements. On est là en effet dans une logique d’exclusivité alors que, pour la musique, un seul abonnement est nécessaire pour avoir accès à l’intégralité du catalogue, à deux ou trois exceptions près.
Imaginons que, dans le pire des cas, le consommateur assume cette répercussion : elle sera minime de notre point de vue, et ne conduira pas à abandonner l’abonnement que l’utilisateur ou la famille a pu souscrire.
M. Laurent Lafon, président. – Merci pour vos interventions et les réponses que vous avez apportées à nos questions. Nous suivons avec attention la question de la musique depuis de nombreuses années. Nous avions été actifs au moment du texte de loi, et nous continuerons à l’être.
Nous travaillerons évidemment avec notre rapporteur, qui deviendra dans quelques jours parlementaire en mission sur ce sujet. Cela n’empêchera pas que la commission avance, la question législative devant se poser à un moment ou un autre. Le vote des parlementaires interviendra alors. C’est dans cet esprit que nous avons voulu essayer de poser les termes du débat, de manière sereine et sérieuse.
Merci à chacun pour sa contribution. Le dialogue se poursuit.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La séance est close à 11 heures 50.
Projet de loi de finances pour 2023 – Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
M. Laurent Lafon, président. – Nous sommes heureux de vous accueillir, Madame la ministre, pour cette audition consacrée aux crédits de votre ministère dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
Ils progressent de 1,1 milliard d’euros par rapport à 2022. Cette augmentation est fléchée sur trois principaux objectifs : la poursuite du déploiement de la loi de programmation de la recherche (LPR), qui entre dans sa troisième année de mise en œuvre ; le renforcement des moyens attribués aux établissements du supérieur, notamment pour compenser la hausse du point d’indice des fonctionnaires ; le financement de mesures en faveur de la réussite des étudiants et de l’amélioration de leurs conditions de vie.
Cette hausse du budget, dont on ne peut que se réjouir, ne doit pas masquer les vives inquiétudes qu’expriment les opérateurs de l’enseignement supérieur et de la recherche au sujet de la forte inflation qui frappe notre économie. Ils estiment que l’envolée des prix de l’énergie entraînerait 100 millions d’euros de dépenses supplémentaires cette année et un doublement voire un triplement ou un quadruplement l’an prochain. Or le PLF 2023 ne prévoit, à ce stade, aucune compensation. Face à cette situation d’exception, les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche se disent prêts à prendre leur part de l’effort national, mais ils insistent sur leur marge de manœuvre relative. L’accueil des étudiants et la continuité des activités de recherche ne sauraient être des variables d’ajustement. Nous sommes donc très soucieux de savoir comment vous abordez ce dossier et comptez y répondre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. – Je vous présenterai mon budget dans ses grandes lignes, pour laisser du temps au débat.
Les crédits de mon ministère progressent de 1,08 milliard d’euros par rapport à 2022, hors financements issus du Programme d’investissement d’avenir (PIA) et de France 2030. L’augmentation est continue depuis 2017, atteignant au total 3,6 milliards d’euros sur la période : cette hausse est d’autant plus notable qu’elle s’inscrit dans un contexte économique compliqué, et alors que le Gouvernement engage des dépenses massives pour préserver le pouvoir d’achat des Français.
Le budget de mon ministère pour 2023 s’élève à 25,7 milliards d’euros, dont 14,8 milliards d’euros pour le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » ; 7,8 milliards d’euros pour le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » ; et 3,1 milliards d’euros pour le programme 231 « Vie étudiante ».
L’augmentation des crédits du ministère poursuit, comme vous l’avez dit, trois objectifs principaux. D’abord, une compensation pérenne de la revalorisation du point d’indice aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, aux organismes de recherche à caractère scientifique et technologique ainsi qu’au réseau des œuvres universitaires et scolaire : 500 millions d’euros supplémentaires sont prévus à cet effet, c’était pour moi une « ligne rouge » absolue. Ensuite, conformément à l’engagement que j’avais pris devant vous avant l’été, la poursuite de la trajectoire de la LPR : 400 millions d’euros supplémentaires y seront consacrés. Enfin, une enveloppe d’environ 200 millions d’euros de mesures nouvelles en faveur de la vie étudiante ou de reconduction, pour la rentrée universitaire 2022-2023, de certaines mesures exceptionnelles mises en œuvre depuis la crise sanitaire.
Les trajectoires en crédits et en emplois prévus par la LPR seront pleinement respectées l’an prochain, grâce aux 400 millions d’euros supplémentaires, dont 350 millions pour les programmes du ministère, répartis comme suit : une hausse de 143 millions d’euros pour les universités et établissements d’enseignement supérieur du programme 150 et une hausse de 206 millions d’euros pour les organismes nationaux et les infrastructures de recherche du programme 172.
Ces moyens iront d’abord à des mesures « ressources humaines » : 114 millions d’euros supplémentaires pour améliorer la rémunération et les carrières de l’ensemble des personnels, fonctionnaires ou contractuels, sous statut de droit public ou privé, travaillant dans des organismes de recherche ou des universités. Ces mesures s’ajouteront à l’augmentation du point d’indice ; cette dernière n’est pas « noyée » dans les revalorisations salariales prévues, mais bien additionnelle.
S’ajoute à cette enveloppe de mesures « RH » la hausse d’environ 40 millions d’euros pour le recrutement de doctorants supplémentaires et la revalorisation de leur rémunération. Des doctorants plus nombreux et mieux rémunérés : c’est l’objectif de la LPR que nous mettons en œuvre.
M. Pierre Ouzoulias. – Très bonne mesure !
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. – Ces revalorisations s’appliquent non pas seulement aux nouveaux contrats, comme c’était jusqu’à présent le cas, mais également aux contrats en cours, car la situation actuelle pouvait créer un sentiment d’inégalité. La rémunération minimale sera ainsi portée, au 1er janvier 2023, à 2 044 euros bruts pour tous les doctorants, soit 3,5 % de plus de ce qui était prévu dans la LPR afin de tenir compte, pour eux aussi, de l’augmentation du point d’indice. Un arrêté interministériel viendra prochainement mettre en œuvre cet ajustement.
Les autorisations d’engagement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) augmentent de 400 millions d’euros par rapport au point de référence qui est 2020. La LPR ne prévoyait pas de montée en charge pour 2023. Les effets de cette augmentation sont déjà visibles, avec le relèvement du taux de sélection des appels à projets à 23 %. En crédits de paiement, la montée en charge des projets sélectionnés se traduit logiquement par une hausse d’environ 44 millions d’euros.
Les budgets des organismes de recherche et des universités gagnent 91 millions d’euros, pour garantir la soutenabilité de leurs recrutements et augmenter les dotations de base des laboratoires.
D’autres augmentations, pour un montant total de 81 millions d’euros supplémentaires, permettront d’améliorer les grands équipements scientifiques et de renforcer le lien sciences-société, en amplifiant la diffusion de la culture scientifique et les transferts des résultats de la recherche vers le monde des entreprises.
Enfin, les 650 créations de postes prévues par la LPR viendront soutenir l’attractivité de la recherche avec 179 nouvelles chaires de professeur junior (CPJ) – 120 pour les universités et 59 pour les ONR –, et 377 doctorants supplémentaires – 268 pour les universités et 109 pour les ONR –, ainsi que 94 postes dans les organismes.
Une nouvelle augmentation de près de 700 millions d’euros des moyens de l’enseignement supérieur permettra, c’est le deuxième point de mon propos, d’améliorer la réussite étudiante et de renforcer une visibilité pluriannuelle des universités sur leurs moyens.
Un premier bloc de mesures, d’un montant de 143 millions d’euros, iront aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche au titre de la LPR, je viens d’en parler.
Le deuxième bloc, ce sont les 364 millions d’euros prévus pour la compensation de la revalorisation du point d’indice pour les établissements ayant accédé aux responsabilités et compétences dites « élargies », à quoi l’on peut ajouter 9 millions d’euros de crédits supplémentaires en titre 2 notamment pour les établissements n’ayant pas accédé à ces compétences élargies ;
Enfin, un troisième bloc, d’environ 160 millions d’euros de mesures nouvelles en faveur de l’enseignement supérieur. Elles visent d’abord à mieux prendre en compte l’évolution de la démographie étudiante, avec le « soclage » d’environ 50 millions d’euros de crédits ouverts au titre du plan de Relance pour la création de places de master et de licence, et une enveloppe complémentaire de 8 millions d’euros pour maintenir le taux d’encadrement dans les établissements relevant du programme 150 à la rentrée universitaire 2023-2024. Ce troisième bloc comprend ensuite le financement d’annonces ou de réformes déjà engagées, avec +13 millions d’euros pour les coûts d’accueil des stagiaires dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) et +8 M€ pour la création de places dans les formations en santé à la rentrée 2023-2024. Sur les formations santé, je mentionnerai la création de 6 nouvelles unités de formation et de recherche (UFR) d’odontologie, la hausse du taux d’encadrement en deuxième cycle et la création d’un nouveau site aux Antilles.
Toujours dans ce troisième bloc, 35 millions d’euros supplémentaires iront à la conclusion de nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), qui visent à renforcer la visibilité pluriannuelle des universités sur leurs moyens mais aussi leur implication dans la mise en œuvre des politiques prioritaires – ces moyens s’ajoutent à l’enveloppe du dialogue stratégique et de gestion.
Parmi ces mesures, figurent aussi les moyens supplémentaires pour la programmation immobilière du ministère, avec 30 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement, mais aussi une augmentation de près de 400 millions d’euros des autorisations d’engagement, notamment pour permettre le lancement du Campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris-Nord.
Enfin, toujours dans ce troisième bloc, la compensation en base aux établissements de mesures « RH » transversales mises en œuvre en 2022, pour 17 millions d’euros, telles que les revalorisations de certains personnels administratifs, sociaux et de santé.
Le budget 2023 permet enfin d’améliorer les conditions de vie étudiante et de continuer à lutter contre la précarité étudiante. Je citerai les deux principales mesures annoncées pour le pouvoir d’achat, qui ont à elles seules un impact de 135 millions d’euros l’an prochain : la revalorisation de 4 % des bourses sur critères sociaux à la rentrée universitaire 2022-2023, qui aura un coût en année pleine de 85 millions d’euros environ ; le maintien du repas à 1 euro dans les restaurants universitaires pour les étudiants précaires, soit un manque à gagner d’environ 50 millions d’euros pour les Crous qui sera intégralement compensé par l’État.
Ce budget permet également de renforcer l’accompagnement des étudiants, de mieux protéger leur santé, de mieux prendre en compte leurs difficultés. Je pense au doublement des moyens consacrés pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les établissements d’enseignement (+1,8 million d’euros) ; c’est un sujet majeur sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer il y a deux semaines, à l’occasion du lancement d’une campagne de sensibilisation sur le consentement. Nous amplifierons ainsi notre soutien aux associations et aux établissements dans leurs projets de prévention et de formation.
Je pense également au doublement des moyens dédiés à l’accompagnement des étudiants en situation de handicap, soit une hausse de 7,5 millions d’euros conformément aux conclusions du comité interministériel au handicap de février 2022.
Je citerai également la réforme des services de santé universitaire (SSU) que j’ai annoncée la semaine dernière et pour laquelle je mobiliserai une enveloppe de 8,2 millions d’euros. Les crédits ouverts l’an dernier pour financer la distribution gratuite de protections périodiques dans les restaurants et résidences universitaires sont par ailleurs pérennisés.
Je pense, enfin, à l’augmentation de 3 millions d’euros de l’enveloppe dédiée à la mobilité étudiante afin de faciliter les études dans d’autres académies et à l’international.
Le budget pour 2023 traduit aussi le soutien apporté au réseau des œuvres universitaires et scolaires, avec le renforcement des services sociaux des Crous : 40 travailleurs sociaux supplémentaires seront recrutés, et le dispositif de référents étudiants en résidence universitaire sera pérennisé, afin de lutter contre l’isolement des étudiants et d’améliorer leur accueil en résidence ; 4 millions d’euros supplémentaires seront alloués à la mise en œuvre des objectifs de la loi Egalim en faveur d’une alimentation équilibrée et de qualité, sachant que ces objectifs impliquent un renchérissement des coûts d’approvisionnement ; en plus de la compensation du point d’indice, qui correspond à 15 millions d’euros pour le réseau, le budget 2023 permet la revalorisation salariale de ses agents, notamment les personnels ouvriers, à hauteur de 12 millions d’euros supplémentaires.
Je rappelle qu’en plus du budget du ministère, s’ajoutent les crédits de France 2030, ce plan d’investissement massif articulé autour de grands objectifs pour faire émerger les solutions de demain et répondre aux défis de notre temps, en particulier celui de la transition écologique. La recherche et l’innovation sont à la source des nouvelles découvertes, qu’il s’agisse de fonds marins ou de l’espace, de nouveaux médicaments ou de nucléaire, d’agriculture ou de mobilités propres. Le déploiement de ces innovations nécessitera de former de nouveaux talents, en s’appuyant, entre autres, sur l’excellence de nos sites universitaires et de nos établissements. Ainsi, plus de 13 milliards d’euros seront investis au bénéfice des acteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation sur la période 2020-2027.
Enfin, un mot sur la question de l’énergie. Je suis pleinement consciente de l’impact des surcoûts et des incertitudes qu’ils génèrent pour nos établissements, notamment pour la préparation des budgets 2023. Les surcoûts pourraient atteindre, pour les établissements d’enseignement supérieur, environ 100 millions d’euros cette année et 500 millions d’euros l’an prochain en 2023 par rapport à 2021, et pour les organismes nationaux de recherche, ils pourraient être de l’ordre de 40 millions d’euros cette année et 200 millions d’euros l’an prochain.
En raison de la difficulté à évaluer avec précision à ce stade les surcoûts qui seront réellement subis par les établissements, nous examinons avec Gabriel Attal la meilleure façon d’accompagner nos opérateurs, en étudiant différentes options et différents scénarios. Nous serons en mesure de vous le détailler très prochainement.
Pour ce qui concerne l’élaboration des budgets initiaux 2023, qui est la préoccupation immédiate de nos opérateurs, je réitèrerai les consignes très claires que j’ai transmises tant aux universités qu’aux organismes de recherche : les contraintes budgétaires liées aux coûts de l’énergie ne doivent pénaliser, dans toute la mesure du possible, ni les projets de recherche ou d’investissement, ni les campagnes de recrutement, ni les conditions d’enseignement ou de recherche.
Si cela doit conduire à élaborer un budget initial en déficit, je l’assume pleinement : beaucoup d’établissements disposent de réserves financières qui sont là précisément pour faire face à ces situations exceptionnelles, et qui doivent être mobilisées lorsque c’est possible. Toutefois, les situations sont hétérogènes d’un établissement à l’autre, et ces réserves sont pour une très large part gagées sur des dépenses futures d’investissement, sur des projets de recherche ANR ou PIA, sur des provisions pour risques ou encore sur des remboursements d’emprunt. C’est pour cette raison que le dispositif de compensation nous permettra d’intervenir, afin de contribuer à l’équilibrage des comptes lorsque les surcoûts seront définitivement connus.
Le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est un budget important. Malgré les contraintes actuelles, il est, cette année encore, en augmentation. Cela traduit l’engagement renouvelé du Gouvernement en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche, en faveur de nos étudiantes et de nos étudiants, en faveur de notre avenir.
Mme Laure Darcos. – Merci beaucoup, Madame la ministre, pour cette présentation très précise.
Tous les organismes de recherche que j’ai auditionnés m’ont dit « être pris à la gorge » par le renchérissement des prix de l’énergie et ne pas savoir comment boucler leur budget 2023. N’oublions pas que la consommation énergétique des activités de recherche comprend une part incompressible qui peut atteindre 60 % voire 70 %, par exemple, pour la ventilation nucléaire.
Le projet de budget pour 2023 ne comprenant aucune enveloppe de compensation, confirmez-vous votre volonté de recourir à des compensations en gestion ? Procéderez-vous au cas par cas, selon la situation de chaque organisme ?
N’est-il pas envisageable de permettre aux organismes de recherche de bénéficier d’une part des recettes de la future « contribution temporaire de solidarité », au motif qu’ils participent à l’avenir à la Nation, notamment sur le plan de la transition énergétique ?
Concernant le déploiement de la LPR, j’ai été alertée sur le démarrage relativement lent des chaires de professeurs juniors, qui s’explique à la fois par le retard de publication du décret afférent et la persistance de résistances locales. Les crédits de paiement non consommés ont donc été reportés… si cela perdurait, il est à craindre que Bercy s’en mêle : avez-vous identifié ce risque ? Escomptez-vous une montée en charge du dispositif ?
La mesure consistant à consacrer 1 % du budget d’intervention de l’ANR à la culture scientifique fait l’objet d’une bonne dynamique, ce qui me réjouit. Il est en effet primordial d’investir dans la culture scientifique pour former les consciences éclairées de demain. Un Conseil national de la culture scientifique avait été créé par la loi Fioraso – dont on va bientôt fêter les 10 ans – pour faire dialoguer les principaux acteurs du secteur. Or, il semble que l’instance soit en déshérence depuis quelque temps : comptez-vous la réactiver ?
Quand et comment souhaitez-vous ouvrir le dossier de la restructuration du paysage français de la recherche, sachant que le climat s’est tendu ces derniers temps entre les grands organismes et les établissements ?
Enfin, l’Institut Paul-Émile Victor connaît de très graves difficultés, le plafond d’emplois est sous-dimensionné, ce qui conduit cet institut à contourner le droit du travail et à reporter toute rénovation pourtant indispensable de ses stations. Le Gouvernement va-t-il accepter l’amendement de l’Assemblée nationale visant à financer 5 ETP supplémentaires ? Quelles solutions pour adapter le plafond d’emplois de cet institut ? Alors que les campagnes d’été sont lancées et que cet institut est touché de plein fouet par l’explosion des prix des matières premières, du fret maritime et du transport aérien, ses crédits sont reconduits à l’identique : allez-vous accepter la hausse de 3 millions d’euros votée hier par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de la mission "Enseignement supérieur". – Face au renchérissement de l’énergie, la solution de court-terme consistant à recourir aux fonds de roulement n’est pas complètement satisfaisante : une partie de ces fonds est déjà fléchée sur des actions données ou des programmes d’investissement, dont la suspension compromettrait le développement des établissements ; ensuite, ces fonds sont généralement le résultat d’une bonne gestion financière, les prélever reviendrait à pénaliser cette bonne gestion. Appelez-vous néanmoins formellement les établissements à puiser dans leur trésorerie ?
Le travail de recensement et d’expertise des usages et des équipements va prendre du temps et ses effets ne seront pas visibles avant courant 2023 voire 2024 : en attendant, envisagez-vous des aides exceptionnelles ciblées sur certains établissements ? Votre collègue de l’économie a assuré, il y a quelques semaines, vouloir « trouver des moyens » pour que les universités fonctionnent cet hiver… Quelles compensations envisagez-vous et comment fonctionneront-elles ? Une réorganisation de l’année universitaire, qui consisterait à moins concentrer les enseignements sur l’automne et l’hiver, est-elle une piste que vous étudiez ?
La Cour des comptes vient de rendre public un rapport assez sévère sur l’immobilier universitaire, qui représente près de 20 % de l’immobilier de l’État. Partagez-vous ses constats ? Comment comptez-vous redresser la barre ? Êtes-vous favorable à une possibilité d’emprunt plus large pour les universités ?
Sur les contrats d’objectifs, de moyens et de performance, il semble qu’une douzaine d’universités-pilotes soient concernées l’année prochaine : nous le confirmez-vous ? Quel est le profil des universités retenues ? En quoi consisteront concrètement ces contrats et envisagez-vous leur généralisation ?
Sur la concertation relative à la vie étudiante, prévoyez-vous d’informer voire d’associer les parlementaires à la réflexion ?
S’agissant des bourses sur critères sociaux, êtes-vous prête à mettre sur la table la question du rattachement au foyer fiscal des parents, c’est une demande récurrente, et pensez-vous qu’une territorialisation soit possible ?
Enfin, comme je le fais régulièrement depuis 2018, je déplore le faible financement des établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig) : leur dotation correspond à 650 euros par élève, contre près de 11 000 euros dans le public. La reconnaissance de l’intérêt général doit se traduire financièrement : qu’en pensez-vous ?
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. – Les établissements d’enseignement supérieur et les organismes nationaux de recherche seront suivis et accompagnés au cas par cas. En plus de la mobilisation de leur fonds de roulement, ils pourront avoir un budget en déficit. Nous sommes en train d’étudier les modalités précises de cette compensation : celle-ci interviendra soit en tant que recette dans le budget 2023, soit en 2022 pour alimenter le fonds de roulement et sera compensée sur le budget déficitaire au moment des comptes. Nous donnerons les consignes précises aussi bien aux organismes qu’aux universités, lorsque nous en aurons décidé.
Vous l’avez dit, le fonds de roulement comprend une réserve de 15 jours de masse salariale, et d’autres parties qui sont plus ou moins gagées par des projets en cours ou à venir ; nous connaissons la répartition pour chacun des établissements. Ce que nous visons, c’est le fonds « dormant », c’est-à-dire la partie disponible que nous demandons de mobiliser par solidarité et responsabilité. Ce fonds est aussi prévu pour faire face à des situations de crise ; or nous sommes face à une crise, nous mobilisons donc tous les moyens qui ne compromettent pas les projets de recherche et nous préservons bien entendu les 15 jours de fonctionnement.
Le dispositif des CPJ a connu un démarrage plus long que nous ne l’envisagions, en raison d’un degré divers d’acceptabilité. Mais les crédits dédiés sont fléchés ; il n’est pas question de les réorienter, et je vous confirme qu’ils ne sont pas menacés.
L’ANR est mobilisée pour renforcer les liens entre sciences et société, pour la science participative, la science avec et pour la société. Vous avez raison de signaler que le Conseil national de la culture scientifique est « dormant », nous allons regarder de près cette question. Nous discutons aussi régulièrement avec France universités sur des sujets très divers, pour conforter en particulier le rôle territorial des universités.
La recherche polaire est déterminante pour la connaissance du changement climatique et des océans. Nous avons doté l’Institut Paul-Émile Victor de 11 postes supplémentaires entre 2021 et 2023, dont 7 l’an dernier, mais cet institut a des difficultés structurelles ; tous les postes n’y sont pas pourvus. Nous avons également financé 7,8 millions d’euros pour les études sur la rénovation de la base Dumont d’Urville. Il faudra régler le problème structurel en choisissant entre plusieurs scénarios de rénovation des stations et en regardant du côté des partenariats européens. En tout état de cause, je m’engage à ce que la campagne engagée de novembre à mars ne soit pas gênée – et je prévois, pour cela, une enveloppe d’urgence d’1 million d’euros. Aucune mission ne sera bloquée.
La réorganisation de l’année universitaire est une piste, il faut se mettre autour de la table.
Le rapport de la Cour des comptes sur l’immobilier universitaire – qui représente un peu plus de 18 millions de m2 –, souligne le fort impact écologique de notre patrimoine. Nous travaillons avec Christophe Béchu à une planification écologique, avec des propositions de rénovation énergétique et thermique, pour parvenir à un grand plan de rénovation ; nous espérons l’annoncer rapidement.
Le nombre de COMP n’est pas fixé, nous travaillons sur leur contenu et leur format. Ces nouveaux contrats serviront de levier pour les politiques prioritaires des établissements et permettront de mieux suivre l’évolution de leur performance. Je crois que nous irons vers leur généralisation, mais nous n’en sommes pas là.
J’ai demandé une mission d’expertise sur la qualité de la vie étudiante, elle sera lancée avec les acteurs locaux et vous y serez associés.
Nous lançons parallèlement la concertation sur la vie étudiante, avec une réflexion à la fois nationale et territoriale. J’ai nommé un délégué, Jean Michel Jolion, sur la question spécifique des bourses sur critères sociaux. Le débat commence et je ne peux le préempter. Cependant, je ne veux pas laisser penser que rien n’existe actuellement pour les jeunes qui sortent du foyer fiscal de leurs parents ; il y a des aides exceptionnelles des Crous en cas de rupture avec la famille.
Les Eespig ont effectivement évolué et le soutien de l’Etat a, il est vrai, atteint un plancher de 600 euros par élève ces dernières années. Mais nous avons commencé à inverser la tendance en 2021, avec une dotation augmentée de 9 millions d’euros. Nous maintenons notre effort avec 1 million d’euros supplémentaires prévu l’année prochaine pour ne pas la faire redescendre, compte tenu de l’évolution démographique.
M. Jean-Pierre Moga. – La France a une vision trop linéaire de l’innovation, que les pouvoirs publics soutiennent surtout par des appels à projets. Or ceux-ci ne s’inscrivent pas dans des feuilles de route industrielles et technologiques et ne permettent pas la vision sur le moyen et le long terme que nécessitent la recherche et l’innovation.
En réalité, nous devons améliorer l’enseignement scientifique dans notre pays. On estime que notre économie a besoin de 50 000 à 60 000 nouveaux ingénieurs par an, nous n’en formons qu’un peu plus de 33 000. Résultat : notre compétitivité recule. Le nombre de doctorants augmente, après avoir baissé fortement, mais il reste inférieur à celui de 2009. Dans ces conditions, comment attirer davantage d’ingénieurs et de doctorants, pour répondre aux besoins de notre économie ?
Mme Sylvie Robert. – Merci, Madame la ministre pour votre engagement, que nous saluons.
Vous parlez de la compensation du point d’indice, mais les personnels contractuels sont-ils intégrés ?
Les Crous vont avoir de nouveaux travailleurs sociaux - leur rôle a été très important pendant la crise sanitaire : pensez-vous que l’enveloppe prévue suffira à faire face aux hausses des prix alimentaires et de l’énergie ? On nous rapporte que les prix de confection des repas augmentent, les contraintes sont réelles... Quel regard portez-vous sur le rapport de la Cour des comptes qui appelle à une révision du modèle économique des Crous ?
M. Pierre Ouzoulias. – Merci, Madame la ministre, pour la clarté et la précision de vos propos.
J’aurais voulu interroger celui qui, dans l’exécutif, tient les clés de la caisse : M. Bercy ! Lorsqu’en juillet dernier, je l’ai alerté sur le fait que certaines universités manquaient déjà de moyens pour la rentrée, je n’ai pas obtenu de réponse ; maintenant que des difficultés se sont ajoutées, les universités vont devoir quémander des moyens supplémentaires pour assurer leurs missions de service public. Cette forme de curatelle budgétaire est opposée à l’autonomie des universités. Notre humanité fait face à des défis majeurs, nous ne pourrons pas les régler sans un engagement massif, historique, dans la recherche et l’université – mais nous butons sur ce mystère, qui est aussi une question que je vous pose : pourquoi les élites françaises n’aiment-elles pas les universités ? Je le dis en passant, mais si les étudiants descendent dans la rue, le Gouvernement ne disposera pas de la réquisition pour les faire revenir à l’université – et cela coûtera bien plus cher à M. Bercy…
Le Gouvernement, pour former 25 000 hauts fonctionnaires à la transition énergétique, a prévu de recourir aux lumières de l’Institut national du service public (INSP) : pourquoi ne s’est-il pas adressé aux universités ? Cela aurait été un symbole fort…
Votre prédécesseure, ensuite, s’était engagée à une centaine de conventions de formation par la recherche en administration (cofra). Pour cette année, il n’y en a eu qu’une dizaine : le signal est catastrophique et je regrette que l’engagement pris devant nous n’ait pas été tenu. La comparaison avec l’Allemagne pour le nombre de ministres titulaires d’un doctorat témoigne d’un décalage et peut-être explique que nous ayons tant de mal en France à promouvoir la valeur du doctorat...
M. Jean Hingray. – Les universités ont salué l’augmentation des crédits pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, mais des associations féministes étudiantes soulignent que ces crédits restent quatre fois moindres que ceux consacrés à la santé : est-ce le cas ?
À Rennes, des étudiants et syndicats étudiants dénoncent l’exclusion des hommes d’un atelier informatique organisé par le service culturel de l’Université : comment réagissez-vous à cette nouvelle polémique ? Et que pensez-vous de l’appel à l’insurrection lancé par le député Louis Boyard lors d’une conférence devant des étudiants à Strasbourg ?
M. Bernard Fialaire. – Une question sur l’égalité des chances dans l’accès aux classes préparatoires. Il y avait cette année 83 000 étudiants en classes préparatoires, 63 % en filière scientifique, 23 % en économie et 14 % dans les filières littéraires. Les prépas publiques donnent de très bons résultats en sciences et en lettres, mais pas dans les filières économiques : sur les 10 meilleures prépas, 7 sont privées, avec un coût moyen de 5 000 euros l’année – comment redonner une meilleure place aux prépas publiques ?
Concernant la place croissante des officines privées dans la préparation des études de santé, Mme Vidal nous avait assuré que la fin du numerus clausus règlerait les problèmes d’effectifs. Or il n’en n’est rien : il n’y a jamais eu autant de candidats dans ces filières ! Certaines universités envisagent des tutorats pour accompagner les étudiants dans la préparation du concours, qu’en pensez-vous ?
Sur la recherche en mathématiques, on voit qu’il y a toujours moins de professeurs, mais plus de tâches administratives...
Comment évaluez-vous le rôle des CPJ ? Mme Vidal avait assuré que pour chaque CPJ, on ouvrirait un poste de professeur : où en est-on ?
Enfin, quelle évaluation faites-vous du crédit d’impôt recherche (CIR) ?
M. Max Brisson. – A propos de la territorialisation des bourses, les collectivités territoriales aident déjà les étudiants sur des critères sociaux – aussi la concertation est-elle de bon sens, mais pourra-t-on aller jusqu’au guichet unique, qui faciliterait la vie des étudiants ? Même chose pour la vie étudiante dans son ensemble, et sans aller jusqu’à relayer le propos de la présidente de la région Ile-de-France, qui demande le transfert de cette compétence aux régions, je note que vous avez déclaré dans le journal Le Monde du 15 septembre être « en consultation de terrain » : jusqu’où irez-vous dans la réforme ?
S’agissant de la recherche, je suis heureux de vous entendre annoncer une extension de la revalorisation « au stock » des doctorants - mesure aujourd’hui limitée au « flux » -, mais peut-on en savoir davantage sur les modalités de répartition ?
La LPR avait suscité bien des débats, sur la non prise en compte de l’inflation. Mme Vidal et son collègue de Bercy nous répondaient que nous étions à l’abri de l’inflation ; elle est désormais historique, mais aucune revalorisation n’est prévue. Vous allez répondre sur la compensation des dépenses d’énergie, mais cette compensation est conjoncturelle, alors que la crise ne le sera probablement pas – à ce compte-là, ne faut-ils pas adapter la LPR ?
La loi sur l’école de la confiance avait prévu que le master serait le cursus prépondérant au métier d’enseignant, nous en sommes encore très loin : pourquoi ? Le décalage des dates des concours de M1 à M2 a eu un effet mécanique sur le nombre de candidats, au point qu’il y en a eu moins, dans certaines disciplines, que le nombre de postes : est-ce conjoncturel ou structurel ? Comment y travaillez-vous avec le ministre de l’éducation nationale ?
Enfin, comment comptez-vous faire face à la réduction du vivier de professeurs de mathématiques ? La réponse que vient de donner le ministre de l’éducation nationale à notre collègue Laure Darcos lors des questions d’actualité a de quoi inquiéter…
M. Pierre-Antoine Levi. – Je salue la hausse des crédits, mais je suis déçu par le volet « vie étudiante » ; il faut plus de moyens face à la précarité. Les classes moyennes sont aussi touchées, en particulier quand les étudiants n’accèdent pas aux logements du Crous, ni au repas à 1 euro. Pourquoi ne pas avoir maintenu le repas à 1 euro pour tous les étudiants ?
Ensuite, quelles solutions pour les étudiants dont les établissements ne proposent pas de restauration universitaire ? Il faut regarder les zones blanches des Crous, je regrette que vous ne repreniez pas ma proposition d’un ticket restaurant et j’avoue que vos crédits… me laissent sur ma faim… Il est temps de proposer des solutions à ces étudiants, qui n’ont pas toujours deux repas par jour.
Mme Sonia de La Provôté. – Lors de votre audition du mois de juillet, vous nous aviez dit que vous n’entendiez pas réformer une nouvelle fois l’accès aux études de santé ; cependant, des ajustements restent nécessaires et il faut prendre garde à ne pas pénaliser les promotions d’étudiants d’aujourd’hui : comment comptez-vous vous y prendre ? Ensuite, quand on voit le nombre de places en pharmacie qui ne sont pas pourvues, alors que les pharmaciens sont appelés à jouer un rôle toujours plus grand dans l’offre de soins, on comprend tout le travail qu’il faudrait faire pour promouvoir cette filière dès le lycée : qu’en pensez-vous ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Depuis quelques années, les étudiants doivent payer la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), qui est d’autant plus mal comprise qu’elle grève un budget étudiant déjà bien maigre, voire insuffisant et que le pouvoir d’achat des étudiants est en chute libre. J’ai déjà défendu un amendement au dernier collectif budgétaire pour supprimer cette taxe et je compte réitérer – parce que si l’objectif est honorable, je ne comprends pas qu’on taxe davantage les étudiants. La CVEC rapporte 137,9 millions d’euros, quelle part en revient effectivement aux Crous ?
M. Laurent Lafon, président. – Une demande de précision : le gel sur les loyers des Crous concerne-t-il aussi les charges ?
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. – Comment attirer plus de doctorants et mieux valoriser le doctorat ? La LPR va augmenter de 20 % le nombre de doctorants, nous avons aussi doublé le nombre de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), ce n’est pas négligeable. Il faut aussi regarder le meilleur taux d’acceptation des projets ANR déposés par les doctorants : le taux de sélection global est passé à 23 % et sera bientôt à 30 %. Il y a également le PIA, avec ses 13 milliards d’euros pour la recherche, qui comporte de grands volets comme le quantique ou l’hydrogène. Tout cela contribuera à ce que nous ayons davantage de doctorants dans les années à venir, ce qui n’empêche pas que nous devions continuer de mieux valoriser ce diplôme dans notre pays.
La compensation du point d’indice concerne bien les personnels contractuels et tous les établissements situés dans le périmètre de mon ministère.
Le tarif du repas universitaire est bloqué depuis trois ans, avec un plafond à 3,3 euros : ceux qui ne mangent pas à 1 euro, paient au maximum 3,3 euros, c’est un soutien déjà important. Il y a des zones blanches, c’est vrai, nous devons améliorer les choses. J’ai parlé des 4,4 millions d’euros pour aider les Crous à mettre en place les mesures de la loi Egalim, c’est important. D’une manière générale, nous devons continuer d’accompagner les Crous et le Cnous en considérant des partenariats nouveaux, fruits de discussions territoriales, et nous devons tendre vers des modèles multi-acteurs, où le Cnous joue son rôle parmi d’autres intervenants, par exemple les bailleurs sociaux. Nous regardons en particulier comment ouvrir la centrale d’achat du réseau à des partenaires territoriaux, ce qui permettrait de réaliser des économies d’échelle et dessinerait un nouveau modèle - mais cela requiert une évolution législative, nous y travaillons en recherchant le bon véhicule, avec vous, j’espère aboutir dès cette année.
La formation des 25 000 fonctionnaires à la transition écologique par l’INSP fera appel à des chercheurs de l’université, il y aura donc un lien direct entre eux et les étudiants.
Comme ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, et aussi professeure des universités, je crois à un système universitaire pluriel et je vois que le nôtre évolue, l’Université devient plus lisible, notre modèle se renforce et il est mieux reconnu.
L’objectif d’une centaine de Cofra par an se heurte, en plus de problèmes budgétaires, à ceux des plafonds d’emplois et de publicité, ou encore de reconnaissance par les administrations – le problème est donc multiple.
Nous doublons le budget consacré aux problèmes de violences sexuelles et sexistes à l’université ; ces moyens vont servir à constituer des équipes en région, à accompagner les établissements et à améliorer les procédures. Nous ciblons des actions précises, que nous allons suivre. Notre objectif est aussi de professionnaliser cette intervention.
Je ne saurais commenter un appel à l’insurrection des étudiants, autrement qu’en rappelant que je suis une fervente républicaine, attachée aux valeurs, aux droits et aux devoirs qui fondent notre République.
Sur l’égalité des chances d’accès aux grandes écoles, beaucoup est déjà fait. Le tutorat en médecine existe depuis longtemps, nous réfléchissons à une articulation du tutorat et du mentorat dans les zones plus rurales, pour que des jeunes accèdent davantage aux grandes écoles et qu’ils puissent revenir plus facilement sur le territoire où ils ont grandi. Ce travail commence dès le secondaire.
Nous discutons avec la conférence de doyens sur la réforme du premier cycle des études de pharmacie ; nous attendons qu’elle nous fasse des propositions sur les 33 % de postes non pourvus en pharmacie. Nous attendons aussi le rapport du comité de suivi de la réforme. En tout état de cause, nous allons vers une forme de cadrage.
Nous regardons aussi de près, avec mon collègue de l’éducation nationale, la situation de l’enseignement et de la recherche en mathématiques. Nous devons être vigilants à ne pas nous focaliser sur les seules mathématiques car nous avons la responsabilité de regarder aussi ce qui se passe dans les autres filières scientifiques, par exemple en informatique. Les médailles Fields font la fierté de notre pays, mais elles ne suffisent pas. Nous avons besoin d’une vision globale, dans le secondaire et dans le supérieur. Les sujets à traiter sont nombreux, par exemple la place des jeunes femmes dans l’enseignement des sciences, et le cadre est celui de l’autonomie des universités, qui choisissent leur offre d’enseignement.
Les CPJ sont un outil pour attirer de nouveaux profils à l’université. Les premiers postes viennent d’être pourvus, donc nous manquons de recul. A ce stade, ce que je peux vous dire, c’est que les établissements y ont progressivement recours, pour des profils divers et aussi dans des disciplines émergentes.
Oui, le guichet unique est une piste pour les aides aux étudiants. Nous avons augmenté toutes les bourses de 4 %, y compris celles qui dépendent des régions, de même que l’aide exceptionnelle de 100 euros concerne tous les étudiants.
La présidente de la région Ile-de-France connait le sujet de la vie étudiante ; votre propos me donne l’occasion de dire que je la rencontrerai la semaine prochaine. Je cherche des pistes concrètes pour avancer, nous devons les examiner avec volontarisme, de même que pour l’accès des étudiants au sport et à la culture – autant de sujets pour les dialogues territoriaux.
Les mesures que nous prenons pour compenser les augmentations des prix de l’énergie sont effectivement conjoncturelles. La LPR a été adoptée avec un calendrier ; nous avons maintenu l’échéancier malgré les difficultés actuelles, la loi reste notre feuille de route. L’inflation est un problème particulier ; je m’engage à revenir devant vous avant l’été pour un premier bilan de la LPR, mesure par mesure.
Les réformes se sont multipliées sur la formation des professeurs des écoles depuis dix ans, cela pose problème pour l’attractivité de ce métier. Nous voulons un cadre enfin stable et clair. Je suis allée à la Conférence des directeurs d’INSPE : il y a des pistes pour un parcours à partir de la licence, sans empêcher les passerelles, avec des bases disciplinaires solides et une implication dans le métier.
La CVEC a été un levier pour renforcer l’accès des étudiants au sport et à la culture, c’est important et c’est pourquoi les établissements et les Crous s’en sont emparés. Je rappelle que les 95 euros de cette contribution ont remplacé les 217 euros que les étudiants acquittaient pour l’ancien régime étudiant de sécurité sociale : ils paient donc moins, pour plus de service. Nous avons aussi ajouté le Pass’Sport. La CVEC a fait gagner du pouvoir d’achat aux étudiants et augmenté l’offre de services.
Je précise qu’en plus du gel du loyer des Crous, les étudiants ont vu leur APL progresser de 3,5%, ce qui concerne aussi les étudiants des classes moyennes. Enfin, si les charges sont à la discrétion des Crous, elles sont plafonnées.
M. Laurent Lafon, président. – Merci, Madame la Ministre pour toutes ces précisions.
La réunion est close à 18 h 35.