- Mercredi 28 septembre 2022
- Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire - Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale
Mercredi 28 septembre 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce - Examen du rapport et du texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons en urgence la proposition de loi déposée par notre collègue Nathalie Goulet visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Je tiens d'abord à remercier Nathalie Goulet d'avoir déposé cette proposition de loi visant à régler diverses questions liées à l'éligibilité des juges consulaires des tribunaux de commerce. Les élections annuelles, qui devaient avoir lieu la première quinzaine du mois d'octobre 2022, ont été décalées par le Gouvernement à la fin du mois de novembre.
C'est la deuxième fois, et j'espère la dernière, que notre collègue doit prendre une initiative pour que nous examinions la question de l'élection des juges consulaires des tribunaux de commerce. À l'automne dernier, nous avions déjà approuvé, sur le rapport de François Bonhomme, un texte pour régler des malfaçons héritées de la loi Pacte, la très volumineuse loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises que nous avons dû adopter dans une certaine précipitation...
La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, votée conforme en première lecture dans les deux chambres, a réintégré les membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats aux élections des juges consulaires. Il s'agirait aujourd'hui de renouveler l'exercice, car la Conférence générale des juges consulaires de France et le ministère de la justice ont de nouveau relevé des difficultés relatives au régime de l'élection des juges consulaires.
Je tiens à vous rassurer tout de suite : mes auditions n'ont pas mis en lumière de risque d'invalidation des mandats des juges consulaires ou de « disparition des tribunaux de commerce » comme certains le craignaient... Aucun contentieux n'a remis en cause les élections organisées depuis 2019. L'enjeu est de corriger certaines erreurs de plume, mais surtout d'élargir le vivier des candidats en permettant aux cadres dirigeants de se présenter aux futures élections.
Avant l'adoption en 2019 de la loi Pacte, les cadres dirigeants salariés faisaient partie du corps électoral des délégués consulaires et étaient, à ce titre, éligibles aux fonctions de juge consulaire. La suppression et le remplacement des délégués consulaires par les membres élus des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat ont mis, indirectement, un terme à leur éligibilité.
Or leurs compétences spécialisées, en droit bancaire ou cambiaire par exemple, et leur disponibilité sont précieuses pour la résolution des litiges soumis aux juridictions commerciales. À titre d'exemple, la Conférence générale des juges consulaires de France estime que les cadres dirigeants salariés représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce de grande taille.
Il me semble donc tout à fait opportun de rétablir l'éligibilité des cadres dirigeants salariés, qui seraient soumis aux mêmes règles déontologiques et disciplinaires que l'ensemble des juges composant les tribunaux de commerce.
L'article 1er apporte une modification qui dépasse cet objectif puisqu'il vise à modifier le corps électoral des chambres de commerce et d'industrie en permettant aux cadres dirigeants salariés de l'intégrer. Je vous proposerai, avec un premier amendement, de supprimer l'article 1er et de modifier l'article 3 qui porte sur l'éligibilité des juges consulaires pour y intégrer les cadres dirigeants.
L'article 2 de la proposition de loi aborde un tout autre sujet. Il vise à créer une cinquième cause de cessation des fonctions des juges consulaires en cas de refus de siéger sans motif légitime. Je relève que ce sujet n'est pas frappé du sceau de l'urgence et que, dans un rapport de la commission des lois de l'an dernier, François Bonhomme et moi-même avions relevé qu'une réponse disciplinaire pouvait être apportée à la situation du refus de siéger. Nous avions recommandé que les chefs de cour se saisissent de leur pouvoir disciplinaire.
Il me semble préférable de limiter nos débats à la problématique qui justifie l'urgence de la proposition de loi, à savoir le vivier des candidats aux élections des juges des tribunaux de commerce.
L'article 3, qui traite des conditions d'éligibilité aux fonctions de juge consulaire, constitue vraiment le coeur de la proposition de loi. Il tend à rectifier certaines malfaçons issues de la loi Pacte. Il vise en particulier à clarifier la question de l'inscription sur les listes électorales des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat. Le législateur de 2019 n'a pas souhaité qu'il s'agisse d'une obligation de double inscription : il convient donc de modifier la rédaction.
Cet article vise également à permettre aux juges en exercice et aux anciens juges ayant six ans d'ancienneté d'être réélus dans leur tribunal ou un tribunal limitrophe sans condition de résidence, tout en prévoyant un régime dérogatoire spécial, fixé par décret, pour les tribunaux non limitrophes.
Sur cette question, j'étais beaucoup plus réservé. En effet, les conditions actuelles résultent de la loi du 11 octobre 2021 et il ne me paraissait pas justifié de les retoucher aussi rapidement sans élément nouveau.
En l'état, les juges en exercice et les anciens juges doivent justifier d'une domiciliation ou d'une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d'un tribunal limitrophe. L'attachement à un territoire assoit la légitimité de ces candidats aux fonctions de juge du tribunal de commerce. En effet, la particularité historique de la juridiction commerciale réside dans le fait que les justiciables sont jugés par des pairs. Ces derniers ont une connaissance fine de la vie économique locale du territoire dans lequel ils exercent. Or, en supprimant l'obligation du lien géographique avec le tribunal, nous risquerions de modifier la typologie des juridictions commerciales.
Ce matin, juste avant notre réunion, la direction des services judiciaires m'a enfin fait parvenir des éléments concrets justifiant la demande de modification de la règle de résidence. Il semblerait que 307 juges consulaires soient concernés. Il s'agit de personnes qui étaient domiciliées dans le ressort du tribunal dans lequel elles étaient élues en raison de leur activité professionnelle et qui, à la retraite, ne disposent plus de cette domiciliation. En l'état de la législation, il leur est difficile de se porter candidats sauf à se faire domicilier chez un tiers.
Compte tenu de cette information, il me semble que nous pouvons envisager de modifier la règle.
Je soumets à votre appréciation les deux options que nous avons. Première option : lever la condition de résidence pour les seuls cas que l'on nous décrit, c'est-à-dire lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d'origine ; deuxième option : lever cette condition lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d'origine ou un tribunal limitrophe, ce qui est plus souple.
En fonction de notre position, je modifierai en conséquence mon amendement n° 3.
S'agissant de ce texte, Nathalie Goulet parlait d'une deuxième rustine : c'est devenu un plâtre imposant... Et comme tout plâtre, ce n'est qu'en l'enlevant que nous verrons s'il a permis d'améliorer les choses !
Mme Nathalie Goulet. - Je remercie le rapporteur. Le président du tribunal de commerce d'Alençon m'avait saisie des difficultés qu'il rencontrait. Nous sommes dans un cas classique de malfaçons. Je suis d'accord avec la proposition de suppression de l'article 1er et de modification conséquente de l'article 3. S'agissant des options qui nous ont été proposées, je suis favorable à la seconde, qui prévoit des conditions plus souples en matière de domiciliation.
En revanche, je ne partage pas la position du rapporteur sur le refus de siéger. Certes, ce n'est pas une urgence, mais nous n'aurons pas le temps en septembre prochain de poser une troisième rustine sur ce texte. Un président de tribunal de commerce n'a pas de sanctions à sa disposition. Le refus de siéger conduit à désorganiser les juridictions consulaires. Or le travail que nous menons depuis l'année dernière a pour but de rendre le fonctionnement de ces juridictions plus fluide et efficace.
La version de la Chancellerie n'est pas forcément celle des praticiens, auxquels nous devons nous fier sur ces sujets.
M. Jérôme Durain. - Je remercie Nathalie Goulet et le rapporteur, qui s'est transformé en mécanicien pour mettre des rustines là où il en fallait !
Cette proposition de loi vise à corriger une loi qui corrigeait une loi... Elle est nécessaire pour pallier les insuffisances de la rustine législative que nous avions apportée l'année dernière. Les tribunaux de commerce risquent d'être fortement sollicités compte tenu de la situation économique : il faut leur faciliter le travail.
Nous souscrivons aux propositions du rapporteur.
M. Alain Richard. - Je me joins aux appréciations positives de mes collègues.
Sur l'assouplissement de la condition de résidence, je suis pour l'option incluant le tribunal limitrophe. En effet, les acteurs économiques peuvent voir leur centre d'activité se déplacer à la faveur d'une relocalisation. Par ailleurs, la tradition qui tend à rattacher tous les juges de la juridiction à un ressort donné peut donner lieu à une certaine forme d'endogamie.
Il faudra statuer sur la question de la privation de fonctions d'un juge délibérément absentéiste. Néanmoins, s'agissant de la cessation de fonctions de juges qui sont en principe inamovibles, il est préférable de prendre le temps de mener les consultations nécessaires.
M. André Reichardt. - À Strasbourg, nous n'avons pas de tribunal de commerce, mais une chambre commerciale. D'après les informations communiquées par les services de la commission, le texte ne devrait pas avoir d'impact sur le droit local alsacien-mosellan. Néanmoins, je souhaiterais que nous nous assurions de ce point. En Alsace-Moselle, les cadres des entreprises artisanales et commerciales ne sont pas membres de droit du collège électoral des chambres de métiers et de commerce : une délégation du chef d'entreprise à ces cadres est nécessaire.
Par ailleurs, pourquoi procrastiner sur la question du refus de siéger si nous pouvons régler le problème aujourd'hui ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Je remercie mes collègues pour leurs observations.
Le refus de siéger est un manquement aux obligations déontologiques du magistrat. Il y a un an, avec François Bonhomme, nous avons proposé une position qui a été validée par la commission. Nous appelions les premiers présidents à se saisir de leur pouvoir disciplinaire. Certes cette solution ne satisfait pas tout le monde. Mais le sujet n'est pas mûr ; attendons le projet de loi qui doit être proposé à la suite des États généraux de la justice.
Le texte ne comprend pas de disposition spécifique pour le droit alsacien-mosellan : il n'y a donc, à ma connaissance, pas de risque de perturbation. Nous avons posé spécifiquement cette question à nos interlocuteurs.
M. François-Noël Buffet, président. - La commission retient donc la deuxième option sur la modification de la règle de résidence des juges en exercice et anciens juges. L'amendement n° 3 devra donc être modifié en conséquence...
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'éligibilité des juges consulaires et des membres de chambres de commerce et d'industrie, ainsi que la sanction du refus de siéger.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à supprimer l'article.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article 1er est supprimé.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement COM-2 tend à supprimer l'article. La question du refus de siéger n'a pas sa place dans ce texte d'urgence.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article 2 est supprimé.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise principalement à ajouter les cadres dirigeants salariés des entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers à la liste des personnes éligibles aux fonctions de juge de tribunal de commerce, élargissant ainsi le vivier des candidats.
Je propose de le modifier pour prendre en compte la position de la commission permettant d'assouplir la condition de résidence exigée des juges en exercice et anciens juges lorsqu'ils candidatent dans leur tribunal d'origine ou un tribunal limitrophe.
L'amendement COM-3, ainsi modifié, est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire - Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale
M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. Le Gouvernement envisage en effet de modifier l'organisation territoriale de la police nationale, en créant des directions départementales qui incluraient notamment les services de police judiciaire, au même titre que la sécurité publique ou la police aux frontières, alors qu'aujourd'hui ceux-ci ne répondent qu'à l'autorité d'une direction centrale spécifique et autonome.
Cette évolution inquiète la police judiciaire ainsi qu'un certain nombre de magistrats.
Nous avons décidé de créer il y a quinze jours une mission d'information au sein de notre commission afin de mieux comprendre la situation. Monsieur le directeur général, nous souhaitons donc que vous nous exposiez en quoi consiste la réforme annoncée. Nos deux rapporteurs Nadine Bellurot et Jérôme Durain, puis nos collègues, vous poseront ensuite un certain nombre de questions.
Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. - La police nationale fait face à de nombreux défis grâce à la capacité d'adaptation, au courage et à l'engagement de ses personnels, dans un environnement toujours plus complexe et particulièrement exposé, comme l'actualité nous le rappelle malheureusement trop régulièrement.
Les efforts budgétaires exceptionnels consentis par la Nation au cours des deux derniers exercices et dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dans l'hypothèse où ce texte serait adopté par le Parlement, permettent de disposer de moyens et d'équipements qui nous rendent plus performants et nous conduisent à envisager l'avenir avec confiance. Nous avons donc le devoir d'être encore plus efficaces.
La réforme de l'organisation de la police judiciaire s'inscrit dans une réforme plus vaste et ambitieuse de l'organisation et de la gouvernance de la police nationale, importante non seulement pour ses agents, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui aspirent légitimement à bénéficier du meilleur service public dans le domaine de la sécurité intérieure.
La dernière grande réforme de la police nationale remonte à 1966, lorsqu'a été actée la fusion de la sûreté nationale et de la préfecture de police pour créer la direction générale de la police nationale. Plusieurs adaptations ont été réalisées depuis cette date, mais la structuration de la police nationale n'a pas été fondamentalement modifiée. Notre organisation actuelle, avec des directions centrales assez autonomes et un fonctionnement très vertical, est peu adaptée aux défis auxquels nous devons faire face, qui appellent un pilotage coordonné de chacun des métiers, un nécessaire décloisonnement et davantage de déconcentration pour travailler le plus possible autour de problématiques territoriales.
L'unification de la police nationale au niveau départemental avait déjà été tentée dans les années 1990. Certaines directions n'y étaient pas associées, comme la direction centrale de la police judiciaire. Je ne m'engagerai pas dans l'analyse des raisons de l'échec de cette tentative qui était aussi la conséquence d'une alternance politique. Le constat d'une organisation qui peut être améliorée est partagé depuis longtemps par de nombreux acteurs ou observateurs des questions de sécurité intérieure. Le Livre blanc de la sécurité intérieure, publié à l'automne 2020, aborde notamment le sujet de l'organisation de la police nationale, résumé en quelques phrases dans la synthèse du document final : « les forces de sécurité intérieure doivent appréhender leur mission selon une approche plus intégrée ».
D'autres institutions ont pu établir un constat identique et appeler à une réforme des structures. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat relative à l'état des forces de sécurité intérieure, conduite en 2018 sous la présidence de Michel Boutant, dont le rapporteur était François Grosdidier, avait émis de nombreuses propositions sur la base du constat d'une organisation « en tuyaux d'orgue ». Il avait souligné que « la police nationale souffre de sa forte segmentation et d'un manque patent de cohésion qui pèse, au quotidien, sur les agents comme sur l'efficacité des services », constaté qu'« un tel cloisonnement se vérifie également au niveau territorial », et déploré que ce fonctionnement en silos nuise indéniablement à l'exercice d'un véritable pilotage ainsi qu'à la définition d'une stratégie globale d'emploi des forces de police sur le territoire.
Dans le rapport du 3 juillet 2019 sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, les députés Jean Michel Fauvergue et Christophe Naegelen ont également évoqué la nécessaire réorganisation sur la base du constat d'un morcellement des services préconisant la restructuration des forces de sécurité en grandes directions par métiers pour mettre fin au fonctionnement en tuyaux d'orgue tout en redonnant des marges de manoeuvre aux responsables locaux.
Je peux également mentionner le référé de la Cour des comptes du 22 décembre 2014 relatif à la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales, qui notait un fonctionnement cloisonné des services d'enquête de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et prévoyait de ne pas écarter l'hypothèse d'une réforme de l'organisation territoriale de la police nationale visant à intégrer dans un même réseau les services de la DCSP et de la DCPJ, en les dotant localement d'un commandement commun selon le modèle en vigueur à Paris et dans sa petite couronne.
Forte de près de 150 000 personnels, dont plus de 30 000 à la préfecture de police et 4 700 à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la police nationale - direction générale de la police nationale (DGPN) et préfecture de police comprise - traite environ 70 % de la délinquance générale et plus de 83 % de la grande criminalité.
Je n'aborderai pas, dans le cadre de votre mission, le cas particulier de la préfecture de police de Paris, qui n'est pas concernée par cette réforme et qui présente une organisation proche de ce que nous voulons mettre en place, même si elle n'est pas aboutie en raison du traitement d'une partie de la délinquance par une direction un peu équivalente à la direction centrale de la sécurité publique : la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne.
Pour ce qui concerne les services placés sous mon autorité directe, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire.
La première est la direction centrale de la sécurité publique, direction généraliste qui est la plus grande direction active de la police nationale en termes d'effectifs - plus de 65 000 personnels, dont 17 400 sont affectés à la filière judiciaire, répartis dans 280 circonscriptions de sécurité publique et 92 directions départementales de la sécurité publique - et qui traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police.
La seconde est la direction centrale de la police judiciaire, direction spécialisée chargée de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité, ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée. Elle est composée de 5 640 personnels, dont 3 800 enquêteurs répartis dans des services centraux et territoriaux, services centraux organisés autour notamment de quatre sous-directions opérationnelles : la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière, la sous-direction antiterroriste, la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que l'Office anti-stupéfiants rattaché directement au directeur central de la police judiciaire.
L'organisation territoriale de la DCPJ compte 7 directions zonales, 18 directions territoriales et 39 services de police judiciaire. Je ne peux pas ne pas mentionner le service national de police scientifique - 1 245 personnels - qui pilote l'ensemble de la police technique et scientifique de la police nationale, et les laboratoires de police scientifique qui concourent à l'efficacité de tous les services d'investigation.
À ma connaissance, personne ne semble contester le fait que notre organisation est cloisonnée et très centralisée, entraînant de fait la cohabitation sur un même territoire de services qui relèvent de directions différentes, avec chacun son directeur et son état-major, des bases de données qui ne sont pas toutes partagées, des outils métiers différents, des priorités et une stratégie qui leur sont propres. Il en découle des conflits de compétence, positifs ou négatifs, des doublons et parfois des logiques de concurrence qui nous font perdre en efficience. L'organisation de la police nationale est difficilement compréhensible par nos partenaires et nos interlocuteurs, en particulier les élus et la population.
Par ailleurs, l'exercice d'une même mission aujourd'hui répartie entre plusieurs directions rend par exemple très compliqué, voire impossible, de concevoir une stratégie globale, en particulier pour la mission de police judiciaire. Pour surmonter cette difficulté, nous avons donc signé des protocoles entre les services de la police nationale pour tenter d'harmoniser nos pratiques et coordonner nos actions. Le dernier d'entre eux date du 12 avril 2016 et porte sur la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire. Je ne suis pas certain qu'il ait été vraiment mis en oeuvre. Même si ces protocoles ont apporté un peu de fluidité, leur multiplication est révélatrice de la faiblesse de notre organisation.
On peut trouver de bonnes raisons de conclure des protocoles avec la gendarmerie, les polices municipales, l'éducation nationale ou les pompiers, mais protocoliser dans la même institution est bien l'illustration d'un défaut d'organisation.
Cette réforme est donc particulièrement nécessaire pour la filière police judiciaire, qui est confrontée à de grandes difficultés. Les causes de la crise que connaît cette filière sont multiples, dues notamment à une complexification excessive et toujours plus grande de la procédure pénale et une politique des ressources humaines peu adaptée aux spécificités de ces métiers, causes que nous avons identifiées en 2020 dans le cadre d'une initiative de la direction générale de la police nationale rassemblant tous les services autour d'une coordination nationale de l'investigation.
Un certain nombre de facteurs ont contribué à ce que la filière investigation de la police nationale soit malheureusement moins efficace qu'elle n'a pu l'être dans le passé. Sur la période 2010-2019 - je ne prends pas en considération l'année 2020, qui est singulière en raison de la crise sanitaire -, le volume global de la délinquance traité par les services de police a varié assez peu avec une moyenne de 2,4 millions de faits enregistrés par an. Il convient de souligner que la direction centrale de la sécurité publique traite l'essentiel de la délinquance enregistrée par la police nationale, y compris pour les faits relevant de la criminalité organisée : 59 % de l'agrégat de la grande criminalité pour la DCSP contre seulement 8 % pour la DCPJ et 29 % pour la préfecture de police.
Toujours sur la période 2010-2019, les taux d'élucidation ont baissé de manière constante et significative, quel que soit l'agrégat concerné : atteintes aux biens, atteintes aux personnes ou délinquance économique et financière : moins 12 points pour les violences non crapuleuses, moins 15 points pour les violences sexuelles, moins 2 points pour les atteintes aux biens, qui sont déjà très faiblement élucidées, moins 16 points pour les infractions économiques et financières. Cette évolution n'est donc pas la conséquence d'une augmentation du volume des faits à traiter. La baisse de la performance globale de la filière contribue aussi en partie à la constitution de stocks de procédures dans les services généralistes. Au mois de juin 2022, le nombre total des procédures en portefeuille pour les services de la direction centrale de la sécurité publique s'élevait à plus de 1,5 million, soit une moyenne de 104 procédures par enquêteur, avec de fortes disparités selon les départements.
Par ailleurs, j'entends certains magistrats dire publiquement que la qualité des procédures est en baisse et exprimer le constat d'un retrait de l'encadrement, officiers et commissaires, dans la conduite des enquêtes. Il est vrai que les policiers du corps d'encadrement et d'application, qui constituent aujourd'hui l'ossature de la filière investigation des services de la sécurité publique, ne sont pas assez formés et insuffisamment encadrés. Ce dernier point est à mettre en relation avec le faible taux d'encadrement des services d'investigation généralistes : 5 % pour la direction centrale de la sécurité publique, contre environ 30 % pour la direction centrale de la police judiciaire, conséquence directe de la déflation des corps d'officiers et de commissaires. En général, la réponse attendue aux difficultés s'exprime souvent sous la forme de demandes de renforts, qui sont parfois nécessaires même s'ils ne sont pas tous porteurs de la solution.
En effet, en ce qui concerne l'investigation, on observe que la hausse des effectifs des enquêteurs - de 17 % entre 2015 et 2020 - n'a pas été suffisante pour enrayer cette crise. Hors préfecture de police, la filière investigation de la direction générale de la police nationale était ainsi composée de 21 300 enquêteurs en 2020, contre 17 800 en 2015, cette hausse concernant non seulement la direction centrale de la sécurité publique, mais aussi la DCPJ avec une augmentation de l'ordre de 20 %. On ne peut donc pas réduire la question de la crise à la seule question des moyens alloués à la filière. La question de son pilotage global doit être posée et ne pourra se résoudre dans le cadre de notre organisation actuelle, qui doit impérativement évoluer.
Je ne veux pas laisser penser que ce constat n'est que négatif, l'activité des services d'investigation de la police nationale ayant été très fortement dirigée vers la lutte contre les trafics de stupéfiants et contre le terrorisme pendant cette période très singulière.
Cette démarche de transformation de la police nationale a été entreprise dès le mois de janvier 2020 avec la création de trois directions territoriales de la police nationale en outre-mer. Des directions territoriales de la police nationale ont ainsi été mises en place le 1er janvier 2020 à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, département qui comptait alors une direction départementale de la sécurité publique, une direction départementale de la police aux frontières, une antenne de police judiciaire et une antenne de l'Office anti-stupéfiants, puis à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Polynésie française le 1er janvier 2022.
Les raisons avancées à l'époque conservent toute leur pertinence, puisqu'il s'agissait notamment d'améliorer l'efficacité de la gouvernance en développant un pilotage et une vision uniques de l'activité policière, cette unicité de commandement permettant de dépasser l'organisation en silos des directions centrales et de fonctionner davantage dans une logique métier sur ces territoires délimités.
Des enseignements sont tirés de ce qui relevait donc non pas d'une expérimentation, mais bien d'une mise en oeuvre concrète : davantage de solidarité entre les services et de fluidité dans le travail quotidien, une simplification, représentée par le fait de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour toute la police nationale qui dispose de l'ensemble des leviers et des métiers de la police pour répondre aux préoccupations, la disparition des logiques de concurrence entre services et une meilleure prise en charge des victimes grâce à des services territoriaux de police judiciaire mieux organisés et plus réactifs, un meilleur suivi des dossiers et une plus forte implication de la chaîne hiérarchique dans la gestion des portefeuilles de toute la filière permettant de rétablir localement des situations en s'appuyant sur le savoir-faire de la police judiciaire en ce qui concerne la Guyane.
La police nationale dispose désormais, dans ces territoires, d'une capacité de mobilisation plus importante sans que l'expertise de la police judiciaire soit remise en cause ou que ces moyens soient réorientés vers le traitement de la délinquance de masse.
En métropole, huit expérimentations à droit constant sont menées dans le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et la Savoie, depuis le mois de janvier 2021, et dans le Calvados, l'Hérault, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Haut-Rhin depuis le mois de février 2022. La particularité est que nous procédons à ces expérimentations à droit constant, avec un fonctionnement moins intégré, l'efficacité du dispositif reposant principalement sur la bonne volonté des personnes concernées. Nous enregistrons cependant des progrès opérationnels significatifs grâce à un regroupement des différents états-majors en un seul, compétent pour toute la police nationale, avec un partage exhaustif des informations entre les filières et la capacité de mettre en place une stratégie globale à l'échelle du territoire et des opérations associant mieux les diverses spécialités de la police, avec la mise en place d'une conférence radio unique pour toutes les directions, de façon à mutualiser les moyens et accroître le nombre de patrouilles disponibles en cas d'intervention complexe, et enfin avec la prise en charge de déferrements au tribunal par des effectifs en tenue, alors que jusqu'à présent les enquêteurs avaient l'obligation de les assurer.
Un des objectifs de cette réorganisation est de rendre le travail de tous les policiers plus simple et plus fluide : pas de concurrence entre services, un renoncement à la conduite d'actions sur la base d'informations parcellaires détenues par chacune des directions, des réponses plus rapides de la chaîne hiérarchique, des possibilités d'évolution professionnelle à l'intérieur d'une filière ou entre filières en fonction des aptitudes et de la motivation, une politique de formation continue plus proche des besoins du terrain, de véritables parcours de carrière pour disposer de profils plus diversifiés et polyvalents, des capacités de renfort plus importantes en cas de coup dur opérationnel. Nous aspirons à une police plus efficace, plus proche des victimes, capable de réaliser des enquêtes de qualité, quelle que soit la nature des infractions.
La future organisation permettrait un pilotage coordonné de la filière police judiciaire, non seulement pour orienter l'activité opérationnelle des services mais également pour améliorer la conception et la mise à la disposition de tous les enquêteurs de référentiels professionnels communs et d'outils numériques qui seront de nature à simplifier leur activité ; l'identification précise des besoins en formation et la mise en place de modules de formation en adéquation avec ces besoins ; le suivi des portefeuilles d'affaires pour identifier rapidement les services en difficulté et mettre en place des dispositifs de soutien.
Ce pilotage unique, difficile à mettre en place actuellement en raison de l'éclatement des services, sera également de nature à accélérer la modernisation de nos méthodes de traitement du renseignement criminel et plus largement de la circulation de l'information opérationnelle. Il nous permettra par ailleurs de garantir une bonne allocation des moyens grâce à une vision plus précise des niveaux d'activité et des charges des services. On ne peut pas négliger non plus que la mutualisation des états-majors, des structures d'analyse et des fonctions support pourra conduire à la réalisation d'économies dans le domaine de l'équipement et à des gains sur des fonctions redondantes.
Enfin, nous souhaitons moderniser la gestion des ressources humaines (RH), créant de nouvelles perspectives d'évolution professionnelle pour tous grâce à une RH unifiée, offrant des parcours plus diversifiés et plus enrichissants avec un processus de décision plus rapide.
Dans l'attente du projet définitif, les grandes lignes de cette réorganisation ont été affinées à partir des retours du terrain. Le niveau des directions nationales doit être un échelon non plus de gestion des personnels mais essentiellement de stratégie et de pilotage. C'est la raison pour laquelle les directions centrales deviendront des directions nationales chargées de définir et d'animer l'activité des quatre grandes filières métiers de la police nationale : la sécurité et la paix publique, le renseignement territorial, la police judiciaire, les frontières et l'immigration irrégulière. Les directeurs disposeront d'une capacité de pilotage stratégique sur l'ensemble du métier concerné. Ils auront également, placées directement sous leur autorité, des entités nationales opérationnelles.
En ce qui concerne la future direction nationale de la police judiciaire, les offices centraux et les autres services à compétence nationale ou de soutien opérationnel seront maintenus, certains d'entre eux, comme l'office cyber, verront leurs attributions et leurs moyens renforcés. Ces filières seront déclinées au niveau zonal et au niveau départemental dans des configurations différentes d'un territoire à l'autre, tenant compte des spécificités de la criminalité et des enjeux sécuritaires locaux.
Le niveau zonal permettra à la direction générale de la police nationale d'avoir un relais territorial pour animer et coordonner l'action des directions départementales dans le strict respect - j'insiste sur ce point - des prérogatives des préfets et de l'autorité judiciaire. Pour la filière police judiciaire, il est envisagé d'y implanter certaines structures de soutien opérationnel, comme les brigades de recherche et d'intervention, le service interministériel d'assistance technique, des fonctions cyber qu'il est difficile de multiplier à l'infini, l'aspect saisie des avoirs criminels, et un service chargé des enquêtes sur les atteintes à la probité.
Le directeur zonal sera assisté d'adjoints en charge des filières métiers, dont un pour la police judiciaire qui veillera à ce que tous les services territoriaux de police judiciaire fonctionnent selon les règles fixées par une doctrine. Les quatre futures filières métiers disposeront chacune d'une doctrine d'emploi et de fonctionnement, permettant ainsi de connaître précisément le périmètre des missions assignées.
Cette méthode de la doctrine a été instaurée en 2013, pour définir le cadre d'action du renseignement territorial. Jusque-là, ce service ne disposait d'aucune doctrine, ses missions et son organisation fluctuant au gré des priorités. Ce document a ainsi permis d'empêcher que certains directeurs départementaux soient tentés de confier aux policiers de ses services des missions qui ne relevaient pas de leur compétence.
Enfin, le niveau départemental sera l'échelon territorial de référence pour l'animation et la coordination opérationnelle de l'action de l'ensemble des services implantés sur ce territoire, sans préjudice de la compétence interdépartementale des futurs services de police judiciaire qui sera préservée.
En ce qui concerne le service interdépartemental de la police judiciaire, qui verrait ses marges de manoeuvre anormalement contrariées par le DDPN du lieu de son implantation, le directeur zonal de police judiciaire (DZPJ) aura pour mission de veiller au respect des règles de fonctionnement.
La chaîne hiérarchique, en lien étroit et permanent avec l'autorité judiciaire, devra garantir la meilleure réponse possible aux départements limitrophes, dont les capacités d'enquête pourraient être limitées.
Sous l'autorité des directeurs départementaux de la police nationale, les circonscriptions de sécurité publique deviendront des circonscriptions de police nationale. Ce regroupement des missions de police judiciaire dans une seule filière favorisera le meilleur niveau de spécialisation des services d'enquête en tout point du territoire national.
Le maintien de l'empreinte territoriale et de l'expertise de l'actuelle direction centrale de la police judiciaire est essentiel, car elle dispose en effet de pôles d'excellence.
Alors que la direction actuelle est constituée de 5 000 agents, la future direction nationale de la police judiciaire animera et pilotera le travail de plus de 23 000 enquêteurs, ce qui apportera une vue et une approche globales qui ne pourront qu'être bénéfiques à l'ensemble.
Contrairement à ce qui peut être dit ou écrit, les structures de la police judiciaire ne disparaîtront pas ; elles seront maintenues partout où il existe une implantation d'un service de police judiciaire.
Le parquet ou le juge d'instruction choisira évidemment toujours librement la formation qu'il souhaite saisir. L'autorité judiciaire continuera d'exercer sa mission de direction et de contrôle de la police judiciaire. La réforme évitera le risque de conflit négatif de compétence auquel les parquets sont parfois confrontés lorsqu'aucun des services d'enquête du ressort ne souhaite traiter une saisine.
Enfin, les directeurs départementaux de la police nationale seront choisis pour leur aptitude à prendre en compte toutes les filières métiers de la police nationale. Les DDPN de demain ne seront pas systématiquement les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) d'aujourd'hui : des profils seront identifiés au sein de toutes les directions actuelles pour exercer un nouveau métier, celui de chef de police.
Notre système d'évaluation des cadres de la police nationale a été renforcé en nous inspirant du dispositif du Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE), c'est-à-dire une évaluation à 360 degrés, en vigueur pour les membres du corps préfectoral. Le choix des femmes et des hommes qui dirigeront ces directions départementales est en effet déterminant pour la réussite de cette transformation.
Afin de dissiper certaines inquiétudes, j'ai tenu à adresser un courrier à chacun des agents de la direction centrale de la police judiciaire pour expliquer le sens de la réforme et prendre des engagements que je vais rappeler devant vous.
Les enquêteurs de la police judiciaire continueront à agir en dehors de leur territoire d'affectation, sur la base de compétences judiciaires élargies ; les capacités opérationnelles spécialisées dont dispose aujourd'hui la direction centrale de la police judiciaire seront renforcées ; la doctrine garantira les capacités d'initiative et la préservation du temps long nécessaires à l'aboutissement des affaires les plus complexes ; les effectifs relevant actuellement du périmètre de la direction centrale de la police judiciaire ne seront pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure. Enfin - j'insiste là-dessus -, aucun agent de la police judiciaire ne sera contraint de changer de métier ou de résidence administrative.
Nous souhaitons que cette nouvelle organisation soit mise en place au cours de l'année 2023, soit plus de deux ans après le début des travaux, et avant l'échéance de l'année, sans doute difficile pour les forces de sécurité intérieure, des jeux Olympiques et Paralympiques.
En conclusion de ce propos introductif, je veux être très clair et ferme à propos de la direction centrale de la police judiciaire et de ma détermination intacte et totale à lutter contre la criminalité organisée et à faire traiter les faits les plus graves par les services spécialisés.
Toute réforme suscite des inquiétudes, des interrogations : je les entends et je les comprends. Elles ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue l'essentiel : la réforme de l'organisation de la police nationale est nécessaire pour permettre aux agents d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions possible, aux magistrats de disposer de services encore plus efficaces, capables de produire des procédures de meilleure qualité, quelle que soit l'infraction concernée, et aux victimes d'être prises en charge à la mesure du préjudice et du traumatisme qu'elles subissent.
Ce projet de réforme se fonde sur des constats, des rapports et des expérimentations.
Ayant servi pendant trente années au sein de la police judiciaire dans des services opérationnels, territoriaux et centraux, spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme, ma conviction est très personnelle.
Je suis entré dans la police pour faire un travail de police judiciaire. Je connais la valeur des femmes et des hommes avec qui nous avons fait face à des situations très difficiles, et résolu bon nombre d'affaires très complexes. Je n'imagine pas les trahir et renoncer à l'idéal que nous avons partagé et qui m'anime toujours.
Je peux donc vous l'affirmer : non, les services de la direction centrale de la police judiciaire ne vont évidemment pas disparaître. Dans certains territoires et pour certains contentieux, ils seront même renforcés.
Oui, l'autorité judiciaire aura toujours la même capacité à choisir la formation qui lui paraît être la mieux à même de traiter un dossier et d'exercer son contrôle sur les services de police chargés de l'investigation.
Nous allons bâtir une organisation qui nous permette de mettre un terme aux défauts relevés par toutes les institutions qui se sont penchées sur notre fonctionnement, afin de répondre encore mieux aux nombreux défis que nous imposent l'exigence de protection des personnes et des biens, les aspirations légitimes des victimes et la protection des libertés individuelles et collectives.
Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Merci pour cette présentation, complète, qui appelle un certain temps de digestion au vu de la quantité d'informations fournies.
Nous allons tâcher par nos questions de vous faire expliciter certains points de manière détaillée et technique. En tant que parlementaires, n'ayant pas une expérience de trente ans dans la police, nous avons besoin de comprendre, de manière très pratique, comment cela fonctionne.
Vous avez rappelé la genèse du projet et évoqué le calendrier. Sur ce dernier point, j'ai entendu que la réforme interviendrait « au cours de l'année 2023 ». Est-ce à dire que ce ne sera pas au 1er janvier, ce qui laisserait un temps de réflexion et de travail, notamment pour notre mission d'information ?
Vous avez abordé en quelques mots les expérimentations en cours sur le territoire, en outre-mer et dans trois départements hexagonaux. Quelles améliorations avez-vous pu constater, de façon très pratique, dans ces territoires ? Nous savons que les choses ne se règlent pas d'un coup de baguette magique ; à quelles difficultés avez-vous été confronté ?
Des craintes s'expriment au sein de la police judiciaire sur un risque de dilution du coeur du métier, à savoir la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, au sein de ces nouvelles DDPN. Vous nous avez dit que les personnels n'avaient pas lieu de s'inquiéter, mais j'aimerais que vous nous apportiez des éléments sur les nouvelles activités qu'ils pourraient être amenés à réaliser.
La direction centrale de la PJ est actuellement dotée de huit offices centraux et d'organes de coopération internationale policière pour lutter contre la grande criminalité. Comment la future direction nationale de la police judiciaire va-t-elle coordonner cette cohabitation et ce prolongement territorial ?
Enfin, j'ai bien compris que le choix de l'enquêteur resterait soit au procureur, soit au juge d'instruction, et non pas, donc, au directeur départemental - à moins de changer le code de procédure pénale, ce qui n'est, me semble-t-il, pas prévu.
M. Jérôme Durain, rapporteur. - Monsieur le directeur général, vous nous dites que les travaux sont en cours depuis deux ans ; or, nous observons une levée de boucliers massive, au point qu'une nouvelle instance représentative des officiers de police judiciaire a été créée. Au-delà des questions de fond, il existe sans doute un sujet de méthode. Nous ne pouvons pas le réduire à une forme de corporatisme, ce serait injurieux pour les officiers qui s'expriment. Cela révèle donc des craintes assez profondes de ces personnels quant à l'exercice de leur métier.
Ces inquiétudes sont d'ailleurs partagées par-delà la police judiciaire : le Conseil national des barreaux ou la Conférence nationale des procureurs de la République se sont exprimés sur la question avec beaucoup d'allant.
Vous disiez hier que les préfets n'étaient pas politiques. Le haut fonctionnaire que vous êtes a dû constater, au cours de sa carrière, qu'il arrive malgré tout qu'il y ait des tentatives d'influence du politique dans les affaires judiciaires.
Cette question de l'interférence du politique a notamment été posée par Éliane Houlette, ancienne procureure de la République du parquet national financier (PNF), qui a dit avoir parfois ressenti des formes d'entrave à son action dans l'affectation des moyens.
N'y a-t-il pas un risque pour l'autonomie de la police judiciaire ? Les DDPN ne seront-elles pas dotées d'une capacité d'arbitrage sur le choix des dossiers au détriment du travail d'enquête indépendant ?
Vous nous expliquez que le choix du département comme échelon de base est naturel, compte tenu de l'évolution de la criminalité, de la délinquance et des nécessités opérationnelles. Pourtant, François Molins estime pour sa part que, si elle a effectivement beaucoup évolué, la criminalité se joue désormais à l'échelle des interrégions et de l'international. Il y a là une contradiction.
Vous nous avez précisé que les agents pourraient agir en dehors de leur territoire d'affectation. Pour autant, ne risque-t-on pas, avec cette départementalisation, de réduire notre capacité à nous projeter sur les affaires les plus complexes et la criminalité organisée, qui dépassent les frontières départementales ?
Enfin, vous avez mentionné un courrier adressé à vos agents pour expliciter des choses qui, visiblement, n'étaient pas si claires que cela. Pouvons-nous en être destinataires ?
M. Loïc Hervé. - Un projet de loi se trouve actuellement sur le bureau du Sénat : le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dont le rapport annexé comporte des références à cette réforme. Il en va de même pour le texte lui-même, notamment sur la question de la création des assistants d'enquête. Comment comptez-vous articuler la Lopmi, en préfiguration - ou pas - de cette réforme, et cette réforme ?
Mme Marie Mercier. - Merci, monsieur le directeur général, pour cette présentation qui montre que vous maîtrisez parfaitement tous les arcanes de la police nationale.
Vous êtes revenu sur le cloisonnement étanche des services qui peut nuire à la protection et à la sécurité de nos concitoyens. Je veux revenir à la période, si étrange, du confinement, au cours de laquelle les cambriolages ont diminué mais les violences intrafamiliales ou la cybercriminalité ont augmenté. Nous avons pu voir une présence importante de policiers sur la voie publique puisqu'il fallait faire des contrôles.
Je m'interroge sur un service en particulier : la police aux frontières. Celle-ci ne devait pas avoir grand-chose à faire. Ses agents ont-ils apporté leur aide à leurs collègues ? Dans le cas contraire, le nouveau système permettra-t-il ce type de coordination et de coopération entre les différents services ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Vous avez évoqué une augmentation du nombre d'enquêteurs. Cet élément me semble paradoxal : ce n'est pas ce que nous entendons sur le terrain ni ce que j'ai entendu du garde des sceaux ou de votre propre ministre de tutelle.
Nous avons plutôt le sentiment que la police peine à disposer d'enquêteurs, notamment, au regard des responsabilités qui sont les leurs, sur le plan qualitatif. Le fait qu'il n'y ait plus d'oral au concours et que vous soyez amené à proposer de recruter dès le début de la carrière me laissent penser qu'il y a un problème d'effectifs et de formation. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?
Dans le cadre de la Lopmi, évoquée par Loïc Hervé, vous prévoyez la création d'assistants d'enquête. Est-ce vraiment une bonne idée ? Cela ne rendra-t-il pas plus administratif le fonctionnement de la police ? N'est-ce pas abandonner l'idée d'améliorer la procédure elle-même ?
Je ne doute pas de la cohérence de votre réforme, mais on imagine assez volontiers qu'elle donne lieu à des débats internes à la police. Les agents vont devoir se repositionner. Combien de temps faudra-t-il pour mettre en oeuvre une telle réforme ? Est-il raisonnable, dans une approche pragmatique, de vous épuiser pendant plusieurs années sur cette réforme au moment où les moyens de la police nationale vont considérablement augmenter ? N'allez-vous pas perdre le bénéfice de cette montée en puissance ?
M. Alain Marc. - Vous avez parlé de la nécessité de traiter au mieux les crimes et délits constatés. Nous travaillons auprès des maires, avec lesquels nous faisons un constat : avant de traiter les faits, il faut les prévenir.
Malgré la qualité de nos policiers, nous avons un vrai problème de présence sur le terrain. La difficulté pour les commissariats à rassembler ne serait-ce qu'un seul équipage le week-end pose tout de même question.
Le travail de police judiciaire est capital, mais avez-vous réfléchi au sujet de la présence sur le terrain ? Nous la souhaitons plus forte, avec une meilleure organisation ou une augmentation des effectifs.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Vous avez évoqué le sujet de la réforme de la DDPN dans les territoires d'outre-mer depuis 2020. Trois territoires étaient d'abord concernés : Mayotte, la Guyane et la Polynésie française.
La commission des lois s'est déplacée en Guyane fin 2019 et à Mayotte en septembre 2021 et a constaté que des résultats positifs se profilaient. Une flambée de violences inouïe frappe ces territoires.
Comment, dans le cadre de cette réorganisation, mieux répondre à ces violences perpétrées par des bandes de jeunes ?
Quatre ans après sa mise en place, où en est la compagnie départementale d'intervention (CDI), qui était censée appuyer les forces de l'ordre et lutter contre ces violences urbaines ?
La deuxième ville de Mayotte, Koungou, compte 30 000 habitants et ne dispose pas d'un commissariat. Idem pour les deux communes de Petite-Terre. Est-il prévu, pour mieux répondre aux violences urbaines, de doter ces territoires de commissariats ?
M. Mathieu Darnaud. - Pour avoir participé à la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, je souscris aux propos de mon collègue Thani Mohamed Soilihi.
Je souhaite par ailleurs aborder la cybercriminalité, qui explose et dont l'impact est parfois dramatique, notamment dans le secteur hospitalier. Ma collectivité a récemment été victime d'une attaque cyber aux conséquences douloureuses. Nous avons une impérieuse nécessité de renforcer nos moyens humains et de nous réorganiser sur ce sujet.
En ce qui concerne l'évolution des DDSP en DDPN, ces dernières auront, nous avez-vous dit, un profil un peu différent ; pouvez-vous nous en dire plus, notamment en matière de prérogatives ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le directeur général, j'ai été sensible à votre propos et essentiellement aux trois dernières phrases, dans lesquelles vous vous êtes engagé personnellement au regard de votre expérience.
Pour le reste, j'ai été frappé par le ton que vous avez employé, qui m'a presque fait penser à celui d'un avocat, en faveur de cette réforme. Vous avez utilisé le futur simple, en ayant l'air de dire que la réforme irait forcément dans le bon sens.
Je ne doute pas de votre sincérité et j'ai un grand respect pour la police nationale, mais j'ai été comme sidéré du contraste avec les propos de François Molins, qui est tout de même procureur général près la Cour de cassation et estime que cela pose un problème par rapport à la justice et à l'indépendance des magistrats. Comment concilier ces propos contradictoires ? Ne trouvez-vous aucun point d'accord avec François Molins ?
Cela pourrait conduire à des positions moins absolues sur cette réforme dont nous ne serons pas saisis - elle relève du domaine réglementaire - et qui tient en quatre lignes dans le rapport annexé au projet de loi qui nous sera présenté.
Vous avez évoqué la complexité de la procédure pénale, soit ; mais en quoi une direction départementale la simplifierait-elle ?
Je formule le voeu, peut-être pieux, que s'exprime un peu plus de nuance.
Plusieurs de mes collègues ont dit combien il apparaissait nécessaire que la PJ fonctionne à un niveau bien supérieur au niveau départemental. Vous le savez, vous l'avez vécu, les affaires auxquelles vous êtes confrontés sont plutôt d'ampleur régionale, nationale, internationale.
Mme Laurence Harribey. - Votre présentation m'a mise mal à l'aise, car, à vous écouter, cette réforme a été bien pensée, donc « circulez, il n'y a rien à voir ». Or vous êtes tout de même devant des législateurs.
Vous avez dit à la fin de votre propos que toute réforme suscitait des inquiétudes. Pour ma part, j'aime travailler selon la méthode de nos collègues québécois, pour lesquels une réforme, pour qu'elle soit acceptée, doit être comprise.
Une réforme n'est ni définitive ni exempte de potentielles dérives. C'est pourquoi les études d'impact sont fondamentales pour prévoir ces dérives et permettre l'acceptation d'une réforme.
Je m'interroge sur la départementalisation, sur le niveau de technicité de la police judiciaire, et j'ai l'impression qu'au bout du compte, il s'agit plus d'un problème de ressources humaines que d'organisation.
Cela me fait penser à ces entreprises qui, lorsqu'il y a un problème, changent l'organigramme. La question est plus profonde et a trait à un sentiment d'adhésion. Le problème essentiel, ce sont les effectifs, la formation et l'évolution des métiers.
Dans la presse, ce matin, nous avons appris qu'une spécificité du territoire corse serait prise en compte dans l'application de la réforme. Si le Gouvernement envisage des exceptions avant même que la règle soit édictée, cela ne signifie-t-il pas que cette dernière ne convient pas, et que tout cela va trop vite ? Une réforme est certes nécessaire, mais de manière beaucoup plus concertée.
M. Philippe Bas. - Monsieur le directeur général, lorsque vous parlez de la police judiciaire, on sent que vous y mettez beaucoup de coeur et d'expérience. Votre constat me paraît lucide. Ce n'est pas parce qu'une réforme suscite des critiques qu'elle est mauvaise, mais peut-être ces critiques peuvent-elles servir à l'améliorer.
Vous avez livré des clarifications et rappels nécessaires, notamment concernant l'autorité des parquets sur le déroulement des enquêtes qui est, vous l'avez rappelé, une exigence du code de procédure pénale, qu'une réforme d'organisation ne saurait remettre en cause. Je ne doute pas que vous avez réfléchi à la compatibilité de cette nouvelle organisation avec cette exigence, que des évolutions pourront d'ailleurs encore conforter.
Vous évoquez la simplification de la procédure pénale. Un consensus existe sur ce point, mais nous avons parfois l'impression, une fois qu'on a dit qu'il fallait simplifier, d'avoir tout dit... Pouvez-vous nous donner quelques pistes sur ce qui vous paraîtrait indispensable pour favoriser la tâche des enquêteurs tout en maintenant les protections nécessaires pour les personnes faisant l'objet des enquêtes ? Qu'attendez-vous d'une réforme du code de procédure pénale ?
Par ailleurs, vous n'avez pas suffisamment abordé à mes yeux la crise des vocations. J'ai l'impression que la police judiciaire, qui était une activité particulièrement noble et recherchée au sein de la police, est aujourd'hui délaissée. Dites-moi si je me trompe, mais si je dis cela, c'est parce que j'entends des procureurs, des directeurs départementaux, des responsables des services régionaux de police judiciaire.
Je m'inquiète, car je me demande si cette évolution ne coïncide pas avec certaines évolutions de la société ayant pour conséquence, à cause des exigences de ce métier et de sa complexité croissante, qui vont de pair avec la complexité croissante de la procédure pénale, de décourager les vocations. Et ce n'est pas une réorganisation, même bien faite, qui réglera ce type de problèmes.
Nous devons engager une réflexion sur la carrière, sur les avantages qui pourraient compenser les contraintes particulières que ce métier impose.
Quel est le niveau des recrutements actuels par rapport au passé, non seulement au niveau des effectifs, mais aussi des qualifications ? Avez-vous fait une analyse approfondie des raisons qui pourraient expliquer que la police judiciaire soit délaissée pour d'autres missions au sein de la police ? Comment conforter les vocations ?
Mme Valérie Boyer. - Vous avez déploré l'organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale et vous estimez que cette réforme permettra de l'améliorer.
Mais ne pensez-vous pas qu'il y a aussi une crise de sens ? Ce cloisonnement que vous décrivez existe aussi dans le continuum police-justice-prison. Comment mettre à profit une réforme si la justice ne suit pas et si, une fois les enquêtes élucidées, il n'y a pas de suites données ? Nous avons un problème autour de la prison et de l'effectivité des peines.
Comment imaginer la réussite d'une telle réforme si elle ne s'inscrit pas dans un continuum police-justice-prison ?
M. Frédéric Veaux. - Madame la rapporteure, concernant le calendrier, je vous indique que nous n'avons pas arrêté de date. Cette réforme est compliquée à mettre en oeuvre, notamment sur le plan réglementaire. Nous devons terminer la cartographie budgétaire, la cartographie des emplois, et laisser un peu de temps aux échanges. Je peux simplement vous dire qu'elle interviendra avant le 31 décembre 2023 pour que nous puissions nous consacrer uniquement aux jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.
Je distingue ce qu'il se passe en outre-mer et en métropole. Curieusement, la mise en place de cette réforme en outre-mer n'a suscité aucune réaction. Nous étions pourtant confrontés aux mêmes enjeux et éventuelles difficultés que c'est le cas aujourd'hui en métropole.
La Guyane fait en quelque sorte office de laboratoire, car sa situation est proche de celles dans lesquelles nous pouvons nous retrouver en déclinant cette réforme en métropole.
Après quelques difficultés, que l'on rencontre à l'occasion de tout changement de méthode et de responsabilités exercées, la chaîne est désormais très fluide. Les cadres de la police judiciaire s'impliquent dorénavant dès la prise de plainte ou les constatations au moment où un fait se déroule.
L'un des objectifs de cette réforme est d'aborder cette chaîne du traitement des infractions de la constatation ou de la prise de plainte jusqu'au moment où l'affaire peut devenir extrêmement complexe et rebondir sur des enjeux que l'on n'avait pas imaginés au départ, tels que des règlements de compte ou des trafics très élaborés.
J'ai auprès de moi, à la direction générale de la police nationale, un chef de la mission outre-mer qui se trouve être l'ancien directeur interrégional de la police judiciaire Antilles-Guyane. Il se déplace souvent et connaît très bien ces territoires et me fait état de retours extrêmement positifs, surtout pour les enquêteurs, qui sont en première ligne et constataient jusqu'à maintenant un abandon de la chaîne hiérarchique - je l'ai indiqué précédemment, le taux d'encadrement pour la sécurité publique est très faible.
Au premier niveau du traitement de la délinquance, les enquêteurs sont souvent un peu livrés à eux-mêmes, insuffisamment pilotés, formés et accompagnés, alors que ce sont eux qui traitent au quotidien avec le magistrat du parquet qui les a saisis.
Le premier effet bénéfique, c'est donc la prise en compte de cette chaîne, essentielle pour le fonctionnement quotidien de la police judiciaire.
Par ailleurs, les affaires complexes se nourrissent aussi de tout petits faits du quotidien et de la connaissance du terrain. Donc, en matière de partage de renseignements, c'est aussi un progrès considérable : nous avons dorénavant des bases communes pour exploiter les renseignements et effectuer des rapprochements entre différents faits.
Je ne dispose pas de retours négatifs sur l'expérimentation en outre-mer. Nous constatons de nombreux effets positifs sur d'autres métiers de la police nationale, tels que l'ordre public ou le traitement de l'immigration irrégulière.
Pour ce qui est de la métropole, ces expérimentations reposent largement sur la personnalité des préfigurateurs et sur la manière dont les choses s'organisent localement. Nous avons des départements où cela fonctionne très bien, et d'autres moins bien. Cela tient à des questions de personnes ou de manières d'aborder les choses, mais aussi à des singularités locales.
Par exemple, dans le Pas-de-Calais, l'antenne de police judiciaire locale se situe sur le littoral - elle est implantée à Coquelles, à côté de Calais - et n'exerce donc pas ses compétences sur l'ensemble du département.
Par ailleurs, certains préfigurateurs ont parfois tenté de remplir des missions qui n'entraient pas dans le périmètre défini, ce qui a fait l'objet de rappels à l'ordre.
Ces pratiques ont montré que nous avions besoin d'une doctrine fixant très précisément à la fois les missions de chacun et les objectifs qu'on leur assigne. L'organisation doit être mise en place dans un second temps.
L'une des craintes le plus souvent mise en avant, c'est que la police judiciaire se dilue dans la masse des affaires traitées par la sécurité publique, avec toutes les contraintes que cela comporte. C'est la raison pour laquelle j'ai pris des engagements fermes, notamment pour ce qui relève du traitement des stocks de procédure.
Le but est d'éviter toute tentation de la part d'un cadre, qui n'aurait pas compris les objectifs fixés, de s'écarter des règles.
Je reviens à l'outre-mer, car j'ai oublié de mentionner un point très positif. Il a souvent été reproché à la police judiciaire de ne pas être présent à la Réunion et en Polynésie française. Si les parquets ou les juges d'instruction locaux avaient besoin d'un service spécialisé dans le domaine économique et financier, ils saisissaient de manière très exceptionnelle l'office central situé à Paris. Cet office central envoyait des enquêteurs faire les perquisitions, avant de revenir quelques semaines ou mois plus tard pour procéder aux gardes à vue.
Avec la mise en place de la réforme en outre-mer, nous avons créé un troisième niveau d'investigation à la Réunion, et bientôt en Polynésie, en envoyant sur place des enquêteurs économiques et financiers « brevetés » par la direction centrale de la police judiciaire. Cela nous a donc permis de créer des moyens d'investigation qui n'existaient pas auparavant.
Madame la rapporteure, vous avez posé une question à propos de la direction nationale de la police judiciaire. Actuellement, les directions centrales doivent gérer les ressources humaines pour les effectifs dont ils ont la charge. Cela a un effet très négatif : l'avancement, les mutations, les parcours de carrière ne sont considérés que sous le prisme de la direction à laquelle ils appartiennent.
Je cite souvent l'exemple - que les directeurs concernés me pardonnent, mais il est absolument révélateur du caractère parfois ubuesque de notre organisation - de trois commandants de police, chefs de brigade de recherche et d'intervention (BRI), qui quittaient la DCPJ. Ils exerçaient des responsabilités importantes, étaient très bien notés, et rejoignaient la direction de la coopération internationale de sécurité.
Ils étaient éligibles à un avancement. Le directeur central de la police judiciaire m'a dit : « Ils le méritent, ils sont compétents, mais ils s'en vont, donc je ne les propose pas. » Je suis donc allé voir la directrice centrale de la coopération internationale de sécurité qui m'a dit : « Ils sont sans doute très bons puisqu'on les a choisis, ils vont occuper des postes à responsabilité, mais moi je ne les propose pas parce qu'ils arrivent. »
C'est révélateur de l'aspect cloisonné de cette organisation. J'insiste, car il ne faut pas perdre de vue ce qui nous a amenés à envisager cette réforme, et la manière dont les diagnostics ont été posés par d'autres que nous. Ce cloisonnement, constaté par tous, nuit énormément à notre efficacité. Celui ou celle qui, demain, aura la responsabilité de la filière police judiciaire disposera de la capacité à définir une stratégie commune à l'ensemble de la filière.
Je l'ai dit tout à l'heure, et on vous remettra le document, le dernier protocole qui a été signé sur la coordination des investigations a dû être signé par deux directeurs, puis validé par le directeur général, pour indiquer à tous comment procéder, avec une liste de choses à faire. Ce n'est pas ma façon de concevoir le fonctionnement d'une direction comme celle de la police nationale.
Sur une mission identifiée, nous devons être capables de définir une stratégie et de s'assurer de sa mise en oeuvre en fournissant des objectifs clairs, des moyens adaptés, des formations et des outils de pilotage qui nous permettent d'y voir clair et ne diffèrent pas selon les directions.
Le futur directeur national de la police judiciaire sera le garant de la bonne cohérence et de l'efficacité de cet ensemble.
Madame la rapporteure, vous avez posé une question sur le choix de l'enquêteur ; je crois y avoir répondu : nous n'avions aucunement l'ambition de réécrire le code de procédure pénale. Peut-être, pour répondre à d'autres questions, mériterait-il de l'être, mais il est hors de propos d'imaginer qu'on puisse faire autrement concernant le libre choix des magistrats.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une levée de boucliers massive ; tout dépend de la définition qu'on donne de la masse... J'observe, il est vrai, qu'elle concerne une partie des enquêteurs de la police judiciaire. Ils ne sont pas très nombreux si on les rapporte au nombre de policiers de cette administration, ce qui ne veut évidemment pas dire que leur inquiétude ne doit pas être prise en compte.
C'est pour cette raison que j'ai essayé, dans un document que je partagerai bien sûr avec la mission d'information, de répondre à certaines des interrogations d'une manière la plus concrète et la plus directe possible.
Vous évoquez aussi le Conseil national des barreaux ; je m'étonne toujours de voir ce dernier s'intéresser au fonctionnement de la police. Je pense que cette instance n'a pas une bonne connaissance de ce que nous projetons de faire.
Pour ce qui est de la Conférence nationale des procureurs de la République, je précise que je me suis évidemment adressé à son bureau pour expliquer le sens de la réforme. C'était en visioconférence, car les échanges étaient alors compliqués, mais, grâce à la Chancellerie, j'ai pu m'adresser à l'ensemble des procureurs de la République et des procureurs généraux au tribunal judiciaire de Paris, ce qui regroupe toutes les juridictions.
Par ailleurs, nous avons proposé à la Chancellerie de déléguer un magistrat pour intégrer l'équipe projet afin de prendre en compte les attentes, les questions et les inquiétudes de la magistrature. Ils n'ont pas pu de le faire pour des raisons d'organisation interne. Pour autant, l'équipe projet de la DGPN a des contacts extrêmement réguliers avec un magistrat du bureau de la police judiciaire de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). Moi-même, dans le cadre de mes déplacements dans les directions de la police judiciaire, je prends le soin d'aller voir les procureurs de la République du ressort et le président du tribunal.
La justice doit être associée à ce projet et en comprendre tous les enjeux, c'est incontournable.
La police judiciaire ne doit évidemment renoncer à rien et nous devons être attentifs aux défis de demain. Mais je regarde aussi tout le reste, et en premier lieu le quotidien de la population. Quand quelqu'un se fait arracher son sac ou son collier dans la rue, il ne se demande pas si c'est par un dealer du coin, un SDF, un voleur d'habitude ou un membre d'un groupe criminel organisé venant des Balkans ou d'ailleurs. Ce que veut cette victime, c'est d'être bien accueillie dans un commissariat, que sa plainte soit traitée, d'être informée de la manière dont l'enquête se déroule et, surtout, que l'auteur soit arrêté et d'obtenir réparation pour le préjudice qu'elle a subi.
C'est la direction centrale de la sécurité publique, si on se réfère aux agrégats de la statistique, qui traite l'essentiel des faits de criminalité organisée, dont on sait qu'elles tirent leurs profits de la multiplication de tout petits faits, et de manière itinérante. Nous devons donc être en mesure d'analyser de manière sérielle un ensemble de petits faits qui, pris de manière isolée, ne justifient pas qu'un parquet engage des poursuites, mais qui, réunis, vont nous permettre d'avoir un impact pénal beaucoup plus important.
Vous avez, monsieur le rapporteur, parlé du lien entre le préfet et les politiques. Mon intervention d'hier sur France 2 a été mal comprise. J'ai exercé ces fonctions pendant quatre ans, j'en retire une certaine fierté et je suis convaincu que les préfets sont de grands serviteurs de l'État et de la République. Le préjugé selon lequel les préfets se mêleraient d'enquêtes judiciaires, au regard des relations qu'ils entretiennent localement avec des élus, est injurieux.
Je ne dis pas ça pour vous, monsieur le rapporteur, mais cela ressort notamment d'observations formulées par des syndicats de magistrats. Le préfet est le représentant du Gouvernement dans le territoire. Il est à ce titre en relation avec des élus mais, sur le plan local, il n'est pas soumis à des pressions politiques, en tout cas certainement pas dans le cadre d'un suivi éventuel de procédures judiciaires.
Si je me réfère au fonctionnement de Paris, dont le préfet a sous son autorité la direction régionale de la police judiciaire de Paris, qui compte une brigade financière, je n'ai jamais entendu dire que les préfets de police se mêlaient des enquêtes judiciaires. Ce n'est ni ce qu'on leur demande ni leur intérêt et, dans le cadre du contrôle social qui est aujourd'hui en place, si un jour cela devait arriver cela se saurait immédiatement.
Par ailleurs, à mon niveau, je dépends directement de l'autorité du ministre de l'intérieur et j'ai à mes côtés un directeur central de la police judiciaire qui est placé sous mon autorité et s'occupe des services les plus spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Or, je ne me mêle pas de la manière dont les enquêtes sont conduites.
Dans la police et dans le corps préfectoral, tout le monde a bien en tête la répartition des compétences et des prérogatives. C'est la prérogative de l'autorité judiciaire que de diriger et contrôler la mission de police judiciaire. Pour cette raison, nous souhaitons d'ailleurs introduire dans le système d'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale la possibilité pour l'autorité judiciaire d'exprimer une appréciation circonstanciée sur la manière dont ces directeurs s'intéresseront à la mission de police judiciaire.
J'entends ce que dit M. le procureur général près la Cour de cassation. Je n'ai pas à discuter à distance avec lui. Je pense d'ailleurs que les extraits repris par les médias sont issus de propos plus construits. Je partage son exigence relative à la préservation des conditions dans lesquelles les services de la direction centrale de la police judiciaire exercent leurs compétences ; j'y suis tout autant attaché que lui.
Mais que fait-on pour le reste ? Je n'entends personne parler de la petite et moyenne délinquance, qui couvre l'essentiel des faits. Or, ne nous faisons pas d'illusions, si ça craque sur ces sujets, tout le reste suivra.
Mme Laurence Harribey. - Si c'est le sujet, il faut le dire.
M. Frédéric Veaux. - Je ne me suis pas caché, j'ai posé des constats que nous faisons au quotidien, et qui ont également été faits par les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale, par la Cour des comptes, et par d'autres qui s'intéressent au fonctionnement des services de sécurité intérieure.
En ma qualité de directeur général de la police nationale, je ne peux pas me contenter de garder ce qui fonctionne bien si c'est au détriment de tout le reste. J'attends de mon successeur qu'il s'occupe de traiter le problème. Notre objectif, c'est de protéger ce qui fonctionne bien, de nous appuyer sur les méthodes et les principes qui font l'efficacité de la police judiciaire pour les appliquer à l'ensemble de la chaîne. Ainsi, les cadres de la police judiciaire qui se sont investis dans ce métier par vocation et ont acquis des compétences et de l'expérience seront impliqués sur toute la chaîne.
Nos métiers ont changé, les protocoles des corps et des carrières ont changé. Jeune commissaire de police à la police judiciaire, je partais faire des perquisitions, des planques, je m'occupais des gardes à vue... C'était ça le travail d'un commissaire de police à l'époque, à la manière des enquêteurs de police chez les gardiens de la paix.
Une grande réforme des corps et carrières a ensuite fait diminuer le nombre de commissaires et d'officiers de police tout en augmentant le niveau de responsabilités du corps d'encadrement et d'application en redéfinissant les missions et le rôle de chacun. En conséquence, la fonction d'un commissaire ou d'un officier de police - sauf quelques situations très spécialisées - consiste désormais d'abord à encadrer, piloter, fixer des objectifs, servir d'interlocuteurs à l'autorité judiciaire et ne pas laisser les enquêteurs sous sa responsabilité se débrouiller avec les difficultés qu'ils rencontrent.
Vous m'avez interrogé, monsieur le rapporteur, sur la réduction de nos capacités à nous projeter. Non, nous ne réduisons pas ces capacités. D'abord parce que nous ne touchons pas aux offices centraux ni à leurs antennes un peu partout sur le territoire et, ensuite, parce que j'ai pris l'engagement de maintenir, partout où elles se trouvent, les implantations de la police judiciaire avec les mêmes compétences territoriales et judiciaires.
J'aimerais vous faire part d'une situation personnelle que j'ai connue - il y a quelques années, c'est vrai - lorsque j'étais chef de la division des stupéfiants et du proxénétisme à Marseille. Nous avions des groupes qui traitaient le trafic international. Mais, pour être efficace sur le trafic international, il faut savoir ce qui se passe sur le terrain ; c'est de là que proviennent nos renseignements. Nous avions donc - déjà à l'époque - des groupes « cités ».
La police judiciaire devait récupérer les mises à disposition, que nous appelions le ramassage, mais cela a pris de telles proportions que la Sécurité publique a récupéré cette prérogative. Or, comme le ramassage permet d'accumuler les renseignements, les services de la Sécurité publique se sont mis à traiter les mêmes dossiers sur les cités et se sont retrouvés en concurrence avec ceux de la police judiciaire. Nous nous trouvions au même endroit, à signer un protocole, à mettre en place des instances de coordination, et à nous disputer les objectifs et les renseignements.
Nous avons besoin de coordination, d'une répartition cohérente des tâches et des missions afin de ne pas nous retrouver à être plusieurs à traiter les mêmes sujets.
Monsieur Hervé, vous avez évoqué la Lopmi dont vous êtes co-rapporteur. En ce qui nous concerne, il s'agit de deux démarches très différentes. Nous attendons beaucoup de la Lopmi : sur l'aspect budgétaire, sur la dimension juridique, sur la simplification du code de procédure pénale, ou encore sur les renforts humains.
Madame Mercier, le cloisonnement des services est malheureusement une réalité de notre quotidien. Toutefois, pendant le confinement, grâce à une instruction du directeur général, les effectifs de la direction centrale de la police aux frontières (PAF) sont bien allés patrouiller sur le terrain aux côtés de ceux de la Sécurité publique puisque l'activité dans les aéroports, les ports et les centres de rétention administrative était quasi nulle.
Monsieur Mohamed Soilihi, à Mayotte, les enjeux ne relèvent pas vraiment de la police judiciaire. Il s'agit, d'une part, de faire face aux violences que vous avez évoquées, et, d'autre part, de traiter le flot de migrants irréguliers qui arrivent quotidiennement dans l'île en provenance des Comores. Ces sujets sont donc du ressort de la sécurité publique et de la police aux frontières.
Toutefois, la réforme permet dorénavant au DDPN, en fonction des situations auxquelles il est confronté, de faire appel à la PAF pour renforcer les services en charge de l'ordre public, ou, réciproquement, de faire appel aux services en charge de l'ordre public pour renforcer les services de la PAF afin d'effectuer les retours aux frontières dans les meilleures conditions possibles.
Monsieur Bonnecarrère, vous semblez douter de l'augmentation du nombre d'enquêteurs ; je vous assure qu'il n'y a pas de chiffres maquillés. Je m'en suis moi aussi inquiété : lorsque l'on s'exprime devant le Sénat ou l'Assemblée nationale, on aime bien être certain de ses chiffres. Nous faisons la différence entre des chiffres budgétaires et la réalité, car il arrive qu'une mission de police judiciaire soit donnée à des agents qui n'exercent pas véritablement une fonction d'enquête. Nous nous sommes concentrés sur les agents qui traitaient des procédures et qui pourront se consacrer à la mission d'investigation. Ces chiffres peuvent être discutés, mais ils nous ont été communiqués par les directions centrales concernées.
Parallèlement, vous noterez que nous nous inscrivons dans une démarche d'augmentation du nombre d'officiers de police judiciaire. Une question m'a été posée à propos des assistants d'enquête. Il s'agit selon moi d'une excellente idée - d'autant plus que, je dois vous l'avouer, j'en suis un peu à l'initiative.
Lorsqu'on fait des réformes pour simplifier la procédure, les enquêteurs ont bien souvent le sentiment qu'on ressort avec encore davantage de contraintes. L'idée était donc de dégager du temps aux enquêteurs en les libérant des actes purement formels de la procédure. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur le modèle des juges d'instruction, qui disposent de greffiers de justice. Leur tâche sera d'appeler les avocats, le médecin ou la famille, de rédiger des réquisitions -- autant d'actes qui occupent actuellement près d'un tiers du temps de la procédure. Je peux vous dire que cette mesure est très favorablement accueillie dans l'ensemble des services concernés.
Est-ce raisonnable de faire la réforme maintenant ? Il y a toujours de bonnes raisons pour ne pas faire de réforme : des échéances électorales, des événements... Lorsqu'on pose un diagnostic sur des difficultés quotidiennes, il faut avoir le courage de ne pas se contenter de petites mesures ponctuelles si l'on veut redonner une dynamique et du sens au travail policier. Nous n'avons pas vraiment le choix ; à mon sens, soit on fait cette réforme en 2023, soit on ne la fera jamais.
Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d'avoir souligné les effets positifs en Guyane et à Mayotte, pour des raisons et des problèmes différents. À Mayotte, nous sommes confrontés à des flambées de violences, plutôt d'ordre public, tandis qu'en Guyane ce sont plutôt des questions de délinquance. Le ministre de l'intérieur se rendra en Guyane le week-end prochain - je suppose qu'il fera des annonces.
Je vous confirme par ailleurs que la CDI est mise en place à Mayotte et qu'elle fonctionne. J'ai bien conscience que permettre à des territoires de devenir des circonscriptions de police est une attente forte des élus locaux, notamment à Koungou. Toutefois, c'est une décision qui n'appartient évidemment pas au directeur général de la police nationale, mais au Gouvernement.
Monsieur Marc, vous nous dites que la présence de policiers sur le terrain est nécessaire pour la prévention. C'est tout le sens des instructions que nous donne, de manière répétée, le ministre de l'intérieur. La réforme des cycles horaires, dont la création d'un cycle binaire, en cours de généralisation, nous permet d'avoir plus de policiers sur le terrain.
Des renforts permanents ou des compagnies de CRS et de gendarmerie mobile sont également envoyés dans certaines métropoles. Demain, nous l'espérons, la présence importante de réservistes de la police nationale apportera un concours décisif aux missions de police. Nous continuerons, j'en suis sûr, à renforcer le lien police-population.
Sur la cybercriminalité, nous allons dévoiler un plan cyber dans les semaines qui viennent. Nous vous en communiquerons les éléments.
Les escroqueries en ligne sont un fléau qui a tendance à se répandre et à se généraliser. Nous avons mis en place, depuis le mois de mars dernier, la possibilité de porter plainte en ligne, ce qui présente plusieurs avantages.
D'abord, elle facilite le dépôt de plainte des victimes.
Ensuite, la multiplication des escroqueries sur internet provoque des dépôts de plainte dispersés, ce qui conduit à une multiplication des enquêtes sans grande cohérence. Nous pouvons désormais faire des rapprochements et lancer une seule enquête là où on en faisait auparavant vingt-cinq ou trente. Le dispositif de traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries (Thesee) est la démonstration de ce que nous devons mettre en place à l'avenir.
Monsieur Sueur, je vous remercie des compliments que vous m'avez adressés au sujet de la conclusion de mon propos liminaire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Ils sont sincères !
M. Frédéric Veaux. - Pour revenir au propos de M. le procureur général près la Cour de cas de cassation, je pense que les problèmes doivent être traités dans leur ensemble, et non petit bout par petit bout. Nous dialoguons avec le ministère de la justice - cela me paraît absolument nécessaire -, avec les magistrats sur place, et avec la direction des affaires criminelles et des grâces. L'indépendance de la justice est un principe auquel personne ne peut déroger. Vous avez évoqué la complexité de la procédure pénale. Alors même que des projets ou des propositions de loi nous paraissent aller dans le bon sens, nous avons parfois le sentiment que quelques amendements viennent compliquer les choses.
M. Jean-Pierre Sueur. - Seule solution, les ordonnances ! (Sourires.)
M. Frédéric Veaux. - Il faut aussi prendre en compte les effets de la jurisprudence. Les normes européennes vont s'imposer à nous, nous devons y réfléchir.
L'épaisseur du code de procédure pénale montre qu'il est indispensable de s'atteler à ce chantier, ce qui, si j'ai bien compris, semble être la volonté du garde des sceaux.
Vous avez parlé d'affaires d'ampleur nationale ou internationale. J'ai connu Marseille à une époque où des Corses, des Lyonnais ou des Parisiens venaient tuer des voyous marseillais. Aujourd'hui, les choses se jouent davantage entre la Castellane et la Paternelle, avec des enjeux plutôt locaux, même si nous savons que l'activité de ces groupes criminels peut avoir des répercussions nationales et internationales. L'organisation de la DCPJ, qui sera la même pour la DNPJ, nous permettra d'aborder ces problèmes.
Problème supplémentaire, avec l'explosion de la cybercriminalité, une grande partie de cette délinquance sera demain virtualisée. La question de la compétence territoriale sera un sujet secondaire.
Madame Harribey, vous avez dit que mon propos vous avait mis mal à l'aise, que j'avais considéré que c'était « circulez, il n'y a rien à voir ». Je le redis, nous nous appuyons sur des rapports et sur des diagnostics, faits notamment dans le Livre blanc de la sécurité intérieure. Nous nous rejoignons sur les constats ; certains proposent des solutions - en général, toujours la même - et d'autres non. Je suis partisan de trouver une solution au problème. Mais je suis d'accord avec vous, une réforme doit être comprise.
C'est ce que j'essaie de faire du mieux possible avec les mots qui sont les miens, au sein d'une organisation, celle de la police nationale, qui est hiérarchisée. Ce n'est ni un club ni un forum, c'est une administration où s'exerce l'autorité, où l'on emploie la force, où chacun à son niveau doit exercer et assumer ses responsabilités, ce qui revient aussi à expliquer le sens des décisions prises, à faire remonter les observations dans le cadre du dialogue social, qui est parfois compliqué. Les organisations syndicales de la police nationale peuvent être turbulentes, mais j'en accepte le principe car celles-ci tiennent leur légitimité d'un vote.
Vous avez évoqué un problème de ressources humaines. Nous avons eu des renforts, nous faisons des efforts de formation des officiers de police judiciaire. Des efforts supplémentaires doivent sans doute encore être faits : la création de l'Académie de police nous permettra d'aller en ce sens.
Vous m'avez interrogé sur la Corse. À ma connaissance, nous n'avons pas de projet relatif à l'organisation de la police en Corse, à part celui que je porte pour la direction générale de la police nationale.
Monsieur Bas, je ne peux qu'adhérer à votre remarque sur la nécessité de simplifier la procédure pénale pour faciliter la tâche des enquêteurs. Vous avez parlé d'une crise possible des vocations, un constat que nous avons dressé. Nous y avons travaillé au travers de la coordination nationale de l'investigation pour identifier l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. La police judiciaire est la dernière mission dans la police nationale : on est personnellement responsable de ce que l'on fait. On doit des comptes à son chef, au magistrat qui vous a saisi, à la société, aux avocats et à la presse qui peut vous interpeller sur votre action à l'occasion d'un procès. C'est sans doute difficile à assumer pour les enquêteurs. Ces métiers nécessitent une grande disponibilité : il est difficile de travailler sur une affaire de trafic de stupéfiants aux heures ouvrées. Il faut répondre jour et nuit, 7 jours sur 7. Je l'ai fait pendant de très nombreuses années et je comprends que ces contraintes soient aujourd'hui difficilement supportables comparé à d'autres formes d'organisation du temps de travail. D'autres champs d'activité ont des contraintes équivalentes - je pense au parquet, pour lequel le ministère de la justice a aussi du mal à trouver des candidats.
Les exigences et les complexités sont croissantes. Cette réforme concerne l'organisation ; pour tout ce qui touche au quotidien des enquêteurs, nous y travaillons dans d'autres cadres afin de susciter des vocations. Certains jeunes hésitent à entrer dans la police en craignant de devoir faire du police-secours pendant cinq ou dix ans avant de pouvoir rejoindre une unité d'investigation : c'est pourquoi nous permettons de suivre une formation d'OPJ dès l'école de gardiens de la paix pour permettre l'intégration dans un service d'investigation 30 mois après l'entrée à l'école.
Nous devons aussi imaginer d'autres formes de recrutement. La police offre un panel de métiers : la police judiciaire, le renseignement, l'ordre public, l'international... Heureusement, on constate toujours un intérêt pour tout ce qui touche à l'investigation.
Madame Boyer, vous avez déploré l'organisation en tuyaux d'orgue avec la justice et l'administration pénitentiaire. Je vais d'abord essayer de franchir cet obstacle pour la police nationale, avant de m'attaquer aux autres ! Nous sommes très attachés au continuum de sécurité, depuis la police municipale jusqu'à la décision finale - la sanction - et son exécution.
M. François-Noël Buffet. - Je vous remercie d'avoir partagé avec la commission ces informations - et parfois vos doutes. Les constats semblent être assez largement partagés : la crise des vocations dans la police judiciaire est connue depuis plusieurs années maintenant. Nous assistons sans doute à un changement de culture s'agissant de la capacité à s'investir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les problèmes viennent aussi probablement du statut, de la rémunération et de la question de la reconnaissance des difficultés rencontrées par cette partie de la police.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 45.