Mercredi 27 juillet 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie - Examen du rapport d'étape
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Au regard des enjeux juridiques et politiques de la nouvelle période institutionnelle qui s'ouvre à l'issue de la troisième consultation relative à l'autodétermination et à la demande du président Gérard Larcher, nous avons créé en février dernier, au sein de la commission, une mission d'information relative à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, dont je suis rapporteur aux côtés de Philippe Bas, Hervé Marseille et de Jean-Pierre Sueur.
Guidés par un esprit de dialogue et d'écoute, nos travaux se sont déroulés en trois temps.
Premièrement, nous avons mené un cycle d'auditions d'experts en droit en amont de notre déplacement en juin dernier.
Deuxièmement, nous nous sommes rendus cinq jours en Nouvelle-Calédonie au cours desquels nous avons rencontré un très grand nombre d'acteurs politiques, coutumiers, économiques et sociétaux, et nos collègues Pierre Frogier et Gérard Poadja.
Ainsi, notre mission s'est rendue dans chacune des trois Provinces, à Nouméa, à Ouvéa ainsi qu'à Koné. Nous avons conduit 36 auditions sur une cinquantaine d'heures environ et auditionné près de 110 personnes. Nous nous sommes recueillis à Ouvéa sur la stèle des gendarmes et le tombeau des 19 de Wadrilla. Nous avons assisté à l'inauguration de la place de la Paix à Nouméa, où une très belle statue immortalisant la poignée de main historique entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur a été dévoilée.
À notre retour, nos travaux se sont poursuivis par de nouvelles auditions, notamment des acteurs de la justice judiciaire et administrative, qui traitent de contentieux mélangeant droit commun et droit coutumier.
La mission s'est attachée à rencontrer le plus grand nombre d'acteurs possible, dans le temps, nécessairement limité, qui lui était imparti. Je remercie l'ensemble de nos interlocuteurs, et ce n'est pas une formule de style : bien que le dialogue soit aujourd'hui distendu entre les parties - j'y reviendrai -, tous ont accepté de discuter avec nous, ce qui était déjà en soi une réussite. Ils font confiance au Sénat, qui bénéficie d'un a priori très favorable : la relation particulière qu'entretient le Président du Sénat avec le territoire n'y est pas étrangère.
Nous avons essayé de remplir notre mission du mieux possible, et la liberté de parole a été totale. Le fil directeur de notre démarche a donc été d'instaurer un dialogue attentif, en nous montrant à l'écoute de tous les acteurs. J'insiste sur ce point, nous avons constamment adopté une position de dialogue et d'écoute humble.
À l'issue des auditions que nous avons menées, nous constatons que des visions antagonistes demeurent quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Malgré tout, un consensus se dégage au sein de la population comme parmi les acteurs politiques, institutionnels, économiques et sociaux pour essayer de parvenir, par le dialogue, à un accord sur l'avenir du territoire.
Le cycle de négociations ouvert par le Gouvernement, maintes fois repoussé et longtemps attendu par les parties, ne doit pas être une occasion manquée de renouer le dialogue. Le retard de plus d'un an déjà pris pour l'engagement des discussions envisagées par le Gouvernement dès juin 2021 et la cristallisation des antagonismes entre forces politiques calédoniennes à la suite de la consultation du 13 décembre 2021 incitent à chercher sans retard des moyens de négocier sereinement et à ouvrir de nouveaux horizons. Les contacts n'ont à ce jour toujours pas repris : cette attente est trop longue.
Convaincus que le dialogue demeure le seul chemin viable pour la Nouvelle-Calédonie, nous avons travaillé à l'établissement d'une méthode de négociation susceptible d'être acceptée par l'ensemble des parties prenantes, préalable nécessaire au bon déroulement des négociations à venir.
Nourris des échanges conduits avec les parties prenantes de l'avenir calédonien, nous proposons aujourd'hui une méthode structurée autour de six propositions.
Première proposition : garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien. L'État a l'absolue obligation d'organiser un processus de négociations de la manière la plus ouverte et la plus transparente possible. Chacun doit pouvoir exprimer ses positions, quelles qu'elles soient.
Deuxième proposition : élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie. Le sujet institutionnel est majeur, mais ce n'est pas le seul : quel avenir et quel développement économique pour la Nouvelle-Calédonie ? Comment gérer un destin collectif ?
Troisième proposition : écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne. Nombreux sont ceux qui veulent prendre leur avenir en main : il faut les écouter. Je signale que la Nouvelle-Calédonie, qui compte 275 000 habitants, en a perdu 17 000 entre 2010 et 2020. Le monde économique est aujourd'hui en retrait en raison de l'instabilité institutionnelle.
Quatrième proposition : s'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie. Ce n'est pas un toc du Sénat ! On le sait, les maires font vivre leurs communes et sont au quotidien en contact direct avec l'ensemble de la population.
Cinquième proposition : associer pleinement, et ce, dès le début, le Parlement aux discussions relatives à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, car il aura à connaître des évolutions législatives et constitutionnelles en la matière. Le Gouvernement présentera nécessairement un texte que nous devrons examiner : autant en être saisi le plus tôt possible pour ne pas le découvrir à la dernière minute...
Sixième et dernière proposition : conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques. La solution viendra en effet d'un accord politique mais qui devra ensuite être traduit, correctement, sur un plan juridique.
Pour conclure, le processus qui s'engage doit dépasser celui qui s'achève aujourd'hui. Autrement dit, « l'après-Nouméa » ne saurait constituer une simple actualisation de l'accord de Nouméa. Il faut repenser les choses, dans la durée. Les enjeux, tout comme les attentes à l'égard du Parlement et, partant, du Sénat, sont très forts.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - C'est avec émotion que je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie. Avec Philippe Bas et François-Noël Buffet, nous avons reçu un bon accueil, notamment grâce à Pierre Frogier, que je salue.
Le premier jour de notre arrivée, nous sommes allés à Ouvéa, pour nous recueillir sur la stèle des gendarmes puis sur le tombeau des 19 Kanaks : cet acte a été perçu comme un signe d'ouverture et de dialogue.
À la suite des entretiens que nous avons eus, il me semble qu'un chemin existe pour dessiner l'avenir. Il faut reconnaître la spécificité de la Nouvelle-Calédonie, tout en prenant en compte le fait que peu de personnes imaginent couper totalement le lien avec la France. Mais il ne faut pas précipiter les choses ! L'annonce d'un référendum en 2023 par le gouvernement précédent était prématurée. Des difficultés constitutionnelles existent : sur quel fondement l'organiser s'il devait être autre chose qu'un référendum national ? Car s'il faut modifier la Constitution, il faudrait s'y prendre très tôt.
L'impartialité de l'État, évoquée par François-Noël Buffet, est importante.
Aussi, je tiens à rappeler que les discussions doivent être menées sans tabou. En effet, l'autodétermination est prévue par l'accord de Nouméa et il faudra certainement évoluer sur la question de la liste électorale.
Après 34 ans de cohabitation entre tous, malgré les graves problèmes, notamment économiques, qui se posent aujourd'hui, il serait temps de renouer un vrai dialogue. Pour cela, il ne faut pas annuler les voyages ministériels prévus ni demander aux parties de venir à Paris sans les avoir consultées. Le dialogue doit être organisé sur place, avec tous les acteurs.
Par ailleurs, nous devons prêter attention aux nominations gouvernementales. Certains choix n'envoient pas un bon signal...
Enfin, Jean-François Merle, que nous avons entendu, dit qu'il n'y a pas de solution toute faite en Nouvelle-Calédonie, rien de ce que nous avons en magasin n'est applicable. Trois référendums ont été organisés, mais les conditions dans lesquelles le troisième a eu lieu ne permettent pas de clore l'ensemble des questions.
La situation n'est pas facile, mais en s'inspirant des hommes qui ont fait preuve de bonne volonté depuis 34 ans, il est possible de continuer le chemin.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Après cette allusion à Jules Romain, je résumerai mon sentiment en disant que nous sommes dans un entre-deux : ce n'est plus « Nouméa » et ce n'est pas encore « l'après-Nouméa ». Nous sommes dans une période de tous les risques, qui ne doit pas s'éterniser. L'incertitude entraîne un marasme économique : une partie de la population a quitté le territoire et les acteurs économiques hésitent à investir. Mais elle a aussi un effet politique : les référendums que l'on a devant soi unissent les parties calédoniennes dans une perspective politique, mais une fois qu'ils ont eu lieu ils divisent la Nouvelle-Calédonie suivant des clivages qui recouvrent largement le périmètre des communautés ethniques.
Dès juin 2021, le Gouvernement a choisi de s'inscrire dans un calendrier volontariste en annonçant un référendum de projet avant juin 2023. Pour cela, deux conditions doivent être remplies : il faut un projet et il faut pouvoir organiser un référendum ! Or ces deux points soulèvent de nombreuses interrogations.
S'agissant du projet, le Gouvernement le prépare-t-il avec des interlocuteurs qu'il choisit ou anime-t-il un dialogue entre parties calédoniennes ? Une fois qu'on a posé la question, on a la réponse : la solution ne peut être durable si elle est une décision unilatérale du Gouvernement. Le projet doit forcément reposer sur un accord, qu'il faut préparer par le dialogue. Or il n'y en a pas eu, ni avant le référendum du 13 décembre 2021, pour cause de campagne électorale, ni après, en raison des élections législatives et présidentielle. Le gouvernement nommé avant les élections législatives a compris qu'il était plus que temps d'agir s'il voulait tenir le calendrier : il a donc annoncé un déplacement de la ministre de l'outre-mer, mais elle n'est pas restée en fonctions. Le nouveau ministre a annoncé sa venue, avant de reporter son voyage.
On aurait pu imaginer que, sans visite ministérielle, des relations soient nouées avec les loyalistes et avec les indépendantistes, avant que l'ensemble des parties prenantes soient réunies. Mais le Gouvernement a annoncé unilatéralement la tenue d'une réunion du comité des signataires de l'accord de Nouméa. Est-ce l'instance la plus appropriée pour négocier ? Une partie des signataires n'est plus en fonctions, voire est décédée. La convocation de cette instance n'a pas été préparée par un dialogue bilatéral avec chacune des parties.
Les indépendantistes considèrent qu'après le troisième référendum, dont ils ont contesté la tenue, le Gouvernement a pris fait et cause pour l'une des parties contre l'autre : ils ne veulent pas participer à la réunion sans avoir au préalable dialogué directement avec l'État. Le calendrier annoncé, avec une excellente intention, par le gouvernement de l'époque est de plus en plus difficile à tenir. L'écriture du projet n'a pas encore commencé, et les positions sont plus antagoniques qu'elles ne l'ont jamais été.
Imaginons néanmoins que le Gouvernement engage une discussion respectueuse sur le projet avec chaque partie calédonienne et que cette discussion aboutisse en temps utile pour organiser un référendum en juin 2023 : nous sommes alors confrontés à un autre problème. Il faut que le référendum soit constitutionnellement possible, mais on ne trouve pas de terrain solide pour organiser cette consultation si elle devait prendre une autre forme qu'un référendum national.
Pas de projet, pas de référendum : comment tenir le calendrier du « référendum de projet » ?
Difficulté supplémentaire, des élections provinciales ont lieu en 2024, avec un corps électoral restreint, dont une partie des inscriptions est « gelée » depuis plusieurs décennies. Ce corps restreint se justifiait par le fait que les élections provinciales informaient la composition du Congrès de Nouvelle-Calédonie et, donc, du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, trois institutions qui « détermineront » l'avenir du territoire. L'accord de Nouméa prévoit que la citoyenneté calédonienne devait s'exprimer pour les élections déterminant la composition des organes de la collectivité néo-calédonienne. Le corps électoral restreint pour les élections provinciales a été conçu dans le cadre du processus d'autodétermination, qui est juridiquement clos. La dérogation constitutionnelle au principe de l'universalité du suffrage peut-elle survivre à l'achèvement de ce processus ? La question n'est pas simple à résoudre. Si le projet, qui devra notamment permettre de définir le corps électoral des élections provinciales, n'a pas fait l'objet d'un consensus à une date permettant d'organiser celles-ci en 2024 comme prévu, les difficultés seront encore accrues.
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de faire ce rapport d'étape : il est temps de tirer la sonnette d'alarme. Nous risquons en effet de nous retrouver dans une impasse si des initiatives ne sont pas prises très rapidement pour rétablir un processus de négociation.
M. Patrick Kanner. - Merci aux rapporteurs pour ce travail intéressant.
Je fais mienne la première préconisation sur l'impartialité de l'État. Le président Bas a évoqué cette période d'entre-deux et les risques qu'elle comporte. Dans une tribune publiée dans Le Monde le 10 juillet dernier, Jean-François Merle prévient qu'il « ne suffit pas d'être impartial en son for intérieur. Il faut aussi ne pas donner prise, par son comportement, ses relations ou ses intérêts, au soupçon de partialité. » Il visait la nomination de Sonia Backès au Gouvernement, qui est autorisée, contrairement à la tradition républicaine, à rester également présidente de la province Sud.
Quel risque pose ce cumul de fonctions ? Nous connaissons les positions politiques tranchées de Sonia Backès.
Est-ce un acte politique assumé ? Peut-il être considéré comme une provocation par une partie de la population de Nouvelle-Calédonie ?
M. Mathieu Darnaud. - Je salue le travail des rapporteurs. La situation est complexe : le chemin existe mais les problèmes ne doivent pas être méconnus.
Le président Kanner a évoqué l'impartialité, qui me semble importante.
Je veux relever deux autres points.
Philippe Bas a souligné la difficulté du Gouvernement à renouer le dialogue. Quel rôle peut jouer le Sénat ? Il faudra composer avec toutes les parties prenantes sur l'ensemble des problèmes, notamment le problème économique, qui change la donne.
Par ailleurs, une partie des acteurs est exclue du corps électoral et ne peut pas prendre part aux décisions les concernant. Comment résoudre le problème épineux du corps électoral ?
M. Henri Leroy. - Je remercie la commission des lois d'avoir pris cette initiative. L'État se désintéresse de la Nouvelle-Calédonie, hormis le Sénat - Pierre Frogier a participé à l'accord de Nouméa et a suivi sur le terrain l'évolution du territoire. Vos six propositions correspondent parfaitement à ce qu'attendent les non-indépendantistes. Les indépendantistes, eux, ne croient qu'en une seule solution : l'indépendance.
Pierre Frogier peut nous éclairer sur l'impact de la mission que vous avez menée : il connaît très bien la côte est, qui est, avec certaines îles, le coeur du territoire des indépendantistes. J'ai commandé une compagnie de gendarmes dans cette région pendant quatre ans. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est une terre révolutionnaire. Il y a plus d'un siècle, le chef Ataï est parti de l'île des Pins pour dévaster les Blancs de la côte est. Récemment, des événements importants et dramatiques ont eu lieu. Or, les Calédoniens ont l'impression que le Gouvernement se désintéresse d'eux. Ce désintérêt risque d'aboutir à une troisième intervention sanglante.
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Personne ne le souhaite.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci pour ces explications qui permettent à ceux qui ne sont pas des spécialistes de ces questions, dont je fais partie, de mieux les appréhender.
Le titre XIII de la Constitution, consacré à la Nouvelle-Calédonie, contient des « dispositions transitoires ». A-t-il toujours une existence juridique ou est-il en quelque sorte « périmé » depuis la fin du processus de Nouméa ?
La question de la composition des listes électorales revient régulièrement. Est-ce vraiment un point essentiel à partir duquel tout se noue ou un éternel prétexte pour ne pas aborder plus généralement « le projet » ?
Enfin, la Nouvelle-Calédonie est-elle un sujet autonome ou existe-t-il un arrière-plan océanien ? J'ai été marri de découvrir qu'un élu indépendantiste avait pris la tête de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale.
Mme Lana Tetuanui. - Merci pour le travail engagé.
Je rejoins ce que vient de dire Philippe Bonnecarrère. La vraie question qui se pose aujourd'hui est la suivante : quelles sont les intentions de la France à l'égard des collectivités du Pacifique ? Même les Polynésiens se posent cette question, et je crois qu'y répondre doit être le préambule avant d'entamer autre chose - je parle sous le contrôle du sénateur de la Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier. On ne peut plus parler aujourd'hui de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie sans évoquer ses voisins, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. À 20 000 kilomètres de distance, nos destins sont liés !
L'assemblée de Polynésie a rendu au Sénat un rapport sur ce que décideraient les 6 500 Polynésiens vivant en Nouvelle-Calédonie au cas où celle-ci deviendrait indépendante : retourner au fenua ou rester sur le territoire calédonien ? Tout dépendra de ce qui se passera réellement, mais nous ne sommes plus dupes.
Dans quinze jours, le gouvernement de la Polynésie recevra une nouvelle fois le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie. En ce moment, les indépendantistes calédoniens viennent souvent à Papeete demander le soutien de leurs amis polynésiens. Vu de la Polynésie française, on a l'impression qu'une partie d'entre eux ne veulent plus discuter avec Paris... On a bien compris que les indépendantistes n'avaient pas reconnu les résultats du dernier référendum.
Il ne faudra pas oublier d'associer la Polynésie française et Wallis-et-Futuna dans les prochains travaux que nous mènerons.
Quoi qu'il en soit, je vous félicite, messieurs les rapporteurs. Encore une fois, nous apposons la marque du Sénat dans nos collectivités du Pacifique. En tant que sénatrice de la Polynésie française, j'en suis fière !
M. Alain Richard. - Les trois rapporteurs ont présenté avec beaucoup de finesse et de hauteur de vue les embûches qui se dressent sur le chemin d'une solution qui puisse être partagée. On ne peut qu'en convenir.
Nous savons que les positions des représentants des diverses familles politiques de Nouvelle-Calédonie sont éloignées et que les états d'esprit sont peu tournés vers la confiance.
Nous pouvons, bien sûr, affirmer le rôle constructif du Sénat et sa force de proposition pour avancer, mais je souhaite vous alerter sur les répercussions qui pourraient découler, dans les futures discussions, du sentiment qu'il y aurait une discorde à Paris. La parole est libre et la critique politique toujours légitime, mais, si les acteurs du territoire comprennent qu'une grande assemblée comme le Sénat met en cause la démarche du Gouvernement, cela ne facilitera pas la poursuite du travail dans les deux prochaines années.
Mme Françoise Gatel. - Je veux vous remercier pour la qualité de votre travail et l'état d'esprit avec lequel vous l'avez mené. Vous avez d'ailleurs dit, avec une certaine émotion et beaucoup d'humanité, la nécessité d'être respectueux et humble sur cette question d'une grande complexité - notre collègue Alain Richard l'a rappelé. Je pense que le Sénat s'honore à anticiper une question difficile, qui va se poser rapidement et qui est essentielle. Il me paraît pertinent de mettre sur la table les écueils à éviter.
Au-delà de la Nouvelle-Calédonie se pose, comme le disent Philippe Bonnecarrère et Lana Tetuanui, une question quasi existentielle : celui du projet de la France en outre-mer et avec les collectivités ultramarines.
Je crois que, dans notre pays, le commun des mortels, dont je fais partie, a perdu une certaine culture de l'outre-mer. Il convient de rappeler les enjeux, notamment internationaux, y compris aux sénateurs de l'hexagone.
Nous devons être extrêmement vigilants sur les préoccupations et les craintes de nos concitoyens. Elles ne facilitent pas l'action sur ce dossier.
M. Pierre Frogier. - Je veux de nouveau vous remercier sincèrement de cette initiative. Je vous remercie de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie et de l'image que notre Haute Assemblée, à cette occasion, a une nouvelle fois renvoyée en Nouvelle-Calédonie. Vous l'avez indiqué, le président Larcher a lui-même des contacts réguliers avec les différents acteurs politiques. Je suis persuadé que le Sénat, représentant des territoires, prendra une part essentielle à une nouvelle solution, à condition de déterminer les causes du trou d'air dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Nous n'avons pourtant pas manqué, depuis des années, d'essayer d'attirer l'attention des gouvernements sur l'issue du processus référendaire, qui, en réalité, n'a rien réglé.
Monsieur Bonnecarrère, comme Lana Tetuanui l'a rappelé, une revendication indépendantiste en Polynésie française n'est pas de même nature qu'une revendication indépendantiste en Nouvelle-Calédonie. Le peuple polynésien existe ! En Nouvelle-Calédonie, quoiqu'un certain nombre de responsables politiques l'affirment, il n'y a pas de peuple calédonien : il y a deux communautés, d'égale importance. La revendication indépendantiste a été l'occasion pour l'une de ces communautés de s'identifier par rapport à l'autre. Pour cette raison, la solution n'est pas dans l'indépendance ou l'absence d'indépendance.
Je le réaffirme, le problème aujourd'hui n'est pas tant de reconstruire ou de déconstruire les relations avec la France que de redéfinir les conditions d'exercice du pouvoir et des responsabilités en Nouvelle-Calédonie entre ces deux communautés humaines d'égale importance, l'une se revendiquant d'une antériorité historique, l'autre se revendiquant d'une majorité, expression de la volonté démocratique.
Je veux rappeler quelques éléments déterminants qui ont permis que, quoi que l'on dise, à la Nouvelle-Calédonie de vivre en paix pendant plus de trente ans. Si les choses se sont effectivement détériorées il y a une quinzaine d'années, ce n'est pas par hasard.
En 1988, après la réélection de François Mitterrand et le drame d'Ouvéa, le nouveau Premier ministre Michel Rocard engage des discussions, à Matignon, entre les délégations du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) et du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Ces négociations aboutissent à la signature, le 26 juin 1988, des accords de Matignon, complétés en août suivant par l'accord Oudinot. Ces accords furent scellés par la fameuse poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.
La Nouvelle-Calédonie plurielle et provincialisée s'engageait sur la voie du rééquilibrage, c'est-à-dire de la décolonisation, mais la fracture politique restait présente. C'est pourquoi les accords de Matignon, en 1988, ont renvoyé à dix ans plus tard la réponse à la question politique - dix ans consacrés à reconstruire, pour ensuite, sur ces bases pacifiées, répondre à un scrutin d'autodétermination.
Le statut né de Matignon et Oudinot est novateur. Il est simple, mais on a eu le génie de comprendre que les solutions à tous les problèmes dans ce territoire pluriel ne se satisfont pas d'une application sans nuances des procédures, si légitimes par ailleurs, de la démocratie majoritaire, car la Nouvelle-Calédonie doit établir la paix entre sa majorité favorable à la France et sa forte minorité favorable à l'indépendance. Les accords de Matignon ont permis d'imaginer une solution : le territoire est partagé entre trois entités géographiques de manière à permettre que, dans certaines d'entre elles, les indépendantistes, c'est-à-dire les représentants du peuple premier, soient majoritaires. La règle majoritaire est contournée sur l'ensemble du territoire pour mieux la retrouver au niveau des nouvelles collectivités qui le composent, c'est-à-dire les provinces. La paix, je le répète, est revenue par les provinces, par la satisfaction des indépendantistes d'occuper enfin, eux aussi, leurs lieux de pouvoir et par la reconnaissance de cette situation par les non-indépendantistes.
Ce schéma novateur est simple, car il écarte l'équation impossible d'un gouvernement devant représenter la diversité. Il confie l'exécutif territorial aux représentants de l'État impartial, mais il est assisté d'un conseil consultatif composé des représentants des trois provinces ainsi que du Congrès, gouvernement territorial constitué par l'addition des trois assemblées de province élues.
Les accords de Matignon sont véritablement le fondement d'une Calédonie nouvelle en paix et sur la voie du rééquilibrage, grâce à l'oeuvre bénéfique du partage provincial. La compétence de principe a été attribuée aux provinces.
Au même moment, en 1992 et 1993, chacun a compris qu'il était nécessaire de contourner le référendum d'autodétermination prévu en 1998, raison pour laquelle nous avons négocié l'accord de Nouméa. Or, si le préambule de celui-ci est un document exceptionnel, extraordinaire, on a oublié, dans la mise en oeuvre de l'accord, l'enracinement des accords de Matignon. La paix, le respect mutuel, le dialogue dans les différences, c'est l'héritage des accords de Matignon.
Le corps électoral restreint de l'accord de Nouméa que j'ai négocié en 1998 n'est pas celui qui a été mis en oeuvre à partir de 2007. Dans la mise en oeuvre de l'accord, ce ne sont plus les provinces, alors qu'elles sont toujours désignées comme détenant les compétences de principe, qui exercent ces compétences, du fait d'une disposition prise en faveur du congrès de la Nouvelle-Calédonie, lequel délibère aujourd'hui, par des lois du pays, sur des dispositions législatives. Progressivement, pendant vingt ans, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a aspiré les compétences des provinces. On a rapidement oublié d'où viennent les accords de Matignon et, aujourd'hui, je puis affirmer que, des provinces, il ne reste que le souvenir de ces gardiennes de la diversité qui avaient su ramener la paix. Dans son efficace simplicité, le schéma institutionnel des accords de Matignon organisait l'expression du pluralisme des assemblées provinciales. Malheureusement, l'accord de Nouméa a renié les légitimités provinciales et consacré le Congrès, regroupant les assemblées de province, comme assemblée délibérante majeure.
Alors que l'accord de Nouméa traduisait, à sa naissance, la recherche du consensus, par l'exclusion du référendum couperet prévu en 1998, il nous a entraînés à trois reprises dans tous les dangers des marécages référendaires.
Devant tous les reniements de l'esprit des accords de Matignon par les dispositions de l'accord de Nouméa, vous comprendrez le sens des diverses propositions que j'ai déjà eu l'occasion d'exposer dans cette assemblée et qui se réfèrent naturellement à l'acte fondateur de paix et de pluralisme en Nouvelle-Calédonie. C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que toute solution d'avenir devra s'inscrire dans la réaffirmation de la voie tracée à Matignon en 1988.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Merci pour ces interventions extrêmement riches. Merci à Pierre Frogier de son exposé.
Pour faire suite à ce qu'ont pu dire Alain Richard et Patrick Kanner, je veux souligner que notre but n'est certainement pas de mettre de l'huile sur le feu ni de contrarier l'action du Gouvernement. Le sujet demande une grande responsabilité de chacun. En choisissant de vous présenter un rapport d'étape, nous souhaitons justement que vos contributions, mes chers collègues, puissent nourrir le rapport final.
Sonia Backès a déclaré, dans la presse calédonienne, non seulement qu'elle allait cumuler ses fonctions de ministre du Gouvernement avec la présidence de la province Sud, ce qui est déjà problématique, mais aussi qu'elle serait membre de la délégation loyaliste dans les discussions qui auront lieu. Comment un membre du Gouvernement peut-il d'emblée s'inscrire d'un côté quand l'impartialité de l'État est nécessaire pour avancer ? La situation risque d'être difficile.
Philippe Bonnecarrère, vous avez évoqué des dispositions transitoires. Je crois que vouloir trancher les choses trop définitivement serait une erreur ! Bien sûr, la question de l'élection de 2024 se pose, mais le rapprochement demandera du temps et passera nécessairement par une démarche bilatérale. Le Gouvernement doit parler avec les différentes parties, et cette discussion doit avoir lieu sur place. Nous le disons en tant que parlementaires et dans l'intérêt de la Nouvelle-Calédonie.
Pour ce qui concerne plus largement l'Océanie, il est évident qu'il y a un contexte. Les indépendantistes parlent beaucoup de l'Organisation des Nations unies (ONU). Ils voudraient y être reconnus : certains aimeraient, par exemple, obtenir le statut d'observateur. Je n'ai pas d'avis sur ce sujet ; nous ne prendrons pas position. Il faut laisser les discussions avoir lieu.
À ce sujet, j'ai toujours senti de part et d'autre, même dans les déclarations un peu raides, qu'une perche était tendue pour dialoguer.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je veux à mon tour remercier les collègues qui se sont exprimés.
Je souscris très largement à ce que vient de dire Jean-Pierre Sueur. C'est précisément parce que nous sommes conscients des dangers de la période actuelle qu'il nous paraît de notre devoir d'alerter sur la nécessité d'engager le processus de discussion avec les parties calédoniennes dans des conditions qui lui permettent d'aboutir. Or nous avons identifié un certain nombre d'obstacles, qu'il convient de lever. Nous nous bornons à le dire, de manière, je le crois, constructive.
Mathieu Darnaud, la discussion qui s'engage ne pourra pas éluder la question incontournable du corps électoral. Elle se posera, de toute façon, pour l'organisation des élections provinciales de 2024 : le corps électoral actuel peut-il encore être utilisé pour ces élections ?
Philippe Bonnecarrère s'est demandé si le titre XIII de la Constitution, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », continuait à être applicable. La réponse est oui. « Transitoire » ne veut pas dire « temporaire », mais une transition doit tout de même s'achever ! Il me semble que certaines des dispositions prises en application du titre XIII s'appliqueront durablement, quand d'autres, comme le corps électoral, peuvent soulever des difficultés, en ce qu'elles constituent des dérogations aux principes constitutionnels jugées conformes à la Constitution en raison de leur caractère transitoire. Certaines des dérogations aux principes fondamentaux de la République qu'il comporte soulèvent des problèmes d'application dès lors que le troisième référendum d'autodétermination a eu lieu, même si la légitimité de celui-ci est contestée par une fraction importante des parties calédoniennes.
Oui, la question des listes électorales est essentielle, mais elle ne l'est pas davantage que d'autres questions tout aussi fondamentales. En réalité, s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, il n'y a jamais eu d'obstacle constitutionnel à la mise en oeuvre d'un accord. Tout est dans l'accord ! Les accords passés étaient manifestement incompatibles avec la Constitution française : elle a été révisée.
La question des majorités politiques renvoie à l'alternative entre unilatéralisme et accord. Si un gouvernement propose une solution unilatérale de portée constitutionnelle et vient devant le Parlement pour l'imposer, ses chances d'aboutir sont très réduites. En revanche, un accord, quelles que soient les dérogations qu'il puisse comporter par rapport à notre ordre constitutionnel, aura une probabilité plus élevée, voire une probabilité élevée, d'emporter la décision du Parlement, voire du Congrès s'il revêt une dimension constitutionnelle.
La question est-elle purement calédonienne ou océanienne ? Nous progressons fortement dans notre approche des questions des collectivités ultramarines, en différenciant autant qu'il est possible les situations. Ce qu'a expliqué Pierre Frogier sur la différence de situation entre la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie m'a convaincu : en effet, la situation est peut-être plus simple sur le plan des communautés dans la première que dans la seconde, où le peuple premier et la population d'origine européenne sont d'importance démographique à peu près égale, quoique le périmètre de ces communautés soit parfois difficile à établir, chacun revendiquant comme siennes des parties de la population qui se situent entre les deux.
Je ne commenterai pas ce que Françoise Gatel, dont l'approche est, comme toujours, très mesurée, et Pierre Frogier ont dit sur l'historique et le reniement des accords de Matignon par la manière dont ont été appliqués les accords de Nouméa. Nous abordons là les questions de fond. Elles ne nous sont pas étrangères, mais, à ce stade, nous essayons surtout de mesurer les conditions dans lesquelles les points de vue pourraient être rapprochés, sans en épouser aucun. Je crois que le devoir d'impartialité que nous assignons au Gouvernement s'impose aussi à nous en cette période. Nous avons jusqu'à présent évité de nous prononcer sur ce que pourrait être le canevas d'un accord entre les parties. Celles-ci ne se sont du reste pas suffisamment confiées à nous pour que nous puissions vraiment avoir une idée à son sujet.
Toutefois, le travail à venir consistera tout de même pour nous à regarder d'un peu plus près ces questions de fond, y compris dans leurs dimensions juridiques. J'y insiste : chaque fois qu'il a été question de la Nouvelle-Calédonie, les questions juridiques ont été résolues. C'est l'accord qui commande.
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je répète avec beaucoup d'insistance ce qu'est notre volonté.
Sur le fond, les dispositions transitoires du titre XIII présentent une forme de fragilité juridique, singulièrement en prévision des élections de 2024. Le rapport met en évidence la position des juristes que nous avons auditionnés sur ce point particulier, mais celui-ci n'est pas le seul qui doive être regardé compte tenu de tous les enjeux qui existent.
Que la commission des lois du Sénat cherche à imposer une solution toute faite serait à la fois maladroit et présomptueux. Notre volonté est de dresser un état des lieux de la situation et d'essayer de trouver autant que faire se peut les voies et moyens permettant de construire une méthode pour essayer d'aboutir à un accord, qui sera porté par le Gouvernement et discuté par le Parlement le moment venu, mais qui viendra avant tout du terrain. Ce n'est pas une position de retrait : nous considérons que notre rôle, à ce moment précis du processus, consiste à faciliter les choses et à ne pas crisper les situations. Si nous voulons servir et les intérêts de la Nouvelle-Calédonie et les intérêts du pays, nous devons nous inscrire dans cette logique.
Je répète ce qui a été dit à l'attention d'Alain Richard : nous ne recherchons pas la polémique. Nous sommes convaincus que le dialogue doit s'instaurer et que la confiance doit être retrouvée. Nous pensons sincèrement et profondément que, si nous voulons avancer, les engagements pris doivent être tenus. Le premier élément sera la confiance.
Les propositions sont adoptées par la commission.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 10 h 30.