- Mardi 19 juillet 2022
- Jeudi 21 juillet 2022
- Audition de M. Gilles Pijaudier-Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), sur le rapport annuel de la Commission pour 2021
- Audition de Mme Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et de M. Jean-Christophe Niel, directeur général, sur le rapport annuel de l'Institut pour 2021
Mardi 19 juillet 2022
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, doyen d'âge, puis, et de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 17 h 25.
L'Office procède à la nomination de son Bureau
M. Gérard Longuet, sénateur, président d'âge. - Chers collègues députés et sénateurs, j'ouvre la première réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de la XVIe législature en ma qualité de président d'âge, qualité au demeurant fort agréable. Elle prouve que ma vie politique est derrière moi et que je n'ai rien à y espérer ni à y craindre.
Comme vous le savez, l'Office réunit sur un plan strictement paritaire dix-huit députés et dix-huit sénateurs. Le renouvellement de l'Assemblée nationale nous a privés de Cédric Villani. J'en suis désolé. Esprit brillant, il avait une autorité intellectuelle incontestable.
Je souhaite en tout premier lieu saluer les nouveaux membres, nous pourrons ainsi faire connaissance. Il s'agit de Christine Arrighi, députée de Haute-Garonne et membre du groupe écologiste dans le cadre de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), Maud Bregeon, élue des Hauts-de-Seine et appartenant au groupe Renaissance, Moetai Brotherson, élu de Polynésie française et membre du groupe de la Gauche démocrate et républicaine - Nupes, Hadrien Clouet, député de Haute-Garonne, qui appartient à La France insoumise (LFI) - Nupes, tout comme Hendrik Davi, député des Bouches-du-Rhône, Olga Givernet, députée de l'Ain, membre du groupe Renaissance, Perrine Goulet, députée de la Nièvre, membre du groupe Modem et Indépendants, Victor Habert-Dassault, député de l'Oise, appartient au groupe Les Républicains et vient participer aux travaux de l'Office après sa réélection, Aurélien Lopez-Liguori, élu du département de l'Hérault, qui appartient au groupe du Rassemblement national, Yannick Neuder, député de l'Isère, membre du groupe Les Républicains. Jean-François Portarrieu vient quant à lui de la Haute-Garonne et appartient au groupe Horizons, Alexandre Sabatou est élu de l'Oise sous l'étiquette du Rassemblement national. Il en est de même pour Jean Philippe Tanguy, qui est élu de la Somme, département que j'ai connu au siècle précédent en tant que directeur de cabinet du préfet.
Permettez-moi également de féliciter les députés qui étaient membres de l'Office pendant la précédente législature et qui reviennent avec la confiance renouvelée de leurs électeurs. Ainsi, je salue Philippe Bolo, Jean Luc Fugit, Pierre Henriet, Gérard Leseul et Huguette Tiegna.
Je déplore que nous ayons perdu des collègues qui s'étaient beaucoup impliqués, tels Julien Aubert, Didier Baichère, Émilie Cariou, Jean-François Eliaou, Valéria Faure-Muntian, Claude de Ganay et Antoine Herth. Thomas Gassilloud nous a quittés car il assure désormais la présidence de l'éminente commission de la Défense nationale et des forces armées. D'autres députés réélus ne siègent désormais plus à l'Office : il s'agit d'Anne Genetet et Patrick Hetzel, tout comme Jean-Paul Lecoq et Loïc Prud'homme.
Je ne serai pas long à brosser le fonctionnement de l'Office à l'intention de ses nouveaux membres car il est satisfaisant. La mission de l'Office est de donner aux parlementaires l'état de l'art sur un sujet scientifique à un moment précis. Nous le faisons à la demande des commissions compétentes ou du bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat, et dans le cadre d'un principe fondamental, la parité entre sénateurs et députés. Cependant, nous avons développé au fil du temps une certaine capacité d'action proprio motu sur des thèmes que nous pouvons déterminer. Lorsqu'il est saisi, l'Office produit un rapport, certes complet et lourd, mais ayant l'immense avantage de faire, de manière pertinente, l'état des lieux d'un sujet ardu. Néanmoins, il a pour inconvénient d'être parfois réalisé après la bataille médiatique. Pour autant, à l'image du Monstre du Loch Ness, les sujets scientifiques réapparaissent souvent de façon récurrente dans l'espace public et si notre travail peut sembler être « en retard » au moment où il sort, il est souvent « en avance » par rapport aux développements ultérieurs du sujet dont il traite. Utilisés et réutilisés, nos travaux forment un socle doctrinal sur lequel le Parlement peut s'appuyer pour prendre des décisions ou exercer sa mission de contrôle.
Comment arriver à un accord ? Le travail s'effectue la plupart du temps au sein d'un binôme composé d'un député et d'un sénateur travaillant de concert sans considération politique. En conséquence, le contexte de travail est intellectuellement passionnant, mais parfois difficile. Il y a eu des rapports - rares, heureusement - pour lesquels l'arbitrage de la sémantique a pris un temps considérable afin d'être sûr de ne trahir personne. À l'instar du travail en commission, l'objectif n'est pas de renier nos convictions respectives. Au contraire, il faut les exprimer. Même si l'expérience prouve que se dégagent des consensus assez larges, l'Office ne travaille pas dans une perspective monolithique et sait faire place au caractère différent - mais non pas dissident - ou à la note plus personnelle des rapporteurs afin de restituer la vérité de leurs travaux.
Je souligne que l'Office exige un investissement conséquent. C'est peut-être pourquoi l'effectif des membres durablement actifs diminue le temps passant. Les réunions se succèdent à un rythme de trois semaines sur quatre en moyenne. Les matinées sont longues, mais intellectuellement passionnantes. Il n'est pas rare qu'elles s'achèvent à 13 heures.
Malheureusement, dans la vie parlementaire, il est fréquent que la notoriété ne soit pas directement en proportion de l'importance du travail accompli. L'on peut devenir très compétent sur un sujet donné dans l'indifférence médiatique générale. Je peux vous l'assurer, car ma vie parlementaire dure depuis quarante-quatre années. Or, malgré tout, nous nous sentons concernés par la façon dont notre travail est connu des électeurs. Il n'est donc pas inutile de faire connaître ce que nous faisons. L'autorité de l'Office permet de montrer un travail collectif dans sa vérité. Il est certes rapporté, par un élu, mais celui-ci le fait au nom de l'Office et donc en celui du Parlement. C'est pourquoi ce travail n'est pas pris pour un simple message politique porté par une personne recherchant avant tout une gloire personnelle.
En définitive, il n'est pas ingrat de s'investir dans cette mission. Nous ne sommes d'ailleurs pas contraints de travailler sur tout et tout le temps. Très honnêtement, je peux dire que tout parlementaire membre de l'Office éprouve une certaine fierté à constater que le travail collectif qu'il rapporte fait autorité, y compris au sein des milieux scientifiques avec lesquels nous avons d'excellentes relations. Les invitations et sollicitations qu'ils nous adressent prouvent qu'ils ne nous considèrent pas comme tout à fait inutiles. Réciproquement, nous les recevons, car ils sont eux-mêmes absolument passionnants. Voici donc un résumé extrêmement bref du travail de l'Office parlementaire.
En qualité de doyen d'âge, je dois désormais passer à l'ordre du jour, qui appelle la désignation du bureau de l'Office. Aurélien Lopez-Liguori et Alexandre Sabatou étant les deux plus jeunes parlementaires présents, ils sont secrétaires d'âge et devront venir m'encadrer s'il y a lieu de procéder à un scrutin.
Le bureau comprend d'abord le président qui, en application de la règle de l'alternance entre nos deux assemblées, doit jusqu'en septembre 2023 nécessairement être un député. Par conséquent, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous annonce avec tristesse que, si vous aviez des ambitions, elles ne peuvent s'exprimer maintenant. Le premier vice-président appartient ipso facto à l'autre assemblée, en l'occurrence le Sénat. Son mandat s'achèvera en septembre 2023. Le bureau compte aussi six vice-présidents, à savoir trois députés et trois sénateurs.
Je me tourne vers nos collègues députés afin de connaître les candidatures à la présidence. Je suis saisi des candidatures suivantes :
- Mme Huguette Tiegna (groupe Renaissance) ;
- M. Pierre Henriet (groupe Renaissance) ;
- M. Hendrik Davi (groupe La France Insoumise - Nupes).
Puisqu'il y plus d'un candidat, nous devons procéder à un scrutin à bulletins secrets. Pendant que les bulletins de vote sont distribués, je vais demander à chacun des candidats, par ordre alphabétique, de se présenter.
M. Hendrik Davi, député. - Je suis Hendrik Davi, député de la cinquième circonscription des Bouches-du-Rhône. Vous le savez, Marseille est une grande ville universitaire. Moi-même, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture l'alimentation et l'environnement (Inrae), j'ai longtemps été observateur au Conseil scientifique de l'Institut national de recherche agronomique (Inra). En tant que chercheur, je connais donc bien les questions générales liées aux forêts et à l'agronomie. J'ai également suivi une formation en épistémologie en validant un master en la matière en sus de mon doctorat d'écologie. En conséquence, je suis familier des questions et des choix scientifiques. J'ajoute que, depuis quelques années, je suis actif dans le débat public, non comme parlementaire, mais comme syndicaliste, citoyen et chercheur.
M. Pierre Henriet, député. - Je me nomme Pierre Henriet et je suis député de la cinquième circonscription de Vendée. J'étais membre de l'Office pendant la précédente législature. J'ai également été rapporteur pour avis du budget sur les crédits de la recherche et membre du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) ainsi que membre du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI). J'effectue aussi des travaux de recherche en épistémologie et je suis professeur de mathématiques. Par conséquent, comme vous tous ici, je suis passionné par les sujets relevant de la science et de la technologie. Pendant mon précédent mandat, j'ai eu l'occasion de travailler sur deux rapports très intéressants. Le premier portait sur l'intégrité scientifique, avec mon collègue sénateur Pierre Ouzoulias, et nous avons réussi à mettre à l'honneur les travaux de l'Office. Juste avant la campagne électorale, nous avons rendu, sur saisine de la Commission de la culture du Sénat, un rapport sur la science ouverte pour lequel notre amie sénatrice Laure Darcos nous avait rejoints.
Mme Huguette Tiegna, députée. - Je suis Huguette Tiegna. Avant d'être députée, j'étais chercheuse dans le domaine de l'innovation. Je développais des moteurs électriques qui auront la chance d'équiper vos véhicules d'ici 2025.
J'ai depuis toujours été passionnée par la science, et quand j'ai été élue en 2017, j'ai tout de suite voulu intégrer l'Office. Par la suite, j'ai eu la chance d'en être vice-présidente et de travailler sur de nombreux rapports avec nos collègues du Sénat, notamment avec Stéphane Piednoir sur les mobilités du futur et avec Angèle Préville sur la recherche polaire. Les derniers travaux que j'ai conduits sont relatifs au biomimétisme et aux innovations technologiques concernant le handicap.
Je me présente aujourd'hui parce que j'ai une conviction. Je me réjouis que l'Office respecte la parité entre l'Assemblée et le Sénat, mais depuis sa création en 1983, aucune femme ne l'a présidé. Nous avons l'occasion de changer cela. Toutefois, comme l'a rappelé Gérard Longuet, l'Office est une affaire de compétences et de travail collectif. Si vous me faites l'honneur de m'élire, je serai ravie de travailler avec vous et de tous vous représenter au-delà de ce qui peut nous séparer politiquement.
M. Gérard Longuet, sénateur, président d'âge. - Le scrutin va être ouvert. Même si cela n'est pas prévu par les textes organisant l'Office, j'invite les sénateurs à ne pas prendre part au vote. J'entends que nos collègues sénateurs aient des préférences, des voeux ou des souhaits, mais cette affaire concerne avant tout les députés. Ainsi, la paix des ménages est assurée.
Je rappelle qu'au premier et à l'éventuel deuxième tour de scrutin, est élu le candidat qui recueille la majorité absolue des suffrages. La majorité relative n'est requise qu'à un éventuel troisième tour de scrutin.
Résultats du scrutin :
- nombre de votants : 16 ; suffrages exprimés : 16 ; majorité absolue : 9.
Ont obtenu :
- M. Hendrik Davi : 2 voix ;
- M. Pierre Henriet : 12 voix ;
- Mme Huguette Tiegna : 2 voix.
En conséquence, M. Pierre Henriet, ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés, est proclamé président.
Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Mes chers collègues, présider l'Office est un grand honneur. J'aurai à coeur d'être digne de la confiance que vous me portez en m'élisant aujourd'hui. Au cours de ses trente-neuf années d'existence, l'Office a montré sa capacité à mettre en oeuvre une expertise scientifique minutieuse qui permet de se projeter sur le temps long, celui de la réflexion. À ce titre, Georges Clemenceau disait que « Le temps de la réflexion, c'est le Sénat ». Je compte donc sur nos amis sénateurs pour épauler les nouveaux députés présents à l'Office.
M. Gérard Longuet, sénateur. - De surcroît, Georges Clemenceau était un Vendéen qui n'aimait pas le Sénat.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Certes, mais il a quand même été seize ans sénateur et son désamour est donc tout relatif. L'Office organise des auditions publiques sur des sujets d'actualité, réalise des programmes d'étude sur saisine des commissions permanentes ou des bureaux de nos deux assemblées et peut élaborer des notes scientifiques sur proposition de ses membres. De nombreux défis climatiques, énergétiques et alimentaires sont devant nous. Nous ne manquerons donc pas de sujets. Je compte sur l'implication de chacun des membres ici présents sur ce point.
La qualité des travaux doit beaucoup aux nombreuses personnes qui ont présidé et animé l'Office. Je veux particulièrement saluer Gérard Longuet qui en est depuis longtemps un membre éminent. J'ai également une pensée pour Bruno Sido qui a présidé l'Office et qui en est d'ailleurs toujours membre. Ils sont des fidèles. Bien évidemment, je remercie Cédric Villani avec qui nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler pendant la précédente législature. Je resterai fidèle à son approche en prenant l'asymptote à la courbe et en tendant vers le consensus au sein de l'Office afin que tous nos travaux puissent refléter cet esprit. Gérard Longuet l'a fort bien rappelé tout à l'heure. Il s'agit de la « marque de fabrique » de l'Office et je compte sur chacun des membres pour que celui-ci reste notre emblème.
Enseignant les mathématiques et effectuant des travaux de recherche en épistémologie ainsi qu'en philosophie des sciences, je souhaite valoriser encore davantage nos travaux auprès du Parlement et du grand public. Je ferai en sorte que chaque membre de l'Office trouve sa place et la possibilité de se mobiliser sur les sujets qui lui tiennent à coeur. Je prévois d'ailleurs de rencontrer chacun d'entre vous afin que nous puissions échanger sur vos sujets de prédilection et sur les travaux en cours. Vous avez d'ailleurs eu communication de la liste des travaux en cours et récemment réalisés.
Enfin, j'attire votre attention sur la grande vigilance que nous, acteurs politiques, devons démontrer afin de renouer le lien entre la science et la société. Face à la défiance montante, à l'heure où l'on confond parfois trop souvent croyance, opinion et fait scientifique, l'Office doit davantage accompagner la communauté scientifique. Son action doit permettre que la décision politique ne puisse être entravée par des débats, des commentaires ou des postures qui font dire tout et son contraire aux données et aux faits scientifiques. Une dernière fois, je remercie chacun de vous pour la confiance que vous m'avez témoignée et je vous assure que je continuerai à transmettre cet état d'esprit qui fait la force de notre Office.
Nous allons maintenant procéder à l'élection du premier vice-président. Je rappelle que celui-ci doit être un sénateur afin que nous puissions constituer parfaitement un binôme. J'invite ceux de nos collègues sénateurs qui désirent faire acte de candidature, ou présenter une candidature, à se faire connaître.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Je présente la candidature de Gérard Longuet.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je constate qu'il n'y a pas d'autres candidatures, il n'y a donc pas lieu de procéder à un scrutin. En conséquence, Gérard Longuet est élu premier vice-président et je l'en félicite.
M. Gérard Longuet, sénateur, est élu premier vice-président par acclamations. -
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous allons maintenant procéder à l'élection des vice-présidents. Trois sièges reviennent à des députés et trois sièges à des sénateurs. Il y a donc lieu d'opérer séparément l'élection des vice-présidents issus de chaque chambre. J'invite d'abord ceux de nos collègues députés qui désirent faire acte de candidature ou présenter une candidature à se faire connaître. Elles peuvent provenir de tous les groupes politiques.
Je suis saisi des candidatures suivantes :
- M. Philippe Bolo (groupe Démocrate (Modem et Indépendants)) ;
- M. Jean-Luc Fugit (groupe Renaissance) ;
- M. Victor Habert-Dassault (groupe Les Républicains) ;
- M. Gérard Leseul (Socialistes et apparentés (membre de l'intergroupe Nupes)) ;
- M. Jean-Philippe Tanguy (groupe Rassemblement national) ;
- Mme Huguette Tiegna (groupe Renaissance).
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Étant l'une des plus anciennes membres de l'Office, je rappelle qu'une certaine représentativité politique doit être recherchée. Les trois vice-présidents qui seront élus ne peuvent être de la même couleur politique.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je suis d'accord avec vous et lors de cette élection, nous ferons au mieux pour représenter la diversité des groupes présents à l'Assemblée nationale.
J'invite maintenant chacun des candidats à se présenter.
M. Jean-Luc Fugit, député. - Je suis Jean-Luc Fugit, député du Rhône, membre de l'Office depuis cinq ans, enseignant-chercheur en chimie et ancien vice-président de l'université Jean-Monnet-Saint-Etienne. À l'Office, j'ai principalement travaillé sur des questions environnementales, notamment sur la rénovation énergétique, les questions spatiales, ainsi que sur la Covid, en relation avec la pollution l'air. En effet, je préside bénévolement le Conseil national de l'air. Je suis donc chimiste de formation et de métier et je suis très engagé sur les questions environnementales.
M. Gérard Leseul, député. - Je suis Gérald Leseul, député socialiste de la Seine-Maritime et cadre d'entreprise. J'ai été pendant vingt ans professeur associé à l'université en économie d'entreprise et je suis membre de l'Office depuis l'élection partielle de 2020. Depuis cette date, j'ai beaucoup travaillé avec quelques complices et collègues députés et sénateurs, sur la vaccination et la crise Covid. Je salue Florence Lassarade, Sonia de La Provôté et j'ai une pensée pour Jean-François Eliaou. À travers ces rapports, je suis convaincu que nous avons apporté une contribution positive à la notoriété de l'Office.
Mme Huguette Tiegna, députée. - Je me suis présentée tout à l'heure. J'ai déjà été vice-présidente de l'Office et, bien sûr, je souhaiterais continuer dans ce sens.
M. Philippe Bolo, député. - Je suis Philippe Bolo, député du Maine-et-Loire, ingénieur agronome de formation, dans la spécialité génie rural, plus spécialement la physique des surfaces naturelles. Ceci est en relation avec la télédétection, notamment la capacité à observer les propriétés physiques des couverts végétaux. J'ai eu la chance de travailler quelques années au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et à l'Inrae et d'évaluer différents programmes de recherche sur les risques naturels et sur le génie civil du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. J'ai la chance d'avoir été membre de l'Office pendant la précédente législature et d'avoir participé à la réalisation de cinq rapports. Le premier s'intitulait « L'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance ». Avec Angèle Préville, j'ai aussi contribué à la rédaction d'un long rapport intitulé « Pollution plastique, une bombe à retardement ? ». Il a bénéficié d'un franc succès et fait l'objet d'un documentaire pour la télévision et de deux livres. J'ai également réalisé une note scientifique « Le microbiote intestinal » et un rapport en conclusion d'une audition publique sur « Les conséquences sur la santé des animaux d'élevage d'une exposition aux ondes électromagnétiques ». Enfin, j'ai réalisé avec le premier vice-président un rapport intitulé « Les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative des ressources en eau ».
M. Victor Habert-Dassault, député. - Je suis Victor Habert-Dassault, député de l'Oise. Si j'ai un curriculum vitae moins impressionnant que la majorité d'entre vous, j'ai « baigné » dans un monde industriel depuis ma prime enfance. Je suis titulaire d'un master de la London School of Economics (LES), où j'ai également étudié la philosophie des sciences. Par la suite, je suis devenu avocat, traitant notamment de problématiques d'innovation et d'industrie. En conséquence, je voudrais particulièrement m'investir dans le traitement des problématiques industrielles.
M. Jean-Philippe Tanguy, député. - Je suis Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme, diplômé de l'ESSEC ainsi que de l'Institut d'études politiques de Paris et spécialiste des questions industrielles et énergétiques.
J'ai commencé ma modeste carrière professionnelle à la présidence de General Electric France, auprès de Clara Gaymard. J'ai pu y constater la trahison systématique et le niveau de corruption des élites qui ont conduit à l'abandon d'un nombre considérable de filières scientifiques d'excellence, dans un contexte d'étrange confusion au sommet de l'État à propos de la science, qui a successivement mené à l'abandon de Superphénix, d'une part considérable de notre industrie nucléaire, et de la plupart des recherches en génie génétique et en pharmacie. Je pourrais disserter longtemps sur le sujet.
Je me suis engagé, d'abord auprès de Nicolas Dupont-Aignan puis auprès de Marine Le Pen, pour la défense de la souveraineté, qui est évidemment, au XXIe siècle, consubstantielle à la défense du génie scientifique et de la souveraineté technologique.
J'achève cette présentation en soulignant que l'Office est l'un des derniers organes à même de faire respecter le Règlement de l'Assemblée nationale. Celui-ci a été constamment bafoué dans l'ensemble des commissions permanentes puisque le Rassemblement national, premier groupe d'opposition, n'a obtenu aucune vice-présidence de commission permanente. Il a miraculeusement obtenu deux postes de secrétaire grâce au fait que certains élus sortaient parfois de réunion. Avec la commission chargée de l'apurement des comptes, l'Office est la dernière instance à pouvoir essayer de sauver l'honneur de ce Règlement qui, pour le moment, bafoue le vote de treize millions d'électeurs.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Merci à vous tous. Nous allons maintenant passer au vote. Comme pour le scrutin précédent, j'invite les seuls députés à voter pour les trois vice-présidents députés.
Résultats du premier tour de scrutin :
- nombre de votants : 16 ; suffrages exprimés : 16 ; majorité absolue : 9.
Ont obtenu :
- M. Philippe Bolo : 8 voix ;
- M. Jean-Luc Fugit : 6 voix ;
- M. Victor Habert-Dassault : 9 voix ;
- M. Gérard Leseul : 8 voix ;
- M. Jean-Philippe Tanguy : 3 voix ;
- Mme Huguette Tiegna : 4 voix.
M. Victor Habert-Dassault ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, il est élu vice-président. -
Il reste à pourvoir deux postes de vice-président. Nous allons donc poursuivre par un deuxième tour. Certains candidats souhaitent-ils retirer leur candidature ?
M. Jean Philippe Tanguy, député. - Oui et je vais aussi me retirer de la délégation le temps que vous finissiez vos histoires dignes de la IVe République. Je reviendrai après.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Monsieur Tanguy, j'aimerais vraiment vous voir rester dans l'esprit de l'Office qui a été bien décrit dans les échanges précédents.
Résultats du deuxième tour de scrutin :
- nombre de votants : 15 ; suffrages exprimés : 11 ; majorité absolue : 6.
Ont obtenu :
- M. Philippe Bolo : 3 voix ;
- M. Jean-Luc Fugit : 6 voix ;
- M. Gérard Leseul : 4 voix ;
- Mme Huguette Tiegna : 3 voix.
M. Jean-Luc Fugit ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, il est élu vice-président. -
Il reste à pourvoir un poste de vice-président. Il y a donc lieu de procéder à un troisième tour de scrutin, pour lequel seule la majorité relative est requise. Certains candidats souhaitent-ils retirer leur candidature ?
M. Philippe Bolo, député. - Je retire ma candidature au profit de celle de Jean-Luc Fugit.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Merci. Demeurent donc les candidatures de Huguette Tiegna et Gérard Leseul.
Résultats du troisième tour de scrutin :
- nombre de votants : 15 ; suffrages exprimés : 12 ; majorité absolue : 7.
Ont obtenu :
- M. Gérard Leseul : 9 voix ;
- Mme Huguette Tiegna : 3 voix.
M. Gérard Leseul ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés, il est élu vice-président. -
Je félicite les trois vice-présidents députés qui viennent d'être élus. Nous devons maintenant procéder à l'élection des trois vice-présidents issus du Sénat. Je suis saisi des candidatures de Sonia de La Provôté, Angèle Préville et Catherine Procaccia, qui sont vice-présidentes sortantes. Comme le nombre de candidatures n'est pas supérieur au nombre de postes à pourvoir, il n'y a pas lieu de procéder à scrutin. En conséquence, elles sont élues vice-présidentes de l'Office. Félicitations et merci pour la synthèse sénatoriale.
Sonia de La Provôté, Angèle Préville et Catherine Procaccia, sénatrices, sont élues vice-présidentes par acclamation.
Échange de vues
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vais maintenant évoquer les travaux à venir et les perspectives de l'Office. Comme je vous l'ai dit, je prendrai le temps de rencontrer l'ensemble des membres de l'Office afin d'échanger sur vos souhaits et vos idées.
Je rappelle que ce jeudi 21 juillet, a lieu à 9 heures 30 une audition du président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets nucléaires (CNE2) sur le rapport annuel de la CNE2 pour 2021. Suivra à 11 heures une audition de la présidente du conseil d'administration et du directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur le rapport annuel de l'Institut pour 2021.
Le Bureau de l'Office se réunira le jeudi 28 juillet, à 9 heures, afin que nous puissions rapidement décider du programme de travail de notre délégation à la rentrée prochaine.
Mme Huguette Tiegna, députée. - Pour la deuxième fois consécutive, les députés de l'Office n'élisent au bureau que des collègues de sexe masculin. La question de la féminisation n'est donc pas à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale. En conséquence, je tiens à remercier les personnes avec qui j'ai pu travailler depuis 2017, je vous souhaite un beau mandat pour les cinq ans à venir et je vais me mettre en congé de l'Office.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Merci Mme Tiegna. Je souligne que l'ensemble formé par les vice-présidents est paritaire puisqu'il est composé de trois femmes et trois hommes. Merci à vous tous pour votre participation active à une législature où l'Office devrait être particulièrement sollicité.
La réunion est close à 18 h 25.
Jeudi 21 juillet 2022
- Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Gilles Pijaudier-Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), sur le rapport annuel de la Commission pour 2021
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres et experts de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2), je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui à l'Assemblée nationale pour cette première audition de la nouvelle législature, deux jours à peine après la reconstitution de l'Office. La délégation de la CNE2 est particulièrement étoffée, ce qui n'est guère étonnant pour cette première rencontre de la législature, marquée par un fort renouvellement.
J'ai donc le plaisir de souhaiter la bienvenue à Messieurs Gilles Pijaudier-Cabot, président, Maurice Leroy, vice-président, Philippe Gaillochet, membre, et François Storrer, secrétaire général et conseiller scientifique, qui sont présents avec nous, dans cette salle. Sont par ailleurs connectés en visioconférence Madame Saida Laârouchi-Engström, membre, Messieurs Christophe Fournier et Jean-Paul Minon, membres, ainsi que Monsieur Emmanuel Ledoux et le professeur Robert Guillaumont, experts invités de la CNE2.
Avant d'en venir au sujet du jour, je tiens à honorer la mémoire d'un très grand savant, décédé voici un mois à peine, le paléontologue de renom Yves Coppens, codécouvreur de l'australopithèque Lucy, qui, à côté de ses nombreuses fonctions éminentes, a aussi été membre du conseil scientifique de l'Office.
Je tiens également à saluer le travail important réalisé par l'Office pendant la précédente législature, sous la présidence de Gérard Longuet et de mon prédécesseur Cédric Villani, qui a tenu bon la barre de l'Office durant les deux dernières années, particulièrement intenses sur le plan des enjeux scientifiques.
L'activité de l'Office ne s'est d'ailleurs quasiment pas interrompue, puisque nos collègues Sonia de La Provôté, Florence Lassarade et Gérard Leseul ont présenté leur rapport sur les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français, le 9 juin dernier, trois jours seulement avant le premier tour des élections législatives. Deux semaines auparavant, l'Autorité de sûreté nucléaire présentait à l'Office son rapport annuel sur le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France.
Les deux auditions prévues aujourd'hui s'inscrivent dans la continuité de la mission que le Parlement assume, en particulier au travers de l'Office, depuis le début des années 1990. Je veux parler du suivi attentif des conditions de contrôle de la sûreté nucléaire et de la gestion des déchets radioactifs. Le Parlement doit rester en permanence vigilant sur ces sujets pour assurer que l'intérêt public continuera de prévaloir sur les intérêts particuliers.
Comment est née la Commission nationale d'évaluation ? Le Parlement a défini des principes et des objectifs très clairs pour la recherche sur la gestion des matières et déchets radioactifs dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », du nom de l'un de nos illustres prédécesseurs, Christian Bataille, auteur, en 1990, du premier rapport de l'OPECST sur ce sujet. En établissant une commission scientifique indépendante du ministère chargé de l'énergie et de celui chargé de l'environnement, le Parlement a voulu créer un outil permettant de suivre les axes de recherche définis par cette loi.
Le travail de la commission s'étant avéré précieux, à la fois pour informer le Parlement et pour veiller à la bonne coordination des recherches menées, elle a été reconduite sous une forme légèrement modifiée, par la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. D'où l'acronyme CNE2.
Le rapport n° 16 de la CNE2 est un point d'étape important pour évaluer la situation dans ce domaine sensible de la gestion des matières et déchets radioactifs, ainsi que les évolutions envisageables, au travers des progrès de la science et des technologies. Nous n'hésiterons pas à poser des questions sur les points où cela apparaît nécessaire, tout en veillant à respecter la contrainte de temps, puisque cette première audition doit se terminer à 11 heures, heure à laquelle commencera l'audition de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Je donne, sans plus tarder, la parole à Monsieur Gilles Pijaudier-Cabot.
M. Gilles Pijaudier-cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2). - Je remercie l'Office d'accueillir la CNE2 pour la présentation de son rapport annuel. Depuis que je suis président, c'est la première fois que je fais cet exercice en présentiel. C'est un plaisir de voir les personnes en pied et non plus sur un écran.
Monsieur le Président, vous avez rappelé quelques éléments sur la CNE2. Je me permettrai de compléter votre propos et nous entrerons ensuite dans le vif du sujet. Nous avons voulu faire une exégèse en trois parties. Une fois n'est pas coutume, nous commencerons par un panorama international, puis nous aborderons deux sujets liés aux nouveaux réacteurs, au cycle du combustible et aux déchets. Je conclurai en disant quelques mots sur la formation, l'expertise et les compétences.
La CNE2 est composée de douze membres, qui exercent leurs fonctions bénévolement. Nous sommes indépendants de la filière nucléaire, ce qui est la moindre des qualités pour un groupe d'experts chargé de l'évaluation des études et recherches sur les matières et déchets radioactifs. Notre mission est de suivre et d'évaluer les travaux scientifiques et technologiques sur le traitement, l'utilisation, l'entreposage ou le stockage des matières et déchets radioactifs.
Nous nous sommes livrés, au premier trimestre de cette année, à une synthèse des cinq derniers rapports que nous avons publiés, en essayant d'en retirer, en particulier pour les personnes qui porteraient un oeil nouveau sur le sujet, la substantifique moelle. Je vous invite à lire la synthèse de ces cinq derniers rapports, qui est sous la forme de huit fiches d'une page ; elle est aussi disponible sur notre site.
Notre rôle est d'éclairer le Parlement sur les décisions qui doivent être prises sur des sujets qui concernent le cycle du combustible nucléaire, en tenant compte de leur impact économique, sociétal et environnemental. Parmi les douze membres de la CNE2, il n'y a pas que des technologues ou des scientifiques des sciences exactes ; il y a aussi un économiste et un sociologue, qui nous éclairent sur des enjeux qui sont un peu moins techniques.
Nous travaillons en auditionnant l'ensemble des acteurs de la filière, entre le mois de septembre et le mois de mars, à raison de deux auditions par mois. Ceci est complété par des visites techniques en France et à l'étranger. Nous avons passé, tout récemment, deux semaines en Amérique du Nord, à visiter des installations et à discuter avec les principaux acteurs américains et canadiens. Nous remettons aujourd'hui un rapport annuel qui fait un point d'étape. Ce rapport est transmis au Parlement, puis il est rendu public. L'usage veut qu'à la fin de l'audition, je vous demande l'autorisation de le rendre public. Comme le prévoit la loi, nous présentons aussi ce rapport au Comité local d'information et de suivi (CLIS) du laboratoire de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) à Bure (Meuse). Nous sommes également, comme nous l'avons été plusieurs fois depuis 2018, mandatés par l'Office pour étudier des sujets d'actualité : sur les déchets bitumés, l'impact de la crise du Covid et, plus récemment, les réacteurs innovants et leur impact sur le cycle du combustible.
Je commence la présentation du rapport en rappelant quelques éléments de contexte. Depuis 1980, les études et recherches sur les matières et déchets radioactifs sont alignées avec une stratégie nationale datant du milieu des années 1970, qui était bien définie et visait à l'indépendance énergétique, notamment suite au choc pétrolier, et à ce que la France puisse disposer d'une énergie électronucléaire, indépendamment et de façon souveraine. Cette stratégie a conduit à la construction du parc de réacteurs que nous connaissons. Elle s'inscrivait dans un objectif que l'on a qualifié de fermeture du cycle, même si le cycle n'est pas tout à fait fermé, nous en convenons. Comme nous l'avions noté dans nos deux derniers rapports, cette stratégie a connu des inflexions notables en 2019, avec la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Elle a connu aussi des inflexions au début de cette année, avec un certain nombre d'annonces.
Il était important que nous commencions par étudier ce que font les autres. Habituellement, nous le faisions à la fin de notre rapport ; en l'occurrence, nous avons voulu le faire au début.
Le panorama international peut être présenté en trois blocs. Le premier est le monde anglo-saxon, dont la stratégie principale est de reprendre le leadership, qui avait été abandonné à la Russie et à la Chine. Pour reprendre ce leadership, l'outil est la conquête de marchés internes et externes, motivée par l'urgence climatique. En parallèle des projets de réacteurs de forte puissance déjà engagés, les réacteurs envisagés sont de faible puissance. Par « faible puissance », on entend environ 300 mégawatts électriques ; une forte puissance est supérieure à 1 000 mégawatts électriques. Ces réacteurs sont en général modulaires, mais de conception classique, équivalente à celles des réacteurs à eau pressurisée que nous connaissons en France, ou des réacteurs à eau bouillante. On les qualifie de Small Modular Reactors (SMR). Ils peuvent aussi être de conception innovante, auquel cas ils sont qualifiés de réacteurs modulaires avancés (en anglais, Advanced modular reactors ou AMR). Les Anglo-Saxons n'ayant pas pour objectif la fermeture du cycle, les combustibles usés sont maintenus en entreposage, dans l'attente d'un stockage direct.
À côté de ce bloc, la Russie, la Chine et les principales puissances asiatiques poursuivent au contraire des objectifs de souveraineté énergétique qui les conduisent à essayer de valoriser le plus possible les matières et donc à fermer le cycle du combustible, de façon à être le plus autonome possible.
L'Europe, quant à elle, est probablement la zone la plus avancée sur le stockage de déchets de haute activité à vie longue, principalement en Suède et en Finlande, puisque ces pays ont pris des décisions et sont en train de construire leur stockage géologique. En revanche, sur les réacteurs innovants, nous ne trouvons guère que des études et des recherches « amont ».
Qu'est-ce que nous tirons de ce panorama ? Une évolution assez fondamentale, à savoir une dynamique importante autour de la conception de petits réacteurs modulaires, éventuellement innovants, mais pas nécessairement. L'aval du cycle n'est pas une priorité dans le discours, le cycle du combustible étant ouvert, c'est-à-dire que l'on entrepose les combustibles usés dans la perspective de leur stockage direct définitif.
Tout cela dépend d'une donnée économique, le prix de l'uranium, et de l'augmentation prévisible de la demande d'énergie électronucléaire. Si, dans le contexte actuel, le prix de l'uranium est assez modeste, nous pensons que l'hypothèse d'évolution de la demande en uranium naturel est susceptible de remettre en question le prix de l'uranium sur le marché, d'autant plus que l'uranium n'est pas produit en France. Les principaux producteurs sont l'Australie, le Canada, le Kazakhstan, la Chine et le Niger. Si le prix de l'uranium venait à augmenter, il faudrait s'affranchir de cette dépendance à des pays étrangers.
Après ce panorama, le premier volet du rapport concerne les nouveaux réacteurs et les options possibles pour le cycle du combustible en France. Pourquoi des réacteurs de petite taille ? Essentiellement parce qu'il est plus facile, avec des réacteurs de petite taille, de maîtriser la sûreté. Ces réacteurs peuvent être construits en série, ce qui permet de gagner en efficacité dans leur réalisation. Ils seront plus facilement intégrables dans un réseau parce qu'il ne sera pas nécessaire de connecter immédiatement une grande puissance. Le réseau peut être ainsi plus sûr et apte à intégrer plus facilement des énergies intermittentes.
La France cherche sa place dans ce mouvement, essentiellement en suivant deux voies. La première concerne le projet NUWARD, petit réacteur à eau pressurisée classique, à neutrons thermiques. Ce projet est piloté par EDF. La commission soutient ce projet, mais elle observe aussi, puisqu'il s'agit d'un réacteur destiné à l'exportation, essentiellement en Europe, que nos concurrents sont déjà très avancés, ainsi que nous avons eu l'occasion de le constater en Amérique du Nord. Il faut donc poursuivre dans cette voie, mais sans prendre de retard et en évitant d'éventuelles chausse-trappes technologiques, donc en simplifiant au maximum la conception du réacteur. Cette voie a été utilisée, en particulier par les Canadiens, pour déboucher très rapidement sur des objets industriels qui seront opérationnels dans la toute première moitié des années 2030.
La deuxième voie est celle des petits réacteurs modulaires à neutrons rapides refroidis au sodium. Ce sujet n'est pas étranger à l'Office. En France, cette voie permet de valoriser l'expérience qui a été celle de Rapsodie, Phénix, Superphénix et plus récemment Astrid, tout en proposant des objets de taille plus réduite. Cette voie a été ouverte dans le cadre de France 2030. À l'heure actuelle, le CEA étudie deux esquisses et nous pensons qu'il est nécessaire d'amplifier à nouveau la mobilisation des acteurs. Nos concurrents sont extrêmement avancés, même s'il faut regarder la concurrence avec un peu de sang-froid et ne pas se laisser abuser par des discours qui, s'agissant de projets portés par des start-up, peuvent plus s'apparenter à des sollicitations de levées de fonds qu'à des discours scientifiques bien étayés.
S'agissant d'autres types de réacteurs, le rapport en fait un bilan assez exhaustif. Dans le monde et en France, leur maturité technologique est très différente. Elle est beaucoup plus modeste, en particulier s'agissant des réacteurs à sels fondus et des projets de microréacteurs. Un microréacteur représente une dizaine de mégawatts électriques (MWe), un petit réacteur 300 MWe et un grand réacteur a une puissance de 1 000 MWe ou plus. Ces projets sont au stade des principes, pas encore tout à fait des esquisses. Les calendriers annoncés - une mise en oeuvre dans le courant des années 2030 - sont particulièrement ambitieux ; nous pensons qu'ils le sont un peu trop.
Un réacteur ne se fait pas sans y mettre du combustible, ce qui reviendrait à construire une voiture sans électricité ni essence. Il est important d'observer le cycle du combustible. Alors que la France avait une stratégie très déterminée, il reste aujourd'hui deux options possibles : la fermeture du cycle, fondée sur le recyclage des combustibles usés pratiqué actuellement, ou le cycle ouvert, c'est-à-dire l'abandon du recyclage. Pour nous, il s'agit d'un arbitrage de priorité entre, d'une part l'indépendance énergétique et la souveraineté énergétique du pays, d'autre part une volonté de modérer le coût de l'électricité et donc d'étaler dans le temps les investissements qu'il faudrait consentir pour aboutir à cette souveraineté énergétique. C'est un compromis, mais tout de même un arbitrage entre priorités.
Les installations existantes du cycle sont La Hague pour le retraitement des combustibles et Melox pour la fabrication des nouveaux combustibles à partir des matières issues du retraitement, les combustibles dits « MOX ». Ces installations devront être adaptées et renouvelées en 2040, date prévisible de leur fin de vie, surtout s'agissant de La Hague. Cette échéance implique que les décisions soient prises entre 2025 et 2030, pour laisser le temps aux études et aux instructions réglementaires, afin que les objets industriels soient opérationnels à temps. Sans arbitrage ni décision entre la souveraineté énergétique d'une part et la modération du coût de l'électricité d'autre part, ce choix risque fort de s'imposer à nous, d'être en fait un « choix subi », par le simple fait que les installations arriveront en fin de vie et qu'il sera trop tard.
Dans les deux cas de figure, une option qui s'appelle le multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée est apparue en 2019. Elle consiste à faire plusieurs passages des combustibles MOX dans le parc de réacteurs existant. Ce multi-recyclage ne nous semble pas avoir d'intérêt, pour plusieurs raisons. D'une part, les calendriers qui sont proposés ne le voient pas mis en oeuvre avant 2050 ou 2060. Pour cela, il faut construire de nouveaux EPR, pas les six premiers qui ont été évoqués dans le débat public, mais les suivants. D'autre part, cela conduirait à devoir construire des installations temporaires pour la gestion du cycle, différentes des installations suivantes, destinées aux réacteurs à neutrons rapides. Nous ne voyons donc pas vraiment d'intérêt significatif à cette étape. Il faut faire un choix, s'y tenir et ne pas prendre de chemins médians qui risqueraient de divertir les investissements qu'il faudra consentir dans un cas comme dans l'autre.
Concernant les déchets de haute activité à vie longue (HAVL), la commission affirme, depuis trois ans maintenant, que toutes les conditions scientifiques et techniques sont réunies pour que l'Andra dépose, sans délai, la demande d'autorisation de création (DAC) de l'installation de stockage Cigéo. Bien que l'on ne connaisse pas tout, on connaît le nécessaire. Il ne faut pas arrêter les recherches et des options sont encore à approfondir, mais le dépôt de la DAC est pour nous une urgence, dans la mesure où ce chantier durera 150 ans et que des optimisations éventuelles pourraient ainsi être instruites. Il est probable aussi que ce qui sera construit dans 120 ans ne soit pas ce qui est prévu aujourd'hui. Par contre, il est important d'avoir un exutoire pour ces déchets HAVL, d'autant plus que la France envisage de construire des installations qui produiront des déchets supplémentaires. Par ailleurs, la taxonomie européenne oblige à disposer d'une solution à l'horizon 2050, pour pouvoir bénéficier éventuellement de soutiens à l'investissement pour la construction de nouvelles installations électronucléaires. Le plus vite serait donc le mieux. L'Andra donne comme délai la fin de l'année. Espérons que cette fois-ci, il sera tenu.
Cigéo existe pour les déchets produits par le parc actuel. Pour un parc futur, il est raisonnable de se demander si nous pouvons faire autrement. L'année dernière, la commission avait consacré un chapitre à ce sujet, et cette année nous avons auditionné des acteurs. Nous constatons qu'il n'existe aujourd'hui aucune alternative équivalente au stockage géologique à l'horizon des vingt ou trente prochaines années. Pourquoi ? Parce que la stratégie globalement suivie est celle de la transmutation. Elle permet en particulier de transmuter l'américium qui génère énormément de chaleur. Transmuter l'américium permettrait d'avoir un stockage de taille plus réduite, donc d'économiser l'espace de stockage, qui est une ressource rare. En revanche, transmuter complètement l'américium va prendre du temps, à l'échelle d'un siècle, ce qui nous engage dans le maintien d'infrastructures appropriées pour la transmutation sur une très longue durée. Par ailleurs, la transmutation ne permet pas de s'affranchir d'un stockage géologique parce que tout n'est pas transmutable. Les déchets de moyenne activité à vie longue et certains produits de fission ne le sont pas. Il faudra donc tout de même disposer d'un stockage géologique profond. Je rappelle enfin que les déchets déjà produits sont ceux qui sont déjà intégrés dans des verres conçus pour être les plus stables possibles, si bien qu'il serait très difficile d'en extraire les produits de fission pour les transmuter. Aujourd'hui, à notre connaissance, il n'existe donc pas d'alternative.
On avance souvent qu'une solution alternative serait l'entreposage dit pérenne, c'est-à-dire un entreposage que l'on renouvellerait tous les 100 à 150 ans. Ce n'est pas une alternative, au sens où cet entreposage n'est pas un stockage mais nécessite de renouveler les installations et reporte donc le poids de la gestion de ces déchets sur les générations à venir. Par contre, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : l'entreposage est une nécessité pour la bonne gestion du cycle. Il est nécessaire d'entreposer les combustibles usés pour les refroidir, avant de les reprendre dans un processus industriel. Même si nous voulons faire du stockage direct, cette étape reste importante dans le cycle du combustible et elle risque de s'allonger avec la transformation éventuelle du parc de réacteurs. Les anciens vont continuer à produire des déchets qu'il faudra entreposer pour les faire refroidir et les nouveaux ne seront pas encore complètement opérationnels. Le stock va donc augmenter.
Il est important de souligner que la problématique du vieillissement des combustibles et des infrastructures d'entreposage n'est pas à négliger et qu'il faut impulser des recherches dans ce domaine, afin que les combustibles puissent, en temps utile, être repris, soit pour être retraités, soit pour être stockés. Quoi qu'il arrive, il faudra les reprendre. Il faut donc être en capacité de les reprendre dans de bonnes conditions.
Les déchets de faible activité à vie longue (FAVL) sont divers : des radifères et des graphites issus du démantèlement des centrales de première génération. Il est envisagé environ 300 000 mètres cubes à terminaison, avec 300 000 mètres cubes supplémentaires de déchets historiques à Malvési. Ces déchets sont faiblement radiotoxiques, ce qui suggère qu'ils pourraient être isolés en les stockant à au moins quelques dizaines de mètres, une profondeur beaucoup plus faible que les 500 mètres du projet de stockage géologique.
Nous constatons aujourd'hui qu'il n'existe pas de solution pour ces déchets. Pour les graphites, une solution est envisagée, mais elle pose des problèmes de démonstration de sûreté. Une concertation et une collaboration doivent avoir lieu entre l'Andra et les autorités de sûreté pour définir les scénarios, ce qui n'est pas facile pour une perspective de très long terme. Ce n'est pas la première fois que la commission indique qu'il n'existe pas de solution pour les déchets FAVL et nous sommes au regret de constater que les progrès en la matière ne sont plus incrémentaux.
Les déchets de très faible activité (TFA) sont les aciers et les gravats produits par le démantèlement et l'assainissement des installations nucléaires. D'après l'inventaire réalisé régulièrement par l'Andra, le démantèlement du parc produira un volume important de déchets TFA, soit deux millions de mètres cubes. À terminaison, le volume de ces déchets dépassera les capacités des sites de stockage existants. L'Andra travaille sur ce sujet, envisage des solutions et agrandit le centre de stockage actuel, le Cires. Les choses se déroulent bien, mais il faudra veiller à ce que ces projets d'extension de sites ne prennent pas trop de retard. Sans exutoire, il deviendrait nécessaire d'arrêter l'assainissement et le démantèlement, puis de mettre les installations sous surveillance, ce qui renchérirait le coût de ces opérations, une fois la décision prise d'arrêter les centrales. Il ne vous a pas échappé qu'il y a encore quelques hésitations sur le sujet, en France comme à l'étranger, ce qui est bien normal. Un calendrier doit être fixé et il faut veiller à ce qu'il soit bien tenu.
Je voudrais conclure par quelques mots sur les compétences. Les compétences doivent être à la hauteur des enjeux et il faudrait en particulier sortir de la tendance actuelle. Un chiffre nous a marqués. Le CNRS fait chaque année une enquête, dans ses laboratoires, pour savoir qui travaille dans des domaines touchant à l'énergie, en particulier l'énergie nucléaire. Le domaine nucléaire a connu une baisse de 30 % d'équivalents temps plein en cinq ans. Si cette tendance se poursuit, il n'y aura plus de cerveaux pour maintenir le parc, pour le faire fonctionner dans de bonnes conditions et il y aura encore moins de cerveaux pour s'occuper des projets futurs.
Il faut afficher une ambition claire de poursuite du développement de cette industrie, dans un mix énergétique décarboné. Cette ambition doit permettre de retrouver la disponibilité des ressources humaines, d'attirer les jeunes talents. On les attirera plus facilement avec des projets de réacteurs innovants qu'avec des projets de déconstruction des centrales actuelles. Bien que je ne sois pas certain que les enjeux techniques ne soient pas plus attractifs sur le démantèlement, il faut faire avec la psychologie.
Le deuxième élément important est celui de la disponibilité des infrastructures de recherche. Il faut être capable de qualifier des combustibles et des installations. Aujourd'hui, force est de constater qu'il y a très peu d'installations d'irradiation dans le monde. Pour vous donner un exemple, EDF souhaitait faire qualifier certains de ses combustibles. Or la seule installation disponible à l'heure actuelle est en Russie. Inutile de vous dire qu'aujourd'hui, ce n'est pas vraiment envisageable. Par conséquent, nous ne pouvons plus manipuler des quantités à l'échelle industrielle, dans des installations expérimentales, pour valider des processus industriels. Il est toujours possible de faire des validations en laboratoire sur quelques grammes, mais un chemin non négligeable reste à parcourir entre le gramme manipulé dans un laboratoire universitaire ou du CNRS et les dizaines de kilogrammes qu'il faut manipuler à une échelle industrielle. Ce passage est difficile et la collaboration internationale pose problème parce qu'il s'agit d'enjeux industriels, avec des dimensions de propriété intellectuelle importantes. Se rendre sur des installations à l'étranger oblige quasiment à ouvrir ses livres et donc à partager un savoir-faire industriel avec d'autres. Nous ne pouvons pas le faire avec n'importe qui et nos concurrents sont dans le même état d'esprit. Ils ne vont pas non plus ouvrir leurs livres aussi facilement. Il est donc important de disposer d'infrastructures de recherche, en particulier de moyens d'irradiation.
Le dernier élément, central dans la préservation des compétences, tient à la dynamique industrielle. Ce n'est pas tout de former les gens ; encore faut-il qu'ils aient un terrain de jeu, une pratique, des projets. Ces dernières années, nous avons connu cette difficulté avec des projets qui se sont arrêtés et qu'il faut redémarrer. Or, les compétences ne se remobilisent pas aussi facilement. Entre-temps, elles sont parties. Comme dans d'autres domaines, cette problématique est encore plus prégnante suite à la pandémie.
Relever ce défi nécessite donc trois ingrédients : une disponibilité des ressources, une disponibilité des infrastructures et une dynamique industrielle. Il importe aussi que le temps soit bien défini et que chaque élément arrive au moment où il faut. Il ne s'agit pas de former des gens pour leur dire de revenir dans dix ans parce que l'installation d'irradiation sera disponible à cette échéance. Les calendriers et les moyens doivent être cohérents, dans le sens des objectifs qui ont été assignés à la filière nucléaire.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Merci Monsieur le président. Cette présentation permet à l'ensemble des collègues de saisir l'état des lieux, de comprendre les enjeux, notamment à court terme, et comme vous l'avez dit, d'attirer notre attention sur les contraintes temporelles. Vous soulignez que les instruments internationaux, pour répondre aux besoins de construction et de démonstration d'installations nucléaires existent mais sont peu utilisés. Estimez-vous que la France puisse en tirer un meilleur profit ? Comment pourrait-on améliorer cette situation ?
Vous alertez également sur l'insuffisance des installations d'expérimentation et de qualification. En particulier sur le plan européen, à quelle échéance ce risque pourrait-il se concrétiser ? Constatez-vous une réaction des différents acteurs, en France et surtout en Europe, face à ce risque ?
Ma dernière question est d'ordre plus général et porte sur le lien entre les filières industrielles et les filières de recherche. Vous pointez le relatif désintérêt de la recherche académique pour les thématiques proposées, notamment dans le plan de relance ou le plan France 2030. Ceci semble traduire un désengagement plus général de ces organismes académiques vis-à-vis des recherches sur la gestion des matières et déchets radioactifs. Vous l'avez évoqué notamment sur le démantèlement. Comment expliquez-vous cette situation ? Quelles sont les pistes envisagées ou proposées pour pallier ce déficit ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Monsieur le Président, merci pour votre présentation de l'ensemble de la filière nucléaire française, qui conduit finalement à un constat assez sombre, à bien des égards, notamment lié au vieillissement du parc actuel. Aucune date n'est programmée pour la fin d'un réacteur nucléaire. Contrairement à une croyance populaire, une obsolescence n'est pas programmée sur les réacteurs de deuxième et troisième générations. Néanmoins, ce parc est vieillissant et il va falloir penser à le remplacer.
Le constat est sombre aussi parce qu'il manque une vision politique depuis un certain nombre d'années. La France n'a pas construit de réacteurs depuis vingt ans et aujourd'hui, nous faisons face à des problèmes d'entretien, qui sont liés à la crise sanitaire, à des problèmes de corrosion. Le parc produit à la moitié de sa capacité, ce qui est évidemment un problème, notamment dans la période de crise politique que nous connaissons avec la guerre en Ukraine.
Un autre constat assez sombre est la perte de compétences, liée à cette absence de construction pendant vingt ans. Nous avons perdu le savoir-faire sur notre territoire, ce qui est aussi cruel à dire qu'à entendre. Nos ingénieurs, à force de « nucléaire bashing », se sont écartés de la filière nucléaire et se sont tournés vers d'autres domaines. C'est une réalité. Aujourd'hui, il est difficile de relancer la machine et, par exemple, de recruter des soudeurs, dans un domaine très technique qui demande bien sûr de la formation.
Le dernier constat très sombre concerne le retard par rapport à nos concurrents internationaux, qui ne nous ont pas attendus dans nos tergiversations écolo-climatiques pour avancer sur leur filière nucléaire propre.
Ceci étant dit, j'observe, comme vous, une inflexion politique au niveau national avec l'intention de construire six EPR à un horizon qui me semble également un peu ambitieux. On ne reconstruit pas une filière nucléaire comme une filière automobile ou une autre filière industrielle. En tout cas, il serait temps de passer aux actes. Cette inflexion fait suite à des décisions contraires. Il faut rappeler par exemple la fermeture de Fessenheim, dans le quinquennat précédent. On voit aussi une inflexion au niveau européen, avec la bataille pour inclure le nucléaire dans la taxonomie verte. Je suis d'avis de considérer le nucléaire comme participant à l'effort climatique, au règlement du dérèglement climatique. Il faut mener ce combat au niveau européen. Il faut revenir à une notion d'efficacité climatique, peut-être même avant l'efficacité énergétique.
S'agissant de votre rapport et de votre présentation à proprement parler, je m'interroge sur la diffusion du savoir-faire concernant le nucléaire civil. Il faut rappeler que le nucléaire civil a fait suite à l'essor du nucléaire militaire en France. Le nucléaire militaire a donné naissance au nucléaire civil. Quel est le risque d'une telle diffusion ? Il nous faut convaincre un certain nombre de partenaires européens et mondiaux d'aller vers une filière nucléaire plus dense, dans le monde entier, parce que je crois que nous aurons besoin de davantage d'électricité dans les décennies à venir et que ce besoin ne pourra pas être couvert uniquement avec des éoliennes. Néanmoins, il existe ce risque de diffusion du savoir-faire sur le nucléaire civil et donc militaire.
Vous avez parlé d'une dynamique en faveur des réacteurs de petite taille. Est-ce que vous considérez que ces réacteurs sont appropriés pour des réseaux assez peu maillés et qu'ils sont donc peu pertinents sur le territoire français où le réseau de distribution est très fort, très consolidé et donc plutôt adapté à des réacteurs puissants ? Autrement dit, est-ce que les AMR et les SMR sont exclusivement orientés vers l'exportation pour remplacer des centrales à charbon à l'international ?
Je termine par un sujet qui me tient à coeur. Comme vous le savez sans doute, j'ai été co-rapporteur, avec Thomas Gassilloud, d'un rapport remis l'été dernier sur l'arrêt du programme Astrid. Il se trouve que l'État est hors la loi au regard de la loi de 2006 qui prévoyait la construction d'un prototype, avant la commercialisation de réacteurs à neutrons rapides. Non seulement nous sommes en retard, mais nous avons décidé de ne pas respecter cette loi, ce qui est assez cocasse. Je souhaiterais avoir votre avis sur la relance éventuelle d'une filière de réacteurs à neutrons rapides, qu'il s'agisse de réacteurs de grande puissance ou de faible puissance.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Merci pour cette présentation très intéressante et vraiment nécessaire. Je suis tout à fait en phase avec ce que vient de dire notre collègue sénateur sur le nucléaire civil. Je n'y reviens donc pas.
Nous allons tout à l'heure auditionner l'IRSN, qui va nous présenter son baromètre 2022. Celui-ci montre que la crainte du risque nucléaire n'est pas si élevée parmi nos concitoyens. Je précise que l'enquête a été réalisée en novembre 2021, avant la guerre en Ukraine. Je voulais savoir comment vous travaillez avec des instituts comme l'IRSN. J'imagine que vous les auditionnez, mais j'aimerais que vous nous précisiez vos méthodes et vos manières de travailler, même si tout à l'heure, vous avez décrit un peu la manière de faire de votre commission.
Vous avez évoqué les travaux sur les réacteurs innovants qui ne dépassent guère les études et recherches amont. Je n'ai pas compris s'il s'agit d'un simple constat à ce stade ou si vous recommandez d'investiguer ce champ, par exemple en lien avec France 2030 ?
Vous dites que vous soutenez évidemment le projet NUWARD de petits réacteurs à neutrons thermiques. J'aimerais que vous nous en expliquiez les raisons.
Sur la question des déchets, est-ce que vous avez des recommandations à faire, sur la base de ce que font les pays scandinaves ? C'est un sujet d'importance, qui me permet d'enchaîner sur la problématique de la connaissance des questions nucléaires, de la prise de conscience de leur importance par l'ensemble de nos concitoyens. N'oublions jamais un point fondamental, le fameux principe de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme ». Ces déchets sont de la matière active que l'on espère voir se désactiver le plus rapidement possible. Quel regard portez-vous sur ce que font nos amis scandinaves et sur les orientations qu'ils prennent ? Est-ce qu'il ne faut pas s'inspirer de certaines de leurs idées ?
Enfin, pour finir sur la désaffection des étudiants vis-à-vis de la filière nucléaire, ne faut-il pas développer les masters, les bourses de thèse, etc. dans le domaine nucléaire, à travers France 2030 ou d'autres initiatives ?
Comme je l'ai expliqué à plusieurs reprises en tant que rapporteur de la loi d'orientation des mobilités durant la précédente législature, la production et la consommation d'énergie n'ont jamais existé : nous ne faisons que de la transformation. Qu'il s'agisse des énergies renouvelables, du nucléaire ou des énergies fossiles, cette transformation a des conséquences environnementales, mais les plus importantes sont générées par les énergies fossiles, tant en matière de CO2 que pour notre santé directe. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi politiquement d'initier la sortie progressive des énergies fossiles dans les vingt ans qui viennent. Sortir de l'un des trois piliers implique de se rabattre sur les deux autres, c'est-à-dire sur le développement massif des énergies renouvelables et un appui au nucléaire, sans oublier la réduction de la consommation d'énergie. En trente ans, d'autres décisions seront peut-être prises, mais toujours est-il qu'aujourd'hui, le nucléaire fait partie de la solution pour sortir des énergies fossiles. Dire que nous pouvons sortir des énergies fossiles tout en sortant du nucléaire serait un mensonge. Dans le cas contraire, il faut expliquer qu'il faut vivre comme il y a quatre-vingts ans, en termes de consommation globale d'énergie. Oui à la sobriété, mais je ne pense pas que beaucoup soient favorables à revenir au mode de vie d'il y a quatre-vingts ans, y compris parmi les soi-disant plus engagés dans le sujet.
Comment pouvons-nous, d'après vous, changer la donne et la vision de la société, notamment de la jeunesse, sur ce sujet ? Comment pouvons-nous relancer les filières ? Est-ce que vous avez travaillé particulièrement avec des filières de masters, des filières de BTS, des filières d'ingénieurs sur ces sujets ? Dans les conseils de perfectionnement, dans toutes ces formations, comment pouvons-nous impulser une dynamique et sortir du « nucléaire bashing » ? On a l'impression qu'il faut être pour ou contre, alors qu'en réalité, sur toutes les questions d'énergie, il s'agit d'un équilibre global. Je ne suis pas en train de défendre à tout prix la filière nucléaire, comme pourraient l'entendre des auditeurs non objectifs ; je suis en train de défendre l'idée de réduire l'impact environnemental global. Parce que nous avons utilisé en masse les énergies fossiles pendant quarante à soixante ans, nous avons besoin de la filière nucléaire pour nous en désintoxiquer, si je peux parler ainsi, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas utiliser le renouvelable. Au contraire, il faut beaucoup le développer.
Votre commission a peut-être du recul sur ces sujets et peut nous aider à y voir clair, puisque nous avons aussi à impulser une dynamique en la matière.
M. Jean-Philippe Tanguy, député. - Merci Monsieur le Président pour cette présentation extrêmement complète. Pour répondre à mes collègues et poser clairement le cadre, non seulement nous défendons le nucléaire, mais nous pensons que la relance massive et urgente de la filière nucléaire, en France et à l'international, est la seule chance de respecter les accords climatiques, d'assurer le maintien du niveau de vie de ceux qui ont la chance de bien vivre dans le monde aujourd'hui ainsi que le développement de ceux qui n'ont pas la chance d'avoir notre niveau de vie.
Vous présentez un bloc européen. Il ne s'agit pas de créer une polémique sur l'Europe, mais objectivement je ne comprends pas pourquoi vous présentez un bloc européen alors que la France est une puissance nucléaire, avec une stratégie nucléaire propre depuis la quatrième République. Euratom aurait pu être un projet européen. D'ailleurs, Euratom devait être l'un des piliers de la construction européenne. La lecture du traité fondateur d'Euratom nous plonge dans un autre monde, le monde dans lequel nous devrions vivre d'ailleurs. Si nous avions suivi le traité Euratom, nous n'aurions aucun des problèmes que nous vivons aujourd'hui. Nous serions indépendants de la Russie et de l'Arabie Saoudite. Il est donc assez triste que le traité Euratom n'ait pas été suivi d'effet. Je pense qu'il serait important de reparler du traité Euratom qui existe toujours, qui est toujours en vigueur, qui est toujours signé et qui est toujours l'un des trois piliers, au même titre que l'espace économique européen unique et la politique de sécurité et de contrôle des frontières. Il est dommage d'oublier ce traité et notez que c'est un souverainiste qui appelle à la renaissance d'un traité européen. Nous pourrions l'utiliser contre l'Allemagne qui, entre-temps, a oublié qu'elle l'avait signé.
Sans faire polémique, je ne pense donc pas que nous puissions considérer l'Europe comme un bloc aujourd'hui. Malheureusement, il n'existe pas de stratégie nucléaire européenne, ou s'il y en a une, elle vise plutôt à nous ligoter. Certes, nous sommes contents de la taxonomie et il est très aimable de nous autoriser à utiliser notre propre argent comme nous le souhaitons, mais cela ne fait pas une stratégie de développement nucléaire. Objectivement, nous ne pouvons pas dire qu'il y a une vision. D'ailleurs, la vision européenne est plutôt qu'après la construction de quelques réacteurs, à terme, il n'y ait plus de filière nucléaire en Europe, comme c'est écrit dans la taxonomie. C'est contradictoire aussi avec la gestion des déchets à long terme, surtout si l'on défend, comme nous le faisons, un cycle fermé.
J'ai une vraie question de fond, une question ouverte. Vous dites que la transmutation n'est pas possible pour un certain nombre de déchets. S'agit-il d'une limite physique ou d'une limite de la pensée scientifique ? En l'état actuel des connaissances, savons-nous que nous ne pourrons pas faire ces transmutations, même compte tenu des progrès scientifiques à venir ? Ou bien affirmons-nous que nous ne le ferons pas parce qu'aujourd'hui nous ne savons pas le faire ? Ce sont deux attitudes tout à fait différentes. Malgré son instabilité, la quatrième République avait réussi à réaliser des travaux nucléaires monumentaux, dans une continuité parfaite. Cette force a complètement disparu des institutions, ce qui est dommage. Nous ne pouvons pas penser le retraitement des déchets nucléaires à la simple lumière de ce que nous maîtrisons aujourd'hui, ce qui me paraît être une aberration intellectuelle. Il y a 150 ans, nos prédécesseurs ne savaient même pas qu'un jour, il existerait une centrale nucléaire. Il faut avoir de l'humilité devant la capacité de l'humanité à faire des percées. Des personnes, notamment du CERN, m'ont expliqué sérieusement qu'il n'y a pas d'obstacle physique et scientifique, dans la durée, à la transmutation. Ce que vous dites sur l'Asie ou la Russie me fait penser qu'elles n'ont pas complètement tort, mais j'ai peut-être mal compris. Ma question est parfaitement ouverte, sans esprit de polémique.
Certes, des déchets ont été vitrifiés, mais si c'était une erreur, il ne faut pas la poursuivre. Imaginons que l'on puisse transmuter tout, que les déchets d'aujourd'hui soient des ressources de demain, ou à défaut d'être des ressources, soient potentiellement des matières que l'on peut rendre inoffensives. Je ne suis pas contre Cigéo, je n'ai aucune appréhension particulière vis-à-vis de Cigéo, mais en responsabilité, par rapport aux générations futures, dire que cette solution est la bonne parce qu'elle a été choisie et que nous ne pourrons pas changer d'avis en raison des efflux radioactifs, pose quand même question. En enterrant les déchets nucléaires, j'ai le sentiment que l'on enterre le génie nucléaire. Voilà ce que l'on a réussi à faire grâce à des génies, en si peu de temps, et nous ne savons plus trop quoi faire. Nous sommes peut-être dépassés par le génie humain. Nous enterrons tout et nous n'essayons plus de réaliser des percées scientifiques. Nous arrêtons Superphénix, nous lançons un prototype, nous l'arrêtons et nous le recommençons. J'ai l'impression d'une confusion, au sommet de l'État, entre ce que l'on sait faire aujourd'hui, ce que l'on pourrait faire demain et ce qui est bon pour l'humanité en général.
Je ne parle même pas de ce qui est bon pour la France, parce qu'au vu des enjeux climatiques, la question dépasse le cadre français. La guerre qu'a lancée la Russie en Ukraine est ignoble, mais je pense qu'il faudrait aussi songer que la coopération scientifique, comme le sport, la culture ou l'enseignement pourraient peut-être s'absoudre du pire. Je trouve dommage - d'ailleurs, les Américains ne le font peut-être pas autant que nous, notamment sur le spatial - que nous arrêtions des programmes de recherche qui ne sont pas liés au fait que la Russie soit dirigée par un dictateur. Il y a de très bons scientifiques en Russie qui ne sont pas responsables du comportement de leur gouvernement. Il y a certes des implications sur la filière scientifique, mais l'humanité n'a pas non plus le temps d'attendre que la Russie soit une démocratie. Je le dis aussi pour la Chine, ou pour d'autres régimes qui ne sont pas spécialement fréquentables.
La question suivante concerne la notion de filière. Je ne connais pas de filière avec six réacteurs et je ne sais pas ce qu'est une filière avec quatorze réacteurs d'ici 2050 ou 2060. Pour moi, la filière française, c'était 50 réacteurs en 30 ans, avec le plan Messmer. Notre petit pays a fait porter tous ses efforts sur une percée technologique, industrielle et économique, nous y sommes parvenus et nous sommes les seuls à l'avoir réussi, à notre échelle. Je ne vois pas comment un pays comme la France, avec son industrie actuelle, peut lancer autant de filières : une nouvelle filière nucléaire EPR2, une filière à neutrons rapides, des petits réacteurs, des éoliennes en mer, des éoliennes sur terre, du photovoltaïque, de l'hydrogène, des hydrocarburants, des méthaniseurs. Je crains que dans dix ans, nous n'ayons développé aucune filière parce que nous n'avons pas choisi. Le rôle de cette commission devrait être de choisir. Nos aïeux ont choisi et ont réussi. S'ils n'avaient pas choisi, comme d'autres, comme l'Allemagne, ils n'auraient pas réussi et ils auraient saboté le travail des autres.
Cette question de fond est liée aux déchets nucléaires. Le choix pour les déchets nucléaires est lié à la filière énergétique que nous allons choisir et aux choix que vont faire les autres. Le choix absolument incroyable d'arrêter la surgénération, après Tchernobyl, pour faire comme tout le monde, n'a pas été un choix scientifique, ni un choix humaniste, mais un choix comptable, à la petite semaine, qui a sacrifié vingt ans d'avance de la France. Un débat est à mener en urgence sur toute la filière. La façon de gérer nos déchets, c'est-à-dire potentiellement des ressources pour le nucléaire français, mais aussi le reste de l'humanité, doit se penser dans sa globalité. Nous ne pouvons pas agir seuls dans notre coin et attendre de voir ce qui sera fait dans vingt ans. La question de fond de la transmutation doit être intégrée dans une filière générale.
Mme Olga Givernet, députée. - Merci Monsieur le président pour votre exposé très clair. Je suis députée du département de l'Ain où est installée la centrale nucléaire de Bugey, que j'ai largement soutenue pour essayer d'obtenir l'implantation d'EPR2 et un renouvellement du parc. Si le nucléaire est en train de revenir en grâce, c'est aussi parce que nous avons consenti un effort en termes de communication et de volonté politique. Le Président de la République a donné une impulsion en ce sens. Ce n'était pas tout à fait le cas au début du mandat précédent. Il y a eu une période de flottement, parce que nous n'avons peut-être pas été capables d'avoir une vision très claire du mix énergétique. Je vais m'inscrire en faux par rapport à mon collègue du Rassemblement national sur l'idée que le mix énergétique permettrait aussi de faire du nucléaire une énergie acceptable, en compensation des énergies renouvelables. Nous avons la capacité de développer chaque filière, de disposer d'un bouquet d'offres et de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.
Vous avez évoqué rapidement la Russie et l'Ukraine. Nous verrons peut-être un impact des événements actuels encore plus important, dont nous n'avons pas conscience pour le moment, mais je pense qu'il faut rester très vigilant.
Vous avez évoqué la question du maintien des ressources et des compétences. En vingt ans, nous n'avons pas investi autrement que dans le démantèlement et l'intérêt pour cette filière s'est effectivement perdu. On le voit dans d'autres filières industrielles : lorsqu'on engage des ingénieurs dans des projets innovants et volontaires, sur plusieurs années, le risque est de les perdre lorsque ces développements connaissent des interruptions. Je pense que la France gagnerait à trouver des moyens pour que les entreprises, comme cela se fait dans d'autres pays, utilisent ces compétences, les réorientent plutôt que d'obliger ces personnels à quitter ces entreprises, pour créer parfois leur propre activité. Il convient de trouver une méthode pour garder les compétences dans une même filière.
Vous avez parlé de notre projet de stockage géologique. Avez-vous une idée de la capacité maximum de la France en termes de stockage géologique, qui soit acceptable à la fois sur les plans technique, environnemental et social ? Où en sommes-nous de l'utilisation des capacités de stockage ? À Bugey, un centre d'entreposage a été ouvert, mais il n'est pas pérenne non plus. Pouvez-vous nous donner quelque visibilité ?
Vous avez parlé de transmutation. Je sais que plusieurs start-up travaillent activement sur la désactivation de la radioactivité. Est-il possible d'y parvenir ?
Ma dernière question concerne le thorium. Je n'ai pas beaucoup d'informations et je n'ai pas de position arrêtée sur ce sujet. Pourriez-vous nous donner un éclairage ?
M. Gilles Pijaudier-cabot. - Monsieur le Président, pour répondre à votre première question sur les moyens d'irradiation qui sont peu utilisés, le rapport indique que les instruments d'irradiation disponibles en France sont principalement situés au CEA. Nous avons constaté que dans les appels à projets actuels, les dossiers candidats se « ferment » souvent d'eux-mêmes parce que les moyens d'accès à ces installations ne sont pas disponibles. En d'autres termes, si un universitaire souhaite faire des manipulations à Cadarache, le CEA va devoir les payer, car l'universitaire ne pourra pas les financer dans le cadre de son projet. Pour y remédier, le mécanisme serait assez simple : il faudrait donner à chaque porteur de projets de ce type les moyens de les mener à bien, et ne pas compter sur les ressources propres des organismes, ce qui représente pour moi des économies à la petite semaine. La pratique actuelle n'ouvre pas les installations aux chercheurs et c'est bien dommage.
Nous avons constaté clairement le désengagement des organismes et des universités, en particulier lorsque nous avons auditionné la présidente de la commission « Innovation » de France Universités, devenue depuis ministre chargée de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Elle n'était pas au courant de cet appel à projets. Comment voulez-vous répondre à un appel à projets si vous n'êtes pas informé de son existence ? Il y a clairement un problème d'information et de communication. Il se pose également à l'intérieur même des universités. Le nucléaire bashing a été tel qu'aujourd'hui, dans les laboratoires du CNRS, les gens se cachent presque quand ils travaillent sur ces sujets. Comme ce sont des unités mixtes, les laboratoires du CNRS couvrent quasiment tout le tissu universitaire, au moins en sciences exactes. Quand les gens en sont à se cacher pour faire leurs recherches, je crois qu'il faut s'interroger. Une solution consisterait à informer les chercheurs que des projets existent et qu'ils ont les moyens de travailler sur ces sujets. Une deuxième solution consisterait à leur dire qu'ils peuvent être partie prenante à un défi national. L'expérience me fait dire qu'au-delà de la question des moyens, le fait de participer à un défi national va rendre les chercheurs fiers et va les motiver pour s'impliquer.
M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE2. - Beaucoup de tentatives ont été faites pour essayer de disposer d'un outil d'irradiation au niveau européen, mais elles n'ont jamais abouti. Nous avons donc dû pendant un temps utiliser un réacteur japonais, puisque la France a des accords avec le Japon pour réaliser des irradiations. Mais les Japonais ont arrêté le réacteur en question. Nous avons eu Phénix, puis Superphénix. Mais Phénix est maintenant arrêté. Nous n'avons donc plus cette possibilité. Nous nous sommes alors tournés vers les Russes, puisqu'ils sont les seuls à disposer aujourd'hui d'un outil d'irradiation, le Bor-60, et qu'ils ont aussi des réacteurs à neutrons rapides en fonctionnement, dans lesquels nous pouvons placer des pièces importantes pour pouvoir étudier leur évolution. Il faut aussi valider les combustibles et il faut donc les soumettre également à irradiation. Quand ces irradiations sont terminées, il faut qu'un laboratoire fasse un examen post-irradiation, afin de déterminer ce qui s'est passé sur l'acier ou sur le combustible, quels gaz ont été produits, quels nouveaux éléments sont apparus, quelle est la structure, comment elle s'est modifiée, etc. Ces outils sont tout à fait indispensables. J'y reviendrai probablement tout à l'heure quand nous parlerons des SMR, mais je voudrais que vous reteniez que pour lancer une nouvelle filière, il faut des outils d'irradiation. Dans le cas contraire, les autorités de sûreté nucléaire ne valideront pas ce qui est proposé. Pour l'instant, le réacteur Jules Horowitz (RJH) n'est pas en fonction et lorsqu'il le sera, il ne permettra pas l'irradiation de pièces importantes. Il faut le souligner aussi.
M. Gilles Pijaudier-cabot. - La question de la diffusion du savoir dans le domaine du nucléaire civil est très pertinente. Comme il a été parfaitement dit, le nucléaire civil vient du nucléaire militaire. Le choix de disséminer tous ces petits réacteurs, toutes ces installations nouvelles, en Europe ou aux États-Unis, est un choix qui nous interroge également. Que fait-on ? Soit l'on concentre le savoir en un nombre réduit de lieux et l'on fait en sorte que cela ne se diffuse pas trop, soit l'on essaie de générer un processus qui rend l'électricité peut-être plus facilement accessible. Dans ce cas, il faut mettre des petits réacteurs un peu partout. Cette question est importante, mais la communauté internationale y réfléchit trop lentement. Elle soulève des interrogations liées à la certification et à l'autorisation des réacteurs : l'ASN va-t-elle accepter des résultats de certification d'une autorité américaine, russe ou chinoise pour autoriser en France un réacteur construit à l'étranger ? Tel est le genre de problèmes pratiques qui sont soulevés. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) y travaille. La question est très ouverte et consiste à savoir exactement vers quel type de réseau de production d'électricité nous nous dirigeons.
Si je peux donner un avis plus personnel, dire que les petits réacteurs sont dédiés à l'export revient peut-être à se cacher derrière son petit doigt. En fait, nous allons en avoir besoin en France, peut-être pas demain, mais certainement après-demain. Il faudrait peut-être aborder ce sujet au lieu de destiner uniquement notre production à l'export. Chacun sait d'ailleurs que si nous voulons vendre un produit à l'étranger, il faut certainement en avoir un exemplaire chez soi pour montrer qu'il fonctionne. Sinon, il sera un peu plus difficile à vendre.
M. Maurice Leroy. - Notre rôle est scientifique et technique ; le vôtre est politique. J'essaierai donc de faire une réponse non politique. S'agissant des SMR, nous avons dit qu'ils étaient modulaires et qu'il s'agissait de petits réacteurs, mais nous n'avons pas dit qu'il est possible de les associer. Vous pouvez en fait réaliser un cluster de SMR. En associant des SMR de 300 mégawatts, on peut créer une centrale de 1 500 mégawatts. C'est un élément très important.
Il est proposé aujourd'hui une réflexion tout à fait intéressante consistant à valoriser notre expérience en termes de neutrons rapides pour créer un SMR qui fonctionne sur ce principe. Ce travail est tout à fait majeur parce qu'il permettrait à la fois de ne pas perdre la compétence et l'expertise que la France a acquises pendant des années et de motiver des jeunes avec ce projet tout à fait intéressant. Un sous-marin nucléaire fonctionne avec un SMR. Aujourd'hui, Naval Group est dans le projet NUWARD, avec Framatome et EDF. L'enjeu est de gérer ce passage entre un objet relativement secret et un objet dont on aura pu extraire des éléments qui peuvent être totalement partagés. Actuellement, une dynamique extrêmement forte existe vis-à-vis de ces SMR qui peuvent être envisagés en cluster.
Se pose également la question de la filière, soulevée par un membre de l'Office tout à l'heure. Est-ce qu'il faut conserver des réacteurs de puissance importante ou prendre la voie des SMR et des clusters ? Cette question sera ouverte, elle aura une réponse politique, mais elle doit être instruite préalablement d'un point de vue scientifique et technique.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. - Comme l'a dit le président Pijaudier-Cabot tout à l'heure, nous revenons d'une mission d'enquête aux États-Unis et au Canada, où nous avons constaté un dynamisme assez extraordinaire, à la fois des pouvoirs publics et du secteur privé, avec des fonds d'État et des levées de fonds réalisées auprès d'organismes financiers privés. Ce dynamisme va créer nécessairement un nouveau type d'industrie. La France peut-elle être absente de ce nouveau créneau ? En ressortent deux éléments très forts : une question d'image et une question de fond.
Il s'agit clairement de donner une nouvelle image au nucléaire, avec cette dénomination utilisée en Amérique du Nord : le « nouveau nucléaire ». Le nouveau nucléaire s'appuie sur ces réacteurs de plus petite taille, qui sont dotés d'un argument très fort, essentiellement sur le papier pour le moment mais dans certains cas à un stade de réalisation avancée : celui de la sûreté passive accrue. Cette sûreté passive accrue est de nature à renforcer l'intérêt du nucléaire. On parle beaucoup de la production d'électricité, mais en Amérique du Nord le nouveau nucléaire vise également la production de chaleur et celle d'hydrogène. Il vise à combler des trous dans les réseaux, notamment au Canada, mais également à décarboner l'industrie. Cet ensemble d'éléments et d'objectifs crée une très forte dynamique. Est-ce que nos efforts sont suffisants pour prendre place dans cette compétition internationale ?
M. Gilles Pijaudier-cabot. - Nous allons faire un rapport de notre mission en Amérique du Nord et nous le ferons parvenir à l'Office. Il serait intéressant d'échanger sur ce rapport, parce que nous avons pu collecter beaucoup d'informations, parfois aussi très conjoncturelles.
Vous avez raison, Monsieur Tanguy : selon le CNRS, les équations de la physique montrent que l'on peut transmuter le plutonium et quasiment tous les produits de fission. Mais les équations sont aussi têtues. Avec quel rendement, quelle efficacité et dans quelles installations ? Oui, on pourrait transmuter beaucoup d'éléments, mais cette transmutation n'est aujourd'hui pas rentable et elle prendrait trop de temps. Nous ne disposons pas des installations qui permettraient de le faire de façon efficace. Pour certains produits de fission, c'est de toute façon physiquement impossible. La réponse n'est donc pas aussi manichéenne que vous avez bien voulu la présenter. Je sais que votre question est ouverte, j'ai essayé d'y répondre en vous donnant des informations factuelles, mais malheureusement, même si les principes physiques existent, ils sont aussi têtus en termes de rendement.
M. Jean-paul Minon, membre de la CNE2. - Le traité Euratom, comme il a été très justement dit, est l'un des traités fondateurs de l'Union européenne. Les pères de l'Europe ont considéré que l'énergie était un facteur de bien-être fondamental et je crois que personne ne les contredira. Le traité Euratom organisait la communauté européenne de l'énergie atomique et il possède un outil très spécifique qui aujourd'hui n'est plus employé, alors qu'il a été fort employé dans le passé : les entreprises communes Euratom. Euratom a démarré par la recherche, en créant le Centre commun de recherche qui est actuellement à Ispra et dont une partie, qui s'intéresse aux éléments transuraniens, se trouve à Karlsruhe. Ces deux centres fonctionnent toujours, assez tranquillement.
Des entreprises communes Euratom ont bien fonctionné. Le réacteur de Chooz-A, premier réacteur à eau légère à avoir fonctionné de façon industrielle en France, était une entreprise commune entre la Belgique et la France. D'autres ont été formées entre la France et l'Espagne. Le réacteur de Tihange 1, dont le fonctionnement est autorisé jusqu'à cinquante ans, est un réacteur belgo-français qui est la tête de filière du palier français de 900 mégawatts. Nous avons également partagé, jusqu'à un certain point, le retraitement, puisque La Hague a fonctionné pour l'ensemble des pays européens. Ces entreprises Euratom existent. Le levier existe, mais il est effectivement peu employé, pour des raisons qui ont été évoquées.
Je voudrais aussi attirer l'attention sur le fait que deux grands piliers composent Euratom : la fusion, qui mobilise aujourd'hui quasiment 100 % des budgets, et la fission, qui est devenue le parent pauvre. Les actions éventuelles à mener au sein d'Euratom seraient d'une part de réactiver l'outil des entreprises communes et d'autre part de rééquilibrer, dans la mesure du possible, les budgets attribués à la fission nucléaire, que ce soit pour la recherche ou le développement.
Je signale une autre source importante d'entreprises au niveau international. Dans le même esprit que le traité Euratom, les entreprises communes créées dans le cadre de l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE ont également très bien fonctionné. Je citerai deux exemples. Le premier, en termes de recherche, a été le réacteur Halden en Norvège. Il a été arrêté il y a quelques années mais il a produit énormément de résultats scientifiques, qui ont été mis à disposition des membres de l'Agence de l'énergie nucléaire. Le deuxième est l'usine de retraitement Eurochimic, qui était un pilote, exploité pendant une petite dizaine d'années en Belgique, à Dessel. Cette entreprise commune était quasiment un cadeau des États-Unis à la Belgique après la Seconde Guerre mondiale. En sont issus beaucoup des principes utilisés dans les usines de La Hague et de Sellafield, en Angleterre. Ces outils existent. Ils ont bien fonctionné jusqu'à certaines limites, notamment de propriété intellectuelle et de périmètre commercial. Rien n'empêcherait, dans un esprit de coopération et peut-être d'urgence, de réactiver ces outils.
M. Maurice Leroy. - Le cycle du thorium resurgit avec les projets de réacteurs à sels fondus. Il est étudié actuellement en Inde, qui dispose de réserves de thorium. Le Brésil était intéressé aussi par ce cycle. Cela ne s'est pas fait en France et en Europe parce qu'il est extrêmement compliqué de remplacer une filière uranium-plutonium par une filière thorium. Il est par ailleurs impossible de démarrer une filière thorium sans disposer d'uranium 233 et pour le créer, il faut de l'uranium et du plutonium. La filière thorium ne peut être créée ex nihilo. Elle est soutenue par un certain nombre de personnes parce qu'elle ne génère pas d'actinides, mis à part le protactinium. Mais de la même façon, elle nécessitera un traitement et un stockage des déchets. Le thorium n'est pas fissile, il est fertile.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Stéphane Piednoir, qui avait beaucoup travaillé sur le sujet, et sans doute d'autres collègues voudront peut-être s'y intéresser davantage dans un avenir proche et nous aurons l'occasion de vous auditionner à nouveau. Nous tenons à vous remercier, Monsieur le président et l'ensemble des membres et experts de la CNE2, pour la clarté de ce rapport qui nous permet de bien identifier l'ensemble des enjeux à un horizon très rapproché et dans une situation politique inédite.
M. Gilles Pijaudier-cabot. - Monsieur le Président, je me dois de vous poser la question rituelle : avons-nous l'autorisation de diffuser le rapport que vous avez reçu ? Si la réponse est positive, il sera consultable sur notre site Internet.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je me fais la voix de l'Office et je vous autorise à publier ce rapport. Je rappelle que vous êtes tous bénévoles et vous remercie à nouveau pour cet important travail.
La réunion est close à 11 h 05.
- Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 11 h 10.
Audition de Mme Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et de M. Jean-Christophe Niel, directeur général, sur le rapport annuel de l'Institut pour 2021
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir la présidente de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Madame Marie-France Bellin, et son directeur général, Monsieur Jean-Christophe Niel, qui vont présenter devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) le rapport d'activité de l'Institut pour l'année 2021. Je rappelle que, contrairement à celles de l'Autorité de sûreté nucléaire ou de la CNE2, cette audition n'est pas prévue par la loi, ce qui ne l'empêche pas d'avoir lieu chaque année et de s'inscrire pleinement dans les missions de l'Institut et de notre Office.
Je rappellerai simplement que l'IRSN a été créé, voici un peu plus de 20 ans, par la loi du 9 mai 2001 qui a prévu la fusion de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire et de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants. Il est placé sous la tutelle conjointe des ministères chargés de l'écologie, de la recherche, de l'énergie, de la santé et de la défense. Son champ de compétence couvre l'ensemble des risques liés aux rayonnements ionisants, utilisés dans l'industrie ou la médecine, ou encore les rayonnements naturels.
Je vais sans plus tarder donner la parole à Madame Bellin et Monsieur Niel pour la présentation de ce rapport pour l'année 2021, à la suite de quoi nous pourrons passer aux questions.
Jean-christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - C'est un honneur et un devoir pour la présidente du conseil d'administration, Marie-France Bellin, et pour moi-même de présenter à votre Office le rapport d'activité de l'IRSN pour l'année 2021. L'Office a beaucoup contribué à installer et à définir le système de contrôle des usages des rayonnements ionisants en France, tant en sécurité nucléaire qu'en radioprotection. L'Office a été un acteur central de la création de l'IRSN, il y a exactement 20 ans. D'ailleurs, nous sommes à la disposition de l'Office pour traiter, à votre demande, toutes questions ayant trait à l'évaluation des risques liés à l'utilisation des rayonnements ionisants, dès lors qu'elles sont dans le champ de nos missions et qu'elles sont scientifiques et techniques.
L'IRSN est l'expert public des risques radiologiques et nucléaires. Notre mission est d'évaluer les risques liés à l'utilisation des rayonnements ionisants, y compris en situation accidentelle. Très concrètement, nous avons deux missions. La première est l'expertise au profit des autorités, des ministères et des institutions publiques. Il s'agit essentiellement pour l'IRSN, dans le cadre d'un processus de décision, d'éclairer cette décision par l'évaluation du risque lié à l'utilisation des rayonnements ionisants. L'autre mission de l'IRSN est la recherche. Celle-ci alimente notre expertise, les deux étant liées, comme le veulent nos textes fondateurs. L'évaluation de l'IRSN est scientifique et technique. Elle est collective et impartiale. Cette mission d'évaluation de l'IRSN réunit les dimensions de sûreté nucléaire, de sécurité nucléaire et de radioprotection, les domaines civil et défense, la recherche et l'expertise. Cette pluridisciplinarité et cette transversalité contribuent très directement à la qualité de l'appui que l'Institut peut apporter aux pouvoirs publics, en situation normale comme en situation d'accident.
À l'instar des agences sanitaires, notre mission d'évaluation est bien distincte de la mission de décision, d'inspection et de sanction, qui appartient aux autorités, aux ministères. C'est par ce système dual, de double sécurité, entre experts et autorités, entre évaluateurs et gestionnaires du risque, que l'État assure la protection de nos concitoyens vis-à-vis des utilisations des rayonnements ionisants. D'ailleurs, la structure budgétaire de l'IRSN est essentiellement organisée autour du programme 190. Il fait de l'Institut le destinataire d'une subvention pour charges de service public. Cette organisation est cohérente avec le système que je viens de décrire et il me semble important de la préserver.
Avant de présenter le rapport d'activité de l'IRSN, je souhaite aborder trois sujets.
Le premier est évidemment la situation en Ukraine. Dès le début de l'invasion russe, le 25 février, jusqu'au 8 avril, l'IRSN a mobilisé ses équipes dans son centre de crise. L'objectif était de suivre et d'analyser la situation, d'évaluer les risques posés par les installations nucléaires et d'assurer le suivi des mesures de radioactivité dans l'environnement, en Ukraine et en Europe. Nos travaux ont donné lieu à des informations, en français et en anglais, sur notre site internet, de manière régulière. Depuis le moment où nous avons activé notre centre de crise, nous avons reçu plus de 130 sollicitations médiatiques qui ont conduit à 400 retombées de presse, preuve que le sujet intéresse, voire inquiète. Nous travaillons aussi pour que notre homologue ukrainien, qui s'appelle la CSTC, reste impliqué dans le paysage européen international de la sûreté. Dans les mois et les années qui viennent, nous allons travailler, au sein de l'IRSN, avec les acteurs européens et internationaux de la sûreté sur les conséquences d'un état de guerre dans un pays équipé d'installations nucléaires civiles, du point de vue des approches et des doctrines de sûreté.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est le constat par EDF d'un phénomène de corrosion sous contrainte sur certains de ses réacteurs. Fin 2021, EDF a mis en évidence des défauts sur les tuyauteries des circuits d'injection de sécurité du réacteur n° 1 de Civaux, lors de la deuxième visite décennale. L'analyse en laboratoire a montré qu'il s'agissait de corrosion sous contrainte. Sous le contrôle de l'ASN, EDF a engagé des actions selon trois axes. D'abord, la définition et la qualification d'un dispositif de contrôle non destructif, plus performant, pour identifier et caractériser les défauts liés à cette corrosion sous contrainte, sans avoir à découper la tuyauterie comme cela se pratique aujourd'hui. L'IRSN se prononcera sur ce dispositif. EDF a aussi présenté des éléments venant à l'appui du maintien en exploitation des réacteurs. L'IRSN a récemment rendu deux avis en la matière ; le premier porte sur le « risque de rupture brutale » et le deuxième, rendu il y a quelques jours, sur des dispositions transitoires. EDF va définir un programme industriel pour remplacer les tronçons de circuits qui mériteraient de l'être. L'IRSN poursuit ses investigations pour mieux comprendre l'origine de cette corrosion sous contrainte. C'est essentiel pour déterminer notamment le périmètre des contrôles à effectuer.
Le troisième sujet que je souhaite aborder concerne le contrôle de l'IRSN par la Cour des comptes. Ce contrôle, d'une durée de 18 mois, s'est conclu en 2021. Dans le référé qui a été adressé au Gouvernement, la Cour a constaté que l'IRSN remplit ses missions. Elle a aussi noté que l'Institut a poursuivi ses activités dans le contexte de la pandémie. Je vois, dans ces deux constats, la reconnaissance du professionnalisme et de l'engagement des femmes et des hommes de l'IRSN. Dans son référé, la Cour a aussi appelé l'attention sur deux sujets : le « parachèvement du dispositif de crise » et le besoin de restaurer la « soutenabilité budgétaire » de l'IRSN. Je reprends ici les termes mêmes de la Cour des comptes.
Marie-France Bellin, présidente du conseil d'administration, va maintenant aborder quelques sujets dans le champ de la santé. Elle est professeure d'université - praticien hospitalier en radiologie à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre.
M. Marie-france Bellin, présidente du conseil d'administration de l'IRSN. - Je vais d'abord vous dire quelques mots sur le conseil d'administration que je préside, Jean-Christophe Niel, le directeur général, assurant des fonctions exécutives. Je veux ici témoigner du bon fonctionnement du conseil d'administration, comme l'a d'ailleurs souligné la Cour des comptes dans son rapport. Le conseil d'administration est composé de 25 membres. Lors de ses séances, les grandes questions relatives à la vie de l'Institut sont régulièrement abordées, qu'elles soient de nature budgétaire, qu'il s'agisse de décisions d'investissement ou d'organisation. Sont régulièrement présentées les réalisations scientifiques structurantes pour l'Institut.
Parmi les activités de l'IRSN, je voudrais mettre en lumière les activités de recherche et d'expertise dans le domaine de la santé. Parce qu'elles sont probablement un peu moins emblématiques, elles sont en effet moins connues que celles qui concernent le domaine de la sûreté des installations nucléaires.
Le système de gestion de la radioprotection a démontré sa robustesse, à la fois pour limiter ou pour prévenir les effets aigus des expositions accidentelles en particulier, et limiter la probabilité de survenue des cancers radio-induits qui pourraient être liés à des irradiations chroniques à faible dose. Néanmoins, de nombreuses questions persistent et ouvrent de grands champs de recherche. Ainsi, l'Institut effectue des travaux de recherche sur les conséquences des expositions accidentelles à forte dose, notamment en développant de nouvelles approches thérapeutiques, certaines à base de cellules souches. Ces approches permettent de traiter les pathologies qui sont la conséquence d'expositions à forte dose. Également en lien avec les équipes hospitalières, l'IRSN développe des activités et des travaux de recherche sur l'effet des radiations ionisantes sur l'environnement péri-tumoral au cours des séances de radiothérapie. L'objectif est d'améliorer la qualité de vie des patients en minimisant les effets secondaires. En dehors du champ strict de la radiothérapie, nous utilisons des faisceaux de rayonnement de plus en plus précis, avec des doses très importantes. Ainsi, en janvier 2021, l'IRSN a conclu avec l'Institut Gustave Roussy, premier centre européen de lutte contre le cancer, un accord de partenariat, de collaboration scientifique dans le domaine de la radiobiologie des tumeurs et des tissus sains, en particulier en rapport avec la radiothérapie.
Enfin, l'Institut étudie les effets mutagènes - c'est-à-dire susceptibles d'entraîner des anomalies génétiques et donc des cancers à long terme - des expositions chroniques aux rayonnements ionisants à faible dose. Pour ce faire, il a recours à l'épidémiologie et au suivi de cohortes de patients, tout en s'appuyant aussi sur la radiobiologie. La question de l'effet des faibles doses rencontre une forte attente sociétale, en lien avec les enjeux de santé-environnement. L'IRSN est impliqué dans les politiques nationales de santé-environnement, en particulier dans le quatrième plan national santé-environnement et dans le plan radon. Au niveau européen, l'IRSN est partenaire du projet « radon normes » lancé par la Commission européenne. Il réunit 56 partenaires de plus de 22 pays et vise à améliorer la protection des populations face au risque radon et aux risques engendrés par les radio-isotopes naturels. L'IRSN a également été choisi pour coordonner, au niveau européen, la recherche en radioprotection, dans le cadre de l'appel d'offres « Horizon Europe ».
Au total, environ 120 chercheurs, techniciens, experts collaborent dans ces domaines, le plus souvent d'ailleurs avec des équipes, soit hospitalières, soit universitaires, soit avec des organismes institutionnels de recherche, tels que l'Inserm ou le CNRS, avec lequel nous avons conclu un accord de coopération en 2020. Comme l'a indiqué le directeur général, ces recherches servent de support à l'expertise et permettent de la faire avancer en intégrant les données récentes de la science.
Jean-christophe Niel. - En 2021, dans le champ de l'expertise, nous avons rendu 650 avis et rapports aux différentes autorités civiles, de défense, de sécurité et de non-prolifération et aux ministères. Je vais évoquer quelques aspects de cette activité d'expertise. Comme nous l'avons fait pour le quatrième examen périodique des réacteurs de 900 mégawatts, nous avons engagé le quatrième examen décennal des 20 réacteurs de 1 300 mégawatts, ce qui s'inscrit dans la volonté d'EDF de prolonger l'exploitation de ces réacteurs. Ces réacteurs, la plupart construits dans les années 1980, ont une conception proche de celle des réacteurs de 900 mégawatts sur lesquels nous nous sommes prononcés en mars 2020, dans un avis de synthèse, résultat de 200 000 heures d'expertise et de 40 avis publics. Une différence importante entre les réacteurs de 1 300 mégawatts et de 900 mégawatts tient à l'enceinte de confinement, qui est constituée, pour les réacteurs de 1 300 mégawatts, d'une double enceinte. Pour conforter notre expertise, nous avons engagé des travaux de recherche sur le comportement de cette enceinte en cas d'accident grave. Voilà un exemple de la synergie essentielle entre l'expertise et la recherche.
La cohérence du cycle du combustible est aussi un sujet structurant qui mobilise l'Institut. Il s'agit notamment, pour les opérateurs EDF, Orano et l'Andra, de s'assurer que, même en cas d'aléas d'exploitation, les capacités d'entreposage dans les installations sont suffisantes. C'est un réel enjeu de sûreté nucléaire. L'analyse a montré que les capacités d'entreposage des piscines de combustibles usés seraient saturées avant la fin de la décennie, voire plus tôt s'il y avait des aléas de production. EDF a décidé de construire une nouvelle piscine d'entreposage d'assemblages combustibles. Elle doit être mise en service en 2034 et l'IRSN s'était prononcé, en 2018, sur les options de sûreté prévues pour cette piscine. Dans l'attente, Orano a demandé à l'ASN l'autorisation d'augmenter le nombre d'assemblages combustibles entreposés dans trois piscines de son site de La Hague. Nous avons expertisé le dossier d'options de sûreté de ce projet de densification. Nous avons considéré que les options de sûreté étaient globalement adaptées, en identifiant néanmoins deux sujets qui doivent être pris en compte plus précisément pour la demande d'autorisation : d'une part, la conception des nouveaux équipements d'entreposage ; d'autre part, l'efficacité des systèmes de refroidissement des eaux de piscine.
Cet avis est public, comme le prescrit la loi, et nous l'avons complété par une version commentée qui est aussi sur notre site. Il s'agit du même avis, auquel nous avons seulement ajouté des commentaires pour en faciliter la lecture à toute personne intéressée. Voici un exemple de ce qu'est depuis 20 ans, c'est-à-dire depuis la création de l'Institut, notre politique d'ouverture à la société et de notre interaction avec elle. Elle se traduit notamment par un dialogue continu avec le Haut comité à la transparence et à l'information en matière de sécurité nucléaire (HCTISN), mais aussi avec les commissions locales d'information qui sont près de tous les sites nucléaires et sont regroupées au sein d'une association nationale avec laquelle nous dialoguons également. Cela permet de partager nos travaux et d'intégrer les préoccupations de ces instances dans nos expertises.
J'en viens aux petits réacteurs modulaires, ou SMR (small modular reactors). Les SMR se caractérisent, selon leurs promoteurs, par une conception simplifiée par rapport aux réacteurs de forte puissance constituant le parc actuel. Au niveau international, il existe de nombreux modèles de SMR, dont la technologie et la maturité sont très variables. Dans une note d'information, nous avons identifié les enjeux de sûreté associés. Sur le principe, la puissance limitée de ces réacteurs devrait leur permettre de respecter des objectifs de sûreté exigeants, en termes de fréquence d'accidents et de limitation des rejets, notamment du fait qu'il n'est pas nécessaire de prendre d'urgence des contre-mesures en cas d'accident. Il faut étudier dans le détail ces différents concepts, pour se positionner plus avant sur un niveau de sûreté, notamment sur le recours accru aux systèmes passifs, l'un des arguments mis en avant par les promoteurs.
Nous nous sommes penchés sur de nombreux autres sujets d'expertise, par exemple la mise en service du réacteur EPR et le projet Cigéo ou encore, dans le domaine de la défense, l'analyse des essais à la mer du sous-marin nucléaire d'attaque, le Suffren.
Dans le domaine de l'expertise en radioprotection médicale ou environnementale, l'IRSN a achevé un certain nombre de travaux en 2021. Nous avons notamment publié le dernier constat radiologique régional pour la Normandie et les Hauts-de-France. Ces constats radiologiques régionaux permettent de disposer d'un état des lieux approfondi de la radioactivité sur le territoire étudié ; ils complètent la surveillance régulière de la radioactivité de l'environnement. Aujourd'hui, nous passons à une autre démarche : nous réalisons des études radiologiques de site, en commençant par le site de la centrale nucléaire de Saint-Alban. L'objectif est d'améliorer la connaissance des effets que peut avoir sur l'environnement la présence d'un site nucléaire et d'estimer de manière plus réaliste l'exposition des populations avoisinantes, ainsi que de contribuer à l'information des autorités et du public. Dans la démarche d'ouverture à la société que j'ai déjà évoquée, c'est aussi une manière d'impliquer les populations dans la mesure de la radioactivité environnementale.
Un mot sur le tritium. Il s'agit d'un radioélément, isotope de l'hydrogène, qui est produit par les installations nucléaires, notamment les réacteurs. Il soulève un certain nombre de questions. Dans ce cadre, nous avons réalisé, en mai 2021, la synthèse de dix ans de recherche en radiotoxicologie humaine et environnementale sur ce radioélément. Ce travail avait été conduit avec les laboratoires nucléaires canadiens. Les résultats concordent avec ceux qui ont été publiés par d'autres équipes. Ils indiquent que les modifications induites par l'incorporation de tritium sont observées à des niveaux d'exposition élevés. Ce rapport a fait l'objet d'un webinaire rassemblant 200 personnes. En juin 2021, nous avons présenté à un comité de suivi pluraliste les résultats d'une étude qui avait été lancée suite à la publication, par un réseau de préleveurs citoyens, d'une activité de tritium de 310 becquerels par litre mesurée dans la Loire. Ce niveau était plus élevé que ce qui était observé de manière systématique. Notre étude n'a pas mis en évidence de mesures atypiques dans les eaux de la Loire. Par contre, sur la base des mesures de terrain que nous avons effectuées et de nouvelles modélisations, nous avons pu mieux caractériser les conditions de dispersion des rejets dans la Loire, entre Chinon et Saumur.
Un point sur les expositions professionnelles aux rayonnements ionisants. En vertu de dispositions réglementaires, l'IRSN doit faire un bilan annuel pour le ministère du Travail. Cela concerne les activités médicales, vétérinaires, l'industrie nucléaire ou non nucléaire, la recherche, l'enseignement, ainsi que des secteurs concernés par l'exposition aux rayonnements naturels, par exemple les personnels navigants aériens. Nous constatons une augmentation légère de l'effectif suivi, avec 90 000 travailleurs environ. 60 % sont dans le domaine médical et vétérinaire et 22 % dans le nucléaire. Nous constatons que la dose a augmenté, en 2021, de 9 %, ce qui est à mettre en rapport avec le volume des travaux de maintenance dans le domaine nucléaire qui s'est accru en raison du grand carénage et de l'amélioration des conditions sanitaires liées au Covid.
Dans le champ de l'expertise en radioprotection, je voulais aussi souligner l'implication internationale de l'IRSN. En 2021, nous avons été nommés « capacity building center » de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour la gestion médicale et sanitaire des urgences radiologiques et nucléaires, ce qui marque une reconnaissance de l'Institut sur ces sujets. Une fois par an environ, une personne dans le monde est victime de surirradiation et l'IRSN fait partie, avec l'hôpital Percy, des organismes vers lesquels l'AIEA se tourne pour accueillir ces personnes surirradiées. En septembre, l'hôpital Percy et l'IRSN ont accueilli un patient d'Amérique du Sud pour le traiter. Pour mémoire, dans le domaine international et médical, l'IRSN est aussi centre collaborateur de l'OMS.
Un dernier point sur l'activité de recherche. Comme je l'ai dit, la recherche sert à disposer des connaissances nécessaires à notre expertise. J'ai déjà donné un exemple sur le béton, dans le cadre de l'expertise des réacteurs de 1 300 mégawatts. C'est une recherche au sens classique du terme, qui est partenariale et internationale. La présidente du conseil d'administration a évoqué le partenariat avec l'Institut Gustave Roussy ; je peux aussi mentionner la feuille de route signée récemment avec le CNRS, avec lequel nous avons énormément de collaborations, ou l'accord-cadre, conclu en début d'année avec l'Université Paris-Saclay. Nous sommes aussi un acteur important, dans notre champ de la recherche en sûreté nucléaire, en radioprotection. Nous étions par exemple présents, en 2021, dans 33 projets européens.
Pour illustrer l'année 2021, permettez-moi de citer trois exemples, parmi des réalisations nombreuses et très variées. Nous avons achevé, au Canada, une campagne de 26 essais destinée à étudier la capacité de refroidissement du coeur d'un réacteur en situation d'accident, dans le cadre d'un programme qui s'appelle « Perfroi », post-Fukushima, financé par l'ANR. Ces données servent à alimenter des codes de calcul que nous utilisons dans le cadre de l'expertise. Un autre projet de l'ANR vise la mise au point d'un traitement pour les victimes d'un syndrome aigu d'irradiation. Il ouvre de nouvelles voies de prise en charge des patients victimes de ces complications, notamment à la suite d'une radiothérapie. Enfin, dans le cadre d'une démarche européenne, nous étudions la possible contribution à la radioprotection de méthodes développées en lien avec l'étude de la toxicité des produits chimiques.
J'en viens à mes conclusions. Dans l'ensemble de nos champs d'intervention, nous sommes dans un contexte d'enjeux sans précédent, d'attentes et de demandes croissantes. Cela concerne aussi bien la sûreté nucléaire, du fait à la fois de la prolongation d'exploitation d'installations et de nouveaux projets, que la sécurité nucléaire, dans un contexte de menaces persistant, ou encore la protection contre les rayonnements ionisants, du fait d'un recours accru à ceux-ci dans le domaine médical mais aussi d'une augmentation des préoccupations sociétales en santé-environnement. Tous nos champs d'intervention sont concernés. L'ensemble de ces enjeux est retracé dans notre baromètre qui vient d'être publié. Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail, mais je pourrai y revenir si vous le souhaitez.
Pour faire face à ces évolutions constantes, pour assurer la pérennité et la pertinence de nos actions, pour répondre à ces demandes et attentes croissantes, nous nous adaptons en permanence. Dans le contexte de ressources publiques que nous connaissons - j'ai déjà évoqué le constat de la Cour des comptes sur la soutenabilité budgétaire de l'IRSN qu'il faut restaurer - l'IRSN a engagé des démarches de transformation pour améliorer son efficacité et son efficience : transformation numérique, transformation managériale, transformation des modes de travail.
En particulier, en 2021, nous avons formalisé notre stratégie numérique et préparé notre feuille de route RSE, qui a été publiée en 2022. Il s'agit in fine de permettre aux femmes et aux hommes de l'Institut de répondre à tout moment à ce besoin d'adaptation, pour que la sûreté nucléaire, la sécurité nucléaire, la protection des personnes et de l'environnement soient au plus haut niveau, dans une société actrice de la gestion des risques. Nous voulons contribuer à ce haut niveau de sûreté qui doit caractériser notre bouquet énergétique, quel qu'il soit.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous vous remercions pour cette présentation. Avant de laisser la parole à mes collègues, je souhaite aborder deux sujets qui ont donné lieu à des travaux de l'Office récemment. Le premier concerne la maîtrise des crédits de recherche en matière de sûreté nucléaire. Le président de l'Autorité de sûreté nucléaire a souhaité, devant les membres de l'Office, le 17 mai dernier, que soit créé un programme budgétaire spécifique, consacré au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et dont l'ASN aurait la maîtrise. Quels sont les arguments scientifiques et administratifs qui peuvent le justifier ? Ne craignez-vous pas, de ce fait, une dilution de ce système dual dont vous vantiez l'an dernier devant nous les avantages en ce qu'il peut procurer une double sécurité entre experts et autorités et entre évaluateurs et gestionnaires du risque ?
La seconde question porte sur la sûreté nucléaire et la conséquence de la guerre actuelle en Ukraine. Une ancienne collègue, Émilie Cariou, avait posé une question écrite, le 15 mars dernier, à propos des 2,5 millions de comprimés d'iode qui auraient été fournis à l'Ukraine pour parer à tout danger nucléaire, en interrogeant le Gouvernement sur l'état des stocks en France. Depuis le 25 février, l'IRSN active son centre technique de crise pour suivre les développements en Ukraine du point de vue de la sûreté nucléaire. Sur la base des points de situation réguliers que vous publiez, comment appréciez-vous aujourd'hui la dispersion de radionucléides et les retombées pour l'homme et l'environnement ? Ces sujets ont fait l'objet d'un suivi de l'Office par le passé et nous souhaitons nous inscrire dans cette continuité.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Merci pour cette présentation. J'ai trois questions assez directes. Est-ce que vous suivez particulièrement le projet Iter ? Quelle vision l'IRSN en a-t-il, notamment s'agissant de son coût ? Ma deuxième question concerne les essais d'armes nucléaires qui ont été effectués il y a longtemps par certaines puissances, dont le Royaume-Uni et les États-Unis. Les retombées de ces essais aériens ont été suivies pendant un certain temps. Ce suivi est-il encore en cours ? Enfin, je pense qu'il est intéressant, pour l'ensemble de nos collègues, que vous puissiez nous dire ce qui ressort du volet « Les Français, le nucléaire et la sûreté » de votre baromètre 2022. Je crois que cela permettra d'éclairer la représentation nationale sur la vision qu'ont les Français de l'énergie nucléaire. La rigueur intellectuelle qui doit présider à tous travaux, politiques comme scientifiques, m'oblige à rappeler que cette enquête a été réalisée en novembre 2021, c'est-à-dire avant la guerre en Ukraine. Car il me semble que nous devons en lire les résultats en ayant cette donnée en tête.
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Merci pour votre présentation et votre travail au quotidien. Madame la Présidente, vous avez souligné tout à l'heure le bon fonctionnement du conseil d'administration ; j'ajouterai à cette appréciation celle d'une « densité » de ce fonctionnement, pour en faire partie moi-même et pour y assister en visioconférence, une possibilité qui est donnée désormais et qui est appréciable. Merci pour le travail fourni, sachant que pour les non-initiés, les sujets sont parfois très techniques. La radioprotection est sans doute la composante de vos travaux qui est la plus méconnue. Pourtant, la radioprotection des populations dans les activités nucléaires est essentielle. Nous constatons que de nombreux avis sont fournis en la matière. J'ai deux questions à vous poser.
Sur l'ensemble des avis que fournit l'IRNS - les 650 que vous avez mentionnés -, certains concernent la prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs de 1 300 mégawatts et, plus globalement, de l'ensemble du parc nucléaire français. Vous avez évoqué la dualité du travail avec l'ASN qui fixe un niveau d'exigence de sûreté pour le fonctionnement du parc. Or le niveau d'exigence de sûreté n'est pas le même partout dans le monde, tant s'en faut. Aujourd'hui, une bonne partie de notre parc est arrêtée, en raison de problèmes de corrosion sous contrainte. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage ? Serions-nous trop pointilleux ? Nous ne serons jamais trop pointilleux s'agissant de sûreté nucléaire, mais ne sommes-nous pas trop pointilleux pour les tests permettant de considérer que le phénomène est sous contrôle ? Tous les pays ne font pas les mêmes tests pour valider l'exploitation de leurs centrales.
Ma deuxième question concerne les rejets des centrales dans les fleuves et océans. Vous avez évoqué d'ailleurs le problème du tritium. Il se trouve que le « prélèvement citoyen » a été fait dans mon département de Maine-et-Loire, entre Chinon et Saumur. Les niveaux de tritium peuvent être extrêmement élevés si le prélèvement est réalisé à un endroit précis. J'apprécie la réactivité avec laquelle vous avez répondu à ma propre sollicitation. J'étais maire d'une commune voisine et nous apprécions vraiment d'avoir l'oeil d'experts pour rassurer les populations et pour dire qu'une dispersion rapide se fait ensuite naturellement, dans un fleuve comme la Loire. Ma question concerne la sécheresse que l'on connaît aujourd'hui. Nous savons que l'on a autorisé certaines centrales à augmenter la température des fleuves où se font les rejets. J'imagine que vous avez été saisis en amont. Est-ce que cela ne vous inquiète pas ? Dans les années 1980, les normes d'exploitation autorisaient une élévation de température allant jusqu'à quatre degrés dans certains fleuves. Aujourd'hui, les normes sont bien en-deçà, à peine deux degrés du fait des rejets. Sur le long terme, est-ce que cela vous inquiète ? Est-ce que cela peut aussi fragiliser la relance du nucléaire en France ?
M. Jean-Philippe Tanguy, député. - Merci pour cette présentation. Je voulais féliciter votre institution pour sa contribution à la fiabilité et à la renommée de la filière nucléaire française et, partant, à la réputation de notre pays. L'IRSN, comme d'autres institutions, publie des rapports scientifiques de très grande qualité, avec un vocabulaire précis, technique qui, pour les experts et ceux qui s'y intéressent, ne souffre d'aucune ambiguïté. Malheureusement, certains groupes politiques et groupes activistes utilisent la science, parfois son propre langage, en faisant peur à la population avec l'emploi de mots qui, pour des profanes peu familiers de ce vocabulaire, peuvent effrayer. Ils utilisent aussi des ordres de grandeur ou encore des extraits de rapports, des phrases ou des mots complètement sortis de leur contexte, dans le seul but de faire peur. Ceci n'est pas nouveau et a joué un rôle considérable dans la décrédibilisation de la filière nucléaire et, d'une manière générale, de la connaissance scientifique. Ma question est simple. Comment le secteur nucléaire - et l'expertise scientifique en général - pourrait-il se protéger de ces manipulations, de cette mauvaise foi, de cette utilisation de la rigueur scientifique contre la science ?
M. Moetai Brotherson, député. - Je suis député de Polynésie, je vois donc forcément ces sujets à travers un prisme particulier. J'ai eu l'opportunité, en 2019, de visiter l'atoll de Mururoa où l'on nous a bien expliqué qu'il y avait encore des déchets radioactifs, que ce soit au fond du lagon, notamment sous le banc Colette où il y a du plutonium, ou dans les deux puits de stockage situés à un kilomètre au sud du banc Colette. Tous ces sites de stockage sont situés dans la partie de l'atoll qui menace de s'effondrer. Quelle est la position de l'IRSN sur ce sujet ? Le plus gros investissement de l'État en Polynésie, ces dernières années, est le projet Telsite de surveillance géo-mécanique de l'atoll. L'importance des sommes engagées témoigne de l'inquiétude relative au risque d'effondrement.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Madame la présidente, Monsieur le directeur général, je vous donne la parole pour répondre à ces nombreuses questions.
Jean-christophe Niel. - Je vous remercie pour cet ensemble de questions très complet. Concernant les crédits de recherche, l'ASN souhaite créer un programme dédié à la sûreté nucléaire, rassemblant le budget de l'ASN et la partie du budget de l'IRSN venant en appui à l'ASN, soit 25 à 30 % de notre budget total. Nous ne sommes pas favorables à cette proposition parce qu'elle nous semble contraire à l'esprit qui a présidé à la création de l'Institut, à savoir en faire un organisme qui est expert de l'ensemble des risques liés aux rayonnements ionisants. Cette approche permet de favoriser la multidisciplinarité et la transversalité. Il nous semble que la construction d'un tel programme budgétaire reviendrait à cloisonner l'expertise à destination de l'ASN au sein d'un nouvel ensemble ; elle rendrait par ailleurs la gestion de l'Institut beaucoup plus rigide et supprimerait de la flexibilité. Nous n'y sommes pas favorables pour des raisons de principe, sans parler des questions pratiques. Si chaque client de l'IRSN faisait de même, la gestion deviendrait extrêmement compliquée. En effet, nous avons énormément de demandeurs et toute institution publique est légitime à nous demander des analyses sur le risque lié aux rayonnements ionisants. Par ailleurs, je note que nos commanditaires, notamment l'Autorité de sûreté nucléaire, se disent aujourd'hui pleinement satisfaits du travail que nous conduisons pour leur compte. Les ministères de tutelle de l'IRSN, que j'avais saisis de ce sujet, m'ont confirmé par écrit qu'ils étaient en phase avec la position de l'IRSN, comme la Cour des comptes.
Nous partageons en revanche la volonté d'offrir au Parlement une visibilité sur l'ensemble de ce qui est dépensé par l'État, par les budgets publics, au titre de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Mais d'autres outils que les programmes le permettent, notamment les jaunes budgétaires. Le sénateur Berson avait précisément proposé d'en consacrer un à ce domaine, tant il est important, comme nous le constatons en observant les débats qui se multiplient actuellement. S'il est bon d'avoir une vision globale, il nous semble en revanche qu'entrer dans la logique de l'ASN serait contraire à la philosophie et aux principes de construction du système de contrôle conçu il y a 20 ans - système auquel l'Office a beaucoup contribué.
Votre deuxième question avait trait aux risques de voir des retombées radioactives en Ukraine. Nous avons rendu publiques les simulations que nous avons faites quant à leur impact potentiel. Plus que l'impact direct d'un missile, le risque qui nous semble le plus important est la perte d'alimentation électrique dans les centrales. Nous nous sommes concentrés sur ce sujet. En incluant dans nos calculs les enseignements de Fukushima, nous constatons que, selon l'ampleur de l'accident, les conséquences locales pourraient aller de quelques kilomètres à une centaine de kilomètres, en Ukraine. Les conséquences en France resteraient extrêmement limitées.
Au-delà de ces évaluations que nous avons rendues publiques, nous avons été questionnés sur un certain nombre de sujets, notamment sur la situation à Tchernobyl. La situation à Tchernobyl a attiré l'attention parce qu'une dimension symbolique forte est attachée à ce site. Il n'en reste pas moins qu'en termes de risques potentiels, l'enjeu est beaucoup plus faible que pour la centrale de Zaporijjia ou les autres centrales en fonctionnement en Ukraine, pays qui compte 15 réacteurs sur 4 sites. Le risque est beaucoup plus faible à Tchernobyl parce que 20 000 assemblages combustibles ont été retirés des trois réacteurs non accidentés et ont refroidi depuis 40 ans.
Nos simulations montrent qu'en cas de perte des alimentations électriques, donc du refroidissement de la piscine, la température de l'eau ne dépasserait pas 60 ou 70 degrés et l'absence d'ébullition ferait que les combustibles ne se dégradent pas. Ces calculs concordent avec ceux de nos collègues ukrainiens. Nous avons aussi suivi la radioactivité dans l'environnement. Il y a eu un certain nombre d'interruptions de mesures, mais nous n'avons pas noté d'évolution importante. Quelques augmentations, aux alentours de Tchernobyl, au début de l'invasion, ont été mises sur le compte des mouvements locaux de troupes. C'est possible et il est difficile d'être plus précis sans être sur place. Il y a aussi des débats sur une irradiation sévère de soldats russes. Il est probable que certains soldats russes, notamment ceux qui ont participé à des travaux de terrassement, ont reçu des doses importantes, mais pas au point de causer des syndromes d'irradiation aiguë. À moins que, par malchance, ils aient creusé à un endroit où il y a des déchets. Ceci n'est pas à exclure car la zone d'exclusion de Tchernobyl compte un certain nombre d'endroits où des déchets sont enterrés.
Pour répondre à Monsieur Fugit sur le coût d'Iter, nous ne suivons pas les budgets. Nous avons l'habitude de dire que la sûreté n'a pas de prix, mais qu'elle a un coût. Par contre, nous suivons Iter en termes de sûreté. Iter utilise du tritium. Actuellement, l'inventaire, c'est-à-dire la quantité de tritium présente dans l'installation elle-même, dans l'anneau, est faible. Pour nous, l'enjeu de sûreté associé à l'installation elle-même est limité. Il porte davantage sur l'entreposage de tritium à proximité, puisque les quantités de tritium y sont considérables. Elles se mesurent en kilogrammes, mais le sujet est important au regard de l'activité du tritium qu'elles représentent. C'est un isotope d'hydrogène qui se faufile partout.
Le vrai sujet pour nous est plutôt la santé au travail sur Iter. Pour des raisons liées à la technologie choisie, une couverture à l'intérieur du réacteur est en béryllium. Or c'est un cancérogène bien identifié. L'IRSN a élaboré un document sur le sujet, qui est public. Je peux le transmettre à l'Office s'il est intéressé. Pour nous, les sujets de sûreté commenceront au stade du démonstrateur, c'est-à-dire à l'étape suivante, dont il est déjà question dans un certain nombre d'instances internationales ; en effet, les débits de dose et les quantités de substances radioactives seront bien plus importants. D'ailleurs, notre message aux enceintes internationales consiste à dire qu'il faut intégrer le plus tôt possible cette dimension de sûreté dans le futur démonstrateur.
S'agissant des essais nucléaires en Polynésie, plusieurs centaines d'essais aériens ont eu lieu dans les années 1960, réalisés par de nombreux pays. L'élément radioactif créé par ces essais que l'on peut encore mesurer est le césium 137. L'IRSN fait des mesures dans l'environnement et j'ai évoqué tout à l'heure les constats radiologiques régionaux et les études radiologiques de site. Nous mesurons le césium 137 présent dans l'atmosphère et ces mesures sont disponibles sur le site de l'IRSN. Cependant, nous ne savons pas discriminer le césium qui vient des essais nucléaires de celui qui vient de Tchernobyl, qui sont deux grands contributeurs. Les deux hémisphères n'ont pas tout à fait les mêmes concentrations parce qu'ils sont assez bien séparés en matière de circulation des masses d'air, mais, dans chaque hémisphère, la quantité de césium 137 est relativement homogène. L'année dernière, nous avons connu un épisode de vent saharien amenant de la radioactivité. Cette radioactivité n'était pas spécifique aux essais conduits dans le Sahara. Elle était le résultat de cette contamination moyennée dans l'atmosphère, dans l'hémisphère nord, qui se dépose sur le sable. Dans des conditions météorologiques très particulières, ce sable est soulevé et quand il traverse la Méditerranée, les plus lourds aérosols s'arrêtent et les plus fins restent, ce qui conduit à augmenter la concentration de césium. Il avait été mesuré une augmentation d'un facteur 10 par rapport à la moyenne. Pour mémoire, lors de l'accident de Tchernobyl, en France, la concentration de césium était de 10 millions de fois la valeur actuelle.
Le baromètre est un outil que l'IRSN développe depuis 30 ans. Il porte sur la perception des risques et de la sécurité par les Français. Ce baromètre ne se limite pas au risque radiologique, mais concerne tous les risques. L'intérêt est d'avoir une vision sociologique de la perception de l'ensemble des risques par les Français. Non seulement le document est public, mais, dans une démarche d'open data, les données brutes des enquêtes sont aussi accessibles. Si des personnes veulent faire leurs propres croisements et recoupements de données, c'est-à-dire tirer des enseignements que nous n'avons pas choisi de tirer, elles peuvent le faire. Votre précision, Monsieur Fugit, est très importante : la dernière enquête a été réalisée en novembre et ne montre donc que la perception à cette époque.
Nous constatons que la préoccupation principale des Français est la santé, à la suite du Covid, sachant que son niveau est en baisse par rapport à l'année dernière. Le dérèglement climatique, pour lequel la valeur recensée a augmenté de 5 points en un an, arrive à égalité pour la première fois, puis viennent l'insécurité à 15 %, la grande pauvreté et l'exclusion à 13 % et l'instabilité géopolitique à 11 % - préoccupation qui devrait être à un niveau plus élevé dans l'enquête de novembre prochain.
Nous avons d'ailleurs déjà constaté des variations par le passé. En septembre 2002, des épisodes cévenols ont conduit à 23 décès dans quatre départements du sud de la France ; en novembre de la même année, la perception du risque d'inondation était montée très haut, avant de retomber à son niveau habituel après quelques années. En 2015, le même phénomène s'est produit avec les attentats, qui ont eu lieu quelques jours ou quelques semaines avant l'enquête. Un autre enseignement est intéressant par rapport au débat que vous soulevez, Monsieur Tanguy, puisque l'enquête montre que 64 % des Français conservent une confiance dans les institutions scientifiques ; en 2020, une légère baisse était apparue, liée à la pandémie et nous constatons en 2021 une remontée de 3 points par rapport à l'année dernière. Les Français sont confiants aussi dans les experts, puisque 54 % d'entre eux ont une bonne opinion d'eux. Ceux qui en ont une mauvaise sont peu nombreux, à hauteur de 8 %.
Sur le nucléaire, quelques chiffres sont intéressants. On relève notamment une évolution. Nous posons traditionnellement la question des arguments pour et contre. Le premier argument pour est l'indépendance énergétique à 36 %, suivi par le coût à 22 % et les gaz à effet de serre à 17 %. Le premier argument contre est la gestion des déchets à 35 %, suivi du risque d'accident à 20 % et du coût à 12 %. Parmi les questions sur la perception du nucléaire par les Français, la question suivante a été posée : la construction du parc nucléaire a-t-elle été une bonne chose ? Cette année, en novembre, la part des réponses favorables est 60 %, soit une augmentation de plus de 7 points par rapport à l'année dernière. Nous ne sommes pas capables de le corréler scientifiquement avec l'évolution du dérèglement climatique, mais nous ne pouvons pas ne pas faire le rapprochement. Nous avons également posé la question : êtes-vous favorable à la construction de nouvelles centrales ? Le niveau de réponses positives s'établit à 44 % cette année, en augmentation de 15 points sur un an. Êtes-vous contre la fermeture des centrales ? La hausse est également de 14 points, pour arriver à un total de 46 %. C'est un indicateur qu'il faudra suivre.
Monsieur Piednoir, la corrosion sous contrainte est un sujet sérieux parce que les défauts liés à la corrosion sous contrainte peuvent évoluer très rapidement. Contrairement à la fatigue thermique dont nous pouvons suivre facilement l'évolution car elle est régulière, la corrosion sous contrainte peut mettre 15 ans, voire 20 ans à apparaître, mais elle peut ensuite se propager très vite. Elle est la conjonction de trois caractéristiques : la qualité des matériaux, un agresseur chimique et des contraintes. C'est un sujet très sérieux. Ces défauts sous contrainte n'étaient pas attendus. D'ailleurs, ils n'ont pas été découverts par des contrôles recherchant spécifiquement la corrosion sous contrainte, mais par des contrôles recherchant la fatigue thermique car l'inox austénitique est un matériau qui est censé être résistant à la corrosion sous contrainte. C'était donc une surprise. Dans la durée, l'un des objectifs que doit poursuivre EDF est de développer un système de contrôle disruptif spécifique.
Sommes-nous trop pointilleux ? La question renvoie à la structuration du parc français. Le parc est très standardisé, ce qui veut dire que lorsqu'un événement apparaît sur un réacteur, il faut s'interroger tout de suite pour savoir s'il ne concerne pas les 58 autres réacteurs. Par ailleurs, la production électrique dépendant beaucoup du nucléaire en France. Une telle dépendance est assez spécifique à la France et crée donc des enjeux sur l'état des réacteurs. Quand ce phénomène est apparu, nous avons contacté nos homologues étrangers, mais, dans les bases de données, ce phénomène est très peu fréquent. Je crois que nous avons trouvé 150 cas, ce qui reste un phénomène peu fréquent. Dans nos travaux actuels, nous essayons de comprendre l'origine de cette corrosion sous contrainte. Elle est à la fois due à un phénomène dit de bras mort, c'est-à-dire d'eaux un peu stagnantes, et à des contraintes liées apparemment à la géométrie des tuyauteries, ce qui orienterait ce problème, d'après la position d'EDF aujourd'hui, vers le palier N4, les réacteurs les plus récents, et les plus récents des réacteurs de 1 300 MW, qu'on appelle le palier P'4. Pour ce dernier, la géométrie des lignes concernées est un peu compliquée et un peu longue.
Les rejets dans les cours d'eau et la sécheresse renvoient à la question de la canicule. Nous pouvons élargir le débat et parler des « agressions externes » que peuvent être les séismes, les incendies, les grands chauds, les grands froids ou les inondations. Les centrales nucléaires ont pris en compte ce sujet dès leur conception, mais de manière clairement insuffisante. Depuis leur création, les préoccupations sur ce sujet augmentent. Quelques épisodes, au milieu des années 1980, ont concerné la Loire, où de grands froids ont amené une prise en masse du fleuve. Cela pose un vrai problème de sûreté, puisqu'on ne peut plus alors pomper l'eau pour refroidir les installations. À la suite de cela, EDF a développé un programme « grand froid » que l'IRSN a expertisé. En 1999, l'inondation de la centrale du Blayais a conduit à une révision complète de la démarche inondation. Clairement, l'inondation du Blayais était un précurseur de l'accident de Fukushima. Les deux accidents ont d'ailleurs un point commun qui a tardé à être reconnu, à savoir qu'ils concernaient tous deux plusieurs réacteurs d'un même site, ce qui est assez caractéristique des agressions externes. D'ailleurs, quand nous avons fait le retour d'expérience de Fukushima, les conclusions tirées de l'inondation du Blayais n'ont pas dû être modifiées. Le travail mené au Blayais anticipait les conclusions tirées de l'accident de Fukushima.
Au milieu des années 2000, les canicules ont conduit à des plans « grand chaud ».
La canicule se traduit de plusieurs manières. Souvent, ces épisodes se passent à un moment où le niveau des eaux est faible. Se pose la question environnementale de l'impact sur le biotope, sur la vie dans les cours d'eau. L'IRSN n'intervient pas sur ce sujet, qui est géré par l'Autorité de sûreté nucléaire ; il intervient sur le sujet radioactif.
Le premier problème environnemental est d'éviter que l'eau se réchauffe trop : si c'est le cas, il faut arrêter le réacteur. Mais les grands chauds posent aussi un problème du point de vue de la sûreté. Un certain nombre d'équipements doivent fonctionner dans des gammes de températures ni trop basses ni trop hautes. Le plan « grand chaud » qu'a développé EDF a traité ce sujet. Dans le cadre de notre avis sur la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de 40 ans, nous avons demandé un renforcement de ces dispositions. Il peut prendre plusieurs formes : tantôt retenir des équipements qui résistent mieux aux températures, tantôt améliorer les échangeurs thermiques pour permettre d'obtenir des ambiances plus froides. En tout état de cause, si les températures sont trop élevées, des critères de sûreté conduiraient à l'arrêt du réacteur. En intégrant ce sujet dans une démarche plus large de dérèglement climatique, il est demandé aux opérateurs de nouveaux réacteurs d'intégrer cette perspective de long terme. Sur le réacteur en fonctionnement, cette question est observée tous les dix ans, à l'occasion des réexamens de sûreté.
Monsieur Tanguy s'interrogeait sur la manière dont les résultats scientifiques sont utilisés. La crédibilité associée aux scientifiques me semble être plutôt élevée. Nous poursuivons notre démarche d'ouverture à la société. Nous n'essayons pas de convaincre les gens ; nous essayons de leur donner des éléments pour qu'ils se fassent leur propre réflexion. Nous interagissons avec les commissions locales d'information. Ces structures de type Grenelle réunissent l'exploitant, les experts, les associations, les administrations et les élus. Je crois qu'il y en a 35 en France. Elles sont un lieu de débat et d'échanges. L'IRSN pratique, dans ces instances, le dialogue technique. Nous venons présenter nos démarches. Nous constatons que, dans ces instances et dans la société, les compétences se développent et nous avons un vrai débat technique. Il me semble que c'est la solution pour que les gens se forment leur propre philosophie. Certains seront cependant tout à fait pour, d'autres tout à fait contre ; il me paraît difficile de convaincre tout le monde.
M. Marie-france Bellin. - Un service des politiques d'ouverture à la société a été créé au sein même de l'IRSN, ainsi qu'un comité spécialisé.
Jean-christophe Niel. - Tout à fait. Notre démarche d'ouverture à la société n'est pas une démarche de porte-parole. Nos experts, nos chercheurs vont rencontrer les CLI, les experts non institutionnels et présentent leurs résultats. C'est un métier qui s'apprend. Nous proposons des formations pour mettre nos experts en condition et les accompagner. Je constate que nos experts et chercheurs qui le font sont un peu inquiets à la première réunion et y retournent ensuite volontiers.
Pour répondre à la question de Monsieur Brotherson, la situation à Mururoa est suivie par le ministère de la Défense. Que fait l'IRSN, en Polynésie, depuis de nombreuses années ? Depuis les années 1960, nous avons un laboratoire sur place, le LESE, qui fait de la mesure de radioactivité dans l'environnement, dans la partie civile du site. Nous constatons que le niveau de radioactivité est aujourd'hui faible. Nous faisons également des mesures sur un certain nombre d'îles. Nous constatons que l'exposition artificielle, aujourd'hui, en Polynésie, au vu de nos résultats, est un millième de la radioactivité naturelle. La démarche est systématique, nous la menions tous les ans et la menons désormais tous les deux ans, parce que les niveaux sont faibles et n'évoluent pas. Nous appliquons cette surveillance sur sept îles de Polynésie, représentatives des cinq archipels. Par ailleurs, nous participons aux travaux d'un certain nombre de commissions. Nous avons été auditionnés par le Civen et par l'Observatoire de la santé des vétérans. Nous ne sommes du reste pas sollicités au titre des mesures que nous réalisons sur l'atoll de Mururoa, mais au titre de nos compétences en radiobiologie, en radioprotection et en épidémiologie.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - En l'absence d'autres demandes d'intervention, je voudrais vous remercier de votre fidélité à l'Office. Merci également, à travers vous, à l'ensemble des équipes de l'IRSN. L'Office aura l'occasion de vous solliciter à nouveau dans le cadre de rapports prochains ou d'évaluations.
Jean-christophe Niel. - Je vous invite à venir visiter les installations de l'IRSN. Certaines se trouvent en région parisienne, au Vésinet où nous faisons de la surveillance, ainsi qu'à Fontenay-aux-Roses, où nous avons notre centre de crise. Si vous êtes intéressés, nous pouvons organiser une visite de notre centre de crise, voire d'autres installations. Nous sommes à votre disposition.
M. Marie-france Bellin. - Merci à vous. Nous sommes très heureux de pouvoir vous donner certaines informations et nous sommes à votre disposition si vous en souhaitez davantage, ou à l'occasion de la préparation ou de la publication de rapports.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous avons noté l'invitation et nous l'évoquerons. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est close.
La réunion est close à 12 h 15.