Mardi 26 avril 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Audition de M. Sébastien Cavalier, président de la SAS Pass Culture
M. Laurent Lafon, président. – Nous accueillons M. Sébastien Cavalier, président de la société par action simplifiée (SAS) pass Culture, afin de faire un point sur le déploiement du pass Culture.
Monsieur Cavalier, c’est la première fois que nous vous recevons depuis votre prise de fonctions en septembre dernier. Merci d’avoir accepté de venir dresser un bilan de votre action devant notre commission. Nous nous intéressons à cet instrument depuis son lancement et nous sommes très soucieux qu’il n’exprime pas une simple approche consumériste de la culture, mais s’intègre dans une véritable politique publique.
Le pass Culture a connu deux évolutions majeures au cours de l’année passée : sa généralisation, en mai dernier, à l’ensemble des jeunes de 18 ans sur tout le territoire, puis son extension, depuis janvier dernier, aux collégiens et lycéens à partir de la classe de quatrième.
Quel bilan tirez-vous de ces deux évolutions ? Le pass Culture est-il désormais un instrument efficace en matière de démocratisation culturelle, de diversification des pratiques culturelles, mais aussi de promotion de la diversité culturelle ? Quels seront vos chantiers dans les mois à venir ? Quelle articulation la SAS a-t-elle avec les collectivités territoriales ?
M. Sébastien Cavalier, président de la SAS pass Culture. – L’année dernière a effectivement vu, le 21 mai, l’extension du pass Culture à tous les jeunes de 18 ans sur le territoire national, après presque deux ans d’expérimentation ; au même moment était annoncée son extension aux mineurs à partir de janvier 2022 selon deux directions. D’une part, le dispositif initial serait étendu aux jeunes de 15 à 17 ans, qui recevraient des crédits de 20 euros à 15 ans, puis 30 euros à 16 et 17 ans, pour une découverte progressive de la culture à partir de choix personnels. D’autre part, le pass est étendu, dans une version collective, aux élèves de la quatrième à la terminale des établissements scolaires, par le biais de crédits accordés à ces établissements au prorata du nombre de leurs élèves – 25 euros pour chaque élève de quatrième et troisième, 30 euros en seconde et 20 euros en première et terminale –, ce qui fait du pass un nouvel outil de financement de la politique d’éducation artistique et culturelle (EAC). Ainsi, chaque classe dispose d’un budget d’environ 800 euros, auxquels s’ajoutent des apports de l’État et des collectivités territoriales, de manière à atteindre l’objectif dit de « 100 % EAC ».
Aujourd’hui, 1,8 million de jeunes sont inscrits au pass Culture, dont 1,05 million de jeunes de 18 ans et 750 000 mineurs inscrits depuis le début de l’année. Cela nous réjouit, car le pass a été construit pour donner envie aux jeunes d’intensifier et de diversifier leurs pratiques culturelles, dans une perspective de formation de citoyens éclairés et émancipés. En regard, quasiment 14 000 acteurs culturels, tous secteurs confondus, participent à notre offre ; ce chiffre inclut de nombreuses collectivités territoriales, acteurs incontournables de la culture.
Notre objectif est d’avoir un outil complémentaire de la politique culturelle menée depuis plusieurs dizaines d’années, souvent qualifiée de « politique de l’offre », de manière à mettre en valeur auprès des jeunes l’extraordinaire tissu culturel construit sur l’ensemble du territoire. L’application développée autour du pass Culture leur permet de découvrir l’offre culturelle présente autour de chez eux. Nous considérons le pass comme un bien public partagé, financé par l’impôt, dont toutes les parties prenantes ont vocation à se saisir. Nous voulons être à l’écoute de tous, des jeunes aux acteurs culturels, aux éducateurs et aux collectivités, pour en faire l’outil le plus efficace possible. Le succès repose sur l’engagement de tous, il faut donc développer un maximum de partenariats. L’extension du pass aux jeunes de 15 ans et aux élèves dès la quatrième permettra de s’adresser au total à presque 6 millions de personnes, avec une pluralité d’outils.
Quant à l’utilisation des crédits, en 2021, les jeunes de 18 ans ont massivement plébiscité le livre, qui a représenté 56 % de leurs dépenses. On sait qu’un tiers de ces dépenses est allé vers les mangas, mais 60 % de leurs acheteurs ont aussi acheté d’autres livres ; au total, 200 000 références différentes de livres ont été achetées ! La deuxième source de dépenses était le cinéma, avec 17 % des dépenses ; la troisième, les instruments de musique. Au premier trimestre 2022, avec l’amélioration de la situation sanitaire, on observe une petite baisse de la part des livres, une consolidation du cinéma et un début de reprise du spectacle vivant, notamment des festivals et des concerts ; le pourcentage reste modeste, mais dynamique. Ainsi, au printemps de Bourges, 3 800 billets ont été vendus par le biais du pass Culture, soit 11 % des ventes totales. Mentionnons l’offre Duo, qui permet aux jeunes d’inviter qui ils veulent à un spectacle ou un festival. Ces dispositifs permettent à de nouveaux publics de découvrir ces offres.
Sur la part collective, mise en œuvre depuis janvier seulement, nous avons encore peu de recul, mais on peut déjà constater que son utilisation est très différente et complémentaire de celle de la part individuelle : 40 % en est faite sur le spectacle vivant, après quoi viennent les pratiques artistiques et les visites guidées. En additionnant ces deux offres, les jeunes disposent d’occasions extrêmement nombreuses et variées de découvrir la culture.
Dans les mois qui viennent, nous devons nous confronter à plusieurs enjeux. D’abord, il faut continuer à donner envie aux jeunes de rejoindre et d’utiliser le pass Culture et réussir l’appropriation par tous les enseignants de la part collective.
Ensuite, une meilleure éditorialisation de l’offre doit faire en sorte que les jeunes explorent le catalogue au-delà de leur zone de confort, de leurs univers de prédilection. Nous y travaillons par le biais de playlists éditorialisées et d’offres exclusives : ainsi, à Nancy, un billet d’opéra acheté avec le pass a pu permettre la visite guidée du théâtre, des rencontres avec des artistes et un musicologue… Nous voulons aussi donner davantage la parole aux acteurs culturels et aux jeunes au sein de l’application, la recommandation par les pairs étant cruciale à cet âge-là. Ainsi, on pourra mieux remplir notre objectif de diversification ; pour mieux mesurer celle-ci et mieux comprendre comment nous adresser aux jeunes, nous avons conclu un partenariat avec l’École normale supérieure (ENS).
Enfin, nous voulons faire en sorte que tous les acteurs rejoignent progressivement le pass Culture. Il faut que les jeunes puissent découvrir l’environnement culturel tel qu’il est. Cela concerne notamment les musées et les bibliothèques, qui se sentaient peu concernés à l’origine du fait de leur gratuité pour les jeunes : pourtant, les offres gratuites sont aussi un vecteur crucial pour essayer telle ou telle pratique culturelle, a fortiori pour les jeunes de 15 à 17 ans disposant d’un crédit plus modeste. Nous travaillons aussi énormément avec les collectivités, souvent premiers gestionnaires et financeurs de la culture sur leurs territoires. Ainsi, nous avons signé ces derniers jours une convention de déploiement du pass avec le maire de Bourges.
Nous sommes aussi très soucieux de partager autant que possible les données obtenues sur les pratiques culturelles des jeunes, dans le respect de la réglementation européenne et du secret des affaires. On fait ainsi du pass un outil d’aide à la décision pour la construction des politiques publiques par le Gouvernement et les élus. Nous publions des informations en open data et des études que vous pouvez consulter sur notre blog Medium.
M. Jean-Raymond Hugonet, président du groupe d’études sur le pass Culture. – Votre nomination à la tête de la SAS est plutôt récente ; je ne reviendrai donc pas sur les débuts chaotiques de cette opération… Pensons plutôt à l’avenir !
Nous avions été assez déçus l’an dernier en découvrant la répartition des réservations des jeunes qui avaient participé à l’expérimentation : le spectacle vivant, les centres d’art, les musées, le patrimoine étaient nettement en retrait. Pourriez-vous nous en dire davantage sur l’impact de la réouverture des lieux culturels sur la consommation du pass par les jeunes ? Quelles actions mettez-vous en place pour mieux valoriser les offres qui suscitent jusqu’ici un moindre intérêt de la part des jeunes ?
Nous sommes très attentifs à la diversification des parcours artistiques et culturels des jeunes. Vous avez évoqué le partenariat que vous avez conclu avec un laboratoire de recherches de l’ENS. Avez-vous déjà de premières indications sur le degré de diversification des parcours ? Comment comptez-vous vous y prendre pour le faire progresser ?
Enfin, élus de la chambre des territoires, nous sommes très soucieux de la dimension territoriale du pass. Quel rôle jouent les collectivités territoriales dans son déploiement ? Cela avait pu sembler constituer un point de tension ; quelles concertations et synergies avez-vous mises en place avec les élus et les acteurs culturels locaux pour y remédier ?
M. Sébastien Cavalier. – À la suite de la réouverture des lieux culturels, on note une inflexion de la consommation. Cela a d’abord profité au cinéma, qui a représenté 17 % des dépenses en 2021 alors même que les salles n’ont rouvert qu’à l’été. Aujourd’hui, tous les grands réseaux sont inscrits sur l’application, ainsi que la moitié des cinémas d’art et essai : la dynamique est positive.
Quant au spectacle vivant, il n’a représenté que 1,5 % des dépenses l’année dernière, dans une situation sanitaire compliquée ; au premier trimestre 2022, sa part est déjà montée à 4 %. La dynamique est portée par les festivals et les musiques actuelles. Il y a encore une marge de progression : sur près de 8 000 à 10 000 festivals en France, seuls 200 sont accessibles par le pass, un grand effort est requis. Il y a des festivals sur tous les territoires, collaborer avec eux renforcerait le maillage de l’offre. Quoi qu’il en soit, cette année devrait voir une baisse relative de la part du livre dans les dépenses, au profit des musiques actuelles et des festivals.
Pour la valorisation de nos offres, deux types d’actions sont possibles. D’abord, il faut combler certains trous dans la raquette : musées, monuments, bibliothèques, festivals... Il faut convaincre ces acteurs de l’importance de participer au pass. Nous travaillons pour ce faire avec les réseaux professionnels, mais aussi avec les collectivités territoriales, dont relèvent la plupart des musées et des bibliothèques. J’ai rencontré à peu près toutes les associations d’élus locaux. Déjà 1 500 collectivités participent activement au pass. Pour amplifier cet effort, il faut simplifier la vie des collectivités. Le pass leur permet de mettre en valeur l’offre culturelle sur leur territoire ; on peut construire des événements en commun. Nous travaillons tous pour les jeunes, il s’agit de coordonner au mieux tous les dispositifs. Des inquiétudes ont été exprimées par certaines collectivités en matière d’EAC ; nous ne voulons pas les remplacer, mais faire un maximum de synergies. On a identifié environ 80 dispositifs locaux semblables au pass Culture ; à chaque fois, on se réjouit que les jeunes de ce territoire bénéficient de deux pass et on cherche à proposer des offres communes.
Ensuite, nous valorisons nos offres par le biais d’événements exclusifs et de playlists spécifiques, autour d’événements comme le 400e anniversaire de Molière ou la panthéonisation de Joséphine Baker. Plus largement, nous améliorons l’application et nous y intégrons des recommandations par des jeunes et, bientôt, par les acteurs culturels. Nous réfléchissons à des algorithmes qui permettent aux jeunes de découvrir progressivement la diversité culturelle à partir des univers qui leur sont familiers : leur proposer d’emblée des choses qui leur sont complètement étrangères ne fonctionnerait pas, il faut d’abord accrocher leur attention.
Cet enjeu de diversification est au cœur de notre collaboration avec l’ENS. Nous construisons un modèle de scoring, pour mesurer l’effet de différentes méthodes de diversification – disciplinaire, géographique, ou thématique. Comme nous attribuons des points en fonction du degré de diversification des offres choisies par le jeune, ce modèle n’est pas exempt d’une certaine subjectivité. C’est pourquoi nous avons aussi conçu un deuxième outil, le graphe des coréservations, qui nous offre une photographie plus objective de la façon dont les jeunes réservent, pour mieux déterminer quels types de réservation sont proches ou, au contraire, éloignés. Ces outils devront progressivement nous permettre de mener des actions spécifiques pour les diverses catégories de jeunes : ceux-ci ont des pratiques culturelles différentes - plus ou moins régulières. Il faut identifier les profils et les pratiques de diverses catégories pour mener des actions ciblées qui permettront aux jeunes de chacune de ces catégories d’évoluer dans leur parcours. On mesure déjà que les filles ont une utilisation du pass plus diversifiée que les garçons, ou encore que les dépenses étalées dans le temps sont plus diversifiées.
M. Jean-Raymond Hugonet, président du groupe d’études sur le pass Culture. – Les chiffres que vous évoquez correspondent au montant des dépenses sur l’application. En volume, que représente l’achat d’instruments de musique ?
M. Sébastien Cavalier. – Les instruments de musique représentent environ 12 % du total des remboursements, soit12 millions d’euros. Compte tenu du coût d’acquisition d’un instrument, le jeune consomme généralement l’intégralité de ses crédits à cet effet. Nous perdons donc notre levier pour contribuer à diversifier son parcours artistique et culturel ensuite, mais nous estimons que c’est une porte ouverte à de nombreuses découvertes. Il nous faut accepter de lâcher prise !
Mme Sylvie Robert. – Concernant l’offre collective, notamment pour les classes de quatrième, disposez-vous de premiers résultats ? Des demandes sont-elles déjà formulées ? En quoi consistent les dépenses et comment se déroule le processus ? Les offres sont-elles présentées directement par les acteurs, ou par le conseiller de la direction régionale de l’action culturelle (DRAC) chargé du pass Culture ? La part collective du pass peut-elle être utilisée pour le transport, source de dépenses importante pour les sorties culturelles, notamment dans les zones rurales ou éloignées des équipements culturels ?
Est-ce toujours l’agence Havas qui gère la communication du pass Culture ? En quoi consiste cette communication ?
Enfin, en matière d’ouverture du pass à d’autres équipements culturels, comme les musées ou les bibliothèques, ceux-ci sont souvent gérés en régie par les collectivités ; à Rennes, c’est aussi le cas de l’opéra et du centre d’art. Cela peut poser des problèmes de gestion, notamment pour le remboursement des places. Ces difficultés ont-elles été surmontées dans les contrats signés avec les collectivités ?
M. Sébastien Cavalier. – L’offre collective a été testée au dernier trimestre de 2021 dans les académies de Versailles et Rennes, avant d’être généralisée au 1er janvier 2022 à tous les établissements publics de l’Éducation nationale et privés sous contrat, ainsi qu’aux établissements dépendant des ministères de l’agriculture, de la mer et des armées depuis le 1er avril. La SAS gère, pour le compte de ces ministères, des enveloppes de crédits octroyées à ces établissements au prorata du nombre de leurs élèves. Ces enveloppes financent soit des sorties, soit l’accueil d’acteurs culturels au sein des établissements. La mise en relation des acteurs et des enseignants se fait par le biais de la plateforme Adage, où des offres peuvent être déposées par tous les acteurs ; dans la pratique, certaines offres « haute couture » sont élaborées en amont, en concertation avec l’équipe enseignante. Au total, 14 000 offres ont été déposées par près de 1 800 acteurs culturels ; 3 millions d’euros ont déjà été dépensés, 20 % des établissements ont eu recours à l’offre pour des sorties, à 40 % pour du spectacle vivant. Un travail de sensibilisation est mené par le ministère auprès des enseignants et des chefs d’établissement, qui coordonnent l’usage des fonds ; nous avons de notre côté formé plus de 3 000 acteurs culturels.
Ces crédits permettent de financer des activités artistiques et culturelles, mais la question du transport s’est vite posée dans les territoires éloignés des centres urbains, où elle représente une forte barrière à la pratique culturelle. On réfléchit aujourd’hui à ouvrir la possibilité de financer les transports pour des sorties culturelles par le biais du pass Culture, mais en dernier recours : s’il existe des dispositifs portés par les collectivités, on y aura prioritairement recours. Les situations sont très hétérogènes, l’idée est d’avoir partout en tête l’objectif du 100 % EAC.
Havas est toujours notre agence de communication ; un marché de trois ans avait été conclu avant mon arrivée à la tête de la SAS. Cette communication passe essentiellement par les réseaux sociaux. Pour les plus jeunes, nous travaillons aussi beaucoup avec l’Éducation nationale et nous cherchons à associer davantage les parents. Une nouvelle campagne de communication devrait être lancée en septembre prochain.
Quant aux équipements relevant des collectivités territoriales, 1 500 d’entre elles sont inscrites au pass, mais toutes ne sont pas actives de la même façon. Une dernière question doit être réglée pour faciliter les procédures : les établissements d’une même collectivité n’ont pas de personnalité juridique et partagent donc un même numéro SIRET. Il faut adapter notre outil pour y répondre et faciliter les remboursements, sans quoi la prise en charge d’offres payantes restera impossible. Cela devrait être fait d’ici au mois de juillet.
Nous accompagnons les collectivités dans la prise en main des outils ; ainsi, je serai bientôt à Rennes pour participer à l’élaboration d’un programme spécifique pour cette ville. Nous avons aussi récemment formé les équipes de la ville de Cannes à l’utilisation du pass Culture. Nous avons nos locaux à Paris, mais 25 membres de notre équipe sont dans les régions, souvent dans les DRAC, au plus proche des territoires ; nous souhaitons encore augmenter leur nombre.
M. Pierre Ouzoulias. – Vous avez décrit la politique culturelle française comme une politique de l’offre ; pour ma part, j’estime plutôt qu’il s’agit, depuis cinquante ans, d’une politique de la médiation, telle qu’elle a été formalisée par André Malraux, selon qui « la médiation fonde la dimension à la fois singulière et collective de notre appartenance et, au-delà, de notre citoyenneté ». Vous conviendrez que l’algorithme ne saurait remplacer le médiateur ; alors, quelle relation doit-on établir entre les deux ? Le médiateur doit pouvoir agir localement sur l’algorithme, qui ne saurait être paramétré nationalement.
M. Julien Bargeton. – Je me réjouis des récentes évolutions du pass Culture, qui s’inscrit désormais dans une politique culturelle toujours plus approfondie. Que faudrait-il faire pour aller plus loin encore, pour faire du pass un couronnement de notre volonté de démocratisation de l’accès à la culture ? Quels objectifs remplis feraient de 2022 une année réussie pour vous ? Plus largement, quelle sera à l’avenir la place de cet outil dans la médiation et l’éducation culturelles ?
M. Cédric Vial. – En ouvrant l’application sur un téléphone, on lit : « Le pass Culture est une initiative du Gouvernement financée par le ministère de la culture » ; une formule similaire est ensuite employée : « le Gouvernement offre un crédit... » Il me semble que les crédits que, suivant la Constitution, le Gouvernement est amené à gérer appartiennent plutôt à l’État. Une telle approche me paraît pour le moins inédite et surprenante, d’autant que la Caisse des dépôts et consignations, qui participe au financement du pass, ne dépend pas du Gouvernement… Cette présentation vous a-t-elle été soufflée par un cabinet ministériel, ou bien s’agit-il d’un choix assumé ?
Je constate par ailleurs que les offres de presse d’actualité présentes dans l’application sont assez limitées – Libération, Courrier international et L’Équipe me semblent être les seuls choix proposés – ; ce manque de pluralisme est surprenant dans un dispositif public. Un problème similaire semble se poser pour les opérateurs d’abonnement numérique de cinéma. N’aurait-il pas mieux valu attendre de conclure des partenariats plus divers avant de mettre ces offres en ligne ?
Enfin, je suis mal à l’aise avec la mise en place d’un tel dispositif alors que de nombreuses collectivités mènent déjà une action similaire avec compétence. Plutôt que de les aider de manière décentralisée, on se substitue à elles, on crée des doublons. La culture est importante pour les jeunes, mais le sport l’est tout autant, tout comme le transport, ou encore la nourriture, l’habillement et l’hygiène. Tout cela ne requiert-il pas de nouveaux coupons dans votre logique ? Où s’arrêter dans cette dérive ?
Mme Else Joseph. – Les offres accessibles avec le pass Culture pour les jeunes de mon département des Ardennes sont très limitées. Vous avez dit vouloir convaincre les collectivités : quels soucis demeurent pour ce faire ? Enfin, je m’inquiète de la faible part des réservations effectuées dans le domaine du patrimoine ; comment cela s’explique-t-il et comment mieux valoriser ces offres ? Il est important de sensibiliser les jeunes à la protection du patrimoine ; les chantiers jouent un rôle important en la matière et présentent des métiers trop faiblement valorisés.
M. Sébastien Cavalier. – Je conviens volontiers, monsieur Ouzoulias, que les algorithmes n’ont pas vocation à remplacer la médiation. Le pass Culture est un outil visant à faire découvrir aux jeunes une offre culturelle diverse et à offrir aux acteurs culturels un accès renouvelé à ce public qu’ils ne touchaient largement qu’à travers des logiques de groupes constitués. Cet outil sera d’autant plus efficace que chacun pourra contribuer au bon équilibre du dispositif. Nous avons toujours voulu ancrer le pass dans la proximité, dans des lieux de culture : ainsi, on ne peut l’utiliser pour se faire livrer un livre, il faut se rendre dans une librairie. Or les acteurs de ces lieux, les libraires en l’occurrence, sont des gens passionnés et passionnants, ce sont d’excellents médiateurs. Les offres exclusives que j’ai évoquées tout à l’heure sont aussi une forme de médiation.
Le pass permet enfin de financer la création de postes de médiateurs dans les musées ou les centres d’art, lieux qui n’ont pas forcément les moyens aujourd’hui d’accueillir un public aussi large qu’ils le souhaitent ; la médiation numérique inventée pendant le confinement reste aussi d’actualité pour ces établissements, nous pouvons nous en faire l’écho. Nous voulons plus largement ouvrir plus largement aux acteurs la possibilité d’offrir de la médiation directement sur notre application, d’y prendre la main sur la manière dont leur offre est présentée. Cela prend du temps car il faut que ces acteurs élaborent des supports de communication dans des formats adaptés pour qu’ils parlent aux jeunes.
Merci, monsieur Vial, d’avoir attiré mon attention sur cette formulation ; il y aurait en effet une certaine logique à parler d’État plutôt que de Gouvernement. Quant à la pluralité des offres numériques, cela ne dépend pas que de nous. Nous proposons à tous d’être présents sur l’application, libre à eux d’y consentir ou non. Rappelons que les offres numériques ne sont pas remboursées ; c’est pourquoi certains médias n’ont pas souhaité être présents. Nous avons préféré commencer avec ceux qui ont souhaité participer et convaincre les autres progressivement. La position de certains réfractaires évolue, du fait notamment de leur désir de rajeunir leur lectorat ; certaines plateformes de niche trouvent en outre dans le pass Culture une visibilité bienvenue. En tout cas, aucun argent public n’est engagé dans ce domaine.
Madame Joseph, nous pouvons dresser un état des lieux de l’offre du pass Culture dans les Ardennes et vous le communiquer. Le niveau d’équipement varie selon les territoires et les acteurs locaux sont plus ou moins motivés ; nous essayons toujours de les convaincre. Pour les collectivités, beaucoup ont considéré que la gratuité dont bénéficient souvent les jeunes dans leurs équipements rendait inutile leur présence dans le pass Culture, qui nécessite un léger investissement de leur part. Nous essayons donc de simplifier les procédures et de travailler avec elles pour les convaincre d’utiliser le pass pour améliorer la visibilité de leur politique culturelle auprès des jeunes. Quant au patrimoine, nous menons aujourd’hui un important travail avec les musées ; nous étudions aussi la possibilité de faire visiter des chantiers de fouilles et de restauration, mais leur ouverture au public entraîne de nombreuses contraintes qui doivent être prises en considération dès la conception du chantier. Le Centre des monuments nationaux a rejoint le pass Culture. Nous avons par ailleurs mené des actions autour des métiers de la culture et en particulier du patrimoine. Restons optimistes : fin 2021, les musées figuraient dans le « top 3 » des réservations que les jeunes envisageaient de faire en 2022 via l’application.
Quant aux objectifs que M. Bargeton m’invite à exposer pour 2022, j’en vois plusieurs. Notre objectif primordial est de toucher au maximum tous les jeunes ; dans cette perspective, l’idée lancée par le Président de la République d’étendre la part collective du pass aux élèves de sixième et cinquième serait une belle façon de renforcer l’éducation artistique et culturelle. Il serait aussi bienvenu d’ouvrir cette part collective aux jeunes en apprentissage, qui sont plus de 300 000 dans la classe d’âge qui nous concerne, en collaboration avec les chambres consulaires. Ensuite, nous voulons améliorer l’efficacité de notre application auprès des jeunes, qui se montrent très exigeants en la matière ; il faut que la circulation y soit plus fluide, de manière à ce que les jeunes s’y perdent dans de grands chemins de découverte et à ce que notre catalogue soit mieux mis en valeur. Enfin, nous souhaiterions atteindre 3 millions d’utilisateurs réguliers, ce qui serait impressionnant au vu de la jeunesse de cet outil, qui évolue très vite.
M. Laurent Lafon, président. – Merci pour ces réponses très précises à nos nombreuses questions, qui témoignent de l’intérêt de notre commission pour le pass Culture, dont nous tenons à suivre l’évolution. Nous demeurerons attentifs à l’avenir et nous vous souhaitons de remplir les objectifs que vous vous fixez !
La réunion est close à 16 h 45.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.