Mardi 22 mars 2022
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 17 h 05.
Audition de M. Mehdi Mahammedi-Bouzina, conseiller parlementaire, M. Vincent Hulin, conseiller eau et biodiversité, Mme Sophie-Dorothée Duron, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité et M. Jean François Gaillaud, chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques au ministère de la transition écologique
M. Michel Canévet, président. - Notre mission d'information sur la protection, l'exploitation et l'exploration des grands fonds marins a commencé ses travaux en début d'année, en vue de rendre ses propositions avant l'été.
Après avoir auditionné plusieurs représentants des pouvoirs publics, mais aussi des scientifiques, des organisations non gouvernementales et des responsables d'entreprises, nous accueillons aujourd'hui M. Vincent Hulin et M. Mehdi Mahammedi-Bouzina, respectivement conseiller eau et biodiversité et conseiller parlementaire au cabinet de la ministre de la transition écologique, Mme Sophie-Dorothée Duron, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité et M. Jean-François Gaillaud, chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Au travers des réponses au questionnaire qui vous a été communiqué, nous attendons vos éclaircissements sur quatre thématiques principales : premièrement, la réglementation internationale sur l'exploitation des fonds marins et, en particulier, la position de la France en la matière ; deuxièmement, la réforme du code minier français et l'état d'avancement des ordonnances devant la préciser ; troisièmement, le dialogue avec les parties prenantes, alors que les fonds marins suscitent un intérêt croissant et des attentes en termes de concertation ; enfin, quatrièmement, la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour les grands fonds marins.
Des annonces très importantes ont été faites à l'occasion du One Ocean Summit. Il a été question d'un démonstrateur et d'un jumeau numérique des océans. L'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) envisage de cartographier 80 % des océans. Le dernier Comité interministériel de la mer (CIMer) a permis, par ailleurs, des avancées notables.
Dans ce contexte, que peut-on retenir de la réunion capitale à laquelle la ministre de la transition écologique a participé activement, à New York, au sujet du régime des ressources génétiques marines ?
M. Mehdi Mahammedi-Bouzina, conseiller parlementaire au ministère de la transition écologique. - Les questions que vous soulevez revêtent une grande importance politique. En coopération avec le ministère de la mer, le ministère de la transition écologique les a toujours suivies avec le plus grand soin, comme en témoigne l'organisation récente du One Ocean Summit.
M. Vincent Hulin, conseiller eau et biodiversité au ministère de la transition écologique. - Le retard qu'a pu prendre l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) dans l'établissement de la réglementation internationale sur l'exploitation des fonds marins s'explique principalement par la crise sanitaire, qui a considérablement compliqué les discussions. Le conseil de l'AIFM examinera dans les tout prochains jours les propositions élaborées dans le cadre des négociations. Le règlement devrait pouvoir être adopté à l'été 2023.
En la matière, la France considère que la priorité doit être donnée aux nombreux travaux d'exploration des fonds marins qui sont encore nécessaires et que cette exploration ne pourra se faire sans développements technologiques. Dans cette attente, la mise en place d'un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins nous paraît prématurée.
Invitée à s'expliquer sur l'abstention de la France lors du vote sur ce moratoire au Congrès mondial de la nature qui s'est tenu à Marseille, la représentante française a rappelé que des discussions internationales sur lesquelles la France comptait beaucoup étaient encore en cours. Ce n'est par ailleurs que lorsque nous aurons bien avancé sur la connaissance, l'exploration et le développement technologique que nous pourrons adopter une position plus précise sur l'exploitation. Enfin, la France a réaffirmé à cette occasion le principe, inscrit également dans la stratégie nationale pour les aires protégées et dans la stratégie nationale pour la biodiversité, d'une interdiction d'exploitation dans les aires marines protégées.
Vous m'interrogez ensuite sur les négociations en cours à New York autour de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale - Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ) - et, en particulier, sur les ressources génétiques marines. La dernière des quatre sessions prévues par l'Organisation des Nations unies a permis des avancées. Si nous n'en sommes pas encore au stade d'un projet de traité, une session supplémentaire devrait permettre d'atteindre cet objectif avant la fin de l'été.
Des points de divergence subsistent, il est vrai, sur chacune des grandes thématiques. S'agissant de la gestion des zones marines et de la désignation d'aires protégées, la France et l'Union européenne appellent au respect du droit international en vigueur : le traité BBNJ ne doit pas remettre en cause les zones de gestion déjà existantes. En revanche, il doit offrir la possibilité de créer de nouvelles aires marines protégées.
S'agissant ensuite des études d'impact et environnementales, l'Union européenne demande que soit appliqué le seuil, prévu dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, à partir duquel ces études sont obligatoires. Les décisions qui seront prises sur leur fondement doivent revenir aux États membres et non à une instance internationale.
En ce qui concerne le renforcement des capacités et le transfert de technologies, nous privilégions l'approche volontaire. La mise en place de contraintes nous paraît prématurée.
Enfin, la question des ressources génétiques marines, en particulier le partage des avantages issus de leur utilisation, est le point plus crispant. Deux types d'avantages peuvent en effet être tirés des ressources génétiques : d'une part, des avantages non monétaires -connaissance, données, recherche, etc. ; d'autre part, des avantages monétaires. Sur les premiers, l'Union européenne entend donner, dans le traité, des obligations de partage à l'ensemble des États membres. Sur les seconds, elle ne compte pas, à ce stade, défendre une obligation qui serait de nature à faire échouer les négociations. Il est proposé de renvoyer la question à la Convention des parties, une fois le traité ratifié.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Au-delà de la covid-19, nos interrogations quant au retard dans l'établissement de la réglementation internationale sur l'exploitation des fonds marins portaient surtout sur l'existence de dissensions éventuelles au sujet même de l'exploitation. En la matière, on sent bien, en effet, que deux écoles, au moins, s'affrontent.
Outre la question du moratoire se pose aussi celle du rythme et de l'échéance à laquelle il faudrait démarrer ou non l'exploitation. Nous avons assisté, dans le cadre de nos travaux, à des exposés intéressants sur la disponibilité des ressources terrestres. Ils ont pu nous amener à nous poser la question de l'urgence et de l'opportunité d'une exploitation à court terme. L'État océanien de Nauru, par exemple, milite en faveur d'une exploitation plus rapide des fonds marins.
La guerre en Ukraine, les tensions supplémentaires sur les minerais stratégiques et les questions de souveraineté nationale nous conduisent-elles aujourd'hui à adopter une position plus volontariste ? Dans ce contexte, quelle est la position de la France en matière de protection des biens communs et de l'environnement ?
M. Vincent Hulin. - Les négociations sur ces questions sont conduites essentiellement par nos collègues du ministère des affaires étrangères. Un certain nombre de pays sont favorables à ce que ceux qui sont en capacité de mener des activités d'exploitation puissent le faire. D'autres considèrent au contraire qu'il convient de bloquer, stopper ou ralentir ces activités tant que les écarts en termes de capacités techniques entre les États ne sont pas comblés.
La France n'a pas d'opposition de principe à l'exploitation des fonds marins, à l'exclusion de certaines zones, notamment les aires marines protégées. En outre, cette exploitation ne peut se faire sans études d'impact et environnementales. Nous plaidons donc pour une position équilibrée, mettant l'accent sur la connaissance et le développement technologique, qui nous paraissent prioritaires.
Mme Sophie-Dorothée Duron, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité. - En matière de développement technologique, la France entend développer une stratégie permettant aux acteurs d'être rapidement opérationnels et de disposer de techniques en vue d'une exploitation qui soit la plus efficace, mais aussi la plus respectueuse de l'environnement possible.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Cela nous amène à la réforme du code minier et à la définition du modèle français évoqué par Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Si tous les industriels interrogés promettent que les technologies vertueuses qu'ils envisagent n'auront pas d'impact sur l'environnement, il nous paraît nécessaire de garantir, sur le plan législatif, une protection maximale. À cet égard, pouvez-vous nous éclairer sur la disponibilité et sur le contenu des ordonnances que vous préparez dans le cadre de la réforme du code minier ?
M. Vincent Hulin. - Les projets d'ordonnances relatives à la réforme du code minier ont été soumis à la participation du public jusqu'au 16 mars dernier et sont disponibles à la consultation. Ces projets ont été transmis au Conseil d'État en vue d'une adoption en conseil des ministres courant avril.
J'entends bien la posture des industriels qui considèrent que leurs activités n'auront pas d'impact sur l'environnement. C'est rassurant : les précisions et les études d'impact que nous allons exiger d'eux ne leur poseront donc aucun problème !
Vous nous interrogez ensuite sur la façon de faire le lien avec les parties prenantes et de mieux les associer à ces activités. Les études environnementales et les études d'impact y contribuent selon nous. C'est sur le fondement de données claires, transparentes et accessibles à tous que chacun pourra émettre un avis.
Cette nouveauté incluse dans la réforme du code minier a clairement manqué ces dernières années. Nous avons tous en tête des exemples de projets pour lesquels, en amont lors du débat, mais également en aval, en phase contentieuse, ces données auraient pu être utiles pour faire valoir des enjeux environnementaux.
M. Jean-François Gaillaud, chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques. - Le fondement même de la réforme du code minier est l'évaluation environnementale, économique et sociale, qui figure en toutes lettres dans la loi Climat et résilience. Il s'agit de disposer, préalablement à l'octroi de tout permis minier, d'une évaluation reposant sur les différents piliers du développement durable : l'évaluation environnementale, qui sera soumise à l'avis du Conseil général de l'environnement et du développement durable, mais également l'évaluation des aspects sociaux et économiques, qui relèvera du Conseil général de l'économie.
Les ordonnances sont au nombre de quatre. D'ordre essentiellement technique, elles viennent préciser des dispositions qui n'ont pas été détaillées dans le projet de loi adopté en juillet dernier. La première porte sur l'encadrement des procédures d'exploitation minière en outre-mer et plus précisément sur les procédures spécifiques d'autorisations d'exploitation qui concernent exclusivement la Guyane. La deuxième contient des dispositions techniques relatives à l'évaluation environnementale. La troisième précise le séquençage du processus d'instruction des demandes de permis miniers, qu'il s'agisse des permis exclusifs de recherche ou des concessions. Enfin, une ordonnance « travaux » est consacrée à la fin de vie associée à l'activité minière.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Qu'en est-il de l'acceptabilité sociale des projets ? La prise en compte des populations locales directement concernées par ces activités est un objectif important. Le ministère réfléchit-il à une meilleure concertation ou à une meilleure communication sur les enjeux de protection de l'environnement et d'acquisition de la connaissance ?
M. Vincent Hulin. - La volonté du législateur, clairement exprimée dans la loi Climat et résilience, est bien le partage de l'information. La concertation, les avis d'experts et les consultations d'instances permettent d'associer les parties prenantes et de répondre aux attentes, parfois aux réticences, d'un certain nombre d'acteurs. L'idée est d'étudier au mieux les enjeux de chaque projet et de communiquer suffisamment tôt, de sorte que chacun ait bien conscience des tenants et des aboutissants, des effets sur l'environnement et des lieux concernés, avant de se forger un avis et, ensuite, de l'exprimer. Nous y travaillons, en milieu terrestre comme en milieu marin.
La méconnaissance des fonds marins, de leur répartition, de leurs écosystèmes, et des ressources qu'ils recèlent sont aussi un frein à l'association pleine et entière de chacun à ces projets. C'est pourquoi la nécessité de mettre l'accent sur l'exploration, sur le développement de la recherche et sur la connaissance a été réaffirmée par le CIMer, dans la stratégie nationale pour la biodiversité ou encore à l'occasion du One Ocean Summit.
C'est aussi pour ces raisons que l'Union européenne et la France défendent, dans les discussions internationales, les études environnementales et les études d'impact. Il ne s'agit pas de freiner ou de bloquer les projets - même si cela est parfois souhaitable -, mais de partager largement l'information, avant même toute action ou toute autorisation d'exploitation.
Nous pensons que le futur traité BBNJ participe aussi de cette association des parties prenantes. Il créera, pour les eaux situées en dehors des juridictions nationales, un cadre juridique précisant les rôles et les responsabilités de chacun.
M. Jacques Fernique. - Vous avez évoqué le travail sur l'exploration. Cette notion ne véhicule-t-elle pas une ambiguïté ? J'entends votre conception de l'exploration - une façon d'approfondir la connaissance du milieu pour mieux mesurer les impacts -, mais celle-ci peut aussi être effectuée en vue d'une exploitation, d'une prospection minière. Pouvez-vous clarifier ce point ?
M. Vincent Hulin. - Il persiste, et persistera, deux conceptions différentes du terme « exploration » qui dépendent des intérêts de chacun. Les exploitants potentiels n'ont pas la même conception que nous.
Pour notre part, nous estimons que l'exploration peut être menée par des acteurs qui envisagent une éventuelle exploitation. Le but réaffirmé de notre pays est de disposer de données : état des ressources, localisation, manière dont elles pourraient éventuellement être exploitées et impact de cette exploitation.
L'exploitation est une deuxième étape, éventuelle, qui pourrait être menée dans le cadre national et international que j'ai déjà évoqué.
La France a réaffirmé sa volonté qu'il n'y ait pas d'exploitation sans définition d'un cadre clair pour l'étude environnementale ; ce cadre ne peut être élaboré sans connaissances et exploration.
Vous avez évoqué un éventuel Grenelle des fonds marins. Nous ne disposons pas d'informations sur ce sujet : c'est même la première fois que nous entendons parler. Néanmoins, les discussions associant toutes les parties prenantes sont toujours utiles. Cette question relève davantage du ministère de la mer ou du secrétariat général de la mer.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous n'avons pas évoqué la question d'un Grenelle des fonds marins lors de nos discussions avec le Gouvernement ou l'administration. Mais nous avons pu noter une volonté d'échanges, qui pourraient prendre la forme d'un « Grenelle » ou avoir un caractère moins formel.
S'agissant des fonds marins, nous avons l'impression de passer d'une approche stratégique et militaire à une approche plus intégrée et multi-niveaux : exploration et acquisition de connaissances, stratégie minière, applications éventuelles dans le domaine biomédical. Cette question soulève des craintes et même, parfois, des fantasmes. Les grands fonds marins semblent être la dernière frontière : après, nous aurons fait en quelque sorte le tour de la planète.
Les échanges et concertations entre acteurs leur permettront de se mettre d'accord sur les grands principes. Il appartiendra au Gouvernement de lancer ou non une telle initiative, même si la période actuelle n'est pas propice à des prises de position fermes sur le sujet.
Néanmoins, nous aimerions recueillir votre avis sur l'opportunité d'organiser, à ce stade, peut-être prématuré en l'état actuel des connaissances, un débat national sur la question des grands fonds marins. Un travail de « sachants » est-il selon vous encore nécessaire avant de lancer un tel débat ? Selon moi, c'est une question de calendrier, car tôt ou tard ce débat adviendra.
Nos auditions ont mis en évidence à quel point nous méconnaissions les richesses de nos fonds marins. Nous constatons l'importance des moyens déployés, la forte volonté du Gouvernement et la course internationale aux fonds marins - souvent comparée à la course aux étoiles - qui est lancée. Le débat national doit-il avoir lieu maintenant ou est-il encore trop tôt ?
M. Vincent Hulin. - Nous sommes preneurs de consultations associant toutes les parties. C'est ainsi que nous procédons dès lors qu'il s'agit d'élaborer des stratégies transversales. Nous avons tout à y gagner, car ces débats se tiennent de toute manière : autant qu'ils aient lieu le plus en amont possible pour en tenir compte. Nous sommes toujours plus efficaces et intelligents à plusieurs !
La question du calendrier est pertinente. Nous avons évoqué les discussions sur le traité BBNJ dans le cadre de l'AIFM. Il faut avancer sur le sujet, et voir comment y intégrer une vision française et européenne. Peut-être faut-il attendre que tout cela se stabilise, ce qui sera fait en 2022-2023.
Aujourd'hui, différentes instances - le Conseil national de la mer et des littoraux, le Conseil national de la transition écologique, le Conseil national de la protection de la nature, le Comité national de la biodiversité - peuvent discuter de ce sujet. Mais l'organisation d'un groupe de travail ou d'un « Grenelle » sur la question me semble pour l'instant prématurée.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - S'agissant de la mise en oeuvre de la stratégie nationale, certains de nos interlocuteurs sont dans l'attente et commencent à trouver le temps long. Avez-vous des précisions à nous apporter ?
Quel est votre avis sur l'échéance pour le démonstrateur ? Nous en avons beaucoup entendu parler au début de nos travaux, puis le sujet s'est étiolé. Le projet est-il suspendu ? Quid de l'opportunité de le déployer outre-mer ? En tant que sénateur de Polynésie, je milite pour qu'un maximum de prospection technologique puisse se faire dans les outre-mer.
La mise en oeuvre du jumeau numérique des océans pose de nombreuses questions. Quels seront les moyens déployés pour le réaliser ? Permettra-t-il de mesurer les impacts environnementaux, non seulement d'une éventuelle exploitation mais aussi de l'exploration ?
M. Vincent Hulin. - Le pilotage global de la stratégie nationale et la mise en oeuvre du jumeau numérique des océans relèvent de la compétence du Secrétariat général de la mer.
Pour notre part, nous ne participons qu'aux discussions sur les points qui nous concernent.
S'agissant de la stratégie, nous sommes dans une période d'identification du financement des différents projets. Le financement des projets est en voie d'achèvement, sauf pour le démonstrateur.
S'agissant du jumeau numérique des océans, nous avons participé aux discussions dans le cadre du One Ocean Summit. Ce projet suscite de nombreuses attentes. Il nous semble indispensable qu'il ait une composante environnementale, afin de progresser sur ce point.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Êtes-vous associés au projet de cartographier 80 % des fonds marins, qui était l'un des objectifs du One Ocean Summit ? L'objectif est ambitieux, mais nous ne savons pas encore s'il s'agira de bathymétrie améliorée ou d'une cartographie précise. Quelles sont vos attentes en la matière ?
M. Vincent Hulin. - Ce projet relève davantage de la recherche et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Je ne peux vous donner de précisions sur l'état d'avancement du projet.
Notre objectif est de permettre que les connaissances bénéficient au plus grand nombre, et que les données soient publiques et utilisables par tous.
Ces données doivent aussi pouvoir servir de base de discussion avec les parties prenantes pour élaborer les différents projets, mais également pour définir des aires marines protégées. Elles doivent permettre d'identifier les fonds marins qui ont besoin d'une protection spéciale.
M. Michel Canévet, président. - J'aimerais évoquer la question de la transition écologique et de la nécessité de recourir à des métaux dits rares, comme le lithium. On voit bien la difficulté que suscite en France l'ouverture de nouvelles explorations. La situation est exactement la même s'agissant de l'implantation d'éoliennes.
La France n'a-t-elle pas intérêt à être plus offensive ? Des permis d'exploration ont été octroyés, et les ressources naturelles pourraient nous être très utiles pour la transition écologique. L'exploitation pourrait se faire sur la base des connaissances à notre disposition.
Nous avons le sentiment d'une certaine timidité sur le sujet. Des acteurs privés sont prêts à s'engager. Nous ne devons pas prendre de retard.
M. Vincent Hulin. - Sur l'exploitation des ressources rares, la position de la ministre est claire. Notre transition énergétique nécessite des minéraux, que nous importons pour le moment. Il est de notre responsabilité d'exploiter ces ressources là où elles sont disponibles sur notre territoire. La question est similaire à celle de la déforestation importée : nous ne pouvons importer des ressources alimentaires sans nous poser la question de la façon dont elles sont obtenues. Nous avons besoin d'un cadre et nous devons prendre conscience des effets environnementaux de la transition énergétique.
La position de la France est-elle trop prudente sur l'exploitation des ressources dans les grands fonds marins ? Je ne le pense pas. Au CIMer notamment, des discussions ont lieu pour développer les activités d'exploration tout en ayant conscience de l'impact environnemental.
Dans le cadre du BBNJ, certains pays défendent l'idée que les zones internationales doivent servir à l'exploitation, qu'il ne faut pas se brider, et que nous améliorerons nos connaissances en avançant. La position de la France est plus équilibrée : nous estimons qu'il n'est pas possible de se lancer dans l'exploitation sans avoir conscience des conséquences.
On le voit avec l'exploitation minière terrestre, la prise en compte de l'acceptabilité sociale, économique et environnementale peut conduire à un arrêt des projets. Personne n'a intérêt à en arriver là. Ne pas réfléchir à la manière de réduire l'impact environnemental de l'exploitation relève d'une vision à très court terme qui risque de conduire rapidement à un blocage.
Il faut cadrer les choses : telle est la position, qui nous paraît équilibrée, de la France.
M. Michel Canévet, président. - On a le sentiment que les choses avancent en 2022. Des réunions internationales et les conclusions du CIMer de la semaine dernière ont permis de fixer des objectifs. Mais n'a-t-on pas perdu du temps par le passé à attendre la définition d'une stratégie nationale ? Cela ne s'explique-t-il pas par un fonctionnement en silos des services de l'État rendant difficile le pilotage interministériel ?
M. Vincent Hulin. - Vous avez probablement raison. L'organisation du Comité interministériel de la mer et la création du Secrétariat général de la mer, ainsi que l'organisation du One Ocean Summit, ont permis de mettre le sujet sur le devant de la scène et de définir des stratégies validées au niveau interministériel.
Les différents projets sont coordonnés, on l'a dit, par le Secrétariat général de la mer, car c'est là que les choses doivent se faire. La création d'un ministère de la mer a également permis d'avancer sur ces questions.
La structuration interministérielle est utile, tout comme l'a été l'organisation du One Ocean Summit à Brest. Les discussions communes ont permis d'identifier les points de vues et les divergences, et d'y voir plus clair.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous allons prendre connaissance des travaux sur les ordonnances. Monsieur Gaillaud, pour ce qui concerne l'ordonnance sur l'outre-mer, vous avez évoqué la Guyane. Qu'en est-il des autres territoires ?
M. Jean-François Gaillaud. - Toutes les dispositions du code minier s'appliquent à la Guyane, à la Guadeloupe, à la Martinique, à La Réunion et à Mayotte. Une particularité cependant : s'agissant de l'octroi des permis miniers en mer, la compétence relève de la région en Guyane.
La situation est un peu plus compliquée dans les collectivités d'outre-mer.
La Polynésie est totalement compétente pour le domaine minier, à l'exclusion de quelques substances identifiées comme critiques du point de vue de l'arme atomique. Je pense à l'uranium et au thorium notamment.
Wallis-et-Futuna a une compétence partagée avec l'État, mais la collectivité dispose d'une très forte compétence s'agissant de la définition des substances de mines et du champ applicable, à l'exclusion là aussi des substances associées à l'arme nucléaire.
La Nouvelle-Calédonie a son propre code minier, à l'exclusion des substances critiques associées à l'arme atomique.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, les matières critiques sont liées à l'arme nucléaire. Existe-t-il des velléités d'en faire évoluer la liste au regard des tensions sur les métaux qui apparaissent stratégiques dans le cadre de la transition écologique et de l'évolution des besoins de notre industrie ? Cette question taraude de nombreux élus de ces collectivités.
M. Jean-François Gaillaud. - Aujourd'hui, il n'y a pas de velléité de faire évoluer la liste des substances identifiées comme critiques, qui échappent à la compétence des collectivités concernées.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré.
M. Michel Canévet, président. - Je vous remercie à mon tour pour vos explications.
La réunion est close à 18 h 05.