- Mardi 8 février 2022
- Mercredi 9 février 2022
- Échange de vues - Bilan d'étape des travaux de la mission (sera publié ultérieurement)
- Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement
- Jeudi 10 février 2022
Mardi 8 février 2022
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -
Audition de Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, déléguée interministérielle à la jeunesse
M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, déléguée interministérielle à la jeunesse, que je remercie pour sa disponibilité. Notre mission nous conduit à nous intéresser à la jeunesse et aux politiques publiques destinées à encourager nos jeunes à s'engager, par exemple dans les associations et dans le cadre du service civique. Cette audition est donc au coeur de notre problématique.
Je précise que notre mission a été mise en place dans le cadre du droit de tirage des groupes, en l'occurrence le groupe RDSE, qui a désigné l'un de ses membres comme rapporteur en la personne d'Henri Cabanel. Notre mission est composée de 19 sénateurs et de deux suppléants, issus de tous les groupes politiques. Notre rapport sera rendu au début du mois de juin 2022.
Je rappelle que cette audition fera l'objet d'un compte-rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et sa captation vidéo permet de la suivre en ce moment même sur le site Internet du Sénat. Elle sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
Sur la thématique de l'engagement, la semaine dernière nous avec déjà entendu la présidente de l'Agence du service civique et celle de l'association Unis-Cité. Nous avons également eu un échange avec des volontaires du service civique ; nous nous rendrons la semaine prochaine dans un centre du SNU, à Dunkerque. Nous avons également reçu des représentants du Forum français de la jeunesse. Des échanges avec les acteurs de l'éducation populaire sont en outre programmés. Demain, nous auditionnerons Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, ainsi que Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès de M. Blanquer, chargée de la jeunesse et de l'engagement.
Avant de vous donner la parole, Madame la directrice, Henri Cabanel va vous poser un certain nombre de questions pour situer les attentes de notre mission. Nous aurons ensuite un temps d'échange.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Merci Monsieur le Président et merci à Emmanuelle Pérès d'avoir accepté cette audition. Je souhaiterais que vous nous expliquiez l'organisation administrative de votre direction ainsi que les conséquences sur les directions départementales de la récente réforme de l'organisation territoriale de l'État. Cette réorganisation est-elle suffisamment dimensionnée pour faire face à la montée en puissance du SNU ?
S'agissant du SNU, quelles sont les contraintes législatives et réglementaires à son déploiement universel ? Quel est le bilan de la première phase du SNU 2022, qui se déroulera courant février (nombre de candidatures, de participants au SNU, profils, lieux d'accueil) ? L'un des objectifs de l'organisation de cette session en février était de diversifier les publics pour permettre à des jeunes en stage fin juin et début juillet de participer au SNU. Cet objectif a-t-il été rempli ? L'objectif de 50 000 jeunes en SNU en 2022 sera-t-il atteint ? Disposez-vous d'éléments de suivi des deux premières cohortes du SNU sur la réalisation de leur mission d'intérêt général (MIG) ? À quelles difficultés les jeunes sont-ils confrontés pour la réalisation de cette mission ? Comment travaillez-vous avec le milieu associatif pour développer des MIG ? Disposez-vous d'éléments d'information sur la répartition des jeunes entre MIG réalisées au sein des secteurs associatifs et au sein d'un corps en uniforme ?
J'en arrive au service civique. Les jeunes en SNU ont-ils déjà effectué le service civique ou ont-ils déclaré la volonté d'en effectuer un ? Quelles sont les perspectives pour le service civique en 2023 ? Le nombre de missions, incluant celles financées au titre du plan de relance, sera-t-il maintenu ? Quel est le bilan du service civique dans les outre-mer ?
Mes dernières questions concernent l'engagement bénévole des jeunes, au-delà du SNU et du service civique. Comment fidéliser les jeunes dans leur engagement bénévole ? De quels outils dispose-t-on pour renforcer et accompagner l'engagement de ces jeunes ? La mission d'information a procédé à une consultation en ligne d'élus locaux afin de recueillir leur avis, entre autres, sur le service civique. Certaines réponses se réfèrent au frein que constituent les problèmes de mobilité en milieu rural. Ce frein n'est pas propre au service civique mais peut entraver toutes les activités de ces jeunes. Quelles pistes pourrait-on mobiliser pour développer le service civique et, plus largement, l'engagement bénévole dans les territoires ruraux ?
Pouvez-vous nous présenter le dispositif Un jeune, un mentor ? Un an après son lancement, quel est son premier bilan ?
Mes questions sont nombreuses, mais vous ont été envoyées. Si vous n'avez pas le temps de nous répondre, vous pourrez nous transmettre des réponses écrites.
Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, déléguée interministérielle à la jeunesse. - Je vous remercie. La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) est une direction d'administration centrale au sein du ministère de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Au niveau central, nous sommes 130 agents au sein de la DJEPVA, qui intègre l'INJEP, notre institut national de recherche et de statistique. Nous avons la tutelle sur l'Agence du service civique, dont vous avez reçu la présidente et son directeur général, qui compte 80 agents. Dans les services déconcentrés, 2 000 agents sont en charge de tous les sujets de jeunesse, engagement et sport. La nouvelle organisation territoriale repose sur des délégations régionales académiques jeunesse et sport (DRAJES) qui relèvent des recteurs de région académique. Les services départementaux jeunesse et sport relèvent quant à eux des recteurs d'académie. Cette réforme a été mise en oeuvre au 1er janvier 2021. Nous avons un Comex, réunissant le secrétariat général du ministère, la direction des sports, la DGESCO et nous-mêmes, pour accompagner cette mise en oeuvre.
S'agissant du SNU, en 2021, nous avons proposé de déployer des moyens humains dans les services déconcentrés. Nous avons obtenu dans la loi de finances 80 ETP. Notre demande portait sur un par département. Dans le contexte actuel, il s'agit déjà d'une belle preuve de confiance. Cette mesure visait à accompagner la mise en oeuvre du SNU pour 2022. L'organisation des séjours de cohésion et des missions d'intérêt général, c'est-à-dire les deux premières phases du SNU, est organisée par nos services.
Concernant les contraintes législatives pour le déploiement du SNU, j'ai participé au groupe de travail sur le sujet, présidé par le général Menaouine : nous avions considéré qu'un tel projet méritait une montée en charge, afin de nous assurer d'un bon fonctionnement et de procéder aux ajustements nécessaires. Nous avons besoin d'une loi : si l'on souhaite que le SNU soit réellement universel dans les deux premières étapes que sont le séjour de cohésion d'une douzaine de jours et la mission d'intérêt général, il faut le rendre obligatoire. Les deux premières étapes du SNU se tiennent entre 15 et 17 ans. Nous devons traiter un certain nombre de points : l'éligibilité, la coordination avec le recensement, l'intégration, à terme, de la Journée défense citoyenneté dans le SNU (actuellement le séjour de cohésion comprend une journée défense et mémoire ou JDM), les questions de règlement intérieur, etc. Toutes ces questions méritent un débat parlementaire nourri. La question qui se pose est celle de la reconnaissance et de la valorisation de l'engagement dans le SNU. S'agissant des sites du séjour de cohésion, nous nous appuyons sur la réglementation des accueils collectifs de mineurs, qui ne sera pas satisfaisante quand nous monterons en charge, en raison de contraintes techniques. En termes d'encadrement, nous avons aujourd'hui recours à des contrats d'engagement éducatif. Une ordonnance nous permet de réaliser des contrats de droit public. Actuellement le socle juridique du SNU est constitué du code du service national, de la loi de 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, mais nous avons besoin d'un cadre plus clair. Des ajustements législatifs et réglementaires seront nécessaires.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Combien faudrait-il de temps pour parvenir à l'universalisation de la démarche ? Faudra-t-il construire des sites, faire monter en puissance les effectifs d'encadrants ?
Mme Emmanuelle Pérès. - Nous l'avions évalué entre trois et cinq ans.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Ce n'est pas si long !
Mme Emmanuelle Pérès. - En 2020, les séjours d'adhésion n'ont pas pu se tenir. Les premiers se sont tenus en 2019, avec près de 2?000 jeunes accueillis. En juin 2021, nous avons accueilli quasiment 15 000 jeunes, avec un centre par département. En 2022, nous visons 50 000 jeunes accueillis. En février, 3 000 jeunes seront accueillis, pour moitié sur du temps scolaire pour deux zones scolaires. Nous souhaitions à la fois expérimenter le suivi scolaire pendant le séjour de cohésion et l'impact de ce séjour sur le parcours. Une session aura également lieu en deuxième quinzaine de juin et une troisième en première quinzaine de juillet.
Qu'en est-il de la diversité des profils accueillis ? S'agissant de la session de février, elle concerne 3 000 jeunes, exclusivement des élèves de classe de seconde de lycées généraux, technologiques et professionnels. L'an dernier nous n'avions que très peu de jeunes des lycées professionnels. C'est un objectif très important pour nous de les accueillir. Les volontaires seront accueillis au sein de 31 sites, sur 30 départements. Nous souhaitions expérimenter une session au cours de la période d'hiver. Jusqu'à présent, tous les séjours de cohésion ont eu lieu en juin, avec de nombreuses activités sportives. L'agenda du SNU, relativement dense, comporte aussi la levée des couleurs, tôt le matin, ers 7h30-8 heures, qui est un moment important.
Parmi les quatre grands objectifs du SNU, le brassage social est une donnée déterminante. De ce point de vue, nous travaillons avec l'algorithme du ministère des armées pour nous assurer que les jeunes qui se retrouvent dans un même centre ne se connaissent pas. Pour autant, si les jeunes ont le ressenti d'une grande mixité sociale, les quartiers prioritaires de la ville (QPV) ne sont pas bien représentés : entre 3 et 4 % en 2021 ; pour la session de février, les jeunes des QPV représentent 8,6 % des jeunes ayant vu leur candidature validée. Notre objectif est fixé à 10 % ; ces jeunes représentant 8 % de la population totale, cet objectif est ambitieux. Il est cohérent avec notre objectif de mixité sociale. Nous avons toujours une certaine déperdition entre les candidatures confirmées et les jeunes qui viennent effectivement au séjour de cohésion. En l'occurrence, nous avons enregistré des abandons, dont la part est plus importante pour les QPV.
M. Stéphane Piednoir, président. - Pouvez-vous nous dire quelques mots de l'algorithme du ministère des armées ?
Mme Emmanuelle Pérès. - Nous disposons d'informations concernant les personnes qui s'inscrivent, notamment leur établissement. Cet algorithme permet de ne pas retrouver dans un même centre des élèves de la même classe ou du même lycée. En raison de la pandémie, nous restons à ce stade sur une mobilité infrarégionale. Nous proposons à un jeune d'un département une inscription dans un site extérieur à son département, pour lui permettre d'appréhender un environnement dont il n'a pas l'habitude. Nous avons bien progressé au niveau des lycéens de la voie professionnelle, qui représentaient 24,6 % des jeunes pour la session de février, contre 11 % l'année dernière. Ils représentent 33 % de la totalité des lycéens. Je continue de travailler avec le DGESCO sur des bénéfices immédiats pour ces publics. Il s'agit ainsi de reconnaître leur séjour de cohésion et, a fortiori, leur mission d'intérêt général, dans leur parcours de vie professionnelle, en valorisant un certain nombre de compétences qui peuvent leur être utiles.
En termes de parité, en fonction des sessions et des régions, nous respectons la proportion de 50/50. La session de 2021 et les inscriptions de 2022 ont enregistré légèrement plus de jeunes filles. Nous travaillons avec une start-up d'État et suivons en temps réel toutes les inscriptions et leurs particularités.
Un axe important porte sur les jeunes en situation de handicap, qui représentaient 4 % en 2021. Les chiffres sont à ce stade similaires pour 2022. Nous sommes attachés à cette dimension du SNU à double titre : d'abord pour les jeunes en situation de handicap bien sûr, mais aussi pour leurs concitoyens. Cette dynamique en termes de cohésion de groupe est importante.
Les objectifs sont ambitieux, puisque nous devrions accueillir de 20 à 25 000 jeunes en juin et juillet. Plus de 22 000 dossiers sont aujourd'hui ouverts. Nous avons initié une grande campagne sur les réseaux sociaux et lancerons dès lundi prochain une campagne radio jusqu'au 10 mars. Celle-ci vise à convaincre aussi les parents, qui sont des prescripteurs potentiels. Un travail étroit est également conduit avec les recteurs, les chefs d'établissement, les associations partenaires et les ambassadeurs du SNU. Compte tenu du niveau de satisfaction l'année dernière, toutes ces personnes sont prêtes à témoigner de leur expérience dans les lycées, en classes de seconde générale, technologique et professionnelle, mais également auprès des missions locales qui permettent d'atteindre les décrocheurs. Pour la session de février, nous souhaitons pouvoir nous appuyer ensuite sur ces 3 000 jeunes. Il s'agira de la première session qui sera immédiatement suivie d'un retour en classe.
Concernant les missions d'intérêt général, le SNU est constitué de trois étapes : le séjour de cohésion, suivi dans l'année d'une mission d'intérêt général d'une dizaine de jours, et enfin l'engagement volontaire de trois mois et plus avant 25 ans. Le déploiement du SNU s'opère à un rythme très soutenu, avec l'organisation du séjour de cohésion. Pour la cohorte de 2019, sur 2 000 jeunes, 50 % environ ont effectué leur mission d'intérêt général. Sur la cohorte de 2020, où n'ont pas été organisés de séjour de cohésion sauf en Nouvelle-Calédonie, nous avons permis aux jeunes qui s'étaient préinscrits de réaliser des missions d'intérêt général. 2?000 jeunes en ont profité. Pour 2021 - sur les quelque 15 000 jeunes ayant effectués un SNU -, 1 371 jeunes ont déjà validé leur mission d'intérêt général, 780 MIG sont en cours de réalisation et 4 700 jeunes candidatent actuellement à des missions d'intérêt général. Les jeunes ont jusqu'à l'été prochain pour la réaliser. Il s'agit d'une priorité absolue : nous devons offrir un certain nombre de MIG, mais aussi valoriser les formes d'engagement propres aux jeunes. Le décret de 2020 est peut-être trop restrictif sur la notion de MIG. Nous disposons en l'occurrence de quatre options et de trois grands réseaux : les différents ministères, les associations (qui font parfois part de difficultés organisationnelles en matière d'encadrement) et les élus (mairies, communes). Sur la plateforme d'inscription, les jeunes peuvent donner l'autorisation que leurs coordonnées soient transmises au préfet de leur département et au maire de leur commune, pour deux raisons : permettre aux élus de les inviter à différentes cérémonies, pour leur permettre d'entrer dans la vie citoyenne, et trouver des MIG qui ont du sens pour les deux parties. Enfin, notre jeunesse est très active et peut avoir elle-même de très bonnes idées, développer des associations et s'engager dans des actions. Il s'agit de trouver comment reconnaître ces formes d'engagement. C'est la quatrième option possible. Nous avons initié un recensement et identifié des pistes très sérieuses qui méritent d'être approfondies.
Le service civique répond quant à lui à une politique ambitieuse, qui a plus de douze ans. Avec le plan de relance, nous avons bénéficié, dans le cadre de Un jeune, une solution, de 100 000 missions supplémentaires. En 2021, nous enregistrions 145 000 missions, parmi lesquelles environ 45 000 jeunes avaient commencé leur mission de service civique l'année précédente. En 2021, en raison de la crise sanitaire, certaines associations ayant été en retrait, nous n'avons pas atteint les objectifs que nous nous étions fixés. Nous sommes en attente des chiffres définitifs, que nous aurons en mars. Le dernier budget prévisionnel d'exécution, que nous avons voté en décembre, projette 165 000 missions en 2021. Pour 2022, nous avons voté un objectif de 220 000 millions en stock. Le flux dépendra du nombre de missions de 2021. Le service civique est pour nous la « tête de gondole » de la 3e étape du SNU. Il s'agit d'un engagement volontaire de six mois et plus, qui se développe sur des thématiques très proches de celles du SNU.
S'agissant des perspectives de développement, peu de jeunes viennent aujourd'hui de terminer leurs deux premières étapes de SNU. Nous travaillons étroitement avec le ministère du travail dans le cadre du « contrat d'engagement jeune », afin que le service civique soit reconnu non pas comme un dispositif d'insertion professionnelle - ce n'est pas son rôle - mais comme un dispositif de remobilisation des jeunes, en particulier ceux ayant le moins d'opportunités. Le service civique n'est parfois pas assez pris en compte par les missions locales et Pôle emploi.
En ce qui concerne le service civique dans les outre-mer, en 2020, 7 430 volontaires ont réalisé une mission en Guyane, Guadeloupe, à La Réunion, Martinique, Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. Ces missions portent essentiellement sur l'éducation pour tous et ont trait à la solidarité. Elles sont généralement réalisées dans les services de l'État et les collectivités territoriales. En effet, il est difficile de faire émerger une vie associative dense et dynamique outre-mer. Le public est plutôt de niveau baccalauréat et en recherche d'emploi.
Sur l'engagement bénévole, les outils pour le renforcer sont le SNU, avec ce moment, à 15-16 ans, de passage à l'âge adulte. L'enjeu du séjour de cohésion est aussi de mobiliser l'enseignement moral et civique dispensé à l'école et de valoriser toutes les formes d'engagement des jeunes : délégués, éco-délégués, sapeurs-pompiers volontaires, scouts, etc. L'ambition du SNU est d'assurer le parcours d'engagement. C'est pourquoi nous y avons intégré la journée « défense et mémoire ». Nous avons également dans nos compétences la réserve civique. Lors du premier confinement, nous avons développé la plateforme jeveuxaider.gouv.fr, dont l'ambition était de mettre en relation des offres de bénévolat et des bénévoles. Ce système a très bien fonctionné lors du premier confinement. Ces missions étaient de toute nature : distribution alimentaire, soutien, courses, etc. Plus de 340 000 bénévoles sont aujourd'hui inscrits sur cette plateforme dont 42 % ont moins de 30 ans.
Le « compte engagement citoyen » est un autre moyen de favoriser l'engagement bénévole. Il vise à s'inscrire dans la stratégie de reconnaissance du bénévolat et des compétences acquises. Une fois qu'un jeune peut justifier de 240 heures de bénévolat par an, jusqu'à 220 euros peuvent être versés sur son compte engagement citoyen, qui abonde lui-même le compte personnel de formation. Cette somme peut permettre de cofinancer le permis de conduire, de financer ou cofinancer des certifications de compétences ou des formations certifiantes.
S'agissant des freins à la mobilité, ce sujet ne relève pas que de nous. Nous avons déployé un appel à projets, dans le cadre du service civique, sur la ruralité. Le SNU est également l'occasion de toucher ces publics ruraux, qui représentent plus de 30 % des jeunes, selon la définition de territoires « peu denses » et « très peu denses » de l'Insee. Notre enjeu est de démontrer que cet engagement est possible sur place, qu'il s'agisse du SNU ou du service civique. Nous avons de bonnes expériences en la matière. Une sociologue de l'INJEP a consacré un ouvrage aux jeunes filles dans les milieux ruraux, intitulé Les filles du coin - vivre et grandir en milieu rural, qui montre que les jeunes filles sont engagées, mais que leur l'engagement n'est pas visible. Les séjours de cohésion, par ailleurs, ont parfois lieu dans des territoires plus isolés. Un des objectifs forts de 2021 était d'ouvrir un centre par département. En termes de répartition, nombre d'entre eux sont situés hors des villes.
Enfin, le dispositif Un jeune, un mentor a été annoncé le 1er mars 2021 par le Président de la République, avec un objectif ambitieux de 100 000 mentors et mentorés ; 200 000 en 2022. Nous travaillons sur cette politique publique en lien étroit avec le ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion (MTEI) et en particulier le Haut-commissariat à l'emploi et à l'engagement des entreprises (HC3E). 30 millions d'euros ont été alloués en 2021 à ce programme, dont 3 millions d'euros au MTEI pour contractualiser avec le collectif Mentorat (qui anime la plateforme) sur trois ans ; 27 millions d'euros ont fait l'objet d'appels à projets gérés par la DJEPVA : deux lancés à l'été dernier et à la rentrée. Ces 27 millions d'euros ont été alloués à 57 associations, partout sur le territoire, sur tout type de mentorat, aussi bien pour des jeunes scolarisés, des jeunes femmes, des jeunes issus de quartiers difficiles, des territoires ruraux, des outre-mer, de l'Aide sociale à l'enfance, etc. L'Institut de l'engagement, Unis-cité, Chemins d'Avenirs font partie des structures ayant répondu à ces appels à projets. Fin 2021, nous comptions 81 200 mentorés. L'objectif de 100 000 devrait être atteint au 1er mars. Pour atteindre l'objectif de 200 000 mentorés, nous allons lancer l'appel à projet très prochainement. La plateforme a permis d'identifier 10 080 jeunes et 6 060 mentors. En janvier, le collectif Mentorat a organisé un événement pour fédérer tous les acteurs, les entreprises et les associations. On dénombre une trentaine d'entreprises motrices.
Tous ces éléments s'inscrivent dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. Une Conférence européenne de la jeunesse a été organisée la semaine dernière. Nous avons prévu que les jeunes puissent intervenir pendant la réunion informelle des ministres qui se tient à l'issue de cette conférence. L'année européenne de la jeunesse est en outre en cours, suite à une proposition de la présidente de la Commission européenne. L'ambition est de démontrer que les jeunes ne sont pas la variable d'ajustement de la crise pandémique et doivent être une priorité, et de présenter les actions conduites à leur profit, avec et par eux dans chacun des États membres. Le dispositif du mentorat, en l'occurrence, intéresse les autres pays européens.
Mme Laure Darcos. - Merci pour cette présentation stimulante. .
Je souhaitais revenir sur le SNU. J'ai eu la chance d'assister à une journée complète du SNU, sur la base de loisirs d'Étampes. Les maires des communes rurales se sont tous rendus à la levée des couleurs. En fin de session, un jeu de rôle de campagne présidentielle a été organisé. Les finalistes m'ont présenté leur programme, qui était constitué de propositions très intéressantes, sur l'environnement, le logement, le RSA jeunes, etc. Une jeune fille souhaitait prolonger sa démarche par un stage dans une collectivité. J'ai sollicité mes trois collègues sénateurs de Seine-et-Marne. Il serait utile d'inviter les jeunes sensibilisés à la chose publique à se manifester lors du SNU afin que vos services assurent le lien avec les collectivités. Lorsque nous avons reçu les représentants d'Unis-Cité, je leur ai demandé si certains avaient déjà été sollicités pour participer à un conseil municipal des jeunes, ce qui n'était pas le cas. Vous avez donc un rôle pour assurer ce lien.
M. Hervé Gillé. - Une des questions qui se pose est de savoir comment faire nombre. Nous avons toujours des difficultés à mettre en perspective les chiffres par rapport à la population générale. Pour le service civique, combien de jeunes ont été touchés par rapport à la population cible ? C'est un sujet de fond : comment faire nombre ?
S'agissant de la qualification des parcours d'insertion ou des parcours citoyens, vous avez évoqué le « compte engagement citoyen ». Il s'agit en quelque sorte d'une validation des acquis de l'expérience appliquée à l'engagement. Combien de personnes sont concernées ? Ce dispositif ne me semble pas suffisamment déployé à l'heure actuelle. Il s'agit donc de se poser la question de la valorisation de ce type de dispositif. 240 heures de bénévolat donneraient lieu à une plus-value de 220 euros, qui pourrait être inscrite dans le Compte personnel de formation (CPF). Il s'agit d'un atout supplémentaire, qui n'est toutefois pas connu des opérateurs. Les missions locales me semblent bien placées. Quelle est l'articulation interministérielle prévue sur ces sujets ?
Mme Emmanuelle Pérès. - Il faut en effet déployer ce dispositif massivement. Ce n'est pas assez connu. Les jeunes en mission de service civique devraient pouvoir mobiliser leur « compte engagement citoyen ».
M. Stéphane Piednoir, président. - Vous avez évoqué le brassage social. Pourriez-vous nous parler de la surreprésentation des enfants de personnels militaires au SNU ?
En ce qui concerne la montée en puissance du SNU, on est passé de 20 000 à 50 000 jeunes en un an. Pour rendre obligatoires le séjour de cohésion et la mission d'intérêt général, il faut passer à une cohorte de 750 000 jeunes. En avons-nous les moyens financiers, humains et opérationnels ?
Mme Emmanuelle Pérès. - Le suivi des jeunes après le séjour de cohésion est très important pour nous. Pour les élus, nous avons mis en place la possibilité pour les jeunes volontaires d'autoriser la transmission de leurs coordonnées aux préfets et maires. Des courriers signés par les ministres sont transmis à tous les élus pour les avertir qu'ils ont un jeune du SNU sur leur territoire. Il faut par exemple inviter ces jeunes à des cérémonies pour marquer la reconnaissance de leur engagement. Les élus doivent également pouvoir le cas échéant proposer des MIG à ces jeunes de leur territoire. S'agissant des MIG, il y a au cours des séjours de cohésion des forums de l'engagement permettant de présenter les MIG. Enfin, les temps de démocratie pendant les séjours de cohésion sont très importants. Nous travaillons avec l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej) sur ces sujets.
Mme Julie Champrenault, adjointe au sous-directeur du service national universel (SNU). - Sur le volet de la participation à la chose publique, nous avons la volonté d'inciter les jeunes à participer eux-mêmes à la vie de leur centre de cohésion, avec des créneaux de démocratie interne. Nous mettons beaucoup l'accent sur la formation des tuteurs de maisonnée, qui encadrent au plus près les jeunes dans le cadre des séjours de cohésion et leur présentent la deuxième phase. Ils leur indiquent notamment qu'ils ont la possibilité de contacter un référent MIG. Il existe en effet dans chaque département un chef d projet SNU et un référent MIG. L'accompagnement des jeunes dans leur recherche de MIG est un véritable enjeu.
Nous avons récemment mis en place, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires, un référentiel des MIG - adaptable aux spécificités des territoires - pour outiller les élus.
Mme Emmanuelle Pérès. - La plateforme jeveuxaider.gouv.fr se développe beaucoup avec les collectivités locales, qui peuvent y inscrire des missions bénévoles. Les MIG, en revanche, doivent se tenir dans l'année suivant le séjour de cohésion et concernent de jeunes mineurs. La minorité des jeunes est d'ailleurs un point de vigilance. Il faut que la plateforme jeveuxaider.gouv.fr et que la plateforme du SNU fonctionnent en synergie. Ce besoin d'outillage et d'accompagnement des collectivités est lié précisément à l'âge de ces jeunes mineurs. Il faut rassurer et montrer que c'est possible de leur proposer un MIG. La question que les organismes doivent se poser en proposant des MIG est : que voulons-nous transmettre aux générations montantes ?
En matière de MIG, je conviens que nous avons pris un peu de retard car notre énergie était mise sur les séjours de cohésion. Un séjour de cohésion non suivi de MIG, c'est 80 % de l'intérêt du SNU de perdu.
Comment faire nombre ? C'est l'ambition du SNU, puisque nous souhaitons le généraliser à toute une génération, soit 700 000 jeunes, afin que tous bénéficient de ce bagage à 15-16 ans. Le service civique pour sa part doit rester volontaire. Le rendre obligatoire est en contradiction avec sa finalité. Les ambitions ne sont pas les mêmes.
S'agissant de la qualification des parcours citoyens, l'enjeu est, à travers l'engagement bénévole ou volontaire, de développer puis valoriser un certain nombre de compétences transversales et comportementales (les soft skills) qui sont de plus en plus attendues par les entreprises. De nombreux référentiels existent sur la question. L'Agence du service civique en développe actuellement un, basé sur un référentiel de l'Union européenne. Pour ce qui concerne la validation, elles sont automatiquement reconnues pour les jeunes en service civique. Pour les autres, cela concerne des personnes dans la gouvernance de l'association (conseil d'administration). Les 240 heures sont reconnues par l'association concernée. 8 000 à 10 000 personnes ont activé leur compte engagement citoyen. L'objectif est de procéder au déploiement de cet outil. En s'appuyant sur les jeunes du service civique, il sera possible d'identifier les difficultés éventuelles. Des contrôles seront aussi nécessaires car tout n'est pas de l'engagement citoyen. Nous avons besoin d'outils en interne. C'est une des ambitions de l'Agence du service civique. Avec le « compte engagement citoyen », les jeunes pourront cofinancer leur certificat.
M. Hervé Gillé. - Sur le financement du permis de conduire, on observe aujourd'hui une vraie nébuleuse d'acteurs. En termes de certification de la formation professionnelle, il y aurait une vraie pertinence à s'appuyer sur les régions.
Mme Emmanuelle Pérès. - Nous travaillons avec ces collectivités. Je suis d'accord, il y a là un véritable enjeu pour les générations montantes.
En ce qui concerne le brassage social et la surreprésentation des corps en uniforme, qui apparaissait dans l'étude quantitative de l'INJEP, la proportion de jeunes issus d'une famille qui a eu une expérience dans un corps en uniforme est de 39 %. La proportion de jeunes qui comptent parmi leurs parents des professions de corps en uniforme (militaires, gendarmes, policiers, sapeurs-pompiers) est de 9-10 %, contre 1 % dans la population nationale. Il est vrai que le SNU avait initialement une dimension militaire, ce qui peut être la cause d'un malentendu. Certains jeunes ont pu s'attendre à faire une préparation militaire. Nous expliquons aux jeunes qu'il s'agit de renforcer la résilience de la Nation, de comprendre la démocratie et les valeurs de la République, mais que le dispositif est civil, bien que nous travaillions étroitement avec les armées et qu'une journée soit dédiée à la Journée défense et citoyenneté. J'ai eu le sentiment, lors de mes visites de centres, que de nombreux jeunes pouvaient avoir des liens avec des familles de Gilets jaunes, mais c'est un ressenti subjectif et non documenté, qui traduit toutefois semble-t-il une certaine pluralité des jeunes. Nous sommes également vigilants à l'égard des QPV et des lycéens professionnels. Une question demeure sur les apprentis, qui n'ont que cinq semaines de congé, soit moins que les autres jeunes. Nous travaillerons avec deux à trois branches emblématiques en la matière.
M. Stéphane Piednoir, président. - Nous savons que le service civique est ouvert aux étrangers. Est-il souhaitable d'ouvrir cette possibilité pour le SNU ?
Mme Laure Darcos. - Pouvez-vous également préciser les coûts liés aux déplacements de ces jeunes, dans l'hypothèse d'un SNU obligatoire ?
Mme Emmanuelle Pérès. - Les questions de transport peuvent être très onéreuses. Dans la métropole, on s'en sort grâce à une équipe de choc qui gère les transports. S'agissant des jeunes Français qui ne vivent pas sur le sol français, nous pouvons organiser des centres dans les outre-mer, bien que le transport en devienne onéreux. L'objectif est de nous assurer que tous ces jeunes puissent répondre à cette obligation. Les DOM nous permettent d'accueillir des jeunes Français qui vivent à proximité.
S'agissant des jeunes étrangers, la question de savoir si nous devons réserver le dispositif du SNU, comme la JDC, exclusivement aux jeunes Français est complexe.
Le service national n'est ouvert qu'aux jeunes Français. Le SNU s'adresse aux jeunes de 15 à 16 ans. La question de l'obligation, même exclusivement pour les Français, relève de la loi. Tout est ouvert actuellement. Dans une approche pragmatique, le réserver aux Français se traduirait certaines classes par le fait que quelques jeunes ne pourront pas partir en séjour de cohésion. Mais la proportion pourrait être inversée dans d'autres classes. Ces sujets de fond sont importants. Le SNU, qui participe de la cohésion nationale et doit répondre à un certain nombre d'objectifs, pourrait a minima être ouvert aux jeunes non-Français qui le souhaiteraient.
L'effectif de 700 000 jeunes exige quoi qu'il en soit des moyens importants, en investissements et en ETP. Pour les séjours de cohésion nous sommes attachés à un encadrement de proximité, une des conditions du succès. Il faut une volonté politique forte. Le débat parlementaire permettra de dégager des perspectives.
Mme Laure Darcos. - Vous avez abordé l'ASE ; j'ai pour ma part pensé aux mineurs non accompagnés (MNA). Cette approche du sens civique et citoyen pourrait être bénéfique en termes d'intégration, même si le fait qu'ils ne parlent pas tous français peut être source de difficultés.
N'est-il pas complexe de superposer le SNU et le service civique ? Serait-il envisageable d'imaginer que ces deux parcours relèvent d'une seule structure, à terme, afin de simplifier le dispositif et de le rendre plus compréhensible et davantage lisible ?
Mme Emmanuelle Pérès. - Pour nous, le service civique est la troisième étape du SNU - le « Graal » d'une certaine manière. Certains jeunes qui participent au séjour de cohésion, s'ils sont décrocheurs et ont besoin d'être remobilisés, pourraient rentrer directement en service civique, auquel cas nous le reconnaîtrions aussi bien comme la mission d'intérêt général et la mission volontaire de trois mois et plus avant 25 ans. L'engagement volontaire des jeunes nous permet de mesurer le succès du SNU, au-delà des inscriptions et des jeunes accueillis en séjour de cohésion. Le véritable impact résidera dans le nombre de personnes qui ont suivi leur séjour de cohésion puis s'engagent pour la Nation à travers le service civique ou d'autres modalités. Par ailleurs, grâce à la tutelle que nous exerçons sur l'Agence du service civique, nos équipes travaillent dans un maximum de synergie, par exemple pour les MIG, car ce sont souvent les mêmes associations qui proposent des missions de service civique et qui pourraient accueillir des jeunes du SNU.
En termes d'organisation, tout est ouvert. Faut-il créer une Agence de l'engagement pour incarner cette politique ? Il y a des avantages et des inconvénients. Cela dépendra de l'ambition politique qui s'exprimera à l'égard de l'engagement. Le développement du SNU ne doit cependant pas se faire aux dépens du service civique, sauf à nous priver d'une opportunité très intéressante en matière d'engagement volontaire. Les dernières déclarations du Président sur le Service civique européen démontrent une volonté de favoriser le volontariat et de reconnaître cette forme d'engagement.
M. Stéphane Piednoir, président. - Nous nous adressons ici à des jeunes qui découvrent la citoyenneté. Nous avons matière à simplifier et coordonner ces processus, non pas pour en supprimer certains mais pour les rendre plus cohérents et plus lisibles. Nous vous remercions pour votre intervention.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 9 février 2022
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -
Échange de vues - Bilan d'étape des travaux de la mission (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement
M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui dans le cadre de cette mission Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre, chargée de la jeunesse et de l'engagement. Notre mission a été mise en place dans le cadre du droit de tirage du groupe RDSE, qui a désigné un de ses membres, en la personne d'Henri Cabanel, comme rapporteur. Elle est composée de 19 sénateurs et de deux suppléants, issus de tous les groupes politiques. Notre rapport, assorti des recommandations, sera publié au mois de juin 2022.
Cette audition donnera lieu à un compte-rendu écrit, qui sera annexé au rapport. Sa captation vidéo permet de suivre notre audition sur le site internet du Sénat et sur Facebook. Cet enregistrement sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
La création de notre mission d'information a été inspirée par les taux d'abstention préoccupants constatés lors des dernières élections, départementales et régionales en particulier, qui nous ont conduits à nous interroger sur la formation des futurs citoyens. Quel est le rôle de l'école dans cette formation ? Cette formation pourra-t-elle contribuer à renouer un lien très distendu entre les citoyens et les institutions ? Cette question constitue évidemment un axe important de notre réflexion.
Un autre axe réside naturellement dans les politiques publiques mises en place pour encourager la jeunesse à s'engager, par exemple dans le cadre du service civique, mais aussi dans celui du SNU (service national universel). Nous visiterons d'ailleurs un centre du SNU la semaine prochaine, à Dunkerque.
Nos échanges vont nous permettre de compléter les informations recueillies au cours de précédentes auditions, notamment celles du directeur général de l'enseignement scolaire, de la présidente du Conseil supérieur des programmes, de la présidente de l'Agence du service civique et de la déléguée interministérielle à la jeunesse, entendue hier.
Madame la ministre, avant de vous donner la parole, Henri Cabanel, rapporteur, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Merci monsieur le président, et merci à madame la secrétaire d'État d'avoir pris ce temps précieux pour être auditionnée dans le cadre de cette mission, qui a l'ambition de redynamiser la culture citoyenne. Au-delà de l'abstention, qui est un véritable problème, il se pose la question de l'engagement des jeunes et du parcours nécessaire pour qu'ils deviennent les citoyens de demain. L'éducation nationale est bien sûr au centre de ces préoccupations.
Je voudrais vous poser quelques questions, notamment au sujet du SNU. L'objectif de 50 000 volontaires défini pour 2022 sera-t-il atteint ? S'agissant du déroulement de la phase 2 du SNU, quelles sont les perspectives pour 2022 ? Les associations susceptibles d'accueillir des volontaires en mission d'intérêt général sont-elles au rendez-vous ? Comment les jeunes se répartissent-ils entre MIG (mission d'intérêt général) « sous uniforme » (au sens large) et MIG en association ? Comment, selon vous, le SNU pourrait-il devenir véritablement universel sans obligation légale, et en combien de temps ? Comment le SNU s'articule-t-il actuellement au service civique ? En dehors de l'engagement des jeunes dans ces divers volontariats, quel est le bilan actuel de l'engagement bénévole des jeunes dans les associations et des mesures prises par le gouvernement pour encourager ce type d'engagement ? Enfin, que penseriez-vous de l'extension du SNU aux étrangers ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement. - Merci beaucoup, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour votre invitation. Cette mission d'information me semble intervenir à un moment crucial. Je constate dans le cadre de mes déplacements et de mon portefeuille ministériel un paradoxe criant : la jeunesse est engagée au sens sectoriel et thématique, très experte de certains sujets, qu'elle prend au sérieux, comme le développement durable, les sujets de mémoire, ou l'égalité des droits. Elle sélectionne ainsi un thème qui la touche et va au terme de cet engagement, en se mobilisant de différentes manières. Pour cela, elle rejoint ponctuellement des associations, s'engage de manière militante sur les réseaux sociaux ou signe des pétitions. Les jeunes ont le goût de l'engagement.
En revanche, ce sentiment de responsabilité et d'action dans la société ne se transforme pas par l'expression démocratique plus traditionnelle. Nous obtenons ainsi des taux d'abstention qui doivent nous amener aujourd'hui, à mon sens, à tirer le signal d'alarme. 63 % des jeunes disent ne pas imaginer s'exprimer aux prochaines élections présidentielles. Neuf jeunes sur dix ne se sont pas exprimés aux dernières élections régionales. Il s'agit du symptôme d'un lien qui se détend.
Pour y répondre, nous réfléchissons, en nous appuyant sur des expertises diverses, à un parcours de citoyenneté. Celle-ci s'acquiert en effet tout au long de l'éducation et aux différents âges des enfants et des jeunes. Je m'inscris donc en articulation avec l'action du ministère de l'éducation nationale - la mère des batailles, c'est l'école -, via l'éducation morale et civique (EMC), la démocratie scolaire ou encore certaines actions portées par des maires locaux, comme le passeport du civisme, qui accompagne des jeunes dès le CM2. L'ensemble de ces actions permet de commencer à construire l'idée d'une action personnelle, dans son collectif, sur son territoire, et pose ainsi le sujet de la citoyenneté aujourd'hui.
Pour répondre à votre question sur le SNU, nous le considérons comme un temps clé, entre 15 et 17 ans, soit à la veille de l'expression démocratique et à un moment où le jeune dispose de bagages institutionnels et historiques suffisants pour comprendre les actions possibles du citoyen. Le SNU comprend plusieurs modules obligatoires qui permettent de vivre les valeurs de la République et la démocratie. Cela s'inscrit dans la suite du rapport des députées Marianne Dubois et Émilie Guerel de 2018 sur le SNU. S'agissant du séjour de février - et je me réjouis que vous ayez l'occasion de rencontrer des jeunes en SNU -, plus de 3 000 jeunes effectueront leur SNU, pour la première fois sur du temps scolaire et du temps de vacances. Il s'agira également de la première session en dehors du temps estival, afin de permettre à des jeunes qui travaillent l'été ou suivent des formations professionnelles de bénéficier de ce temps de citoyenneté. Compte tenu du contexte sanitaire, nous avons limité l'effectif de cette session à 3 000 jeunes. 3 292 dossiers d'inscription ont été ouverts. Les cars partiront dimanche pour rejoindre les différents centres. La trajectoire de 50 000 volontaires est atteignable car la courbe des inscriptions se poursuit. Les présentations ont en outre été démultipliées, via la mobilisation des enseignants, recteurs et professeurs, mais aussi des associations (sportives, culturelles), des MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) et des missions locales. Il s'agit d'autorités qui ont la confiance des jeunes. Concernant la diversification des profils et des parcours, 35 % de jeunes viennent des territoires ruraux, 7,6 % des quartiers prioritaires de la ville et 3,5 % sont en situation de handicap. Nous avons donc des enjeux pour rechercher davantage de mixité.
Ce projet ne sera totalement universel que s'il est obligatoire. Nous aurons ainsi besoin d'un débat au sein du Sénat et de l'Assemblée nationale pour savoir si la représentation nationale souhaite le rendre obligatoire. Avant d'arriver à ce temps législatif, ma mission est de rechercher cette diversité pour identifier les éventuelles difficultés ou opportunités qu'elle crée.
Sur la question de la parité, d'abord, celle-ci est parfaite. Nous comptons cette année 50,5 % de jeunes filles, contre 52 % de jeunes filles l'année dernière. Concernant les différentes cohortes et l'évolution dans les missions d'intérêt général (MIG), il s'est beaucoup posé la question de l'équilibre entre le monde associatif et les structures de corps en uniforme. 66 % des jeunes effectuent leur mission d'intérêt général dans une structure associative ou une collectivité. Le nombre de collectivités qui s'engagent est croissant. Il est nécessaire de permettre à des jeunes dans des territoires ruraux, plus isolés, de bénéficier de MIG au plus près de leur territoire. Nous avons été alertés par un certain nombre de jeunes qui n'avaient pas la possibilité d'effectuer leur mission d'intérêt général à proximité. Ces jeunes de 15 à 17 ans ont peu de moyens de mobilité, et il nous appartient donc de leur donner toutes les chances de suivre ce parcours. Je souhaite remercier chaleureusement les cadets de la gendarmerie, de la police et la DSNJ (direction du service nationale et de la jeunesse, au sein du ministère des armées). 30 % des jeunes rejoignent ces structures. Il est par ailleurs possible de réaliser ces missions d'intérêt général d'affilée (et non perlées un samedi par semaine), ce qui permet à des jeunes plus éloignés de bénéficier de ce temps et de participer à la diversité des offres. Presque tous les départements ont aujourd'hui une association des cadets de la gendarmerie, ce qui est une chance pour porter ce projet sur chaque territoire.
Il s'agit en outre de renforcer le socle républicain. Des débats ont porté sur la levée de drapeau ou le port de l'uniforme lors du séjour de cohésion. Ils sont encore nombreux. La citoyenneté passe également par l'appropriation de symboles communs. Le port de l'uniforme, qui peut être perçu comme un élément militarisant, permet de vivre la mixité sociale, sans attention portée aux marques ou à la situation sociale des volontaires. Cet uniforme est en l'occurrence vécu comme une fierté, ce qui amène ces jeunes à participer aux cérémonies mémorielles dans leur commune, aux côtés des anciens combattants ou des élus locaux. J'ai l'habitude de leur dire qu'un uniforme ne se range pas dans un placard, mais se porte. C'est une fierté et une responsabilité.
Le service civique est la troisième étape du SNU. Il reste volontaire, mais étant ouvert aux jeunes de 16 à 25 ans ou 16 à 30 ans s'ils sont en situation de handicap, il est l'opportunité de poursuivre ce parcours d'engagement. Pour moi, il s'agit de l'élément d'évaluation réel de la réussite de l'investissement des deux premières étapes.
La mission d'intérêt général est un temps fort de découverte, qui permet à de nouvelles générations de s'engager et de comprendre qu'une signature sur une pétition, par exemple, peut se compléter d'une action réelle sur le territoire. La MIG est un moyen, en semant des graines de bénévolat, de répondre à la crise du bénévolat que l'on constate aujourd'hui dans les associations.
Le service civique est aujourd'hui particulièrement généralisé, avec 245 000 missions ouvertes et financées. Nous avons pour la première fois ouvert un service civique « mission européenne », pour faire vivre l'esprit européen sur notre territoire et permettre aux jeunes de bénéficier de mobilités européennes, alors que ceux-ci ne suivent parfois pas de circuit universitaire traditionnel.
Pour accompagner cette articulation, mes services déconcentrés ont été renforcés de 80 recrutements cette année (inclus dans le budget pour 2022), au niveau départemental principalement, puisqu'il s'agit de l'échelon le plus proche des dispositifs d'engagement.
S'agissant de l'ouverture du dispositif aux étrangers, le SNU est aujourd'hui pensé comme un creuset républicain pour les jeunes Français. La question de son ouverture à des jeunes qui souhaitent devenir français et veulent participer au SNU est en débat.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous avez évoqué le fait que le Parlement doive se saisir du sujet de l'obligation du SNU. Cela demandera des moyens de montée en puissance importants. Comment pourraient-ils se qualifier dans le temps ?
Mme Sarah El Haïry. - En effet. Pour que le service national soit universel, il doit être obligatoire. Pour cela, nous avons besoin d'un débat démocratique, car ce sujet touche au parcours de citoyenneté, mais aussi à la vie des jeunes et de leur famille.
Pour généraliser le SNU, il s'est d'abord posé la question de sa conjugaison avec le temps de la scolarité, puis celle des moyens. Nous n'avons plus de grandes casernes ou de lieux permettant d'accueillir régulièrement des cohortes. J'ai donc commandé à l'Inspection générale un rapport sur l'immobilier de l'État, que je pourrai vous soumettre dès qu'il me sera rendu. Il s'agit d'identifier des lieux qui peuvent être rénovés et équipés. Si nous devions généraliser le SNU, chaque département devrait avoir au minimum un lieu en capacité d'accueillir 300 à 350 jeunes par territoire, tous les 15 jours, et de pérenniser les recrutements. Le SNU est aujourd'hui encadré par 3 500 à 3 700 encadrants diplômés. Il s'agit de personnes titulaires d'un BAFA, des corps en uniforme ou de l'éducation nationale - une répartition éducation populaire, armée et éducation nationale à raison d'un tiers chacune depuis 2019 -, ce qui permet une complémentarité des cultures et un accompagnement plus personnalisé. Un débat sera également nécessaire avec les collectivités territoriales sur la pertinence des lieux à rénover.
Mme Laure Darcos. - Madame la ministre, j'ai vécu moi aussi la levée des couleurs et la Marseillaise lors d'un séjour de cohésion du SNU. J'ai vu des jeunes pleurer ! Moi-même, j'ai ressenti une émotion particulière. Au terme de leurs journées de formation, ils sont en effet saisis par cet instinct patriotique que nous essayons de leur inculquer. Dans le cadre de cette dernière journée, une jeune fille habitant dans un territoire rural m'a indiqué qu'elle aurait souhaité poursuivre ce séjour de cohésion par un stage dans une collectivité locale. La personne - une principale de collège - qui dirigeait ce groupe partageait cette frustration. Nous devrions pouvoir prendre les coordonnées de ces jeunes et les aider à s'engager dans une collectivité. Bien évidemment, ces jeunes n'ont pas vocation à remplacer des agents publics.
M. Stéphane Piednoir, président. - Ma question porte sur l'offre proposée aux ultramarins. Le déplacement est un sujet prégnant en outre-mer. Quelles sont les missions d'intérêt général qui sont offertes à ces jeunes ? Comment s'implantent-elles sur ces territoires ?
Mme Sarah El Haïry. - Je commencerai par répondre à Madame la sénatrice Darcos. J'ai partagé les mêmes moments, notamment au château de Jambville, où les jeunes qui recevaient une visite du Premier ministre ont déclaré : « Vive la France, vive la République. » Nous vivons ces moments dans de nombreux territoires. C'est pour cela que je crois au SNU. Les jeunes se sentent responsables les uns des autres, et ne se seraient probablement jamais rencontrés dans un autre cadre.
Pour répondre à votre question sur la connexion entre SNU et collectivités territoriales, nous avons mené une action avec les élus locaux. La première étape était d'informer les maires que des jeunes de leur commune sont partis en SNU. Nous avons toutefois rencontré une limite sur la transmission des coordonnées, car nous n'avions pas recueilli l'accord des jeunes - mineurs - et de leurs parents. Nous ne pouvions donc pas transmettre leur identité à ces maires. Cette année, nous avons créé un outil permettant aux jeunes de garder un lien entre eux, mais également de créer de la solidarité générationnelle. L'étape suivante, dans le cadre des MIG, consiste à renforcer la plateforme qui leur permet de trouver leur mission. Ce goût de l'engagement dans la fonction publique et dans les collectivités est également le fruit des présentations et des visites (préfecture, CAF, hôpital...) qui sont proposées dans le cadre du séjour de cohésion. Ces échanges créent des vocations, qu'il serait intéressant d'accompagner par du tutorat ou du mentorat. Nous souhaitons ainsi avoir des référents territoriaux. La réussite de ce projet ne sera réelle que s'il s'inscrit dans un parcours, dès le plus jeune âge, jusqu'à la majorité.
Concernant la question ultramarine, la mobilité était initialement nationale. Les jeunes ultramarins du SNU pouvaient ainsi venir en métropole, et inversement. Il s'agissait d'une chance. Nous avons cependant dû limiter la territorialité en raison de la situation sanitaire. L'objectif reste cependant de permettre aux jeunes ultramarins de vivre une expérience de mixité. À l'avenir, l'objectif sera de recréer une mixité entre les territoires, notamment pour lutter contre l'isolement des territoires ultramarins. Les missions d'intérêt général sont quant à elles à l'image de celles qui sont proposées en métropole : des associations, des collectivités qui commencent à s'engager, avec en plus la particularité de services militaires adaptés (SMA), qui proposent d'accueillir des jeunes à la sortie du SNU. Nous profitons en effet des 15 jours du séjour de cohésion pour identifier des jeunes en difficulté, soit de santé, soit d'insertion sociale. L'objectif est de les accompagner vers des SMA, des écoles de la deuxième chance, des EPIDE, etc. En outre, au 1er mars prochain, nous allons déployer massivement le contrat d'engagement jeune, qui est ouvert dès 16 ans et permet d'avoir un référent unique et un accompagnement vers une formation ou un apprentissage. L'objectif est ainsi de permettre aux jeunes de s'inscrire dans un parcours et d'éviter toute rupture.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Madame la ministre, vous avez évoqué les missions d'intérêt général, indiquant qu'elles s'ouvraient davantage aux collectivités. J'ai une question sur la communication autour de ces outils, au niveau des élèves ou des collectivités. La mission d'information va se rendre dans mon département de l'Hérault les 23 et 24 mars prochains. Nous nous rendrons dans un collège où un professeur a créé une enquête auprès de 500 collégiens. À la question « Êtes-vous informés des outils permettant l'engagement ? », sur un tiers de réponses dépouillées, 90 % des élèves répondent par la négative. Quels moyens pouvez-vous mettre en place pour sensibiliser à la fois les élèves et les collectivités à l'existence de ces outils ?
Mme Sarah El Haïry. - Vous soulignez le sujet le plus difficile de l'exercice qui est le nôtre. Les dispositifs sont nombreux, mais la question qui se pose est de savoir comment en apporter l'information aux jeunes. Il s'agit également d'une question que nous nous posons dans le cadre de la lutte contre le non-recours aux droits.
Pour présenter le SNU, nous nous appuyons sur les enseignants, mais les inégalités sont grandes d'un territoire à l'autre : certains établissements, séduits par ce projet, réalisent des affiches, des vidéos, voire organisent des réunions d'information avec les parents ou utilisent l'outil « Pronote » et invitent des jeunes qui témoignent de leur propre expérience du SNU. D'autres établissements ne proposent qu'une information très succincte. Nous avons mobilisé les recteurs, chefs d'établissement et des responsables de l'information jeunesse, en pariant sur cette nouvelle génération de jeunes ambassadeurs. L'année dernière, 15 000 jeunes ont effectué leur SNU. Ils seront 3 000 lors de la prochaine session et 50 000 à la fin de l'année, si les objectifs sont atteints. Je propose aux différents recteurs et chefs d'établissement de faire parler ces jeunes afin d'inciter d'autres jeunes à se porter volontaires. Le SNU est reconnu dans Parcoursup comme élément de valorisation. La reconnaissance de leur engagement et le témoignage plus structuré de jeunes qui ont effectué le SNU constituent, à mes yeux, une étape supplémentaire.
S'agissant des collectivités, nous travaillons avant tout avec des collectivités qui ont vu des jeunes partir en SNU, ont assisté à leur transformation et veulent inciter plus de leurs jeunes à vivre cette expérience. Nous travaillons également avec des associations d'élus locaux, telles que l'Association des maires ruraux de France, afin de réfléchir à la construction d'un document clé et d'une information. Le pourcentage des services civiques au sein des structures locales étant très faible, nous avons d'abord oeuvré sur ce sujet. Nous avons élaboré un livret dédié au service civique, qui a été envoyé à l'ensemble des collectivités.
Sur ce modèle, nous souhaitons désormais profiter de la montée en puissance du SNU, et du nombre accru de jeunes en ayant bénéficié pour déployer plus largement l'information auprès des élus locaux, en leur proposant par exemple des missions types de MIG. Nous proposons également un témoignage de maires et de jeunes qui se sont lancés dans cette démarche.
M. Henri Cabanel, rapporteur. -Il est vrai que la situation est variable selon les établissements et la réceptivité du corps enseignant. Il faudrait également prévoir une sensibilisation des professeurs, dont certains se limitent à communiquer aux parents le lien qui peut les renseigner sur ces outils. Parfois, les parents sont informés, mais pas leurs enfants. Il est donc nécessaire de trouver d'autres moyens de communication pour toucher directement les jeunes.
M. Stéphane Piednoir, président. - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, merci de votre présence. Nous allons passer aux questions du rapporteur traitant de l'enseignement et de la sensibilisation à la citoyenneté au sein de l'école, qui ont été soulevées dans nombre d'auditions précédentes.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Monsieur le ministre, nous avons l'ambition, via cette mission, de redynamiser la culture citoyenne. Un des socles de cette volonté est l'éducation nationale.
Quel est le bilan du parcours citoyen dans le cadre scolaire ? Les différentes auditions ont porté un constat critique sur l'enseignement moral et civique, avec un nombre d'heures insuffisant et un enseignement souvent oublié au profit des cours d'histoire. De fait, les fondamentaux ne sont pas ou très peu acquis. Le contenu de cet EMC, défini par l'article L.312-15 du code de l'éducation, s'est beaucoup diversifié au cours de la période récente. Ne faudrait-il pas le recentrer sur la connaissance des institutions et des lois de la République ?
Est-il possible ou souhaitable de valoriser l'engagement des jeunes, par exemple auprès d'associations, lors du baccalauréat, par exemple en attribuant des points supplémentaires aux lycéens concernés ? Seriez-vous favorable à une année de césure après le baccalauréat, pour le service civique ?
Dans les quartiers difficiles, de nombreux jeunes sont exclus par les établissements scolaires pour indiscipline à l'âge de 15 ans, alors que la scolarité est obligatoire jusqu'à 16 ans. Les associations indiquent qu'il est très difficile de trouver une solution pour ces jeunes, souvent en perte de repères. Une éducation citoyenne serait fondamentale. Il est très difficile de capter ces jeunes souvent désemparés. N'y a-t-il pas une doctrine, au sein de l'éducation nationale, pour ne pas abandonner ces jeunes ? Quelle solution envisager pour les maintenir scolarisés jusqu'à l'âge légal ? N'est-ce pas une démission de l'éducation nationale, qui intègre pourtant le terme « éducation » dans son intitulé ?
Enfin, quel est le rôle de la réserve citoyenne de l'éducation nationale ? Combien de réservistes en font partie ? Quel recours en est fait par les établissements ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Merci beaucoup, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs pour cette audition.
Nous devons avoir une vision d'ensemble de l'enjeu de l'éducation citoyenne et une philosophie. Je vous rejoindrai pour affirmer que nous avons encore des progrès à faire en la matière. La comparaison internationale nous permet d'identifier des pistes pour évoluer. Nous n'avons pas de culture de l'engagement suffisante, et l'éducation civique est peut-être perçue comme trop désincarnée et trop austère, en raison d'une distance trop importante entre la théorie et la pratique. Les renforcements à souhaiter doivent aller dans les directions que vous avez indiquées : renforcement des contenus théoriques, mais aussi des engagements pratiques.
Je partage les conclusions de la Cour des comptes, quand elle affirme que l'école et la scolarité obligatoire jouent un rôle de premier ordre dans la formation à la citoyenneté, et qu'il convient donc de conforter cette dernière. Cependant, l'éducation civique est aussi la résultante des autres enseignements. Surtout, il est difficile d'imaginer une éducation civique réussie si les savoirs fondamentaux ne sont pas ancrés. La formule « lire/écrire/compter/respecter autrui » le traduit. Le niveau de lecture et de vocabulaire, ainsi, a un impact sur ces sujets. Ce qui se joue à l'école primaire et même dès l'école maternelle, en termes de sociabilité, d'apprentissage de droits, de devoirs et de respect d'autrui, est décisif si nous souhaitons que la suite soit réussie, -les éléments d'engagement se retrouvant à l'âge du collège.
Les leviers d'action, comme vous l'avez indiqué, sont du côté du renforcement des enseignements, mais aussi de la meilleure formation des professeurs ainsi que de la stimulation de la démocratie scolaire.
Nous n'avons pas été inactifs sur ces questions, et je souhaiterais passer en revue nos actions tout en dessinant des pistes de progrès. D'abord, nous sommes fortement mobilisés autour de la formation des enseignants et de la création de ressources pédagogiques. Nous avons également travaillé sur la clarification, la précision et le renforcement de l'EMC. Enfin, nous considérons que le SNU renvoie à un rayonnement en amont et en aval.
S'agissant d'abord de la formation et de la création de ressources, un module minimal de 36 heures est désormais intégré à tous les masters MEEF (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation), dans le cadre de la préparation aux concours de recrutement. Nous estimons donc que les professeurs seront mieux formés sur ces questions. Une innovation de la rentrée de septembre 2021, qui a vocation à se déployer dans les années à venir, réside en outre dans le parcours préparatoire au professorat des écoles (PPE), qui consiste en une classe préparatoire renouant avec l'identification de jeunes étudiants, titulaires du baccalauréat, et se destinant à devenir professeurs des écoles. Ils peuvent ainsi se préparer à un parcours équilibré, entre français et mathématiques, auquel s'ajoutent les valeurs de la République. Ce sont les « nouveaux hussards du XXIe siècle ». Nous attendons beaucoup de cette innovation, qui porte des enjeux en termes d'éducation civique. Un spectre large de compétences est attendu des enseignants qui ne peut pas s'acquérir en deux ans seulement.
Par ailleurs, à compter de la session de recrutement 2022, une nouvelle épreuve d'entretien est intégrée à la deuxième partie des épreuves d'admission des candidats, qui doivent démontrer leur aptitude à s'approprier les valeurs de la République et à les partager. Cette innovation a fait débat. Pour moi, un professeur a en effet des compétences de savoir et de transmission, mais il est aussi porteur des valeurs de la République au quotidien.
S'agissant de la formation continue, nous avons un plan de formation à la laïcité et aux valeurs de la République de « mille formateurs ». Il s'agit de formateurs de formateurs. Cette mission a été confiée à l'inspecteur général honoraire Jean-Pierre Obin. Au final, 250 000 personnels seront formés par an, à raison de 9 heures par personne. Ces formations ont déjà débuté. Un parcours de formation en ligne sur les valeurs de la République est en outre mis à disposition de l'ensemble des partenaires. Les ressources sont élaborées grâce au Conseil des sages de la laïcité, présidé par Dominique Schnapper, que j'ai souhaité créer dès mon arrivée. Trois livres ont été produits pour la rentrée dernière : L'idée républicaine (composés d'extraits de textes de la littérature française), La laïcité à l'école (dernière version actualisée du vademecum de la laïcité) et La République à l'école (valant de la maternelle au lycée).
De nombreuses ressources sont également destinées à accompagner les professeurs sur l'enseignement moral et civique, mais aussi sur l'éducation aux médias et à l'information (EMI), sujet intimement lié à ces enjeux sur lequel Gérald Bronner a remis un rapport au président de la République il y a deux semaines. Nous avons en outre réalisé un vademecum intitulé Respecter autrui à l'école élémentaire, qui paraîtra prochainement. Nos travaux et réflexions ont également porté sur les moyens de clarifier et préciser l'éducation morale et civique, mais aussi de renforcer l'éducation aux médias et à l'information et de mieux les valoriser.
En ce qui concerne l'EMC et l'EMI au collège, l'EMC a vocation à faire comprendre ce que sont la République, ses valeurs, les droits et les devoirs de chaque citoyen ; l'EMI vise quant à elle l'éducation aux médias, et donc une forme de citoyenneté vis-à-vis d'internet. J'ai participé hier, avec Brigitte Macron, à un déplacement sur la lutte contre le harcèlement. Selon nos études, trois heures quotidiennes sont passées en moyenne sur les réseaux sociaux. La citoyenneté s'exerce donc en grande partie sur les réseaux sociaux. Nous présentions hier le numéro de téléphone 3018 et sa déclinaison en application sur le téléphone portable, qui permet d'alerter immédiatement en cas de cyberharcèlement.
En 2018, nous avons révisé les programmes d'éducation morale et civique - avant l'assassinat de Samuel Paty. La nécessité de les revisiter à nouveau peut tout à fait se concevoir. Nous avons cherché à ce que l'apprentissage des institutions soit complet et à ce que l'EMC reste une véritable discipline, prise en compte dans le brevet et lors de l'examen du baccalauréat. S'agissant de l'éducation aux médias et à l'information, j'ai pris plusieurs mesures, en cohérence avec le rapport Bronner : la nomination dans chaque académie d'un référent sur le sujet, sous l'autorité du recteur, la création dans chaque académie d'une cellule d'éducation aux médias et à l'information pilotant cette politique pour le 1er et le 2d degré, un renforcement des moyens dévolus au coordonnateur académique, un vademecum de référence élaboré avec le ministère de la culture, et un vademecum pour la mise en oeuvre de projets de web-radio dans les établissements, notamment dans les collèges. Cela rejoint les sujets de participation et d'engagement.
La démocratie scolaire est un sujet très important pour notre institution, qui a connu plusieurs innovations visant à mieux prendre en compte les différentes formes d'engagement. Dans nos sociétés sécularisées, il n'y a plus de temps d'initiation de l'enfant. Celui-ci entre dans l'adolescence sans rituel ou moment solennel, ce qui laisse place à des initiations négatives : gangs, fondamentalismes, etc. Le collège doit ainsi proposer des engagements positifs. Nous devons multiplier les raisons de s'engager, au titre de la participation à la vie collective ou de l'engagement pour l'intérêt général. Nous avons donc fortifié les instances de vie collégienne et lycéenne. Je me suis d'ailleurs beaucoup appuyé sur le Conseil national de la vie lycéenne, dans le contexte de la pandémie. Je souligne le caractère très utile de ces instances, avec des délégués élus, qui ont un discours extrêmement construit et s'initient à la décision. Une des principales innovations du quinquennat aura en outre été la création des écodélégués. En 2019, à l'occasion de la marche pour le climat, nous avions demandé aux lycéens de se rassembler pour formuler des propositions. Nous en avons déduit une feuille de route en huit points, dont la création de ces écodélégués, en charge des enjeux d'environnement dans les établissements. Nous considérons que le sujet du développement durable est un sujet d'approfondissement des connaissances scientifiques des élèves et de leur participation enjeux environnementaux. Les élèves sont particulièrement en phase avec ce discours. Les écodélégués sont ainsi acteurs de l'accélération de mesures en lien avec cette thématique, comme les cantines scolaires à circuit court, la création de potagers, l'amélioration de la biodiversité par des nids d'oiseaux, le nettoyage de forêts alentour, etc. Certains écodélégués contribuent à diviser par deux la facture énergétique d'un établissement par des mesures du quotidien.
Autre exemple, le déploiement du programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l'école) dans tous les établissements de France qui se parachèvera en septembre prochain, a été inspiré par les pays scandinaves les plus avancés en la matière et vise à responsabiliser les élèves dans la lutte contre le harcèlement. Il s'agit d'une mesure luttant non seulement contre le harcèlement, mais pour le bon climat scolaire.
Le conseil d'évaluation de l'école, qui existe depuis la loi pour l'école de la confiance, contribue à une évaluation de l'établissement et de son climat scolaire, qui est d'une même importance que la transmission des savoirs.
Nous pouvons également citer le développement du tutorat et des associations sportives. Le conseil de santé et de citoyenneté a en outre été vivifié, intégrant désormais la dimension environnementale. Il s'agit d'un lieu de discussion et de proposition pour les sujets qui ont trait au civisme et à l'environnement.
L'ensemble de ces mesures contribue au renforcement de l'éducation civique concrète des élèves. Il faut continuer ces efforts.
S'agissant de la valorisation de l'engagement des jeunes, nous avons envisagé, dans les travaux préparatoires à la réforme de baccalauréat, que des engagements puissent être pris en compte dans le cadre de l'examen. Le grand oral du baccalauréat doit être l'occasion de valoriser ce que l'élève a pu accomplir en la matière.
Sur la question de l'année de césure après le baccalauréat, ceci me semble être une bonne idée, que beaucoup de jeunes envisagent. Il ne me semble pour autant pas souhaitable de le préconiser de façon systématique. Nos propositions en la matière se sont renforcées, avec 230 000 services civiques environ, dont un certain nombre se déroulent pendant cette année de césure.
S'agissant des élèves de moins de 16 ans exclus de leur établissement, l'éducation nationale n'a bien entendu aucune doctrine visant à les exclure. Pour les réinclure, nous avons des stratégies complémentaires, à commencer par la personnalisation de la réinclusion. Il s'agit d'un point de continuité pour la France, qui était un mauvais élève en 2007 sur la lutte contre le décrochage. Nous sommes à présent parmi les meilleurs à l'échelle européenne. Nous sommes en effet davantage capables de mieux les repérer, par la coopération des différentes instances et par des outils numériques, puis de leur proposer des solutions personnalisées, qui consistent souvent en des coopérations entre l'éducation nationale et d'autres structures, comme les missions locales. La réintégration d'un établissement se fait parfois par des classes relais ou des structures ad hoc que nous avons développées, telles que les micro-lycées - nous avons fixé le principe d'un micro-lycée par académie, et si possible un par département - pour les jeunes sortis du système scolaire après 15 ans. Enfin, une évolution législative très importante a affirmé notre obligation d'État à ne pas laisser un seul jeune entre 16 et 18 ans sans solution d'emploi ou de formation. Nous avons ainsi déployé des dispositifs de « raccrochage » scolaire.
Vous m'avez également interrogé sur le rôle de la réserve citoyenne. Nous y avons fait appel dans différentes circonstances, y compris dans le cadre de la crise Covid. J'ai fait appel aux jeunes retraités pour remédier aux problèmes de remplacement pendant la dernière phase de l'épidémie. Les retraités représentent 30 % des 6?670 réservistes inscrits (plus ou moins actifs), les cadres de la fonction publique 17 %, les cadres supérieurs 15 %, les étudiants 6 % et les chefs d'entreprise 5 %. Nous pouvons aller plus loin sur ce sujet.
M. Stéphane Piednoir, président. - Vous évoquez le renforcement de la démocratie lycéenne. J'ai toujours un doute sur la capacité à trouver des volontaires pour être délégués, ou écodélégués.
En ce qui concerne le renforcement de l'enseignement moral et civique, un certain nombre d'auditions ont révélé la nécessité d'inscrire certains éléments factuels dans les programmes. L'une des fragilités est la dispersion de l'EMC. Il me semble qu'un lycéen, au début de son parcours citoyen actif, doit connaître le fonctionnement des institutions ; il doit être sensibilisé au fait que la démocratie n'est pas acquise et qu'elle peut disparaître un jour.
M. Jean-Michel Blanquer. - Nous pouvons effectivement nous interroger à la fois d'un point de vue qualitatif, sur la nature du programme, et quantitatif, sur le nombre d'heures. Il s'agit de 36 heures annuelles du CP au CM2, à raison en théorie d'une heure hebdomadaire. La moitié de ces heures est consacrée à des situations pratiques. De la 6e à la 3e, l'enseignement est globalisé avec celui d'histoire-géographie. Entre la 6e et la 4e, il s'agit de 3 heures, dont 30 minutes d'éducation civique, et en 3e de 4 heures, dont 30 minutes d'éducation civique. Sur le terrain, il nous est dit que l'EMC est victime de l'invasion de l'histoire-géographie, mais cela n'est pas toujours le cas. De plus, cet enseignement est évalué au Diplôme national du brevet (DNB), à raison de 10 points sur 50. Il s'agit donc d'un encouragement à ne pas l'édulcorer au collège. Peut-être faudrait-il, dans le futur, mieux distinguer les 30 minutes d'EMC des autres horaires. C'est ce que nous avons fait dans le tronc commun de la nouvelle voie générale au lycée.
Les professeurs de philosophie ou de sciences économiques et sociales peuvent aussi s'emparer de cet enseignement. Dans la voie professionnelle, en CAP, les horaires sont de 14 heures 30 en 1re année et 13 heures en 2e année, et en baccalauréat professionnel de 105 heures par an, 84 heures en 1re et 78 heures en terminale.
Aux cycles 2, 3 et 4 de l'école et du collège, les finalités sont les suivantes : respecter autrui (en lien étroit avec les principes et les valeurs de la citoyenneté républicaine), acquérir et partager les valeurs de la République et construire une culture civique, en insistant sur l'autonomie du citoyen et son appartenance, avec la sensibilité, la règle de droit, le jugement et l'engagement.
M. Stéphane Piednoir, président. - Nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 10 février 2022
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -
Audition de M. Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)
M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions avec Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), que je remercie en notre nom à tous de s'être rendu disponible pour nous ce matin malgré un agenda particulièrement chargé.
Notre mission s'est mise en place dans le cadre du droit de tirage des groupes, à l'initiative du groupe RDSE, et notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur. Elle est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques. Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport ; sa captation vidéo nous permet d'être suivis en ce moment même sur le site Internet du Sénat et sur Twitter. Cet enregistrement sera disponible, par la suite, en vidéo à la demande.
La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement chez les jeunes, et de manière générale par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes. Le baromètre de la confiance que le CEVIPOF a publié en janvier a une nouvelle fois confirmé l'ampleur de cette défiance, qui touche tout particulièrement les partis politiques.
Le récent rapport de l'Institut Montaigne, publié le 3 février, intitulé Une jeunesse plurielle - Enquête auprès des 18-24 ans, fondé sur l'interrogation de 8 000 personnes, va dans le sens des constats que la sociologue Anne Muxel a partagés avec nous le 25 janvier dernier, qu'il s'agisse de la banalisation de la protestation, d'une plus grande tolérance des jeunes à la violence, y compris contre des élus, ou du recul de l'attachement au principe d'un gouvernement démocratique issu d'élections libres, voire d'une forme d'attirance de certains jeunes pour un régime autoritaire.
Au-delà de ces questions qui concernent la jeunesse, et à travers elle l'avenir de la démocratie participative, nous avons particulièrement besoin de votre expertise. Henri Cabanel, rapporteur, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information, puis je vous donnerai la parole, et nous aurons ensemble un temps d'échanges.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Monsieur le Directeur, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Pouvez-vous nous rappeler les résultats de l'enquête électorale conduite par le CEVIPOF lors des élections présidentielles et législatives de 2017, plus particulièrement sur les motivations de la participation et de l'abstention ? Les constats recueillis il y a cinq ans sont-ils selon vous transposables au contexte de 2022 ?
La crise de confiance qui se creuse depuis des années entre de nombreux électeurs et les institutions, et les critiques récurrentes dont fait l'objet le fonctionnement de la démocratie, confirmées par le dernier baromètre de la confiance politique du CEVIPOF publié en janvier, sont-elles, selon vous, réversibles ? À quelles conditions ? Pourquoi cette crise de confiance touche-t-elle moins les institutions locales que les assemblées parlementaires ?
Un axe spécifique de l'enquête électorale de 2017 concernait les formes de mobilisation politique des primo votants. Les constats établis à l'époque sont-ils selon vous transposables aux primo votants de 2022 ?
Les causes de l'abstention des jeunes électeurs sont-elles à votre connaissance les mêmes que pour leurs aînés, ou présentent-elles des spécificités ? Y a-t-il des différences d'attitude des jeunes électeurs à l'égard des élections nationales et locales ?
Les études que vous menez au CEVIPOF vous permettent-elles d'évaluer la participation aux prochaines élections et l'attitude des jeunes électeurs ?
Enfin, si l'on projette dans l'avenir les constats des sociologues sur les attitudes politiques des jeunes (vote « intermittent », développement d'une citoyenneté plus critique, plus exigeante voire radicale, moindre attachement à la démocratie), quelles seront à terme les conséquences de ces évolutions sur le comportement politique des citoyens ? Quels paramètres de la démocratie représentative (modalités de scrutin et notamment reconnaissance du vote blanc, propagande électorale) faut-il, selon vous, faire évoluer pour s'adapter aux mutations en cours et relever les défis de l'abstention et de la défiance ? Existe-t-il en la matière, selon vous, des exemples probants à l'étranger ?
M. Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). - Bonjour et merci de cette invitation, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je suis toujours honoré d'être invité à débattre et à réfléchir avec votre assemblée sur ces questions qui deviennent de plus en plus saillantes. Sur cette question de l'engagement citoyen, qui peut prendre une forme concrète lors des échéances électorales, nous observons beaucoup de paradoxes. Nous ne pouvons pas affirmer que nous comprenons strictement le phénomène qui se déroule sous nos yeux.
Il est très difficile de tenter de projeter ce que nous avons observé en 2017 sur la séquence présidentielle et législative de 2022, quand bien même des élections intermédiaires ont illustré la démobilisation des jeunes pour les élections municipales, régionales et départementales, mais beaucoup moins pour les élections européennes.
Nous étudions principalement, dans nos enquêtes, la catégorie des personnes âgées de 18 à 24 ans. Or, je suis souvent frappé d'observer que les attitudes de la catégorie suivante (25-34 ans) s'apparentent à celles des 18-24 ans, en beaucoup de points. La question se pose donc pour une jeunesse élargie à un âge plus avancé.
Trois phénomènes m'interpellent : d'une part, la perception qu'ont les jeunes de la représentation - je ne parle pas de démocratie participative -, d'autre part, une comparaison qui ne tient pas à une forme de déterminisme sociodémographique des jeunes - l'âge n'est pas le ressort le plus fort, mais le contexte dans lequel ces jeunes entrent dans l'univers politique et, enfin, la confiance. C'est en effet un sujet qui nous préoccupe au CEVIPOF. Nous avons peut-être tort d'appréhender de manière unidirectionnelle le rapport à la confiance des citoyens vis-à-vis de leurs représentants, d'organisations économiques, syndicales et politiques. Nous devons également apprécier le rapport de confiance de l'ensemble de ces acteurs vis-à-vis des citoyens.
Nous parlons beaucoup d'une génération « désenchantée ». Vous avez cité ma collègue Anne Muxel, qui est spécialiste des questions de jeunesse et de politisation. Je reprendrai une de ses formules : elle parle souvent d'un engagement politique pour partie lié à un héritage familial et pour partie à une forme d'expérimentation. Les jeunes expérimentent en effet, dès le plus jeune âge, ce que le champ de la représentation peut leur permettre de découvrir mais surtout de comprendre leur place dans la société. Il s'opère une transformation majeure qui ne dépend pas de cette catégorie d'âge ou d'un déterminisme sociodémographique : depuis quarante ans, les transformations majeures que traverse notre société sont, d'une part, une individualisation très forte des comportements qui affecte aussi le champ politique et, d'autre part, ce que le sociologue Ronald Inglehart appelait la montée du « post-matérialisme ». Celui-ci consiste à considérer que les jeunes ont accédé à une forme d'autonomie dans leurs choix en s'affranchissant des hiérarchies traditionnelles, religieuse au XVIIIe siècle, éducative au XIXe siècle puis familiale au XXe siècle.
Cette montée du post-matérialisme a totalement disloqué, transformé le rapport à la politique. Pour beaucoup, cette indépendance, cette affirmation de soi rendrait les jeunes beaucoup plus libres. Ainsi, leur entrée dans l'univers politique ne se fait plus nécessairement par la famille ou par l'école. Je n'ai pas de réponse sur l'impact de ces nouvelles formes de médiation que sont avant tout les réseaux sociaux sur cette politisation des jeunes. Cette question est à la fois cruciale et très complexe. L'entrée des jeunes dans un univers politique se faisait par les allégeances partisanes, c'est-à-dire l'entrée dans une organisation politique, notamment syndicale. Ce parcours pouvait s'appuyer sur des convictions acquises parfois dans un entourage familial ou amical. Depuis plusieurs années, en France, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, des formes de mobilisation politique se font jour sur les réseaux sociaux de manière invisible et très compliquée à observer. C'est un vrai sujet de préoccupation, qui d'ailleurs ne concerne pas que les jeunes de 18 à 24 ans.
Le débat sur la montée du post-matérialisme a ainsi une répercussion sur l'observation de la séquence présidentielle actuelle. Il n'est plus possible d'utiliser les mêmes grilles de lecture, notamment l'environnement social des jeunes. Ceci a pour conséquence une transformation des usages de la politique.
Nous avons observé en 2017 un décrochage en termes de participation des jeunes au deuxième tour de l'élection présidentielle, mais pas au premier tour, où le taux de participation n'était que légèrement plus faible (6 points) que la moyenne du corps électoral. Six semaines plus tard, lors des élections législatives, une démobilisation considérable est apparue. L'intermittence du vote ne concerne pas exclusivement les jeunes car elle est aussi avérée pour d'autres catégories d'âge. En deçà de 50 ans, elle est très forte. Au-delà, elle tend à disparaître.
S'agissant des motivations de la participation, l'exemple des élections départementales et régionales, avec une participation beaucoup plus faible des jeunes qu'aux élections municipales, a révélé des dimensions importantes et opérantes pour l'élection présidentielle. Se pose d'abord la question de l'intérêt pour la politique en général, puis pour l'élection en question. La troisième dimension est ensuite l'importance de l'élection comme modalité d'expression d'opinion. Dans la séquence actuelle, l'intérêt pour la politique est légèrement plus faible pour les 18-24 ans que pour la moyenne des Français (à peine 5 points). La différence réside dans l'intérêt pour la prochaine élection présidentielle. Selon l'enquête qui paraîtra demain, 42 % des Français déclarent avoir « beaucoup d'intérêt » pour cette élection, contre 34 % pour les jeunes de 18 à 24 ans, ce qui témoigne d'un décrochage de cette catégorie en ce qui concerne l'élection présidentielle. Elle est par ailleurs jugée importante pour plus de 40 % des Français, et seulement pour 29 % des jeunes. Cette élection qui structure la vie politique et la Ve République n'est donc plus perçue comme le moment important de la vie politique, alors même que les jeunes de 18 à 24 ans participeront pour la première fois à une élection présidentielle, ce qui devrait susciter de la motivation et de l'intérêt.
J'y vois deux raisons communes à ce que nous avons observé pour les élections locales. D'abord, les enjeux débattus à l'occasion des élections municipales, départementales et régionales, par exemple le sujet des compétences régionales et départementales, pouvaient légitimement mettre à l'écart du jeu politique les plus jeunes. Il s'agit là en quelque sorte d'un désintérêt de culture politique. S'agissant des municipales, il est difficile de démêler ce qui relève de la crise Covid et d'un désintérêt pour l'élection ; la démobilisation n'a pas concerné que les jeunes. Ensuite, le désintérêt plus fort des jeunes à l'égard de l'élection présidentielle peut être lié à une question d'offre électorale, à savoir si les candidats sont capables de discuter, de débattre et de formuler des propositions au sujet de ce que les jeunes identifient comme des enjeux prioritaires. De manière générale, les enjeux jugés prioritaires sont le pouvoir d'achat, le système de santé, la question environnementale et l'immigration mais, pour les jeunes, ces priorités sont l'environnement, les inégalités sociales et les discriminations. Il existe donc un réel décalage. Si la campagne ne permet pas à ces jeunes électeurs, parfois primo votants, de disposer d'éléments de réponse sur ce qui correspond à leurs priorités, une démobilisation est à craindre. C'est une évidence.
Du point de vue des intentions de participation, j'observe sur l'ensemble de cette élection présidentielle une baisse de 8 à 10 points par rapport à il y a cinq ans. 65 % des Français déclarent être certains d'aller voter au premier tour, contre 75 % en 2017. Pour les jeunes, ce chiffre a baissé de 20 points, pour s'établir à 47 %. Il s'agit donc d'un phénomène propre à cette campagne. En 2017, nous avons été frappés d'observer que tant que la campagne n'avait pas pris corps autour de candidatures, les jeunes étaient fortement attirés par des candidatures extrêmes, en l'occurrence celles de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Puis, nous avons observé un changement au fil du déploiement de la campagne. Aujourd'hui, j'observe un phénomène sensiblement identique, avec une polarisation des choix de vote. Le vote des jeunes est donc profondément éclaté et est, d'une certaine manière, au diapason du phénomène constaté pour l'ensemble du corps électoral.
Vous avez évoqué la notion de confiance. Nous observons régulièrement, depuis près de dix ans, par la voie de notre baromètre de la confiance politique, une affirmation de formes démocratiques non pas innovantes, mais bel et bien inquiétantes. Vous avez évoqué l'attrait des jeunes pour l'idée selon laquelle la France pourrait être dirigée par un responsable militaire. Près de 35 % d'entre eux adhèrent à cette opinion. Sur la question de la confiance vis-à-vis de l'expression démocratique, j'ai été frappé par l'intérêt très prononcé des très jeunes pour la Convention citoyenne pour le Climat et pour l'expérimentation de ce processus nouveau. Cependant, au fil du déroulement de cette Convention, l'intérêt a chuté.
Ceci doit nous interroger, non pas sur la procédure en tant que telle, mais sur ce qui se dit et se fait. Dans notre enquête actuelle, les jeunes de 18 à 24 ans se disent encore fortement attachés au vote comme moyen d'expression démocratique, quasiment au même niveau que le reste de la population. En revanche, ils modèrent cette opinion, en considérant que d'autres formes d'expression démocratique sont tout aussi utiles. La notion d'utilité démocratique est d'ailleurs très forte chez les jeunes. Ces autres formes sont, par exemple, les manifestations, avec une légitimité donnée au recours à la violence comme moyen d'exprimer une opinion. Il s'agit cependant d'être prudent : le profil des jeunes qui appelleraient au recours à des formes plus radicales ne concerne ni les jeunes non diplômés ni les très diplômés. Attention à la portée parfois erronée que l'on peut donner au niveau d'éducation, qui conduirait à considérer que plus on est diplômé, plus on se singulariserait. Il y a très peu de différences entre le titulaire d'un bac professionnel, d'un bac général ou d'un diplôme bac+2.
Pendant la séquence du grand débat national, j'ai suivi avec des étudiants de Sciences Po plus de 200 réunions d'initiative locales. Un point m'a particulièrement frappé, au-delà de la faible participation des très jeunes (ce qui doit nous interpeler sur les moyens d'information dont ils disposent pour accéder à ces moments d'échange) : à chaque fois que la thématique de l'environnement était à l'agenda, la présence des jeunes était beaucoup plus forte. Cela crée donc une forme de désenchantement si pendant une campagne électorale ce sujet n'est pas abordé. Les jeunes sont plus fortement attachés à la recherche de consensus que de radicalité dans ce débat.
Par ailleurs, nous commettons une erreur d'analyse en considérant que les valeurs de tolérance des jeunes seraient moins fortes que par le passé. La tolérance est plus grande, mais dans un monde de plus en plus individualisé. Par conséquent, cette tolérance ne conduit pas nécessairement à un engagement politique, en témoigne la participation des moins de 35 ans dans les organisations syndicales, parmi les représentants du personnel dans les entreprises, ou encore la disparition d'un engagement politique dans les quartiers prioritaires de la ville, au profit d'une autre forme d'engagement, notamment culturelle ou sportive.
La crise Covid, avec des confinements, couvre-feu et restrictions successifs, a provoqué une fatigue mentale beaucoup plus forte chez les jeunes. L'isolement social, qui est un concept habituellement utilisé pour étudier la dépendance des personnes âgées ou très âgées, est comparable entre les plus de 65 ans et les moins de 25 ans. Cet isolement social peut être objectivé par le nombre de contacts que ces personnes ont eus au cours des dernières semaines, mais aussi par le sentiment de solitude. Au sortir de cette crise, la participation aux prochaines échéances électorales devra être étudiée à la lumière de l'état psychologique dans lequel se trouve une partie de la jeunesse. Le principe de l'école ouverte n'a pas totalement réglé ces problèmes.
S'agissant de l'appel des jeunes pour des formules plus proches de la démocratie participative, délibérative ou consultative, celles-ci peuvent effectivement paraître séduisantes en théorie pour beaucoup de jeunes. La démocratie participative ou délibérative n'est cependant pas chose aisée lorsqu'on ne maîtrise pas les codes de son fonctionnement. Prendre la parole en public, exprimer un argument, convaincre son voisin ou son aîné n'est pas donné à tous. Je suis très réservé quant à l'idée qu'il suffirait de démultiplier les expérimentations de démocratie participative et délibérative pour réintégrer dans le jeu politique des jeunes qui s'en seraient exclus eux-mêmes. C'est certes une demande des jeunes, qui sont favorables à la démocratie participative sans pour autant contester les principes de la démocratie représentative, mais la démocratie participative exige un long apprentissage. Je ne suis pas certain qu'elle soit la solution à tous les maux démocratiques que nous observons aujourd'hui.
M. Stéphane Piednoir, président. - Merci pour votre exposé.
M. Hervé Gillé. - Il existe un sentiment global de désillusion démocratique qui est très puissant, notamment chez les jeunes. Lorsque vous évoquez l'appétence pour d'autres modes de représentation démocratique, j'ai le sentiment que l'engagement doit aussi se mesurer dans tous les aspects de l'engagement sociétal. Ceci interroge également leur engagement dans le monde de l'entreprise, qui me semble comparable. Nous observons que, pour certains jeunes, les modalités d'engagement diffèrent par rapport à un monde adulte classique et rejoignent notamment le concept d'entreprise libérée. Cela fait résonance à la manière dont on voudrait qu'ils s'insèrent dans le débat démocratique, alors que leurs attentes sont différentes.
Vous avez évoqué l'intérêt de mettre en évidence l'engagement des jeunes dans d'autres espaces, notamment associatifs et sportifs, qui peuvent être des lieux d'opportunité de rencontre et de débat démocratique. Il semble nécessaire de se demander comment susciter à nouveau du débat dans les associations, quelles qu'elles soient, notamment sportives, où elles sont le plus présentes en milieu rural. Ceci réinterroge la notion d'engagement et d'éducation populaire et la façon dont les nouvelles fédérations se repositionnent sur ce projet politique qu'était l'engagement citoyen et populaire au travers du mouvement associatif. Les associations ont en effet beaucoup de difficulté à faire participer les jeunes aux gouvernances associatives et à proposer d'autres modes d'engagement.
Enfin, nous sommes tous très inquiets de notre remise en question au regard de la désillusion démocratique. Nous avons des difficultés à sortir d'un schéma classique de « petites réponses », par exemple sur la rénovation du principe du vote pour créer de l'appétence. La rénovation des pratiques électorales me semble une réponse faible au regard de la situation à laquelle nous assistons aujourd'hui.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous avez évoqué les trois phénomènes que constituent la représentation, le contexte dans lequel les jeunes entrent dans la vie démocratique et la confiance. Je souhaiterais vous entendre sur la représentation. Nous avons auditionné des organisations de jeunes qui souhaiteraient que nous leur laissions davantage de place au sein des partis politiques et parmi les élus.
Vous avez abordé, en conclusion, la thématique de la démocratie participative. Je suis d'accord avec vous : le chemin reste encore long. Certains pays, comme la Suisse, ont une culture de référendum régulier, chaque année. Disposez-vous d'éléments sur la participation des jeunes à cette votation ?
M. Stéphane Piednoir, président. - J'ai deux questions complémentaires. Marie-Pierre Richer vous demande si des éléments vous permettent d'observer les différences d'engagement entre hommes et femmes. Par ailleurs, le baromètre que vous publiez ce mois-ci est éloquent : les Français se disent à la fois favorables à un régime autoritaire et jugent le vote utile, considérant que « c'est par les élections que l'on peut faire évoluer les choses ». Nous avons perdu la légitimité de prendre des décisions au nom du peuple, alors que celui-ci a désigné les élus pour prendre des décisions à leur place, pour l'intérêt général. Ces sondages très contradictoires illustrent qu'ils ne savent plus à qui se fier pour prendre des décisions, eux-mêmes n'en étant pas capables.
M. Martial Foucault. - Merci pour ces excellentes questions. Sur la question de la désillusion démocratique et le parallèle que l'on peut faire avec d'autres formes d'engagement, il me semble utile d'insister sur un point essentiel : la lente désintermédiation politique. On parle souvent de la difficulté de faire plus de place aux corps intermédiaires dans notre vie démocratique. Les répercussions de cette situation sur les jeunes n'ont pas été suffisamment observées. Quand l'ensemble des corps intermédiaires perdent en capacité d'action (je ne parle pas de légitimité), le positionnement des jeunes est rationnel : ils s'en éloignent car la vie du pays ne repose plus aussi fortement que par le passé sur ces corps intermédiaires, dans lesquels j'inclus les collectivités territoriales. Il existe deux ressorts essentiels à la confiance des Français vis-à-vis de leurs représentants : d'une part la proximité (qui explique que les Français soient aussi attachés au maire) et d'autre part la compétence, la « probité », l'exemplarité. Il ne s'agit pas de compétence technique, mais de la capacité à transformer l'expression d'une demande sociale et d'un intérêt pour des enjeux en réponses. Les jeunes ont une tolérance beaucoup plus grande à l'erreur politique. On n'observe pas cette tolérance dans d'autres catégories d'âge, notamment les plus élevées.
Nous avons eu l'occasion, au CEVIPOF, de travailler avec des organisations syndicales et des représentants du patronat pour les aider à comprendre ces phénomènes. Ceux-ci peuvent s'expliquer par un turn-over très fort : un jeune dit adhérer aux valeurs de l'entreprise, puis la quitte quelques mois plus tard. La question n'est pas celle de la mobilité mais de la manière dont les organisations parviennent à produire de la confiance pour conserver ces jeunes. Ceci suppose de les convaincre de s'inscrire dans une relation d'engagement.
Il existe aujourd'hui une grande difficulté à concevoir du sens à l'action politique. La culture politique a aujourd'hui disparu. Pour les représentants élus, y compris les maires et les conseillers municipaux, donner du sens politique à son action doit être la principale préoccupation des dix prochaines années. Démultiplier des formes de rencontre, d'échange et de consultation n'est probablement pas la réponse. Je ne sais pas si une forme de discrimination positive à l'endroit des jeunes l'est non plus. En tant que professeurs d'université, nous avons parfois de réelles difficultés eu égard à l'engagement de nos étudiants dans toutes les instances des universités et dans les associations étudiantes. Je ne suis pas certain que la discrimination positive règlerait le problème, mais il faudrait l'expérimenter. Nous avons beaucoup à apprendre de pays étrangers, qui expérimentent de nouvelles formules. Nous devons conduire des opérations pilotes, les évaluer, avant de déterminer comment, le cas échéant, les généraliser. Vous avez évoqué la Suisse ; la participation des jeunes n'y est pas plus forte qu'en France. Il existe une certaine fatigue électorale et politique. La répétition de ces enjeux faisant l'objet de referendum ne construit pas de la politisation supplémentaire. Les niveaux de participation sont relativement identiques en Suisse et en France. Un débat a porté sur le fait de savoir si les formes nouvelles de vote (vote électronique, vote par correspondance) pourraient augmenter le taux de participation des jeunes. En Suisse, un sursaut a été observé avec le vote électronique, avant un retour à des niveaux plus faibles. S'agissant du vote par correspondance, il me semble que le sujet n'est pas spécifiquement dédié aux jeunes. Les jeunes ne recourent pas dans des proportions significatives à la procuration.
Enfin, vous avez évoqué les paradoxes, les contradictions apparaissant dans l'enquête sur la confiance. Je partage votre sentiment. Nous avons essayé de déterminer s'il existe en France des attitudes populistes chez les jeunes. Nous n'observons pas, chez les 18-24 ans, d'attitudes populistes plus importantes que dans d'autres catégories d'âge. Les plus jeunes peuvent exprimer un vote plus désabusé que radical en choisissant d'apporter leur suffrage à des candidatures extrêmes. Une société individualisée implique, en outre, une individuation du rapport au politique. L'instantanéité dans les comportements (de consommation, d'information) n'a aucune raison de ne pas se déployer dans le champ politique. Voter pour une élection présidentielle est ainsi un acte quasi instantané. Les moins de 35 ans ont en effet tendance à se décider en toute dernière minute, jusqu'à une semaine du vote. Le caractère immédiat, à la fois dans la politisation et dans l'expression démocratique, est un phénomène nouveau.
M. Stéphane Piednoir, président. - Merci pour votre intervention. Nous étudierons vos compléments écrits avec beaucoup d'attention.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.