Mercredi 5 janvier 2022

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à créer les instituts régionaux de formation - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Christian Cambon, président. - En ce début d'année, je vous présente des voeux très cordiaux et sincères pour vous et vos proches. Je salue nos collègues qui suivent notre réunion en visioconférence. J'espère que nous pourrons travailler dans un contexte moins compliqué, mais nous devons nous adapter à l'évolution de la pandémie.

Je vous rappelle que nous examinerons cet après-midi en séance publique la proposition de résolution appelant le Gouvernement à oeuvrer à l'adoption d'une déclaration de la fin de la guerre de Corée, que j'ai pris l'initiative de déposer. Vous le savez, le 23 juillet 1953, les hostilités se sont interrompues sur la base d'un cessez-le-feu. La Corée du Sud sollicite les puissances occidentales amies pour tendre vers la dénucléarisation de cette région. Une proposition de résolution n'a pas d'effets juridiques immédiats, mais un possible retentissement politique - en témoigne la proposition de résolution sur l'Arménie.

Nous en venons maintenant à l'examen de la proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à créer les instituts régionaux de formation.

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

La proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et à créer les instituts régionaux de formation, comporte des dispositions relatives à l'administration, au fonctionnement et aux missions de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Permettez-moi de rappeler que ce texte entre dans le cadre de l'accord existant entre les groupes politiques pour que, lorsqu'un groupe inscrit une proposition de loi dans son espace réservé, le texte examiné en séance publique ne soit pas dénaturé par rapport à son intention initiale. Ne peuvent donc être adoptés dans le texte élaboré par la commission que les amendements ayant reçu un avis favorable du groupe auteur de la proposition de loi, en l'occurrence le groupe RDPI représenté aujourd'hui par le président François Patriat. Naturellement, les amendements déposés sont présentés et pourront, en tout état de cause, être redéposés en séance publique.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Cette proposition de loi, déposée par notre collègue Samantha Cazebonne, est le prolongement logique du contrat d'objectifs et de moyens 2021-2023 de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, que nous avons examiné il y a quelques semaines, sur le rapport de nos collègues Ronan Le Gleut et André Vallini.

Il s'agit en effet de procéder aux ajustements nécessaires pour permettre à l'AEFE d'être prête à accompagner la croissance du réseau de l'enseignement français à l'étranger (EFE), dans l'objectif de doubler les effectifs à l'horizon de 2030.

La proposition de loi préconise, en premier lieu, d'élargir la gouvernance de l'agence en modifiant la composition de son conseil d'administration ; en deuxième lieu, de compléter la liste de ses missions, en mettant notamment l'accent sur la formation ; et, en troisième lieu, de créer des instituts régionaux de formation (IRF). Ceux-ci assureront la gestion administrative et financière des moyens consacrés à la formation, qui est l'un des piliers de la stratégie de développement du réseau. Ces modifications me paraissent aller dans le bon sens. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter ce texte moyennant quelques modifications à la marge.

La proposition de loi desserre en effet des verrous juridiques. Les dispositions législatives relatives à l'AEFE ont été très peu modifiées depuis la loi du 6 juillet 1990, qui a créé l'agence. Or, en trente ans, les effectifs du réseau ont doublé, et l'objectif est de les doubler de nouveau pour parvenir à 700 000 élèves d'ici à 2030. Il est donc logique de procéder à quelques adaptations. Mais ce texte n'apporte pas de réponses aux questions soulevées régulièrement par notre commission dans ses travaux, tant sur le programme 151 - Français de l'étranger et affaires consulaires - que sur le programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence.

Nous l'avons dit à de multiples reprises, les limites de la stratégie mises en oeuvre tiennent notamment à l'insuffisance des moyens. Si la subvention à l'AEFE a augmenté de 25 millions d'euros en 2020, cette augmentation faisait suite à une annulation de crédits à hauteur de 33 millions d'euros en 2017, qui a eu un impact négatif durable.

L'évolution des aides à la scolarité reste incertaine, après la baisse de 10 millions d'euros observée cette année. Tant la prévision que la consommation de ces crédits budgétaires sont problématiques.

Les emplois reculent : 512 emplois ont été supprimés sur la période 2018-2020 ; 1 000 détachements supplémentaires de personnels titulaires de l'éducation nationale ont été annoncés au cours de la prochaine décennie, mais l'effort (+11 %) est loin d'être proportionnel à l'objectif de doublement des effectifs.

Enfin, l'une des principales entraves au développement du réseau réside dans l'interdiction faite à l'AEFE d'emprunter à moyen et long termes pour développer ces établissements en gestion directe (EGD). Pour les établissements conventionnés et partenaires, le remplacement du dispositif de garantie via l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (Anefe) par un mécanisme moins favorable paraît là aussi en contradiction avec les ambitions de développement du réseau. Mais nous ne pouvons pas intervenir, dans le cadre de cette proposition de loi, pour accroître les moyens de l'AEFE ou lui permettre d'emprunter : d'une part, ces points relèvent du domaine des lois de finances ; d'autre part, l'article 40 de la Constitution, interdisant la création ou l'aggravation d'une charge publique, nous laisse très peu de marges de manoeuvre.

J'en viens à la composition du conseil d'administration.

Outre la présence d'un président et de quatre parlementaires, la loi se borne à fixer des équilibres. C'est le décret qui précise la composition exacte du conseil d'administration de l'AEFE, constitué actuellement de 28 membres : 13 représentants des ministères ; 5 représentants des personnels ; 2 représentants d'organismes gestionnaires d'établissements ; 2 représentants des parents d'élèves ; et 1 membre de l'Assemblée des Français de l'étranger.

La PPL prévoit de nouveaux équilibres, afin de permettre à 2 représentants de parents d'élèves supplémentaires de siéger.

Cette évolution est légitime. En effet, les familles jouent un rôle essentiel au sein du réseau d'enseignement français à l'étranger, dont elles financent 81 % du fonctionnement, contre 19 % par l'État - sa part n'est que de 36 % dans les établissements en gestion directe (EGD).

Pour respecter les grands équilibres fixés par la loi, le nombre de représentants de l'État augmente également, ce qui porte le nombre d'administrateurs de l'AEFE à 31. Passer de 28 à 31 membres constitue non pas un bouleversement, mais un ajustement bienvenu.

Je vous proposerai simplement un amendement prévoyant que les fédérations de parents d'élèves qui siégeront disposeront d'une représentativité suffisante, selon des critères qu'il reviendra au ministère de définir. Dans ce domaine, la mesure de la représentativité n'est pas évidente, car la représentation parentale est très diverse. Il s'agit d'éviter la présence de fédérations marginales ou à vocation purement locale.

Concernant l'ajout de participants en qualité d'expert, sans voix délibérative, il s'agit de donner accès aux réunions du conseil d'administration, d'une part, à un représentant des associations d'anciens élèves - un effort important a été réalisé au cours des dernières années pour organiser les relations avec les anciens élèves du réseau - et, d'autre part, à un représentant des associations de français langue maternelle (FLAM). Ces associations, au nombre de 173, ont pour objectif de permettre à des enfants français de conserver un contact avec la langue et la culture françaises dans le cadre d'activités extrascolaires. Elles jouent un rôle essentiel, notamment dans trois pays : le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Allemagne. Là encore, cet élargissement du conseil d'administration de l'AEFE me paraît très positif.

Aussi, je vous proposerai d'étendre ce concept de participation en qualité d'expert à l'ANEFE. Cette association est actuellement membre du conseil d'administration de l'AEFE, mais la réforme du système de garanties, précédemment évoquée, risque de conduire à l'en exclure. L'ANEFE continue à gérer un encours de 220 millions d'euros pour 53 dossiers, courant jusqu'en 2047. Elle a fortement contribué, par le passé, à l'extension du réseau, et dispose d'une expertise unique en la matière.

Enfin, la proposition de loi complète les missions de l'AEFE en mettant notamment l'accent sur la formation.

Elle met en place les instituts régionaux de formation (IRF), qui seront gérés directement par l'AEFE, tout en devenant distincts des EGD. Le développement du réseau homologué nécessite de disposer de personnels qualifiés, garants de la qualité de l'offre d'enseignement. Or la plupart des personnels recrutés localement ne sont pas titulaires de l'éducation nationale.

Les moyens des IRF proviendront des contributions des établissements de la zone couverte, notamment d'une participation à hauteur de 1 % de la masse salariale de tous les établissements homologués.

Le ministère souhaite que les IRF puissent proposer non seulement de la formation continue, mais aussi des cursus diplômants. De tels cursus sont déjà expérimentés, sur la base de partenariats avec des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) français.

Le public visé par ces formations est très large : non seulement les personnels de l'EFE, mais aussi les personnels « ayant vocation » à exercer dans ces établissements, et éventuellement des personnels de systèmes éducatifs étrangers au titre de la coopération éducative. Je vous proposerai deux amendements visant à préciser le champ d'action des IRF et à s'assurer notamment que ceux-ci assurent la promotion de la francophonie.

M. François Patriat. - Merci au rapporteur pour le travail réalisé. Il a eu raison d'insister sur la demande récurrente de moyens financiers. Cette proposition de loi, qui apporte une réponse très concrète à une demande très ancienne des familles, fédère les parlementaires au-delà de notre groupe. À cet égard, je remercie les sénateurs qui ont accepté de la cosigner.

Nous souscrivons aux observations du rapporteur. Nous allons trouver un accord sur les amendements, afin que cette proposition de loi aboutisse.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie le rapporteur pour le travail de fond réalisé. Nous nous félicitons de ce débat, car cet opérateur public est l'un des piliers de la diplomatie d'influence. Il convient de féliciter l'auteur de cette proposition de loi pour la dextérité avec laquelle celle-ci a été déposée : le contrat d'objectifs et de moyens a été rendu public le 17 novembre dernier ; le texte a été déposé le 30 novembre et reprend deux de ses objectifs.

Sans cette précipitation, cette proposition de loi aurait pu être plus ambitieuse au vu des besoins de l'AEFE. Les mesures qui nous sont proposées sont assez modestes, même si elles vont dans le bon sens.

Hier a eu lieu l'inauguration du premier institut régional de formation à Dakar. Les choses s'accélèrent avec le calendrier électoral...

Nous approuvons la participation accrue des représentants des parents d'élèves au conseil d'administration, celle d'un représentant des associations FLAM et de l'ANEFE, ainsi que l'accent mis sur la formation des personnels. Toutefois, nous déplorons le désengagement de l'État au profit d'une privatisation du réseau qui ne dit pas son nom, avec un opérateur public privé de moyens : il n'a pas le droit d'emprunter, ni d'augmenter le nombre de personnels enseignants, tout en devant doubler le nombre d'élèves.

M. François Patriat. - Ce texte n'est pas examiné aujourd'hui pour des raisons électoralistes. C'est la dernière niche qui nous était offerte.

M. Christian Cambon, président. - Le Parlement va en effet cesser ses activités dans six semaines.

EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article 1er

M. Ronan Le Gleut. - Je tiens également à remercier le rapporteur pour son travail.

L'amendement COM-1 reprend les termes d'une proposition de loi que j'avais eu l'occasion de déposer. Les conseillers des Français de l'étranger, qui ont une connaissance extrêmement fine et précise des enjeux liés à l'enseignement français à l'étranger, ne peuvent pas être représentés au sein du conseil d'administration de l'AEFE. Or ces élus locaux en prise avec toute la communauté française peuvent être les porte-parole des familles qui n'ont pas encore fait le choix de scolariser leurs enfants dans les lycées français à l'étranger.

Aussi, cet amendement prévoit la participation des conseillers des Français de l'étranger au conseil d'administration de l'AEFE.

M. François Patriat. - Cette proposition est difficilement recevable pour deux raisons majeures.

Premièrement, les Français de l'étranger sont déjà représentés au conseil d'administration par des parlementaires - deux sénateurs et deux députés - et un représentant de l'Assemblée des Français de l'étranger. Deuxièmement, la nomination de deux membres supplémentaires entraîne une inflation du nombre d'administrateurs, avec 37 membres. C'est la raison pour laquelle notre groupe est défavorable à cet amendement.

Je salue le travail de Samantha Cazebonne, qui, en un temps record, il est vrai, propose un texte équilibré, afin de faire avancer les choses.

M. Bruno Sido, rapporteur. - S'agissant de la composition du conseil d'administration de l'AEFE, la proposition de loi poursuit un objectif simple : améliorer la représentation des parents d'élèves. Cet objectif est légitime, car les parents d'élèves financent 81 % du fonctionnement de l'enseignement français à l'étranger dans son ensemble.

Or cet amendement, comme tous ceux qui prévoient d'accroître la part d'autres participants au conseil d'administration, a plusieurs conséquences, qui nous dévieraient de l'objectif principal.

Premièrement, il relativise mécaniquement la portée de l'augmentation de la part des parents d'élèves. Deuxièmement, il amoindrit également la part relative des représentants des personnels. Troisièmement, il conduit à un conseil d'administration de plus en plus pléthorique.

Par ailleurs, la loi ne fixe que des équilibres. Le détail de la composition du conseil d'administration de l'AEFE relève du décret.

S'agissant en particulier des conseillers des Français de l'étranger, il s'agirait de représentants supplémentaires, proches du terrain mais extérieurs au réseau AEFE, comme le sont déjà les députés, les sénateurs et le membre de l'AFE qui siègent au conseil d'administration à ce titre. Les parents d'élèves seront par ailleurs, eux aussi, des représentants proches du terrain.

Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de cet amendement.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je comprends que notre collègue demande que l'ensemble des 443 conseillers des Français de l'étranger puissent être représentés, car les 90 conseillers sont élus par eux. Nous avions aussi tenté de modifier la composition de la Caisse des Français de l'étranger (CFE) en ce sens, car les décrets publiés à la suite de la loi de 2014 ne sont plus d'actualité.

L'amendement COM-1 est retiré.

Article 1er

M. François Patriat. - Par parallélisme des formes avec la présence de deux députés et de deux sénateurs, l'amendement COM-4 vise à nommer un représentant supplémentaire de l'AFE au conseil d'administration de l'AEFE afin de renforcer la représentation des élus.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Comme pour l'amendement précédent, il paraît souhaitable de rester concentré sur l'objectif d'augmenter la participation des fédérations de parents d'élèves, sans le diluer dans une restructuration globale du conseil d'administration de l'AEFE.

Le détail de la composition du conseil d'administration de l'AEFE sera précisé par décret, comme c'est le cas actuellement au travers de l'article D. 452-3 du code de l'éducation, issu d'un décret de 2008.

Ce décret fixe à l'heure actuelle le nombre de représentants de l'AFE à 1, mais il serait loisible au Gouvernement de passer à 2, à condition de respecter les équilibres fixés par la loi, c'est-à-dire en augmentant à due proportion d'autres catégories.

Il est, par ailleurs, tout à fait possible de nommer à ce poste le président de la commission de l'enseignement, des affaires culturelles, de l'audiovisuel extérieur et de la francophonie de l'AFE, comme le suggère l'objet de cet amendement.

Il convient de ne pas mélanger des critères relatifs - les proportions - et les indications en valeur absolue - un nombre fixe de représentants - pour ne pas nuire à la lisibilité du texte. Mon avis est défavorable.

L'amendement COM-4 n'est pas adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'ANEFE dispose actuellement d'un siège au conseil d'administration de l'AEFE en qualité d'« organisme gestionnaire », un siège qu'elle perdra dans le nouveau conseil d'administration, comme le confirme l'exposé des motifs de la proposition de loi.

L'amendement COM-2 vise à maintenir une représentation de l'ANEFE au sein du conseil d'administration de l'AEFE, en qualité d'expert, sans voix délibérative.

M. François Patriat. - Cet amendement, qui est le fruit d'un échange entre notre collègue Samantha Cazebonne et le rapporteur, permet à l'ANEFE de faire part de son expertise au sein de l'AEFE, et ce sans remettre en cause les principes sous-tendus par la réforme du conseil d'administration. Notre avis est favorable.

M. Olivier Cadic. - J'ai été élu président de l'ANEFE à la fin du mois de décembre. À ce titre, je remercie le rapporteur d'avoir proposé cet amendement. Il importe que l'ANEFE continue de siéger au sein du conseil d'administration de l'AEFE. Elle avait pour mission d'instruire des dossiers pour demander la garantie de l'État concernant les emprunts. Sa mission va évoluer, elle va faire des propositions alternatives.

Par parallélisme des formes, il est logique que l'AEFE n'ait plus voix délibérative au sein du conseil d'administration de l'ANEFE.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous déplorons que nous ayons dû attendre trois ans pour obtenir cette garantie de l'État, qui est nécessaire aux établissements scolaires pour se développer. Nous sommes tout à fait favorables à la participation de l'ANEFE au conseil d'administration de l'AEFE.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement COM-3 apporte une précision concernant la notion de participation « en qualité d'experts », qui est une participation sans voix délibérative.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Hélène Conway-Mouret. - L'amendement COM-8 vise à rehausser la part de représentants des personnels affectés dans les établissements d'enseignement français à l'étranger et dans les services centraux de l'agence à la moitié du collège de représentants des usagers de l'AEFE. La voix des personnels est très importante et doit être entendue.

M. François Patriat. - Cette proposition est difficilement recevable, pour deux raisons majeures.

Premièrement, cette disposition est de nature réglementaire. La partie législative doit fixer les principes de composition du conseil d'administration, et non la répartition détaillée des sièges. Deuxièmement, augmenter le nombre de représentants des personnels revient à annuler les effets de l'accroissement de la représentation des parents, et donc la portée de cette proposition de loi. Aussi, notre avis est défavorable.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Je comprends la préoccupation de notre collègue, mais cette disposition relève du domaine réglementaire. De plus, si la proposition de loi est adoptée, on passera d'une représentation de 18 % à 16 %, un écart relativement faible. Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je retire mon amendement pour en retravailler la rédaction afin de le présenter à nouveau en séance.

L'amendement COM-8 est retiré.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'article 2 a pour objet d'assurer une meilleure représentation des parents d'élèves au conseil d'administration de l'AEFE, avec 4 représentants des parents d'élèves, contre 2 actuellement.

Sont aujourd'hui représentées au conseil d'administration de l'AEFE la Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger (Fapee), qui représente près de 180 associations de parents d'élèves, et la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), première fédération de parents d'élèves sur le plan national, également présente dans de nombreux établissements sur quatre continents. Ces deux fédérations sont reconnues d'utilité publique.

Par l'amendement COM-5, il s'agit de s'assurer que les fédérations représentées au conseil d'administration de l'AEFE continueront toutes à disposer d'une représentativité suffisante, notamment sur le plan géographique, en étant, par exemple, implantées dans tous les secteurs géographiques de l'enseignement français à l'étranger. Il s'agit d'éviter la présence de fédérations marginales ou uniquement locales.

M. François Patriat. - C'est le seul point de désaccord que nous avons. Cet amendement pose la question de la représentativité des fédérations de parents d'élèves. Même si, sur le principe, cette disposition est intéressante, nous sommes dubitatifs quant à sa mise en oeuvre eu égard à l'absence d'uniformité du réseau. Comment évaluer qu'une fédération est représentative sur le plan géographique ? Nous sommes défavorables à cet amendement.

L'amendement COM-5 est retiré.

Les amendements identiques de clarification rédactionnelle COM-6 rectifié et COM-7 sont adoptés.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Bruno Sido, rapporteur. - Les instituts régionaux de formation sont chargés, sous la responsabilité de l'AEFE, de former non seulement les enseignants présents dans les établissements, mais aussi les futurs enseignants et éventuellement des personnels de systèmes éducatifs étrangers. L'amendement COM-9 prévoit que les programmes de formation doivent être dispensés en langue française. Avec l'augmentation du nombre d'élèves, on peut craindre que l'enseignement ne soit de plus en plus dispensé par des établissements partenaires. Aussi, cette précision me semble utile.

Mme Michelle Gréaume. - Cet amendement limite le champ des formations possibles organisées par les IRF. On pourrait imaginer que des formations soient dispensées en langue anglaise, si les enseignants maîtrisent mieux cette langue, en vue de faciliter l'intégration de nouveaux élèves ainsi que les relations avec les parents et les partenaires institutionnels. Je m'abstiendrai sur cet amendement.

L'amendement COM-9 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement COM-10 vise à clarifier la mission des IRF, en leur donnant prioritairement pour objet de former les personnels et futurs personnels des établissements de l'enseignement français à l'étranger.

Cers instituts auront aussi la possibilité, mais non l'obligation, d'assurer des missions de formation de personnels des systèmes éducatifs étrangers, au titre de la mission de coopération éducative de l'AEFE.

L'amendement supprime, en outre, l'adverbe « notamment », qui étend la mission des IRF de façon floue, car indéfinie.

M. Christian Cambon, président. - Voilà un amendement qui aurait fait plaisir à notre regretté collègue Patrice Gélard, qui se battait contre l'adverbe « notamment », lequel ne crée que des incertitudes juridiques.

L'amendement COM-10 est adopté.

M. François Patriat. - L'amendement COM-11 rectifié est rédactionnel.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-11 rectifié est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Gilbert Roger. - Dans l'attente du débat, le groupe socialiste s'abstient.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE)
et à créer les instituts régionaux de formation

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) avant Article 1er

M. LE GLEUT

1

Participation de conseillers des Français de l'étranger au CA de l'AEFE

Retiré

Article 1er

Mme CAZEBONNE

4

Participation d'un membre supplémentaire de l'AFE au CA de l'AEFE

Rejeté

M. SIDO, rapporteur

2

Participation ANEFE

Adopté

M. SIDO, rapporteur

3

Notion d'expert

Adopté

Article 2

Mme CONWAY-MOURET

8

Augmentation du nombre de représentants des personnels au sein du CA

Retiré

M. SIDO, rapporteur

5

Représentativité fédérations de parents d'élèves

Retiré

M. SIDO, rapporteur

6 rect.

Clarification rédactionnelle

Adopté

Mme CAZEBONNE

7

Clarification rédactionnelle

Adopté

Article 3

M. SIDO, rapporteur

9

Francophonie

Adopté

Article 4

M. SIDO, rapporteur

10

Clarification missions IRF

Adopté

Mme CAZEBONNE

11 rect.

Rédactionnel

Adopté

Déplacement en Espagne, du 17 au 20 novembre 2021 - Communication

M. Cédric Perrin. - Du 17 au 19 novembre dernier, une délégation composée de Joël Guerriau, Alain Joyandet, Edouard Courtial, Michelle Gréaume et de moi-même, qui la présidait, s'est rendue à Madrid pour y mener des entretiens destinés notamment à préparer à la Présidence française de l'Union européenne. Nous avons pu échanger avec plusieurs de nos homologues du Sénat, avec deux hauts fonctionnaires espagnols (l'Ambassadeur pour le Sahel et le Directeur général de la politique de défense, qui est l'équivalent de notre DGRIS), ainsi qu'avec des experts d'un think tank reconnu, le Real Instituto Elcano. Bien sûr, nous avons aussi bénéficié de l'éclairage de notre ambassadeur en Espagne et de son équipe. Mes collègues et moi-même allons revenir sur les différents volets de ce déplacement dont il ressort que l'Espagne est un partenaire essentiel pour notre pays, avec lequel nous avons relativement peu de divergences.

M. Édouard Courtial. - Un mot pour commencer sur notre relation bilatérale qui est naturellement dense, puisque nos deux pays sont voisins.

Nos relations commerciales sont importantes et représentent de l'ordre de 70 milliards d'euros par an. La France est le premier partenaire commercial de l'Espagne, et pour la France, l'Espagne pèse du même poids que la Chine. Les entreprises françaises comptent 2000 filiales en Espagne qui emploient plus de 300 000 salariés. Les liens culturels et humains sont denses, quelques 190 000 Espagnols vivant aujourd'hui en France et environ 150 000 Français en Espagne. Le réseau des lycées français en Espagne est le premier d'Europe, près de 1,4 million d'Espagnols apprennent le français et 3 millions de Français apprennent l'espagnol. La France est aussi le pays qui a accueilli 500 000 Républicains pendant la seconde guerre mondiale.

Au plan politique, la relation franco-espagnole se caractérise par un très fort degré de proximité et de confiance. Elle est très intense en matière de contre-terrorisme, coopération historiquement axée sur la lutte contre ETA et aujourd'hui orientée contre les filières djihadistes. Rappelons que l'Espagne a été très marquée par le tragique attentat de la gare d'Atocha, le 11 mars 2004, qui reste à ce jour l'attentat le plus meurtrier commis en Europe (200 morts) et qu'elle a de ce fait une sensibilité très forte sur la question du terrorisme.

Nous entretenons également une importante coopération de défense, fondée sur un accord de 1983 et comportant plusieurs sujets capacitaires sur lesquels je ne m'étends pas car ils vont être évoqués par la suite.

Enfin, le récent sommet franco-espagnol de Montauban du 15 mars 2021 a donné une nouvelle impulsion à nos coopérations à travers la signature d'une convention sur la double nationalité, le lancement de travaux sur l'élaboration d'une stratégie globale transfrontalière et la perspective, à terme, d'un traité de coopération bilatéral englobant tous les domaines, sur le modèle de celui récemment signé avec l'Italie. Notons que les questions transfrontalières sont un enjeu important pour l'Espagne qui se perçoit un peu comme un pays insulaire, coupé du reste de l'Europe par les Pyrénées, et qui souhaiterait par conséquent une meilleure connectivité (transports, énergie).

M. Cédric Perrin, au nom de M. Alain Joyandet. - L'engagement européen de l'Espagne est très fort, c'est un point qui est nettement ressorti lors de nos échanges. Cet attachement est lié pour partie à une forme de reconnaissance, son adhésion à l'UE en 1986 ayant ouvert la voie à une formidable modernisation du pays. Aujourd'hui encore, l'Espagne mise beaucoup sur l'UE pour développer sa croissance économique.

Dans le même temps, l'Espagne est un pays très atlantiste. Rappelons que c'est l'accord bilatéral signé en 1953 avec les Etats-Unis pour l'installation de bases militaires qui a sorti le pays de son isolement diplomatique après la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, quelque 4 000 militaires américains sont encore présents sur le territoire espagnol. Par ailleurs, l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN a précédé de quatre ans son entrée dans l'UE.

Pour autant, l'Espagne soutient pleinement le concept d'autonomie stratégique de l'UE porté par la France, tout à fait consciente (nos collègues du Sénat espagnol y ont insisté) que l'Europe n'est plus la priorité des Etats-Unis, lesquels sont désormais tournés vers la région indo-pacifique. La France compte particulièrement sur le soutien espagnol pour l'adoption de la Boussole stratégique lors de la Présidence française de l'UE, dossier sur lequel nous sommes globalement en phase.

L'Espagne partage notre analyse de la menace, notamment sur le flanc sud. L'ambassadeur espagnol pour le Sahel nous a livré, à cet égard, une vision pessimiste, faisant valoir que les signaux d'alerte s'étaient beaucoup renforcés depuis un an et qu'un effondrement du Mali ne pouvait être exclu, une très grande partie du territoire étant hors de contrôle des autorités. A cela s'ajoutent les menaces de déstabilisation par des puissances étrangères comme la Russie et l'insuffisance du potentiel économique face à la perspective de l'explosion démographique. Pour lui, un investissement massif dans le développement au Sahel est nécessaire et urgent, la solution ne pouvant être seulement militaire.

L'Espagne participe très activement à la politique de défense européenne. Elle est le premier Etat membre contributeur aux missions de la PSDC (750 militaires) et apporte à la France un soutien précieux à la mission Barkhane à travers la mise à disposition - depuis 2013 - de deux avions de transport. Pour des raisons politiques (fort contrôle parlementaire sur les engagements extérieurs et sensibilité de l'opinion publique à cet égard), l'Espagne privilégie les opérations non militaires (comme la formation dans le cadre d'EUTM Mali). En effet, le gouvernement espagnol n'a pas la majorité qui lui permettrait une participation du pays à un dispositif comme la Task Force Takuba (participation que nous verrions évidemment d'un oeil intéressé). L'Espagne est, soulignons-le, le premier soutien de l'opération ATALANTA contre la piraterie au large des côtes de la Somalie, ce qui lui permet, au demeurant, de protéger sa flotte de pêche dans la zone.

A cette implication active dans la PSDC s'ajoute un fort engagement espagnol au sein de l'OTAN (accueil de destroyers américains AEGIS, déploiement de 350 militaires en Estonie dans le cadre de la présence avancée à l'est, présence d'un quartier général de la force à haut degré de réactivité de l'Alliance -VJTF- à Valence...), l'Espagne compensant en quelque sorte par son engagement sur le terrain l'insuffisance de ses dépenses militaires au regard de la norme des 2% de PIB. Il faut noter que Madrid accueillera en juin 2022 le prochain Sommet de l'OTAN, à l'occasion duquel devrait être adopté le nouveau concept stratégique de l'Alliance, ce qui constitue un atout pour le partenariat OTAN-UE auquel l'Espagne est très favorable.

Au total, l'Espagne déploie chaque année entre 2500 et 3000 militaires en dehors de son territoire national, répartis entre 18 opérations.

M. Cédric Perrin. - Nous avons avec l'Espagne des coopérations capacitaires importantes pour l'avenir de la défense européenne, mais qui sont aussi des sujets de préoccupation, compte tenu de la lenteur de notre partenaire espagnol à concrétiser ses engagements.

La première porte sur l'Eurodrone, projet-phare qui vise à combler la lacune capacitaire de l'UE sur le segment des drones MALE et à réduire notre dépendance vis-à-vis des capacités américaines. Or, à ce jour, l'Espagne est le seul des pays partenaires (les autres étant l'Allemagne, l'Italie et la France) à ne pas avoir confirmé l'attribution d'une ligne budgétaire à ce projet. Nous avons donc exprimé notre inquiétude à nos interlocuteurs qui ont fait valoir la nécessité de faire d'abord adopter le projet de budget pour 2022 (il s'agissait de la priorité du gouvernement au moment de notre visite).

La deuxième coopération qui nous préoccupe est celle du SCAF (système du combat aérien futur). En effet, au moment de notre déplacement, et alors même que les ministres de la défense des trois pays partenaires avaient signé en août 2021 un engagement sur la première phase du développement du projet, des rumeurs d'achat d'une cinquantaine d'avions de chasse américains F35 par l'Espagne faisaient la une de la presse. Certes, des sources gouvernementales ont indiqué par la suite qu'il s'agirait seulement de remplacer par des F35 - seul modèle d'avion à décollage vertical sur le marché - la douzaine d'avions à décollage vertical Harrier qui équipent actuellement le porte-hélicoptères Juan Carlos de la Marine espagnole, auquel l'Espagne est très attachée, à défaut de posséder un véritable porte-avions. Mais notre crainte - que nous avons exprimée à nos interlocuteurs - est que cette opération n'entraîne dans la même direction la flotte de F18 de l'armée de l'air, ce qui compromettrait gravement l'avenir du SCAF à la fois pour des raisons d'interopérabilité et d'éviction (puisque les F35 resteraient en service jusqu'au 2050 au moins) alors même qu'il s'agit d'un projet structurant pour l'autonomie stratégique européenne.

Enfin, un troisième dossier capacitaire qui nous préoccupait au moment de notre visite était celui de la modernisation de l'hélicoptère de combat Tigre. Pour rappel, nous partageons avec l'Allemagne et l'Espagne ce même modèle d'hélicoptère depuis plusieurs décennies, mais dans des configurations différentes et nous arrivons aujourd'hui au stade où une troisième modernisation de cet appareil est nécessaire. L'Allemagne ayant reporté sa décision de s'associer à ce projet, il était tout à fait essentiel que l'Espagne poursuive avec la France. Nous l'avons dit à nos homologues lors de nos échanges et nous avons été très heureux d'apprendre quelques jours avant Noël que le Gouvernement espagnol avait donné le feu vert à cette coopération et décidé de lui consacrer près de 1,2 milliard d'euros entre 2029 et 2037. Reste désormais à convaincre l'Espagne à renoncer au missile anti-char israélien Spike et de se rallier au futur missile anti-char MHT de MBDA, ce qui n'est pas évident car l'Espagne n'utilise actuellement que des Spike, y compris depuis le sol. Parmi les arguments que nous faisons valoir, figure celui que la France prendrait en charge 4/5 des coûts de développement. Par ailleurs, ce futur missile anti-char pourrait aussi équiper l'Eurodrone.

Lorsque nous avons évoqué ces différentes coopérations capacitaires avec nos interlocuteurs espagnols, tous ont tenu à nous rassurer sur l'engagement européen de leur pays et sur l'attachement que celui-ci porte à ces projets et au concept d'autonomie stratégique européenne.

Les implications industrielles de ces projets pour l'Espagne paraissent cependant constituer un levier non négligeable. L'industrie aéronautique espagnole a par exemple vécu comme une grande réussite le projet d'Eurofighter qui lui a permis de créer 22 000 emplois, d'encourager de nouveaux champions comme la société informatique Indra et ITP Aéro, et de développer son tissu industriel, en particulier dans les régions défavorisées. C'est ainsi que la modernisation du Tigre incombera en grande partie à Airbus Helicopters dans son site d'Albacete.

Mme Michelle Gréaume. - D'autres sujets ont été évoqués au cours de nos échanges.

Nous avons ainsi interrogé nos interlocuteurs sur leur perception de la puissance chinoise. Si l'Indopacifique ne fait pas partie des principales préoccupations de l'Espagne au plan international, celle-ci se montre en revanche attentive à la question de la présence chinoise en Europe. A cet égard, comme l'ont expliqué les experts du Real Instituto Elcano que nous avons rencontrés, la vision espagnole a évolué ces dernières années - en phase avec l'évolution de la vision européenne - passant d'une logique de recherche d'opportunités et d'investissements, à une approche plus prudente voire méfiante. En témoigne l'adoption en décembre 2019 d'un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers.

L'Espagne garde cependant une vision nuancée et pragmatique. Sans être totalement ouverte aux investissements chinois (comme l'est par exemple son voisin le Portugal), elle considère qu'il n'est pas dans son intérêt de se barricader (elle a par exemple besoin des partenariats conclus avec Huawei pour développer la 5G) et que les entreprises espagnoles souhaitent avoir accès au marché chinois. Au final, l'Espagne mise sur l'autonomie stratégique européenne pour rééquilibrer une relation avec la Chine trop asymétrique.

Nous avons aussi évoqué le dossier migratoire. L'Espagne est traditionnellement une terre d'accueil de migrants latino-américains. Mais l'Espagne est aussi, tout comme l'Italie et la Grèce, un pays de première entrée pour les migrants provenant du Sud (Maghreb, Afrique notamment), ce qui constitue un point de friction avec les autres pays européens - dont la France - qui lui demandent, dans le cadre du système de Schengen, d'assurer un strict contrôle de ses frontières extérieures et donc des entrées dans l'UE au titre de l'asile. L'Espagne considère qu'elle remplit sa tâche mais qu'une meilleure répartition des demandeurs d'asile à l'échelle européenne est nécessaire.

Cette problématique, alimentée par une pression migratoire constante (23 000 arrivées en 2020, soit une hausse de 750 % par rapport à 2019, essentiellement via les Canaries) avec des pics récurrents (ex : 9000 migrants pénètrent à Ceuta en 48 heures en mai 2021), occupe une place importante dans le débat public.

Il a été aussi question dans nos échanges du Maghreb, en particulier du Maroc, pays avec lequel Madrid entretient une relation compliquée. En arrière-plan demeure en effet la question du passé de l'Espagne dans ce pays (guerre du Rif, Sahara occidental). Les tensions récemment réactivées autour du Sahara occidental constituent une préoccupation pour l'Espagne, qui considère comme non réglée la situation de ce « territoire non autonome ». De fait, après son désengagement en 1975 (sans qu'ait été préalablement organisé le référendum prévu par l'ONU), le territoire a été militairement envahi et annexé à 80 % par le Maroc (20% par la Mauritanie) et est devenu l'objet d'une lutte armée entre le Front Polisario, mouvement indépendantiste soutenu par l'Algérie, et Rabat. La réactivation récente de ce conflit découle de la reconnaissance par Donald Trump en décembre 2020 des prétentions marocaines sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations du Maroc avec Israël. Madrid, comme l'UE, défend pour ce territoire le principe d'une solution négociée sous l'égide de l'ONU afin d'achever le processus de décolonisation. Le Maroc fait pression sur l'Espagne pour obtenir la reconnaissance de sa souveraineté sur ce territoire en utilisant au besoin « l'arme » de la pression migratoire au niveau de leur frontière commune, comme on a pu le voir en mai 2021 à Ceuta.

Enfin, nous avons évoqué l'accord entre l'UE et le Mercosur signé en juin 2019, rappelant que la France était opposée à sa ratification « en l'état » en raison de ses implications environnementales négatives et notamment du fait qu'il encouragerait la déforestation de l'Amazonie. Si nos interlocuteurs ont entendu nos observations et déploré notamment l'attitude du Brésil, ils ont fait valoir l'opportunité que représente l'Amérique latine, une région du monde avec qui nous partageons des valeurs communes, et nous ont invité à faire le pari de relations avec ce continent.

M. Joël Guerriau. - Au cours du déplacement, nous nous sommes rendus au Centre satellitaire de l'Union européenne (CSUE dit aussi SatCen) situé sur la base militaire de Torrejón de Ardoz près de Madrid, où nous avons bénéficié de présentations détaillées de grande qualité. Le Centre satellitaire est une agence de l'UE très ancienne - elle a été créée en 1991, après la guerre du Golfe - et qui dépend du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Son rôle est de mettre à la disposition de l'UE des informations géo-spatiales obtenues par l'analyse d'images satellitaires, au profit de la prise de décisions dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il apporte ainsi son soutien aux opérations civiles et militaires de l'UE, comme l'opération ATALANTE ou l'opération IRINI de surveillance de l'embargo onusien sur les armes imposé à la Libye. Il fournit également beaucoup de renseignements à l'agence FRONTEX pour la surveillance des flux migratoires aux frontières (un quart de la production du Centre est destinée à FRONTEX), qu'il s'agisse d'évaluer la pression à la frontière avec la Turquie ou plus récemment avec la Biélorussie.

En fonction des besoins et des demandes, le Centre satellitaire peut être amené à produire du renseignement portant sur des théâtres éloignés, comme la Mer de Chine où il a mis en évidence la présence de bateaux de pêche chinois armés ou escortés par des navires militaires.

Si les « clients » du Centre satellitaire sont surtout des acteurs européens, les Etats membres et les organisations internationales telles que l'OTAN et les Nations unies peuvent également s'adresser à lui.

Le Centre satellitaire ne produit pas lui-même d'images satellitaires, il les achète à des fournisseurs privés qui pour l'essentiel sont aujourd'hui européens. Sous la pression des Etats membres, il s'est en effet attaché à réduire sa dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers, notamment américains. Ainsi, la part des fournisseurs européens est passée de 6 % à 74 % entre 2010 et 2020, une évolution notable qui contribue au développement de notre autonomie stratégique.

En 10 ans, la production d'analyses du Centre Satellitaire a été multipliée par six, tirée par l'augmentation des besoins. Pourtant, le financement par les Etats membres, sur la base d'une clef de répartition liée au produit national brut, n'a pas évolué. C'est l'augmentation du financement apporté par la Commission européenne qui a permis cette croissance, jusqu'à présent sans conséquence sur la gouvernance. Le Centre satellitaire reste une agence de taille modeste, constitué d'environ 150 agents contractuels, dont environ la moitié est employée dans des divisions opérationnelles.

Il faut souligner l'intérêt des actions de formation proposées. Chaque année, le Centre satellitaire accueille environ 250 stagiaires en provenance des différents Etats membres et contribue ainsi à l'élaboration et à la constitution et à la diffusion d'une culture spatiale européenne.

Au final, le Centre satellitaire est un outil assez méconnu mais essentiel de la PSDC, qui apporte une contribution significative à l'autonomie d'action stratégique et politique de l'Union Européenne.

M. Cédric Perrin. - Pour conclure, nous espérons avoir démontré, à travers ce compte rendu de notre mission, que l'Espagne est un partenaire stratégique, sur lequel nous devons nous appuyer pour renforcer la politique étrangère et de défense européenne.

M. Christian Cambon, président. - Merci à nos collègues pour cette intéressante restitution.

Déplacement en Italie, du 1er au 4 décembre 2021 - Communication

M. Christian Cambon, président. - Chers collègues, nous nous sommes rendus, avec M. Joël Guerriau, Mme Isabelle Raimond-Pavero, M. Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez et M. André Vallini à Rome du 1er au 3 décembre dernier, à l'invitation des Présidents des commissions des affaires étrangères du Sénat italien et de la Chambre des députés pour participer au Forum Dialogues Méditerranéens 2021.

Avec la Grèce en juillet, la Pologne en octobre puis l'Espagne en novembre dernier, cette visite s'inscrivait dans le cycle de nos déplacements européens pour préparer le volet parlementaire de la Présidence française de l'Union européenne.

Elle devait en outre présenter un intérêt particulier pour plusieurs raisons :

D'abord, il était prévu que mon homologue, Vito Petrocelli, que nous avions reçu en commission plénière le 8 janvier 2020, nous rende la pareille au Sénat italien. Nous avions réalisé une conférence de presse commune pour croiser nos analyses du contexte stratégique de l'époque. Déjà, à l'époque, nous partions du constat que la relation franco-italienne était indispensable pour affronter le chaos à nos portes en Méditerranée ;

Ensuite, le contexte politique italien se prêtait à un débat sur la Boussole stratégique européenne compte tenu des déclarations du Premier ministre Mario Draghi en faveur d'une autonomie stratégique européenne complémentaire de l'OTAN ;

Enfin, notre déplacement se déroulait dans la foulée de la signature par le Président de la République, deux jours auparavant le vendredi 26 novembre, du traité du Quirinal de coopération renforcée entre la France et l'Italie. Il s'agit d'un traité d'amitié qui, curieusement, manquait entre nos deux pays et dont l'ambition est de hisser la coopération transalpine à un niveau analogue au traité de l'Elysée qui fut fondateur du couple franco-allemand.

L'accueil au Sénat italien n'a pas revêtu le lustre escompté, pour des raisons d'agenda parlementaire, mais nos échanges avec Vito Petrocelli ont toutefois permis d'approfondir deux sujets :

- d'une part, les caractéristiques de la politique étrangère de l'Italie dans le cadre de l'Alliance atlantique et de l'Union européenne (UE) ;

- d'autre part, le renforcement du volet parlementaire de la coopération franco-italienne.

La politique étrangère italienne, axée sur l'intérêt géostratégique de la « région méridionale », s'organise principalement autour du concept de « Méditerranée élargie », englobant le Sahel, le Levant, le Moyen-Orient, la Corne de l'Afrique et le golfe de Guinée. Notre interlocuteur a estimé que notre principal point de divergence sur la Libye relevait maintenant du passé et que dorénavant de nombreux sujets communs de préoccupations prévalent entre les deux pays pour assurer la stabilité à long terme de la Méditerranée et de l'Afrique subsaharienne. De fait, depuis la crise libyenne de 2011 et l'instabilité engendrée jusqu'au Sahel, les flux migratoires provenant d'Afrique ont convergé vers la Libye avec un impact considérable sur la sécurité de l'Italie et de l'Europe. Par conséquent, l'Italie a élargi sa sphère d'action au-delà du seul pourtour méditerranéen en multipliant les formats de coopération.

L'Italie s'est aussi engagée dans l'Initiative européenne d'intervention (IEI) proposée par la France afin de développer une véritable « culture stratégique commune européenne ».

L'Italie assure une contribution militaire au profit des pays du G5 Sahel dans le cadre des actions de formation de l'Union européenne mais aussi à titre bilatéral avec, par exemple, le Mali et le Niger.

L'Italie est également présente, avec la France, dans le Golfe de Guinée pour la protection des installations du groupe pétrolier ENI.

L'Italie participe également à nos côtés à la task Force Takuba avec, en perspective, un déploiement de quelque 200 militaires? et l'appui d'hélicoptères.

S'il est bien un partenaire stratégique à reconnaître comme tel dans cette « Méditerranée élargie », c'est bien l'Italie. Le Traité du Quirinal a précisément pour objet d'intégrer nos voisins transalpins dans des formats de discussion internationaux dont ils se sentent exclus ou marginalisés, qu'il s'agisse du Conseil de sécurité, dont la France est désormais le seul membre permanent au sein de l'Union européenne, ou du groupe E3 des négociations sur le nucléaire iranien.

Sur le plan européen, nous avons bien entendu le message de rééquilibrage de nos relations franco-italiennes, sur un mode « d'égal à égal », le traité du Quirinal constituant le côté d'un futur triangle France-Italie-Allemagne.

Pour autant, le lien transatlantique demeure profondément ancré dans la politique italienne. Même si M. Petrocelli, au nom du Mouvement 5 étoiles, s'est prononcé pour une forte autonomie stratégique européenne, il a relativisé cette position au sein de la coalition et de la classe politique italienne. Parmi nos différences d'appréciation, le retrait américain de Kaboul n'est pas interprété comme un retrait global du Moyen-Orient, mais au contraire comme un recentrage sur d'autres priorités comme le soutien aux accords d'Abraham.

Enfin, s'agissant du volet parlementaire de la coopération franco-italienne, notre homologue a proposé de formaliser nos relations interparlementaires par un protocole de coopération sur la base de rapports communs et de réunions croisées régulières. J'ai présenté la méthode de travail que nous avions adoptée avec la Russie et celle-ci a semblé recueillir l'assentiment de la partie italienne. Il reste à donner corps à toutes ces bonnes intentions. Mais personnellement et après en avoir entretenu le Président du Sénat, nous sommes plutôt partisan d'un accord de coopération plus large, de Sénat à Sénat, s'appuyant sur l'excellente relation avec la Présidente du Sénat italien. Cette forme de coopération semble plus adéquate et correspondrait à l'accord que l'Assemblée nationale et la chambre des députés italiens viennent de conclure, sans du reste nous prévenir, comme nous l'avons appris sur place. Nous associerons notre collègue Hervé Marseille qui préside le groupe d'amitié France-Italie.

Pour conclure, j'ajoute que nous avons complété ces travaux par une visite très intéressante au collège de défense de l'OTAN. Cette structure, qui a fêté ses 70 ans d'existence, était initialement installée à Paris avant son déménagement à Rome en 1966 à la suite du retrait de la France du commandement intégré de l'OTAN. Ce Collège est actuellement dirigé par le général français Olivier Rittimann et produit un travail de réflexion stratégique qui nous paraît très intéressant.

M. Gilbert Roger. - Je signale que je reçois tous les ans au Sénat une délégation du collège de défense de l'OTAN.

M. Christian Cambon, président. - Il faudrait alors instaurer une réciprocité avec cette institution qui est d'un bon niveau. Il délivre notamment des formations à l'attention des officiers généraux et des diplomates. Je me suis fait la réflexion qu'elles pourraient intéresser les membres de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Aussi j'ai plaidé pour que des Sénateurs puissent à tour de rôle s'initier techniquement à tout le dispositif de l'OTAN.

J'ajoute que, pour ma part, la veille de la venue de la délégation, j'ai été reçu au Vatican par Mgr Paul Richard Gallagher, le secrétaire pour les relations avec les États, soit l'équivalent du ministre des affaires étrangères du Saint-Siège, et par le Cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d'État, c'est-à-dire le Premier ministre. Nos entretiens, très denses et intéressants, ont essentiellement porté sur la situation du Liban et celle des chrétiens d'Orient pour lesquels ils ont demandé que la France poursuive ses efforts. Je me suis engagé à plaider en ce sens auprès de l'Agence française de développement (AFD) qui, de mon point de vue, ne fait pas suffisamment d'efforts notamment en matière d'enseignement. Je rappelle ce que l'on m'avait dit, lors de la visite du Président de la République en Irak le 29 août 2021 : avec un million d'euros, on peut rouvrir 39 écoles dans ce pays.

Je ne serai pas plus long afin de laisser la parole à mes collègues qui pourront compléter mes propos sur des points plus précis, avec d'abord Jacques Le Nay sur le traité du Quirinal, puis Isabelle Raimond-Pavero sur la coopération de défense, Vivette Lopez sur la coopération parlementaire, André Vallini sur la relation franco-italienne et Joël Guerriau sur le collège européen de défense de l'OTAN.

M. Jacques Le Nay. - Comme notre Président l'a signalé, l'événement marquant qui a précédé notre visite a été la conclusion du traité de coopération renforcée entre la France et l'Italie. Visiblement, notre ambassade de Rome s'est très fortement mobilisée d'abord pour le G20 qui s'y est tenu, puis la visite du Président de la République pour la signature du traité. C'est un succès de notre diplomatie à saluer.

En tout état de cause, ce traité d'amitié qui manquait à nos deux Nations est un signe majeur de rapprochement. On peut même se demander pourquoi avoir attendu si longtemps tant la proximité de la France et de l'Italie nous semble évidente.

Ce nouveau traité vise à instaurer des mécanismes « robustes de concertation et d'approfondissement » pour faire face à de nombreux défis communs :

- en Méditerranée, les divergences graves entre membres de l'OTAN, la Grèce et la Turquie, représentent une menace commune ;

- du fait de l'attitude des États-Unis, l'idée d'une autonomie stratégique européenne fait aussi son chemin en Italie ;

- le défi climatique, la crise sanitaire, les mutations technologiques et industrielles nous lient tant sur le plan économique que sur celui de l'éducation ;

- les flux migratoires nous invitent à renforcer notre coopération transfrontalière et policière ;

- enfin, la politique menée par l'Italie dans le périmètre de la « Méditerranée élargie » rejoint nos préoccupations au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne.

Il faut noter que le traité du Quirinal se décline dans le cadre d'une feuille de route. Celle-ci prévoit une relance du conseil franco-italien de défense et sécurité et le développement de synergies sur les plans capacitaires et opérationnels, en particulier sous la forme de l'accompagnement réciproque de nos groupes aéronavals.

Je partage l'avis de notre Président que ce traité d'amitié prenne également une dimension parlementaire car le Parlement est le lieu naturel de la discussion et de la décision sur les choix stratégiques de notre politique étrangère et de notre défense.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je voudrais aborder la question de la coopération franco-italienne en matière de défense car c'est un sujet qui présente de fortes marges de progression.

Le Président a évoqué notre visite au collège de défense de l'OTAN. En effet, nul n'ignore le rôle clé de l'Italie au sein de l'Alliance atlantique et l'importance des moyens militaires américains qui y sont déployés, qu'il s'agisse de l'US Air Force sur la base d'Aviano et du quartier général pour la zone Europe-Afrique de l'US Navy installé à Naples.

Notre coopération en matière d'armement est importante mais elle se limite principalement au domaine des missiles, du naval et de l'espace. L'expert de l'Institut italien des affaires internationales que nous avons rencontré, M. Jean-Pierre Darnis, nous a expliqué que ce périmètre de coopération correspondait au très haut niveau de technologie que l'industrie italienne avait conservé dans ces secteurs avec Fincianteri pour le maritime et Leonardo pour l'aérospatiale. À cet égard, l'autonomie stratégique que défend l'Italie correspond davantage à une autonomie industrielle qu'à une autonomie opérationnelle au sens français du terme. La capacité d'agir sur tout le spectre d'un conflit et d'entrer en premier sur un théâtre d'opération ne correspond pas à la doctrine d'emploi de l'armée italienne. Aussi, il était intéressant d'entendre par exemple que l'activité de soutien aux exportations constituait une priorité importante pour la marine italienne. Dans le domaine de l'industrie navale, la relation franco-italienne continue donc à osciller entre coopération et compétition.

Les points à renforcer concernent plus particulièrement la coopération opérationnelle.

Vous avez cité, M. le Président, la participation de l'Italie à la Task force Takuba au Sahel et c'est un engagement nouveau et significatif à saluer, sachant que les 200 militaires prévus sont actuellement en cours de déploiement sur le terrain.

Mais il n'existe pas encore entre la France et l'Italie d'équivalent opérationnel comme celui du partenariat stratégique franco-belge sur le projet CaMo en matière d'utilisation des véhicules blindés Scorpion, ou comme celui de l'escadron de transport tactique franco-allemand installé à Évreux.

Le traité du Quirinal devrait encourager le développement de nouvelles coopérations avec l'Italie en matière de défense. La question du SCAF peut être évoquée : pourquoi l'Italie ne rejoindrait-elle pas la France, l'Allemagne et l'Espagne ? Sur le plan opérationnel, une plus grande coopération maritime et une brigade alpine franco-italienne sont des sujets qui ont été évoqués et qui restent à approfondir.

Mme Vivette Lopez. - Je voudrais revenir sur la coopération entre nos deux commissions que nous a proposée le Président Vito Petrocelli au nom de la commission des affaires étrangères qu'il préside. C'est une bonne initiative qu'il faut saluer, mais qu'il faudrait élargir car, au Sénat italien comme en France à l'Assemblée nationale, la défense relève d'une commission distincte. Aussi, je partage la position de notre Président de réfléchir à un accord de coopération entre les deux Sénats, français et italien.

Il était intéressant de voir que nos homologues avaient également organisé des travaux avec la Russie. Leurs principales difficultés pour aboutir à un document commun ont porté sur la méthode de travail : alors que les Russes ont produit un rapport, je cite, « volumineux », les italiens ont publié une résolution synthétique. Aussi, la méthode de rédaction adoptée par notre commission et le Conseil de la Fédération de Russie a semblé convaincre notre interlocuteur. Il s'agit, sur la base d'un certain nombre de thématiques communes, de partager la rédaction initiale des thématiques, chaque partie devant formuler ses observations. Cette méthode permet à chaque commission de pleinement exprimer les sujets d'accord et de désaccord, sans avoir à négocier un texte commun qui au final élude les sujets intéressants.

Comme mes collègues, je soutiendrai pleinement la création d'un accord entre les Sénats des deux pays. Le traité d'amitié entre la France et l'Italie porte une ambition de rapprochement dans tous les domaines, touchant à l'économie, l'éducation, le développement durable, la culture, les affaires étrangères et la défense. Ces sujets relèvent du Parlement et il est naturel que les élus des deux pays puissent en débattre.

M. André Vallini. - Je voudrais soulever deux points qui me sont apparus importants de souligner à l'occasion de ce déplacement.

Le premier concerne les éléments que nous avons recueillis sur la future élection présidentielle, le Président de la République italienne étant élu par un collège de grands électeurs - députés, sénateurs et délégués des régions -. Cette élection interviendra fin janvier et le Président Sergio Mattarella qui fait l'unanimité par sa sagesse ne se représentera pas. Il l'a dit et réaffirmé. La grande inconnue sera donc la position des grands électeurs car Mario Draghi souhaiterait sans doute être candidat mais beaucoup de parlementaires ne le souhaitent pas car ils préfèrent le conserver à son poste de Premier ministre pour poursuivre le redressement de l'Italie. D'autre part Silvio Berlusconi est en embuscade et dispose d'au moins une centaine de voix. S'il était élu on pourra s'en inquiéter pour l'Italie mais aussi pour la relation franco-italienne. Tout est possible, c'est une grande inconnue.

Ensuite, sans rapport avec l'objet du déplacement, lors de notre entretien avec notre ambassadeur à Rome, j'ai soulevé, avec le Président Christian Cambon, l'émoi que suscite au quai d'Orsay la réforme en cours vers l'extinction du corps diplomatique, celui des ministres plénipotentiaires et des conseillers des affaires étrangères. Nous avons apprécié nos échanges avec M. Christian Masset, qui est un grand ambassadeur et qui, je le rappelle, a été Secrétaire général du Quai d'Orsay, sur la qualité du personnel diplomatique et les spécificités de ce métier. Notre diplomatie est la deuxième du monde en termes quantitatif, après celle des États-Unis, et parmi les premières du monde en qualité. De notre côté, nous avons fait part de notre désapprobation à l'égard de cette réforme.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ces indications. Je rappelle que j'ai proposé au Bureau que notre commission continue à travailler sur ce thème.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Les décrets sont malheureusement déjà sortis. Je crains qu'il ne soit trop tard.

M. Christian Cambon, président. - Oui, mais nous sommes en année électorale et l'émoi est tellement important, dans le corps diplomatique comme dans le corps préfectoral qui est également concerné par cette réforme, que nous ne pouvons pas nous en désintéresser. Depuis des années, tous gouvernements confondus, le réseau diplomatique travaille année après année avec moins de moyens. Je cite l'exemple des négociations internationales qui réclament des compétences tout à fait spécifiques. Dans des discussions à Vienne sur le nucléaire iranien, si vous n'êtes pas formé à l'art des négociations et à la technique de ces sujets, croyez-moi, ce n'est pas un fonctionnaire en détachement ou une personnalité nommée pour des raisons politiques qui pourrait s'en sortir.

C'est donc une affaire sérieuse qui mérite que nous approfondissions le sujet. À mon sens cette réforme est incompréhensible. C'est la triste application d'un principe très fréquent dans notre pays : « puisque ça marche bien, faisons en sorte que cela ne fonctionne plus ».

Mme Hélène Conway-Mouret. - Sur la question du SCAF, en sait-on plus de la part de nos interlocuteurs ? Au vu du blocage actuel, comment pourrions-nous inciter d'autres partenaires à avancer sur un projet sur lequel nos deux principaux partenaires stagnent ?

M. Christian Cambon, président. - Pour l'instant les Italiens sont cosignataires du projet Tempest avec les britanniques. Personnellement, je suis préoccupé car malgré le vote important du Bundestag de 1,7 milliard d'euros de crédits, certains blocages demeurent, notamment sur les transferts de propriété industrielle. Par ailleurs, lorsque nous sortirons de la crise sanitaire, éreintés de dettes, de tels budgets pourront-ils être supportés par aussi peu de pays ? Je rappelle que la mise au point du SCAF représenterait 60 à 80 milliards d'euros. De surcroît, que deviendront des chasseurs interconnectés lorsqu'adviendra la guerre de l'espace ? Cela pose de vrais sujets. Pour l'instant, il n'y a pas de prise de position des Italiens. Il s'agit plutôt d'une prise de conscience, y compris des Britanniques, qu'il sera difficile de faire prospérer deux projets parallèles.

Le point le plus important à retenir de la part de nos amis italiens est la volonté d'une plus grande autonomie stratégique.

M. Joël Guerriau. - En revenant sur la visite du Collège de défense de l'OTAN, je saisis ici l'occasion de saluer l'accueil qui nous y a été réservé par le Général de brigade hongrois, Ferenc Molnár, et le Colonel français, Alban Des Courtils.

À sa création il y a 70 ans, en 1951, ce Collège de défense était hébergé à Paris dans les locaux de l'École militaire. Sa vocation initiale qui est de fournir un cours supérieur aux auditeurs des pays membres de l'OTAN n'a pas changé. Il y a actuellement des sessions de 80 auditeurs par an parmi lesquels sont acceptés des représentants de pays non membres de l'OTAN tels que la Géorgie, l'Ukraine, les pays du Maghreb et l'Égypte, mais aussi l'Irak, le Pakistan, le Qatar et, plus surprenant mais c'est une bonne chose, Taiwan.

D'abord dédié à la formation des responsables militaires et civils de l'OTAN visant, je cite, à « acquérir la connaissance et l'expérience nécessaires à une compréhension approfondie du concept politico-militaire de l'Alliance », le Collège s'est progressivement ouvert par exemple à des stages pour les ambassadeurs afin de développer la compréhension mutuelles des problèmes de sécurité et des capacités de l'OTAN. Un centre de recherche produit des études sur des sujets thématiques et des aires géographiques.

Lors de la visite, j'ai pu avec intérêt consulter une note intitulée « Projeter la stabilité au Sud : l'autre défi de l'OTAN ». Alors que la France appelle ses partenaires de l'OTAN et de l'Union européenne à ne pas délaisser son flanc sud au profit de la seule menace venant de l'Est, j'ai trouvé savoureux de vous lire cette recommandation : « le désengagement n'est pas une option et l'OTAN doit continuer à suivre ce qui se passe chez ses voisins de l'autre côté de la Méditerranée ». A la lumière du retrait américain unilatéral de Kaboul, les études du Collège de défense de l'OTAN mériteraient d'être davantage et mieux suivies !

Enfin, je partage tout à fait la réflexion de notre président : il serait intéressant que le Collège de défense de l'OTAN ouvre l'un de ses modules de formation aux parlementaires.

M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie, chers collègues, pour vos contributions.

La réunion est close à 11h45.