Mercredi 15 décembre 2021
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
Proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques - Examen du rapport et du texte de la commission
La réunion est ouverte à 9 h 35.
M. Laurent Lafon, président. - Nous entendons ce matin le rapport de Catherine Morin-Desailly sur la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. Je vous rappelle que ce texte est l'aboutissement, sur le plan législatif, des travaux de la mission d'information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont Max Brisson et Pierre Ouzoulias étaient les rapporteurs.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure, coauteure de la proposition de loi. - Je serai brève sur l'historique et les enjeux de cette proposition de loi, car vous avez encore tous sans doute à l'esprit les débats que nous avions eus, il y a un an, au sujet du projet de loi de restitution de biens culturels à la République du Bénin et du Sénégal, et dans le cadre de cette mission d'information.
Les demandes de restitution constituent une question complexe, parce qu'elles mettent en jeu le principe d'inaliénabilité de nos collections et questionnent la légitimité du projet universel des musées, deux pierres angulaires de nos institutions patrimoniales. C'est pourquoi il faut les traiter avec la plus grande rigueur et la plus grande transparence, au plus près de la vérité historique.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la réflexion conduite par le Sénat depuis vingt ans en faveur d'une gestion plus éthique des collections, qui a débuté en 2002 avec la loi de restitution de la Vénus hottentote, Saartjie Baartman, à l'Afrique du Sud, et la loi Musées, et s'est poursuivie ensuite avec la loi de restitution des têtes maories en 2010, dont j'étais à l'initiative, et la loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal l'an passé, dont j'étais la rapporteure.
Quel est l'objet de ce texte ?
Son premier objectif est de cadrer la méthode applicable aux décisions de restitution pour la rendre plus transparente, plus collégiale, plus scientifique, mais aussi lui garantir une cohérence et une permanence quelle que soit la majorité politique au pouvoir.
La manière dont ont été conduites les dernières restitutions n'a guère été satisfaisante.
Premier constat, le Parlement a été dépossédé de son pouvoir, alors qu'il est pourtant le seul habilité à autoriser la sortie de biens culturels des collections. Le législateur a la compétence exclusive de pouvoir faire exception au principe d'inaliénabilité des collections, principe de valeur législative. Malgré ce principe, qu'observe-t-on depuis deux ans ? Soit le Parlement a été sollicité pour entériner la restitution de biens culturels que le Président de la République ou le Gouvernement s'étaient déjà engagés à rendre, soit il a été contourné par le biais de la remise aux pays concernés de certains biens revendiqués sous la forme d'un dépôt, comme ce fut le cas pour la couronne du dais de la dernière reine de Madagascar, qui a été restitué au moment même où nous débattions du texte visant à restituer des objets au Bénin et au Sénégal.
Deuxième constat : l'instruction des demandes a été menée dans une grande opacité, donnant le sentiment que les considérations diplomatiques l'emportaient sur tout le reste. Le travail scientifique que les musées ont effectivement réalisé pour instruire les demandes de restitution n'a jamais été rendu public. Vous vous souvenez sans doute que l'étude d'impact qui accompagnait le projet de loi de restitution des biens culturels au Bénin et au Sénégal était relativement succincte.
Troisième constat : les pays demandeurs eux-mêmes ne semblent pas pleinement satisfaits par le processus. Ils observent un manque de clarté de la procédure et un déficit de concertation dans l'instruction. Le risque, à terme, est que les restitutions ne se résument qu'à des opérations sans suite, alors que ce qui compte tout autant, ce sont les coopérations dans le domaine culturel et patrimonial sur lesquelles elles peuvent déboucher.
Il faut donc améliorer la procédure pour ne pas faire voler en éclat le principe fondamental d'inaliénabilité des collections, ce qui suppose avant tout de répondre aux demandes de restitution avec rigueur historique et scientifique et en toute transparence. C'est pourquoi nous devons nous emparer du sujet.
Le second objectif de la proposition de loi, c'est de doter la France d'outils lui permettant d'engager un vrai travail de fond sur les enjeux associés au retour des biens culturels vers leur pays d'origine.
Le mouvement est aujourd'hui en marche et concerne l'ensemble des anciennes puissances coloniales : c'est un fait. La réflexion progresse dans plusieurs pays. L'Allemagne vient de consacrer des moyens financiers importants pour faire la lumière sur la provenance d'une partie de ses collections. La Belgique envisage un projet de loi-cadre pour faciliter la restitution des objets présents dans les collections acquis de manière illégitime.
Chaque pays a son histoire coloniale propre, qui peut appeler une réponse distincte. Mais il est important que la France soit en mesure de répondre de manière solide et cohérente aux demandes en anticipant le sujet, plutôt que de continuer à avoir une position défensive et à prendre des décisions dictées uniquement par l'urgence ou par des considérations diplomatiques.
Le manque d'allant manifesté par le ministère de la culture et par un grand nombre de conservateurs pour réfléchir à ces questions depuis vingt ans est très largement responsable de la situation actuelle. Notre ancien collègue Philippe Richert, qui a été rapporteur de la loi sur la restitution de la Vénus hottentote, de la loi Musées et de la proposition de loi de restitution des têtes maories en 2010, avait déjà soulevé ce problème lors de l'examen de cette dernière. La manière dont il a été fait obstacle au travail de la Commission scientifique nationale des collections est très révélatrice. Si le ministère s'était davantage saisi de cet enjeu, le ministère des affaires étrangères n'aurait sans doute pas autant repris le sujet en main et nous aurions sans doute pu éviter bien des dysfonctionnements que nous observons aujourd'hui. Aucun ministre de la culture ne s'est véritablement préoccupé du sujet, à l'exception peut-être de Frédéric Mitterrand à l'occasion de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.
Deux articles composent cette proposition de loi.
L'article 1er vise à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens. Là encore, je serai brève, car vous vous souvenez sans doute que c'était déjà la solution que le Sénat avait adoptée, sur ma proposition, dans le cadre du projet de loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal.
Cette instance doit permettre de combler les faiblesses de la procédure actuelle que je viens d'évoquer et de compenser l'inertie du ministère de la culture.
Elle aurait une double mission : donner son avis sur les demandes de restitution, afin d'apporter aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision ; et mener une réflexion prospective en matière de circulation et de retour des biens culturels.
Pour tenir compte des problèmes de fonctionnement rencontrés par la Commission scientifique nationale des collections, instituée par la loi de restitution des têtes maories, qui ont conduit à sa suppression par le Gouvernement il y a un an, l'objet du Conseil national est clair et sa composition est réduite à douze membres pour garantir son efficacité. Il s'agit, pour l'essentiel, de personnalités qualifiées choisies pour leurs compétences scientifiques - conservateurs, historiens, historiens de l'art, ethnologues, juristes -, nommées par le ministre de la culture et le ministre de la recherche, l'objectif étant de remettre ces deux ministères au centre du jeu.
L'article 2, quant à lui, vise à faciliter la restitution de certains restes humains conservés dans les collections publiques. À cet effet, il crée une nouvelle procédure judiciaire permettant, au cas par cas, l'annulation de l'acquisition par les musées de certains restes humains en vue de leur restitution. L'un des intérêts de cette procédure, c'est qu'elle permet de faire sauter le verrou de l'inaliénabilité. Si l'acquisition est annulée, c'est comme si le bien n'avait jamais fait partie des collections publiques : il peut donc être restitué sans nécessiter une autorisation expresse du Parlement.
Cette solution s'inspire de celle mise en place par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine pour les biens culturels qui se révéleraient avoir fait l'objet d'un trafic illicite.
L'article 2 met en place cette mesure d'annulation de l'acquisition, parce qu'elle avait été proposée comme piste par le groupe de travail mis en place par le ministère de la culture et le ministère de la recherche à la suite de la loi sur les têtes maories. Ce groupe s'était mis d'accord autour de plusieurs critères de restituabilité des restes humains et avait identifié cette solution comme la meilleure voie pour faciliter les restitutions sans avoir à recourir à l'intervention du Parlement. Michel Van Praët, éminent muséologue, professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle, nous l'avait présentée lorsqu'il avait été auditionné par la commission en janvier 2020.
Au final, que penser de ces deux articles ?
En ce qui concerne l'article 1er, je suis convaincue que la création d'une instance scientifique pérenne est opportune pour apporter plus de transparence à la procédure, recentrer l'examen des demandes sur la vérité historique et garantir une plus grande permanence dans les décisions de la France malgré les alternances politiques.
Ce type d'instance a déjà fait la preuve de son efficacité dans d'autres domaines. Pensons au rôle joué par la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture dans le dossier de Notre-Dame de Paris ! C'est une vraie garantie en termes de transparence et de contrôle, surtout lorsque l'on traite de sujets aussi complexes et sensibles que celui des restitutions, qui échappent aujourd'hui très largement au ministère de la culture.
Je note d'ailleurs, que sur d'autres sujets - pas très éloignés -, le Gouvernement s'est montré favorable au rôle que pouvaient jouer certaines commissions : par exemple, les pouvoirs de la Commission pour l'indemnisation de victimes de spoliation de biens culturels pendant l'occupation (CIVS) ont été accrus fin 2018 pour l'autoriser à recommander, de sa propre initiative ou à la demande de toute personne concernée, la restitution d'oeuvres spoliées ou, à défaut, des mesures d'indemnisation des victimes.
Par ailleurs, je ne crois pas que la réflexion que le Président de la République vient de lancer autour d'une loi-cadre rende le dispositif sans objet. Bien au contraire ! Nous ne savons absolument pas à quel moment ce travail pourra aboutir. Nous avons auditionné une dizaine de personnes. Il y a un an encore, le Gouvernement estimait qu'une loi-cadre n'était pas envisageable et qu'il serait extrêmement difficile d'établir une critériologie suffisamment précise et exhaustive pour convenir à la multiplicité des cas susceptibles de se présenter. Il craignait que l'adoption de critères ne fasse obstacle à des restitutions qui seraient pourtant souhaitables. C'est en tout cas ce qu'il écrivait dans l'étude d'impact du projet de loi de restitution au Bénin et au Sénégal.
On peut donc s'interroger sur ce brusque revirement, sachant que le travail sur la provenance de nos collections et sur l'histoire des biens qui la composent n'en est encore qu'à ses balbutiements. Or, il s'agit à mon sens d'un élément clé de l'élaboration d'une éventuelle loi-cadre, parce qu'il me paraît nécessaire d'avoir identifié au préalable les cas sensibles pour déterminer correctement les critères. L'essentiel des pièces originaires de pays tiers n'a pas vocation à être rendu. Et ce qui valait pour le Bénin et le Sénégal ne vaudra pas forcément pour des biens provenant d'autres pays, d'autant que la question des restitutions ne se résume pas à l'Afrique.
Le musée du quai Branly - Jacques Chirac s'est engagé dans ce travail de recherche, mais son président n'a pas caché qu'il manquait de moyens pour la déployer comme il le faudrait. Il a recruté une personne pour ce faire, qui est assistée de deux vacataires, de quelques étudiants boursiers et d'un bénévole... La situation est évidemment encore plus difficile dans les musées de moindre envergure - je pense notamment aux musées de nos régions.
Compte tenu de ces incertitudes, il me semblerait regrettable d'attendre l'adoption de ladite loi-cadre pour renforcer la transparence de la procédure de restitution. Je crois d'ailleurs que le Conseil national pourrait faire progresser de façon collégiale la réflexion sur les critères de restituabilité et qu'il serait dommage de s'en priver.
Je vous proposerai cependant tout à l'heure une série d'amendements destinés à rendre le Conseil national plus opérant, notamment dans la perspective de faire progresser la réflexion.
J'en viens maintenant à l'article 2.
Les auditions ont révélé que la solution préconisée par le groupe de travail mis en place par le ministère de la culture et le ministère de la recherche à la suite de la loi sur les têtes maories n'avait pas fait l'objet de concertations préalables avec le ministère de la justice. Celui-ci y voit des fragilités juridiques susceptibles de rendre le dispositif inopérant.
Par ailleurs, compte tenu de l'encombrement des tribunaux, il existe un risque que cette procédure ne permette pas réellement d'accélérer d'éventuelles restitutions par rapport au vote d'une loi spécifique.
Je crois néanmoins qu'il serait vraiment dommage de ne pas aller plus loin sur la question de la restitution des restes humains et de ne pas profiter du bénéfice du travail effectué par le groupe de travail animé par Michel Van Praët autour de critères de restituabilité.
Le besoin de faciliter les restitutions de restes humains est réel. Plusieurs pièces conservées dans les collections publiques mériteraient d'être restituées. Plusieurs cas ont été portés à notre connaissance pendant les auditions, comme celui, très significatif, d'un groupe d'Inuits emmenés en Europe en 1880 pour être exposés dans des spectacles, morts de la variole, enterrés, avant que leurs squelettes ne soient exhumés cinq années plus tard à des fins de recherches scientifiques. Mais on trouve aussi étonnamment dans nos collections des crânes datant du génocide arménien ou de nombreux sujets anonymes, originaires de nombreux pays, prélevés dans des cimetières identifiables.
Je vous soumettrai donc dans quelques instants une nouvelle rédaction de l'article 2 définissant un cadre général, fondé sur des critères précis, permettant directement à l'administration de faire sortir un certain nombre de restes humains des collections et d'en autoriser la restitution dans le cas où elle serait demandée. Ces cas sont très circonscrits.
Cette procédure permettrait à mon sens à notre pays de répondre aux demandes de restitution d'une façon fondée scientifiquement et respectueuse de la dignité humaine et des cultures et croyances des autres peuples. Grâce à elle, nous pourrions régler un certain nombre de cas sensibles et régulariser, a posteriori, la mise en dépôt des crânes algériens opérée par le Gouvernement il y a un an et demi, en catimini, au moment même où nous débattions de la loi sur la restitution de biens de biens culturels à la République du Bénin et du Sénégal... Ce dispositif aurait permis de les restituer de manière transparente.
J'espère que cette proposition vous agréera, car elle participe, à mes yeux, d'une gestion plus éthique de nos collections. Cette idée a été l'une de mes préoccupations principales dans l'élaboration de ce rapport, dans la mesure où elle restait fondée d'un point de vue scientifique, car nous devons nous tenir éloignés de la repentance.
Je tiens enfin à saluer et remercier tous nos collègues, et notamment Lucien Stanzione, qui ont participé aux auditions que nous avons menées véritablement à trois avec Pierre Ouzoulias et Max Brisson dans le prolongement des travaux de notre mission d'information sur les restitutions de biens culturels. Nous beaucoup échangé ensemble pour m'aider à préparer ce rapport.
Avant de conclure, il nous revient de définir le périmètre pour l'application de l'article 45 de la Constitution. Ce périmètre pourrait comprendre les dispositions qui ont trait à l'organisation, à la procédure et aux conditions applicables au retour des biens culturels conservés dans les collections publiques ou à leur circulation au niveau international.
M. Max Brisson, coauteur de la proposition de loi. - Je voudrais d'abord remercier Catherine Morin-Desailly pour son rapport, qui montre l'intérêt de notre proposition de loi et replace ce sujet complexe dans son contexte politique, culturel et muséographique. Je voudrais saluer la constance avec laquelle elle porte cette question depuis longtemps au Sénat, contribuant à l'élaboration du point de vue équilibré et constant de la Haute Assemblée, qui tranche avec la versatilité de l'exécutif actuel sur la question !
J'ai eu le plaisir de rejoindre Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias après la démission de notre collègue Alain Schmitz, qui avaient déjà beaucoup avancé sur le sujet, pour rédiger un rapport d'information que vous avez approuvé et qui est à l'origine de la proposition de loi que nous examinons.
Le sujet est d'importance, car il renvoie à la conception que nous nous faisons de nos musées et du dialogue des cultures. Le sujet nécessite également de la constance. Or, lors de son déplacement au musée du quai Branly - Jacques Chirac, le Président de la République a pris ses ministres et ses conseillers à contrepied en annonçant, à rebours de toutes les déclarations ministérielles antérieures, à l'occasion du départ du trésor du roi Béhanzin pour le Bénin, la nécessité d'une loi-cadre sur les restitutions. Au Sénat, pourtant, la ministre n'avait pas trouvé une telle loi nécessaire. Elle avait d'ailleurs raison...
Toute restitution constitue, en effet, un cas particulier. Voilà pourquoi le Sénat a toujours estimé qu'il était nécessaire que le Parlement se prononce en dernier ressort et sur chaque cas, en étant éclairé par un travail de recherche qui permette, pour chaque oeuvre, d'en connaître la provenance, le parcours et le contexte qui a présidé à son dépôt.
Lors de ce revirement présidentiel, les analyses et les apports du Sénat n'ont pas été cités par le Président de la République. Ce n'est pas dans les habitudes de l'exécutif !
Depuis, un ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, M. Jean-Luc Martinez, a été désigné pour réfléchir au sujet et à la nécessité d'une loi-cadre. Au moment de son audition, nous n'avons cependant pas pu connaître ni le contenu de sa lettre de mission ni l'autorité à laquelle il sera rattaché pour la mener.
De même, l'exécutif, auditions après auditions, n'a jamais semblé faire cas ni du rapport présenté devant notre commission par Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias et moi-même, ni de la proposition de loi que nous avons rédigée ensemble. Ainsi, notre proposition de création d'un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels, qui aurait à donner son avis public sur chaque demande présentée par un pays tiers, et ce avant toute promesse de restitution par l'exécutif, n'a reçu qu'une fin de non-recevoir, à peine polie. Seul le cabinet du garde des Sceaux s'est montré judicieusement coopératif sur l'article 2.
Pourtant, en écoutant le président du musée du quai Branly - Jacques Chirac, nous avons eu la confirmation de la pertinence de réaliser un travail méthodique d'éclairage, de contextualisation, de recherche pour identifier la provenance de chaque objet. Ce travail en coopération avec les scientifiques des pays demandeurs est crucial. Il pourrait faire tomber les visions idéologiques qui tendent à examiner l'histoire de chaque oeuvre au prisme d'une vision globale empruntant les lunettes déformantes du présent pour soumettre le passé aux exigences présupposées de notre époque. Oui, chaque objet a une histoire propre, qui ne peut se réduire à une vision globale et généraliste. On doit au respect de la vérité historique d'accomplir ce travail minutieux au cas par cas.
Pourtant, le musée du quai Branly effectue ce travail indispensable, sans commande politique claire et sans moyen. Plus cette démarche progresse, plus elle ramène les préconisations du rapport Sarr-Savoy à ce qu'elles sont, c'est-à-dire une démarche politique qui cherche à répondre aux oukases du présent au prix de l'universalisme de nos musées. La réalité dessinée par le travail des conservateurs, des archéologues et des historiens fait rarement bon ménage avec la réécriture historique...
Cette proposition de loi est débattue au Sénat au moment où les deux ministères concernés, celui de la culture et celui des affaires étrangères, sont face à une contradiction : ils doivent répondre à la demande présidentielle sans se renier, puisqu'ils ont longtemps porté un discours hostile à une loi-cadre, arguant du fait, à juste titre, que chaque objet est différent, que l'analyse des demandes ne peut pas obéir aux mêmes principes, et qu'il est donc préférable de les traiter dans un cadre bilatéral et par des lois ad hoc. S'ils doivent, annonces présidentielles obligent, se résoudre à promouvoir une loi-cadre dont ils rejetaient le principe il y a un an, pourquoi refusent-ils encore de soumettre toutes les demandes à l'avis d'un organisme indépendant, scientifique, qui éclairerait chaque demande de restitution à la lumière du parcours muséographique de l'oeuvre, depuis son premier dépôt jusqu'à sa situation actuelle, avec une contextualisation de toutes ses étapes ?
Inscrire dans la loi l'outil permettant de réaliser cet éclairage historique, archéologique et muséographique, éloigné de toute autre considération, tel est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi qui vous est proposée ce matin.
Il s'agit d'une démarche pragmatique. En effet, quoi qu'en pensent les tenants d'une histoire réécrite, les contextes varient selon la nature du bien, le pays d'origine, les conditions d'acquisition, les voies d'entrée dans les collections publiques. Il importe de définir une méthode, et la commission de réflexion prévue à l'article 1er pourrait contribuer à la fixer. Bien entendu, cette création devrait s'accompagner de moyens importants ; c'est essentiel pour étayer la vérité. Cette démarche offrirait de plus l'intérêt de la transparence démocratique, en éclairant le Parlement, seul décideur au fond.
En revanche, une loi-cadre ne me paraît, en l'état actuel des travaux réalisés dans nos musées, ni souhaitable ni possible tant que la réflexion n'aura pas avancée. Ce pourrait être d'ailleurs l'une des missions qui pourraient être confiées à la commission de réflexion que nous vous proposons de créer !
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de loi et les amendements de notre rapporteure. Son expertise est reconnue. Le travail du Sénat s'inscrit dans la durée. Le Sénat est favorable à la circulation des oeuvres et au dialogue des cultures. Il peut accepter des restitutions dans certaines conditions, mais il ne peut le faire qu'éclairé par une analyse du contexte d'acquisition, fondée sur une méthode partagée, et au cas par cas. Sinon, le fait du prince continuera de sévir au service, au mieux, de la diplomatie, au pire, de la réécriture de notre histoire, chaque objet étant alors soumis, malgré lui, à l'instrumentalisation politique.
M. Pierre Ouzoulias, coauteur de la proposition de loi. - Je tiens tout d'abord à remercier Alain Schmitz et Catherine Morin-Desailly. Nous avons réalisé en peu de temps un travail de fond passionnant. Les membres de notre commission montrent qu'ils savent se retrouver sur des sujets importants, autour de positions fortes et de principes partagés unanimement.
Ayant été conservateur du patrimoine, je sais qu'à la base d'une collection, il y a très souvent une violence. Picasso, à ses débuts, vendait ses oeuvres pour pouvoir manger : les relations avec les marchands d'art étaient dissymétriques - on pourrait presque parler de dol, tant la relation commerciale était inégale. Une éventuelle loi-cadre devrait ainsi viser le cas de ces oeuvres qui sont considérées comme ayant été légalement acquises, mais dont on pourrait pourtant questionner la procédure d'acquisition en étudiant plus attentivement le contexte. Il semble difficile d'envisager la multiplicité des situations a priori. C'est pourquoi je doute de l'intérêt d'une loi-cadre. Mais je ne doute pas que l'ambassadeur, M. Jean-Luc Martinez, qui suit manifestement un axe politique bien structuré, à tel point qu'il a refusé de nous le présenter, saura y voir clair...
De même, nous n'avons pas eu, en dépit de nos demandes, transmission des lettres que les chefs d'État béninois et sénégalais ont officiellement adressées au ministère des affaires étrangères pour demander la restitution des biens culturels. Qui a choisi les objets ? Nul ne le sait. Les Béninois réclamaient des oeuvres qui ne sont pas tout à fait celles qui leur ont été restituées. Ils demandaient par exemple la restitution de la statue du dieu Gou, qui est exposée au Louvre, mais M. Martinez, qui était le président du musée à l'époque, nous a dit qu'il ne savait pas qui avait pris la décision de conserver la statue, celle-ci n'étant exposée au Louvre que sur la base d'un dépôt du musée du Quai Branly - Jacques Chirac.
Loin d'être transparente, la procédure a été gérée par les officines élyséennes. Ces restitutions apparaissent, de fait, comme le domaine réservé du Président de la République - encore une fois, l'exécutif s'arroge des prérogatives du Parlement, qui est chargé de la protection du patrimoine de la Nation.
D'un point de vue culturel, la manière avec laquelle les restitutions au Sénégal et au Bénin ont été faites est catastrophique ; ces restitutions sèches ont créé des frustrations dans ces pays comme en France. On aurait pu les gérer autrement, pour en faire non une simple transmission patrimoniale notariale, mais un pont entre différentes cultures, un acte fort de coopération culturelle qui nous engage dans la durée, dans les deux sens, de la France vers le Bénin, et du Bénin vers la France ; or ce mouvement retour manque. D'où notre volonté de mieux encadrer ces restitutions à l'article 1er.
L'amendement proposé par Catherine Morin-Desailly à l'article 2 formule une solution d'une extrême élégance : fondée sur des principes philosophiques forts, sur le fait que des restes humains n'ont pas vocation à constituer des collections patrimoniales, la rédaction permet de sortir des collections nationales ces objets, de les inscrire provisoirement sur un inventaire pour en permettre ensuite la restitution. J'ai été bouleversé en apprenant que cinq crânes d'Arméniennes victimes du génocide arménien, qui ont été récupérés à Deir ez-Zor, sont encore dans les collections du musée de l'Homme. Je pourrais aussi évoquer les restes de personnes gazées dans le camp de Natzweiler-Struthof pour réaliser des expériences macabres qui ont longtemps été dans les collections du musée de Strasbourg. Tout cela est intolérable. On risque un conflit diplomatique majeur avec certains États lorsqu'ils prendront conscience du contenu de nos collections. Il est temps que cela cesse. On ne peut plus vivre avec des cadavres dans nos placards !
M. Lucien Stanzione. - Je tiens tout d'abord à remercier notre rapporteure pour le travail qu'elle a effectué, ainsi que nos collègues Pierre Ouzoulias et Max Brisson, cosignataires de la proposition de loi.
Cette proposition de loi fait suite au rapport de décembre 2020 de la mission d'information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques. Deux des quinze propositions de ce rapport ont été reprises dans ce texte : d'une part, la création d'une instance de réflexion indépendante sur la circulation et le retour de biens culturels, afin d'éviter notamment les déclassements décidés de manière discrétionnaire par le Président de la République ; et d'autre part, l'instauration d'une procédure facilitant la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, pour éviter d'avoir à en passer à chaque fois par la voie législative.
Ce texte s'inscrit dans un contexte où les demandes de restitutions sont de plus en plus fréquentes, posent des questions éthiques, renvoient souvent à notre passé colonial et enfin soulèvent des interrogations sur le principe d'inaliénabilité des collections - ce qui ne peut que nous conduire à nous interroger sur les restitutions de fait opérées par le Président de la République à l'occasion de voyages au Bénin et au Sénégal.
Enfin, il convient de prendre en compte la nécessité d'anticiper les restitutions des biens culturels. De plus en plus, de nombreux pays vont demander ces restitutions. Pour éviter de traiter dans l'urgence ces demandes, il conviendrait que chaque structure détenant ce type de biens en fasse l'inventaire et étudie les modalités possibles de restitution dans le futur. Il s'agit d'un lourd travail, qui réclame des moyens.
Au sein de notre assemblée, un large consensus prévaut sur l'utilité de ces mesures. Nous avons conduit les travaux ensemble. Les auditions ont été extrêmement intéressantes, même si certains invités se sont montrés quelque peu hermétiques et peu coopératifs. Tout en formulant les suggestions ci-dessus, le groupe socialiste soutiendra le texte et le votera.
M. Thomas Dossus. - Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou n'a pas débouché sur une vaste coopération culturelle durable avec le continent africain. Les restitutions sous forme de cadeaux diplomatiques ont continué, avec une dépossession du Parlement. Il y a pourtant urgence à engager une coopération culturelle durable avec l'Afrique. Il y va de la réconciliation de la France avec un continent, avec son passé et avec sa jeunesse.
La proposition de loi encadre les restitutions et tente de mettre fin au fait du prince. Des milliers de demandes sont en souffrance. Personne ne peut se satisfaire de la politique d'exception permanente.
Nous espérons que la création de la nouvelle instance permettra aux pays demandeurs d'obtenir rapidement une réponse et offrira à la représentation nationale une base solide pour s'exprimer, à défaut de loi-cadre. Nous y sommes donc favorables.
M. Julien Bargeton. - Indépendamment de la question éthique particulière des restes humains, qui fait appel à notre commune humanité, le véritable débat politique porte sur la restitution des oeuvres d'art. Les pays occidentaux sont confrontés à des demandes de restitution, liées à la période de la colonisation, mais également à certaines affaires qui ont défrayé la chronique. Notre collègue Max Brisson a placé le débat au bon niveau : celui du rapport que nous entretenons avec l'histoire. Faut-il relire le passé à l'aune de nos critères actuels ou bien simplement traiter les demandes très contemporaines de restitution ?
La commission pourrait se réjouir d'une loi-cadre. Il me paraît tout de même contradictoire de critiquer des décisions « au coup par coup », voire le « fait du prince », et de se contenter d'une brève proposition de loi discutée rapidement en fin d'année et de mandature.
Sans vouloir faire offense à la majorité sénatoriale, ce texte, sur lequel je m'abstiendrai, me semble sous-tendu par certaines réticences, d'ailleurs partagées par une partie des conservateurs et de nos concitoyens, à l'égard des demandes de restitution.
M. Max Brisson. - C'est un procès d'intention.
M. Julien Bargeton. - Mais non. J'ai bien entendu vos propos, qui ne sont d'ailleurs pas critiquables. Nous sommes ici pour faire de la politique, au sens noble. Posons le débat de principe, quitte d'ailleurs à ce que nous ne soyons pas d'accord sur la manière de traiter les demandes de restitution et la composition des instances de décision. Au nom de quoi décide-t-on ? Et qui prend la décision ? Ce n'est pas la même chose si l'instance de décision n'est composée que de conservateurs ou si elle est beaucoup plus ouverte.
Sur le fond, je n'ai pas d'a priori. Je sais bien que certaines oeuvres antiques, comme les tablettes cunéiformes syriennes, ont malheureusement été détruites après leur restitution. Le sujet est extrêmement sérieux. Cela renvoie au passé colonial de la France, ainsi qu'à la manière dont les oeuvres ont été collectées.
D'ailleurs, des oeuvres aujourd'hui qualifiées d'oeuvres d'art étaient considérées comme des objets lorsqu'elles ont été ramenées. Ce sont Picasso, les cubistes et les surréalistes qui en ont fait des oeuvres d'art.
N'allons pas trop vite. Je comprends que le Sénat veuille fixer des règles. Je me réjouis aussi de la volonté de l'exécutif. Nous disposons d'un rapport qui contient des éléments extrêmement intéressants, de nature à nous permettre d'aborder sereinement le sujet.
Ainsi que cela a été rappelé, l'application stricte de critères pourrait nous amener, selon les cas, à être obligés de restituer certaines oeuvres ou, à l'inverse, de répondre négativement aux demandes.
Je m'abstiendrai sur la proposition de loi, mais je me réjouis que le débat soit ouvert et je souhaite qu'il soit posé dans des termes clairs.
Mme Annick Billon. - Monsieur Bargeton, le débat est posé dans des termes extrêmement sérieux et précis. Je connais l'engagement de longue date, l'expertise et la technicité de notre rapporteure Catherine Morin-Desailly sur ce dossier. J'ai même eu l'occasion de mesurer sa popularité en Nouvelle-Zélande lors d'un déplacement sénatorial.
Sur le fond, l'instance scientifique qui avait été mise en place n'existe plus. Il faut donc trouver une solution. Les demandes de restitution se multiplient. Elles sont parfois instrumentalisées. Comme cela a été souligné, elles ne doivent pas être synonymes de repentance ni prétextes à instrumentalisation politique.
La proposition de loi crée un outil pour que les restitutions puissent s'effectuer dans des conditions optimales. Elle reprend les conclusions contenues dans le rapport de la mission sénatoriale d'information remis le 16 décembre 2020, avec la création d'un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens et l'extension de la procédure judiciaire d'annulation de l'acquisition pour faciliter la restitution des restes humains. Je m'en félicite. Le groupe Union Centriste soutiendra ce texte.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mes chers collègues, je vous remercie de vos propos chaleureux, qui soulignent l'excellent travail de notre commission et l'engagement du Sénat sur ce dossier.
Monsieur Bargeton, il n'y a aucune réticence. Le Sénat est même très allant sur ces questions. Il a initié le mouvement de restitution au tournant des années 2000 et invité le ministère de la culture à se saisir du sujet. Car, comme l'a souligné Thomas Dossus, il y a urgence à engager des coopérations culturelles. Malheureusement, le ministère n'a pas été au rendez-vous. Notre ancien collègue Philippe Richert avait même tapé du poing sur la table, car la première commission de déclassement qu'il avait instaurée dans la loi Musées de 2002 n'avait jamais fonctionné. Les réticences ne sont donc pas de notre côté.
Simplement, nous défendons des exigences. Nous voulons de la méthode, de la rigueur, de l'objectivité et des coopérations culturelles. Je trouve dommage que l'exécutif traite notre travail avec indifférence, voire mépris.
Nous ne sommes pas hostiles à une loi-cadre. Simplement, M. Martinez n'est pas capable de nous préciser ce qui sera proposé, et les directeurs d'institutions muséales d'importance soulignent que le sujet est complexe et qu'il faudra du temps. Nous proposons des mesures de bon sens. Le dispositif que je présenterai dans quelques instants résulte d'un travail transpartisan mené pendant une dizaine d'années.
Nous devons nous battre ensemble pour que les institutions concernées aient les moyens de faire des recherches sur les provenances. Il y a urgence. J'ai fait référence au manque de moyens dont disposait le président du musée du Quai Branly - Jacques Chirac. Imaginez ce qu'il doit en être dans les musées de nos territoires.
Nous attendons toujours le décret d'application pour la procédure judiciaire destinée à faciliter la restitution de biens conservés dans nos collections qui s'avéreraient avoir fait l'objet d'un trafic illicite, votée dans la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).
Si réticence il y a, elle est plutôt à rechercher du côté du ministère de la culture, qui n'avance pas sur le sujet et qui a mis trois ans à instaurer la Commission scientifique nationale des collections pour la faire disparaître ensuite sans en dresser le bilan.
Le dispositif que je vous propose s'agissant des restes humains découle des conclusions du groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire sur le sujet. Ce travail n'a jamais été reconnu par le Gouvernement et le ministère de la culture puisqu'il n'a jamais fait l'objet d'une réception officielle. Nous travaillons de manière méthodique pour essayer de trouver des solutions satisfaisantes. Je ne peux donc pas laisser dire qu'il y aurait des réticences de notre part.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à remplacer le terme de « réclamations », qui peut avoir une connotation péjorative - étymologiquement, cela renvoie à l'idée de demander une chose due par des cris ou des acclamations -, par celui, plus neutre, de « revendications ».
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement COM-2 tend à confier une nouvelle mission au conseil en l'autorisant à formuler des recommandations sur la méthodologie et le calendrier des travaux consacrés à la recherche de provenance. Il s'agit de donner une impulsion politique aux travaux de recherche de provenance, qui sont indispensables pour répondre avec respect et dans le souci de la vérité historique aux demandes de restitution et aux interrogations des publics sur la légitimité de nos collections.
Tous les musées doivent se lancer dans cette démarche : autant qu'ils aient une méthode et un calendrier. C'est une tâche gigantesque qui peut prendre des années si elle n'est pas encadrée. Bien entendu, il faudra aussi que le Gouvernement octroie aux institutions patrimoniales les moyens de mener à bien cette mission. Le manque est aujourd'hui criant.
M. Max Brisson. - Nous voterons évidemment cet amendement, qui enrichit le texte. Vous voyez qu'il n'y a pas d'opposition de principe, monsieur Bargeton. Si c'était le cas, nous ne voudrions pas que des recommandations méthodologiques puissent être formulées.
Notre vision des restitutions ne repose pas sur une approche déformée de l'histoire. Les restitutions peuvent au contraire se justifier du fait de l'histoire, qui n'est pas binaire. Il n'y a pas ceux qui auraient spolié et pillé d'un côté et les victimes de l'autre. L'histoire est complexe. La base du travail des historiens, c'est la contextualisation.
Nous souhaitons éclairer de manière transparente et démocratique la décision politique. Aujourd'hui, elle n'est pas suffisamment éclairée, notamment parce que l'exécutif a fait du rapport Sarr-Savoy l'alpha et l'omega de sa doctrine en matière de restitutions.
Chaque oeuvre a une histoire particulière qui mérite un éclairage, une contextualisation. Il faut donc une méthode. Ce qui nous réunit aujourd'hui, au-delà de nos appartenances politiques, c'est ce souci de vérité historique, que cet amendement conforte.
M. Pierre Ouzoulias. - Le problème des restitutions est aussi ancien que celui des collections. Je vous renvoie au discours de Cicéron contre Verrès, qui avait pillé la Sicile, ou au déboulonnage du quadrige de la porte de Brandebourg sur ordre de Napoléon en 1806.
Je souhaite insister sur le cas des oeuvres spoliées à leurs légitimes propriétaires pendant les persécutions antisémites qui restent dans les collections publiques. Édouard Philippe, alors Premier ministre, avait considéré que le travail de restitution de ces oeuvres n'avançait pas assez vite et avait mis en place une commission relevant du ministère de la culture. En l'occurrence, nous appliquons la même méthode.
Selon M. Martinez, il n'est pas possible d'envisager une loi-cadre tant que toutes les oeuvres ne sont pas inventoriées. Nous voulons agir dans l'intervalle. L'instance que nous proposons permet un encadrement et une mobilisation des services.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à prévoir la consultation obligatoire des experts scientifiques des pays demandeurs lorsque le Conseil national prépare son avis sur une demande de restitution.
L'objectif est de renforcer le caractère partenarial de la procédure d'examen des demandes de restitution, parce qu'il paraît important, par respect pour les pays demandeurs, que leur point de vue soit pris en compte, mais aussi parce que c'est le meilleur moyen de construire de vraies procédures de coopération dans le domaine culturel et patrimonial. Ce pourrait être l'occasion de réfléchir aux formes possibles de coopération que pourrait ouvrir la restitution, d'identifier les biens que le pays demandeur pourrait souhaiter laisser en dépôt dans le musée français où le bien concerné est conservé si jamais la restitution était décidée.
Une restitution doit permettre avant tout de se réapproprier une histoire commune et de poursuivre ensemble la réflexion.
M. Max Brisson. - Cet amendement bienvenu résulte pour une large part de l'audition de M. Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai Branly - Jacques-Chirac, qui a montré combien chaque procédure visant à éclairer l'histoire d'un objet était l'occasion d'une coopération avec les scientifiques du pays d'origine. Nous sommes bien dans le dialogue des cultures, contrairement à la vision un peu caricaturale que M. Bargeton nous prête.
M. Bernard Fialaire. - Ce qui est inaliénable à mes yeux, c'est la dimension culturelle de certains objets, qui doit être prise en compte à côté de la possession patrimoniale. Je considère que cet amendement permet de faire progresser la réflexion dans cette direction.
L'amendement COM-3 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à renforcer la capacité de réflexion du Conseil national en ouvrant sa composition à une personnalité qualifiée en matière d'archéologie. La présence d'un archéologue paraît utile pour apporter son éclairage sur un certain nombre de biens culturels présents dans les collections publiques. Un tel ajout est sans incidence sur le nombre maximal de membres du Conseil national, qui demeure fixé à douze.
L'amendement COM-4 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement COM-5 tend à rendre possible la nomination d'une personnalité qualifiée au titre de ses compétences en anthropologie. Limiter la composition du Conseil national aux seuls ethnologues pourrait être réducteur, dans la mesure où l'ethnologie représente seulement une partie de l'anthropologie : l'anthropologie est la science de l'homme, tandis que l'ethnologie est la science des peuples.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement COM-6 vise à fixer un délai maximal de quatre mois au Gouvernement pour la publication des mesures réglementaires d'application.
L'objectif est de garantir l'installation rapide du Conseil national une fois la loi promulguée. Il ne faudrait pas que sa mise en place soit bloquée, comme l'avait été celle de la Commission scientifique nationale des collections en son temps. Le décret d'organisation de la commission était paru un an après la promulgation de la loi et la nomination des membres avait requis près de trois années supplémentaires. Il sera important que l'arrêté de nomination des membres du Conseil national soit pris parallèlement au décret d'organisation ou très rapidement après.
M. Lucien Stanzione. - Compte tenu des pratiques des uns et des autres, quatre mois, ce n'est pas un peu court ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Il s'agit de quatre mois après la promulgation de la loi, ce qui laisse largement le temps d'anticiper d'ici là.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Par l'amendement COM-7, je propose une nouvelle rédaction globale de l'article 2. Il s'agit d'un véritable cadre général fixant la procédure et les conditions de restitution des restes humains par l'administration qui en est propriétaire.
Cette rédaction instaure une procédure en deux étapes. La première est destinée à faire automatiquement sortir des collections un certain nombre de restes humains dès lors qu'ils répondent à une série de critères, se traduisant par une inscription provisoire sur un inventaire transmis aux États d'origine de ces restes. La seconde prévoit la restitution par l'administration de ces restes humains lorsqu'elle serait demandée, sous réserve que le retour réponde à une série de conditions supplémentaires.
La procédure doit permettre de poser un cadre clair et transparent aux demandes de restitution portant sur des restes humains et d'accélérer l'identification des cas sensibles au sein de nos collections. Il permettrait de régler un certain nombre de cas sensibles, ainsi que de régulariser a posteriori la mise en dépôt des crânes algériens.
Les critères retenus correspondent à ceux qui avaient été dégagés par le groupe de travail animé par Michel Van Praët ou à ceux qui avaient guidé la procédure de restitution des têtes maories.
Afin de rendre possible la restitution de restes humains d'origine française - le cas est, par exemple, susceptible de se présenter s'agissant des collectivités d'outre-mer -, le dispositif ménage par ailleurs la possibilité d'une demande de restitution émanant d'un groupe humain vivant pour les restes humains d'origine française.
À mon sens, il serait important que le travail qu'auront à engager les institutions muséales sur cette base soit réalisé en partenariat avec les États d'origine, afin de saisir cette occasion pour nouer dès à présent de nouvelles coopérations. C'est ce qui s'était fait pour préparer la restitution des crânes algériens conservés dans les collections du Museum national d'histoire naturelle et les scientifiques ont jugé cette démarche très enrichissante et mutuellement bénéfique.
M. Max Brisson. - Ainsi que nos débats l'ont mis en lumière, la question des restes humains patrimonialisés répondait à une autre logique ethnologique propre. Nos échanges avec le cabinet du garde des sceaux ont été de qualité et ont permis d'améliorer le texte, en le rendant plus pertinent et en simplifiant la procédure. De même, les auditions menées par Mme la rapporteure ont favorisé la rédaction d'un article plus opérationnel.
M. Lucien Stanzione. - . La rédaction de l'alinéa 1° du I mentionnant les restes humains « dûment identifiés » n'est-elle pas trop restrictive ? Idem pour le 3° du I, qui limite le dispositif aux corps humains n'ayant pas fait l'objet de recherches depuis plus de dix ans ? Le 2° du II, qui prévoit que les restitutions ne doivent pas avoir pour objet l'exposition des corps, ne risque-t-il pas d'avoir pour conséquence d'en interdire beaucoup ? Et je m'interroge sur le « processus de coopération », dont la nature n'est pas précisée, mentionné au 3° du II. Si la décision de restituer ou non est laissée aux structures détentrices, existe-t-il un mécanisme susceptible de passer outre qui puisse être réinterrogé par le Parlement ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - De telles questions sont utiles, car elles permettent d'attirer votre attention sur les critères que nous avons établis.
L'objectif n'est pas de restituer tous les restes humains qui demeurent au sein de nos collections. Nous avons souhaité circonscrire le périmètre du dispositif. Il y a par exemple des communautés et des groupes humains contemporains dont les croyances et traditions perdurent, ce qui justifie les demandes de restitution. Les critères que nous avons retenus visent bien à identifier les restes humains qui n'ont rien à faire dans nos collections, d'où la référence à l'absence de recherches scientifiques.
Les crânes n'ont rien à faire exposés dans les vitrines. Nous avions honte que des têtes maories restent dans nos réserves, et il était intolérable d'avoir le cadavre de la Vénus hottentote à la vue de tout le monde. Nous avons ainsi voulu circonscrire le type de restes humains ayant à être dans des collections tant qu'ils ne sont pas réclamés.
Nous avons aussi retenu le critère d'atteinte au principe de la dignité humaine. Je pense aux restes d'humains ayant fait l'objet de violences lors de leur capture ou aux violations de sépulture ; j'ai déjà évoqué les cadavres d'Inuits qui ont été déterrés.
Encore une fois, il s'agit non pas d'ouvrir les collections pour en sortir toutes les pièces, mais d'établir un cadre général précis, dans la continuité des travaux menés par le Sénat sur le sujet.
M. Pierre Ouzoulias. - André Delpuech, directeur du musée de l'Homme, nous a dit tout haut ce que certains de ses collègues souhaitaient sans doute continuer à cacher. Lui-même a procédé à un travail d'inventaire.
Le fait que la décision de restituer ou non relève d'une autorité administrative permet à chacun de saisir le tribunal administratif soit à l'encontre d'une décision, de celle-ci, soit pour défaut d'action.
Le système proposé par Catherine Morin-Desailly est à la fois très élégant d'un point de vue juridique et très solide en pratique. Les conservateurs que nous avons rencontrés, hormis ceux qui ont parfois tendance à confondre les collections avec leurs biens personnels, nous ont précisé que le dispositif ne leur poserait aucun problème de mise en application.
L'amendement COM-7 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Laurent Lafon, président. Je remercie Mme la rapporteure et les deux autres auteurs de la proposition de loi. Nous pouvons tous, me semble-t-il, nous féliciter qu'un tel travail s'inscrive dans la continuité des travaux de notre commission. Je salue également le consensus assez large qui s'est dégagé au sein de notre commission ; cela n'avait rien d'évident compte tenu de la complexité et de la sensibilité du sujet.
Monsieur Bargeton, s'il est vrai que la proposition de loi vient en fin d'année et de mandature, la question des restitutions est encore largement devant nous. Nous pouvons donc nous réjouir d'une telle anticipation des débats à venir. S'il devait y avoir une loi-cadre, nous aurions déjà deux articles opérationnels à y faire figurer.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 11 heures.