- Mercredi 15 décembre 2021
- Recours aux cabinets de conseil pendant la crise sanitaire (le point de vue de l'administration) - Audition de Mmes Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France, et Amélie Verdier, directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France
- Recours aux cabinets de conseil pendant la crise sanitaire (le point de vue des cabinets) - Audition de MM. Charles Boudet, directeur général de JLL France, Olivier Girard, président d'Accenture pour la France et le Benelux, et Laurent Penard, président de Citwell Consulting
Mercredi 15 décembre 2021
- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Recours aux cabinets de conseil pendant la crise sanitaire (le point de vue de l'administration) - Audition de Mmes Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France, et Amélie Verdier, directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France
M. Arnaud Bazin, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une audition conjointe de Mme Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France, et Mme Amélie Verdier, directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France.
Nous avions également convoqué M. Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui n'était toutefois pas disponible. Sa présence devant notre commission d'enquête est confirmée pour le 26 janvier prochain.
Au plus fort de la crise sanitaire, la passation de contrats avec des cabinets de conseil a pu susciter une certaine émotion dans l'opinion publique : acheminement des masques et des tests, création de fichiers de gestion de l'épidémie, politique vaccinale...Les cabinets de conseil sont intervenus sur des pans entiers de la crise.
La facture s'élève à au moins 25 millions d'euros, sans compter les prestations pro bono que des cabinets de conseil ont réalisées à titre gratuit, mais peut-être dans l'attente d'un « retour » de la part de l'administration.
Quel a été le rôle exact des cabinets de conseil dans la gestion de la crise sanitaire ?
Pourquoi notre administration a-t-elle dû s'appuyer sur des cabinets extérieurs pour remplir sa mission de protection des populations ? Est-ce en raison de l'urgence de la situation ou d'un manque de ressources en interne ?
C'est sur ce point que nous souhaitons vous entendre et, plus généralement, sur le recours au conseil privé au sein de l'administration de la santé.
Un sociologue que nous avons auditionné a parlé du « paradoxe du serpent » : les cabinets de conseil inciteraient les acteurs hospitaliers à réduire leurs moyens, pour ensuite chercher de l'expertise dans ces mêmes cabinets de conseil. Ce paradoxe existe-t-il réellement ?
Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite, mesdames, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Geneviève Chêne et Mme Amélie Verdier prêtent successivement serment.
Mme Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France. - Santé publique France a été créée en 2016 pour assurer la surveillance de l'état de santé de la population, pour lancer l'alerte, pour répondre au besoin de créer un environnement favorable à la santé par la prévention et pour concevoir des stratégies de réponse de santé publique. Nos missions concernent également, pour le compte de l'État, la réponse en soutien au système de soins, y compris en situation sanitaire exceptionnelle, en mobilisant la réserve sanitaire et l'établissement pharmaceutique. Ce dernier est chargé de la constitution et de la gestion des stocks stratégiques d'État en produits et matériels de santé, comme les vaccins contre le covid-19.
Pour accomplir ses missions, Santé publique France s'appuie sur 622 agents permanents, qui représentent 579 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et sur près de 90 renforts recrutés en contrat à durée déterminée (CDD) pour la gestion de la crise sanitaire.
Sur le plan de la déontologie, nos agents enregistrent une déclaration publique d'intérêts (DPI), accessible sur Internet et mise à jour annuellement. Il est essentiel qu'une agence scientifique comme Santé publique France, qui intervient en appui des politiques publiques, dispose d'un cadre déontologique très strict. Les contrats de marché public prévoient toujours une clause relative à la déontologie, ainsi qu'une clause de confidentialité.
L'organisation de nos compétences d'expertise est optimisée en interne. En dehors des situations de crise, les crédits consacrés aux prestations de consultants s'élevaient, en 2018, à près de 720 000 euros et, en 2019, à environ 635 000 euros.
Le niveau de mobilisation de consultants reflète le caractère exceptionnel et la complexité de la gestion de cette crise sans précédent. Ces prestations d'appui et de consultance ont essentiellement concerné la logistique et les systèmes d'information, mobilisables en continu. Le montant total des prestations liées au covid-19 s'élevait à 2,8 millions d'euros en 2020 et à près de 5 millions d'euros en 2021.
Quelques chiffres clés illustrent le caractère exceptionnel de l'accomplissement de nos missions sur la période 2020-2021 : le budget annuel de l'agence est passé de moins de 200 millions d'euros en 2019 à 6,2 milliards au titre des autorisations d'engagement et 4,4 milliards au titre des crédits de paiement en 2020, puis à 6,9 milliards d'autorisations d'engagement et 5 milliards de crédits de paiement en 2021.
Sur la seule logistique vaccinale, 127 millions de doses de vaccins ont été expédiées dans les différents flux : hôpitaux, centres de vaccination, médecine de ville. Voilà un an, nous n'avions pas encore administré une seule dose ! Nous desservons 20 000 points de livraison dans les officines, les hôpitaux, les centres de vaccination. Nous détenons aujourd'hui 403 millions de matériels d'injection en stock et assurons le traitement des commandes de vaccins de plus de 87 000 professionnels de santé.
Au-delà de ces volumes inédits, la logistique de réception, de stockage et d'acheminement des vaccins a dû répondre à des contraintes également exceptionnelles : à titre d'exemple, les vaccins devaient être conservés à - 80°C. Cela a nécessité de démultiplier les compétences disponibles en logistique pour définir et adapter en temps réel des circuits de distribution très complexes, notre finalité étant d'atteindre chaque point du territoire en un temps limité.
Nous avons également dû, dans des délais courts, inventer et rendre opérationnels et adaptables, pour une surveillance épidémiologique en temps réel, des systèmes d'information très complexes, tout en étant réactifs à chaque phase de l'épidémie. Les dispositifs de surveillance spécifiques mis en place se sont enrichis pour répondre aux nouvelles questions qui se présentaient.
Les systèmes d'information sont en effet le support indispensable pour les flux de données venant de multiples sources. Ces indicateurs alimentent tous les sites publics, dont TousAntiCovid. Il faut donc pouvoir s'appuyer sur des systèmes robustes et évolutifs.
En cohérence, les prestations de consultance auxquelles nous avons eu recours ont eu pour objet la réalisation de prestations d'appui opérationnel, principalement dans les domaines de la logistique, du contrôle et de l'assurance qualité pharmaceutique, ainsi qu'en gestion de projet informatique. Nous passons soit par une centrale d'achat soit par des appels d'offres et des marchés en direct.
Il s'agit de prestations opérationnelles, essentiellement dans les domaines de la logistique pharmaceutique et des systèmes d'information. Il ne s'agit donc pas de prestations ou d'interventions sur des orientations stratégiques ou la conception de politiques publiques. Ce sont toujours les équipes de Santé publique France qui sont en responsabilité, qui pilotent les activités, qui prennent les décisions. Les consultants, comme les autres renforts contractuels, sont en appui et répondent à des commandes qui leur sont passées. Ils sont évalués de façon quotidienne.
Ces prestations nous apportent une expertise complémentaire, parfois très pointue, pour obtenir tous les éclairages techniques nécessaires dans des délais contraints, par exemple sur des aspects de modélisation logistique. Nos logisticiens analysent bien évidemment ces prestations, qui nous permettent également de démultiplier notre capacité d'intervention en période de crise, dans des délais courts.
M. Amélie Verdier, directrice de l'agence régionale de santé Île-de-France. - Je voudrais tout d'abord souligner que je ne dirige l'ARS d'Île-de-France que depuis le 9 août dernier.
Le secteur de la santé est un secteur très régulé, mais qui ne relève pas d'un monopole de l'État. La part du secteur privé, en termes économiques, est importante. Les dépenses de santé représentent environ 11 % du PIB en France, soit près de 200 milliards d'euros.
Plus que d'autres secteurs, la santé est traversée par des évolutions technologiques très rapides. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons parfois besoin d'une expertise complémentaire et approfondie.
De manière générale, indépendamment de la crise sanitaire, ce secteur a de longue date recours à des expertises complémentaires, qu'il s'agisse de conseil en organisation, d'audits comptables, etc.
L'ARS d'Île-de-France compte un peu plus de 1 100 personnes, auxquelles s'ajoute une centaine de renforts pour assurer les missions nouvelles engendrées par le contexte sanitaire comme le contact tracing. Nous avons fait appel à des contrats à durée déterminée, dont le volume est adaptable. Nous avons également alloué ces renforts au pilotage de la campagne de vaccination.
À aucun moment l'agence n'a recouru à des cabinets de conseil pour prendre des décisions relevant de sa compétence stricte. Les quelques prestations de conseil qui ont été réalisées concernaient des développements informatiques et des besoins ponctuels. Bien souvent, l'urgence de la réponse à apporter ne permettait pas que l'on s'appuie sur une expertise interne.
Le recours accru aux cabinets de conseil ne traduit aucune désaffection pour la fonction publique. Au sein d'une agence régionale de santé, nous disposons de profils très variés : le comité de l'agence comporte des attachés d'administration, des médecins ou encore des pharmaciens inspecteurs. Nous essayons de rassembler l'expertise la plus large possible pour remplir une mission elle-même relativement large. Quand il s'est agi de remplir de nouvelles missions, avec un contenu opérationnel très concret, plus éloigné de nos missions traditionnelles, nous avons fait appel à des renforts humains ponctuels.
Le budget principal de l'agence est d'environ 105 millions d'euros, dont 90 millions de masse salariale. C'est essentiellement un budget de fonctionnement. Sur les quatre dernières années, les achats de prestations externes s'élèvent à 250 000 euros par an dans des champs assez classiques : conseils juridiques dans des contentieux impliquant l'agence, audits, informatique et ressources humaines.
Nous avons également mis au point un outil de prévision des besoins de lits en soins critiques, dénommé STEP. Il s'agit de la principale dépense de l'agence en lien avec un conseil externe. Si cette réflexion préexistait à la crise, l'urgence a entraîné le recours à un prestataire extérieur pour un budget de 1,2 million d'euros. L'agence en a la propriété intellectuelle et peut le faire évoluer.
Nos recours aux prestations de conseil ne me semblent pas illégitimes, dès lors que le besoin est ponctuel et que l'on ne dispose pas d'une expertise suffisante en interne.
En ce qui concerne l'appui à la mise en oeuvre de nos politiques, l'agence régionale de santé peut venir aider, via le fonds d'intervention régional (FIR), des porteurs de projets et faire appel à des consultants. Je pense, par exemple, à la conception de dispositifs d'appui à la coordination entre différents professionnels de santé. La conception même de ces appels à projets, la définition des besoins et la sélection des porteurs sont toujours réalisées directement par l'ARS.
Il a pu arriver aussi que l'agence, dans le cadre de programmes généraux de transformation, finance l'intervention de cabinets de conseil pour aider plusieurs structures à comparer leurs pratiques. Dans ce second champ, qui n'est pas le champ traditionnel de l'agence, les dépenses varient beaucoup selon les années - de plusieurs centaines de milliers d'euros à quelques millions.
Nos agents sont également soumis à déclaration publique d'intérêts.
La gestion de la crise sanitaire est venue percuter l'exercice traditionnel des missions de l'ensemble des agences sanitaires. Les ARS ont été confrontées à des missions nouvelles, notamment en matière logistique, et à des besoins humains nouveaux. Nous avons dû faire appel à des renforts, essentiellement à des personnels contractuels, mais des agents d'autres administrations, et parfois des étudiants, sont aussi venus nous prêter main-forte.
En ce qui concerne la définition stratégique de nos orientations, nous n'avons considéré ni nécessaire ni opportun de recourir à des prestataires extérieurs.
L'agence a régulièrement recours à des prestations ponctuelles à des fins d'expertise. En matière de maîtrise de la donnée et de développement d'outils numériques, l'expertise se trouve souvent dans le secteur privé.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Sur son site Internet, Santé publique France souligne sa capacité d'anticipation « afin de détecter et d'anticiper les risques sanitaires et d'apporter les éléments de décision à la puissance publique ». N'y avait-il pas matière à anticiper en ce qui concerne l'évaluation des stocks de masques au début de la crise sanitaire ? Pensez-vous que ce manque d'anticipation a conditionné le recours à des cabinets privés, notamment Citwell consulting, pour un montant de 2 294 000 euros entre le 12 mars et le 24 septembre 2020 ? Pouvez-vous nous confirmer ces montants ? Peut-on dire que les membres de ces cabinets se sont substitués à vos agents en ce qui concerne la mission de logistique et d'approvisionnement en masques et en équipements de protection individuels ?
Dans son rapport, la députée Véronique Louwagie a relevé que le coût moyen des supports logistiques s'élevait à 11 764 euros par jour sur la même période, pour des contrats conclus à cinq jours d'intervalle. Il semblerait que vous ayez eu recours à des cabinets de conseil pour mener des missions organisationnelles de coordination, qui me paraissent assez étranges. Je pense notamment à la mission confiée au cabinet McKinsey, en décembre 2020, pour mettre à disposition un « agent de liaison positionné majoritairement auprès de Santé publique France et secondairement au ministère de la santé » en vue « d'assurer la coordination opérationnelle sur le volet logistique-approvisionnement-distribution des vaccins ». Comment cette mission s'est-elle déroulée ? N'avez-vous pas les compétences nécessaires en interne pour une mission comme celle-ci, facturée 170 000 euros ? Cela me rappelle une autre audition, au cours de laquelle a été mentionnée une mission de prise de notes confiée à un cabinet pour un montant assez considérable...
Mme Geneviève Chêne. - Je suis directrice générale de Santé publique France depuis fin octobre 2019. J'ai donc géré la crise sanitaire avec l'ensemble des éléments dont je disposais à l'époque. La capacité d'anticipation est à la fois scientifique et opérationnelle. Elle se fonde sur les compétences essentielles de l'établissement pharmaceutique et sur la capacité à mobiliser des prestataires en matière de logistique pharmaceutique et de systèmes d'information. Nous agissons sur les stocks pour le compte de l'État.
Les montants facturés par Citwell découlent, pour nous, du marché passé en juin 2021 sur la base d'un appel d'offres lancé en avril 2021. Nous les montants très précis, nous vous communiquerons bien évidemment tous les éléments dont nous disposons.
En 2020, il me semble que la prestation de Citwell relevait du ministère et non de Santé publique France. De même, le cabinet McKinsey vient en appui du ministère ; ce n'est pas l'un de nos prestataires. Nous avons été en lien avec McKinsey dans le cadre des travaux de la task force mise en place auprès du ministère pour la coordination de la campagne vaccinale. Dans ce cadre, McKinsey a tout à fait pu réaliser des missions de liaison et de coordination avec Santé publique France.
M. Arnaud Bazin, président. - Une mission aurait été confiée par Santé publique France à McKinsey en janvier 2021 pour « l'appui à la mise en place d'une tour de contrôle stratégique » pour un montant de 605 000 euros. De quoi s'agit-il précisément - et pouvez-vous m'expliquer ce qu'est une « tour de contrôle stratégique » ?
Mme Geneviève Chêne. - Nous n'avons pas de contrat avec le cabinet McKinsey. Encore une fois, il s'agit de la mission d'appui du ministère.
M. Arnaud Bazin, président. - Plus généralement, pouvez-vous décrire le paysage des différentes prestations de conseil utilisées par Santé publique France et leur provenance ? J'aimerais savoir ce qui relève des marchés que vous passez vous-même, des marchés du ministère ou encore, par exemple, de l'accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP).
Mme Geneviève Chêne. - Nous n'avons jamais sollicité de cabinets de conseil via l'accord-cadre de la DITP. Nous passons soit par une centrale d'achat, comme le réseau des acheteurs hospitaliers (Resah) pour les appuis conseils sur les systèmes d'information, soit par des appels d'offres ou des marchés en direct.
Le marché lancé en avril 2021 a été attribué à Citwell, en juin de la même année. Nous transmettrons à la commission l'ensemble des éléments dont nous disposons.
Deux secteurs sont prédominants dans ce marché : la prestation d'appui opérationnel en matière de logistique, de contrôle et d'assurance qualité pharmaceutique et un appui conseil en matière de systèmes d'information.
Deux prestataires nous ont appuyé en matière logistique : JLL en 2020 et Citwell en 2021.
M. Laurent Burgoa. - La décision de faire appel à des cabinets de conseil est-elle prise en interne ? Émane-t-elle d'une autre instance ? Le cas échéant, est-elle formalisée par écrit ou seulement exprimée par oral ?
Mme Geneviève Chêne. - Santé publique France dispose de compétences internes clés et socles, en particulier pour ce qui concerne la logistique et les systèmes d'information. Toutefois, c'est dans ces deux domaines que nous avons dû le plus faire appel aux prestataires durant la crise. Nous mobilisons également des renforts au travers des CDD.
Nous pouvons avoir besoin, dans des délais extrêmement courts, de prestations à même d'éclairer nos décisions. Je pense, par exemple, à la modélisation logistique : faut-il ouvrir un dépôt supplémentaire compte tenu des flux de masques en aval et en amont et des besoins de distribution ? Comment optimiser la campagne vaccinale sur l'ensemble du territoire ? Nous avons besoin de compétences pointues, ponctuelles, qui sont assez rares, pour venir en appui de nos équipes et leur permettre de prendre l'ensemble des décisions nécessaires.
En ce qui concerne les systèmes d'information, nous avons à gérer des flux considérables par rapport à l'architecture des données pour produire des indicateurs quotidiens. Il nous faut des systèmes absolument robustes et fiables et donc mobiliser des prestations et des compétences supplémentaires extrêmement pointues.
À certains moments, nous pouvons aussi avoir besoin de surdimensionner les équipes : l'établissement pharmaceutique compte onze permanents - bientôt douze - et trente à quarante renforts en CDD. Les prestations logistiques apportent, quant à elles, quarante à cinquante ETP si nécessaire.
La décision est prise en interne, par la direction générale de Santé publique France, sur la base d'une analyse relevant de nos agents, pour faire face à des besoins logistiques ou pour gérer des systèmes d'information.
Mme Nathalie Goulet. - Vous avez souligné que McKinsey était un prestataire du ministère des solidarités et de la santé, mais j'ai cru comprendre que Santé publique France avait réglé le montant de la facture. Comment le financement est-il réparti quand la demande émane du ministère ?
Sur un autre sujet, quelles dispositions avez-vous prises pour vous prémunir contre tout problème de conflit d'intérêts ?
Mme Geneviève Chêne. - La prestation de McKinsey, effectuée à la demande du ministère, est financée par ce dernier.
Nos marchés publics comportent toujours des clauses spécifiques en termes de déontologie, de confidentialité, de propriété intellectuelle et de protection des données. Le titulaire du marché s'engage à respecter le cadre de référence international des pratiques professionnelles de l'audit interne, qui est le meilleur référentiel possible. Les missions sont ainsi confiées à des consultants dégagés de tout conflit d'intérêts.
M. Arnaud Bazin, président. - Cette réponse ne nous surprend pas, mais vérifiez-vous que ces conditions sont bien remplies ?
Mme Geneviève Chêne. - Je vous le confirme.
M. Jérôme Bascher. - Madame Verdier, il me semble que vous avez bénéficié de renforts, au début de la crise, venus de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF). Cet appui vous a-t-il permis de vous passer des cabinets de conseil ou avez-vous eu besoin de recruter des cadres plus opérationnels eu égard à la charge de travail ?
Vous avez évoqué l'emploi de CDD. Avez-vous pu faire appel à des contractuels pour des postes en informatique ou avez-vous dû recourir à un cabinet de conseil en raison de la pénurie de personnels ? Quel choix était le plus judicieux financièrement ?
M. Amélie Verdier. - Au début de la crise, nous avons reçu le soutien de nombreuses administrations, que je tiens encore une fois à remercier. Beaucoup de personnes ont interrompu leur mission pour nous rejoindre : je pense à des fonctionnaires de l'IGAS, de la Cour des comptes, du tribunal administratif de Paris, aux élèves de l'École polytechnique, de l'École nationale d'administration (ENA)... Les agents de l'ARS eux-mêmes n'ont pas compté leurs heures, leurs soirs, ni leurs week-ends. Cet effort fut remarquable dans la durée.
Durant cette période, à ma connaissance, nous n'avons pas recouru à des cabinets de conseil pour renforcer notre force de frappe ou notre force de travail. Nos missions sont quelque peu différentes de celles de Santé publique France : nous servons d'intermédiaires pour décliner une politique nationale et répartir ensuite des approvisionnements.
Pour ce qui est de l'informatique, il est quasiment impossible de trouver des CDD. Il ne s'agit pas d'un facteur dirimant en soi. C'est l'illustration de la tension particulière de ce secteur. Il a pu arriver que des administrations fassent appel à un prestataire qui dispose de permanents dans ces équipes pour répondre à un besoin ponctuel, faute de trouver une solution sur le marché du travail. Mais je fais ici davantage appel à mes fonctions antérieures pour vous répondre.
L'agence régionale de santé d'Île-de-France, comme les autres ARS, s'appuie, en matière de politique numérique, sur un groupement régional d'appui au développement de la e-santé (GRADeS). Cette structure, qui dispose d'une personnalité juridique, regroupe les acteurs de la région pour faire se rencontrer l'offre et la demande et développer des outils numériques adaptés. Ce GRADeS, transformé en groupement de coopération sanitaire, est dénommé SESAN en Île-de-France. Il développe des outils pour les agents de la région. De petites applications ont aussi été développées durant la crise avec les différents acteurs de santé du territoire, soit à travers SESAN, soit en s'appuyant sur l'ensemble de l'écosystème régional, qui regroupe des acteurs publics et privés, notamment les unions régionales des professionnels de santé libéraux.
M. Sébastien Meurant. - L'outil de prévision STEP, développé par un cabinet de conseil, est-il propre à la l'ARS d'Île-de-France ? Va-t-il être étendu à la France entière au regard de son utilité ?
M. Amélie Verdier. - L'ARS n'a pas demandé à un cabinet de conseil de répondre à ce besoin. Une réflexion interne avait déjà été menée sur la nécessité de croiser des données en santé existantes dans la région pour développer un modèle prédictif. Nous tilisons plusieurs modèles au quotidien. Il nous est très utile de confronter cet outil « ARS » aux outils « AP-HP ». Cette épidémie nous a appris à mettre en regard nos manières de faire.
Pour ce qui concerne les autres agences, je vous répondrai plus complètement par écrit.
Mme Valérie Boyer. - En février 2021, j'avais interrogé le Président de la République sur le recours aux cabinets de conseil. Le secrétaire général de l'Élysée avait transmis ma demande au ministre de la santé, lequel n'y a pas donné suite...
Je ne sais toujours pas, à vous écouter, si vous faites appel à ces cabinets pour compenser un manque de moyens ou s'il s'agit d'un choix. Nous connaissons à peu près le coût des prestations, mais nous ne connaissons pas le contenu des contrats signés ni l'analyse des résultats obtenus. On considère souvent que les sommes en question sont considérables, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, mais on ne dispose d'aucun retour sur les résultats...
M. Amélie Verdier. - Ces prestations étant disséminées au sein de notre action, nous n'avons pas d'équipe dédiée à leur évaluation. Je peux toutefois vous rassurer : une telle démarche d'évaluation existe bel et bien. Nous avons décidé, par exemple, de ne pas retenir une solution SI d'appui logistique pour la distribution des masques qui nous avait été proposée. Chaque ARS a regardé quels étaient ses effectifs et ses logiciels de suivi de stock. Nous avons trouvé l'outil trop complexe et pas assez flexible et avons décidé de ne pas le retenir. D'autres agences ont fait des choix différents.
La gestion de crise est d'abord guidée par l'absolue recherche d'efficacité. Nous n'adoptons pas systématiquement les outils proposés sans nous interroger sur leur utilité.
En ce qui concerne STEP, nous en ferons une évaluation plus complète quand nous aurons un peu plus de recul temporel. Nous sommes propriétaires de cet outil, que nous avons acheté à notre groupement SESAN. Nous sommes globalement satisfaits de la prestation, qui correspondait aux besoins, avec toutes les réserves que l'on peut imaginer s'agissant d'un outil de prédiction utilisant des données très variables.
Mme Geneviève Chêne. - Les missions confiées aux prestataires consistent en un appui à l'évolution de l'architecture des systèmes d'information de Santé publique France afin de recevoir les flux provenant de systèmes conçus pour être exhaustifs. Il faut donc traiter des volumes de données tout à fait considérables, produire des indicateurs chaque jour et les mettre en open data. La crise nous a montré qu'il était essentiel de disposer en temps réel d'indicateurs au plus fin du territoire. Se posent aussi des questions de sécurisation très importantes. Le pilotage est quotidien. J'oserai dire que le résultat se voit à travers l'ensemble des sites publics qui reprennent ces données, notamment TousAntiCovid.
En ce qui concerne l'appui logistique pharmaceutique, un appel d'offres a été publié le 9 avril 2021. Cet appel étant public, vous pouvez retrouver l'ensemble des éléments. L'accord-cadre monoattributaire pour trois lots a été attribué en juin 2021. Il comporte trois volets : un appui opérationnel en logistique et distribution des produits de santé ; un appui à la définition, à l'adaptation et à la mise en oeuvre des processus assurance et contrôle qualité, ce qui est extrêmement important en ce moment très particulier de gestion de la crise ; un appui en accompagnement et gestion de projet.
Le pilotage est quotidien, voire pluriquotidien. Le pilotage de la responsable de l'établissement pharmaceutique consiste en des points journaliers avec les prestataires pour suivre l'ensemble des livrables, leur adaptation à la cinétique de la crise et les faire évoluer, le cas échéant, au jour le jour. Les interactions sont quotidiennes avec l'ensemble des personnels de l'établissement. La politique qualité applicable aux produits de santé est suivie de manière extrêmement exigeante.
Lors du paiement de la commande, conformément aux règles de comptabilité publique, une vérification complémentaire du service fait est effectuée pour l'ensemble des prestations.
M. Patrice Joly. - Madame Chêne, quelle appréciation portez-vous sur la qualité des prestations fournies par McKinsey ? Quelles sont les insuffisances - en raison d'une simple méconnaissance du secteur public, par exemple - que vous avez pu relever ? Que pensez-vous, au final, du rapport qualité-prix ? Était-il possible de trouver des alternatives à ces prestataires extérieurs ?
Mme Geneviève Chêne. - McKinsey n'étant pas notre prestataire, j'ai quelques difficultés à répondre à votre question.
M. Patrice Joly. - J'ai cru comprendre que ce cabinet était intervenu indirectement auprès de vous. Vous avez donc pu avoir une idée de la qualité de la prestation fournie.
Mme Geneviève Chêne. - Dans le cadre de notre coordination avec la task force du ministère, je n'ai pas connaissance de difficultés particulières.
J'ai indiqué comment nous pilotions de manière très étroite nos propres prestataires. Dans le contexte de la cinétique de la crise et de l'ampleur des travaux à mener chaque jour, nous nous sommes efforcés d'identifier quotidiennement les meilleures solutions possible à la fois pour les systèmes d'information et la logistique. Le travail de nos prestataires a permis de servir la santé des Français.
M. Patrice Joly. - Rétrospectivement, diriez-vous que la prestation de McKinsey était de qualité et qu'elle valait le prix demandé ?
Mme Geneviève Chêne. - Si vous le permettez, j'essaierai de vous répondre par écrit. Il ne s'agit pas de mon périmètre : je n'ai pas à évaluer McKinsey, qui n'est pas mon prestataire. Il faut poser cette question au donneur d'ordre de ce cabinet.
M. Arnaud Bazin, président. - Nous n'y manquerons pas.
M. Mickaël Vallet. - Vous avez indiqué que Santé publique France ne faisait que rarement appel à un cabinet extérieur. Mme Verdier a, quant à elle, utilisé l'adjectif « marginal » pour qualifier le recours de l'ARS à ces cabinets conseil.
Pour autant, des articles d'universitaires sérieux évoquent l'existence d'une « consultocratie hospitalière ». Où McKinsey et autres cabinets interviennent-ils dans le domaine de la santé ? Vous avez toutes les deux une expérience et une vision de ce que font les établissements hospialiers. Pourriez-vous nous donner une idée de la proportion de l'activité de ces cabinets dans le secteur de la santé ?
M. Stéphane Sautarel. - Quelle est part de ce qui est externalisé dans le secteur opérationnel ? Est-ce une façon de compenser un manque de ressources internes ou s'agit-il d'une stratégie ?
Je m'interroge également sur le pilotage, le contrôle et la maîtrise de ce qui est confié à ces prestataires. Il semble difficile pour l'organisme d'évaluer le service rendu quand il n'en assure pas la rémunération...
Mme Valérie Boyer. - On compare souvent le coût des prestations de la sécurité sociale à celui des mutuelles, la sécurité sociale étant beaucoup moins chère au regard du nombre de personnels et du volume traité. Avez-vous essayé de comparer le coût des prestations des cabinets conseil avec celui des services de l'administration, au sens classique du terme ?
M. Amélie Verdier. - Une des particularités de notre secteur est de mélanger des opérateurs publics et privés. Il est difficile, pour l'agence régionale de santé, qui est le régulateur de l'ensemble, de considérer que des outils seraient disponibles pour certains et non pour d'autres.
Nous sommes en train de finaliser la stratégie régionale d'investissement du Ségur de la santé. Un hôpital ne rénove pas son bâti entièrement tous les jours. Dans ces conduites de projet, des phases de mise en oeuvre suivent les phases de conception. Il est très fréquent de faire appel à des cabinets de conseil pour élaborer des programmes techniques détaillés avec une expertise immobilière qu'un établissement ne possède pas forcément. Il peut aussi arriver de faire appel à des consultants pour faire travailler ensemble différents prestataires.
L'éclairage d'un tiers, qui produira d'autres analyses que celles qui émanent de la structure elle-même, peut s'avérer utile. Selon les cas, l'État, les pouvoirs publics ou les collectivités territoriales ne disposent pas en interne d'une expertise suffisamment pointue sur un domaine précis. Il ne s'agit pas de définir la stratégie à leur place, mais de leur fournir des éléments de comparaison, par exemple de coûts standards.
Sur un plan plus opérationnel, notamment pour de gros investissements hospitaliers, il n'est pas forcément légitime de disposer de certains équipements de manière permanente dans un établissement. Il existe d'ailleurs des formes de consultance publique et de mutualisation publique d'un certain nombre d'expertises. Dans d'autres cas, il peut être pertinent de se reposer sur une offre privée.
Il me semble qu'il faut être attentif à ne pas être captif d'un consultant ou d'un prestataire, en externalisant, par exemple, une partie de ses fonctions principales. En revanche, dans le cas d'un besoin non récurrent ou pour une expertise qu'il n'est pas pertinent de développer en interne, il peut être légitime de recourir à la consultance.
L'agence régionale de santé a aussi un rôle de tutelle vis-à-vis des établissements de santé et des établissements médico-sociaux. À ce titre, le recours à la consultance est l'un des éléments qui peuvent être examinés dans le cadre de la vérification des comptes.
Mme Geneviève Chêne. - Santé publique France a fait le choix d'externaliser l'appui logistique et les systèmes d'information. La liste des missions qui ont été externalisées a été rendue publique dans le cadre du marché qui a été passé.
Je partage les propos de la directrice générale de l'ARS : un établissement public ne peut pas être dimensionné pour faire face à une crise exceptionnelle.
En tant que directrice générale de Santé publique France, je peux témoigner de la mobilisation très forte de l'ensemble des agents de cette instance, auxquels je souhaite rendre un hommage appuyé, mais aussi du ministère des solidarités et de la santé et de toutes les structures de l'État. La décision de l'État a pu s'appuyer sur les compétences et l'expertise de l'ensemble de ses agents.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Nous saluons toutes et tous le travail qui a été effectué avec abnégation par les fonctionnaires de l'État, des collectivités territoriale et de la fonction publique hospitalière, et nous ne sous-estimons pas l'ampleur de la crise sanitaire qui, malheureusement, se poursuit, avec des conséquences peut-être tout aussi graves.
Notre propos n'est pas de remettre en cause l'appel à des cabinets de conseil privés dès lors qu'il s'agit d'éclairer l'action publique. Mais, au cours de nos travaux, nous avons constaté qu'il y a parfois ingérence des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques et que les sommes dépensées sont considérables. Or, il s'agit d'argent public.
Nous sommes en droit de nous interroger sur ces deux aspects, sans parler de la question de la souveraineté de notre pays, qui peut également se poser.
J'entends vos propos, madame Chêne, mais je me demande malgré tout comment Santé publique France trouve son rôle dans cet enchevêtrement de strates de décision et de mise en oeuvre. Je ne remets pas en cause vos compétences, mais j'avoue que c'est assez peu lisible pour moi.
Santé publique France a tout de même été vivement critiquée, notamment par l'ex-ministre de la santé et d'autres acteurs du secteur médical. Cela nous conduit à nous poser la question d'éventuelles défaillances qui auraient entraîné le recours à des cabinets de conseil privés pour intervenir dans des choix stratégiques en matière de politiques publiques, particulièrement dans la santé.
Je crois savoir que plusieurs contrats ont été confiés au cabinet Accenture pour développer des systèmes d'information...
Mme Geneviève Chêne. - Non, nous n'avons pas de contrat avec Accenture.
M. Arnaud Bazin, président. - Madame Chêne, vous avez indiqué que vous aviez eu des besoins spécifiques en matière de distribution. Je suis parfaitement conscient que la logistique est une discipline en elle-même et que cette compétence n'est pas nécessairement disponible dans toutes les administrations. Il nous serait toutefois très utile que vos réponses écrites nous permettent de comprendre spécifiquement en quoi le niveau de complexité a pu justifier le recours à la consultance par une administration qui compte 622 agents et de nombreuses compétences.
Comme l'a rappelé Mme la rapporteure, il ne s'agit pas de remettre en cause le recours à des cabinets de conseils, mais, au vu des montants engagés, d'en comprendre la nécessité.
M. Amélie Verdier. - Je souhaite insister sur fait que dans un contexte de crise, les administrations ont dû apporter des solutions d'urgence. Toutes vos questions sont par définition pertinentes, mais il me semble que l'on ne peut pas apprécier exactement de la même manière le recours à la consultance en général et dans un contexte de crise.
L'ARS, et plus encore Santé publique France, se sont trouvées dans des situations d'urgence difficilement imaginables. Il appartiendra à la représentation nationale de commenter leurs résultats, mais il me paraît important d'insister sur la nécessité d'adopter une grille de lecture différente pour une telle situation.
M. Arnaud Bazin, président. - Nous avons bien compris que le recours à la consultance pouvait être motivé par un impératif soit de qualité, lié à l'indisponibilité d'une compétence, soit de quantité, lié à un contexte de crise. Nous attendons simplement que tout cela soit explicité.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Recours aux cabinets de conseil pendant la crise sanitaire (le point de vue des cabinets) - Audition de MM. Charles Boudet, directeur général de JLL France, Olivier Girard, président d'Accenture pour la France et le Benelux, et Laurent Penard, président de Citwell Consulting
M. Arnaud Bazin, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions avec le point de vue des cabinets de conseil sur leur intervention pendant la crise sanitaire.
Nous accueillons M. Olivier Girard, président d'Accenture pour la France et le Benelux, M. Charles Boudet, directeur général de JLL France, et M. Laurent Penard, président de Citwell Consulting.
Il s'agit de la première audition de cabinets de conseil par notre commission d'enquête. Nous souhaitons mieux comprendre les formes que peut prendre votre intervention auprès de l'État d'une manière générale et la teneur de vos prestations pendant la crise sanitaire en particulier.
Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat.
Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite, messieurs, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Olivier Girard, Charles Boudet et Laurent Penard prêtent successivement serment.
M. Olivier Girard, président d'Accenture pour la France et le Benelux. - Je vous remercie de me recevoir en ma qualité de président d'Accenture France, fonction que j'occupe depuis trois ans.
En toute transparence, il s'agit pour moi d'une première. Je n'ai en effet jamais eu l'occasion de participer à un exercice de ce type. J'espère donc pouvoir compter sur votre bienveillance en cas d'hésitation momentanée.
De mon côté, je vais m'employer à vous apporter de la manière la plus claire possible des éléments de réponse complets sur les activités d'Accenture en France, notamment sur les activités liées à nos prestations au service de l'État.
Par ailleurs, j'ai conscience que nous pouvons avoir une tendance au jargon. Aussi, je vous invite à m'interrompre à tout moment si mon propos manque de clarté.
Mon propos liminaire s'articulera autour de la présentation d'Accenture France, de notre action au service du secteur public et, plus précisément, du rôle joué par Accenture au cours des derniers mois, dans le cadre de la crise sanitaire.
De manière synthétique, nous sommes des experts en technologies. Nous accompagnons nos clients dans la conduite de leurs activités, depuis la conception d'un logiciel jusqu'à son développement et son déploiement. Nous mettons à la disposition de nos clients des experts qui maîtrisent chaque aspect et chaque étape d'un projet de déploiement d'une nouvelle technologie.
Je prendrai un exemple illustrant la complexité du type de missions que nous pouvons être amenés à réaliser. Les grandes entreprises qui sont clientes d'Accenture utilisent dans la conduite de leurs activités plusieurs centaines, parfois plusieurs milliers d'applications différentes. L'ensemble de ces systèmes ne sont souvent pas conçus pour communiquer et fonctionner entre eux : ils ne sont pas intégrés, ou interopérables, et ils ne peuvent donc pas échanger d'informations.
Notre mission peut se résumer ainsi : concevoir et réaliser l'intégration des technologies au sein d'organisations grâce à la mise à disposition d'experts.
Nous sommes présents en France depuis quarante-cinq ans. Nous y réalisons un chiffre d'affaires de 1,6 milliard d'euros grâce à nos 7 500 collaborateurs répartis au sein de 25 sites, sur l'ensemble du territoire national. Notre ambition est de poursuivre ce mouvement, avec le recrutement de 2 000 personnes par an pour atteindre 10 000 collaborateurs à la fin de l'année 2022. Nous avons d'ailleurs poursuivi cette démarche tout au long de la crise sanitaire en maintenant notre dynamique de recrutement, sans avoir recours aux aides de l'État pendant cette période.
Enfin, et même si ce n'est pas l'objet de notre échange aujourd'hui, je tiens à mentionner la volonté d'Accenture d'être reconnu à la fois comme un expert des transformations technologiques, mais également comme un employeur responsable et un acteur engagé au coeur des territoires. La Fondation Accenture, dont j'espère pouvoir développer l'action, a été créée il y a vingt-cinq ans.
Notre chiffre d'affaires annuel auprès du secteur public s'élève à un peu moins de 10 % de notre chiffre d'affaires global en France, soit 160 millions d'euros. Ce chiffre a progressé de manière linéaire au cours des dernières années avec, il faut le noter, une accélération au cours de l'année 2020 en raison des projets spécifiques liés à la gestion de la crise sanitaire.
La capacité d'Accenture à travailler sur ces domaines est fondée sur trois piliers : des expertises techniques et sectorielles reconnues, des expertises méthodologiques fiables et des équipes compétentes et engagées qui ont parfaitement conscience des devoirs d'exemplarité et de sérieux qui s'imposent lorsque leurs missions sont effectuées au service de l'État.
Je donnerai deux exemples des expertises techniques et sectorielles : d'une part, la maîtrise des principes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et, d'autre part, la connaissance des normes et des standards d'échanges de données entre les différents fournisseurs de santé à l'échelle européenne - norme FHIR, pour Fast Healthcare Interoperability Resources.
Une de nos missions importantes pour l'État fut la mise en oeuvre du service en ligne de télédéclaration des revenus, qui concerne chaque année 30 millions de foyers.
J'en viens à notre travail dans le cadre de la crise sanitaire.
Je souhaite tout d'abord partager avec vous notre fierté d'avoir contribué, dans une dimension mesurée bien entendu, à l'effort collectif dans un moment si particulier pour notre pays.
Le démarrage de notre intervention a coïncidé avec le lancement des travaux sur la future campagne vaccinale. Le ministère des solidarités et de la santé, par l'intermédiaire de son pôle modernisation, a transmis à Accenture, le 3 novembre 2020, une expression de besoins pour une étude relative à la mise en oeuvre du système d'information spécifique au programme de vaccination.
L'arrivée des premiers vaccins était prévue pour début janvier 2021. Il était donc nécessaire que le système d'information associé réponde à des fonctionnalités essentielles pour lancer la campagne de vaccination : envoi de courriers pour inviter les patients éligibles à se faire vacciner, enregistrement de la vaccination, traçabilité des événements indésirables, chaîne logistique, etc.
À la suite de cette expression de besoins, nous avons élaboré un devis dans le cadre du lot n° 1 du marché de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) qui, une fois accepté par le ministère, nous a conduits à mobiliser une équipe de trois à quatre personnes dotées des compétences nécessaires.
Cette équipe s'est concentrée principalement sur deux aspects de la lutte contre l'épidémie de covid-19 : le déploiement du système d'information lié à la mise en oeuvre de la stratégie vaccinale et le déploiement du système d'information lié à celle du passe sanitaire.
Le rôle d'Accenture s'articule en trois temps : le temps de la conception, qui nous a amenés à participer à l'élaboration de schémas directeurs, d'études de cadrage sur des fonctionnalités spécifiques, notamment logistiques, et d'une étude de pérennisation du système d'information ; un temps de mise en oeuvre opérationnelle, qui est celui de rédaction de spécifications techniques et d'organisation de campagnes de tests ; et un temps d'analyse de la donnée, notamment en renfort auprès de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES).
Il est essentiel de noter qu'Accenture ne participe pas à la réalisation de ces systèmes d'information.
Ces missions ont participé à la mise en oeuvre, en un temps record, de systèmes qui permettent, entre autres, d'assurer la gestion de la campagne de vaccination, notamment les services de prise de rendez-vous, le suivi des effets indésirables, la gestion logistique, le bon fonctionnement de l'application TousAntiCovid et, enfin, l'interopérabilité avec les systèmes européens pour permettre le déploiement du passe sanitaire entre les différents pays.
Sur un volet plus administratif, nos missions en lien avec la gestion de la crise sanitaire s'effectuent sur le fondement de deux véhicules contractuels : le lot n° 1 de l'accord-cadre de la DITP et le lot n° 6 de l'accord-cadre de l'UGAP.
Permettez-moi d'exposer le déroulé de la première semaine de notre intervention. Le 5 janvier 2021, le ministre de la santé a annoncé une accélération du rythme de la vaccination. Il est notamment décidé que les centres de vaccination devront être équipés d'une solution de prise de rendez-vous en ligne opérationnelle une semaine plus tard, soit le 13 janvier 2021.
Dans ce cadre, nos experts ont identifié et instruit différentes options pour la mise en place de la prise de rendez-vous au sein du système d'information de la vaccination - une solution nationale via la contractualisation avec des acteurs privés établis, une autre solution nationale via le lancement d'un outil public et la mise en visibilité de solutions existantes via le portail national sante.fr. Le ministère a retenu la première solution pour répondre à l'urgence.
Entre le 6 et le 8 janvier, nos experts ont contribué à la rédaction du cahier des charges informatique, comprenant notamment les fonctionnalités requises, les modalités d'interconnexion, les exigences de sécurité, de performance et de disponibilité du service.
Les 11 et 12 janvier, nous avons participé aux tests techniques entre les systèmes, et, le 13 janvier, le Premier ministre a annoncé l'ouverture du dispositif le 14 janvier au matin. Le délai était tenu.
Enfin, je tiens à préciser que les exigences déontologiques sont au coeur de toutes nos missions. Au-delà des réglementations qui s'appliquent à notre métier, elles sont définies dans notre code éthique qui couvre l'ensemble de nos activités, la gestion des carrières de nos collaborateurs et nos rapports avec nos clients.
Nous disposons ainsi de processus internes qui nous permettent de garantir que l'ensemble de nos activités sont réalisées conformément aux règles et bonnes pratiques applicables.
M. Laurent Penard, président de Citwell Consulting. - Citwell Consulting est l'un des cabinets les plus reconnus en France dans le domaine de la supply chain. Nous intervenons au niveau logistique, pour assurer les flux d'approvisionnement et les flux de production.
Nous sommes un cabinet français, avec des actionnaires français et nous payons nos impôts en France. Ce n'est pas le cas de tous les cabinets. Je tiens à le souligner.
Le cabinet existe depuis 2004 et compte environ 70 collaborateurs. Jusqu'en 2020, nous n'avions effectué aucune mission pour l'État.
Du fait de notre notoriété, nous avons été appelés au tout début de la crise des masques par la cellule de crise du ministère de la santé, qui cherchait à se renforcer dans le domaine de la logistique. Nous sommes venus à un rendez-vous et avons fait une proposition commerciale d'un montant de 50 000 euros qui a convenu tout de suite.
Nous avons donc démarré notre mission le plus vite possible, en plein confinement. Celle-ci consistait à gérer le flux d'approvisionnement de masques qui allaient débarquer très vite d'Asie : on ne savait pas où stocker ces masques, comment opérer le flux ni comment le répartir entre les établissements de soins.
Il s'agissait donc d'une mission de schéma directeur comme celles que nous effectuons pour nos clients privés, mais dans un délai extrêmement court et en plein confinement. Beaucoup de nos autres clients ayant arrêté toute activité, nous avions beaucoup de personnels disponibles. Nous avons fait appel aux bonnes volontés de nos bureaux de Paris, Lyon et Nantes pour venir quotidiennement au ministère de la santé, à la cellule de crise, dans la salle Simone Veil si je me rappelle bien. Nous avons travaillé de longues heures pour monter l'ensemble des outils et des processus nécessaires pour passer les commandes, sous l'autorité du général Chassac.
Nos équipes ayant donné satisfaction, nous avons enchaîné sur une nouvelle mission, cette fois pour gérer les flux de médicaments, notamment de réanimation, et les équipements de protection individuels. Après l'été, nous sommes passés à une phase nommée « consortium », avec comme objectifs la transmission de notre savoir-faire et la pérennisation des outils et tableaux de bord mis en place. Cette mission s'est terminée en novembre 2020.
Nous pensions en avoir fini, alors que nos clients habituels reprenaient leurs activités. Nos équipes, que je tiens à saluer, étaient épuisées. Plusieurs de nos collaborateurs, qui prenaient les transports en plein confinement, avaient contracté le covid-19.
Il y a un an presque jour pour jour, la cellule de crise nous a de nouveau appelés pour nous proposer une mission sur les vaccins. Tout était à faire. Il fallait construire toute la logistique : on ne savait pas où commander les congélateurs, où stocker les vaccins, etc. Il fallait livrer les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Or, nous n'avions pas de base de données des Ehpad. On ne connaissait pas leur adresse ; on n'avait pas la liaison entre les officines et les Ehpad. Il y avait des équipes très limitées chez Santé publique France : il fallait apporter des outils, des méthodes et constituer les schémas logistiques.
Ces missions ont représenté 20 à 25 % de notre chiffre d'affaires en 2020. Cette année, nous dépasserons largement les 10 millions d'euros, sachant que les missions relatives à la logistique des vaccins représentent 30 à 35 % et que pour faire face à l'intensité des sollicitations, nous avons fait appel à des sous-traitants ou à des co-traitants. Nous sommes toujours en difficulté aujourd'hui pour répondre à la demande.
M. Charles Boudet, directeur général de JLL France. - JLL France est un groupe de conseil spécialisé dans l'immobilier d'entreprise, avec une palette très large de métiers.
Le groupe compte environ un millier de collaborateurs en France, où il fête ses cinquante ans cette année. Nous avons des métiers de la transaction, des métiers du conseil, des métiers du design and build, c'est-à-dire une activité de contracteur général pour l'aménagement des bureaux. Nous assurons aussi des fonctions de conseil dans les différentes classes d'actifs, y compris dans la logistique.
Notre chiffre d'affaires en France est de l'ordre de 400 millions d'euros - 425 en 2019, autour de 350 en 2020. Nos missions pour l'État représentent 2,8 % de notre chiffre d'affaires en 2019 et 2 % en 2020.
Dans le cadre de la crise sanitaire, nous avons été sollicités pour quatre missions bien précises, qui sont aujourd'hui terminées. Nous n'avons pas aujourd'hui de mission en cours avec l'État.
En avril 2020, nous avons apporté un support opérationnel pour la distribution des masques. Nous avons dépêché une personne dans chacun des sept lieux de consignation, deux personnes en central, et quatre auprès de la cellule de crise. L'idée était de fiabiliser les stocks - nous étions alors en période de pénurie. Nous avons apporté un support très opérationnel pendant deux mois pour assurer la bonne remontée d'informations entre les consignataires et la cellule de crise pour que celle-ci puisse prendre les bonnes décisions.
Nous avons ensuite été mandatés pour vérifier la technicité et la faisabilité opérationnelle des schémas logistiques proposés pour passer d'une logique liée à la disponibilité des stocks à une logique centrée sur la demande des différentes entités de santé. C'était une petite mission qui a duré un mois, avec seulement deux personnes dépêchées et pour un montant de 60 000 euros TTC.
Certaines de nos recommandations portaient sur la segmentation des clients pour avoir un schéma logistique optimal pour les équipements de protection individuels, dont font partie les masques. Il a finalement été décidé de mettre en oeuvre trois types de schémas logistiques : les répartiteurs géraient l'approvisionnement des pharmacies, Santé publique France gérait l'approvisionnement des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et nous avons été sollicités pour gérer les approvisionnements des établissements médico-sociaux (EMS), dans le cadre d'un consortium avec des centrales d'achat et La Poste. Nous avons travaillé au déplacement du stock stratégique de Santé publique France vers le consortium pour fournir cette troisième catégorie de clients. Il fallait gérer les quantités, le type de commandes, le type de livraison : en logistique, les commandes par palettes diffèrent des commandes en plus petite quantité. Tout ça, ça s'étudie.
Enfin, nous avons été sollicités dans le cadre de la distribution des vaccins pour mettre en place une logistique sous contrainte, à cause des délais et des caractéristiques des vaccins. Encore une fois, nous avons dépêché des personnels chez les consignataires pour assurer une remontée d'informations fiables et donc une distribution efficace dans un moment de crise.
Les chiffres qui ont été publiés correspondent globalement à notre intervention, sous réserve de quelques écarts.
Comme vous l'avez compris, l'État n'est pas un client structurel ou significatif de notre cabinet, mais nos équipes ont été très fières de pouvoir travailler sur ces dossiers en plein confinement.
L'éthique est une de nos valeurs primordiales. Chaque employé signe à son arrivée un code d'éthique visant à prévenir les conflits d'intérêts et l'utilisation de l'argent issu du terrorisme ; il reçoit chaque année une formation sur cette thématique.
Enfin, dans le cadre de la préparation de cette audition, nous avons vérifié, et nous n'avons pas d'ancien fonctionnaire parmi nos 1 000 collaborateurs.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Le cabinet JLL est basé aux États-Unis et Accenture en Irlande. Est-ce que cela a des conséquences sur le droit applicable au traitement et à la conservation des données, par exemple au regard du Cloud Act américain ? Est-ce que cela a des conséquences sur les impôts payés en France par vos sociétés ?
M. Olivier Girard. - Accenture France fait partie d'un groupe international, mais c'est une société française depuis quarante-cinq ans.
À ce titre, nous payons nos impôts sur le territoire français. Par ailleurs, toutes les missions que nous effectuons pour l'État sont soumises au code des marchés publics.
M. Charles Boudet. - Nous sommes en France depuis cinquante ans, nous y payons nos impôts et tous nos salariés sont soumis au droit français.
Par ailleurs, la question de la conservation des données étant sensible pour l'État comme elle l'est pour l'ensemble de nos clients, nous avons mis en place toutes les procédures nécessaires pour que la gestion des données soit localisée dans les pays où nous les traitons. Toutes les données européennes sont stockées en Europe.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Monsieur Girard, sur combien de systèmes d'information êtes-vous intervenus ? Pouvez-vous les nommer ? L'application TousAntiCovid entre-t-elle dans votre champ d'intervention ? Pouvez-vous nous présenter votre intervention sur les autres dispositifs informatiques, notamment sur le système d'information du passe sanitaire, les fichiers de vaccination et le système d'information « SI logistique » ?
Quelles sont vos relations avec la direction interministérielle du numérique (Dinum) ?
M. Olivier Girard. - Nous vous répondrons précisément dans la note écrite sur le nombre de systèmes d'information sur lesquels nous sommes intervenus.
Dans le cadre de la gestion de la crise, nous n'avons pas construit de système. Nous avons participé, avec une équipe de cinq à dix personnes, à des travaux en amont de la construction du système : des spécifications, des plans de test, des plans d'interfaçage.
Nous n'avons développé ni TousAntiCovid ni le système d'information du passe sanitaire. En revanche, nous avons construit des spécifications qui permettent de faire parler les systèmes, notamment à l'échelle européenne. Nous ne sommes pas intervenus sur le codage dans le cadre de cette mission. Par ailleurs, nous travaillons effectivement avec la Dinum.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Monsieur Penard, pouvez-vous nous indiquer en quoi votre cabinet de conseil est-il plus performant que l'État dans l'organisation logistique ?
M. Laurent Penard. - Toute entreprise fait aujourd'hui appel à du conseil. Amazon ou Decathlon font appel à du conseil, et pourtant, ils ont des spécialistes de la logistique.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Mais nous parlons ici de politiques publiques...
M. Laurent Penard. - Je ne sais pas pourquoi l'État n'a pas de spécialistes de la logistique. De fait, les agents de l'État qui étaient affectés aux missions sur lesquelles nous avons travaillé étaient compétents, mais peu nombreux sur ces sujets-là et ravis d'être accompagnés par des collègues de travail, qui leur disaient comment améliorer les solutions. Il ne me paraît pas irréaliste que l'État français ne sache pas opérer des supply chain mondiales. À quoi serviraient des services de l'État qui seraient en permanence sur cette question ?
Pour notre part, nous avons beaucoup de mal à recruter et à former nos spécialistes. Ce sont des collaborateurs qui veulent des projets attrayants, qui ont des connaissances de méthode et qui sont compétents car ils travaillent dans beaucoup d'environnements.
M. Stéphane Sautarel. - Ma question concerne MM. Penard et Boudet. Je m'interroge sur la manière dont la commande publique a été passée. Vous avez évoqué des commandes en cascade, une première commande en suscitant d'autres pour satisfaire un besoin existant. Mais quel a été alors le vecteur de la commande ? Vous avez également déclaré avoir été « sollicités » ; or, normalement, la commande publique repose sur des appels d'offres...
M. Laurent Penard. - J'ai décrit la manière dont la première commande est arrivée. Je pense que cette cascade de commandes s'explique par le contexte d'urgence et de crise.
Santé publique France a ensuite lancé un appel d'offres, que nous avons remporté en avril ou en mai 2021 avec BearingPoint, JLL étant sous-traitant. Nos prestations depuis le 15 juillet s'inscrivent dans ce cadre.
M. Stéphane Sautarel. - Dans un premier temps, il n'y a donc pas eu de mise en concurrence. Cela peut s'expliquer par l'urgence.
M. Arnaud Bazin, président. - Ou par le montant de la prestation.
M. Girard a indiqué que le cabinet Accenture est d'abord intervenu par l'accord-cadre de la DITP puis par le biais de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP). Y-a-t-il d'autres éléments ?
M. Olivier Girard. - Non. Ce sont les deux véhicules par lesquels nous sommes intervenus.
M. Charles Boudet. - C'est parce que nous avions fait l'acquisition en 2019 d'un cabinet de conseil en supply chain que nous avons émergé, lors de la première mission sur les masques, comme sous-traitants ; nous avons dès lors été repérés et c'est pourquoi on nous a sollicités par la suite, lorsque d'autres besoins sont apparus.
M. Arnaud Bazin, président. - Toujours comme sous-traitants ?
M. Charles Boudet. - Je vérifierai.
M. Arnaud Bazin, président. - Si vous n'étiez pas sous-traitants, vous avez dû répondre à un appel d'offres...
M. Charles Boudet. - Dans l'état de mes connaissances, nous n'avons pas répondu à un appel d'offres et il me semble que notre mission s'inscrivait dans un cadre de l'urgence impérieuse. Je vous répondrai plus précisément par écrit.
Mme Nathalie Goulet. - Monsieur Girard, vous êtes président d'Accenture pour la France et le Benelux. J'ai bien compris que votre société payait ses impôts en France, c'est très bien, mais s'agit-il de tous les impôts ? Comment fonctionne votre politique de dividendes ? Reversez-vous une partie des revenus à une société mère qui serait installée ailleurs, par exemple au Luxembourg ? Pourriez-vous nous donner plus de précisions sur la structure fiscale de l'entreprise ?
Monsieur Boudet a parlé de « segmentation des clients ». Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?
M. Olivier Girard. - La réponse est très simple : Accenture France paie ses impôts en France. Je vous fournirai plus de précisions, si vous le souhaitez, par écrit. Accenture France a des revenus en France, signe des contrats dans ce pays, avec des clients français.
M. Charles Boudet. - S'agissant de la segmentation des clients, un schéma logistique dépend de la fréquence des commandes, de leur volume moyen et des capacités de stockage. Amazon, par exemple, prend votre commande et vous livre en quelques heures. Si vous allez dans un autre magasin, un autre schéma logistique s'appliquera.
Dans le cas d'espèce, les clients qui participaient à la chaîne de production et de distribution des équipements de protection individuelle avaient des besoins logistiques différents : les pharmacies commandent le matin pour être livrées l'après-midi ; les groupements hospitaliers de territoire (GHT) commandent par palettes, à la différence des petits hôpitaux qui n'ont besoin que de quelques cartons, etc. Pour assurer la qualité de service, au meilleur coût, nous avons donc préconisé des schémas logistiques différenciés.
Mme Nicole Duranton. - Les projets de transformation que vous avez menés dans de grands groupes industriels sont-ils différents de ceux que vous avez réalisés pour l'État ?
Un cabinet de conseil est-il plus influent lorsqu'il intervient dans la phase de conception d'une politique publique ou bien lors de sa mise en oeuvre ?
M. Laurent Penard. - Tout dépend de la temporalité. Une entreprise qui nous consulte parce qu'elle réfléchit à sa manière d'aborder ses marchés et ses clients va prendre le temps d'exprimer ses besoins avec ses directions commerciales et marketing. Il peut s'agir de modifier ses modalités de transport ou de stockage. Ces schémas s'inscrivent souvent dans la durée : il faut fermer ou ouvrir des sites, redéployer des équipes, etc. Cette phase de réflexion prend du temps. Ensuite, il faut opérer la transformation, accompagner les équipes. Là encore, cela peut prendre plusieurs années. Mais on constate que ces délais ont fondu car les entreprises ont dû revoir leurs chaînes logistiques très rapidement pour faire face à la fermeture de certains marchés et à l'indisponibilité de certaines sources d'approvisionnement.
Cette situation présente beaucoup de similitudes avec celle que l'on a observée pendant la crise sanitaire. Le vaccin d'AstraZeneca, par exemple, devait être livré de manière massive, mais il ne l'a pas été. Nous avons donc dû revoir au dernier moment le schéma de répartition des flacons lorsque nous avons appris que les volumes livrés seraient très inférieurs à ceux qui avaient été promis. Plusieurs scénarios ont été proposés à la cellule de crise. Il a fallu refaire les calculs en urgence, en lien avec les agences régionales de santé, pour déterminer les volumes que l'on pouvait livrer à chaque médecin ou pharmacie. Il convenait de prendre des décisions en quelques heures, alors que cela prend des jours en temps normal. Les réunions du comité de pilotage duraient jusque tard dans la nuit pour préparer les scénarios destinés à être présentés à la cellule de pilotage le lendemain.
Mme Nicole Duranton. - Monsieur Boudet, vous avez travaillé en Allemagne et en Russie. Quelles sont, selon vous, les différences en matière d'interaction entre le public et le privé dans la définition des politiques publiques ?
M. Charles Boudet. - Je ne sais pas répondre à cette question. Nos interactions avec le secteur public restent assez limitées en France. En Allemagne, j'étais responsable de la supply chain de Danone, tandis qu'en Russie, si j'avais rejoint JLL, je ne travaillais pas avec l'État.
Pour répondre à votre première question, un cabinet de conseil a beaucoup plus d'influence lorsqu'il intervient dans la phase de conception d'une politique publique. Or, toutes les missions que nous vous avons décrites concernaient la mise en oeuvre opérationnelle. Les décisions étaient prises par une cellule de crise. JLL France aidait les exécutants à les mettre en oeuvre.
Mme Nathalie Goulet. - Avez-vous suscité des vocations dans les administrations avec lesquelles vous avez travaillé ? Des personnes ont-elles été formées, des services ont-ils été créés pour pallier les failles que vous avez identifiées ? Ou bien le recours aux cabinets privés a-t-il vocation, selon vous, à perdurer ?
M. Charles Boudet. - Dans la mesure où nous sommes dans une période de fort recrutement, j'espère que nous avons suscité des vocations. On sera ravi d'accueillir ces talents dans nos équipes...
En tant que chef d'entreprise, je n'essaye pas de posséder en interne toutes les compétences pour faire face à toutes les crises possibles : cela me coûterait beaucoup trop cher ! Il me semble que cela ne serait pas économiquement viable pour l'État non plus.
M. Laurent Penard. - Nous avions commencé à transférer des savoir-faire, mais notre mission est allée au-delà. Les centrales d'achat pour les hôpitaux, comme l'Union des hôpitaux pour les achats (UniHA) ou le Réseau des acheteurs hospitaliers (RESAH), intervenaient pour consolider les besoins, mais la logistique relevait des établissements. La crise sanitaire leur a fait prendre conscience du rôle qu'elles pouvaient jouer et elles commencent à se structurer pour devenir un intermédiaire entre les établissements de soins et leurs fournisseurs. Elles montent en compétence dans ce domaine, ce qui sera à l'avenir très positif pour la capacité de réaction de l'État. Si la crise des masques se reproduisait, celui-ci serait en mesure de réagir.
Mme Nicole Duranton. - Quelles raisons pourraient pousser un cabinet de conseil à moins s'intéresser aux politiques publiques ?
M. Patrice Joly. - L'intervention d'un cabinet de conseil est d'autant plus pertinente qu'il existe déjà chez le client un minimum d'expertise, afin que les cahiers des charges soient définis de la manière la plus pertinente possible et, qu'ensuite, pendant la mission, celle-ci donne lieu à un véritable accompagnement.
Avez-vous eu le sentiment que vos interlocuteurs étaient suffisamment compétents sur les matières sur lesquelles vous êtes intervenus ?
M. Olivier Girard. - Oui, incontestablement : il y a eu une conjugaison d'expertises, celles du milieu de la santé et celles des cabinets de conseil, en matière logistique et technologique.
M. Patrice Joly. - Je ne doute pas qu'il y ait eu des complémentarités, mais avez-vous trouvé des interlocuteurs disposant d'assez de connaissances sur votre expertise pour pouvoir en tirer le meilleur parti ?
M. Olivier Girard. - Oui.
M. Charles Boudet. - Les membres de nos équipes qui découvraient l'interaction avec les équipes publiques ont été impressionnés par le niveau de leurs interlocuteurs.
M. Laurent Penard. - Il a été question d' « influence » des cabinets de conseil sur la sphère publique. Ce terme me met mal à l'aise. Quand on répond à une sollicitation, on ne cherche pas nécessairement à influencer. Mais c'est peut-être ma posture de cabinet plus opérationnel...
À l'issue de cette crise, il pourrait y avoir un regret : nous nous demandons si nous avons essaimé des savoir-faire au sein des instances que nous avons accompagnées. C'est un retour d'expérience qui nous intéresserait. Certains de nos interlocuteurs sont toujours là ; d'autres ont changé de poste depuis, parfois malheureusement. D'autres sont arrivés pendant la crise et nous les avons de nouveau formés, ce qui n'était pas forcément simple.
M. Arnaud Bazin, président. - Avez-vous effectué des prestations pro bono pendant la crise sanitaire ? Si oui, combien et pour quelles missions ? Combien de consultants ont été mobilisés ? Ces missions se sont-elles prolongées par la facturation de prestations complémentaires, à titre onéreux ?
Pouvez-vous nous décrire les conditions dans lesquelles vous avez accédé à la cellule interministérielle de crise ? Des mesures de sécurité particulières étaient-elles prévues ?
M. Laurent Penard. - Nous n'avons pas fait de pro bono. Nous avons constitué des équipes avec des niveaux de séniorité très différents et appliqué un taux journalier moyen inférieur de 20 à 30 % à celui que nous appliquons à nos clients privés, soit un taux journalier d'environ 1 000 euros, contre 1 300 dans le privé. Nous avons aussi fait beaucoup d'heures supplémentaires, un sacrifice que nos collaborateurs étaient prêts à faire dans cette mission. Nos prestations faisaient l'objet de bons de commande, dont la rémunération variait en fonction du temps de travail nécessaire.
En ce qui concerne l'accès à la cellule de crise, je vérifierai auprès des équipes qui travaillaient là-bas.
M. Olivier Girard. - Il n'y a pas eu d'enchaînement de notre part entre des prestations gratuites et des prestations payantes. Nous avons répondu à des demandes et soumis des devis avant d'intervenir.
Accenture fait du pro bono, mais essentiellement pour le secteur associatif. Je vous répondrai plus précisément par écrit, de même que pour l'accès à la cellule de crise.
M. Charles Boudet. - Je vous répondrai aussi par écrit. Nous ne faisons pas de pro bono.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Utilisez-vous les données transmises par l'État français pour répondre aux commandes d'autres clients, notamment pour réaliser un benchmark avec d'autres pays ?
Monsieur Girard, l'État pourrait-il continuer d'utiliser le passe sanitaire si Accenture décidait aujourd'hui de se retirer du système d'information correspondant ?
Monsieur Boudet, la dernière commande passée par l'État à JLL France date de décembre 2020. Pourquoi n'êtes-vous pas intervenu depuis ? Historiquement, JLL est spécialisé dans le conseil en immobilier. De quelle manière êtes-vous devenu un cabinet généraliste, capable d'accompagner l'État dans la gestion de la crise sanitaire ?
M. Laurent Penard. - Tous nos contrats sont réalisés dans un cadre de confidentialité totale. Les données étaient hébergées sur un serveur de l'administration. Nous n'aurions pas d'intérêt à faire un benchmark pour répondre à des commandes d'autres pays, car nous travaillons en France.
M. Arnaud Bazin, président. - Vous n'utilisez pas les données recueillies pour nourrir des bases de données susceptibles d'être réutilisées pour aider d'autres clients ?
M. Laurent Penard. - Nos contrats nous l'interdisent !
M. Arnaud Bazin, président. - Lorsque les cabinets de conseil répondent à des appels d'offres de collectivités publiques, ils ont recours à des comparaisons, des benchmarks, qui sont manifestement nourris par leurs autres expériences. Cela correspond d'ailleurs à la demande des clients. N'est-ce pas le fonds de commerce du conseil en stratégie ?
M. Laurent Penard. - En l'espèce, c'était strictement interdit. Lorsque nous signons un contrat avec une entreprise privée, il est assorti d'une clause de confidentialité d'une certaine durée. Les benchmarks internationaux que vous évoquez de la part de certains confrères ne peuvent reposer que sur des données anciennes, périmées ou alors déjà publiques.
M. Olivier Girard. - Si nous partons, le passe sanitaire demeurera, je n'en doute pas. Je vous répondrai précisément par écrit. Transférer les compétences fait partie de notre mission, et elle s'arrêtera lorsque ces dernières auront été transmises.
En situation de crise, on construit souvent de nouveaux systèmes à côté des systèmes existants. Une de nos préoccupations concerne la pérennisation des « briques » logicielles que nous avons livrées dans l'urgence. Il s'agit d'identifier les éléments qui méritent d'être conservés et qui ajoutent de la valeur aux systèmes d'information de la santé.
Quant aux données, tous nos contrats sont confidentiels. Des benchmarks peuvent être réalisés sur des modes de fonctionnement, sur la manière dont les pays ont géré la crise - de manière centralisée ou décentralisée par exemple -, mais ils ne peuvent pas utiliser des données spécifiques, sur les flux ou la consommation par exemple.
M. Charles Boudet. - Nous respectons tous une charte de déontologie et sommes soumis aux mêmes exigences de confidentialité. Je ne vois d'ailleurs pas quelles données seraient exploitables pour faire un benchmark, dans la mesure où nos missions étaient de nature très opérationnelle.
Comment un cabinet de conseil en immobilier a-t-il pu devenir un cabinet de conseil généraliste ? L'évolution de nos métiers nous a conduits à intervenir de plus en plus en amont pour répondre aux demandes de nos clients. Avec le développement du télétravail, nous devons aider nos clients à redéfinir le rôle du bureau. Il ne s'agit plus seulement de trouver un lieu, à un endroit souhaité, à un prix donné. Nous avons dû faire évoluer nos métiers.
En ce qui concerne la logistique, nous avons acheté un cabinet de conseil en supply chain, en 2019, pour aider nos clients à utiliser leurs entrepôts, à les automatiser, à créer des réseaux logistiques, bref à trouver des réponses à des problèmes qui se posent en amont, avant de décider d'acheter un entrepôt à tel ou tel endroit. Et c'est cette expertise que nous avons mise à contribution dans la mission qui vous intéresse.
Ce que nous avons fait en matière de supply chain nous le faisons aussi d'ailleurs dans d'autres domaines : les bureaux, le commerce de détail, les hôtels, etc.
J'en reviens à la crise sanitaire. Notre dernière mission consistait à aider à la réalisation des plans de transport des vaccins - c'est fait ! -, à valider les processus de transport pour les dépositaires - c'est fait ! -, à valider les processus logistiques - là encore, c'est fait ! L'État n'a donc plus besoin de nous, notre mission est accomplie.
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Au-delà de la crise sanitaire, Accenture aurait été recruté par Bercy en 2021 pour proposer un plan d'économies d'au moins un milliard d'euros pour le budget de l'État d'ici à 2022, en collaboration avec McKinsey. Confirmez-vous cette information ?
M. Olivier Girard. - Oui, mais sans McKinsey !
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Outre l'État, Citwell possède parmi sa clientèle des entreprises comme Sanofi. Cette pluralité de clients a-t-elle posé des difficultés dans vos interventions sur la crise sanitaire, notamment sur le plan déontologique ?
M. Laurent Penard. - Au contraire, être capable de maîtriser toute la chaîne logistique du médicament est perçu comme une richesse. Les contraintes sont très particulières : les principes actifs sont souvent fabriqués à l'étranger, dans des pays éloignés, mais les médicaments sont assemblés dans des usines plus proches des marchés visés. Les logiques de distribution sont complexes, la qualité est essentielle, etc. Dans ces conditions, posséder une vision globale constitue un vrai atout, et nous pourrions même, le cas échéant, aider les hôpitaux à améliorer leur logistique : des gains significatifs peuvent être obtenus car des médicaments sont perdus ou périmés, les matériels ne sont pas toujours stockés au meilleur endroit, etc.
M. Arnaud Bazin, président. - Monsieur Girard, quel est le montant du marché passé avec Bercy pour proposer un plan d'économies ? Avez-vous déjà rendu des livrables ? D'un point de vue méthodologique, comment déterminez-vous les économies à réaliser au sein du budget de l'État ?
M. Olivier Girard. - Je n'ai pas tout en tête. Je vous répondrai plus précisément par écrit. Le projet est déjà bien avancé. Il y a déjà bien sûr des livrables et des plans d'économie à la clef. Nous travaillons notamment sur la mutualisation des commandes dans la sphère publique pour jouer sur l'effet de masse.
M. Arnaud Bazin, président. - Je note votre engagement à nous répondre par écrit. Il est important pour nous de bien connaître la commande et de savoir comment vous y répondez.
Quel est le montant de la commande ?
M. Olivier Girard. - Je n'ai pas le montant en tête.
M. Arnaud Bazin, président. - C'est étonnant ! C'est quand même un élément de management essentiel !
M. Olivier Girard. - Non, je ne l'ai pas en tête. Et ce n'est pas de la pudeur !
Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Estimez-vous que vos compétences n'existent pas dans la fonction publique ?
M. Olivier Girard. - L'accélération du progrès technologique à laquelle nous assistons rend de plus en plus difficile de maintenir à jour ses compétences, y compris pour nous. Alors qu'une vague technologique durait dix ans en moyenne, ce temps a été réduit par deux. Le défi à relever est considérable.
M. Charles Boudet. - Il y a trois parties dans votre question. On fait appel à un cabinet de conseil soit pour répondre à un pic d'activité lié à une situation extraordinaire, soit pour bénéficier d'une compétence clé qui sort du giron de l'administration, de l'entreprise ou de l'équipe, soit pour engager une transformation. Dans ce dernier cas, un cabinet de conseil a la chance d'avoir beaucoup de clients et de savoir comment chacun aborde la problématique de la transformation dans un monde qui s'accélère, ce qui permet de créer des sauts de valeur importants pour celui qui veut se transformer à grande vitesse. Le conseil peut alors apporter une réelle valeur ajoutée. C'est la raison pour laquelle beaucoup de nos clients privés, qui représentent 98 % de notre activité, font appel à nous.
On trouve beaucoup de compétences dans l'administration, mais on ne peut pas être le meilleur dans tout, tout le temps ; sinon, cela coûte trop cher. Aller chercher une compétence clef, qui sort de l'activité structurelle, peut expliquer le recours à des cabinets de conseil.
M. Arnaud Bazin, président. - Pensez-vous que les administrations en général prennent suffisamment en compte la dimension logistique de leurs activités ?
M. Laurent Penard. - Comme vous le savez, la logistique a été inventée par l'armée. En 2020, au début de la crise, je me suis même demandé pourquoi l'armée française n'avait pas été missionnée pour venir aider le ministère de la santé. Cela m'a étonné.
L'armée fait aussi appel à des cabinets de conseil, y compris sur des lots logistiques. J'ai pu lire récemment un appel d'offres qui traitait de cette question. Même l'armée se fait accompagnée sur cette dimension. Je pense toutefois que les compétences existent.
Mme Nathalie Goulet. - Vous avez souligné qu'il n'existait pas de fichier des Ehpad, avec les adresses, avant votre arrivée. Il s'agit tout de même d'une base de fonctionnement. Vous avez formé des gens, mais le turn-over va entraîner une perte des apports. Peut-être faudra-t-il veiller, dans le cadre du suivi, à ce que vous ayez toujours le même correspondant ?
M. Laurent Penard. - La crise a été très usante : nos consultants tenaient quatre mois sur leur poste en moyenne. Les agents de l'État, qui étaient sur les mêmes horaires et les mêmes contraintes, n'étaient pas relevés au bout de ces quatre mois... Nous pouvions le faire, de manière limitée, parce que nos collaborateurs connaissent ces domaines par coeur. Le temps d'apprentissage est très court.
M. Arnaud Bazin, président. - Je vous remercie de votre participation.
La réunion est close à 19 h 10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.