Jeudi 9 décembre 2021
- Présidence de Madame Françoise Gatel, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Table ronde sur « la parité dans les exécutifs locaux »
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je coanimerai cette table ronde avec Jean-Michel Houllegate. Nous avons entrepris une mission sur la démocratie locale et les moyens de la revivifier, après notamment le constat d'une très grande faiblesse de l'engouement de nos concitoyens pour les élections. Nous observons une diminution significative de la participation, notamment aux élections départementales et régionales.
La délégation n'a pas la prétention de proposer des solutions miraculeuses ni extraordinaires pour ramener aux urnes l'ensemble des électeurs. Nous pensons toutefois pouvoir travailler sur des sujets d'éducation, sur la conviction de l'efficacité de l'action publique et sur la valorisation de bonnes pratiques dans de nombreuses communes et collectivités.
La question de l'engagement est liée à la question particulière des femmes. Notre collègue Annick Billon et sa délégation y travaillent beaucoup et nous les entendrons tout à l'heure. Dans le cadre de la prolongation de la loi Engagement et Proximité, nous avons rencontré les députés pour évoquer ce sujet. Nous savons que la proportion de femmes dans les conseils municipaux progresse, sans doute notamment sous l'effet de la loi sur la parité, alors même qu'elle est inégalement imposée aux communes.
Nous n'avons pas tout à fait atteint la parité, mais plus de 42 % des sièges des conseils municipaux sont occupés par des femmes. 1 000 communes supplémentaires sont dirigées par des femmes par rapport au précédent mandat, mais les femmes occupent plus souvent des fonctions exécutives autres que celle de maire, pour diverses raisons qu'il nous appartiendra d'élucider.
Nous parlons en outre très souvent de l'intercommunalité, mais sans l'envisager sous l'angle des syndicats. Dans les syndicats de collecte des ordures ménagères, d'électricité et des eaux, la présence féminine est particulièrement faible, alors qu'un rééquilibrage permettrait d'envisager ces sujets sous l'angle de l'utilisateur.
Depuis les années 2000, plusieurs lois se sont emparées de ce sujet, pour faire progresser la parité dans des fonctions électives, mais des zones blanches demeurent, notamment en fonction de la taille des communes. Certains ne sont pas favorables à créer des strates en la matière, l'obligation de parité pouvant avoir un impact sur un libre choix démocratique.
Les intercommunalités ne sont quant à elles pas des collectivités, mais des établissements publics de coopération. Elles sont donc l'émanation des communes et méritent à ce titre un regard particulier.
Nous constatons qu'il y a matière à réflexion. Il nous importe que les associations d'élus soient porteuses de messages à ce titre, car leurs voix portent. Le législateur ne peut pas seul inventer des dispositions, l'adhésion est importante. Au-delà de la question sur l'engagement des femmes, les scrutins de liste, l'effectif des conseils municipaux et d'autres questions sont livrés à votre sagacité.
Cécile Gallien, maire de Vorey (Haute-Loire) et référente du groupe de travail pour la promotion des femmes dans les exécutifs locaux à l'Association des Maires de France (AMF), Danièle Bouchoule et Reine Lepinay, coprésidentes de l'association « Elles aussi », ainsi que Nadine Kersaudy, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) en charge de la parité, participeront à notre table ronde.
Je cède la parole pour commencer à notre collègue Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Merci, Madame la Présidente. Je salue nos collègues présents ce matin et les participantes à cette table ronde.
La délégation travaille sur ces thématiques depuis plusieurs années, avant mon arrivée au Sénat en 2014. Nous avons travaillé sur ce sujet récemment, à travers le rapport « Femmes et ruralité : en finir avec les zones blanches de l'égalité ». Au cours d'une récente table ronde, nous avons évoqué toutes les pistes nous permettant de faire progresser l'engagement des femmes et cette stratégie du ruissellement. Néanmoins, le seuil de 1 000 habitants n'a pas engendré le ruissellement escompté dans les collectivités, notamment dans les intercommunalités et les syndicats. Ce seuil constitue un blocage.
Le rapport « Femmes et ruralité » a été porté par 8 co-rapporteurs. Une consultation en ligne a également été organisée, avec plus de 1 000 réponses. Nous constatons la progression de la mixité dans l'engagement politique. Les femmes représentent aujourd'hui 42 % des élus locaux, contre moins de 20 % dans les années 1990. Cependant, la proportion des femmes demeure insuffisante au sein des exécutifs locaux, les femmes représentant 20 % des maires et 11 % des présidents de Conseils communautaires. L'engagement politique des femmes se heurte à des obstacles principalement liés à la difficulté de concilier vie publique et vie professionnelle et personnelle. Il est ainsi nécessaire d'avancer sur le statut de l'élu, car l'engagement politique a des répercussions fortes sur le travail et la vie personnelle. Au travers de ce rapport, nous avons noté une persistance des stéréotypes, encore plus accentuée en milieu rural, la ruralité étant un amplificateur d'inégalités.
A l'issue de ces dix mois de travaux sur cette thématique « Femmes et ruralité », nous avons adressé plusieurs propositions, concernant les collectivités. Nous revenons sur la possible suppression du seuil de 1 000 habitants, ce qui constitue un engagement fort. Le rapport a été rédigé par 8 co-rapporteurs, issus de tous les groupes politiques. Tous sont prêts à s'engager auprès de leur groupe pour défendre cette suppression du seuil. D'autres propositions ont trait à l'évolution du statut de l'élu, notamment pour les gardes d'enfants. En milieu rural, l'engagement politique est en effet souvent difficile.
Ces propositions sont donc transpartisanes. Nous déposerons aujourd'hui la proposition de résolution qui reprend toutes les thématiques. Cela constituera un test pour faire évoluer les lignes législatives. Effectivement, si le seuil des 1 000 habitants est supprimé, il conviendra de préparer l'avenir. Cette réforme ne doit pas être mise en oeuvre à la veille d'élections, par exemple. Ce travail devra être mené en amont d'une évolution de la loi.
M. Jean-Michel Houllegatte. - L'association de la délégation aux droits des femmes montre que le Sénat est capable de mobiliser toutes les compétences et de travailler en équipe projet.
L'abstention massive aux dernières élections locales a suscité de nombreuses interrogations. Nous sommes nombreux à nous pencher sur ce phénomène. S'agissant de l'angle de la démocratie participative, nos collègues députés ont sorti hier un rapport avec 28 propositions, qui devront être analysées. Outre les démocraties représentative et participative, une troisième forme de démocratie est en train de naître, sur laquelle le conseil économique, social et environnemental (CESE) se penche : la démocratie implicative. Des réflexions se font ainsi jour sur l'engagement bénévole indispensable, sur l'implication quotidienne des citoyens par une multitude de petites actions.
20 % des maires sont aujourd'hui des femmes, soit une progression de 4 % en 60 ans. Dans les villes de plus de 100 000 habitants, 24 % des maires sont des femmes.
Il nous appartient de comprendre les freins à cette féminisation et de dresser un bilan sur le fonctionnement des binômes dans les élections départementales : quel enseignement pouvons-nous en tirer ?
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup. Je cède à présent la parole à Nadine Kersaudy.
Mme Nadine Kersaudy, vice-président de l'Association des maires ruraux de France en charge de la parité. - Merci, Madame la Présidente.
Je suis élue d'une commune du bout du Finistère, près de la Pointe du Raz. Cette commune littorale et rurale compte un peu moins de 1 000 habitants et dispose de 13,6 km de sentier côtier. J'entame mon cinquième mandat, étant élue depuis 1995. J'ai été la plus jeune maire du Finistère, à 28 ans, ce qui m'a valu quelques railleries et difficultés avec mon opposition. Celle-ci a mal accepté mon élection et ses sept conseillers municipaux ont démissionné au bout d'un an.
Au cours de ces mandats, j'ai connu les deux modes de scrutin : scrutin majoritaire plurinominal à deux tours et scrutin de listes. Selon moi, il est temps de revoir le panachage. L'AMRF est soucieuse de la parité et souhaiterait qu'à partir du premier habitant, les mêmes droits soient garantis à toutes les citoyennes sur l'ensemble du territoire. Plus de 70 % des communes ne sont pas concernées par les règles de la parité. J'ai toujours collaboré avec les associations « Elles aussi » et « Rien sans elles », pour faire en sorte que les femmes s'engagent en politique et dans la vie municipale. Cependant, si l'on projette une augmentation du taux de féminisation de 2 %, il faudrait attendre 2092 pour atteindre l'équité réelle entre hommes et femmes. Comment inciter les femmes à se présenter en tant que tête de liste ?
Je reste partagée. Il est possible d'initier des actions sur le terrain, comme nous le faisons régulièrement, mais il faut également que le législateur nous aide à améliorer cette parité. La proposition de Madame la députée Jacquier-Laforge est intéressante. Peu importe la taille des communes, nous observons des difficultés pour trouver des candidats. Est-ce en raison de la loi NOTRe ? Nous constatons un manque d'intérêt pour les fonctions d'élu municipal. L'introduction d'une strate de 500 à 999 habitants, avec un nombre de 13 conseillers municipaux reprend une proposition qui avait déjà été mise en oeuvre entre 1977 et 1983. Cependant, même dans des communes plus importantes, il est parfois difficile de trouver des élus, hommes ou femmes. Il faudra quoi qu'il en soit passer à la parité et changer de mentalité.
Mon conseil municipal compte actuellement 14 membres, suite à la démission de ma première adjointe, qui a rencontré des difficultés pour faire concilier vie politique, vie professionnelle et vie personnelle. Notre commune a également perdu en population et nos indemnités ont baissé, alors que notre charge de travail est importante.
En ce qui concerne l'intercommunalité, nous étions partisans de la mise en place d'un binôme, comme cela a pu être le cas au niveau du Conseil départemental. Pour les communes qui ne comptent qu'un délégué, comment assurer la parité dès lors qu'un homme est maire ? La mise en place d'un binôme paritaire aurait du sens.
Nous ne sommes cependant pas favorables au suffrage universel direct des délégués communautaires.
Concernant le bénévolat, j'ai des craintes. Dans un territoire vieillissant comme le mien, je sens qu'en raison du covid-19, nous rencontrerons des difficultés pour mobiliser les bonnes volontés.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je suis navrée de vous interrompre, mais nous devons respecter notre timing. Je propose de passer la parole à Cécile Gallien. En écho à votre intervention, j'indiquerai qu'il existe en Bretagne des sociétés de matriarcat, notamment dans les îles, où les hommes étaient pêcheurs. Sur ces territoires, les femmes portaient des responsabilités très importantes.
En ce qui concerne l'intercommunalité, la suppression des accords locaux a rendu l'exercice de représentation des communes plus difficile. Sur ce sujet, la question du suffrage universel direct est une question de fond. Celle de la parité dans les intercommunalités est un sujet nécessaire, mais complexe. Cette parité ne doit en effet pas s'appliquer à l'avantage des plus grandes communes, plus équilibrées en matière de représentation hommes/femmes.
Mme Cécile Gallien, maire de Vorey (Haute-Loire) et référente du groupe de travail pour la promotion des femmes dans les exécutifs locaux à l'AMF. - Bonjour à tous. A l'AMF, nous avons créé en 2017, avec Edith Gueugneau, un groupe de travail sur la promotion des femmes dans les exécutifs locaux. Nous avons fait acter par l'ancien bureau de l'AMF notre souhait que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, les prochaines élections soient effectuées au scrutin de listes. 80 % des communes de France comptent moins de 1 000 habitants. Lorsque l'on s'engage au service de ses concitoyens, cet engagement est sérieux. Il nous paraît donc cohérent, pour les élections de 2026, de passer au scrutin de listes. Je ne rappellerai pas les freins à l'engagement des femmes dans ces communes. Il s'agit de l'autocensure, du pouvoir, qui reste assez masculin aujourd'hui, de la cooptation masculine, etc.
Aujourd'hui, les jeunes français votent de moins en moins. Les jeunes françaises s'interrogent, quant à elles, sur la représentativité, qui est fondamentale dans toutes les institutions de la République. Cette question de l'égalité et de la parité doit donc être finalisée. Les femmes ne comprennent pas que les femmes soient moins bien payées que les hommes aujourd'hui. Je remercie le Sénat de se pencher sur ces questions, notamment sur les ruralités. Ces travaux sont fondamentaux. J'espère que le législateur ira au bout de cette parité.
Je voudrais rappeler un autre chiffre. Certes, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les conseils municipaux. Elles représentent 48,5 % des membres des conseils dans les communes de plus de 1 000 habitants, mais 37,6 % dans les communes de moins de 1 000 habitants. La parité n'est donc pas aboutie.
En ce qui concerne l'intercommunalité, avant la loi NOTRe, la France comptait 32 % de conseillères communautaires, 31 % après cette loi et 33 % aujourd'hui. Ces chiffres ne progressent donc pas. La mise en place de la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants aura nécessairement un effet sur les intercommunalités.
Nous sommes favorables aux propositions émises par les deux députés devant l'AMF cet été, notamment celles de Madame la députée Jacquier-Laforge. Cela nous paraît absolument indispensable pour faire aboutir cet enjeu d'égalité en France.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup. La loi NOTRe n'a en effet pas permis de rééquilibrer la parité dans les intercommunalités, ce qui est en lien avec la suppression des accords locaux. En 2014, une intercommunalité pouvait considérer qu'une commune était représentée par au moins deux élus, quelle que soit sa taille. Or, l'effet démographique devant désormais être prioritaire, nous avons mis un frein à ces accords locaux, qui étaient intelligents et bénéfiques pour la parité.
Mme Reine Lepinay, co-présidente de l'association « Elles aussi ». - Merci. Je vous propose de revenir un instant sur les freins. Pour notre réseau « Elles aussi », la parité dans les exécutifs locaux constitue une exigence démocratique, pour aller vers un nouveau modèle républicain. Effectivement, les jeunes femmes sont en attente sur ce sujet. Nombre d'entre elles ne demandent qu'à être entendues dans la sphère politique.
« Elles aussi » a étudié les freins rencontrés par les femmes dans leur engagement politique local, dans plusieurs enquêtes, notamment en 2019 en Bretagne. En 2020 et en 2021, nous avons procédé à des analyses qualitatives, demandant à des femmes comment leurs campagnes s'étaient déroulées, quels étaient les blocages, etc.
Les zones blanches sont donc les communes de moins de 1 000 habitants (72 % des communes) et les intercommunalités. Il nous paraît intéressant d'unifier le scrutin. Dans nos dialogues avec des élues et des candidates, nous avons remarqué qu'il y a parfois des blocages. Nous constatons que les femmes n'ont pas toujours l'habitude du politique, les hommes ayant de ce point de vue un avantage naturel.
Dans les communes de moins de 100 habitants, les femmes représentent 22,4 % des maires, soit beaucoup plus que la moyenne. Il est donc possible de trouver des femmes qui prennent des responsabilités dans de toutes petites communes.
Néanmoins, seules 9,5 % des communes de moins de 1 000 habitants ont atteint la parité dans les conseils municipaux. Avec un vivier de conseillères municipales réduit, nous observons un déficit d'adjointes et donc de maires et de vice-présidentes et de présidentes d'intercommunalité. De ce point de vue, il existe donc un lien étroit entre communes et intercommunalités.
En ce qui concerne les facteurs juridiques, nous avons évoqué tout à l'heure la question des modes de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants. Le scrutin majoritaire, plurinominal à deux tours, ne favorise pas les femmes, puisque les hommes ont un avantage naturel, étant présents depuis plus longtemps que les femmes.
Dans les conseils communautaires se pose le problème de la représentation. Lorsqu'un seul siège est disponible, il échoit souvent au maire, soit souvent à un homme. A terme, nous devrons nous poser la question du fonctionnement de l'intercommunalité.
De nombreux facteurs peuvent expliquer le manque de candidatures de femmes dans les petites communes. Un manque de ressources financières et humaines se constate, ainsi qu'un vieillissement de la population, une insuffisance du statut de l'élu, un manque de reconnaissance par les citoyens, qui sont devenus souvent consommateurs de services publics, une montée de la violence envers les élus, etc. En ce qui concerne les conseils exécutifs communautaires, l'absence de contraintes paritaires doit être mise en avant. Des réflexions peuvent aussi être consacrées au cumul des mandats, cette question devant être traitée en totalité. Plusieurs facteurs culturels peuvent aussi être évoqués. Les femmes ne sont pas stratèges en politique. Elles ignorent les codes politiques, les marchandages politiques, même si elles apprennent de plus en plus. Les stéréotypes sexistes perdurent quant à eux dans la société comme dans la sphère politique, comme on peut l'observer dans la nature des délégations qui échoient aux femmes.
La répartition des tâches domestiques correspond à la première des inégalités. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur la prise en charge des enfants, à travers des politiques publiques facilitatrices, même si cela est parfois délicat dans les petites communes. Les conditions d'emploi et de travail, la précarité des femmes, les niveaux de rémunération différents entre les hommes et les femmes, ainsi que les difficultés de mobilité dans les zones rurales constituent d'autres entraves importantes.
Mme Françoise Gatel, présidente. - En ce qui concerne l'engagement citoyen, sans doute les femmes rencontrent-elles des difficultés particulières, mais je rappelle la difficulté de l'engagement citoyen de manière générale. En 2014, pour 64 communes, aucun candidat ne s'est présenté aux élections municipales. Or, ce nombre a augmenté en 2020. Il s'agit donc là d'une question d'ordre général.
Mme Danièle Bouchoule, co-présidente de l'association « Elles aussi ». - Merci. Je vais vous présenter quelques pistes de leviers pour faire évoluer la situation. Le premier problème que nous constatons a trait aux conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants, pour lesquels nous proposons un scrutin de listes paritaires dès le premier habitant et soutenons la proposition d'Élodie Jacquier-Laforge, ainsi que la proposition de loi du sénateur Éric Kerrouche. La loi républicaine ne doit pas traiter les petites communes différemment des autres. Des conseils paritaires donneront plus facilement des exécutifs paritaires.
A l'objection relative à l'absence de pluralisme avec une seule liste dans les petites communes, nous savons que des explications sociétales s'ajoutent à la contrainte paritaire, expliquant le manque de candidates et de candidats.
Dans toutes les communes, nous préconisons la parité. Si l'on élit le maire et ses adjoints au scrutin de liste paritaire, la parité sera automatique. Il s'agit donc là de valoriser la parité et l'engagement des femmes, et de reconnaître l'égalité entre les femmes et les hommes dans la société. En ce qui concerne l'exécutif des intercommunalités, dans un premier temps, nous soutenons la représentation miroir entre le conseil et son exécutif. En 2019, le Sénat avait d'ailleurs également fait cette proposition, que nous soutenons. Si le nombre de femmes augmente dans le conseil, il augmentera obligatoirement dans l'exécutif. Il serait encore plus efficace de choisir le scrutin de liste paritaire pour le bloc exécutif, comme dans les communes. Pour les ECPI en général, la volonté politique et un travail de persuasion sont nécessaires. Les conseils communautaires qui s'approcheront de la parité constitueront un vivier pour des exécutifs communautaires, se rapprochant eux aussi de la parité.
Nous préconisons la création de communes nouvelles, avec pédagogie et concertation. Cela augmentera en effet le nombre d'élus à l'intercommunalité et le poids des communes ainsi que, sans doute, l'efficacité de leur gestion et leur attractivité.
L'élection du conseil communautaire au scrutin direct constitue une autre possibilité. Nous avons évoqué l'absence d'engagement des citoyens vis-à-vis des élections. Cette élection au scrutin direct apparaîtrait peut-être comme un renforcement de la démocratie, de la motivation de l'électorat, avec un vote précis sur un programme affiché par les listes candidates.
Nous avons aussi évoqué la question du cumul des mandats, qui constitue un frein à l'entrée des femmes en politique.
Nous avons également parlé du statut de l'élu local, des indemnités, de la formation des élus, du bilan des acquis préparant la sortie de mandat, de la nécessité pour l'État d'être attentif au statut budgétaire des petites communes. En cas de fusion de communes, les problèmes budgétaires liés aux toutes petites communes disparaîtront.
Mme Françoise Gatel, présidente. - La loi Engagement et Proximité a permis des avancées en matière de formation, de financement des frais de garde d'enfants et d'indemnités pour les élus des petites communes. Je note cependant vos propositions audacieuses sur le suffrage universel direct.
M. Éric Kerrouche. - Merci à tous. Nous abordons le problème de la parité, qui est en lien étroit avec celui de la représentation et de la représentativité. Un homme peut-il représenter une femme ? Une personne issue des minorités visibles peut-elle représenter l'ensemble de la population ? Comment assurer une bonne représentation ? Ces critères semblent avoir changé avec le temps. A défaut d'avoir une bonne représentation, miroir de la société, ce qui est impossible, les électeurs sont de plus en plus sensibles à la distance par rapport aux écarts de représentation. C'est pourquoi nous assistons à de multiples demandes en matière de représentativité, notamment pour la parité.
Notre proposition de loi reprend notamment des amendements déposés dans le cadre de la loi Engagement et Proximité, qui n'avaient pas été retenus alors. Nous sommes ainsi favorables au scrutin de liste pour l'ensemble des communes.
En ce qui concerne la représentation miroir, la réflexion du groupe socialiste avait été reprise par l'ensemble du Sénat, mais ôtée par la commission mixte paritaire, ce qui a constitué, selon moi, une erreur.
Globalement, tous les points de blocage ont été identifiés dans la présente discussion. Un problème de statut de l'élu se pose, en termes de genre. Il n'est pas possible de faire entrer dans ce statut des mesures qui concerneraient uniquement les femmes, mais les femmes n'ont pas le même statut social que les hommes. Les hommes et les femmes politiques ont un comportement différencié. Les femmes prennent ainsi moins la parole et le font plus tardivement. Il existe donc un rapport genré à la façon dont le pouvoir s'exerce. Les postes d'adjoints demeurent genrés et les femmes sont souvent reléguées dans les postes d'adjoints.
La démocratie ne se pratique pas au moyen de procédures, mais, si les procédures sont ignorées, la démocratie en pâtit. Les dispositions législatives doivent donc faire en sorte que l'on puisse éviter le contournement des dispositions paritaires.
Les postes demeurent genrés, notamment dans la disposition des tâches. Certains postes sont ainsi présupposés féminins, car ils correspondent à ce que la société attend du rôle des femmes. Cependant, ces situations progressent, avec davantage de femmes adjointes aux travaux et aux finances, même si cela reste marginal par rapport au nombre d'hommes occupant ces postes.
Nous pouvons imaginer des binômes paritaires, mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel doit être prise en compte. Cette jurisprudence a eu des conséquences sur la parité, ainsi que sur le fonctionnement des intercommunalités mêmes. Il faudrait revenir sur ce point, par exemple, par une disposition constitutionnelle. Une alternance paritaire est également envisageable, car le maire ne représente pas forcément toujours sa commune.
Les syndicats intercommunaux, dont certains gèrent des sommes très importantes, constituent quant à eux une démocratie de troisième zone. En effet, peu d'élus y prennent part, ce qui pose un problème de contrôle démocratique, au-delà de la parité.
Je suis très défavorable à l'élection du conseil communautaire au suffrage universel, qui abolirait définitivement le lien avec la commune. En revanche, nous portons une voie médiane, celle de l'élection de l'exécutif au suffrage universel au sein du conseil communautaire, avec une obligation de parité. Cela aurait l'avantage de faire respecter la parité et de mieux représenter le territoire de l'intercommunalité au sein de la liste. Enfin, étant données les sommes manipulées par les intercommunalités, il semble normal que les électeurs aient une vision de ce qui est prévu pour les six ans à venir.
Un ensemble de mesures peuvent donc être prises très facilement, pour opérer des ajustements. Néanmoins, effectivement, il existe aussi un problème social, qui implique de réfléchir différemment et en commun.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Je n'ai pas eu de réponse à ma question relative au bilan du binôme départemental. Avez-vous des éléments à nous fournir à ce propos ?
Mme Danièle Bouchoule. - Oui, nous avons mené une enquête au début de l'année 2021, qui s'est terminée en juillet 2021. Une étudiante en Sciences politiques à l'Université de Créteil nous a sollicités et nous avons encadré son stage. Elle a alors interrogé 25 conseillères et conseillers départementaux sur la façon dont ils ont vécu le binôme entre 2015 et 2021. Les anciens ont également comparé la situation avant et après le binôme.
Mme Reine Lepinay. - Cette étude demeure en cours. Nous souhaitons comprendre comment le binôme s'est constitué. A ce jour, il ressort de cette étude que, bien souvent, ce sont les hommes qui sont à l'initiative de la constitution de ce binôme. Nous constatons également que, bien souvent, même les femmes qui bénéficiaient déjà d'une certaine expérience politique n'ont pas pu maîtriser la constitution du binôme. Cela nous ramène aux questions de stratégie politique que j'évoquais tout à l'heure, ainsi qu'à l'anticipation des élections. Il faut ainsi former et informer les femmes sur les enjeux d'une élection.
Nous avons également travaillé sur le fonctionnement du binôme et la répartition des rôles au sein de ce binôme, ainsi que sur sa perception par la population. En cette matière, tout dépend si la femme est bien enracinée dans son territoire. Parfois, la femme prend plus de poids si elle est déjà bien installée sur un canton.
Cette étude demeure donc en cours et ses résultats devraient être disponibles en 2022, une fois que les auditions seront terminées.
M. Hervé Gillé. - Nous constatons que l'obligation paritaire est déterminante dans l'évolution de la situation, comme vous l'avez souligné. Au-delà de ces obligations, l'approche normative peut être intéressante. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet.
Aujourd'hui, la notion de responsabilité sociale des organisations monte en puissance et sera élargie en responsabilité sociétale des organisations. Il s'agit notamment de montrer, en toute transparence, comment une organisation se comporte en matière de parité et en termes d'équilibre social. Cela amène une forme de communication publique qui peut présenter un intérêt au sens politique. On pourrait même envisager des conditionnalités liées à la qualité des organisations.
Mme Reine Lepinay. - Effectivement, nous travaillons sur ce concept d'égale conditionnalité. En ce moment est à l'écriture un rapport sur ce sujet, sur la parité dans les collectivités locales. Les deniers publics doivent répondre à des besoins publics et nous pourrions donc nous interroger sur la façon dont ils sont distribués. Aujourd'hui, les politiques publiques qui sont mises en place prennent-elles véritablement le genre en compte ? Ce concept d'égale conditionnalité est à l'ordre du jour des discussions depuis 2016. Pour faire évoluer les situations, sans doute devons-nous commencer à instaurer des exigences. Nous pourrions notamment envisager un index pour mesurer les progrès qui peuvent être accomplis au niveau de ces politiques publiques locales, qui feraient avancer cette parité, en vue d'aboutir à une égalité de traitement.
Mme Corinne Féret. - Madame Gallien et Madame Kersaudy, souhaitez-vous dire quelques mots, avant que nous ne clôturions cette table ronde ?
Mme Cécile Gallien. - Avant les élections municipales d'il y a deux ans, l'AMF a réalisé un memento sur l'égalité entre les hommes et les femmes. Ce document a traité la question de la parité, ainsi que celle de l'utilisation des fonds publics en matière d'égalité. Au fil de nos congrès des maires, nous avons sollicité des géographes, pour évoquer les questions d'organisation de l'espace public et les conséquences sur les mobilités, la sécurité, la vie quotidienne, etc. Une sociologue a évoqué aussi la question des jeunes femmes en milieu rural, sous l'angle de l'égalité des chances. Les associations d'élus se penchent donc sur cette question globale de l'égalité entre les hommes et les femmes, annoncée comme une grande cause du présent mandat présidentiel.
Je tenais également à remercier Monsieur Kerrouche. Nous souhaiterions vous entendre plus longuement au sein de nos associations d'élus, car vos propositions sont très intéressantes. J'ose espérer que les législateurs auront autant de courage que le Général de Gaulle pour le droit de vote des femmes, que Simone Veil, pour le droit à l'avortement, et que François Mitterrand, pour la suppression de la peine de mort. J'espère que nous irons au bout de cet enjeu de parité, car, sans la loi, nous n'y parviendrons pas. 72 % des communes de France ne doivent pas être privées de talents féminins.
Mme Nadine Kersaudy. - L'AMRF aspire à ce qu'une culture paritaire se développe dans toutes les communes de France et dans les EPCI.
Je tenais à revenir sur un point évoqué par l'association « Elles aussi », concernant les communes nouvelles. Il convient en effet de prendre garde aux alliances contre nature, qui peuvent occasionner des dégâts. Il s'agit d'un travail de longue haleine, qui commence sur les bancs de l'école, afin de développer cette culture de la parité et de l'égalité entre les femmes et les hommes. A présent, il est temps d'agir. Les femmes sont là. Elles sont prêtes à s'engager, mais il ne faut pas se moquer d'elles.
Mme Corinne Féret. - Merci. Souhaitez-vous dire un dernier mot ?
Mme Reine Lepinay. - Je n'ai qu'un souhait : que la loi soit votée. Nous avons réalisé de nombreuses auditions et organisé de nombreuses réunions. J'entends les arguments apportés par Nadine Kersaudy sur les communes nouvelles. Sans doute n'avions-nous pas cette sensibilité au départ. En échangeant avec les élus dans les territoires, nous avons bien compris les enjeux. Nous avons beaucoup appris les uns des autres et il faut maintenant agir, ce qui nécessite du courage politique. Les associations font leur possible dans les territoires, pour sensibiliser les femmes à s'engager. Courage ; allons-y !
Mme Corinne Féret. - Merci à tous pour votre présence et merci à vous, Mesdames, pour votre participation à cette table ronde.
La réunion est close à 12 h 15.