Jeudi 2 décembre 2021
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Examen de la note scientifique sur le biomimétisme
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Notre collègue Cédric Villani, député, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), est retenu par des obligations internationales et m'a demandé de l'excuser auprès de vous. Je me réjouis de votre participation, à la fois en présentiel et à distance, à cette nouvelle réunion de l'Office, au cours de laquelle nous examinerons un rapport et deux notes scientifiques. Notre collègue députée Huguette Tiegna nous présente la première note, qui porte sur le biomimétisme.
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Le sujet du biomimétisme est à la fois philosophique et scientifique. Depuis toujours, l'humanité s'est intuitivement appuyée sur la nature pour innover, en s'inspirant notamment du vivant. Notre Terre a une histoire : elle a passé 3,8 milliards d'années à innover et à s'adapter aux changements afin de répondre aux enjeux de survie et de trouver des solutions durables, économes et résilientes. Le vivant est une source d'inspiration réelle et inépuisable.
Le biomimétisme a plusieurs définitions, mais on peut considérer qu'il s'agit d'une approche scientifique pluridisciplinaire qui s'inspire des propriétés et des stratégies de la nature et du vivant pour répondre à des besoins d'ingénierie et d'innovation.
La note scientifique que je présente ce matin a nécessité l'audition de 27 personnes d'horizons bien différents : des scientifiques, des industriels, du personnel administratif ou éducatif, des membres de cabinets de conseil ou encore des militaires. Le sujet n'est d'ailleurs pas tout à fait nouveau pour l'Office, qui avait déjà organisé en 2007 une table ronde sur ce sujet.
Les auditions et les recherches que nous avons menées ont montré que les champs d'application du biomimétisme sont riches et variés, et que la France en raison de son patrimoine de biodiversité exceptionnel peut développer une approche scientifique et en faire une opportunité souveraine.
On estime qu'il y a sur Terre entre 8 et 12 millions d'espèces, dont 2 millions seulement sont connues à ce jour. La France, grâce à ses territoires ultra-marins et à sa zone économique exclusive, deuxième au plan mondial en termes de superficie, possède un capital naturel exceptionnel et abrite environ 10% de la biodiversité décrite dans le monde. À cet immense réservoir de ressources à ciel ouvert s'ajoute le patrimoine des différents musées français d'histoire naturelle, dont la collection la plus importante est détenue par le Museum national d'histoire naturelle, riche de près de 67 millions de spécimens et d'archives documentaires, sources d'un savoir à fort potentiel.
Compte tenu de cette richesse, la France peut, en développant le biomimétisme, valoriser ce capital unique au monde. Le biomimétisme est donc aussi une puissante incitation à la préservation de la biodiversité. Certains scientifiques auditionnés militent pour que le biomimétisme devienne un vecteur d'ouverture de la recherche vers la richesse du vivant et ses potentielles applications. Ces pratiques soutiendraient la lutte contre l'effondrement de la biodiversité.
Avec ces différentes auditions, nous avons pu définir l'éventail des parties prenantes du biomimétisme et leur place sur l'échiquier biomimétique. En France, le Centre d'études et d'expertises en biomimétisme (Ceebios) occupe une place centrale. C'est l'interface entre les mondes industriel, académique et institutionnel. Il ambitionne de promouvoir la démarche bio-inspirée, dans une optique de développement durable, tout en créant des outils méthodologiques et des plateformes de recherche et développement.
Aujourd'hui, quand un industriel français porte un projet bio-inspiré, c'est le plus souvent avec ses propres équipes de recherche et développement, et le soutien scientifique d'acteurs privés, généralement le Ceebios, ou de scientifiques sous partenariat. Car contrairement à l'Allemagne, la France ne compte quasiment pas d'ingénieurs spécialisés en biomimétisme. C'est toute la problématique de la pluridisciplinarité de ce sujet.
De grandes structures généralistes comme Capgemini Engineering et Akka Technologies proposent également des solutions bio-inspirées. Et de plus petites entreprises spécialisées existent : les acteurs de la Défense ou les opérateurs d'importance vitale (OIV) peuvent se tourner vers des cabinets de conseil scientifique.
L'offre de formation en biomimétisme est très limitée. Les deux seuls cursus sont dispensés par l'université de Pau et des pays de l'Adour et l'école de design ENCSI Les Ateliers. Quelques grandes écoles d'ingénieur proposent des initiations au biomimétisme sous forme d'un cours ou d'une courte série de cours. Nos interlocuteurs nous ont fait remonter le besoin d'une sensibilisation à grande échelle et d'une offre plus large afin de développer des formations pluridisciplinaires et des partenariats entre la recherche fondamentale et les départements de recherche et développement de l'industrie.
Malgré des progrès récents, la France est considérée comme étant en retard par rapport à d'autres pays en matière de biomimétisme.
Nous avons eu l'occasion d'entendre notamment nos partenaires allemands, en particulier des fonctionnaires du ministère de l'éducation et de la recherche et des acteurs de l'entreprise - bien que j'aie dû annuler un déplacement prévu à Berlin.
L'Allemagne est le leader européen du biomimétisme. Nous préconisons donc pour renforcer notre compétitivité de soutenir la recherche fondamentale en biologie et en écologie, au laboratoire et sur le terrain, de préserver et de mieux exploiter les collections des musées d'histoire naturelle, afin d'en faire un catalogue de ressources dont l'ingénierie peut s'inspirer. Il conviendrait également de référencer les projets bio-inspirés dans les appels à projets. Cela permettra notamment un inventaire plus complet des activités de la filière en France. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne en 2022, il conviendra de renforcer les partenariats franco-allemands, afin qu'une réflexion sur la création d'une structure européenne de biomimétisme puisse être menée. C'est une idée partagée par les acteurs scientifiques allemands que nous avons entendus, qui se sont dits prêts à accueillir une initiative française au niveau européen.
Par ailleurs, au vu de l'intérêt grandissant des industries pour le biomimétisme, notamment pour améliorer leurs performances au regard de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), je suis arrivée à la conclusion qu'il est nécessaire de mettre en place des critères durables et précis du biomimétisme afin d'écarter le risque de greenwashing, ou éco-blanchiment. Il est indispensable de placer l'éthique et la durabilité au coeur de la démarche. C'est pourquoi les problématiques d'expérimentation sur les animaux doivent aussi être prises en compte. Je recommande donc de mettre en place une charte du biomimétisme avec les principaux acteurs du biomimétisme, afin que les projets s'inscrivent dans une démarche éthique globale qui respecte des principes de protection de la nature. Cette charte devra donner lieu à la création d'un label pour mettre en valeur les entreprises qui s'inscrivent dans une démarche de biomimétisme éthique.
J'estime enfin qu'il est très important de donner une impulsion politique décisive. C'est pourquoi je recommande d'organiser des assises du biomimétisme, sous l'égide conjointe des ministères de la transition écologique, de la mer, de l'agriculture et de l'alimentation, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et de l'économie, des finances et de la relance. À l'issue de ces assises, une feuille de route de la filière en biomimétisme pourrait être écrite afin de définir les moyens et d'élaborer les actions à mener à court et moyen terme.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je remercie Huguette Tiegna pour ce travail. Cette réflexion sur le biomimétisme a évidemment vocation à être développée et approfondie par la suite.
La différence entre les attitudes française et allemande est intéressante. Elle traduit bien les différences de comportements dans ces deux sociétés en apparence très proches, mais qui ont historiquement, vis-à-vis de la nature et de l'environnement, des comportements durablement distincts. Une explication serait que la France, pays à faible densité de population, a traditionnellement considéré que la nature était un bien inépuisable, dont on pouvait profiter pour le développement de la richesse humaine, fût-ce au détriment de la richesse dite naturelle.
L'Allemagne, pays moins riche sur les plans géographique et agronomique, parce que moins favorisé par le climat et la nature des sols, a toujours eu une attitude beaucoup plus précautionneuse, plus respectueuse, vis-à-vis de la nature. Souvenons-nous qu'avant la révolution industrielle, l'Allemagne était un ensemble de territoires pauvres, qui cherchaient dans l'émigration des solutions à la faiblesse des ressources naturelles.
Comme le montre la note, le biomimétisme traduit une attitude vis-à-vis de la nature. Celle, traditionnelle, de notre pays est évidemment plus détendue et moins respectueuse que celle de nos voisins. Je rebondis donc sur le passage intitulé « l'Allemagne, leader européen du biomimétisme » : existe-t-il des initiatives allemandes auprès de l'Union européenne pour promouvoir, d'une part le biomimétisme comme forme de progrès scientifique, et d'autre part la protection de la biodiversité comme support du biomimétisme ? Évidemment le biomimétisme est d'autant plus pertinent et généreux qu'il s'appuie sur une biodiversité reconnue. Avez-vous des éléments sur ces différences culturelles entre les deux pays ?
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Concernant les différences culturelles, j'ai souligné en introduction que l'humanité s'est intuitivement appuyée sur la nature. Évidemment, lorsqu'on est défavorisé sur tel ou tel plan, on cherche des solutions pour aller de l'avant. On peut donc considérer que cette différence culturelle a amené l'Allemagne à progresser dans le biomimétisme, sans que cela écarte toute contradiction sur le plan industriel puisqu'elle exploite toujours le charbon, tout en arrêtant le nucléaire civil. Il existe, bien sûr, une différence comportementale entre les deux pays, mais elle se situe probablement beaucoup plus au niveau des citoyens qu'au plan politique.
À mon sens, le biomimétisme s'est plus développé en Allemagne parce qu'un réseau s'est organisé entre les chercheurs et les entreprises. Au niveau politique, il y a aussi eu un accompagnement spécifique des projets par le ministère de la recherche, ce qui a facilité leur émergence. En France, nous finançons beaucoup tout ce qui relève de l'innovation, sans chercher à savoir de quel type d'innovation il s'agit. Puisque nous voulons inciter les entreprises à aller dans le sens de solutions écologiques, au travers de lois ajoutant à chaque fois de nouvelles contraintes, pourquoi ne pas accompagner tout simplement celles qui s'inspirent des solutions issues de la nature et adhèrent à cette éthique de durabilité et de résilience propre à la biodiversité ?
Sur la question européenne, des travaux interdisciplinaires existent entre chercheurs allemands et chercheurs d'autres nationalités, comme cela est habituel dans le monde de la recherche. Un chercheur d'origine française que nous avons auditionné travaille d'ailleurs à présent dans un laboratoire allemand. Mais à ce stade, il n'y a pas vraiment d'initiative européenne, d'où ma proposition de susciter une initiative commune, en écrivant une lettre ouverte ou une tribune cosignée par les membres de l'OPECST, d'autres parlementaires, des scientifiques, etc. Ces derniers étaient prêts à appuyer une telle démarche, afin que le sujet du biomimétisme soit porté au niveau européen. Monsieur le président, je ne sais pas ce que vous pensez de cette idée, mais elle pourrait créer un trait d'union entre la France et l'Allemagne sur ce sujet.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je pense en effet que c'est une piste à préciser et à approfondir dans nos conclusions.
Un autre sujet concerne la mobilisation de la nature en lieu et place de solutions issues du génie humain. Ainsi, de grandes entreprises européennes, par exemple BioMérieux, se proposent de mobiliser des insectes en lieu et place des pesticides. Avez-vous des informations sur ce sujet assez passionnant ?
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Nous avons auditionné l'entreprise M2I qui a développé des hormones permettant d'éloigner les mâles des femelles de la pyrale du buis, donc de limiter leur reproduction, afin qu'à terme ces insectes nuisibles disparaissent. La possibilité de remplacer les pesticides par des insectes capables de manger les nuisibles a aussi été évoquée. Il existe donc deux types de solutions.
Des phéromones peuvent aussi être utilisées pour protéger la vigne des ravageurs : il suffit d'accrocher des hormones encapsulées aux attaches de la vigne au moment de la reproduction. Il est évidemment difficile de deviner à quel moment exact les nuisibles seront là. C'est ce qui oblige les vignerons, soit à s'inspirer de la nature afin d'identifier, cycle par cycle, le moment de l'arrivée des nuisibles, soit à fixer le produit en espérant qu'ils arriveront dans le temps pendant lequel il se diffuse. Les phéromones doivent donc être utilisées en continu pour protéger les plantes.
D'autres solutions sont employées dans le domaine de l'agriculture biologique. Certaines fermes utilisent des coccinelles qui mangent d'autres insectes. Mais la question fondamentale est l'échelle à laquelle on peut produire ces coccinelles. Pour fabriquer des phéromones en grande quantité, il est possible d'utiliser des bactéries. Cette méthode permet de renforcer l'aspect biomimétisme, M2I ne souhaitant pas forcément faire appel à une fabrication de synthèse, similaire à celle des pesticides. Au niveau européen, ce sont des solutions qui continuent à se développer. D'ailleurs l'entreprise M2I est basée un peu partout et elle a des collaborations avec d'autres entreprises.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Merci pour cette note que je trouve particulièrement intéressante. Je voulais revenir sur la question de l'agriculture et de l'alimentation : on dit souvent que l'agriculture est sûrement en train de vivre le début d'une troisième révolution, après avoir connu l'avènement de la machine et, d'une certaine manière, de la chimie. L'objectif serait maintenant, en tout cas dans un pays comme le nôtre, de « mieux nourrir » tout en réduisant l'impact environnemental de l'activité agricole. L'objectif est clair, mais comme d'habitude il faut définir un chemin pour y parvenir. Comment peut-on l'évaluer et quelle place pourrait jouer le biomimétisme dans ce futur de l'agriculture ? Celui-ci a-t-il vraiment une chance d'être une composante majeure de cette troisième révolution ? On évoque aussi l'arrivée du numérique, de la digitalisation, qui permet d'utiliser moins de produits phytosanitaires d'une manière générale.
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - On peut faire une comparaison entre le futur de l'agriculture et les débats concernant le mix énergétique.
Il y a tout d'abord une question de santé, qui consiste à savoir comment « sortir » des pesticides, mais aussi une question de comportement humain, car les consommateurs demandent de manger quelque chose de sain et qui respecte la nature. Le biomimétisme peut en être une composante majeure, mais il faut décider quels moyens l'on veut consacrer à la construction d'une filière du biomimétisme agricole. Par exemple, la nécessité de travailler avec des organismes vivants, comme les coccinelles, crée des contraintes particulières. Ces outils ne sont ainsi pas utilisables durant les cinq premières années dans des grandes fermes. Il sera nécessaire de le compléter avec des outils d'agroécologie, afin d'éviter les pesticides.
Notre agriculture est à l'échelle européenne, à cause des financements européens. La PAC 2023 intègre un volet vert. L'Europe doit mettre des moyens pour développer des solutions biomimétiques dans ce domaine. Les moyens européens doivent encourager l'agriculture à aller vers des démarches plus vertueuses. La composante biomimétique est essentielle, dans la mesure où on connaît l'impact de l'agriculture sur les sols et la biodiversité. Tous les pays doivent mettre les moyens suffisants pour que cette démarche aboutisse.
La permaculture, qui est en plein développement, s'inscrit également dans une démarche biomimétique. Elle est cependant compliquée à grande échelle. Il est nécessaire d'encourager les agriculteurs à aller vers ces procédés, dans un cadre européen.
M. Philippe Bolo, député. - Bravo pour cette note très utile. En la lisant, il me semble qu'on peut identifier deux types d'approches dans le biomimétisme. D'une part, une démarche d'inspiration : on cherche à « faire comme la nature », par exemple le camouflage militaire. D'autre part, une démarche de modélisation, par exemple avec les essaims de drones reproduisant les essaims de guêpes. Est-ce une vision juste ? Quelle est la part de l'un et de l'autre, et y a-t-il une tendance à l'accroissement de la modélisation ?
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - En effet, il y a plusieurs approches. La première consiste à s'inspirer de quelque chose d'existant pour mettre au point des technologies ou des solutions allant dans le sens du développement durable, donc avec comme perspective de ne pas avoir d'impact sur la nature en retour.
La deuxième approche consiste tout simplement à mimer, en particulier dans le domaine du bâtiment. Par exemple, on peut s'inspirer des reflets des papillons, pour mettre au point des méthodes de coloration. Si cependant on construit un immeuble énergivore, on ne se place pas dans une démarche de durabilité. Pendant les auditions, nous avons remarqué que dans le domaine de l'architecture, la beauté du bâtiment prime souvent. Il est désormais nécessaire de prendre en compte une dimension supplémentaire : la réduction de la consommation d'énergie.
C'est pourquoi je recommande de mettre en place une charte éthique afin d'éviter les confusions. Le biomimétisme ne consiste pas simplement à imiter la nature, mais à aller dans le sens du développement durable. Une labélisation éthique devrait permettre de développer les projets qui vont dans le sens de la durabilité et qui sont vraiment biomimétiques. Par exemple, l'aviation s'est inscrite dans une démarche biomimétique en s'inspirant des oiseaux, mais il y a aujourd'hui la contrainte d'être plus vertueux envers la nature.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Cette comparaison est intéressante, car dans le cadre de l'aviation, l'approche biomimétique nous a plutôt induits en erreur, puisque les contraintes mécaniques ne permettent pas de reconstituer le vol d'un oiseau. C'est seulement l'introduction du moteur thermique et la grande densité d'énergie associée aux énergies fossiles qui a permis de mettre au point des moteurs particulièrement légers. On obtient une réponse antinaturelle, mais terriblement efficace.
L'architecture Art Nouveau, à la fin du XIXe siècle en Autriche, en Belgique, et en France, est un retour en force de la nature dans l'architecture, à travers la composante végétale de la décoration. Cependant, rendre hommage à la nature n'est pas la même chose que faire du biomimétisme, les bouches de métro d'Hector Guimard en sont un exemple. On identifie donc de profondes ambiguïtés dans les relations entre l'art, la science et la nature, qui doivent être éclaircies par une charte éthique
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Au-delà de ces remarques très positives, auxquelles je m'associe, certains éléments me gênent. La note évoque des bibliothèques ou des catalogues de ressources, mais que vient faire ceci dans une note sur le biomimétisme, censée expliquer ce que l'on fait en la matière ? En quoi le catalogue d'un muséum d'histoire naturelle, répertoriant des animaux morts, est-il une aide au biomimétisme ?
Quelle est la place de la recherche sur les animaux dans le biomimétisme ? Ce domaine est maintenant très encadré. L'Oréal a ainsi été l'une de premières entreprises à ne plus utiliser d'animaux dans ses recherches il y a dix ans. Ce sujet me semble donc se situer à la limite des recommandations que peut porter une telle note.
À l'inverse, une recommandation très intéressante est celle qui demande à référencer les projets bio-inspirés. Il est essentiel de savoir qui travaille dessus, et combien de projets vont en ce sens.
Le titre du passage de la page 3 libellé Un biomimétime durable au service de la biodiversité devrait faire mention de l'expérience pratique des entreprises, mentionnée par la suite. En effet, un biomimétisme durable doit être une préoccupation des entreprises.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Pour ce qui concerne les catalogues de muséums, faire parler les morts est quand même une bonne façon de connaître la vie qu'ils ont connue. Les séries télévisées font ainsi fréquemment apparaître des médecins légistes. La mort fait partie de la vie...
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Je disais en introduction que la Terre avait passé 3,8 milliards d'années à innover et à s'adapter à des conditions changeantes. Avant de m'entretenir avec les responsables du Museum national d'histoire naturelle, je me demandais moi aussi ce que la conservation d'espèces disparues pouvait apporter au biomimétisme. En fait, les chercheurs du Museum étudient les propriétés mécaniques de certaines espèces comme les animaux à carapace, où l'imbrication des écailles reflète une grande complexité mécanique. Aussi, ils s'intéressent aux cous de certains dinosaures et aux trompes d'éléphants. Cela leur permet par exemple d'imaginer des robots pouvant pivoter sur eux-mêmes à 360 degrés, comme le cou de certains oiseaux.
Certes, la quasi-totalité de ces animaux sont morts, mais les scientifiques sont capables d'en faire des modélisations puis de proposer des solutions d'ingénierie aux chercheurs industriels. C'est pourquoi, ils étudient aussi des fossiles de plantes anciennes, qui peuvent déboucher sur des solutions fondées sur la nature.
Les chercheurs créent des bases de données, qui ne se limitent pas au catalogue accessible au public et incluent des résultats de modélisation. Ces bases de données servent à faire de l'ingénierie et développer des solutions fondées sur la nature, dans de nombreux domaines comme la robotique ou l'agriculture, notamment via une collaboration avec le Ceebios. Les fossiles du Museum national d'histoire naturelle y occupent une place centrale.
Votre seconde question concernait l'utilisation des animaux pour la recherche. RTE doit gérer l'entretien des câbles électriques sous-marins utilisés dans les parcs éoliens en mer. Pour évaluer leur impact sur la biodiversité, ils surveillent l'état de coquilles Saint-Jacques. En effet, le niveau de stress auquel une coquille Saint-Jacques est soumise affecte le nombre de stries sur sa coquille. RTE s'inspire également de la peau des requins, qui a la propriété d'empêcher les bactéries de se développer à sa surface, contrairement à la tortue ou à la baleine qui sont recouvertes d'autres espèces venant s'y coller. S'inspirer de la peau du requin pour concevoir l'enveloppe extérieure des câbles électriques sous-marins permet d'éviter leur usure due à l'agglomération d'espèces.
L'exemple cité du requin illustre parfaitement ce qu'est la démarche biomimétique. Lorsque les ingénieurs s'inspirent de la peau du requin pour une étude, cela ne doit pas être nuisible aux requins. Le biomimétisme n'a pas vocation à tuer le requin, car la peau du requin n'est pas directement utilisée pour produire le câble, il ne s'agit que d'une inspiration pour développer une solution viable.
Pour ce qui concerne les entreprises, nombre d'entre elles font aujourd'hui du biomimétisme sans le savoir. Il y a deux ans, lorsque j'avais commencé à travailler sur ce sujet avec le Ceebios, la problématique des appels d'offres a émergé. La France finance l'innovation via des appels d'offres lancés par les organes de financement de la recherche ; leurs titres contiennent le nom de disciplines comme les biomatériaux ou de domaines comme le développement durable, mais jamais le mot « biomimétisme ».
Ainsi, les entreprises développent parfois des solutions biomimétiques sans le savoir ou n'y voient pas de valeur ajoutée. Le travail du Ceebios est de faire de la recherche pour proposer des solutions, en mettant à la disposition des entreprises des bases de données. Les entreprises n'ont parfois pas les ressources internes permettant d'obtenir la pluridisciplinarité nécessaire au biomimétisme : pas de géologue, pas de biologiste, etc. Elles ne peuvent pas mener ces études. Au contraire, L'Oréal dispose de toutes les capacités nécessaires de recherche fondamentale en interne.
Les entreprises ont un vrai rôle à jouer, il ne faut plus qu'elles ignorent qu'elles font du biomimétisme et il faut les inciter à aller dans le sens de cette démarche, en leur fournissant les données nécessaires.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je rejoins l'observation de Catherine Procaccia selon laquelle il y a un point à clarifier. La note restitue bien les efforts des entreprises qui découvrent le biomimétisme et qui s'y s'intéressent, à la fois pour faire travailler l'imagination de leurs chercheurs et peut-être pour se rapprocher de leurs objectifs en matière de RSE. Mais la mention du greenwashing, de l'écoblanchiment, me semble être une forme de procès d'intention envers les entreprises. Le biomimétisme est une piste de durabilité, pas une obligation.
Quand la note dit « il conviendrait de mettre en place des critères précis permettant de valider ce type de démarche afin d'écarter le risque de greenwashing ou écoblanchiment », cela donne le sentiment que les solutions proposées peuvent être de mauvaise foi. Alors qu'en réalité, comme il est dit très justement peu après, une technologie bio-inspirée devrait avoir une analyse du cycle de vie irréprochable et s'inscrire dans une philosophie de protection de la biodiversité. Travailler avec le vivant implique de placer l'éthique au coeur de la démarche car il ne faut pas faire dire au vivant ce qu'il ne nous dit pas. Certes, le risque existe que par un biomimétisme manipulé, des entreprises revendiquent l'imitation de la nature pour justifier leurs actions. Mais ce risque n'est pas établi, c'est un danger parmi d'autres, comme tous les comportements humains. Je pense qu'ouvrir ce passage par la mention d'un « biomimétisme durable au service de l'économie » serait très pertinent et je propose d'indiquer que travailler avec le vivant implique de « placer l'éthique au coeur de la démarche et de faire partager cette éthique par les acteurs économiques », plutôt que d'évoquer brutalement l'écoblanchiment ou le greenwashing sur un mode que je trouve inutilement polémique.
Je pense donc que tout ceci devrait être écrit de façon plus ronde. La référence éthique est très souhaitable. Je ne suis pas du tout scientifique puisque j'ai fait des études de sociologie. Il existe une école de pensée s'intéressant aux communautés humaines qui s'efforce de transposer les comportements des groupes d'animaux pour expliquer qu'au sein de la nature, les notions de hiérarchie et de conflit sont évidentes, permanentes et expliquent les comportements. Ainsi, pour caricaturer, notre volontarisme des Droits de l'Homme constituerait une sorte d'accident.
Faire parler la nature pour justifier des comportements qui ne sont pas acceptables serait déloyal sur le plan éthique : les communautés de fourmis s'organisent d'une certaine façon et n'ont rien à voir avec ce que nous sommes. L'idée de la charte éthique me plaît beaucoup, car cela permettrait de montrer qu'on ne parle de la nature qu'avec gravité, sans lui faire dire ce qu'elle ne dit pas et sans exiger d'elle des aspects impossibles à transposer directement.
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Vous avez tout à fait raison et je pense que, pour cadrer les « critères précis » dont parle la note, nous pourrions nous baser sur la norme ISO qui définit ce qu'est le biomimétisme.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Merci pour ce travail très approfondi. Je suis juste un peu gênée par le paragraphe mentionnant que L'Oréal est un pionnier sur le sujet des cosmétiques. En effet, la liste des auditions montre que L'Oréal a été la seule entreprise de cosmétiques auditionnée.
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - C'est exact. Cependant, à chaque audition, même celle du ministère des Armées, L'Oréal était cité en exemple. L'entreprise est très engagée sur le sujet.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - La note pourrait simplement préciser que L'Oréal a été la seule entreprise entendue.
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Doit-elle apporter les mêmes précisions pour les autres entreprises telles qu'Airbus, qui ont également été entendues ?
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - La référence à Airbus est moins engageante. Il faut avoir présent à l'esprit que les principaux clients de L'Oréal sont des femmes, qui sont souvent plus sensibles à cette cause. L'Oréal s'est forgé une image en termes de respect des animaux, sincèrement sans doute et d'une façon pas tout à fait inutile sur un plan commercial. L'Office n'a pas à voler au secours de L'Oréal qui est une entreprise assez puissante pour se défendre par elle-même. Mais cela ne veut pas dire que Filorga, Sephora, Estée Lauder ou d'autres marques ne font pas la même chose.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - L'Office avait abordé ce sujet lors de l'audition publique sur l'utilisation des animaux en recherche et les alternatives à l'expérimentation animale, et il me semble que L'Oréal n'était pas la seule entreprise engagée dans cette démarche.
Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. - Je propose de mentionner simplement que cette entreprise cherche à s'inspirer de la nature.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Oui, mais on maintient la précision selon laquelle elle a été la seule entreprise entendue pour la rédaction de la note puisque dans le cadre d'autres auditions organisées par l'Office, d'autres entreprises avaient exprimé la même volonté.
- Présidence de M. Jean-Luc FUGIT, député, vice-président de l'Office -
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Je vous propose donc d'adopter la note sous réserve des modifications évoquées précédemment.
L'Office autorise la publication de la note scientifique sur le biomimétisme sous réserve des modifications évoquées précédemment.
Examen du rapport « Qualité de l'air et Covid-19 : quelles interactions ? »
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Le deuxième point de l'ordre du jour porte sur l'examen du rapport « Covid-19 et Pollution de l'air » dont Angèle Préville et moi-même sommes rapporteurs. Je vais rappeler quelques éléments de contexte. Ce rapport résulte d'une saisine en date du 16 septembre dernier, émanant des commissions des affaires sociales et du développement durable de l'Assemblée nationale. Son adoption permettrait à la parole de l'Office d'être présentée lors de la réunion du Conseil national de l'air qui aura lieu dans quelques jours. J'ai l'honneur de présider bénévolement cette instance, au sein de laquelle le Sénat est représenté par Jean-François Husson.
Le rapport que nous présentons aujourd'hui est un approfondissement d'un premier travail conduit au printemps 2020. En effet, à l'issue du premier confinement, l'Office avait rendu publique une note intitulée « Pollution de l'air, gaz à effet de serre et crise du Covid-19 : quelles interactions ? » dont j'étais le rapporteur et qui s'intéressait à la fois à l'évolution de la pollution de l'air lors du confinement et à la pollution de l'air comme possible facteur aggravant de l'épidémie. Certaines informations étaient apparues dans la presse et nous avions alors souhaité donné un point de vue rigoureux sur l'état des connaissances de l'époque.
Différentes études avaient permis d'explorer avec précision le premier axe et d'en quantifier certains éléments, mais les études relevant du deuxième axe étaient insuffisantes pour conclure avec certitude, faute de données de long terme et d'analyses suffisamment complètes.
Plus d'un an et demi après le début de l'épidémie, les connaissances scientifiques sur la Covid-19 se sont améliorées, les études scientifiques ont été poursuivies et les mécanismes infectieux sont désormais mieux compris.
Le rapport présenté aujourd'hui explore principalement deux axes complémentaires. Tout d'abord, il examine les interactions entre la pollution de l'air extérieur et la dynamique de l'épidémie : les épisodes de pollution de l'air extérieur sont-ils à l'origine d'une recrudescence de cas de Covid-19 ou d'une plus forte sévérité des infections au virus ? Nous avons pour cela réalisé plusieurs auditions et échangé avec des médecins, des virologues, des épidémiologistes, des spécialistes de la gestion des risques naturels, les autorités sanitaires ainsi que des associations. Dans un second temps, le rapport explore les liens entre la transmission du SARS-CoV-2 dans les milieux confinés et la qualité de l'air intérieur : quelles sont les conséquences sanitaires potentielles d'un air intérieur de mauvaise qualité ? Quels rôles peuvent jouer les dispositifs de mesure du dioxyde de carbone et les purificateurs d'air pour lutter contre la transmission du virus dans les milieux confinés ?
Cette seconde partie s'appuie principalement sur l'audition publique « Transmission du coronavirus dans les milieux confinés, capteurs de CO2 et purificateurs d'air », qui a eu lieu le 4 novembre dernier. Elle a apporté de précieux éléments et a suscité l'intérêt au-delà des seuls membres de l'Office. La réception d'une trentaine de questions d'internautes et la mobilisation de nombreuses associations sur les réseaux sociaux nous l'ont confirmé.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Nous avons exploré les interactions entre la pollution de l'air extérieur et la dynamique de l'épidémie, cherchant à savoir si les épisodes de pollution pouvaient être à l'origine d'une recrudescence du nombre de cas ou d'une plus grande sévérité des infections.
Comme vous le savez, l'air extérieur contient divers polluants, qui sont dits « atmosphériques ». Le réseau des Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) surveille différents polluants réglementés ayant des effets avérés sur la santé et l'environnement.
Parmi ces polluants réglementés, plusieurs présentent un intérêt particulier : les oxydes d'azote, qui sont issus de la combustion et de la synthèse d'engrais chimiques et qui irritent fortement les voies respiratoires ; les particules fines, qui sont soit d'origine anthropique, en provenance de l'industrie, des transports et du chauffage, soit d'origine naturelle, issues des poussières du désert, du pollen, etc. Elles peuvent pénétrer dans l'appareil respiratoire et plus elles sont fines, plus elles sont susceptibles de pénétrer en profondeur, voire de passer dans la circulation sanguine. Enfin, il faut citer l'ozone des basses couches de l'atmosphère. Ce gaz est issu des activités humaines et il est très irritant pour les voies respiratoires
La pollution de l'air n'est pas anecdotique, ni un problème exclusivement environnemental, mais bien un sujet majeur de santé publique. Santé publique France a établi que la pollution aux particules fines, particules dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns, a été responsable en 2019 de 40 000 décès prématurés en France, soit 6% de la mortalité toutes causes confondues. L'Agence européenne pour l'environnement (AEE) estime que 300 000 personnes sont mortes prématurément en 2019 des effets de la pollution de l'air, principalement à cause des particules fines.
En effet, les études de cohorte et les études in vitro montrent que l'exposition à la pollution de l'air, chronique ou temporaire, engendre des symptômes respiratoires, des symptômes cardio-vasculaires mais aussi une inflammation chronique à l'origine d'une baisse de la réponse immunitaire. Il est donc tout à fait légitime de s'interroger sur les effets de ces différents symptômes et d'une potentielle baisse de la réponse immunitaire, dans le contexte de la Covid-19.
Plusieurs études, menées en Chine, en Italie, dans la région de la Lombardie, ou au Royaume-Uni ont établi des corrélations spatiales entre les concentrations atmosphériques des principaux polluants réglementés et le taux de contamination par le virus : plus les taux de particules fines et de dioxydes d'azote sont élevés, plus le virus semble circuler.
Toutefois, nous devons faire preuve d'une grande prudence vis-à-vis de ces résultats : ils sont issus d'études purement statistiques et peuvent donc être très influencés par des facteurs qui n'ont pas été pris en compte tels que la densité de population, les maladies chroniques ou encore le tabagisme. Par exemple, une zone très dense aura tendance à être plus polluée, mais pourra aussi connaître une circulation du virus plus élevée du fait de la plus grande proximité entre individus.
C'est pourquoi nous recommandons de mettre en place des études de cohorte afin de mieux explorer ces phénomènes dans leur pleine mesure, en s'affranchissant des potentiels biais statistiques. C'est le sens de la première recommandation du rapport.
La pollution de l'air est significativement corrélée de façon positive avec l'activité épidémique, mais l'exposition chronique à la pollution est-elle un facteur de comorbidité ? En effet, l'inflammation des muqueuses respiratoires pourrait augmenter leur perméabilité au virus.
Des études s'appuyant sur des travaux de statistique et de modélisation ont montré que l'exposition à une forme chronique de pollution de l'air pouvait favoriser l'émergence d'une forme grave du Covid-19 et augmenter les chances de décès. Je réitère donc notre recommandation : des études épidémiologiques sont absolument nécessaires pour pouvoir établir ces faits avec certitude. Par ailleurs, plusieurs études in vitro identifient les particules fines issues des activités de combustion comme étant les plus toxiques et les plus à même de perturber la réponse immunitaire.
Nous avons également exploré la potentialité d'un transport du virus par les particules fines. Le SARS-CoV-2 peut se transmettre de différentes manières : par contact direct avec la bouche, le nez ou les muqueuses des yeux, ou de façon aéroportée. Dans les modes aéroportés, la contamination peut intervenir via les gouttelettes émises par la toux, de taille supérieure à 5 microns, et les aérosols, de taille inférieure. La question était de savoir si les particules fines pouvaient interagir avec les aérosols et faciliter leur transport.
Les phénomènes de dilution intervenant en milieu extérieur et la faible probabilité d'une coagulation entre une particule fine et un aérosol viral suggèrent que les particules fines ne peuvent pas être des vecteurs du virus.
Il apparaît que les conditions météorologiques associées aux pics de pollution sont aussi les plus propices à la circulation du virus, ce qui pourrait expliquer les corrélations précédemment observées. Différentes études menées par la société Predict ou l'Institut Pasteur visent à faire la lumière sur les liens éventuels entre les conditions météorologiques et l'activité épidémique. Ainsi, une température comprise entre 5 et 10 degrés et une humidité relative comprise entre 65 et 80% sont les conditions les plus propices à la circulation du virus.
À l'aune de l'actuelle reprise épidémique, coïncidant avec le retour du froid, nous recommandons d'examiner la prise en compte des données atmosphériques dans les modèles épidémiques, à la fois pour effectuer des prévisions à court terme mais aussi pour caractériser précisément la saisonnalité de l'épidémie.
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office -
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Après avoir abordé la question de la qualité de l'air extérieur, il convient de passer à celle de l'air intérieur, en examinant les conditions de la transmission du SARS-CoV-2 en milieu confiné et le rôle pouvant être joué par les capteurs de CO2 et les purificateurs d'air pour lutter contre l'épidémie.
Le lien entre qualité de l'air extérieur et santé publique est bien connu, mais la qualité de l'air intérieur est un sujet qu'il faut également prendre en considération. En effet, les activités des occupants, comme fumer ou cuisiner, les vernis des meubles, les feux de cheminée, notamment quand le chauffage au bois est non performant, les peintures, les colles, les moisissures, ainsi que l'entrée de polluants extérieurs dans un milieu fermé sont autant de sources de polluants de l'air intérieur.
Ces sources émettent principalement des composés organiques volatils (COV) et des particules fines, dont les conséquences sanitaires sont similaires à celles induites par les polluants de l'air extérieur, en y ajoutant de potentiels effets cancérigènes. Alors que nous passons environ 80 à 90 % de notre temps en intérieur, chez nous, au travail, dans les écoles, dans les centres commerciaux, dans nos activités de loisirs, ces effets sont souvent sous-estimés.
Dans le cadre de l'épidémie de Covid-19, il s'agit de savoir si la charge virale peut se trouver durablement en suspension dans l'air, ce qui rejoint la question de la contamination par aérosols. Aussi, il apparaît nécessaire de trouver des solutions pour éliminer ces aérosols, donc d'examiner l'intérêt des purificateurs d'air et des capteurs de CO2.
L'audition publique du 4 novembre a permis de réunir des épidémiologistes, des médecins, des associations, des industriels et des représentants de collectivités locales. Elle a apporté de nombreuses réponses à nos questions mais aussi démontré à quel point ce sujet était sensible. En effet, au-delà de la question de la transmission par aérosols, qui peut paraître purement scientifique, l'enjeu consiste à lutter contre les contaminations dans les crèches, les établissements scolaires, les EHPAD et plus globalement au sein de tous les établissements recevant du public (ERP).
L'audition publique a mis en évidence l'importance de la transmission par aérosols en milieu confiné. Bien que la part de ces contaminations soit difficile à évaluer parmi l'ensemble des contaminations, le risque est réel et doit être mieux pris en compte, surtout dans les ERP et les lieux où se déroulent des activités propices à l'émission d'aérosols, par exemple à travers la prise de parole ou le chant.
Certes, l'aération des pièces est devenue un geste barrière, dans l'objectif d'éviter l'accumulation dans l'air de particules virales. Mais nous savons tous que cette aération est parfois peu appliquée, particulièrement en cette période hivernale.
L'audition a mis en lumière l'intérêt de la mesure du taux de dioxyde de carbone, qui est un bon indicateur du niveau de renouvellement de l'air dans une pièce. Un taux inférieur à 800 ppm en intérieur indique une bonne qualité d'air - même si cette concentration est plus élevée que celle mesurée en air extérieur qui est de l'ordre de 400 ppm - un taux entre 800 et 1000 ppm traduit une qualité d'air moyenne, nécessitant un renouvellement, et un taux supérieur à 1000 ppm correspond à une qualité de l'air modérée, nécessitant une aération immédiate dans le contexte de l'épidémie.
C'est pourquoi nous recommandons l'installation et l'usage de capteurs de CO2 dans les ERP, afin de faciliter la mise en place et la systématisation des mesures d'aération. Ces capteurs permettraient à la fois d'avertir de façon pertinente lorsque l'air nécessite d'être renouvelé, mais aussi d'ancrer dans l'esprit de chacun la nécessité d'une aération régulière. Il s'agit d'un bon outil pédagogique, notamment chez les enfants. Il convient ainsi de rendre visible l'invisible grâce aux capteurs.
L'installation des capteurs de CO2 s'inscrit dans un contexte plus global de lutte contre toutes les épidémies de maladies respiratoires et saisonnières telles que la grippe ou la bronchiolite, qui nécessitent elles aussi une aération. L'investissement associé à ces capteurs sera alors largement rentabilisé. Un rapport du Sénat de 2015 avait chiffré le coût de la pollution de l'air à 100 milliards d'euros par an pour la France, dont 20 milliards résultant de la pollution de l'air intérieur.
Le rôle des collectivités locales est majeur, celles-ci ayant la responsabilité des locaux scolaires, et il faudra donc les accompagner. Nous recommandons la rédaction d'un guide de bonnes pratiques expliquant notamment les manières d'utiliser un capteur de CO2.
Cependant certains lieux ne peuvent pas être aérés facilement, par exemple les salles de cours et de restauration situées en sous-sol. En outre, le bénéfice tiré du renouvellement de l'air intérieur est fortement dépendant de la qualité de l'air extérieur. Lors de pics de pollution, il n'est pas pertinent d'ouvrir grand les fenêtres. Lorsqu'une fenêtre donne sur une « rue canyon », étroite, concentrant les particules fines et les oxydes d'azote, on fera entrer ces polluants extérieurs en voulant renouveler l'air intérieur. Une solution existe cependant, avec les purificateurs d'air, qui assainissent l'air ambiant de ses agents pathogènes et donc potentiellement du SARS-CoV-2.
Différentes technologies de purificateurs d'air existent et sont détaillées dans le rapport. On distingue deux grandes catégories : les dispositifs qui reposent sur un piégeage par filtration et ceux qui utilisent des mécanismes d'oxydation menant à la destruction de l'agent infectieux. Pour les besoins de la lutte contre la Covid-19, et dans le but plus général d'amélioration de la qualité de l'air intérieur, nous recommandons l'utilisation de purificateurs utilisés de filtres à très haute efficacité de filtration, dits HEPA 13 et HEPA 14.
Le rapport souligne qu'il convient de rester très prudent quant à l'utilisation des mécanismes d'oxydation, qui pourraient former des composés nocifs. Rappelons-nous en effet que, comme le disait Lavoisier, rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Il faudrait donc s'assurer que les produits de la dégradation ne soient pas nocifs.
Des essais en conditions « réelles » des unités mobiles de purification de l'air doivent être menés. Il ne s'agit pas uniquement de tester un purificateur d'air sur un banc d'essai car il faut garantir que l'efficacité du dispositif est réelle et pas seulement psychologique.
Nous rappelons que l'amélioration de la qualité de l'air intérieur doit en priorité reposer sur l'aération et la ventilation. L'usage de purificateurs d'air ne doit être vu que comme une mesure complémentaire.
Pour finir, je remercie ma collègue Angèle Préville pour son regard toujours rigoureux sur ces questions et l'excellent travail que nous avons pu réaliser ensemble.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Merci pour votre rapport, clair et exhaustif, qui prend appui sur l'audition du 4 novembre. Vous n'avez pas cherché à céder aux modes ou aux inquiétudes du moment mais à approfondir le sujet. Cela conduit à un jugement nuancé, notamment sur la question des particules fines, qui ne sont pas forcément des facteurs aggravant la diffusion de la Covid-19. Ce que vous dites sur l'air intérieur relève du bon sens. Encore fallait-il le rappeler. La généralisation des capteurs de CO2 est souhaitable. C'est une affaire de collectivités locales mais c'est aussi l'affaire de l'Éducation nationale.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - En tant que pédiatre, je savais déjà que les bronchiolites étaient plus fréquentes en ville qu'à la campagne, ce qui est moins le cas pour la grippe. Je reviens de Suède, où personne ne porte de masque et où les taux de contamination par la Covid-19 sont faibles. Comment l'expliquer ? Serait-ce parce que la qualité de l'air y est excellente et que le mode de vie des Suédois les conduit à se rendre souvent à l'extérieur ? Dispose-t-on de comparaisons entre pays européens et entre villes européennes ?
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - La Suède a une densité de population plus faible que la France. Nous n'avons pas mené d'investigations sur d'autres pays que la France. Il est donc difficile de répondre.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Avant d'être parlementaire, j'ai travaillé sur les questions de pollution de l'air d'un point de vue scientifique. On sait que la pollution de l'air extérieur impacte notre système respiratoire. La sphère ORL n'est mature que vers 13 ou 14 ans. L'enfant est fragile avant. Dans mes fonctions professionnelles antérieures, j'ai été amené à travailler en Laponie ; j'ai pu y constater, sur un plan strictement familial, l'effet tout à fait bénéfique de la qualité très élevée de l'air extérieur. La pollution de l'air est un facteur aggravant des problèmes respiratoires. Le rapport souligne que la pollution ne transporte pas forcément le virus, mais que le virus peut plus facilement se développer lorsque notre système immunitaire ou respiratoire est affaibli. Dans les pays du Nord de l'Europe où la densité de population est plus faible et l'activité industrielle plus diffuse, la qualité de l'air est meilleure et les organismes sont certainement plus résistants.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Je voudrais aller dans le même sens que le président et vous féliciter parce que je trouve que c'est vraiment un rapport tel que nous les attendons à l'OPECST, un rapport fouillé, creusé et qui dépasse le sens commun. C'est un excellent rapport.
Lors de l'audition, j'avais demandé si l'on avait pu établir un lien entre l'installation des purificateurs d'air et le fait qu'il y ait eu plus ou moins d'enfants atteints par la Covid ou de classes fermées dans les écoles concernées du 9e arrondissement de Paris. Cela n'avait pas été le cas. Est-ce que votre recommandation n° 6 sur les tests d'efficacité vise un suivi pratique de ce genre ? Cela pourrait donner des éléments d'information utiles car même si l'on sait que les enfants peuvent attraper la Covid hors de la classe, peut-être transmettent-ils moins le virus ensuite à l'intérieur de la classe. Est-ce que vous envisagez d'insister sur ce point ?
Par ailleurs, vous avez noté, j'espère, combien l'OPECST a appliqué vos recommandations puisque nous avons ouvert grand les fenêtres de cette salle entre les deux présentations de notes !
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - J'ai trouvé cela remarquable !
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Votre présentation montrait clairement que l'ouverture des fenêtres était aussi efficace ou presque que les purificateurs d'air.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Pour revenir au sujet des écoles, Angèle Préville et moi avons prévu de nous rendre à la mairie du 9e arrondissement de Paris la semaine prochaine. Nous irons nous rendre compte sur place et nous faire expliquer sur un cas concret comment l'expérimentation a été menée, avec l'association Respire, qui encadre et qui aide les acteurs à s'organiser sur ces sujets-là.
Je suis d'accord qu'il faudrait parvenir à mieux quantifier les choses. Il existe depuis 2001 un Observatoire de la qualité de l'air, qui est hébergé dans les locaux du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et qui dépend de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), donc du Ministère de la Transition écologique. D'ailleurs, en tant que président du Conseil national de l'air, je me suis toujours demandé pourquoi l'air extérieur est géré par la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et l'air intérieur par la DGPR, j'aimerais bien que cela évolue. Il y a des gens remarquables dans cet Observatoire de l'air intérieur, à qui l'on pourrait donner la mission de mettre un cadre, de faire du quantitatif, de suivre des exemples concrets de ce type-là, et de faire ce qu'on appelle en sciences une méthodologie de plan d'expérience, de chimiométrie. Cela permettrait d'y voir un peu plus clair.
Je vais vous parler très sincèrement. Il y a quelques mois, je visitais une commune de ma circonscription, une commune plutôt rurale. Le maire m'a dit que la région avait offert un purificateur d'air pour l'école. Je lui ai demandé ce que cet appareil piégeait et ce qu'il purifiait, et comment avait été choisi son emplacement. Il m'a répondu qu'il comprenait mes questions mais qu'il n'avait pas les réponses. J'ai trouvé ça dommage. C'est très bien de financer des purificateurs d'air puisque ça part d'une bonne intention, mais ce serait mieux de le faire selon une méthode suffisamment rigoureuse et de pouvoir expliquer aux parents quel type de purificateur est utilisé et ce qu'il fait. Le message que veut faire passer le rapport, c'est qu'il faut mettre de la rigueur dans tout ça pour ne pas donner l'impression qu'il suffit de « poser quelque part » un purificateur. Au salon des maires, il y a quelques semaines, plusieurs sociétés présentaient des purificateurs d'air et j'ai souhaité me faire expliquer certaines technologies qui avaient l'air intéressantes. J'ai posé des questions sur les composés de dégradation : les avez-vous étudiés ? les avez-vous quantifiés ? comment sont-ils qualifiés ? Il faut des réponses à ces questions. Nous souhaitons donc que soit adoptée une démarche rigoureuse et encadrée. Voilà pourquoi nous pensions à l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur en association avec les associations d'élus et sur la base d'exemples pour aboutir à quelque chose de construit. L'ADEME serait aussi en train de travailler sur ces sujets.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Les collectivités font des investissements et il est absolument nécessaire que ceux-ci soient efficaces et accompagnés de retours. Le rapport rappelle que, deux ans après le début de l'épidémie et alors que chacun s'en préoccupe beaucoup, la société toute entière doit mieux connaître les questions liées à la propagation du virus et aux dispositifs qui permettraient de l'éviter ou de la freiner en milieu confiné. Cela permettrait de gérer correctement l'installation des capteurs de CO2 et des purificateurs - en faisant bien la différence entre les deux, ce qui est très important. Chacun devrait savoir exactement quelle est leur fonction et comment il faut gérer l'utilisation au quotidien de ces outils, par exemple dans les salles de classe.
M. Philippe Bolo, député. - J'ai été surpris de ne pas entendre parler d'un polluant atmosphérique, les microparticules de plastique, qui ont beaucoup intéressé l'Office il y a quelque mois.
Par ailleurs, pour rebondir sur ce que vous disiez en termes de méthode et de bonne utilisation de l'argent public, on voit fleurir aujourd'hui sur des plateformes de vente en ligne françaises (et pas américaines) des capteurs de CO2 qui coûtent entre 10 et 40 euros. Pourtant, le rapport indique qu'il faut compter 100 euros pour avoir un capteur de qualité. Ceux qui se trouvent sur Internet ne correspondent-ils à rien de valable ? Est-ce qu'ils ne sont pas fiables ? Quelles sont les bonnes pratiques à faire valoir en la matière ? Le rapport peut donner envie à certains de s'équiper de capteurs de CO2. Or, n'ayant pas forcément les moyens ou voulant « bien gérer » l'argent public, ils vont aller chercher les capteurs les moins chers. Si ceux-là ne produisent pas de résultats, c'est contre-productif.
J'achève mon propos en vous disant bravo et merci pour ce rapport.
Mme Huguette Tiegna, députée. - Je vous adresse moi aussi mes remerciements. Le premier travail de l'Office sur les liens entre Covid-19 et pollution de l'air avait montré que le confinement avait largement contribué à l'amélioration de la qualité de l'air extérieur ; en particulier, la réduction de la circulation avait réduit les émissions de particules fines. Cependant, des évènements extérieurs, notamment des incendies dans certains pays, et les flux atmosphériques ont pu entraîner des pollutions en France. Certains élus s'interrogeaient sur l'utilité des capteurs de CO2 pour mesurer la qualité de l'air intérieur alors qu'il n'est pas possible de s'assurer de la bonne qualité de l'air extérieur. Pour ceux qui ne possèdent pas de purificateurs d'air et utilisent simplement l'aération, comment s'assurer que la qualité de l'air extérieur est meilleure que celle de l'air intérieur ?
L'utilité de l'aération ne fait aucun doute pour lutter contre la propagation de la grippe ou de la Covid-19. Mais la question n'a pas encore été résolue pour ce qui est des particules fines. Avez-vous connaissance d'équipements qui permettent de comparer les qualités de l'air intérieur et extérieur ? La recherche doit-elle continuer d'avancer sur ce terrain pour proposer des solutions à nos concitoyens ?
Les mobilités propres pourront aussi améliorer la qualité de l'air extérieur. Pour répondre à la remarque sur le nombre de bronchiolites qui serait plus élevé en ville, j'indique qu'il existe aussi des cas de bronchiolites dans nos territoires ruraux et qu'ils sont souvent liés à l'agriculture et à des phénomènes de pollution comme les incendies.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Pendant le premier confinement, on a observé une amélioration assez nette de la qualité de l'air en matière d'oxydes d'azote, leur concentration ayant baissé de 30 à 70% dans les principales agglomérations françaises. La source principale des oxydes d'azote sont les moteurs à énergie fossile.
Il n'y a eu quasiment aucune modification des concentrations en particules fines en mars et avril 2020. C'est normal puisque la source principale des particules fines n'est pas le transport mais le chauffage au bois non performant. En 2019, donc avant l'épidémie, 42% des particules fines PM 2,5 en Ile-de-France venaient du chauffage au bois non performant et 27% venaient des transports. Pour la ville de Paris, les taux sont 38% pour le transport et 35% pour le chauffage. Il en va de même pour l'agglomération lyonnaise. En Ile-de-France, 800 000 foyers utilisent du chauffage au bois dont une partie est non performant. Je ne me positionne pas contre le chauffage au bois mais je souligne le problème du chauffage au bois non performant. Cette problématique a conduit à élaborer le Plan d'action chauffage au bois sur lequel le Conseil national de l'air a travaillé avec le gouvernement et qui a été publié le 23 juillet 2021. J'ai fait adopter certaines mesures législatives par voie d'amendement au projet de loi Climat et Résilience. L'utilisation importante du chauffage au bois pendant le confinement s'expliquait par la présence prolongée au foyer mais aussi par un froid sec plutôt constant.
De plus, au mois d'avril ont lieu les épandages agricoles du printemps. Il ne s'agit pas de montrer du doigt les agriculteurs mais de prendre en compte le fait que la pollution met en jeu divers polluants provenant de diverses sources. Pour les oxydes d'azote, les transports sont la source principale. Pour les particules fines, les sources sont plus diversifiées : les transports, le chauffage au bois non performant, l'industrie, et à certains moments de l'année l'agriculture. La qualité de l'air extérieur s'est donc améliorée pendant le confinement du point de vue des oxydes d'azote mais elle ne s'était pas améliorée du point de vue des particules fines.
Pour ce qui est de la comparaison entre milieu rural et milieu urbain, il est vrai sur un plan statistique que l'air extérieur est de meilleure qualité en milieu rural. Ce n'est cependant pas vrai pendant l'été, car l'ozone est alors le principal polluant. Pour en savoir plus sur les réactions chimiques de l'ozone, je vous renvoie à mes travaux de recherche et à ma thèse publiée il y a longtemps maintenant.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous l'avons tous lue !
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - J'imagine bien, monsieur le président ! J'avais démontré que l'ozone était un polluant des villes et des champs. Nos agriculteurs sont des victimes de la pollution à l'ozone, car les rendements agricoles notamment pour les céréales, peuvent baisser de 15 à 30% à cause de l'ozone d'été. Nous sommes tous responsables et victimes.
En France, la surveillance des concentrations en oxydes d'azote, ozone et particules est quotidienne et règlementée. Jusqu'au 1er janvier 2021, la surveillance de ces dernières ne concernait que les PM 10 ; depuis elle concerne aussi les PM 2,5. C'est un sujet que nous avons porté au Conseil national de l'air et le sénateur Jean-François Husson m'a beaucoup aidé à convaincre le gouvernement de cette extension aux PM 2,5. C'est une décision courageuse car l'intégration des PM 2,5 dans l'indice quotidien entraîne une augmentation du nombre de jours pendant lesquels la qualité de l'air est dite dégradée. Ceci ne veut pas dire que la situation française se dégrade mais que nous sommes plus exigeants. C'est une certaine forme de courage et il ne faut pas hésiter à le dire quand on est dans l'action publique comme nous le sommes. Chaque citoyen et chaque commune peut être informé tous les jours de la qualité de l'air extérieur sur son territoire.
Nous préconisons donc d'installer des capteurs de CO2 qui indiquent quand l'aération est nécessaire, mais nous préconisons aussi d'être vigilant sur la qualité de l'air extérieur. Lors d'un pic de pollution de l'air extérieur, l'aération conseillée par les capteurs de CO2 ne sera pas suffisante et l'utilisation de purificateurs d'air est nécessaire. Il faut tenir compte de la qualité de l'air extérieur pour ne pas faire de l'ouverture des locaux un geste systématique qui pourrait faire entrer des polluants qui viendraient endommager le système respiratoire de celles et ceux qui sont dans la pièce. L'une de nos recommandations propose de développer une pédagogie de la transmission du virus en milieu confiné. Au cours d'une audition, nous avons pu voir des graphiques très clairs pour chaque source de pollution en air intérieur. Cette démarche pourrait être mise à profit dans une campagne de sensibilisation, pourquoi pas télévisée, afin d'expliquer ces sujets qui peuvent paraître complexes. Nous pensons qu'il faut s'inscrire dans une telle démarche de pédagogie, qui n'est pas toujours évidente, en direction du grand public. Puisque nous sommes à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, il nous paraît plus que jamais essentiel d'affirmer que la science doit être placée devant les croyances.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - C'est bien vrai.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je partage tout à fait ce principe.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Pour répondre à Philippe Bolo, les microfibres de plastique sont incluses dans le périmètre des « particules », sans distinction. C'est cependant un sujet qui pourrait être approfondi.
La qualité des capteurs de CO2 varie vraisemblablement avec le prix. Nous estimons qu'un coût d'une centaine d'euros reflète sans doute une certaine qualité, sans que ce soit une garantie absolue. Les capteurs mis sur le marché avec des coûts très faibles ne peuvent très certainement pas être efficaces. Je rejoins Jean-Luc Fugit sur la pédagogie : nous sommes toujours au coeur de l'épidémie, on sent monter un sentiment de lassitude et c'est bien par la science que l'on pourra faire comprendre au grand public comment lutter efficacement contre la propagation du virus. Il est temps de parler un langage de vérité aux Français. Ceci permettra de mieux faire comprendre l'ensemble des mesures contraignantes. Nous espérons aussi que le gouvernement prendra en compte ce que l'on vient de découvrir pour mettre en place des mesures plus fines. La lassitude de la population et les conséquences indirectes de la Covid-19 sur la santé publique doivent être pris en compte dans les mesures que nous serons amenés à mettre en place.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je remercie Angèle Préville et Jean-Luc Fugit de leur implication constante et continue. Le génie est une longue patience, et d'étape en étape nous arrivons à maîtriser ces sujets. Mes chers collègues, je vous propose d'adopter ce rapport et d'en autoriser la publication, complétée par les annexes qui doivent l'enrichir.
L'Office autorise la publication du rapport « Qualité de l'air et Covid-19 : quelles interactions ? ».
Examen de la note scientifique sur les outils de visioconférence
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Sans plus tarder, je donne maintenant la parole à Ronan Le Gleut, qui va nous présenter une note scientifique dont le sujet est au coeur de l'actualité et de la prospective : comment allons-nous travailler ensemble grâce au numérique, mieux et plus encore ?
M. Ronan Le Gleut, sénateur, rapporteur. - Il y a un peu plus d'un an, lorsque l'Office m'a confié la réalisation de cette note scientifique, la visioconférence n'était pas une option, c'était une obligation. C'était même, bien souvent, le seul moyen de continuer à travailler, à étudier, à rester en contact avec nos proches - bref, tout ce qui permet d'assurer la continuité de la vie économique et sociale. On a fait par visioconférence des consultations médicales et des procédures pénales, des entretiens et des concours, des mariages et des enterrements, des apéros et des cours de sport, des conseils des ministres et des conseils municipaux. Nous-mêmes, au Parlement, au sein des différentes commissions, avons dû nous adapter. Deux grandes questions étaient posées : nos communications en vidéo sont-elles suffisamment sécurisées, par exemple pour les réunions des commissions chargées des affaires étrangères et de la défense ? À quoi correspond ce phénomène qu'on appelle Zoom fatigue, que tout le monde a constaté, et que dit la science à ce propos ?
Aujourd'hui, il apparaît évident qu'il n'y aura pas vraiment de retour en arrière : la visioconférence restera, au moins pour certains usages et dans certains cas, ne serait-ce que parce qu'elle est indissociable du télétravail. Et moins de déplacements, c'est moins de contraintes pour les travailleurs, moins de coûts pour les entreprises et moins d'impact sur l'environnement. Je précise que l'impact de la visioconférence en tant que tel est négatif, à cause de la consommation d'énergie due à la vidéo, mais que ceci ne représente même pas 1% du gain attendu du fait de la baisse des trajets domicile-travail.
Pourtant, la visioconférence ne présente pas que des avantages, loin de là. Rien ne remplace la chaleur du contact avec les proches, rien ne remplace les échanges informels de la machine à café ou les réunions de brainstorming, et rien - c'est sans doute le plus important, même si les études manquent - ne remplace l'école... à l'école.
Demain, le recours à la visioconférence ne sera plus une obligation, mais le résultat d'une série de choix, en fonction des usages et des circonstances. L'objectif de la note qui vous est présentée est précisément d'éclairer ces choix, dans leurs aspects scientifiques et technologiques.
Ces derniers mois, un nom est presque devenu synonyme de visioconférence dans le langage courant, celui de Zoom, cette plateforme passée en trois mois de 10 millions à 300 millions d'utilisateurs quotidiens, loin devant ses principaux concurrents Microsoft Teams et Google Meet (lesquels ont depuis rattrapé une partie de leur retard). Cette popularité, qui tient à des fonctionnalités innovantes et à une qualité audio et vidéo inégalée, a un prix à payer : entre deux Zoom apéros, on a beaucoup parlé de Zoom fatigue.
La Zoom fatigue désigne cet épuisement parfois intense ressenti après avoir enchaîné les réunions en visioconférence. Ce phénomène a parfois été pris à la légère par les entreprises, les administrations, les enseignants aussi : après tout, n'est-ce pas un peu déplacé de se plaindre quand on est tranquille chez soi, au lieu de venir au bureau ?
Eh bien non, ce n'est pas déplacé : le phénomène est bien réel, il se voit d'ailleurs très nettement sur l'électroencéphalogramme des participants à une série d'études récentes, et à vrai dire, pour les anthropologues, linguistes, psychologues et autres chercheurs en neurosciences, cela n'est pas vraiment une surprise. En effet, même s'il existe encore peu de travaux spécifiques sur la visioconférence, les mécanismes à l'oeuvre sont connus depuis longtemps. En voici une présentation simplifiée.
Premièrement, le cerveau fournit un effort supplémentaire important pour déchiffrer les signaux non verbaux - le regard, les expressions, les gestes etc. -, que nous traitons habituellement de façon inconsciente, mais qui à l'écran nous parviennent de façon dégradée ou déformée. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais il suffit d'un décalage de quelques millisecondes entre signaux auditifs et visuels - on appelle cela la « dysynchronie » - pour perturber nos automatismes. Nous sommes bien dans le domaine de l'imperceptible : on ne s'en rend même pas compte, et pourtant cela nous épuise - et je ne parle même pas de tout ce qui est perceptible, des vidéos « pixélisées », un son haché et un mode « galerie » qui ne correspond à aucune situation réelle. Il est aussi plus difficile d'envoyer les bons signaux : c'est pour cela qu'en « visio », on a tendance à exagérer nos gestes et à parler plus fort.
Deuxièmement, la visioconférence simule une très grande proximité de l'interlocuteur (l'équivalent de 13 cm en moyenne), que le cerveau interprète comme une violation de la sphère « intime », celle des relations amoureuses et familiales, qui va jusqu'à 45 cm. C'est un peu ce qui se passe quand on prend l'ascenseur, à cela près que dans l'ascenseur, on compense cette « agression » en regardant ailleurs. En visioconférence, c'est tout le contraire : tout se passe comme si tout le monde regardait tout le monde dans les yeux pendant toute la durée de la réunion... alors même que ce n'est pas le cas !
Troisièmement, les mouvements sont entravés, puisqu'il faut rester dans le champ de la caméra, sans trop bouger les mains, sans pouvoir se lever pour faire quelques pas. Or on connaît depuis longtemps le rôle bénéfique de la mobilité physique : en réunion, elle permet d'être plus créatif et persuasif, à l'école, elle favorise l'apprentissage (on compte avec les mains !), etc.
Enfin, la visioconférence provoque un phénomène qu'on appelle « anxiété du miroir » : voir une image de soi-même provoque un réflexe d'auto-évaluation, associé à un niveau élevé de stress et d'affects négatifs (moindre estime de soi, anxiété, etc.). On connaît ce phénomène depuis longtemps, mais il y a peu de situations dans la vie où l'on est face à une image de soi en temps réel pendant huit heures d'affilée plusieurs jours par semaine.
Tous ces facteurs dépendent du contexte de la réunion - essayez de passer un entretien d'embauche sur Zoom avec une connexion qui coupe et les enfants à la maison - mais aussi de facteurs individuels. Par exemple, l'une des premières études empiriques publiées sur le sujet, par des chercheurs de l'université de Stanford, suggère qu'à usage égal, les femmes souffriraient significativement plus de la Zoom fatigue que les hommes. Pourquoi ? Parmi les explications possibles, on sait par des études précédentes que les femmes sont plus sensibles à l'anxiété du miroir.
- Présidence de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office -
D'autres facteurs pourraient jouer : l'âge, le milieu socio-professionnel, la personnalité, l'importance de la gestuelle ou du regard dans les différentes cultures, etc. Mais les études ne font que commencer, et il serait très imprudent de tirer des conclusions définitives à ce stade. D'autant que des facteurs peuvent se cumuler : par exemple, de nombreuses études suggèrent que le confinement a davantage pesé sur les femmes que sur les hommes, en raison des tâches domestiques qu'elles assument en plus, ce qui aggrave la Zoom fatigue toutes choses égales par ailleurs. Les facteurs peuvent au contraire se compenser : par exemple, la visioconférence semble paradoxalement avoir un effet reposant chez les personnes atteintes d'un trouble du spectre autistique, dont on pourrait supposer qu'elles sont davantage pénalisées du fait de leurs difficultés à maîtriser la communication non verbale ; or nombreuses sont celles qui rapportent au contraire un grand soulagement, le passage en télétravail leur épargnant la charge cognitive du « small talk » avant et après les réunions.
Mais si la technologie crée des problèmes, elle propose aussi des réponses. Il faut pour cela entrer dans le détail des fonctionnalités proposées par les différentes plateformes, qui depuis plus d'un an et demi ajoutent améliorations et innovations à un rythme inédit. Si l'on prend un peu de recul, on voit que toutes ces fonctionnalités font en fait deux choses.
Certaines visent à imiter le réel et à minimiser les frottements induits par la technologie, qui sont les véritables causes de la Zoom fatigue. L'horizon est ici celui de la réalité virtuelle. Le premier enjeu est bien sûr celui de la qualité des flux audio et vidéo, mais beaucoup d'autres options permettent de rendre les choses un peu plus « naturelles » : l'affichage dynamique (sur la personne qui parle), le remplacement du mode galerie par une salle de réunion ou un amphithéâtre virtuels, ou encore la correction du regard pour avoir l'impression de se voir en face. L'ancien examinateur de brevets qui vous parle se souvient ainsi d'une technologie qui utilisait deux caméras, placées de chaque côté de l'écran, et fusionnait les deux images pour obtenir un regard de face.
Au-delà, la visioconférence peut aussi chercher à augmenter le réel plutôt qu'à l'imiter, en offrant des fonctionnalités sans équivalent dans le monde physique. Ça a l'air tout simple, mais des outils comme le chat parallèle, les sondages en temps réel ou les documents partagés permettent d'inventer de nouvelles façons de travailler, d'apprendre, d'échanger.
Toutes ces fonctionnalités sont très sympathiques, me direz-vous, mais encore faut-il en faire un bon usage. C'est le coeur du sujet. Il y a d'abord tout ce qui va de soi, mais qui va mieux en le disant : pour ne pas être épuisé, il faut limiter la durée des réunions, faire des pauses, bouger régulièrement, couper sa « caméra-miroir », préférer le mode intervenant au mode galerie, etc. Toutes ces recommandations peuvent être mises en oeuvre au niveau individuel, mais l'essentiel se joue ailleurs, au niveau des organisations, et relève de la responsabilité des managers - bien plus, sans doute, que des designers.
C'est aux managers qu'il appartient d'édicter et de faire respecter les règles, sur les temps de pause, sur la durée maximale des réunions ou des séances de cours, etc. C'est à eux qu'il appartient aussi de définir une étiquette, car la visioconférence a besoin de ses propres codes : comment prendre la parole ? Comment s'habiller ? Est-il acceptable d'être dans son jardin ou de couper sa caméra quelques minutes ?
Mais surtout, les managers doivent résister à la tentation d'organiser une visioconférence à la moindre occasion, sinon la « visionnite » deviendra la nouvelle « réunionnite », et aura les mêmes défauts : ordre du jour trop vague, participants peu concernés, présentations peu engageantes. Or, pendant la crise, la visioconférence a d'abord été une solution de facilité : dans l'urgence, les organisations se sont contentées de transposer en ligne leurs habitudes du monde « physique », sans vraiment mesurer les inconvénients de ces nouveaux outils ni profiter de leurs avantages.
Avec le travail hybride, les organisations devront au contraire se doter d'une doctrine d'emploi très claire : dans quels cas une visioconférence est-elle utile ? Ne peut-on pas faire autrement, par exemple par téléphone, avec un document partagé ou un chat sur une suite collaborative ? Plus la doctrine d'emploi du numérique sera claire, plus les réunions physiques seront revalorisées, car on saura pourquoi on se déplace - pour créer du lien, pour favoriser la créativité, pour apprendre à plusieurs, etc.
Ceci étant dit, une question se pose : quels outils choisir ? Il n'y a pas de réponse simple, car il se trouve que les plateformes les plus populaires, les plus complètes et les plus faciles à utiliser sont aussi celles qui présentent le plus de risques en matière de sécurité, de protection des données et de souveraineté. Il suffit de penser à toutes les critiques qui ont été adressées à Zoom au cours des derniers mois : réunions non protégées, fuites de données, etc.
Or il faut bien comprendre que le problème est structurel : en l'état actuel des technologies, il est à peu près impossible d'avoir à la fois une vidéo de qualité et des échanges sécurisés. Pour bien faire comprendre ce point, je dois dire un mot sur le chiffrement « de bout en bout » : dans ce système, seuls l'expéditeur et le destinataire d'un message détiennent les clés cryptographiques permettant de le déchiffrer, ce qui garantit la confidentialité des échanges. Aucun tiers, aucun intermédiaire, ne peut en théorie y accéder. Le problème est que cela interdit d'effectuer certaines opérations d'optimisation du flux vidéo sur le serveur de la plateforme. Or c'est précisément cela qui fait la qualité d'un service comme Zoom : les flux vidéo des participants individuels sont d'abord rassemblés et « compressés » en un flux unique, qui est ensuite envoyé à tout le monde. Sans cela, il faudrait que chacun envoie sa vidéo à tout le monde, le besoin en bande passante augmentant alors de façon démesurée.
C'est pour cette raison que les services les plus populaires ne proposent pas le chiffrement de bout en bout - ou, quand ils le font, c'est sous forme d'option avec d'importantes limitations... ou alors c'est tout simplement inexact, ce qui a par exemple valu à Zoom d'être poursuivi par la Federal Trade Commission (FTC). Bien sûr, il existe des solutions plus sécurisées ; je pense notamment au français Tixeo, certifié par l'ANSSI, à GoToMeeting ou encore à la solution open source JITSI, utilisée par la Webconférence de l'État. Mais ceux d'entre vous qui les ont utilisées savent qu'il existe mieux en termes d'ergonomie et de performances.
Je passe plus rapidement sur les aspects juridiques et économiques, et rappelle seulement que les plateformes les plus populaires sont toutes américaines, donc soumises au droit des États-Unis, y compris de façon extraterritoriale - ce qui n'est pas une bonne nouvelle pour la protection de nos données personnelles, ni de nos données commerciales et industrielles du reste. S'agissant de la gratuité, il faut faire attention. En 2020, Zoom a offert son service aux écoles primaires et secondaires du monde entier et aux étudiants des plus grandes universités. Quant à la gratuité temporaire de Teams et Meet, c'est aussi un moyen de rendre les utilisateurs captifs d'un écosystème plus large. L'avantage financier initial peut vite se transformer en une dépendance économique et technologique durable.
La visioconférence est donc l'un des multiples champs de bataille de notre souveraineté numérique, en plus d'être, pour chacun d'entre nous, un épique champ de bataille cognitif. Le sujet de la souveraineté numérique dépasse le cadre de la note, mais sonne comme un appel au pragmatisme : sans rien abandonner du combat pour une autonomie européenne en la matière, il faut à court terme faire avec ce que nous avons, c'est-à-dire choisir intelligemment les bons outils pour les bons usages.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Merci pour cette présentation. J'ai bien lu votre note, que j'ai beaucoup appréciée et qui m'a beaucoup appris : vous mettez des termes scientifiques sur des réalités qui sont entrées dans notre quotidien. Je me suis permis d'en montrer quelques extraits à des proches, et tous m'ont dit : « c'est exactement cela ! ». La note aborde bien sûr les aspects techniques, notamment les questions de cybersécurité, mais son grand intérêt, à mon sens, est dans cette approche des aspects sociaux, psychologiques et organisationnels.
Comment faire pour que cette note soit ensuite développée, étendue et communiquée le plus largement possible ? Il faudrait déjà commencer par nos propres institutions, car je doute que nous nous appliquions à nous-mêmes les conseils de la note. Il faudrait ensuite communiquer largement auprès des entreprises, qui utilisent beaucoup les outils de visioconférence, afin qu'elles puissent avoir connaissance de tous ces éléments.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. La note mérite d'être diffusée à tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. J'ai pour ma part l'intention de le faire immédiatement auprès de mon groupe. Merci pour ces éléments très éclairants sur la Zoom fatigue. En circonscription, j'ai organisé une vingtaine de vidéoconférences citoyennes. Cela m'a permis d'apprécier à quel point nos concitoyens, même les plus âgés, maîtrisent l'instrument.
Sur les aspects techniques et de sécurité, il faudrait ouvrir le chantier consistant à recenser les solutions françaises disponibles. Je pense par exemple à Private Discuss, car il me semble que ce dernier instrument fonctionne plutôt bien. Il a notamment l'avantage d'attribuer un code différent à chaque participant, au rebours de Zoom, où il est aisé de se connecter à une réunion à laquelle on n'est pas convié. En outre, les serveurs sont installés en France, ce qui me rassure sur le stockage des données.
Ne faut-il pas homologuer les produits à utiliser lorsqu'on doit traiter d'informations sensibles, même en laissant pour le reste aux entreprises leur liberté de choix ? Il me semble que le recul dont nous disposons le permet désormais. N'est-ce pas là un enjeu de souveraineté numérique ?
M. Bruno Sido, sénateur. - Sur ce sujet qui a émergé récemment, nous venons d'entendre une présentation novatrice. Je tiens à en remercier son auteur. Les études ne font que commencer, le temps n'est donc pas venu de tirer des conclusions définitives.
Nous sommes entre les mains des applications américaines. Si ce n'est pas gênant pour nous dans le cadre du travail de l'Office, il en va différemment pour les entreprises détentrices de secrets industriels et commerciaux. Il faudra trouver pour elles des solutions sécurisées - et, je l'espère, des solutions françaises.
S'agissant de la Zoom fatigue, a-t-on épuisé la recherche de solutions disponibles ou de nouvelles applications permettraient-elles de l'éviter ? Une solution faisant appel à deux caméras a été évoquée.
Les vidéoconférences sont devenues indispensables et vont le rester, ne serait-ce que parce l'on souhaite de plus en plus protéger l'environnement, notamment en évitant les déplacements inutiles. J'évoque le sujet après avoir effectué un déplacement en Suède la semaine dernière, dans le cadre d'une mission de l'Office relative au Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), car tous les entretiens que nous avons eus auraient pu être conduits dans le cadre de visioconférences. Il serait cependant difficile d'en dire autant des moments conviviaux, qui sont pourtant eux aussi importants et intéressants. Des jeunes pousses (start-up) vont-elles améliorer encore les solutions dont nous disposons déjà, de façon à en finir avec la Zoom fatigue ?
M. Ronan Le Gleut, sénateur, rapporteur. - Grâce à la Direction interministérielle du numérique au ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) diffuse un tableau des solutions de vidéoconférence. Nous vous le communiquerons.
L'ANSSI a formulé des recommandations pour les agents de l'État pendant la crise. Elle a notamment certifié Jitsi. Private Discuss, évoqué par notre collègue Jean-Luc Fugit, est en cours de certification. Nous avons également entendu Tixeo, sur leur propre plateforme sécurisée. Cela nous a cependant remis en mémoire que le système le plus sûr emporte avec lui quelques contraintes, notamment de téléchargement et d'ergonomie.
Ceci me permet d'évoquer un risque nouveau, celui du shadow IT, ou informatique cachée. Quand une entreprise propose à ses employés des solutions qui ne sont pas ergonomiques, ceux-ci recourent en fait à une autre solution. C'est par conscience professionnelle que le travailleur contourne les recommandations du service informatique. Il veut en effet pouvoir télécharger, envoyer un document, faire une visioconférence, etc. Si les contraintes d'utilisation sont trop nombreuses, il y a donc un risque réel de shadow IT, qui est bien sûr la pire des solutions. Or il n'est pas rare qu'un responsable informatique découvre au détour d'une conversation que les employés de son entreprise ne suivent pas ses recommandations. Se pose ainsi la question de l'équilibre entre le niveau des contraintes fixées et l'usage réel au vu du risque de contournement.
Nos auditions nous ont cependant conduit à faire le constat que les systèmes les plus sûrs sont aussi les moins ergonomiques. Aussi recommandons-nous que chaque organisation fasse son propre arbitrage. Il est évident qu'une entreprise de la défense ne va peut-être pas avoir les mêmes contraintes qu'une administration. Encore faut-il aussi prendre en compte la nature des sujets abordés. Voilà pour ce qui est des questions de sécurité.
J'en viens aux applications américaines. Les entreprises américaines sont tenues, en vertu du Cloud Act de 2018 et du Patriot Act de 2001, de coopérer avec la justice et les services de renseignement des États-Unis, quel que soit le lieu d'hébergement de leurs données. Il faut que nous en ayons conscience. Il est aussi de notre responsabilité de parlementaires de veiller à ce que les entreprises et organisations en France en aient aussi parfaitement conscience.
S'agissant des données personnelles, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt « Schrems II » du 16 juillet 2020, que le Privacy Shield, c'est-à-dire l'accord de 2016 qui permet les transferts de données personnelles vers les États-Unis, est contraire au Règlement général sur la protection des données (RGPD). Elle a en effet considéré que la surveillance exercée par les services de renseignements américains sur les données personnelles des citoyens européens était excessive et insuffisamment encadrée, et n'offrait pas de réelle possibilité de recours.
La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a confirmé en mai 2021 le risque d'accès illégal aux données, a appelé à des évaluations et a proposé un accompagnement, tout en reconnaissant - tenez-vous bien - « l'absence de solution alternative satisfaisante à ce stade ». Le constat n'est absolument pas réjouissant, mais il nous appartient de le faire.
La Zoom fatigue est aujourd'hui scientifiquement établie. Il ne s'agit pas d'une simple impression. La question est à présent : comment gérer cet obstacle ? Un certain nombre de solutions sont proposées. Elles sont évoquées en page 3 de la note, sous l'intitulé : « Du bon usage de la technologie, réalité virtuelle ou collaboration augmentée ». Une illustration montre que le mode d'affichage « galerie » de Teams peut être remplacé par ce que Microsoft appelle le mode « together » ou « ensemble ». Les études montrent, à l'électro-encéphalogramme, une baisse du stress avec ce dernier, parce qu'il offre une vision qui se rapproche de la réalité. Plutôt que le mode « galerie », on peut aussi ne visualiser que l'intervenant. Dans une réunion réelle tout le monde sait qu'une personne qui ne s'exprime pas n'est pas regardée par les participants. Or, le mode « galerie » donne le sentiment que tous les regards se portent sur vous - votre cerveau l'interprète ainsi, mais c'est erroné -même lorsque vous ne parlez pas. La science a clairement établi que c'est une source de stress. Certaines modalités d'usage de la visioconférence doivent donc être préconisées. Il existe d'autres exemples, comme l'anxiété du miroir. L'une des possibilités consiste à désactiver cette fonctionnalité, en acceptant l'idée de ne pas se voir pendant la visioconférence.
Enfin, pour revenir sur une interrogation soulevée par Catherine Procaccia, il est vrai qu'initialement je souhaitais concentrer mon travail sur les questions de sécurité. Mais au fur et à mesure des auditions, je me suis rendu compte que les sujets relevant des neurosciences ou concernant de la Zoom fatigue nécessitaient d'être creusés parce que tout le monde en parle et que personne ne sait comment le traiter scientifiquement. Les études sont récentes et il nous est apparu intéressant de les mettre en relief.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Si l'on met de côté le travail des commissions chargées des affaires étrangères et de la défense, les travaux en commission ou à l'Office font l'objet d'une captation vidéo ou de comptes rendus accessibles à tous. Donc il est un peu illusoire de se préoccuper de la sécurisation des échanges - en tout cas pour les parlementaires.
M. Bruno Sido, sénateur. - Je remercie Ronan Le Gleut d'avoir répondu aussi précisément à toutes les questions posées, de façon très claire et scientifique.
Mme Huguette Tiegna, députée. - La crise de la Covid-19 a entraîné une utilisation croissante d'Internet, notamment de la visioconférence, qui a ranimé les interrogations touchant à la protection des données. Je rappelle qu'une proposition de loi portée par le groupe UDI, examinée au Sénat et transmise à l'Assemblée, suggère de mettre en place une possibilité de certification, destinée à protéger nos concitoyens, incluant les plateformes de visioconférence. Je remercie Ronan Le Gleut pour ce rapport qui nous sera fort utile.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Au risque de me répéter, je pense qu'il faut absolument diffuser très largement cette note, parce qu'à ma connaissance, il y a très peu de documents aussi élaborés faisant le point sur les conséquences des outils de visioconférence. Au-delà du périmètre de nos assemblées respectives, j'espère qu'à travers un communiqué de presse on va pouvoir rendre cette note publique le plus rapidement possible, car il faut vraiment valoriser ce travail remarquable.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Il faudra donc envoyer nos notes à la presse, aux journaux économiques ou spécialisés, non en masse mais de façon ciblée, ainsi que cela est fait, je pense, habituellement.
L'Office autorise la publication de la note scientifique « Les outils de visioconférence : risques et opportunités ».
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