- Mardi 23 novembre 2021
- Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis
- Mercredi 24 novembre 2021
- Mission sur la sécurisation de la chasse - Désignation de membres
- Communication
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Sécurités » - Programme « Sécurité civile » - Examen du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Transformation et fonction publiques » - Programme « Fonction publique » - Examen du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Programmes « Juridictions administratives et juridictions financières » - Examen du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Sécurités » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » - Examen du rapport d'information
Mardi 23 novembre 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Dominique Vérien rapporteure sur la proposition de loi n° 13 (2021-2022), adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis
M. François-Noël Buffet, président. - Chers collègues, nous examinons ce matin le rapport pour avis de Jean-Yves Leconte sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative » du projet de loi de finances (PLF) pour 2022.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ». - La mission « Direction de l'action du Gouvernement » comporte trois programmes. Le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » s'intéresse aux services du secrétariat général du Gouvernement (SGG), au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), au nouveau service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), au Haut Conseil pour le climat (HCC) et à un certain nombre de services rattachés au Premier ministre. Le programme 308 « Protection des droits et libertés » porte sur les autorités administratives indépendantes (AAI) dont l'activité est liée à la protection des droits et des libertés. Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement, est responsable de ces deux programmes 129 et 308.
Le programme 359 « Présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 » (PFUE) est éphémère et court sur les années 2021 et 2022?; il permet de financer les dépenses d'organisation et de communication d'un certain nombre de réunions sur le territoire français au premier semestre de 2022. L'ambassadeur Xavier Lapeyre de Cabanes, secrétaire général de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (SGPFUE), en est responsable.
Les crédits du programme 129 s'élèvent à 740 millions d'euros, ceux du programme 308 à 118 millions d'euros et ceux du programme 359 à 102 millions d'euros. Je salue ces montants.
L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) voit son nombre d'équivalents temps plein travaillé (ETPT) augmenter. Une nouvelle organisation territoriale en trois pôles se met progressivement en place. Dans le cadre du plan de relance, elle a fait bénéficier des administrations et agences de l'État d'un audit en matière de cyberprotection et d'un début de mise en oeuvre des préconisations.
Le groupement interministériel de contrôle (GIC), qui centralise les demandes d'autorisation de techniques de renseignement, est doté de 12 ETPT supplémentaires, afin de répondre à ses nouvelles prérogatives avec la pérennisation des algorithmes et son élargissement aux URL. Cependant, la mise en oeuvre de la 5G nécessiterait des moyens supplémentaires. Or, pour que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) fonctionne bien, le GIC doit être parfaitement opérationnel.
La CNCTR a de nouvelles prérogatives : des compétences techniques supplémentaires seraient nécessaires pour garantir son autonomie à l'égard des services de renseignement. Le recrutement d'un ingénieur de haut niveau est prévu en 2022.
La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) bénéficiera de 25 ETPT supplémentaires en 2022, soit une augmentation de 25 % en quelques années. Cependant, si ces effectifs sont suffisants pour les affaires courantes, le développement des données de masse et de l'intelligence artificielle, ainsi que le rôle de vigie au niveau européen du respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) impliquent de mobiliser de nouvelles compétences. Des moyens supplémentaires sont donc attendus?; nous devrons les définir avec nos partenaires européens, notamment au regard du contrôle des nouveaux algorithmes.
Viginum a vocation à détecter les ingérences étrangères sur les plateformes en ligne portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Avec des compétences à la croisée du champ d'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et des services de renseignement, cette structure est au coeur d'importants enjeux démocratiques. Sa création est à saluer. Restons vigilants sur son fonctionnement pendant la campagne présidentielle française.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne est très critiquée, dans la mesure où elle est concomitante à l'élection présidentielle : la majorité des événements se dérouleront au 1er trimestre 2022. Nous devons cependant veiller à préserver les crédits sur toute la période, pour assurer la tenue d'événements après l'élection présidentielle.
Le budget du service d'information du Gouvernement (SIG) pour 2021 va connaître un dépassement de plus de 30 millions d'euros, dont 10 millions d'euros pour la communication sur le plan de relance. La reconduction pour 2022 du budget 2021, qui sera largement dépassé, pose question.
Par ailleurs, je constate que les conseils de défense se sont multipliés, essentiellement en matière de santé : or, le Secrétariat général du Gouvernement n'y assiste pas, d'où des mises en oeuvre très lentes des décisions prises lors de ces conseils, ainsi que j'ai pu le constater.
La délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE) est créée : à la suite de la suppression des grands corps d'État, elle assumera le rôle de direction des ressources humaines des hauts potentiels de l'État et mettra en oeuvre, sous l'autorité du Premier ministre, les nouvelles orientations définies par l'ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Cette création soulève des réserves sur lesquelles je ne reviendrai pas.
La mission « Direction de l'action du Gouvernement » verse des subventions, pour un montant d'environ 17 millions d'euros par an : on ne constate pas de baisse depuis la suppression de la réserve parlementaire.
J'en viens aux AAI et au programme 308. Sous l'impulsion de notre ancien collègue Jacques Mézard, nous avons réduit le nombre d'AAI il y a quelques années, mais nous devons veiller à l'indépendance de celles qui ont été conservées en leur donnant les moyens d'assurer leurs missions. Le CSA fusionnera avec la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) le 1er janvier 2022, avec de nouvelles responsabilités en matière de régulation des plateformes. Le Défenseur des droits nous alerte : la plateforme anti-discrimination a reçu 9?000 appels en huit mois? ce qui demande beaucoup de temps d'écoute. L'institution fonctionne avec un grand nombre de délégués territoriaux qui sont bénévoles, ce qui implique le versement d'indemnités et des dépenses en matière de formation et d'évaluation. Les besoins vont croissant, au regard de ses prérogatives en matière de harcèlement scolaire et d'égalité hommes-femmes. Or, la mutualisation entre les AAI a atteint ses limites et ne permet plus de dégager des moyens d'action supplémentaires.
Le Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL) a manifesté son inquiétude sur l'évolution de la population carcérale : elle est passée de 58?000 détenus en juillet 2020 à plus de 70 000. Dans le même temps, les délais de rédaction des rapports de visite, au nombre de 150 par an, sont passés de 19 à 11 mois. Il nous faut être particulièrement attentifs à l'évolution de ces délais qui doivent être les plus courts possibles afin de donner tout leur sens aux rapports de contrôle. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a intégré ses missions en matière de déontologie de la fonction publique, et dispose peu à peu des moyens nécessaires. Le président Didier Migaud attire notre attention sur le fait que l'extension de ses prérogatives en matière de contrôle des représentants d'intérêts auprès des collectivités locales n'est pas opérationnelle. Le report de l'échéance au 1er juillet 2022 n'a pas permis de lever toutes les incertitudes car loi est difficile à mettre en oeuvre. Des discussions sont en cours avec le SGG. Nous devons suivre cette affaire rapidement, car la loi pourrait s'avérer soit inappliquée, soit inapplicable, voire les deux.
Enfin, le rapporteur spécial de la commission des finances soulignait le manque de moyens du Haut Conseil pour le climat. Je ne partage pas cette appréciation, car ce conseil semble faire doublon avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE). En revanche, nous pourrions effectivement envisager la création d'une AAI, à l'instar du Défenseur des droits : celle d'un défenseur des droits de l'environnement.
Malgré ces réserves, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.
Mme Laurence Harribey. - Je vous remercie pour ce rapport très fourni. En tant que telle, la mission regroupe trois programmes qui ont pour seul point commun d'être sous l'autorité du Premier ministre. Nous souscrivons dans l'ensemble aux propos du rapporteur.
La montée en puissance des crédits pour assurer la sécurité numérique et la cybersécurité est très positive. L'ANSSI commence à avoir les moyens de travailler. Nous saluons la création de Viginum. En revanche, je m'étonne de la diminution des crédits de la direction interministérielle du numérique (Dinum), alors que ses besoins durant la crise, qui va durer, ont été importants.
Le budget du SIG est en diminution, malgré les dépassements constatés. Voilà qui pose un problème de sincérité des comptes.
Soyons vigilants quant à l'assise budgétaire des AAI : l'augmentation des crédits du programme 308 est essentiellement due à un transfert de crédits en provenance d'un autre programme, à la suite de la fusion du CSA et de la Hadopi.
Nous exprimons des réserves quant à la pertinence du programme 359. Le secrétaire général des affaires européennes (SGAE) a dû se battre pour obtenir des crédits au-delà des premiers mois de la PFUE et une augmentation de 10 % de ces mêmes crédits. Voilà qui est révélateur de l'instrumentalisation de cette PFUE. Soyons particulièrement vigilants.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Le problème de sincérité concerne toutes les missions, à cause du plan de relance. Par exemple, c'est sur les crédits du plan de relance que l'ANSSI met en oeuvre des audits de cybersécurité. Voilà qui est illisible. Il en va de même pour les mises à disposition de personnels par les ministères pour les AAI, parfois réalisées sans choix possible, ce qui met à mal l'indépendance même de ces instances. Je suis très vigilant sur ce point. Chaque année, les AAI ont de nouvelles prérogatives : leur périmètre augmente, mais pas les moyens. Certaines AAI, comme le Défenseur des droits, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou la CADA sont de plus en plus sollicitées par nos concitoyens. La mutualisation en matière immobilière et de services support ayant été réalisée, de nouvelles économies en interne sont peu probables.
Concernant la PFUE, certains, dans la majorité présidentielle, voudraient que l'ensemble des moyens soient utilisés au 1er trimestre 2022, avant la période de réserve. Il est heureux que le secrétaire général de la présidence française du Conseil de l'Union européenne veille à disposer de moyens pour faire face à des imprévus et nous le soutenons dans sa démarche.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis
Mme Maryse Carrère, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur le programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». - Concernant le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ), les crédits de paiement (CP) augmenteront de 5,7 % en 2022, pour atteindre un montant de 831,2 millions d'euros. Cette augmentation globale s'inscrit dans la suite de celle qui a été observée au cours des cinq dernières années. Bien que plus réduite que celle que nous avons connue en 2021 - +7,2 % par rapport au projet de loi de finances (PLF) pour 2020 -, elle est supérieure à celle des années antérieures. On ne peut donc que saluer cette augmentation.
Comme l'année précédente, cette augmentation doit être envisagée au regard de l'augmentation globale de plus de 8 % du budget de la mission « Justice », des enjeux majeurs de réorganisation auxquels fait face la PJJ à la suite de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM), de la charge que représente l'ouverture des nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) et des enjeux de recrutement auxquels fait face la PJJ.
Comme vous le savez, le Sénat a obtenu le report de l'entrée en vigueur du CJPM au 30 septembre dernier. Ce délai a été salutaire pour les juridictions et les services de la PJJ. Mais il apparaît que les nouvelles mesures prévues par le code ne pourront entrer en application que progressivement. L'année 2022 m'a ainsi été présentée comme une année de transition, les effets budgétaires de la mise en oeuvre du nouveau code n'étant véritablement mesurables qu'en 2023.
Un tel délai n'est pas anormal pour une réforme procédurale d'ampleur, qui va modifier profondément la manière de travailler de la PJJ. Mais il rompt avec le volontarisme du discours qui a été développé à l'appui de la réforme. Les enjeux pour traduire la réforme dans les faits sont en effet d'ampleur. Il apparaît qu'au 31 décembre prochain, seuls 30 % des personnels auront été formés aux nouvelles procédures. Surtout, les mesures prévues par le CJPM, notamment les mesures en milieu ouvert, devront être réalisées en moins de 9 jours en 2023 pour permettre de tenir les délais fixés par le code, contre 16 jours en moyenne actuellement. Il faudra donc gagner une semaine, ce qui représente un défi important pour les services.
Bien sûr, le premier mois de mise en oeuvre du CJPM ne permet pas d'analyser la manière dont il sera appliqué par la PJJ, ne serait-ce qu'en raison du stock de mesures à exécuter. Par ailleurs, la nécessité de se familiariser avec les nouvelles procédures entraîne nécessairement une prudence des magistrats et professionnels de la PJJ qui se traduit par un allongement de certains délais, notamment en matière de défèrement. Les mesures d'audience unique, conçues pour permettre le jugement rapide des mineurs ayant des antécédents judiciaires, parmi lesquels figurent de nombreux jeunes étrangers en errance, ont été mises en oeuvre immédiatement par les grandes juridictions de Paris et Marseille et se traduisent par une augmentation du nombre de condamnations à des peines d'incarcération. Je souhaite souligner que le taux d'incarcération des mineurs reste particulièrement élevé en France et demeure proche du sommet atteint en 2019. Le développement des peines alternatives à l'incarcération est donc particulièrement nécessaire. Il faudra à l'avenir être vigilant sur ce point, car les audiences uniques et l'incarcération sont censées être les exceptions dans la mise en oeuvre du nouveau code.
J'en viens maintenant à la question des centres éducatifs fermés, dont le développement a constitué un axe majeur de la politique du Gouvernement ces dernières années. Le programme de 20 nouveaux CEF - 5 publics et 15 privés - n'aura finalement pas pu être mis en oeuvre, pour partie du fait de résistances locales à l'implantation de ces structures.
Néanmoins, les CEF, qui sont la forme de prise en charge la plus coûteuse, mobilisent 25 % de l'augmentation du budget de la PJJ pour 2022.
Depuis deux ans, un nouvel accent est cependant mis sur le milieu ouvert, qui bénéficie de l'essentiel de l'augmentation du budget, dans le but notamment de développer des partenariats avec le secteur associatif local.
La majorité des 135 postes créés ou redéployés est affectée aux CEF, soit 80 postes. Mais 55 équivalents temps plein (ETP) seront affectés au milieu ouvert en 2022. Même si l'on peut se réjouir de ces mesures, cette augmentation doit cependant être relativisée, car 84 postes seront redéployés au sein des structures de prise en charge. Il ne m'a pas été possible d'en connaître le détail.
Pour justifier ces redéploiements, la direction de la PJJ a souligné la nécessité de mieux adapter l'offre de prise en charge aux besoins des jeunes, ainsi que la nécessité d'être proches des bassins d'emplois, tant pour les activités des jeunes pris en charge que pour assurer le recrutement des personnels. Les syndicats ont, pour leur part, regretté la fermeture de foyers et la baisse du nombre d'encadrants de certaines structures.
Il m'apparaît que la PJJ se situe aujourd'hui à la croisée des chemins. Plusieurs missions internes ont été diligentées sur le milieu ouvert dont les résultats seront rendus à la fin de cette année. Des assises seront organisées en 2022. Cette échéance est importante, car il importe de définir exactement les priorités de la PJJ en matière de prise en charge des jeunes et, surtout, de mobiliser les équipes autour d'un projet commun.
La question du sens des métiers de la PJJ est revenue à plusieurs reprises au cours de mes auditions pour expliquer les difficultés de recrutement. Avec un taux de contractuels supérieur à 20 %, la PJJ connaît depuis plusieurs années d'importantes difficultés pour pourvoir ses postes.
Paradoxalement, le niveau moyen des candidats s'est élevé au cours des dernières années, mais leur nombre a diminué au point de laisser des postes non pourvus dans de nombreux métiers. Le manque d'attractivité de postes, y compris d'encadrement, et ce même dans des villes comme Paris et Marseille, est un phénomène nouveau.
La direction de la PJJ pointe la nécessité de rapprocher les emplois des bassins de population importants et lieux de vie, y compris éventuellement par l'organisation de concours locaux, particulièrement pour les outre-mer. Elle souligne également les efforts financiers réalisés au cours des dernières années. Le système indemnitaire mis en place a ainsi permis d'augmenter le nombre de candidatures en Seine-Saint-Denis.
On peut aussi constater que la question de la rémunération est importante, comme pour l'ensemble des métiers du secteur social. Surtout, il est essentiel de permettre aux personnels des métiers fortement vocationnels de la PJJ de réaliser leurs missions dans de bonnes conditions matérielles et avec des objectifs clairement définis.
Le partenariat de la PJJ avec l'armée en termes de formation des cadres est vécu comme une remise en cause par certains personnels, et j'attire l'attention sur la nécessité de préserver la spécificité des missions de la PJJ pour ce qui concerne l'accompagnement des mineurs.
Enfin, j'évoquerai les moyens de la PJJ et le déploiement de l'applicatif « PARCOURS » : il doit permettre progressivement d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ et la recension de tous les actes pris à leur égard. Outre un suivi plus précis et efficace des jeunes, il fournira une image exacte de leur parcours et de l'efficacité des mesures prises, notamment pour éviter les récidives.
Le projet PARCOURS, qui devait faire l'objet d'une première version en 2020, a été déployé à partir de la fin du premier trimestre 2021. Or le choix du déploiement, qui permet de ne pas afficher de nouveaux délais, s'est fait au prix de nombreux ajustements et correctifs qui en rendent l'utilisation particulièrement difficile par les adjoints administratifs chargés des saisies, et cela nuit à la remontée d'informations.
Même si les éducateurs de la PJJ n'ont pas encore accès à ce logiciel, les personnels craignent qu'une standardisation trop forte des informations, renseignées sous la forme de questionnaires à choix multiples, ne soit conçue que pour la remontée statistique des données, et ne vienne se faire au détriment de la capacité à exprimer la complexité des cas et à aider les juges à prendre leur décision.
On le voit, la PJJ fait donc face à des enjeux importants. Le nouveau code de la justice pénale des mineurs peut être l'occasion d'une remise à plat des missions, des objectifs et surtout des moyens de les réaliser. Ce sera très certainement l'enjeu de 2022.
Pour l'heure, au regard de l'augmentation du budget, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je tiens à souligner le caractère précis de ce rapport. Je me félicite de l'augmentation des crédits, tout en pointant le fait que ce sont les CEF, me semble-t-il, qui bénéficient de l'essentiel. Certes, ces centres sont indispensables, mais je m'interroge sur la proportion de postes créés pour les CEF - 80 postes - par rapport à ceux qui sont prévus pour le milieu ouvert. Cela peut poser problème dans la mesure où de nombreux jeunes sont pris en charge en milieu ouvert. J'ai été frappé par le prix de journée dans un CEF, à savoir 361 euros en 2022, une somme qui n'est pas négligeable, même si je reconnais que ces centres sont nécessaires.
Je partage votre propos sur les délais de prise en charge. Acceptons l'augure de parvenir à 13 jours, puis à 9 jours en 2023, contre 15,9 jours actuellement. Il convient de suivre ce dossier avec beaucoup d'attention, ce que vous faites.
Par ailleurs, vous avez souligné les résistances locales quant à l'implantation des CEF. Nous rencontrons les mêmes problèmes pour les centres pénitentiaires, et qui plus est pour les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) qui permettent aux détenus de se réinsérer. Si l'on veut avancer, il faut accepter ces dispositifs. Ce n'est pas facile pour nos concitoyens, je le sais, mais nombre de préjugés sont très dommageables.
Enfin, je souligne que 3 millions d'euros sont consacrés aux mineurs délinquants souffrant de troubles psychiques et 2 millions aux mineurs non accompagnés (MNA). Il ne faudrait pas en venir à des établissements pénitentiaires dédiés. Ce ne serait pas une bonne solution que de les isoler totalement.
Même si les personnels de la PJJ ont fait part de leurs préoccupations, ce projet de budget contient des apports. Aussi les sénateurs du groupe socialiste, écologiste et républicain souscrivent-ils aux conclusions de la rapporteure.
M. Alain Marc. - Je souligne l'excellence du rapport présenté par Maryse Carrère.
Quid de l'évaluation des centres éducatifs fermés ? Pour faire accepter l'implantation de ces structures, il importe d'en savoir plus sur les résultats obtenus. Le ministère de la justice, comme d'autres d'ailleurs, ne se dote pas d'outils évaluatifs efficaces en vue de mettre leurs politiques en perspective. C'est dommageable non seulement pour les finances publiques, mais également pour la politique d'un pays.
Il est essentiel de mettre en place une évaluation précise des CEF, afin d'encourager les municipalités à s'engager sur leur territoire.
Mme Maryse Carrère, rapporteure pour avis. - Je souscris à vos propos, monsieur Sueur. Aujourd'hui, les CEF apparaissent comme la panacée. Beaucoup de primo-délinquants y sont accueillis, alors que ces centres étaient à l'origine réservés aux mineurs récidivistes.
Effectivement, monsieur Marc, nous disposons d'évaluations des mesures en milieu ouvert, mais rien n'est prévu pour les CEF. Nous ne connaissons pas le taux de récidive, par exemple. Nous insisterons sur la nécessité de réaliser des évaluations en la matière.
Les MNA forment une grande partie des mineurs incarcérés. Cela dépend notamment de la prise en charge des conseils départementaux en amont de la majorité : lorsque la prise en charge est relativement importante, avec un suivi quotidien, on note un faible taux de délinquance.
M. François Bonhomme. - Il n'est pas contradictoire de considérer que les CEF constituent l'une des réponses à apporter au problème de la délinquance et, dans le même temps, d'exprimer des craintes et des réserves sur leur implantation dans certains lieux. On peut avoir une position privée et une position publique ; les deux peuvent apparaître en contradiction, mais elles sont explicables et compréhensibles.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie notre collègue pour son rapport. Je formulerai deux remarques.
On peut se satisfaire de l'augmentation des crédits, mais à quoi bon s'en réjouir s'ils ne sont pas utilisés ? Depuis deux ans, j'ai le sentiment que nous sommes dans une constante : les crédits ne sont pas utilisés, car nous sommes confrontés à des difficultés d'implantation des structures dédiées. Nous ne saurions donc nous satisfaire de cette augmentation.
Concernant les MNA, je vous renvoie au rapport d'information que j'ai publié avec Henri Leroy et nos collègues de la commission des affaires sociales Laurent Burgoa et Xavier Iacovelli. Il faut faire le distinguo entre les vrais mineurs non accompagnés et les jeunes majeurs errants qui se font passer pour des MNA. J'y insiste, les départements font tout ce qu'ils peuvent, avec les moyens budgétaires contraints qui sont les leurs. L'accompagnement de l'État n'est pas toujours au rendez-vous dans la durée. Les collectivités peinent à trouver des structures dédiées et des travailleurs sociaux formés pour prendre en charge les MNA. Je ne veux pas laisser croire que ces jeunes sont devenus délinquants parce que la prise en charge n'a pas été optimale. D'ailleurs, nombre des jeunes qui sont en prison étaient déjà des primo-délinquants dans leur pays d'origine.
Mme Maryse Carrère, rapporteure pour avis. - Pour l'implantation des CEF, la PJJ est confrontée à une double difficulté : l'acceptation sociale, mais aussi le recrutement. Elle souligne la nécessité d'être proche de bassins d'emplois importants pour pouvoir recruter des personnels à proximité des CEF.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse ».
La réunion est close à 9 h 50.
Mercredi 24 novembre 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Mission sur la sécurisation de la chasse - Désignation de membres
M. François-Noël Buffet, président. - La Conférence des Présidents a décidé de donner suite à la pétition sur la sécurisation de la chasse qui a recueilli à ce jour plus de 122 000 signatures sur la plateforme en ligne dédiée du Sénat. Une mission conjointe avec la commission des affaires économiques sera donc créée sur ce sujet. Il convient d'en désigner les membres de notre commission.
Sont désignés membres de la mission sur la sécurisation de la chasse au titre de la commission des lois M. François-Noël Buffet, Mmes Catherine Belrhiti, Maryse Carrère, Cécile Cukierman, Laurence Harribey, M. Loïc Hervé et Mme Marie Mercier.
Communication
M. François-Noël Buffet, président. - Compte tenu du rejet en séance publique, hier, de la première partie du projet de lois de finances pour 2022, le Sénat ne pourra examiner en séance les missions de la seconde partie du budget.
Dans ces conditions, ainsi que je vous l'avais indiqué le 16 décembre dernier, il nous est aujourd'hui formellement impossible d'adopter des avis sur le projet de loi de finances.
Aussi, comme je vous l'avais annoncé, les constats et observations que les six rapporteurs pour avis formuleront au cours de notre réunion de ce jour feront l'objet d'une publication sous la forme de rapports d'information. La commission ne se prononcera donc pas pour l'adoption ou le rejet des missions concernées, mais simplement sur la publication du rapport présenté par les rapporteurs, comme pour tout rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport d'information
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons le rapport de Cécile Cukierman les crédits de la mission « Administration générale et territoriale » du projet de loi de finances pour 2022.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Cette mission, pilotée par le ministère de l'intérieur, poursuit trois objectifs : garantir aux citoyens l'exercice de leurs droits dans le domaine des libertés publiques ; assurer la continuité de l'État sur l'ensemble du territoire ; mettre en oeuvre au niveau local les politiques publiques nationales.
Les crédits de la mission prévus par la loi de finances pour 2021 s'élèvent à 4,4 milliards d'euros, en légère hausse par rapport à l'année précédente : + 5,4 % en autorisations d'engagement (AE) et + 4,5 % en crédits de paiement (CP). Les trois programmes de la mission voient leurs crédits augmenter, mais dans des proportions différentes.
Le budget du programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », auquel sont rattachés les moyens du pilotage des fonctions support, de la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère et des cultes, continue de croître - + 5 % en AE, + 6 % en CP - pour permettre la poursuite des réformes engagées en 2020 telles que le réseau Radio du futur ou le projet « Administration numérique pour les étrangers en France » et intégrer la gestion des cultes, qui relevait jusque-là du programme 232.
Les crédits du programme 232, « Vie
politique », augmentent significativement
- + 12,9 % en AE, +12,6 % en CP - pour financer
les élections présidentielle, législatives et
territoriales en 2022. L'organisation de ces élections se heurte
à de nombreux obstacles logistiques révélés par les
dysfonctionnements constatés dans la confection, la mise sous pli et la
distribution de la propagande électorale lors des dernières
élections départementales et régionales de juin 2021. La
commission des lois a formulé sur le sujet de nombreuses recommandations
dans son rapport d'information publié le 21 juillet 2021. Le
ministère de l'intérieur a pris en compte certaines de ces
propositions puisque, dès le 13 août, il a
résilié le contrat qui le liait à Adrexo, titulaire
de 7 des 15 lots de l'accord-cadre portant sur la distribution de la
propagande électorale. Un nouvel appel d'offres, couvrant les
7 lots concernés, a été publié le
6 novembre dernier et reprend de nombreuses propositions formulées
par la commission des lois : prépondérance du critère
technique sur le critère financier, renforcement des obligations du
prestataire concernant la gestion des plis non distribués, obligation de
préciser les modalités de formation des personnels non
titulaires, amélioration du système de reporting, etc.
Le marché, qui couvre la période 2022-2024, n'a pas encore
été attribué, mais il nous semble que les mesures
correctives prises par le ministère de l'intérieur vont dans le
bon sens pour garantir la sécurisation des prochains scrutins majeurs
que sont les élections présidentielle et législatives.
Notons que le ministère de l'intérieur a également
demandé aux préfectures de ré-internaliser la mise sous
pli de la propagande électorale ou, à défaut, lorsque cela
représente un défi humain et logistique trop important, notamment
pour les préfectures des départements les plus peuplés, de
renforcer le contrôle par les préfectures de l'ensemble des
tâches réalisées par les routeurs.
Enfin, le programme 354, « Administration territoriale de l'État », qui couvre notamment les moyens des sous-préfectures, des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) enregistre l'augmentation la plus faible de ses crédits, de l'ordre de 4,3 % en AE et 2,2 % en CP pour financer la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Ce programme représente pourtant 51 % des crédits budgétaires de la mission et garantit la présence de l'État dans les territoires. Je déplore chaque année le manque de moyens attribués à cette mission essentielle tant pour les citoyens que les élus locaux. Cette année ne fait pas exception puisque, loin de « réarmer nos territoires », comme l'avait promis le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 16 juillet 2020, le Gouvernement ne fait que stabiliser les effectifs de l'administration territoriale de l'État, pour la deuxième année consécutive. Certes, cette stabilisation offre une respiration salutaire à des services qui ont perdu le quart de leurs effectifs entre 2008 et 2020, mais elle ne permet pas de compenser l'effet délétère des multiples réformes administratives qui ont affaibli la présence de l'État dans les territoires.
Pire encore, le ministère de l'intérieur a mis en oeuvre la première étape de la réforme de l'organisation territoriale de l'État à marche forcée, avant même que les objectifs fixés par le plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) ne soient atteints. Le contrôle de légalité voit ainsi ses effectifs diminuer de 2 % en 2021, alors que le PPNG l'avait identifié comme une mission prioritaire.
Le déploiement des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux DDI a permis la mutualisation des fonctions support au sein des services déconcentrés à vocation interministérielle. Mais, une fois encore, les agents payent le prix de cette réforme précipitée qui se heurte à de nombreux problèmes mal anticipés : absence de culture de travail commune, systèmes d'information de gestion des ressources humaines incompatibles entre ministères, retards dans la délivrance des cartes d'agent ministériel qui permettent d'accéder aux applications, etc.
Au-delà de ces aspects budgétaires, j'ai fait le choix de m'intéresser, cette année, au déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité (CNI), la délivrance des titres sécurisés relevant également du programme 354. Répondant aux exigences européennes, la généralisation de ce titre à partir d'août 2021, après une période d'expérimentation de cinq mois, s'est déroulée sans dysfonctionnements majeurs malgré quelques difficultés techniques identifiées par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. Toutefois, les délais de prise de rendez-vous en mairie - 22 jours - et le stock de CNI à instruire au sein des centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui est passé de 88 000 titres à 230 000 titres en trois mois, ne cessent de s'accroître. Des interrogations pèsent donc sur la capacité des mairies équipées de dispositifs de recueil et des CERT à répondre à la demande croissante pour ce nouveau titre victime de son succès.
L'engouement pour la nouvelle CNI s'explique à la fois par son format plus pratique et plus résistant, mais aussi par les nombreux usages qu'offre ce titre étroitement lié à l'identité numérique. La puce électronique intégrée à la nouvelle CNI permettra, une fois l'identité numérique régalienne développée, de s'authentifier sur des plateformes comme France Connect et de réaliser de nombreuses démarches en ligne. Au premier semestre 2022, l'identité numérique ne servira, pour les citoyens qui le souhaitent, qu'à fournir des preuves d'âge ou des attestations d'identité. À terme, toutefois, les usages seront beaucoup plus nombreux : faire des démarches administratives, s'identifier sur des sites privés ou encore établir sa procuration de vote. L'identité numérique ouvrira peut-être même le débat sur le vote par internet.
Or, la fracture numérique demeure importante puisque 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d'un Français sur deux est mal à l'aise avec cet outil. Dans ce contexte, je tiens à rappeler que le développement de l'identité numérique ne doit pas se faire au détriment d'une partie de nos concitoyens déjà marginalisés par la dématérialisation croissante des services publics.
Nous n'avons plus à formuler d'avis, puisque le Sénat a rejeté la première partie du projet de loi de finances pour 2022, mais si j'avais eu à me prononcer, j'aurais donné un avis défavorable à ces crédits, parce qu'ils sont encore loin, malgré quelques progrès, de « réarmer les préfectures » et de sécuriser l'action des élus locaux au quotidien.
Mme Nathalie Goulet. - Notre commission a fait un travail important après les dysfonctionnements constatés dans l'organisation des dernières élections départementales et régionales. Le ministère de l'intérieur nous a entendus puisque la mise sous pli de la propagande électorale a été internalisée, après avoir été externalisée avec les conséquences que nous connaissons. Nous ignorons le coût de ce changement et il faudra en contrôler le déroulement. À la veille des échéances électorales nationales, nous avons intérêt à porter un regard continu sur cette réforme, car les promesses n'engagent que ceux qui les entendent...
M. François-Noël Buffet, président. - Effectivement, d'autant que le Gouvernement s'étant largement inspiré de nos propositions, nous sommes tout à fait fondés à contrôler leur mise en oeuvre.
M. Éric Kerrouche. - Sur cette mission, la continuité n'est pas nécessairement une bonne chose, notamment pour la dématérialisation des services publics. Avec Agnès Canayer, nous avons consacré à ce sujet un rapport d'information, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dans lequel nous soulignons la difficile prise en compte de l'illectronisme qui touche surtout les usagers qui ont le plus recours aux services publics. La Cour des comptes pointe des dérives en montrant que des offres privées et payantes se substituent aux services publics. Cette mission reconduit les moyens d'investissement numérique pour les fonctionnaires, alors que nous avons constaté que bien des logiciels ne sont pas adaptés aux missions qu'ils exercent. Les représentants syndicaux nous ont signalé des dysfonctionnements dans le travail quotidien et nous ont alertés sur des problèmes de continuité de service. Un exemple : une mesure de sécurité oblige les secrétaires administratifs des préfectures et des sous-préfectures à prévisualiser leurs documents numérisés sur l'imprimante plutôt que de les consulter directement à l'écran, ce qui entraîne des va-et-vient insensés parce que le logiciel n'est pas adapté.
Sur la réforme des services de l'État, le Premier ministre a annoncé de « réarmement des territoires » : le périmètre de la mission a changé, mais on s'interroge encore sur la doctrine territoriale de l'État. En réalité, et je m'appuie sur une recherche universitaire pour le dire, la volonté de rationaliser les dépenses publiques est une antienne qui date du XXe siècle. En moyenne, une réforme de l'État est menée tous les cinq ans depuis 1969, sans cohérence ni tenir compte des réalisations précédentes. Ce mouvement s'est accéléré depuis 1990.
Nous déplorons les tensions sur les CERT, mais aussi sur le développement des maisons France Services qui se substituent à tous les services publics mais sont cofinancées par les collectivités territoriales.
Concernant l'organisation des élections, les crédits augmentent mais le ministère de l'intérieur conserve une part d'opacité, en particulier pour la mise sous pli : elle serait désormais faite en régie par les préfectures ou les communes. Le ministre de l'intérieur nous a pourtant adressé un courrier contredisant les informations contenues dans le projet annuel de performance. L'organisation des élections sera donc à géométrie variable. Le flou demeure aussi sur l'acheminement de la propagande électorale. Un nouveau marché public sera passé pour couvrir les lots précédemment attribués à Adrexo. Dans les faits, nous ignorons comment se déroule cette procédure. Nos travaux en commission ont permis d'alerter et d'avertir le ministère de l'intérieur. La balle est dans son camp et il ne faudrait pas que nous ayons à constater de nouveaux dysfonctionnements sous peine d'affaiblir encore davantage notre système démocratique. Bien entendu, le ministère de l'intérieur ne propose pas de moderniser les modalités de vote. J'espère que nous pourrons le faire en vue des prochaines élections législatives.
Enfin, je m'étonne de la baisse des crédits de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques, alors que deux élections majeures se dérouleront l'an prochain.
Pour toutes ces raisons, j'aurais suivi l'avis défavorable de notre rapporteure.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Je partage cette analyse sur les dysfonctionnements liés au numérique qui traduisent les difficultés de l'administration à rendre le service public. Le défi de notre temps est d'entrer dans la modernité tout en conservant l'humanité d'une administration publique présente dans les territoires. L'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame : « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », mais cela suppose la présence d'agents publics... Et il est vrai que de plus en plus de secrétaires de mairie nous parlent d'usagers qui les sollicitent pour effectuer leurs démarches afin de maintenir ce lien humain.
Le coût de l'internalisation de la mise sous pli est chiffré à 5 millions d'euros ; nous aurions effectivement intérêt à suivre le processus jusqu'aux élections, et à l'évaluer à l'issue des scrutins.
La commission donne acte de sa communication à la rapporteure et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Sécurités » - Programme « Sécurité civile » - Examen du rapport d'information
M. François-Noël Buffet, président. - Nous entendons désormais la communication de Françoise Dumont sur les crédits du programme « Sécurité civile » du projet de loi de finances pour 2022.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. - Le programme 161 est l'un des quatre programmes de la mission « Sécurités » qui concourt à la stratégie du ministère de l'intérieur visant à protéger et secourir les Français sur l'ensemble du territoire.
Piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux de la sécurité civile, qu'il s'agisse des outils d'intervention opérationnels mis en oeuvre au quotidien pour le secours à personne, les opérations de déminage ou déclenchées en cas de catastrophes majeures, qu'elles soient naturelles comme les feux de forêt, les inondations, les tempêtes ou les séismes, ou technologiques avec les risques NRBC-E - nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif.
Cette année, les moyens alloués à ce programme connaissent une hausse tant en autorisations d'engagement (AE) qu'en crédits de paiement (CP). Les AE passent de 413 à 678 millions d'euros, soit une augmentation de 64,1 %. Cette augmentation s'explique principalement par un effet de périmètre puisque les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de la sécurité civile ont été réintégrés dans le programme « Sécurité civile », alors qu'ils avaient été basculés, l'année dernière, dans la mission « Plan de relance ».
La réintégration de ces crédits au sein du programme 161 est d'autant plus significative que la reconduction, pour cinq années, du marché de maintenance des avions de la sécurité civile confié à la société Sabena Technics à compter du 1er octobre 2022 correspond à 184 millions d'euros d'AE.
Le rapatriement des crédits dédiés au MCO des aéronefs dans le programme 161 justifie également, en partie, l'augmentation des CP pour l'année 2022, passant de 518 millions d'euros en loi de finances initiale de 2021 à 568 millions d'euros.
Un des principaux chantiers portés par la DGSCGC au travers du programme 161 concerne les moyens aériens de la sécurité civile. Cette année, il se traduit principalement par la poursuite de l'exécution du marché public notifié en 2018 portant sur l'acquisition de six appareils multi-rôles de type Dash 8 afin de pallier le retrait des sept Tracker que comptait la flotte de la sécurité civile. Ces avions arrivant au terme des 25 000 heures de vol fixées par le constructeur, il était initialement prévu de les retirer progressivement à mesure des livraisons des Dash 8. Toutefois, la perte d'un Tracker et le décès de son pilote pendant la saison des feux 2019 puis la détection d'un problème technique sur les trains d'atterrissage de ces appareils ont conduit la DGSCGC au retrait anticipé de l'ensemble des Tracker au cours de l'année 2020.
Le premier appareil Dash 8 a été livré en 2019 avant qu'un second ne le rejoigne en 2020, conformément au calendrier prévisionnel prévu par le marché. Pour l'année 2021, seul un appareil sur les deux prévus a été effectivement livré, la livraison du second devant intervenir qu'en toute fin d'année.
Le Président de la République a récemment annoncé, lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, que deux hélicoptères supplémentaires devraient être commandés d'ici à l'année prochaine en plus des deux unités en attente de livraison qui ont été commandées l'année dernière. La flotte d'hélicoptères de la sécurité civile devrait donc bientôt compter 37 appareils, bien que la DGSCGC évalue « un besoin cible de 38 appareils ». Les efforts doivent donc être poursuivis dans les années à venir.
Enfin, la présentation de ce budget est, pour moi, l'occasion de partager mes inquiétudes quant au retard du programme NexSIS porté depuis 2016 par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC). Ce programme a pour objet d'offrir aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO).
Les SGA-SGO sont des systèmes d'information principalement utilisés par les centres de traitement de l'alerte - centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CTA-CODIS) des SIS. Ils permettent, en temps réel, d'identifier, de localiser et de mobiliser les moyens humains et matériels dont dispose le SIS pour répondre à une alerte donnée. La structuration des moyens humains - sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires -, la diversité des moyens matériels et leur répartition au sein des centres de secours du département font du SGA-SGO la moelle épinière des SIS et de leur capacité opérationnelle.
En 2019, l'ANSC a désigné le SDIS de Seine-et-Marne comme SDIS préfigurateur pour la mise en place du système NexSIS et a établi une liste des SDIS primo-accédant pour le déploiement de ce système. Ainsi, sept SIS devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, et quatorze SIS supplémentaires ainsi que la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Or, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu du fait de certaines contraintes induites par la crise sanitaire ainsi que par un manque de personnels qualifiés.
Ce retard est inquiétant à plusieurs titres. Le principal risque concerne la remise en cause des capacités opérationnelles des SIS concernés. Certains SGA-SGO sont devenus particulièrement obsolètes et ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs. La maintenance des systèmes devient de moins en moins facile pour les SIS puisque les sociétés historiquement en charge ne disposent parfois plus des compétences pour intervenir sur des systèmes dont le remplacement a, en tout état de cause, été annoncé. La maintenance des matériels informatiques est également problématique puisque les SGA-SGO les plus anciens fonctionnent avec du matériel datant parfois des années 1990 et dont le remplacement total ou partiel peut être difficile. De plus, certains SDIS ont anticipé le lancement de NexSIS en ne renouvelant pas leur contrat de maintenance. C'est notamment le cas pour celui de mon département, le Var, dont le contrat prendra fin l'année prochaine.
Il résulte de ces différents facteurs un risque croissant de pannes lourdes pouvant, le cas échéant, aboutir à une perte totale du système qui impliquerait un passage en mode « ultra-dégradé » pour la gestion des appels d'urgence depuis la prise d'appel jusqu'au déclenchement des sapeurs-pompiers dans les casernes - méthode « téléphone-papier-crayon » - alors que les SDIS ont reçu près de 16 millions d'appels en 2020 et que certains d'entre eux, comme ceux du Var ou de la Gironde, procèdent à plus de 100 000 interventions par an.
Une panne lourde de SGO-SGA aurait donc des conséquences dramatiques dans les départements concernés, sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier sur le réseau de l'opérateur Orange.
En outre, ce retard pourrait porter préjudice à l'expérimentation des plateformes communes de réception des appels d'urgence prévue à l'article 31 de la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers, dite proposition de loi « Matras » définitivement adoptée par le Parlement le 16 novembre dernier. Il semble difficilement envisageable de procéder au regroupement des CTA-CODIS et des centres de réception des appels des services d'aide médicale urgente (SAMU) sans utiliser le système NexSIS, alors qu'il a vocation à être adopté par une part significative des SIS et qu'il a justement été conçu pour rendre possible un tel regroupement.
Enfin, ce retard est particulièrement préjudiciable pour les SIS qui ont d'ores et déjà versé des subventions d'investissement à l'ANSC dont le montant cumulé atteint plus de 12,5 millions d'euros pour les années 2019 et 2020. Il s'agit d'un effort significatif pour les SIS et les collectivités qui contribuent à leur financement et ces dernières sont donc particulièrement inquiètes à la vue du retard que prend le projet.
Le retard de déploiement de NexSIS est difficilement acceptable pour les collectivités contributrices puisque les dotations de l'État à destination de l'agence sont constituées d'une subvention pour charges de service public d'un montant de 5 millions d'euros en AE et en CP et d'une dotation en fonds propres de 2 millions d'euros en AE et en CP au titre de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS.
Pour rappel, cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires, qui s'était traduite par une diminution significative du montant de la participation versée à ce titre par l'État aux départements, passée de 32 millions d'euros en 2015 à 3 millions d'euros en 2017.
En 2017, l'engagement de l'État avait été respecté avec une dotation aux investissements structurants atteignant 25 millions d'euros. Mais, depuis lors, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croître et était évalué, par Catherine Troendlé, en 2020, à plus de 62 millions d'euros.
À l'heure actuelle, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS se limitant à la seule dotation à destination de l'ANSC, il est donc regrettable que celle-ci se limite à un montant de 2 millions d'euros.
Ainsi, au regard du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS depuis 2017, j'appelle à un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.
M. Hussein Bourgi. - Le projet NexSIS ayant été annoncé pour être opérationnel lors des jeux Olympiques (JO) de 2024, le retard pris nous inquiète pour des raisons budgétaires, mais aussi dans la préparation des JO ; nous pourrions auditionner le ministre de l'intérieur sur ce point.
Il faut analyser les chiffres de ce budget à l'échelle du quinquennat, puisque les crédits de la sécurité civile ont augmenté puis baissé : sur la durée, ils n'ont pas plus progressé que l'inflation. Dans le détail, sur le programme 161, la seule action qui augmente concerne la gestion des crises majeures tandis que les crédits à la prévention restent stables, de même que le soutien aux acteurs de la sécurité civile. Or, le changement climatique est là, les risques sont là, les catastrophes vont se multiplier : il faut investir en amont et non pas se contenter de renforcer les moyens d'urgence.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. - Pour avoir présidé l'ANSC de sa création jusqu'à l'année dernière, je sais combien les SGA-SGO des SDIS sont obsolètes et difficiles à maintenir, certains sont au bord de la rupture et une panne obligerait à passer en mode « ultra-dégradé », avec des risques évidents pour la sécurité civile. Cette situation est effectivement inquiétante dans la perspective des JO. J'ai indiqué il y a quinze jours au cabinet du ministre de l'intérieur, que l'ANSC manquait de 12 équivalents temps plein (ETP) pour aider les SDIS à s'adapter. L'année prochaine sera décisive ; le Gouvernement s'est engagé à combler les vides par redéploiement ; nous avons convenu de nous revoir régulièrement : nous resterons vigilants.
La commission donne acte de sa communication à la rapporteure et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Transformation et fonction publiques » - Programme « Fonction publique » - Examen du rapport d'information
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'avis budgétaire sur les crédits du programme « Fonction publique » porte prioritairement sur la fonction publique de l'État et plus précisément sur le programme 148, destiné à compléter les actions des ministères en matière de ressources humaines.
J'aborderai trois points : les effectifs de l'État et la masse salariale ; le programme 148 ; enfin, la mise en oeuvre de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
S'agissant du premier point, je vous rappelle que l'objectif de suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d'État lors du quinquennat a été officiellement abandonné par le ministre délégué chargé des comptes publics en juillet 2021, au profit d'une stabilité des effectifs de la fonction publique d'État. Corrélativement, l'Agence nationale des mobilités et des reconversions de l'État, dont la création avait été annoncée dès 2018, ne verra finalement pas le jour.
Le PLF pour 2022 prévoit de supprimer 509 équivalents temps plein (ETP) travaillé dans la fonction publique de l'État, sur un total de 2,49 millions agents. L'effort porterait, de façon encore plus forte que l'année précédente, sur les opérateurs, avec la suppression de 1 276 ETP, tandis que 767 ETP seront créés dans les ministères.
Les suppressions de postes porteront principalement sur les ministères du travail, de l'emploi et l'insertion ; de l'économie, des finances et de la relance, et de la transition écologique et leurs opérateurs.
Dans le cadre du « réarmement régalien » mis en avant par le Gouvernement, 2 096 ETP seront créés pour le ministère de l'intérieur, pour le ministère de la justice, et pour le ministère des armées et leurs opérateurs.
En outre, les secteurs de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, d'une part, et ceux de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, d'autre part, bénéficieront de 662 ETP supplémentaires. À noter que le ministère de la santé et ses opérateurs bénéficieront de seulement 28 ETP supplémentaires, ce qui semble traduire la perspective d'un « retour à la normale » après la crise sanitaire.
Au total, seuls 2 130 ETP seraient donc supprimés dans l'administration de l'État depuis 2018.
Concernant la masse salariale de l'État hors pensions, elle atteint 93,2 milliards d'euros pour 2022, ce qui représente 18,1 % du budget général. Malgré le gel du point d'indice, elle augmente de 2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021.
Cette augmentation s'explique principalement par les mesures catégorielles, par le solde du glissement vieillesse-technicité (GVT), par les mesures annoncées lors de la conférence sur les perspectives salariales de la fonction publique de juillet 2021, par le financement de la première étape de la participation de l'État employeur à la protection sociale complémentaire de ses agents, et par les effets des créations de postes.
L'épidémie de covid-19 a eu des conséquences sur la masse salariale. La prime exceptionnelle « covid-19 » a été versée aux agents de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale ayant garanti la continuité des services publics pendant la crise sanitaire. Dans la fonction publique de l'État, cette prime a été versée à 295 549 agents, pour un coût total de 177,87 millions d'euros, dont plus de la moitié a été versée entre juillet et septembre 2020. Le montant moyen de 602 euros par agent dissimule des montants très hétérogènes en fonction des ministères, allant du simple à près du triple.
Dans le versant territorial, 39 % des collectivités et établissements qui ont répondu à l'enquête du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ont déclaré avoir délibéré pour instituer cette prime exceptionnelle ; il s'agit surtout des métropoles et communautés urbaines, des départements, des intercommunalités et des communes de plus de 3 500 habitants. Les bénéficiaires travaillent principalement dans les secteurs des ressources humaines, du scolaire et périscolaire, de l'état civil et funéraire, ou encore des services publics sociaux et médico-sociaux.
La suspension du jour de carence s'est traduite par un surcoût budgétaire bien inférieur à celui observé en 2020, sous l'effet combiné du recul du nombre de contaminations chez les agents et d'un meilleur ciblage du dispositif. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 propose une nouvelle prorogation jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2022.
Pour le télétravail, l'objectif était d'équiper d'ici à la fin de l'année 2021 d'un ordinateur portable tous les agents de la fonction publique d'État, hors enseignants, dont les activités peuvent être réalisées à distance. Au 1er juillet 2021, 85 % des agents concernés sont équipés « comme au bureau ». Depuis mars 2020, 274 000 ordinateurs portables ont été acquis, pour un coût de 365 millions d'euros.
Par ailleurs, l'accord relatif à la mise en oeuvre du télétravail dans la fonction publique, signé le 13 juillet 2021, prévoit une indemnisation forfaitaire des frais à hauteur de 220 euros annuels maximum par agent de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l'État. La fonction publique territoriale n'est pas concernée.
Deuxième point : le programme 148, « Fonction publique ». Il finance les actions interministérielles en matière de formation (33 % du programme), d'action sociale (51 %) et de gestion des ressources humaines (16 %). Une quatrième action « accompagnement interministériel ressources humaines » a été introduite dans ce PLF: il s'agit des crédits, hors dépenses de personnel, du Centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (CISIRH) pour 18,1 millions d'euros, ainsi que les crédits du Fonds d'accompagnement interministériel RH (FAIRH) initialement portés par le programme 351, pour 20 millions d'euros en crédits de paiement. En plus des deux objectifs issus du programme 351, le programme 148 comporte deux nouveaux objectifs par rapport au PLF 2021 : « égalité professionnelle » et « transformation de la fonction publique ». Son montant s'établit à 297,58 millions d'euros en autorisations d'engagement et 288,33 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation respective de 9,1 % et 8,5 % par rapport à la loi de finances pour 2021 à périmètre courant, et de 2,5 % et 1,7 % à périmètre constant.
Le constat posé l'an dernier s'applique toujours : les coûts de gestion des prestations d'action sociale demeurent encore élevés même s'ils sont censés baisser légèrement en 2021, pour atteindre 5,42 %, contre 5,6 % en 2020. Cette baisse des coûts moyens résulterait en partie du renouvellement des marchés publics du chèque emploi service universel (CESU), en janvier 2021, et du chèque-vacances, en avril 2021.
Concernant l'égalité professionnelle, dans ce PLF, l'indicateur de cet objectif vise un taux de mise en oeuvre des plans d'action en faveur de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans la fonction publique de l'État de 100 % dès 2021 en ce qui concerne les ministères. Les taux d'élaboration des plans d'action s'agissant des collectivités territoriales et des établissements publics de la fonction publique hospitalière sont nettement inférieurs : respectivement 54 % et 58 % en juin 2021. Cet indicateur n'est toutefois pas entièrement satisfaisant, car il semble confondre, dans sa définition, la transmission des plans d'action et leur mise en oeuvre.
Comme chaque année, je vous propose un focus sur le recrutement des apprentis.
Alors que la fonction publique représente près de 20 % des actifs, elle n'emploie que 5 % de l'ensemble des apprentis en France. Si le nombre d'entrées en contrat d'apprentissage est en nette augmentation en 2020, cette croissance est presque entièrement portée par le secteur privé : les embauches dans le secteur public n'augmentent que de 5 %.
Néanmoins, le Gouvernement s'est fixé comme objectif de recruter 14 940 apprentis pour l'année 2021-2022, soit une augmentation de 80 % par rapport à l'année précédente, notamment dans les ministères de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et la recherche, et de l'intérieur.
Les difficultés de recrutement liées au financement ne doivent pas être sous-estimées. Dans le versant territorial, le plan « 1 jeune, 1 solution » prévoit le versement d'une aide exceptionnelle de 3 000 euros au profit des collectivités territoriales pour chaque contrat d'apprentissage conclu entre le 1er juillet 2020 et le 31 décembre 2021. Au 19 octobre 2021, 6 341 dossiers ont ainsi été acceptés, soit un montant total de 19,023 millions d'euros versés.
Le PLF pour 2022 rénove le système de financement issu de la loi du 6 août 2019 : à compter de 2022, le CNFPT devrait prendre en charge la totalité des coûts de la formation des apprentis, et non plus la moitié, tout en bénéficiant de recettes nouvelles. Ainsi, une cotisation spéciale à l'apprentissage d'un taux maximal de 0,1 % de la masse salariale des collectivités territoriales serait mise en place, tandis que l'État apporterait un financement de 15 millions d'euros ; France Compétences participerait également à hauteur de 15 millions d'euros, en contrepartie de la réalisation d'un objectif de recrutement de 7 500 apprentis par les employeurs territoriaux.
Ce mode de financement devrait garantir l'équilibre budgétaire du CNFPT et inciter au recrutement d'apprentis. L'an dernier, j'avais proposé un effort financier comparable par un amendement, voté par le Sénat, qui visait à créer une dotation interministérielle de 15 millions d'euros pour développer l'apprentissage dans la fonction publique de l'État. Ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale ne m'ont suivie.
De façon générale, le développement de l'apprentissage dans la fonction publique semble se heurter à un déficit d'attractivité auquel contribue notamment l'absence de perspectives pour les apprentis. La loi de transformation de la fonction publique permet toutefois aux employeurs, à titre expérimental, de titulariser des apprentis en situation de handicap, après vérification de leur aptitude professionnelle ; le premier bilan est néanmoins assez modeste, avec 48 titularisations visées en 2021, et 178 visées en 2022.
Un moyen d'améliorer significativement l'accès des apprentis à la fonction publique pourrait être d'assimiler l'expérience acquise au cours du contrat d'apprentissage dans la fonction publique à une durée de services publics effectifs, afin de leur permettre de passer les concours par la voie interne ; le Gouvernement n'a toutefois pas précisé le calendrier ni les modalités d'une telle mesure.
Le rapport sur les freins au développement de l'apprentissage, prévu par de la loi de transformation de la fonction publique, vient tout juste d'être remis au Parlement, près d'un an et demi après le délai fixé : tout vient à point...
Troisième point : la mise en oeuvre de la loi du 6 août 2019 relative à la transformation de la fonction publique.
Si le recours aux nouveaux outils qu'elle introduit paraît encore timide, il a été ralenti par la survenue de la crise sanitaire quelques semaines à peine après l'édiction des premiers décrets. De plus certaines mesures d'application n'ont toujours pas été prises.
Un bilan ultérieur permettra de savoir si les modestes résultats observés s'expliquent par des raisons conjoncturelles ou également structurelles.
Je ferai cependant un point d'étape sur quelques-unes de ses dispositions.
Le contrat de projet permet aux administrations d'embaucher des agents de catégorie A, B et C pour mener à bien un projet ou une opération. Dans la fonction publique d'État, 240 contrats de projet ont été conclus en 2020, principalement dans les ministères sociaux, les ministères économiques et financiers, et le ministère de l'intérieur, pour des projets immobiliers, informatiques, numériques. Le recours à ce nouveau type de contrat n'a pas pu encore être évalué dans la fonction publique territoriale, ni dans la fonction publique hospitalière.
Concernant l'ouverture aux contractuels des emplois de direction, seulement 22 contrats ont été signés dans la fonction publique de l'État au 30 juin 2021; les chiffres pour les autres versants ne sont pas encore connus.
Sur l'élargissement du recours au contrat pour pourvoir les emplois permanents de l'État, le bilan de ce dispositif n'est pas non plus disponible.
La prime de précarité dans la fonction publique concerne tous les employeurs publics au titre des contrats conclus depuis le 1er janvier 2021 ; son montant est égal à 10 % de la rémunération brute globale de l'agent.
Je vous rappelle que nous nous étions montrés réticents à l'extension par le Gouvernement du dispositif à la fonction publique hospitalière. Il conviendra de vérifier l'an prochain si la logique dissuasive à l'égard des employeurs publics qu'entendait poursuivre le Gouvernement a été suivie d'effet.
La rupture conventionnelle, elle, connaît une montée en puissance progressive, même si son appropriation par les employeurs publics demeure en deçà des projections ; l'expérimentation de la rupture conventionnelle était en effet particulièrement attendue des employeurs territoriaux. Dans la fonction publique de l'État, 428 indemnités spécifiques de rupture conventionnelle ont été enregistrées en 2020, et 1 100 entre janvier et juillet 2021. Les chiffres ne sont pas connus pour les deux autres versants de la fonction publique. Un bilan ultérieur permettra de chiffrer le coût du dispositif pour les employeurs publics.
Enfin, sur la restructuration de service, le dispositif global d'accompagnement des fonctionnaires dont le poste est supprimé permet d'accorder des congés de transition professionnelle et de verser des indemnités de départ volontaire ; 1 300 indemnités de départ ont été versées à ce jour. L'impact budgétaire de la mise en place des congés de transition professionnelle n'a pas encore été précisé.
Voilà les remarques que je voulais faire sur ce budget, étant entendu que je n'ai pas à formuler d'avis sur son vote.
M. Patrick Kanner. - Les quelque 5 millions d'agents des trois fonctions publiques ont souvent été, dans l'année difficile que nous venons de traverser, les « premiers de corvée » et je crois que nous devons les saluer.
Ce budget est un budget de continuité. Il est l'occasion de rappeler que beaucoup de choses ont changé durant ce quinquennat, pas toujours en bien, et que c'est le fruit d'une conception de la modernisation et de la flexibilité, conforme à la logique de « start-up nation ». Nous l'avons combattue, en particulier en n'adoptant pas la proposition de loi de ratification de l'ordonnance portant réforme de la haute fonction publique de l'État, déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur. Mme de Montchalin a eu à cette occasion une attitude quelque peu condescendante à notre égard, nous nous en souvenons. Nous pensons, nous, que cette conception ne correspond pas à l'histoire de notre pays ; nous croyons au service public et estimons qu'il doit intégrer les serviteurs du public que sont les fonctionnaires quel que soit leur grade, et nous pensons aussi que le désengagement de l'État n'est pas une bonne chose. Nous voulons plus de reconnaissance du travail des fonctionnaires, ce qui passe aussi par leur rémunération. Certes, des mesures catégorielles ont été annoncées, mais pas de mesure générale. Or le point d'indice n'a pas bougé depuis février 2017 ; il est donc certain, compte tenu de l'inflation, que le pouvoir d'achat global des fonctionnaires régresse dans notre pays. Nous savons aussi que l'emploi public est un élément de l'aménagement du territoire dont nous avons tant besoin, y compris outre-mer, comme la situation actuelle nous le rappelle fortement.
Mme Françoise Gatel. - Je suis très attachée à la présence des services publics dans les territoires, c'est pourquoi j'ai regretté que le Gouvernement ait limité la délivrance des cartes nationales d'identité à quelques communes labellisées - dans mon département, seules 27 communes pourront en délivrer, ce qui est peu.
S'agissant de l'apprentissage, il est clair que nous avons des difficultés de recrutement ; certains métiers ne sont guère attractifs dans les petites communes. Je pense aux postes de secrétaires de mairie par exemple, qui sont multitâches, exercés souvent dans la solitude, et sans guère de progression possible - on comprend pourquoi les agents sont attirés vers les intercommunalités, et d'abord les plus importantes, qui offrent des tâches plus diversifiées et plus de perspectives. Je crois donc qu'il faut travailler davantage à mutualiser ces emplois sur le territoire, pour les rendre plus attractifs.
J'ai deux questions annexes. La cybersécurité pour les postes des agents des collectivités en télétravail pose problème. La ville de La Rochelle a été paralysée le 26 décembre dernier par un virus qui s'est propagé à partir d'une messagerie publique ; il lui fut impossible de délivrer les permis d'inhumer pendant huit jours.
Nous devons aussi faciliter la gestion des personnels par les employeurs, notamment dans le domaine de la médecine du travail. Les centres départementaux connaissent des déficits de médecins, et l'intervention d'infirmiers en pratique avancée (IPA), autorisée pour le privé, ne l'est pas pour la fonction publique territoriale, si bien que de nombreuses visites médicales de reprise du travail ne peuvent être effectuées.
Mme Marie Mercier. - La polyvalence des secrétaires de mairie et des directeurs généraux des services (DGS) est absolument hors-norme. La DGS de ma commune de 10?000 habitants gagnerait beaucoup plus si elle travaillait à l'agglomération, qui compte plus de 100?000 habitants. Les critères devraient être revus, car la rémunération de ces agents n'est pas à la hauteur du travail accompli.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Madame Gatel, former des apprentis permettrait de recruter : ce serait un bon retour sur investissement pour les collectivités.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Programmes « Juridictions administratives et juridictions financières » - Examen du rapport d'information
M. Guy Benarroche, rapporteur. - Nous examinons pour avis deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre : le programme 165, « Conseil d'État et autres juridictions administratives », et le programme 164, « Cour des comptes et autres juridictions financières ».
Les moyens alloués à ces deux programmes augmentent en 2022 de 6,5 % pour les juridictions administratives, avec un montant total de crédits de paiement qui s'élève à 481,2 millions d'euros, et de 2,5 % pour les juridictions financières, avec un montant de 226,7 millions d'euros. Leurs schémas d'emplois sont également en hausse, respectivement de plus 41 et plus 30 équivalents temps plein (ETP).
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 prévoit un renforcement plus marqué que l'année dernière des effectifs des tribunaux administratifs et confirme ainsi la rupture avec les années précédentes, où seule la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) bénéficiait d'efforts budgétaires.
Les crédits supplémentaires demandés en 2022 sont principalement destinés à financer 36 ETP pour renforcer les effectifs des tribunaux administratifs : 21 emplois de magistrats, dont six postes de vice-présidents pour les tribunaux administratifs comportant trois chambres et plus, ce qui permettra aux présidents de ces juridictions de se décharger d'audiences de référés et de consacrer plus de temps à leur rôle de gestionnaire de leur juridiction, et 15 emplois d'agents de greffe.
Le budget prévoit également deux postes de conseillers d'État supplémentaires et trois emplois de magistrats destinés à la commission du contentieux du stationnement payant (CCSP).
Les crédits hors titre 2 s'élèvent à 19 millions d'euros. Ils sont en forte augmentation, de 22,5 %, par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2021, pour deux raisons. D'une part, il s'agit de couvrir des dépenses immobilières, dont notamment deux projets d'envergure : le relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil et la création de la cour administrative d'appel de Toulouse. Cette neuvième cour administrative d'appel devrait être livrée en janvier 2022, avec l'ouverture des deux premières chambres le 1er mars 2022 et des deux suivantes en septembre 2022. D'autre part, des investissements informatiques sont prévus, avec un projet de refonte de Télérecours, qui est l'application des échanges dématérialisés avec les juridictions administratives, pour un montant de 2 millions d'euros.
Je souhaiterais attirer votre attention sur trois sujets.
Tout d'abord, l'année 2022 constituera la première année d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Or, cette réforme de la haute fonction publique pourrait présenter des impacts sur l'attractivité du corps des magistrats administratifs et compliquer l'organisation des juridictions administratives, ce pour deux raisons.
Tout d'abord, cette ordonnance instaure une obligation de mobilité statutaire pour accéder au grade de conseiller, transformant ainsi une incitation qui existait déjà en une obligation, et supprime la possibilité d'être dispensé de mobilité pour l'accès au deuxième grade par l'affectation pendant trois ans en cour administrative d'appel. Cette double obligation de mobilité entraînera la nécessité de remplacer un certain nombre de magistrats en juridiction et de former les nouveaux entrants venant d'autres corps, ce qui risque d'entraîner une perte de productivité pour les juridictions concernées. De plus, ce nouveau cadre statutaire pose la question du retour dans leur corps d'origine des magistrats ayant exercé cette mobilité : ils pourraient être tentés de rester dans leur administration d'accueil, compte tenu des contraintes croissantes de la fonction de magistrat administratif.
L'attractivité du corps deviendra ainsi plus que jamais un enjeu pour le bon fonctionnement des juridictions administratives.
Par ailleurs, le corps des magistrats administratifs devenant un corps d'accueil, une attention particulière doit être portée à leur régime indiciaire et indemnitaire. Comme l'a relevé le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les magistrats sortant de l'Institut national du service public (INSP) commenceront leur carrière par deux années dans le corps des administrateurs de l'État, avant de rejoindre les tribunaux administratifs. Il serait difficilement concevable que leur arrivée en juridiction se traduise par une perte de rémunération. Le Conseil d'État a indiqué mener dès à présent des discussions en la matière avec la direction générale de l'administration et de la fonction publique et la direction du budget, a priori dans la perspective du budget pour 2023.
Les effets de la réforme de la haute fonction publique sur le corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel devront donc être suivis avec attention au cours des prochaines années : la volatilité qu'elle peut induire, cumulée avec la difficulté d'anticiper les départs à la retraite, est susceptible de rendre plus complexe la gestion des ressources humaines des juridictions administratives.
À cette inconnue s'ajoute le phénomène bien connu de l'accroissement du contentieux administratif.
L'année 2020 a été une année atypique en raison de la pandémie, mais la forte baisse d'activité causée par celle-ci est conjoncturelle et l'année 2021 présente les signes d'un rebond d'activité : au premier semestre 2021, le niveau des entrées dans les tribunaux administratifs et à la CNDA a dépassé celui de l'année 2019 sur la même période.
Deux domaines semblent particulièrement concernés par la reprise d'activité. Les contentieux sociaux, qui comprennent les litiges relatifs à l'aide sociale, au revenu de solidarité active (RSA), au logement et aux droits des travailleurs sans emploi, sont en forte augmentation, de 13 %, depuis le début de l'année 2021et devraient atteindre leurs plus hauts niveaux, selon le Conseil d'État. Les injonctions liées au droit au logement opposable (DALO) prennent en particulier un temps considérable aux magistrats dans certains tribunaux administratifs. De ce point de vue, d'après les témoignages recueillis lors de mon déplacement au tribunal administratif de Montreuil, la suppression des audiences prévue dans le cadre de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire n'allègera qu'à la marge le travail des magistrats et des greffes.
Le contentieux des étrangers, qui avait atteint 40 % en 2019, n'est quant à lui descendu qu'à 37,2 % en 2020. Sur les cinq dernières années, ce contentieux est en augmentation de 33,6 %. Au printemps 2020, le groupe de travail présidé par le conseiller d'État Jacques-Henri Stahl a proposé une simplification de la procédure en la matière. La nécessité d'une telle réforme d'ordre procédural semble faire consensus?; néanmoins, aucune initiative législative n'a encore été prise, et la période électorale à venir semble désormais écarter cette hypothèse.
Cette année, certains tribunaux ont également vu affluer les référés de la part d'étrangers résidant en France pour obtenir un rendez-vous en préfecture en raison du dysfonctionnement de l'administration et des lenteurs de la mise en place du système d'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). Le tribunal administratif de Montreuil a ainsi connu une hausse de 300 % de ce contentieux, avec un total de 1?685 référés depuis 2020. Le préfet des Bouches-du-Rhône m'a indiqué mettre en place ce système dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) à partir du 1er janvier 2022 et l'on peut aussi craindre des ratés. Ce contentieux revient à transformer le juge administratif en secrétaire de préfecture, selon le témoignage des magistrats rencontrés, qui déplorent une dévalorisation de leur métier.
De manière générale, les procédures de référé semblent être en pleine expansion. Ainsi, le président du tribunal administratif de Montreuil a noté une augmentation de 119 % des référés par rapport à 2020. Cette augmentation, en particulier des référés suspension, pourrait être liée au vieillissement des stocks de dossiers.
Pour faire face à un tel contentieux tout en maintenant les indicateurs de performance à un niveau satisfaisant, l'augmentation des effectifs de 41 ETP prévue par le PLF pour 2022 semble donc un minimum. Une attention particulière doit être portée au renforcement des équipes de greffe pour permettre à la chaîne juridictionnelle de fonctionner de bout en bout. À Montreuil, la majorité des chambres de la juridiction ne disposent pas de greffe complet et les vacataires ne sont affectés que sur des temps courts, de trois mois maximum, formation comprise, ce qui ne permet pas de rentabiliser le temps de formation. Ce fonctionnement n'est pas vraiment optimal, alors que la juridiction est saisie de 17?000 requêtes par an.
Mon troisième point d'attention concerne deux juridictions spécialisées portées par le programme 165 : la CNDA, qui est la juridiction d'appel des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), et la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), qui prend en charge les recours en matière de stationnement des véhicules sur voirie.
Ces deux juridictions sont confrontées à des hausses importantes de leurs contentieux. La CNDA connaît cette tendance depuis des années et a vu ses moyens renforcés. Elle disposera ainsi à la fin de l'année 2021 de 339 rapporteurs pour remplir son objectif de rendre 70?000 décisions dans un délai de huit mois. La CCSP est, elle, beaucoup plus récente, et elle fait face depuis le début de l'année 2021 à une augmentation considérable du nombre des recours. Selon le Conseil d'État, le nombre des recours devrait être de l'ordre de 150 000 à 160 000 au 31 décembre 2021, dépassant ainsi les 120 000 recours enregistrés en 2019.
Ce surcroît d'activité est a priori durable, car il est lié à l'abrogation par la décision QPC du 9 septembre 2020 du Conseil constitutionnel d'une disposition du code général des collectivités territoriales, qui faisait de l'obligation préalable de paiement une condition de recevabilité des recours devant la CCSP. Aucune disposition législative n'a pour l'heure été adoptée - nous en étions au même point il y a un an - pour trouver une solution de remplacement, malgré différentes initiatives du député Daniel Labaronne.
En 2022, la CCSP recevra le renfort de trois magistrats. Cet accroissement de sa capacité de jugement est nécessaire. Sera-t-il suffisant?? En 2022, l'augmentation des recours risque de s'accentuer, car la Ville de Paris a décidé de l'élargissement de l'obligation de stationnement payant aux deux roues.
Ces deux juridictions spécialisées étant soumises à un flux très important de dossiers entrants, le moindre incident peut avoir des effets préjudiciables sur leur performance. Ce sera probablement le cas en 2021. La CNDA a connu une grève des avocats, menée depuis octobre 2021, contre un recours, selon eux, accru aux ordonnances et contre la nouvelle politique de la cour pour limiter les renvois. Pour la CCSP, une panne de son système informatique à la suite d'une erreur commise par un prestataire du ministère de l'intérieur a fortement touché le travail de l'ensemble de la juridiction durant une semaine en avril 2021.
J'ai examiné cette année la question de la double tutelle des personnels des greffes des juridictions administratives, qui dépendent et du ministère de l'intérieur et du Conseil d'État, ce qui ne semble pas toujours optimal en matière de gestion et de recrutement. C'est un héritage historique des conseils de préfecture. En auditionnant les syndicats, il semble que la question mérite réflexion, car il y a aussi des avantages à cette situation, en particulier pour la mobilité dans les préfectures et les sous-préfectures. Un groupe de travail examine actuellement la question.
J'en viens à présent aux juridictions financières.
Les moyens du programme 164, « Cour des comptes et autres juridictions financières », sont en légère augmentation, de 2,5 % pour les crédits de paiement, contre 0,3 % l'année dernière. Le schéma d'emplois prévoit la création de 30 ETP, dont 25 destinés au recrutement d'auditeurs financiers pour assurer le mandat 2022-2028 de la Cour des comptes au comité des commissaires aux comptes de l'Organisation des Nations unies (ONU).
Dans un contexte de quasi-stabilité des moyens humains consacrés aux chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), malgré une augmentation croissante de leurs missions, l'importance des moyens humains consacrés à la mission de commissariat aux comptes de l'ONU apparaît tout à fait exceptionnelle. Il conviendra de veiller à ce que les CRTC ne soient pas mises à contribution sur cette mission. Je rappelle que le périmètre des compétences des juridictions financières s'est étendu de manière importante au cours des dernières années. Le nombre des organismes soumis à leur contrôle s'est multiplié. Parallèlement, les dossiers se sont complexifiés et les organismes contrôlés sont montés en compétence.
Le Premier président de la Cour des comptes a fixé diverses orientations stratégiques pour les juridictions financières à la suite du chantier « JF 2025 ».
Parmi ces orientations, deux sont en cours de traduction législative et vont avoir un impact important sur les CRTC. L'article 74 du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) tend à confier aux CRTC une nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques territoriales, sur demande des régions ou des départements, et peut-être des métropoles. Ce droit de tirage à la main des collectivités territoriales, auquel les CRTC seront tenues de faire droit, pourraient avoir des effets importants sur leurs travaux, notamment pour les chambres ayant un vaste périmètre, par exemple pour la CRC Occitanie, qui comprend une région et 13 départements.
La CRTC Bouches-du-Rhône se verrait confier dans ce cadre un travail important d'évaluation, à la fois sur la réattribution des allocations de compensation pour les communes et sur la mise en oeuvre du plan « Marseille en grand » annoncé par Emmanuel Macron. Le président de la chambre a exprimé des craintes sur ses moyens, au vu de son programme de contrôles de l'année prochaine.
Dans le cadre du PLF pour 2022, aucun moyen supplémentaire n'a été alloué aux chambres à ce titre. Toutefois, réaliser ces tâches dans des délais utiles à moyens constants semble impossible. La question devra être abordée lors des prochains budgets.
L'article 41 du PLF pour 2022 vise à habiliter le Gouvernement à réformer par ordonnance le régime de responsabilité des comptables et ordonnateurs publics, pour instituer un régime de responsabilité unifié des gestionnaires publics et un nouveau régime de sanctions. Il s'agit d'une réforme attendue, car le système actuel n'est pas satisfaisant?; le faible nombre d'affaires jugées par la Cour de discipline budgétaire et financière en est la preuve.
L'article suscite toutefois des interrogations. Sur la méthode tout d'abord : pourquoi prévoir une habilitation à légiférer par ordonnances alors que la réforme envisagée remanierait profondément l'ordre public financier, notamment en prévoyant un champ restreint aux fautes graves et causant un préjudice financier significatif ? Sur la procédure choisie, enfin : l'intégration de la formation de jugement unique à la Cour des comptes n'est pas approuvée par les CRTC, qui auraient préféré le recours à deux ou trois formations inter-juridictions pour conserver leur rôle juridictionnel. Elles craignent que leur mise à l'écart du jugement des comptables publics affaiblisse leur rôle localement. Les magistrats des CRTC s'interrogent, quant à eux, sur une dévalorisation de leur fonction avec l'abandon de leurs fonctions juridictionnelles, même s'il est prévu qu'ils puissent siéger à cette septième chambre.
Comme l'année dernière, je souligne enfin que pour une meilleure lisibilité des crédits alloués, une ventilation des crédits entre la Cour des comptes et les CRTC serait bienvenue, à l'instar du programme 165, qui prévoit une ventilation entre le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs.
Mme Nathalie Goulet. - Qu'est-ce que ce contrôle de l'ONU?? Est-ce une nouveauté?? Pierre Moscovici trouve que les ports francs sont formidables... comment va-t-il contrôler l'ONU??
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - Il s'agit d'une procédure régulière de l'ONU. Le mandat, de six ans, a été attribué à la Cour des comptes française pour 2022-2028, avec deux autres pays.
Mme Nathalie Goulet. - Une rémunération est-elle prévue??
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - Tout à fait : elle permettra notamment de faire face aux frais supplémentaires engendrés par cette mission.
Mme Nathalie Goulet. - C'est important?!
La commission donne acte de sa communication au rapporteur et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport d'information
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vous présente le rapport sur la mission « Pouvoirs publics ». Je limiterai mes observations à la présidence de la République, au Conseil constitutionnel et à la Cour de justice de la République. Pour les assemblées parlementaires et la chaîne parlementaire, je vous renvoie à l'excellent rapport de la commission des finances, pour éviter tout conflit d'intérêts, puisque, en tant que questeur, il serait malvenu que je m'exprime sur le sujet.
Les crédits de la présidence de la République, qui avaient beaucoup augmenté dans les premières années du quinquennat, se sont stabilisés, ce que je salue. Comme l'année dernière, les crédits s'élèvent à environ 109 millions d'euros. Les dépenses du déplacement du Président de la République sont en diminution, compte tenu de la crise sanitaire, qui a réduit le nombre de voyages présidentiels.
Les dépenses d'investissement sont contenues, elles ont diminué de 4,67 % entre 2021 et 2022 après deux années de hausse. Nous avons toujours soutenu les dépenses d'investissement, dès lors qu'elles étaient affectées à des missions de sécurité de la Présidence, qui est une question majeure. Cette année, les dépenses portent sur les investissements informatiques, sur les télécommunications, sur l'hôtel de Marigny et sur la protection des personnels de la direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR), dépenses que je soutiens complètement.
Les dépenses de fonctionnement augmentent de manière modérée, à cause des travaux de purge des réseaux et de la rationalisation de certaines dépenses, comme celles liées au parc automobile.
La hausse des dépenses de personnel est très limitée. La présidence de la République s'est fixé un plafond d'emplois à 825 équivalents temps plein (ETP), avec une compression des heures supplémentaires. La Cour des comptes avait souhaité une exclusivité pour l'attribution de l'indemnité de sujétion particulière, notamment en ce qui concerne la rémunération des heures complémentaires. Ces dispositifs sont exclusifs pour les nouveaux entrants, mais ils restent cumulables pour les personnels en fonction.
Le prélèvement habituel sur la trésorerie, nécessaire à l'équilibre du budget, malgré une réduction de 4,5 % par rapport à 2021, s'élève pour 2022 à 2,4 millions d'euros. Il est toujours très difficile de connaître les réserves exactes de la présidence de la République : selon la Cour des comptes, elles s'élevaient à 20,56 millions d'euros en 2019 et à 20,41 millions d'euros en 2020.
La gestion est donc extrêmement prudente. Voilà qui tranche singulièrement avec les deux ou trois premières années de quinquennat. À l'approche de l'élection présidentielle, la vertu semble s'être installée.
J'en viens au Conseil constitutionnel. Les crédits augmentent de 2,5 millions d'euros, à cause des futures élections présidentielle et législatives. Le Conseil constitutionnel contrôle la validité et le bon déroulement de l'élection présidentielle, il examine les réclamations et proclame le résultat, il recueille les parrainages, arrête la liste des candidats et désigne les délégués qui surveillent sur place les opérations électorales. Il intervient tout au long du processus. Par ailleurs, en vertu de l'article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel statue en cas de contestation sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs.
Voilà qui entraîne le recours à 2?000 magistrats, délégués du Conseil constitutionnel assurant le contrôle des opérations électorales dans les bureaux de vote et vérificateurs et spécialistes de la législation électorale, ainsi que des coûts informatiques liés au traitement des parrainages. Le Conseil accueillera aussi en ses murs des agents du ministère de l'intérieur et des rapporteurs adjoints issus du Conseil d'État et de la Cour de cassation. Le détachement de la Garde républicaine sera lui aussi augmenté. Enfin, compte tenu du contexte sanitaire, le Conseil louera un local supplémentaire de 154 m2.
J'en viens aux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui se développent. Leur répartition est égale, cette année, entre celles provenant du Conseil d'État et celles de la Cour de cassation. Au premier semestre 2021, 41 des 60 décisions du Conseil relèvent de QPC.
Le président du Conseil constitutionnel souhaiterait un recensement complet, en matière de QPC, des décisions prises en première et seconde instance. Voilà qui constituerait une base de données très importante et utile, et qui explique les crédits supplémentaires de 900?000 euros.
J'ai évoqué avec Laurent Fabius des travaux récents du Sénat, en particulier la proposition de loi constitutionnelle modifiant l'article 38 de la Constitution suite aux décisions du Conseil du 28 mai 2020 et du 3 juillet 2020 Le président du Conseil constitutionnel a déclaré que, les décisions du Conseil s'appliquant à l'ensemble des pouvoirs publics, le débat était clos et n'appelait aucune précision de sa part.
Un nouveau dispositif prospère : désormais, le Conseil constitutionnel se déplace dans nos régions pour tenir des audiences de QPC. Des audiences ont eu lieu à Metz, à Pau, à Lyon et à Bourges, à l'instar de ce qui se passe au Canada. Ces audiences délocalisées font l'objet de travaux préparatoires avec la juridiction d'accueil, puis des échanges s'engagent avec des étudiants en droit des universités de la région. Chaque fois, le coût est d'environ 20?000 euros, en raison de la retransmission audiovisuelle.
Enfin, des échanges utiles ont eu lieu avec la Cour de Karlsruhe et sont prévus avec l'Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF), qui se réunira bientôt à Dakar.
La Cour de justice de la République fait l'objet de nombreuses contestations, mais les saisines sont massives. La Cour s'organise en trois degrés. La commission des requêtes se réunit une ou deux fois par mois et analyse entre 20 et 30 plaintes par séance. La commission d'instruction n'évoque que les sujets transmis par la commission des requêtes. Enfin, au terme de l'instruction, la formation en jugement, peut, le cas échéant, se réunir, ce qu'elle fera une fois en 2022.
En 2020, 246 recours ont été déposés devant la commission des requêtes, dont 164 afférents à la crise sanitaire. En 2021, nos ministres Agnès Buzyn et Olivier Véran ont fait l'objet de 19 078 recours. Ces plaintes émanent du même avocat, et, pour le moment, aucun désistement n'est à prévoir. Au 31 mai 2021, seulement 15 dossiers étaient en cours d'instruction. La commission des requêtes procède donc à un important élagage. L'augmentation des crédits tient au fait que les frais de justice sont importants, notamment dans le contexte de la crise sanitaire.
Bercy a autorisé des reports de crédits, ce qui est une bonne nouvelle. Le coût de loyer de la Cour dans un immeuble proche des Invalides s'élève à 493?000 euros pour l'année. La Cour espère pouvoir s'installer sur l'île de la Cité, à l'issue du procès sur les attentats de 2015, dans deux ou trois ans.
Mes chers collègues, je vous aurais proposé d'approuver ces crédits si le vote en séance publique hier n'avait pas abouti au rejet de la première partie du projet de loi de finances.
M. Patrick Kanner. - Le Conseil constitutionnel voit sa dotation augmenter de 32 %. Est-ce seulement lié au nouveau fichier sur les QPC et à l'organisation des élections??
Monsieur le rapporteur, votre pudeur questorale s'est judicieusement manifestée, mais les budgets de l'Assemblée nationale et du Sénat augmentent respectivement de 6 % et de 4 %. Que pouvez-vous nous en dire??
M. Alain Richard. - La création d'un fichier de jurisprudence sur les décisions QPC semble très judicieuse. Pourquoi la Cour de cassation et le Conseil d'État n'ont-ils pas déjà réalisé ce travail, qui semble devoir leur incomber ? Le Conseil constitutionnel constate-t-il une carence de la part de ces juridictions ?
M. Philippe Bas. - En matière de pouvoirs publics constitutionnels, notre tradition républicaine consiste à respecter la séparation des pouvoirs. L'unité du budget de l'État et la séparation des pouvoirs sont parfois difficiles à concilier. Ces crédits constitutionnels sont inscrits dans le budget de l'État, que vote le Parlement. En l'espèce, le vote du Parlement est tout à fait particulier. Par exemple, nous ne pourrions accepter que l'Assemblée nationale vienne remettre en cause la dotation de l'État au Sénat, et réciproquement. De même, le Parlement pourrait difficilement remettre en cause la dotation de l'État à la présidence de la République ou au Conseil constitutionnel.
Le terme « approbation » des crédits, justifié en droit, est peut-être un peu excessif. Il s'agit plus d'un constat que nous faisons. Le Parlement ne souhaite en aucun cas s'immiscer dans les crédits des pouvoirs constitutionnels. Le contrôle que nous pourrions effectuer sur ces crédits ne pourrait être que très restreint, dans l'hypothèse d'une dotation outrageante pour la République. Je suis donc prêt à « constater » les crédits plutôt qu'à les « approuver ».
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Monsieur Kanner, les 2,5 millions d'euros supplémentaires affectés au Conseil constitutionnel incluent toutes les dépenses afférentes aux missions de contrôle de l'élection présidentielle, des parrainages à la proclamation des résultats, et au contentieux sur les élections législatives. Il faut recruter 2?000 vacataires et la vérification des parrainages est très chronophage. De plus, 900?000 euros sont affectés à la création du nouveau portail de référence des QPC.
En revanche, je ne peux répondre à votre seconde question. Je vous renvoie au rapport de la commission des finances, car il est logique qu'un questeur n'intervienne pas en ces matières, pour prévenir tout conflit d'intérêts.
Monsieur Richard, le Conseil d'État a mené ce travail, sur le site ArianeWeb, qui reprend les décisions relatives à la transmission de QPC. Ce n'est pas le cas pour la Cour de cassation. La volonté du Conseil constitutionnel est bien réelle : le Président a beaucoup insisté, car il est très attaché à disposer d'un site internet, édifice complet, au service des QPC, qu'il considère comme une grande oeuvre citoyenne et une grande novation. Il pourra sans doute s'appuyer sur le fichier existant du Conseil d'État.
Monsieur Bas, j'approuve totalement votre nuance. Si nous sommes tous attachés à la séparation des pouvoirs, nous ne pouvons que souscrire à votre remarque. L'approbation que je sollicite, mes chers collègues, se limite à la publication des observations que je viens de formuler.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur pour avis et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Sécurités » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » - Examen du rapport d'information
M. François-Noël Buffet, président, en remplacement de M. Henri Leroy, rapporteur. - Henri Leroy m'a demandé de vous présenter en son nom ses observations sur les crédits relatifs à trois des quatre programmes de la mission « Sécurités » inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2022 : le programme 152, « Gendarmerie nationale », le programme 176, « Police nationale » et le programme 207, « Sécurité et éducation routières ».
Le budget de la mission « Sécurités » prend une importance particulière cette année, alors que la sécurité constitue une préoccupation majeure des Français en vue de l'élection présidentielle. Dans ce contexte, l'examen du budget alloué aux forces de sécurité intérieure nécessite de notre part une attention renforcée, puisqu'il conditionne directement la capacité de notre pays à répondre aux menaces auxquelles il est confronté.
Depuis plusieurs années, nous dénonçons la stratégie suivie par le Gouvernement, qui consiste à mettre l'accent sur le renforcement des effectifs au détriment de l'amélioration de l'équipement et des conditions de travail des policiers et gendarmes.
Le PLF pour 2021 constituait à cet égard une première exception puisque, grâce aux crédits issus du plan de relance, les dépenses de fonctionnement et d'investissement bénéficiaient d'une hausse conséquente. Si nous nous en étions félicités, nous avions aussi déploré que cette augmentation ne soit pas portée par la mission « Sécurités », mais par le plan de relance.
Le PLF pour 2022 constitue une nouvelle rupture. Il fait suite à la publication le 16 novembre 2020 du Livre blanc pour la sécurité intérieure, et au Beauvau de la sécurité, dont les conclusions ont été rendues publiques le 14 septembre 2021. Pour la première fois, la part des dépenses de personnel dans les dépenses totales de la mission diminue, grâce au dynamisme des dépenses de fonctionnement et d'investissement. Cette évolution résulte à la fois de l'impact des nouvelles mesures liées au Beauvau de la sécurité, et de la réintégration de crédits exceptionnels issus du plan de relance.
Ainsi, les crédits alloués aux programmes 176 et 152 permettraient une augmentation des budgets de fonctionnement et d'investissement de 31,63 % dans la police et de 18,23 % dans la gendarmerie par rapport à 2021. Ces augmentations, fortement attendues par policiers et gendarmes, permettront de faire face à une situation aujourd'hui critique, et de redonner à nos forces de sécurité de plus grandes marges de manoeuvre.
Henri Leroy souhaite tout particulièrement saluer le renouvellement en cours des parcs automobiles, dont le vieillissement constitue une préoccupation forte. En 2021 et 2022, les crédits prévus sont en effet supérieurs à la dépense annuelle nécessaire pour assurer le renouvellement courant et rattraper le retard accumulé dans le remplacement des véhicules. La police nationale devrait donc être en mesure d'acquérir 4 470 véhicules en 2021 et 5 503 véhicules en 2022, tandis que la gendarmerie nationale devrait pouvoir acheter 3 707 véhicules en 2021 et 5 500 en 2022.
Parallèlement, l'augmentation des dépenses d'équipement permettra de poursuivre la mise à niveau et le renforcement des équipements individuels des policiers et gendarmes, ainsi que le déploiement des équipements numériques, l'objectif étant de doter chacun d'un nouvel équipement opérationnel (NEO) et d'une caméra-piéton.
Enfin, les crédits inscrits au PLF pour 2022 en matière d'investissement immobilier, combinés à la poursuite du plan « Poignées de porte », devraient permettre de poursuivre la mise en oeuvre du programme de rénovation du parc immobilier.
Henri Leroy souhaite toutefois attirer notre attention sur plusieurs points. En premier lieu, nous devrons nous montrer attentifs à la répartition des crédits entre les deux forces. La gendarmerie, qui couvre 95 % du territoire et dispose d'un parc immobilier et automobile conséquent, bénéficie en effet d'une augmentation de ses crédits moins favorable que celle de la police. Il est nécessaire que les besoins soient pleinement objectivés pour expliquer ces différences.
Par ailleurs, une grande vigilance s'impose afin d'assurer la bonne allocation des moyens budgétaires. Nous avons en effet assisté ces dernières années au fiasco du premier marché de caméras-piétons, et à celui du logiciel de rédaction de procédure SCRIBE.
Enfin, les efforts en matière d'équipement et d'investissement immobilier doivent s'inscrire dans la durée, et il serait bénéfique de formaliser une stratégie immobilière et un plan de renouvellement des véhicules qui soient pluriannuels.
En ce qui concerne les dépenses de personnels, malgré la diminution de leur proportion dans les dépenses totales, les crédits de masse salariale augmentent dans le PLF pour 2022, de 1,64 % dans la police nationale et de 1,08 % dans la gendarmerie nationale. L'année 2022 verra l'achèvement de la mise en oeuvre du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur la durée du quinquennat. Entre 2017 et 2022, 8 446 emplois de policiers et 2 083 emplois de gendarmes auront ainsi été créés.
Comme Henri Leroy vous l'indiquait déjà lors de l'examen de précédents budgets, nous ne sommes pas convaincus par la pertinence de ces embauches massives. Elles mettent sous tension l'appareil de formation, sans que leur effectivité en matière de présence sur la voie publique soit avérée.
En ce qui concerne les mesures catégorielles, elles sont plus maîtrisées cette année que les précédentes, ce dont nous pouvons nous féliciter. Parmi les crédits dédiés aux mesures indemnitaires et catégorielles, près de la moitié devraient financer les mesures issues du Beauvau de la sécurité.
Henri Leroy souhaite toutefois souligner un point d'attention en matière de titre 2. Alors que nous venons de voter la création d'une réserve opérationnelle pour la police nationale, le développement des réserves opérationnelles des deux forces n'a pas été budgété. L'emploi de ces réserves sera donc fortement contraint, alors même que leur montée en charge est nécessaire dans la perspective des grands événements sportifs de 2023 et 2024.
Pour conclure, si le budget 2021 constituait un premier pas dans l'amélioration des conditions de travail des forces de sécurité intérieure et dans la remise à niveau de leur équipement, le PLF pour 2022 est le signe d'une prise de conscience inédite, et apporte un début de réponse aux questions soulevées par le Sénat depuis de nombreuses années.
Cependant, il arrive bien trop tardivement, en toute fin de quinquennat, et cela fait peser trois risques principaux sur ces crédits. Tout d'abord, l'élaboration en cours d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour les sécurités reprend une recommandation ancienne du Sénat, mais cette dynamique aurait dû être enclenchée bien plus tôt pour être réellement effective. En outre, ce budget étant présenté juste avant les élections présidentielle et législatives, nous devrons nous montrer attentifs à ce qu'il soit effectivement exécuté.
Enfin, Henri Leroy souhaite insister sur la nécessité d'une revalorisation pérenne des crédits de la mission « Sécurités ». Le budget défini pour l'année 2022 devra servir de base à l'élaboration du budget des années suivantes pour la mission, et ne pas être considéré comme un effort ponctuel répondant à une situation d'urgence. Il s'agit de privilégier une évolution structurelle plutôt que conjoncturelle, afin de pouvoir maintenir l'effort.
M. Jérôme Durain. - Je commencerai par citer le ministre de l'intérieur qui demandait en septembre 2020 « plus de bleu sur le terrain », récidivant par ce tweet d'avril 2021 : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu'en 2017. » Visiblement, ces belles paroles n'ont pas convaincu la Cour des comptes, qui pointait la semaine dernière dans une publication que l'évolution du taux d'engagement des effectifs sur le terrain depuis 2011 mettait en évidence une baisse continue de la présence sur la voie publique, davantage marquée pour la police nationale que pour la gendarmerie. Nouvelle doctrine d'emploi annoncée en 2017, la police de sécurité du quotidien ne s'est pour l'instant pas traduite par une plus grande présence policière sur le terrain. L'honnêteté me pousse tout de même à préciser que tout n'est pas conséquence des actions entreprises lors de ce quinquennat, ce qui rejoint d'ailleurs la préoccupation d'Henri Leroy au sujet des évolutions et inscriptions de crédits qui devraient être structurelles. Cependant, connaissant la propension de cette majorité à se présenter comme sortie de la cuisse de Jupiter, cette mise en perspective me paraît tout de même bienvenue.
Par ailleurs, j'attire l'attention sur les recrutements massifs et précipités, qui génèrent des interrogations quant au niveau de recrutement, dont nous ont fait part de nombreux syndicats de policiers. Ce constat de départ permet de relativiser les félicitations qui pourraient accompagner les crédits alloués cette année à la mission « Sécurités ». En effet, les hausses de crédits sont manifestes et bienvenues. Néanmoins, on ne peut résumer cette mission à l'antienne : « Du fric pour nos flics » et, si j'évacue le procès du budget de campagne, je voudrais souligner que des versements massifs de crédits, même s'ils sont utiles, ne peuvent tenir lieu de doctrine. Il me semble en outre que le Beauvau de la sécurité n'a pas permis de trouver des réponses à quelques questions majeures, comme celles de la présence de terrain, de la réconciliation des forces de l'ordre et de la population, des images ou encore du contrôle interne.
Nous passons du Beauvau de ce quinquennat au projet d'une loi de programmation pour le prochain. Entre les deux, nous avons beaucoup dépensé, et Marlène Schiappa a rappelé au cours de son audition de la semaine dernière que 2,3 milliards d'euros supplémentaires avaient été consacrés à cette mission lors de ce quinquennat. Néanmoins, j'insiste sur le fait que cela n'a pas été linéaire et qu'il nous manque une vision globale. J'ai évoqué les recrutements, mais on pourrait mentionner aussi la formation, dont le financement a successivement baissé et augmenté au cours de ces cinq ans.
Dans le détail des programmes, les crédits sont en augmentation de 7 %, pour parvenir à un total de 22,7 milliards d'euros. L'effort est conséquent et prend une dimension de rattrapage, qui bénéficie principalement à la police nationale avec environ 12 milliards d'euros, et à la gendarmerie nationale avec près de 10 milliards d'euros. Nous saluons ce rattrapage des crédits de fonctionnement et d'investissement par rapport aux dépenses de personnel qui concentraient jusque-là l'essentiel des efforts. J'insisterai néanmoins sur ce que Henri Leroy a évoqué en matière de juste dépense, et rappellerai que les premières commandes de caméras-piétons ont coûté 4 millions d'euros pour l'obtention de modèles inopérants raillés par le Président de la République lui-même, et que le logiciel SCRIBE a généré 11,7 millions d'euros de dépenses qui n'ont servi à rien. Il s'agit de deux ratés magistraux, et il faudra se montrer d'autant plus attentif à l'exécution de ce budget.
M. Ludovic Haye. - Je serai un peu plus optimiste que mon collègue et me félicite que pour une fois, une vision globale nous soit présentée. Ce sujet est en effet trop souvent appréhendé sous un angle particulier, que ce soit celui de la flotte automobile, de l'équipement ou du personnel. De plus, il me semble que nous avons tous constaté, pour cette période 2017-2022, un meilleur équipement de nos forces de l'ordre sur le terrain.
Certes, tout n'est pas parfait, et vous évoquiez notamment l'engorgement des formations. Cependant, tout attendre de l'échelon central me semble relever d'un mal actuel et à ce titre, je tiens à rappeler qu'il existe une hiérarchie aux niveaux régional et départemental et que, une fois les moyens donnés, certaines directives pourraient être prises afin qu'ils soient utilisés à bon escient et de manière équilibrée.
Enfin, nous avons tous connu la période pendant laquelle police nationale et gendarmerie nationale étaient en compétition. Aujourd'hui, si tout n'est pas réglé, les relations se sont améliorées et ce budget démontre une volonté d'équilibre que je salue, notamment en termes de moyens et de reconnaissance du travail effectué.
M. François-Noël Buffet, président. - Pour tenter de répondre sur la présence sur le terrain de nos forces de l'ordre, je précise que les gendarmes passent 60 % de leur temps sur le terrain, ce qui semble satisfaisant, même s'ils essayent naturellement de faire mieux. En revanche, le taux n'est que de 30 % chez les policiers. Les leviers possibles pour modifier cette réalité sont notamment le développement des équipements numériques et la simplification de la procédure pénale.
Enfin, je précise que, compte tenu du rejet hier de la première partie du PLF, nous ne votons pas ici les crédits, mais autorisons la publication du rapport sous forme de rapport d'information.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 10 h 45.