- Mardi 5 octobre 2021
- Mercredi 6 octobre 2021
- Proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2 - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Rapport annuel de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale - Audition de MM. Pierre Moscovici, Premier président et Denis Morin, Président de la sixième chambre de la Cour des comptes
Mardi 5 octobre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois et M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante - Audition de M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous recevons, en commun avec la commission des affaires économiques, la commission des affaires sociales et la délégation aux entreprises, le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises. Je vous prie d'excuser la présidente Catherine Deroche qui n'a malheureusement pas pu se libérer.
Le texte que vous nous présentez - le projet de loi pour l'entreprenariat individuel - a un caractère novateur, notamment sur la question du patrimoine de l'entrepreneur individuel. Il s'inscrit dans le cadre du plan pour les indépendants que vous avez annoncé.
Monsieur le ministre, après la présidente de la commission des affaires économiques et le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, les rapporteurs puis nos collègues vous poseront leurs questions.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - C'est la première fois que nous entendons M. le ministre en présentiel depuis sa prise de fonctions - je m'en réjouis !
La situation économique et sociale des travailleurs indépendants a été fortement affectée depuis un an et demi. Nombre d'entre eux ont dû alterner entre des périodes d'activité et d'interminables périodes de morosité économique. Certaines estimations concluent même à une perte moyenne de leur chiffre d'affaires d'environ 17 %, soit deux fois plus que la baisse d'activité enregistrée en France, qui a atteint 8,3 % du PIB en 2020.
Bien sûr, tous les secteurs d'activité n'ont pas été touchés avec la même intensité, et les travailleurs indépendants dans les domaines du tourisme, de la restauration et de l'événementiel ont été les plus affectés. Je pense également aux salles de sport indépendantes.
Face à cela, l'État, aiguillé par les remontées de terrain émanant entre autres du Parlement, a mis en place rapidement un arsenal de mesures de soutien qui se sont révélées plutôt efficaces. Mais le moment où les entrepreneurs vont devoir rembourser une partie des aides, comme les prêts garantis par l'État (PGE) ou les reports de charges fiscales et sociales, n'est pas encore complètement arrivé. Quels sont les dispositifs prévus pour accompagner les commerçants, artisans et professions libérales qui risquent de devoir affronter prochainement un nombre important de décaissements ? Nous parlons, pour une grande part, de PME et de TPE, dont les trésoreries restent fragiles et la capacité d'endettement amoindrie.
L'article 1er du projet de loi ambitionne de protéger le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel, qui ne l'était pas jusqu'à présent. Rien ne dit en revanche que ses créanciers cesseront de lui demander des garanties ou cautions personnelles. Dès lors, la portée d'une telle mesure semble moindre. Confirmez-vous l'analyse selon laquelle l'entrepreneur individuel pourra toujours être amené à s'engager sur son patrimoine personnel ?
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Le sujet des travailleurs indépendants figure parmi les priorités de notre délégation aux entreprises depuis longtemps. Le 12 novembre 2020, nous avions consacré une table ronde à la situation des indépendants face à la crise. En juillet dernier, dans le cadre des travaux de Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay sur les nouveaux modes de travail, la délégation a adopté une série de recommandations relatives aux travailleurs indépendants : certaines d'entre elles, telles que l'assouplissement des conditions d'accès à l'allocation des travailleurs indépendants (ATI) et aux dispositifs d'assurance volontaire contre le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles, figurent dans votre plan. Nous nous en réjouissons.
En tant que président de la délégation aux entreprises, je veux vous interroger sur les attentes des indépendants en matière d'équité. Au-delà du plan qui était très attendu, nombreux sont les indépendants qui souhaiteraient que des simulations soient réalisées pour apprécier la pertinence ou non de mesures consistant à renforcer l'équité entre les régimes des indépendants et celui des salariés.
Nous avons ainsi préconisé une série d'études d'impact afin d'examiner, à partir de simulations fines, ce que différents rapports préconisent depuis des années en termes de rapprochement dans les domaines de l'assurance chômage, du régime de sécurité sociale ou de retour sur les prélèvements sociaux. Nous ne pouvons plus avancer à l'aveugle sur ce sujet majeur pour de nombreux indépendants : êtes-vous prêt à faire travailler les administrations concernées sur ces questions qui reviendront nécessairement dans le débat et à transmettre les résultats de cette simulation au Parlement ? Il s'agit de mieux évaluer pour mieux légiférer.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. - Je partage le plaisir d'être ici parmi vous pour évoquer un sujet auquel j'attache beaucoup d'importance. J'essayerai de répondre au mieux à l'ensemble de vos interrogations.
Je commencerai par répondre à la question de Mme la présidente Primas sur le contexte économique.
J'ai été nommé ministre le 6 juillet 2020, à un moment où la situation sanitaire était compliquée. Avec Bruno Le Maire, nous nous sommes efforcés de mettre en place des dispositifs généraux comme le fonds de solidarité, l'activité partielle, les PGE et le report de cotisations sociales, tout en prenant en considération les situations par branche professionnelle. Je rappelle que 95 % des entreprises françaises ont moins de 20 salariés : la diversité des situations économiques est considérable.
Nous ne nions pas que les choses ont été difficiles pour les entrepreneurs, y compris pour ceux que nous avons beaucoup aidés alors qu'ils auraient préféré travailler. Néanmoins, on constate que le nombre de faillites a diminué de 30 % par rapport à une année classique. En 2019, il y a eu 50 000 faillites contre 28 000 en 2020. Comme l'avait souhaité le Président de la République, l'accompagnement des entreprises a permis de maintenir le tissu économique et d'engager une reprise dynamique.
Je sais que la situation reste difficile pour certains. Je pense en particulier aux secteurs du tourisme, de l'événementiel, de la restauration. Nous avons rencontré avec le ministre de l'économie il y a quelques jours les acteurs de ces secteurs. Avec Jean-Baptiste Lemoyne, nous travaillons, sur la demande du Président de la République, à un plan de reconquête du tourisme qui devrait déboucher sur des décisions en novembre prochain. En ce qui concerne l'événementiel, nous regardons comment accompagner ce secteur pour lequel la reprise n'est pas immédiate. Pour les restaurants, la situation est très variable : dans de nombreux territoires, les restaurants ont repris une activité normale, mais dans les grandes villes, en particulier à Paris, ceux qui travaillent en relation avec les voyages d'affaires ou les touristes venant d'Asie n'ont pas encore retrouvé leur chiffre d'affaires. C'est la raison pour laquelle, en septembre, nous avons conservé le fonds de solidarité et mis en oeuvre le dispositif « frais fixes », qui consiste à équilibrer les dépenses et les recettes pour éviter trop de pertes. À la fin du mois d'octobre, nous reverrons l'ensemble de ces branches pour trouver des solutions si les difficultés perdurent. Nous restons vigilants et à l'écoute. Il serait quelque peu ridicule d'avoir accompagné pendant dix-sept mois les entreprises et de les laisser tomber aujourd'hui.
Sur les reports de charges, notre décision est très claire et applicable à toutes les entreprises. Les entreprises qui ont bénéficié de reports de charges de l'Urssaf ont jusqu'à trois ans pour étaler la dette. Les Urssaf ont pour mission de proposer cette mesure aux entrepreneurs. Nous pensons qu'une telle durée permet d'envisager les choses avec sérénité.
Sur les PGE, je maintiens ma position. Ce dispositif dépend des décisions de la Commission européenne. Le remboursement des prêts doit intervenir dans un délai de quatre ans - j'espère que la décision sera prise dans les prochaines semaines - afin d'éviter de mettre une pression trop forte sur les entrepreneurs. Le début du remboursement est prévu au mois d'avril 2022 ; le Président de la République a évoqué le 16 septembre dernier la possibilité, au cas par cas, au regard de la situation, de décaler cette date. Nous voulons que les entreprises qui continuent à avoir des difficultés soient soutenues au mieux afin de maintenir notre tissu économique.
Quant à l'équité, elle fait partie des éléments qui ont servi de base à ce plan pour les indépendants. Je suis tout à fait favorable à ce que les administrations vous donnent des informations précises de façon que les évaluations soient connues et qu'il n'y ait pas de doute sur nos intentions.
On note un dynamisme entrepreneurial dans notre pays, y compris pendant la crise. Mais entreprendre, c'est une aventure formidable - je l'ai fait il y a de nombreuses années - ; la crise actuelle a souligné les risques qui pèsent sur les entrepreneurs et les difficultés qu'ils peuvent rencontrer tout au long de leur parcours.
Nous ne pouvons plus collectivement nous satisfaire de cette situation pour des raisons d'équité, mais aussi, et surtout, pour des raisons de valeur. Ces chefs d'entreprise, qui se lèvent tôt et se couchent tard, portent des valeurs qui fondent notre pacte social : le mérite, le travail, la prise de risque et la volonté de transmettre. Sur la demande du Président de la République, nous avons préparé ce plan qui, je le pense très sincèrement, répond aux attentes de près de 3 millions de travailleurs indépendants : artisans, commerçants, professionnels libéraux, PME. Il s'inscrit dans la continuité de nombreuses mesures prises depuis le début du quinquennat en faveur des indépendants : soutien à la création d'entreprise, réforme du régime social des indépendants, compensation de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) par la baisse des cotisations sociales, création de l'ATI.
J'ai souhaité, pour préparer ce plan, consulter l'ensemble des groupes parlementaires des deux assemblées, afin de recueillir les propositions de ceux qui souhaitaient en faire - beaucoup l'ont fait et je les en remercie. Vous retrouverez sûrement des contributions que vous portez depuis quelques années, comme la facilitation de la transmission d'entreprise ou l'ouverture de l'ATI.
Ce plan, qui comprend une vingtaine de mesures, répond à un triple objectif : protéger face aux accidents de la vie, mieux accompagner les indépendants de la création jusqu'à la transmission de l'entreprise, y compris au moment de la défaillance éventuelle de celle-ci, et simplifier les démarches.
Le projet de loi que j'ai présenté au conseil des ministres le 29 septembre dernier est un des piliers de ce plan pour les indépendants. Celui-ci comporte aussi des mesures fiscales et sociales qui seront portées dans le cadre des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.
Il vise tout d'abord à la création d'un statut unique protecteur du patrimoine personnel pour l'exercice en nom propre d'une activité professionnelle. Désormais, seuls les éléments utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel pourront être appréhendés en cas de défaillance. Par cette protection automatique, il sera mis fin aux risques pesant sur le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel lorsque les difficultés professionnelles surviennent.
Il permet, ensuite, de faciliter le passage d'une entreprise individuelle en société. Le statut de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) sera mis en extinction progressive, ses principaux avantages étant repris dans le nouveau statut d'entrepreneur individuel (EI).
Le texte tend, par ailleurs, à faciliter le rebond des travailleurs indépendants en leur permettant de devenir éligibles à l'ATI lorsqu'ils cessent leur activité devenue économiquement non viable. Un décret viendra compléter la réforme de l'ATI, avec l'assouplissement du critère de revenus de 10 000 euros qui ne sera désormais exigé que sur la meilleure des deux années.
Enfin, nous allons simplifier l'environnement juridique et l'accès des entrepreneurs à l'information grâce à la facilitation de l'accès à la formation professionnelle et à l'adaptation de la procédure disciplinaire des experts-comptables, à la simplification du cadre juridique applicable aux professions libérales réglementées, au renouvellement du cadre pour la négociation collective des chambres de commerce et d'industrie (CCI), et à la rénovation du code de l'artisanat.
L'ensemble de ces mesures, complété par celles qui figurent dans le PLF et le PLFSS, vise à bâtir un plan apportant des solutions ambitieuses et opérationnelles aux préoccupations de longue date des indépendants. Nous avons essayé de prendre en compte la totalité des étapes de la vie d'un entrepreneur.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Je le dis sans aucune flagornerie, votre parcours aux côtés des indépendants est une caution, une garantie, qui satisfait la plupart des interlocuteurs que nous avons auditionnés.
Ce texte était attendu. Pour autant, nous avons un certain nombre de questions, notamment sur les articles 9, sur l'ATI, et 10, sur le financement de la formation professionnelle des artisans, dont la commission des affaires sociales souhaite se saisir pour avis.
Lors des auditions menées en 2018 dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui avait permis de créer l'ATI, nous vous avions entendu à un autre titre. De nombreux indépendants nous ont fait remarquer qu'ils n'avaient jamais été demandeurs d'une assurance chômage, qu'il fallait bien répondre à une « commande » présidentielle, l'assurance chômage universelle devenue ATI après être passée sous les fourches caudines de différentes instances. Le dispositif a finalement semblé satisfaire tout le monde puisqu'il permettait de répondre à certaines attentes sans être financièrement trop ambitieux. Il a été mis en place en 2019 : l'année 2020 étant celle que nous avons tous connue, il n'a donc que trois ans d'existence. Nonobstant peut-être un autre calendrier que nous avons en tête, pensez-vous qu'il faut vraiment déjà réformer ce dispositif ?
Par ailleurs, la réforme telle qu'elle est proposée dans le projet de loi va-t-elle atteindre la cible escomptée, si tant est qu'il y en ait une ?
Enfin, nous avions évoqué notamment en 2018 la perspective d'un maillage entre un dispositif social et un dispositif privé, qui existe déjà. Je rappelle que les partenaires sociaux ont créé la garantie sociale des chefs et dirigeants d'entreprise (GSC), qui permet d'assurer des indépendants. Ne serait-il pas possible d'avoir un mix entre un dispositif public géré via l'Unédic et un dispositif privé renforcé ?
Sur la partie relative à la formation des artisans, trois questions peuvent se poser.
L'objectif est de simplifier le dispositif, et au vu de sa complexité, on peut imaginer que cette simplification est attendue ! L'idée est de s'adosser à France compétences, dont la situation financière est compliquée, même si le déficit de plus de 4 milliards d'euros peut s'expliquer. Son directeur a évoqué un manque de personnels. France compétences pourra-t-elle absorber ce nouveau flux de fonds en provenance de la formation professionnelle des artisans ?
Si j'ai bien compris, les 0,29 % qui permettaient de financer le Fonds d'assurance formation des chefs d'entreprise artisanale (Fafcea) et les conseils de la formation pour les artisans des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) vont être affectés à trois dispositifs : le nouveau fonds d'assurance formation (FAF), issu de la fusion du Fafcea et des conseils de la formation des CMA, la contribution à la formation professionnelle (CFP) et le conseil en évolution professionnelle (CEP). Sera-t-il possible de maintenir ou d'augmenter les fonds destinés à la formation des artisans ?
Enfin, une fois la collecte organisée par France compétences, une répartition sera faite entre les trois organismes que j'ai cités non pas par France compétences mais par les Urssaf. Un travail est en cours à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) pour flécher de façon plus fine ces fonds. Ce travail a-t-il abouti ? Parviendra-t-on à un véritable fléchage des fonds versés par les artisans pour avoir des formations à la hauteur des ambitions de ce projet de loi ?
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, j'aimerais vous poser une première question sur l'article 1er du projet de loi, qui ambitionne de fusionner en un statut unique le régime de l'entrepreneur individuel et celui de l'EIRL. Ce faisant, votre projet de loi souhaite faire bénéficier les entrepreneurs individuels de la protection du patrimoine personnel qui existe aujourd'hui pour l'EIRL. Il semble que l'EIRL n'a pas su trouver son public en raison de conditions de création qui ont pu paraître trop complexes.
Quels étaient ces obstacles ? Pourquoi n'avez-vous pas jugé utile de simplifier les conditions de création d'une EIRL plutôt que de fusionner les deux statuts, alors même que la protection du patrimoine personnel n'est pas le seul avantage que présente l'EIRL ?
Ma deuxième question porte sur la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Aujourd'hui, dans le régime de l'EIRL, l'entrepreneur effectue une déclaration dans laquelle il liste les biens qu'il affecte à son patrimoine professionnel. Dans votre projet de loi, la définition du patrimoine professionnel est générique : ce sont les « biens, droits et obligations et sûretés dont l'entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à l'activité indépendante ». Autrement dit, ce sera non plus l'entrepreneur mais, en cas de contentieux, le juge qui définira si tel ou tel bien est utile à l'activité indépendante. Ne craignez-vous pas que l'incertitude autour des termes ne conduise finalement à complexifier la situation ?
Enfin, ma troisième question concerne l'article 7, qui prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance pour recodifier le code de l'artisanat. J'imagine que les services de l'État travaillent sur ce sujet depuis plusieurs mois, voire des années. À quelles modifications entendez-vous procéder ? Le Parlement ne saurait se dessaisir de ses prérogatives sans quelques éclairages. Pourriez-vous, à ce titre, transmettre au Sénat le projet d'ordonnance que, je n'en doute pas, vous avez déjà esquissé ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Christophe-André Frassa, qui est rapporteur de la commission des lois mais qui ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui, aurait souhaité vous poser deux questions.
La première vient de l'être : elle portait sur la composition du patrimoine professionnel et le critère de l'utilité à l'activité professionnelle pour déterminer exactement le contenu de ce patrimoine - les règles de responsabilité civile qui en découlent étant extrêmement importantes, il convient que cette définition soit parfaitement claire.
La seconde porte sur les demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances. Par principe, nous n'y sommes pas favorables. En ce qui concerne plus particulièrement l'exercice en société des professions libérales réglementées, certaines mesures de simplification pourraient être introduites dans ce texte sans difficulté, d'autres nous paraissent plus sensibles et mériter un débat parlementaire : il s'agit de la modification des règles qui touchent à la composition du capital et à la répartition des droits de vote au sein des sociétés d'exercice libéral. Ces règles ont pour objet de garantir l'indépendance des professionnels libéraux.
M. Alain Griset, ministre délégué. - Vous avez abordé des sujets qui ont demandé un travail très important. Pendant un an, avec mes équipes, nous n'avons cessé d'écouter les différentes branches professionnelles pour aboutir au projet de loi, que je vois comme un projet partagé.
Sur l'ATI, je n'ai pas changé d'avis depuis 2018. Les travailleurs indépendants ne se mettent pas à leur compte pour être un jour au chômage ! D'autant qu'ils craignent toujours d'avoir des cotisations supplémentaires à payer. Ils ont accueilli positivement la proposition du Président de la République sans en être à l'origine les demandeurs. L'histoire le démontre, il a fallu forcer la main des travailleurs indépendants pour qu'ils soient couverts en matière de retraite, d'assurance maladie... Si vous les écoutez, ils vous diront qu'il n'est pas nécessaire de cotiser à quoi que ce soit. Mais on se doit tous de permettre à ces travailleurs de bénéficier d'une couverture leur permettant de vivre dans de bonnes conditions.
Néanmoins, les partenaires sociaux, dont je faisais partie en 2019, avaient travaillé à la mise en place de critères pour l'affectation de l'ATI. Effectivement, la réforme date d'il y a trois ans, mais, malgré la crise sanitaire, on constate qu'à peine plus de 1 000 travailleurs indépendants ont demandé à bénéficier de l'ATI. C'est un signe que les critères sont trop restrictifs. Je rappelle qu'il faut avoir au moins deux années de revenu supérieur à 10 000 euros et être en liquidation judiciaire. Nous proposons de n'exiger qu'une seule année à 10 000 euros et de se baser uniquement sur la fermeture de l'entreprise, sans qu'une procédure judiciaire soit nécessaire. L'idée est de leur permettre de rebondir, car si, dans de nombreux pays, l'échec de l'entreprise n'est pas considéré comme un échec à vie, dans le nôtre c'est un boulet qu'on traîne pour la vie. Cette mesure ne sera possible qu'une fois tous les cinq ans afin d'éviter les effets d'aubaine. Je précise que le financement de cette mesure, de l'ordre de 140 millions d'euros, se fait sur le budget de l'Unédic.
En ce qui concerne la formation professionnelle des travailleurs indépendants, pour simplifier il existe trois fonds d'assurance formation - le Fafcea, l'Agefice (Association de gestion du financement de la formation des chefs d'entreprises) et le fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIP PL) -, auxquels on peut ajouter le fonds d'assurance formation de la profession médicale (FAF PM). Ma réforme ne concerne que les artisans et le Fafcea - je ne touche pas à l'Agefice et au FIP PL. Nous l'avons faite pour une raison simple : la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a prévu que les chambres de métiers et de l'artisanat seraient obligatoirement régionalisées et qu'elles dispenseraient de la formation. Les présidents des chambres régionales se sont donc automatiquement retrouvés en situation de conflit d'intérêts.
Pour les protéger, nous avons décidé, en accord avec l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, que les conseils de la formation, qui recevaient une dotation de 0,12 % du plafond de la sécurité sociale, allaient disparaître et que cette dotation s'additionnerait aux 0,17 % déjà fléchés au Fafcea, soit 0,29 % au total. France compétences n'est qu'une boîte aux lettres, et ce transfert n'a aucune conséquence financière sur cet organisme. Le montant disponible pour la formation des artisans sera identique, mais le circuit sera plus simple, avec un seul interlocuteur.
Cette proposition de réforme recueille l'accord de l'ensemble des acteurs. Je précise que, dans le PLF, nous doublons le crédit d'impôt qui existait pour les travailleurs indépendants : il sera porté à 820 euros annuels pour compenser le temps qu'ils ont passé en formation et les inciter à se former. Car seulement 16 % d'entre eux se forment chaque année, ce qui est peu au regard des évolutions technologiques.
J'en viens à la GSC, une structure qui n'est pas récente et qui a environ 15 000 adhérents, sur 3 millions. Si elle n'a pas plus convaincu, c'est parce qu'elle est plutôt orientée sur les plus grandes entreprises et que le rapport qualité-prix n'est pas attractif pour les indépendants. Personne n'empêche un indépendant de souscrire à la GSC au-delà de l'ATI. La GSC est une structure privée : les clients ne viennent que si le produit est intéressant.
Monsieur Babary, j'ai participé à la création de l'EIRL. Je travaille sur le sujet de la protection du patrimoine depuis 2004 : à l'époque, le ministre Renaud Dutreil avait mis en place une première protection, celle de la résidence principale, devant notaire. L'EIRL n'a pas toujours été valorisée par les structures d'accompagnement, et sa mise en oeuvre pratique était complexe. J'ai cherché la simplicité : je connais suffisamment les travailleurs indépendants pour savoir que, dès que les choses sont complexes, ce n'est pas pour eux.
Nous avons donc considéré qu'il était préférable de prendre l'EI comme statut de référence, et prévoir une extinction progressive de l'EIRL. L'EI bénéficiera des avantages de l'EIRL, lesquels seront même élargis : l'option pour une imposition à l'impôt sur les sociétés (IS), qui permet l'équité entre ceux qui sont en nom propre et ceux qui sont en société ; et la protection totale du patrimoine de l'entrepreneur individuel de façon automatique, sans formalisme particulier - une grande nouveauté par rapport à l'EIRL.
La question du cautionnement du crédit a été évoquée. Nous avons eu des discussions avec la Fédération française des banques (FFB) et avec le Trésor. Même lorsque les banques demandaient des cautions, quand l'entrepreneur fermait, il n'y avait quasiment plus rien à prendre, à part sa maison. Au bout du compte, la caution était surtout une forme de pression mise sur l'entrepreneur dont l'efficacité était relative.
Par ailleurs, il existe des sociétés de caution mutuelle. J'ambitionne d'avoir des outils de cautionnement mutuel sur le modèle du PGE, qui repose sur une garantie de l'État à hauteur de 90 %. Notre objectif est de permettre aux banques d'avoir des garanties et de les inciter à prêter. Je vais vous dire ma pensée profonde : à titre personnel, j'aurais voulu inscrire dans le dur le fait qu'on ne puisse pas demander de caution, mais mes conseillers m'ont expliqué que ce n'était pas constitutionnel. En revanche, nous avons prévu, pour éviter que l'entrepreneur ne signe sous la pression, un délai de 7 jours de rétractation pour ceux qui voudraient mettre une partie de leurs biens sous caution. C'est le plus loin qu'on ait pu aller au regard du droit. La FFB a bien compris que les banques avaient un rôle extrêmement important à jouer en matière de développement de l'économie par le financement des entrepreneurs, même sans caution ou sans caution mutuelle.
En ce qui concerne les ordonnances, j'aurais préféré que le Parlement soit saisi de l'intégralité des textes. Prenons l'exemple du code de l'artisanat, dans lequel aucun texte n'a été intégré depuis 1952. Beaucoup ont fait marche arrière au regard de la complexité de la tâche. Nous nous y sommes attelés, avec l'objectif d'y intégrer 12 textes. Le travail d'analyse et de codification va encore nous prendre quelques mois. J'ai la chance de défendre devant vous aujourd'hui mon projet de loi alors même que le calendrier parlementaire est resserré, mais j'aurais été incapable de vous présenter un article de loi intégrant toutes ces modifications dans les délais impartis. Je tiens à votre disposition les textes concernés, que nous allons simplement transposer sans modification. Ainsi, les artisans auront à leur disposition l'ensemble des textes dans un seul document. L'objectif est de simplifier et d'actualiser un code qui ne correspond plus à la réalité de la vie des artisans. Si on avait pu le mettre dans le dur de la loi, j'aurais été le plus heureux des ministres.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous aimerions recevoir l'engagement que le projet de loi de ratification sera effectivement soumis à notre examen, afin que le Parlement puisse se pencher sur cette affaire.
M. Alain Griset, ministre délégué. - Les professions réglementées représentent quasiment 700 000 entreprises, avec 68 organisations différentes. En aucun cas nous n'avons pour objectif de toucher aux prérogatives des ordres ou des syndicats. Nous souhaitons clarifier les règles et faciliter le financement des structures de ces professions en total accord avec ces dernières. J'ai déjà reçu les vétérinaires, les laboratoires, les avocats, les experts-comptables.
Je prendrai deux exemples.
Premier cas, un vétérinaire qui veut créer une société d'exercice vétérinaire en partenariat avec un associé qui n'est pas vétérinaire. Il ne sait pas s'il relève des professions de santé ou des professions du cadre de vie. Dans le premier cas, son partenaire peut participer au capital à hauteur de 25 % ; dans le second, à 49 %. Après la réforme, des familles des professions auront été définies : ce vétérinaire saura qu'il appartient aux professions du cadre de vie et connaîtra les règles qui lui sont applicables.
Second cas, des architectes exerçant au sein d'une société d'exercice libéral (SEL). Pour investir dans un logiciel BIM (Building information modeling), ils souhaiteraient pouvoir avancer des fonds sans recourir à un prêt bancaire. Or la loi de 1990 plafonne les avances en compte courant d'associé à hauteur de trois fois la participation de chacun au capital : ils ne pourraient donc pas avancer les fonds nécessaires à leur investissement. Après la réforme, les avances en compte d'associé seront déplafonnées : il ne sera pas nécessaire de recourir à un prêt bancaire.
M. Alain Cadec. - Le Gouvernement a élaboré un plan pour 3 millions de personnes exerçant une activité non salariée en France, avec 20 nouvelles mesures dédiées aux travailleurs indépendants, qu'ils exercent en libéral ou qu'ils soient entrepreneurs individuels ou micro-entrepreneurs. Nombreux sont ceux qui attendaient une réforme de fond de leur statut. Le travail indépendant rencontre de nombreuses difficultés, et il est marqué par des disparités de revenus. Les dégâts que peuvent causer les impayés ou, pire, des clients insolvables représentent une des menaces les plus importantes pour cette catégorie socioprofessionnelle. La crise sanitaire les a davantage exposés aux risques économiques liés à leur activité.
D'après vos annonces, le plan pour les indépendants entrera en vigueur en 2022. Ces mesures semblent a priori une avancée attendue par ces professionnels. Toutefois, sont-elles suffisantes en cas de cessation d'activité ? Vous souhaitez créer un statut unique pour l'entrepreneur individuel avec extension de la protection du patrimoine personnel. Le statut de l'EIRL serait dès lors supprimé. Dans le cadre de ce nouveau statut, le patrimoine personnel de l'entrepreneur serait par défaut insaisissable par les créanciers. Néanmoins, qu'en est-il du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel ?
Par ailleurs, une étude Odoxa de mars 2021 a indiqué que 45 % des indépendants ont déjà rencontré des difficultés en matière de logement, pour louer ou devenir propriétaire. Les indépendants et les salariés ne sont pas traités de la même manière, sans parler des garanties demandées par les bailleurs, telles que des fiches de paie affichant un revenu trois fois supérieur au montant du loyer. Avez-vous prévu dans votre projet une mesure sur l'accès au logement pour les indépendants ?
Mme Martine Berthet. - J'aimerais également revenir sur l'article 1er et sur la protection du patrimoine personnel du travailleur individuel. Vous avez demandé aux banques de ne pas avoir d'exigences excessives vis-à-vis des entrepreneurs individuels en matière de renonciation à la protection de leur patrimoine personnel. Le Gouvernement prévoit-il d'obtenir par une charte un engagement spécifique des banques, comme cela s'était fait en 2011 avec la charte signée entre le secrétaire d'État chargé des PME et la Fédération bancaire française ? Pour l'accès aux PGE, malgré les discussions, de nombreuses entreprises se sont vu opposer des refus de la part des banques.
M. Jean-Marie Janssens. - Le projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante a pour objectif de mieux protéger les travailleurs indépendants et de lever les freins qui existent aujourd'hui sur leur activité. Il prévoit plusieurs avancées concrètes qui doivent permettre aux travailleurs indépendants de bénéficier d'un statut unique et protecteur, et de clarifier et de simplifier la législation concernant leur activité.
Ces avancées sont bienvenues à la fin d'une crise sanitaire dont les conséquences économiques vont durer. Il est essentiel de lever les freins existants, notamment sur l'allocation des travailleurs indépendants. Cependant, il convient aussi de mettre en place un maximum de souplesse et de réactivité dans les dispositifs, afin de correspondre le plus fidèlement possible au modèle de l'activité indépendante qui est particulièrement soumise aux aléas économiques.
Ainsi, comme l'a mis en lumière la crise sanitaire, il est fondamental que les indépendants puissent calculer et verser leurs cotisations en fonction de l'état réel de leur activité. Le paiement des cotisations en temps réel est actuellement en expérimentation en Île-de-France et en Occitanie. Un tel dispositif permettrait d'éviter d'attendre un an pour bénéficier d'une régularisation de cotisations et éviterait des pénalités en cas d'erreur d'estimation des revenus.
Avez-vous de premiers retours de cette expérimentation ? Si oui, pensez-vous l'inscrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, et donc la généraliser dès l'année prochaine ?
M. Vincent Segouin. - La réforme de fond du statut des indépendants était attendue. Le budget n'est toujours pas à l'équilibre depuis plus de trente ans. L'assurance chômage entraînera-t-elle des cotisations supplémentaires pour l'indépendant ?
Vous avez évoqué un coût de 140 millions d'euros. Comment comptez-vous le financer ? Par la dette encore une fois ?
Le plafonnement des charges sociales sera fait en fonction du revenu de l'indépendant, ce qui entraînera, par rapport au régime actuel, une baisse de la collecte des cotisations sociales, à la fois de retraite et d'assurance maladie. À combien estimez-vous ce montant ? Comment sera-t-il financé ?
M. Alain Griset. - En ce qui concerne la cessation d'activité, le dispositif tel qu'on le prévoit sera bien applicable en 2022, puisque les mesures inscrites dans le PLF et le PLFSS devraient être adoptées par le Parlement au 31 décembre prochain et que le présent projet de loi devrait être présenté à l'Assemblée nationale au début du mois de janvier. L'ensemble des mesures pour les travailleurs indépendants devraient donc, a priori, être applicables après le premier trimestre 2022.
Ce qui est en jeu, c'est le patrimoine professionnel, qui peut être mis en caution. Non, monsieur le sénateur, nous n'avons pas prévu dans le projet de loi - pour l'instant, en tout cas - de dispositif qui permettrait aux indépendants d'accéder plus facilement à un logement, mais je suis ouvert à des mesures de nature à améliorer cette situation, car il est vrai que certains indépendants rencontrent des difficultés.
Madame la sénatrice Berthet, vous avez raison, il a pu arriver que certaines agences bancaires, au niveau local - au niveau national, une convention a été passée avec l'ensemble du réseau bancaire -, refusent un PGE. Ce que je peux vous garantir, c'est que, à chaque fois que nous sommes intervenus, le PGE a été débloqué. C'est toujours valable : si certains d'entre vous connaissent des entrepreneurs qui rencontrent des difficultés pour bénéficier d'un PGE, je suis à leur disposition, puisque les PGE sont accessibles jusqu'au 31 décembre 2021.
En ce qui concerne les banques, nous n'avons pas envisagé de charte pour l'instant. Les discussions que nous avons eues avec les représentants de la FBF reposent sur la responsabilité des banquiers. Nous allons évidemment regarder cela de très près, parce qu'il n'est pas envisageable que ces avancées pour les indépendants se traduisent par des difficultés de trésorerie et de financement.
Monsieur le sénateur Janssens, nous allons introduire dans le PLFSS la mesure qui a fait l'objet d'une expérimentation. Je n'ai pas de retour chiffré sur celle-ci, mais la possibilité de faire varier les cotisations est une mesure extrêmement intéressante, qui répond à une demande déjà ancienne.
Monsieur le sénateur Segouin, sur l'ATI, pour l'instant, nous évaluons à peu près à 140 millions d'euros maximum le coût de la mesure avec la nouvelle formule d'accès. Ce budget est prévu dans le budget de l'Unédic, lequel est alimenté par l'État, à l'heure actuelle, à hauteur de 40 % - par leurs impôts, les indépendants contribuent donc indirectement au financement de l'Unédic. La mesure est donc financée aujourd'hui. Elle ne va pas contribuer à augmenter le surendettement et ne va pas générer de cotisations nouvelles pour les indépendants.
En disant que permettre à l'entreprenariat d'opter pour l'IS va signifier de moindres rentrées pour les organismes de sécurité sociale, vous ne faites que confirmer la différence de traitement qui existait entre ceux qui étaient en société et ceux qui étaient en nom propre. Notre objectif est l'équité de traitement. Ce n'est pas le statut juridique qui doit déterminer le montant de l'impôt et de la cotisation ; c'est la structure de l'entreprise. Qu'elles soient en nom propre ou en société, les entreprises pourront ou non opter pour l'IS.
Mme Sylviane Noël. - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions.
Pourriez-vous tout d'abord nous faire un point sur l'impact de la mise en oeuvre du passe sanitaire sur la fréquentation des commerces soumis à ce dispositif depuis cet été ? Votre collègue Bruno Le Maire a semblé indiquer qu'il n'y avait pas eu d'effet, au contraire de ce que bon nombre d'entre nous avons pu constater sur le terrain.
Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur un point qui me semble manquer dans votre projet de loi : la situation financière précaire dans laquelle se retrouvent de nombreuses femmes auto-entrepreneuses en état de grossesse. À ce jour, le code de la sécurité sociale prévoit une continuité des droits et prestations en période de maternité. Or, pour les femmes auto-entrepreneuses enceintes, la méthode de calcul des indemnités varie et crée des inégalités flagrantes. En effet, lorsqu'une activité a été lancée récemment, le calcul du revenu d'activité annuel moyen se fait uniquement sur l'année précédant la date d'accouchement. Avec cette méthode, les femmes ayant ouvert leur auto-entreprise en fin d'année sont donc lésées par rapport à celles qui l'ont fait en début d'année, car, ayant peu cotisé, elles ne peuvent obtenir une indemnisation qu'à hauteur de 10 %. Ces difficultés croissantes à accéder à un congé maternité décent se sont accrues dans le contexte économique actuel, lié à la crise sanitaire, ne permettant pas à une partie de ces indépendantes de percevoir une somme équivalant au revenu de solidarité active (RSA), alors qu'elles travaillent. Elles se retrouvent souvent avec une indemnité équivalant à 5,65 euros par jour, au lieu de 56,35 euros par jour, ce qui transforme leur congé maternité en véritable cauchemar. Cette différence de montant trouve son origine dans le calcul du congé maternité, qui fait passer les droits de 100 % à 10 % de l'indemnité journalière, sans demi-mesure.
Dans ces circonstances, le congé maternité, qui doit protéger les femmes, ne joue plus pleinement son rôle, plongeant dans la précarité un public déjà fragilisé, cumulant souvent un petit revenu tiré de l'entreprise individuelle et des droits au chômage. Face à cette situation délicate, il serait peut-être pertinent de déclarer les années de covid comme années blanches pour les auto-entrepreneuses et travailleuses indépendantes, à l'image de ce qui a été fait pour les intermittents du spectacle, de façon à permettre l'ouverture des droits aux prestations maternité, maladie ou affection de longue durée.
Enfin, à plus long terme, il faudrait envisager de créer un congé réellement proportionnel à leurs revenus réels, pour éviter que le montant du congé maternité de ces femmes auto-entrepreneuses ne passe injustement de 100 % à 10 %. Je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de remédier à cette précarité dans le futur projet de loi relatif au statut des indépendants.
M. Bernard Buis. - Monsieur le ministre, je souhaite évoquer avec vous la question des conjoints collaborateurs. Je pense notamment aux femmes qui ont travaillé toute leur vie aux côtés de leur mari artisan ou commerçant et qui se sont retrouvées, après un accident de la vie, un décès ou un divorce, sans aucune ressource, avec une maigre retraite.
La loi Pacte a permis de vrais progrès en la matière. Le texte contraint en effet chaque chef d'entreprise à indiquer dans les formulaires de déclaration d'activité si son conjoint exerce ou non une activité régulière dans l'entreprise, afin de limiter les cas de non-déclaration.
Qu'apportera le texte à ces femmes ? Pouvons-nous avoir l'assurance que le taux de cotisation sera le plus bas possible lorsqu'un ou une conjointe obtiendra le statut de collaborateur ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur l'impact de la réforme sur le secteur de la vente directe, qui représente 700 000 emplois, dont une grande partie d'indépendants.
Pour le démarchage à domicile, actuellement, la France interdit de collecter le paiement ou même un simple moyen de paiement pendant sept jours à compter de la conclusion du contrat. Cette spécificité française est quasi obsolète, car 22 pays de l'Union européenne ne pratiquent pas le différé de paiement. Le Gouvernement envisagerait même d'allonger ce délai à quatorze jours, pour l'aligner sur le délai de rétractation des consommateurs dans le cadre d'une transposition de la directive Omnibus. Cette disposition induirait une charge économique supplémentaire pour les entreprises, alors que les processus de recouvrement sont déjà complexes et coûteux. Elle aurait, de plus, un impact important sur les trésoreries, notamment des PME.
Enfin, cette nouvelle disposition pourrait créer de graves distorsions de concurrence entre la vente à domicile et les autres canaux de commercialisation, comme la vente à distance ou la vente en magasin.
Le Gouvernement serait-il prêt à permettre à cette filière la libéralisation de la prise de paiement à la commande, afin d'aligner le régime du contrat conclu hors établissement sur celui du contrat conclu à distance ? Cette disposition permettrait de sécuriser les indépendants dans leur démarche commerciale, de supprimer les coûts de trésorerie et le risque majeur d'impayés.
M. Michel Canévet. - J'ai travaillé avec Martine Berthet et Fabien Gay, pour la délégation sénatoriale aux entreprises, sur les nouveaux modes de travail, et nous sommes particulièrement heureux que vous ayez pu intégrer deux des principales recommandations qui étaient les nôtres, notamment l'assouplissement de l'accès aux cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) - cela rejoint en partie la question que Sylviane Noël évoquait tout à l'heure - et la question sur l'ATI.
Sur la question de l'accès aux cotisations AT-MP, on observe qu'il existe deux types d'indépendants : les indépendants traditionnels, qui travaillent pour des ordres constitués, et ceux qui travaillent pour les plateformes dans le cadre de l'uberisation de la société. Ces derniers ont souvent des niveaux de rémunération assez faibles. N'avez-vous pas envisagé de trouver un autre mode de financement des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles pour ces agents, notamment par la participation des plateformes ?
L'allocation aux travailleurs indépendants est en place depuis 2019. On voit bien qu'elle n'a pas bien fonctionné. Nous espérons que les mesures d'assouplissement que vous proposez permettront d'aller plus loin, mais n'avez-vous pas le sentiment qu'il aurait peut-être fallu se rapprocher un peu plus du régime dont bénéficient les salariés ? Quand un indépendant échoue, il se retrouve souvent sans aucune ressource. Il est indispensable qu'on puisse l'accompagner. Le régime dont bénéficient les salariés est relativement protecteur ; peut-être aurait-il fallu s'en inspirer pour pouvoir monter un nouveau projet. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain Griset. - Madame la sénatrice Noël, je le dis ici sans détour, l'accélération très forte de la vaccination et la mise en place du passe sanitaire nous a évité des reconfinements pendant l'été. La conjugaison entre le passe et la vaccination a permis que l'activité économique tourne à peu près à 99 %, comme en attestent les recettes des cartes bancaires et les recettes fiscales. Comme l'a dit Bruno Le Maire, certaines activités ont pu connaître, dans les premiers jours du passe sanitaire, une sorte de ralentissement, mais, au bout de quelques jours et sur une période d'un mois, les choses se sont grosso modo équilibrées. On peut donc dire que, globalement, il n'y a pas eu, sur le plan économique, d'impact du passe sanitaire. Les difficultés en matière de chiffre d'affaires qui peuvent encore exister çà et là, par exemple dans les foires et salons, sont davantage dues au fait qu'il manque des exposants. La praticité de l'utilisation du passe sanitaire aujourd'hui ne pose plus de difficultés de mise en oeuvre. Je suis donc assez satisfait de sa mise en place et je pense qu'aujourd'hui ce sujet est un peu derrière nous. Le passe sanitaire est une contrainte moindre que la situation qui aurait pu résulter de son absence.
Vous abordez des sujets extrêmement importants concernant la maternité et la situation des indépendants par rapport à leurs revenus des années covid. Nous avons décidé de valider, dans le PLFSS, les trimestres de retraite des indépendants qui auront, en 2020 et 2021, connu un bénéfice inférieur au montant qui leur permet de les valider dans les conditions normales. De la même façon, la base que nous allons prendre en compte pour les indemnités journalières est celle des années précédentes, et non les conséquences du revenu diminué. Ces deux mesures d'équité permettront aux indépendants de ne pas être frappés de double peine. Nous allons donc neutraliser les années covid - 2020 et 2021 -, de façon à ne pas pénaliser ceux qui sont encore le plus en difficulté.
Monsieur le sénateur Buis, la reconnaissance des conjoints est un vieux combat ! Je rappelle que la première mesure en faveur des conjoints date de 1982 - à l'époque, c'était André Delelis qui l'avait défendue. Année après année, des pas ont été faits, mais nous n'avions pas adapté le statut des conjoints à l'évolution de la société. Les concubins étaient exclus de la possibilité d'accéder au statut de conjoint collaborateur. Nous incorporons donc les conjoints concubins, qui auront les mêmes droits que les pacsés et les mariés. Nous allons ensuite simplifier les modes de calcul des cotisations : le nombre de formules différentes va passer de 5 à 3. Enfin, voilà quelques mois, le Parlement a limité à cinq ans la durée du statut de conjoint pour les agriculteurs. Nous allons faire de même pour l'ensemble des indépendants.
Madame la sénatrice Estrosi Sassone, il est vrai qu'il y a actuellement des réflexions, à la suite de l'adoption de la directive Omnibus, sur les questions du paiement différé et du délai de rétractation. Actuellement, des négociations sont en cours avec la Fédération de la vente directe et les associations de consommateurs. De quelle manière peut-on éventuellement protéger les plus faibles qui s'engagent parfois sur des crédits et sur les achats pour lesquels ils n'auraient pas eu le temps de réfléchir ? Toute la question est de savoir s'il faut donner un délai de rétractation de sept ou de quatorze jours. Naturellement, nous continuons à travailler avec les différentes organisations, mais je suis preneur de l'ensemble des avis, de façon que l'on puisse protéger sans empêcher le développement de la vente à domicile, qui est un secteur économique extrêmement important.
Monsieur le sénateur Canévet, les évolutions dans le mode d'exercice de l'activité des indépendants sont très importantes. Je pense que nous allons très loin en permettant à celui dont le chiffre d'affaires n'est pas suffisant de décider de bénéficier de l'ATI. Certes, en termes de montant, on n'arrivera pas toujours à ce que perçoivent les salariés, mais nous faisons un pas absolument considérable par rapport à la situation existante : alors que les indépendants n'ont jamais pu accéder à quoi que ce soit, il pourra leur être versé jusqu'à 800 euros durant six mois. Nous allons naturellement analyser l'utilisation qui sera faite de ce dispositif. Quoi qu'il en soit, je pense qu'il s'agit là d'une avancée significative pour résoudre des situations d'extrême difficulté. Il faut cesser de considérer que celui qui prend des risques doit sauter de la falaise sans parachute. Il convient de lui donner la possibilité de rebondir, de se former, puis d'envisager de retrouver une activité. Cette amélioration du dispositif existant, qui n'était pas suffisant, marque un progrès significatif. Je pense que nous sommes allés assez loin - en tout cas, il n'y avait pas de demande d'aller plus loin.
Mme Monique Lubin. - En tant que membre de la commission des affaires sociales, je m'intéresse particulièrement aux articles 9 et 10. Le vocable de « travailleur indépendant » inclut-il tous les travailleurs des plateformes, tous les auto-entrepreneurs, dont on connaît aujourd'hui la précarité du statut et la modestie des revenus ?
Les dispositions relatives aux allocations chômage et à la formation vont-elles les concerner directement ?
Mme Florence Blatrix Contat. - L'article 1er du présent projet de loi vise à simplifier et généraliser la protection du patrimoine de l'entrepreneur individuel, en étendant à toutes les entreprises individuelles la protection antérieurement octroyée par les EIRL, tout en limitant les formalités.
Cependant, le formalisme des EIRL, qui est jugé excessif, avait pour objectif l'information des créanciers et, par là même, leur protection. Le déficit d'informations sur la consistance du droit de gage peut, à mon avis, être source d'insécurité, créant une asymétrie d'information préjudiciable quand on sait que l'activité économique est largement conditionnée par la confiance.
Comment peut-on donc en même temps concilier la nécessaire protection de l'entrepreneur et de son patrimoine et la protection des créanciers, en garantissant une meilleure information de ces derniers sur le patrimoine professionnel de leur débiteur ?
Enfin, sur la possibilité pour le débiteur de renoncer à la scission des patrimoines à la demande d'un créancier, qu'en serait-il de la protection particulière de la résidence principale ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Monsieur le ministre, je vous avoue ne pas avoir très bien compris votre réponse et votre position sur la situation de la protection de la résidence principale d'un entrepreneur individuel en cas de mise en jeu de sa caution personnelle.
Imaginons que je sois un entrepreneur individuel et que j'ai un besoin de financement, soit pour des besoins de trésorerie, soit pour acheter un fonds de commerce ou un droit au bail. Sachant que ma résidence principale n'est pas saisissable, la banque va me demander une caution personnelle. Je n'ai qu'une alternative : soit je décide de ne pas me développer, soit je donne en garantie ma résidence principale. Si je dépose mon bilan, si je fais faillite, elle sera donc saisie.
Effectivement, l'idée de la caution mutuelle peut être intéressante. Nous pourrions y réfléchir, mais nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui.
Ma résidence principale, qui était normalement insaisissable, va-t-elle être saisie du fait de la mise en place de la caution ? Les banques qui auront amoindri la mise en place des financements pour les entreprises individuelles vont-elles se retrouver en difficulté ?
M. Vincent Segouin. - Tout à l'heure, je vous ai interrogé sur le statut de l'EI, qui passe à l'IS, ce qui engendrera une baisse des cotisations. Vous m'avez répondu qu'il fallait de l'équité, mais ma question était tournée vers le budget général.
Depuis tout à l'heure, je vous entends parler de trimestres validés, de conjoints collaborateurs, de prestations supplémentaires, donc de nouvelles charges pour l'État, avec des cotisations qui diminuent. Vous nous dites que l'Unédic va en assumer une partie. Or l'Unédic a connu, en 2020, un déficit de 17 milliards d'euros. Le déficit de la sécurité sociale s'élève à 44 milliards d'euros, et je ne parle même pas de la dette de l'État... Vous nous vendez des charges supplémentaires pour l'État, qui n'a pas de réserve et a des déficits partout.
Je répète donc ma question : sur quoi va reposer le financement, si ce n'est sur des cotisations supplémentaires ? Est-ce sur de la dette ? Reste-t-on dans la politique du « quoi qu'il en coûte » ?
M. Alain Chatillon. - Voilà douze ans s'est créée une association qui s'appelle « 60 000 rebonds » : 60 000, c'est le nombre annuel moyen de dépôts de bilan des entreprises, essentiellement des TPE et des PME.
La plupart des pays européens interdisent aux banques de prendre une garantie patrimoniale sur le logement principal de la famille, comme en Allemagne ou dans les pays d'Europe du Nord. Ne pouvez-vous pas prendre d'initiative sur ce sujet, qui me paraît extrêmement important ?
M. Alain Griset, ministre délégué. - Madame la sénatrice Lubin, tout d'abord, je veux apporter une petite précision sur un sujet qui peut quelquefois interroger : le régime de la micro-entreprise, qui a été appelée, en 2009, « l'auto-entreprise », est un régime fiscal et social dérogatoire du droit commun. Ce n'est pas un statut juridique. Ceux qui utilisent le régime de la micro-entreprise sont, juridiquement parlant, travailleurs indépendants. À ce titre, ils bénéficient des mesures du plan des indépendants. Beaucoup d'entre eux font la confusion, quelquefois par manque d'information. D'ailleurs, la plupart d'entre eux n'ont jamais opté pour l'EIRL : ils ont quasiment tous choisi l'EI. Cela dit, le crédit impôt formation ne leur est pas accessible, la plupart d'entre eux n'ayant pas cotisé pour leur formation.
Vous savez qu'Élisabeth Borne a prévu une ordonnance pour la mise en place d'outils permettant de mettre en oeuvre des dispositifs protégeant les indépendants travaillant dans les plateformes. Ces travailleurs voteront au début du printemps 2022 pour une représentation de leur exercice. Nous travaillons naturellement sur le sujet, puisque ces modes d'exercice se développent.
Madame la sénatrice Blatrix Contat, en ce qui concerne les questions de prêts et de protection du patrimoine, une étude très précise que nous avons réalisée n'a pas montré de comportements différents de la part des banques envers ceux qui étaient en EIRL et ceux qui étaient en EI. Par extrapolation, nous pensons que la protection du patrimoine généralisée ne devrait pas modifier ce qui s'est passé avec les EIRL.
De plus, je vous confirme que nous allons continuer à travailler avec le réseau bancaire, mais aussi au développement du cautionnement mutuel, auquel je crois beaucoup. Je l'ai beaucoup utilisé dans mon parcours précédent, pour permettre à des entrepreneurs de bénéficier de crédits. Je pense que l'intermédiation est une bonne solution. Dans tous les cas de figure, l'entrepreneur ne peut pas s'autocautionner. Il faudra un passage devant un notaire et que quelqu'un se porte caution pour lui. Nous allons vraiment aller jusqu'au bout sur ce sujet. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis à votre disposition pour étudier comment l'on peut vous rassurer et rassurer les entrepreneurs sur ce point, tout en menant un travail de partenariat avec les banques. Nous devons être gagnant-gagnant dans cette opération. Je suis déterminé sur ce dossier : les entrepreneurs ne doivent plus avoir d'épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
La réponse est la même pour Mme Renaud-Garabedian : nous allons vraiment travailler sur ce sujet, qui a clairement été l'un des plus compliqués pour nous. Je répète que j'essaie d'aller le plus loin possible de ce que me permet le droit, mais l'objectif est aussi de ne pas empêcher les gens de faire ce qu'ils ont envie. Le tout est qu'ils le fassent en connaissance de cause et qu'ils puissent éventuellement revenir en arrière.
Monsieur le sénateur Segouin, la dette n'est pas tout à fait récente, et nous assumons le « quoi qu'il en coûte ». Nous assumons notre choix d'investir, contrairement à ce qui a été fait en 2008 - il n'y avait alors pas eu d'activité partielle. Il y a eu des faillites et nous avons payé pendant des années les conséquences de cette politique.
Aujourd'hui, le « quoi qu'il en coûte » est terminé : aujourd'hui, on fait plutôt dans le sur-mesure. D'ailleurs, les montants mobilisés sont sans commune mesure : à peu près 150 millions d'euros pour le mois de septembre 2021, contre 4 milliards d'euros en novembre 2020.
Par ailleurs, sur le fait que les mesures que je propose pourraient générer des déficits supplémentaires, je répète que les 140 millions de l'Unédic font partie de son budget. La somme consacrée à la formation - 50 millions d'euros - reste tout à fait raisonnable.
Tout entrepreneur que l'on maintient en activité génère de la recette fiscale. J'aimerais que l'on cesse de considérer que l'on va gagner plus en taxant l'entrepreneur qu'en lui permettant de se développer. C'est en maintenant les entrepreneurs individuels en activité, en leur permettant de transmettre leur entreprise, de se développer, en baissant leurs cotisations que l'on augmentera les recettes fiscales, parce qu'il y aura de l'activité et moins de chômage. C'est, au bout du compte, faire le pari d'une croissance raisonnable.
L'objectif actuel du Gouvernement est de diminuer les impôts et, grâce à la croissance, de résoudre le problème du déficit, qu'il faudra diminuer pour l'avenir.
Monsieur Chatillon, je partage votre préoccupation : c'est vraiment mon objectif depuis les années 2000. Dans notre loi, nous essayons d'aller le plus loin possible : ne peuvent être mis en garantie que les biens professionnels utiles à l'entreprise et liés à l'activité, tous les autres biens étant considérés comme personnels et insaisissables. Je souhaite que nous puissions, ensemble, fortifier cette position, pour que les faillites ne puissent pas se traduire, un jour, par des désastres personnels : saisies de maison, divorces... Ce n'est pas ainsi que l'on peut développer l'entreprenariat dans notre pays.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Si j'ai bien compris, la question de notre collègue Vincent Segouin ne concernait pas le stock de dettes actuel, dont nous sommes comptables, puisque le Parlement a été aux côtés du Gouvernement quand il s'est agi de voter un certain nombre de dispositifs du « quoi qu'il en coûte » pour sauvegarder l'économie de notre pays.
Sa question portait sur l'alourdissement des charges qui découlera des dispositifs que vous nous annoncez et que l'on peut, du reste, accompagner, et sur la façon dont le Gouvernement va financer durablement et structurellement ces nouvelles mesures, sans aggraver les déficits.
Bien sûr, nous préférons une entreprise qui va bien et qui paie des cotisations à une entreprise qui ne va pas bien ! Néanmoins, il vaut mieux parfois une entreprise qui s'arrête qu'une entreprise qui continue à perdre de l'argent.
M. Alain Griset. - Madame la présidente, je pense que nous parlons de la même chose. Pour avoir échangé avec vous à plusieurs reprises sur ces sujets, je pense que nous sommes d'accord sur l'objectif. Cet objectif est double : il s'agit à la fois de développer l'activité, l'économie, les entreprises, pour répondre au besoin de services et de proximité, et de diminuer le déficit, ce qui est une nécessité pour les prochaines années. Nous voulons à la fois continuer la baisse des impôts qui a été engagée depuis 2017 et, grâce à l'activité, diminuer les déficits. Cela ne nous semble pas incompatible. La croissance telle qu'elle est pour l'instant nous permet de penser que c'est la bonne direction. De toute façon, je suis certain qu'il n'y aura pas d'équilibre budgétaire sans développement économique.
Les travailleurs indépendants peuvent beaucoup contribuer à ce dernier. Mon objectif est de les protéger, de leur permettre de se développer, notamment en facilitant la transmission d'entreprise.
Au demeurant, les travailleurs indépendants qui sont déficitaires n'ont d'autre choix que de fermer. Notre objectif est de les accompagner pour qu'ils puissent se former, percevoir l'ATI et ne pas être à la rue. Dans le même temps, nous allons essayer de diminuer la pression fiscale sur ceux qui ne ferment pas, pour qu'ils puissent progresser et, au bout du compte, créer de l'activité, donc permettre à l'État de résoudre ses problèmes financiers.
Telle est notre philosophie générale. J'espère que nous pourrons nous retrouver sur celle-ci et vérifier que c'est le bon modèle.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nul doute que nous aurons l'occasion de continuer cette conversation !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Au nom de l'ensemble de mes collègues, je vous remercie, monsieur le ministre, de cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 40.
Mercredi 6 octobre 2021
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons ce matin trois textes. Nous commençons par l'examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - La proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale nous revient ce matin en deuxième lecture, après son adoption par l'Assemblée nationale le 17 juin dernier. Ne restent en discussion que ses articles 3 et 3 bis, relatifs à l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Un mot d'abord pour circonscrire le périmètre de ce texte en vue de l'application des irrecevabilités et de la règle de l'entonnoir : je considère que ne seraient recevables que les amendements relatifs au mode de calcul de l'AAH. Ne présenteraient dès lors pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs aux autres aspects de la politique du handicap. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
En première lecture, souvenez-vous, nous avions saisi l'occasion offerte par la première pétition en ligne à obtenir 100 000 signatures pour entériner le changement de logique demandé par les associations de personnes handicapées dans l'attribution de l'AAH. Nous avons ainsi pris acte des nouveautés apparues dans le paysage de la politique de soutien à l'autonomie de nos concitoyens les plus fragiles.
Le Président de la République venait de retirer l'AAH du chantier de refonte des minima sociaux, après avoir poursuivi la politique de revalorisation spécifique de cette allocation. À cette prise de position politique s'ajoutait un nouveau cadre de gestion et de débat parlementaire puisque nous entrions dans le premier exercice d'une cinquième branche de la sécurité sociale aux contours encore mal dégrossis. Nous disposions enfin d'un début d'évaluation chiffrée, quoique très insuffisante, des conséquences d'une déconjugalisation qui faisait défaut il y a trois ans, lors de l'examen de la proposition de nos collègues du groupe CRCE.
En conséquence, notre rédaction procédait à la déconjugalisation de l'AAH, tout en appelant à une réflexion plus large. Elle validait ainsi le caractère de compensation de la prestation - de moindres chances de percevoir un revenu d'activité du fait d'un handicap -, tout en prémunissant les ménages perdants de la brutalité de la transition, au travers du mécanisme de l'article 3 bis, lequel leur laissait, pendant dix ans, le bénéfice des règles aujourd'hui en vigueur.
Le 9 juin dernier, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements du Gouvernement visant à réécrire l'article 3 et à supprimer l'article 3 bis. La nouvelle rédaction instaure un nouveau mécanisme de prise en compte des revenus du conjoint : l'abattement proportionnel aujourd'hui applicable serait remplacé par un abattement forfaitaire, dont le Gouvernement s'engage à porter le montant à 5 000 euros par an, avec un abattement supplémentaire de 1 100 euros par enfant à charge.
En séance publique, Mme la ministre Sophie Cluzel a annoncé vouloir « battre en brèche les fausses idées » et défendu sa rédaction, qu'elle a jugée « résolument redistributive ».
Parmi les « fausses idées », il y avait l'idée selon laquelle notre rédaction pourrait s'appliquer. Je ne prétends certes pas que le mécanisme transitoire de l'article 3 bis soit la meilleure solution au problème du passage d'un régime de calcul à un autre et, s'il est effectivement mauvais, je serai le premier à souhaiter qu'on en trouve un autre, mais je veux rappeler qu'il s'inspire de celui qui fut introduit dans la loi de finances pour 2019, lors de la fusion du complément de ressources dans la majoration pour la vie autonome. Mme la ministre a en outre avancé qu'« aucun système informatique ne permettra sa mise en oeuvre » : si le sujet n'était pas aussi sérieux, j'ironiserais sur la situation de la « start-up Nation »...
Quant au caractère « résolument redistributif » de la politique du Gouvernement, qu'on en juge : le mécanisme proposé par Mme la ministre ferait, d'après la direction statistique des ministères sociaux, 120 000 gagnants, pour un gain mensuel moyen d'environ 110 euros, soit un coût budgétaire total de 150 millions d'euros pour ce nouvel abattement de 5 000 euros. En incluant l'abattement de 1 100 euros par enfant, la dépense supplémentaire atteindrait les 185 millions d'euros.
Or, sans vouloir ressortir les dossiers qui fâchent, la fusion du complément de ressources et de la majoration pour la vie autonome à compter du 1er décembre 2019, motivée par un souci de lisibilité et d'économies budgétaires, avait engendré pour l'État une économie estimée à 5,7 millions d'euros en 2020 et les années suivantes. Par ailleurs, la baisse du coefficient multiplicateur pour les allocataires en couple, passé de 2 à 1,89 au 1er novembre 2018, puis à 1,81 au 1er novembre 2019, et que j'avais dénoncée dans mon avis sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances (PLF) pour 2019, a permis une économie estimée à 12 millions d'euros en 2018, à 157 millions d'euros en 2019 puis à 287 millions d'euros en 2020.
Ainsi, même si le montant de l'allocation a simultanément été revalorisé, le bilan reste négatif pour les allocataires et l'on ne saurait présenter ces ajustements incompréhensibles comme une politique de redistribution, à moins d'avoir de la redistribution une conception particulièrement confuse...
Le plus important est surtout que cette nouvelle rédaction manque sa cible, car les bénéficiaires de l'AAH ne demandaient pas exactement un surcroît de prestation ; ils voulaient que le mode de calcul de la prestation la rende plus propice à leur autonomie, soutienne leur indépendance financière dans leur couple, ce qui exigeait la déconnexion de son montant d'avec les revenus de leur conjoint, qui sont souvent plus élevés. Plus profondément, c'est d'une vision cohérente de la politique de soutien à l'autonomie que nous manquons, d'une vision qui soit de nature à agencer correctement les différents cadres d'intervention dont nous disposons désormais et à rendre les outils qui s'y trouvent plus efficaces.
Mon sentiment est que, en cherchant à couper la poire en deux, le Gouvernement a obtenu une curieuse mixture, ce qui explique d'ailleurs les précautions qu'il a dû prendre en séance publique pour l'administrer aux députés.
Je vous suggère, par conséquent, de voter les amendements que je propose, qui visent à rétablir les articles 3 et 3 bis dans la rédaction que nous avions adoptée en première lecture, car ils tendent à préserver l'esprit du texte, à correspondre à la demande qui nous est adressée et à remédier, autant que faire se peut, aux conséquences négatives du changement de régime.
En les adoptant, nous ne serons certes pas arrivés à la fin de l'aventure, car, vous ne l'ignorez pas, le Gouvernement a également introduit cette rédaction à l'article 43 du PLF pour 2022, déplaçant ainsi la discussion sur un autre terrain. Nous l'y suivrons.
Mme Michelle Meunier. - J'ai repris cette question, lors des questions d'actualité au Gouvernement. Ce que propose M. Philippe Mouiller va dans le sens de ce que souhaite le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et nous avions d'ailleurs voté pour le texte en première lecture.
Ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale est déconcertant. La réponse, assez sèche, de Mme Cluzel était troublante, car elle ne nous a pas habitués à cela. On y a clairement senti les directives de Bercy ; il semble difficile pour le Gouvernement de reculer désormais.
Les chiffres de notre commission montraient que la réforme initiale faisait des gagnants et des perdants, alors que votre proposition, mon cher collègue, est gagnant-gagnant : nous vous suivrons donc.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je voudrais rappeler l'historique. En 2018, notre collègue députée Marie-George Buffet avait fait voter la déconjugalisation de l'AAH, avec le soutien quasi unanime de l'Assemblée nationale. En 2018, la proposition de loi analogue déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a été rejetée. En 2020, sur le fondement d'une pétition déposée sur le site internet du Sénat et ayant recueilli plus de 100 000 signatures, le Sénat s'est saisi de la question, en reprenant la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale qui prévoyait l'individualisation de l'AAH. Notre collègue Philippe Mouiller a alors travaillé sur un dispositif transitoire maintenant la prise en compte des revenus du conjoint pour les couples qui le souhaiteraient. Puis, en juin dernier, à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a effectivement détricoté le texte, en remplaçant la déconjugalisation par un abattement forfaitaire de 5 000 euros sur les revenus du conjoint.
Bref, le Sénat a aujourd'hui l'occasion de voter pour une mesure de justice favorable aux bénéficiaires de l'AAH et à leurs conjoints. Nous voterons donc pour les amendements et pour le texte ainsi rétabli.
Nous aurons, demain, en séance publique, un débat sur le thème « Les droits des personnes en situation de handicap sont-ils effectifs et respectés ? », sur la demande de notre groupe. Il s'agit d'une véritable question, dont la crise sanitaire a renforcé l'acuité.
M. Olivier Henno. - Je salue le travail de Philippe Mouiller. Effectivement, sur ce dossier, la question est simple : veut-on ou non renforcer l'autonomie financière au sein du couple ? Dès lors qu'on le souhaite, il faut revenir à notre version du texte.
C'est la raison pour laquelle nous voterons pour les amendements du rapporteur et pour le texte ainsi modifié.
M. Daniel Chasseing. - J'avais voté pour le texte de Philippe Mouiller, il y a quelques mois. Ce que propose le Gouvernement - l'abattement de 5 000 euros, voire plus - n'est pas nul ; il faut en tenir compte. En commission, je voterai pour les amendements et le texte de Philippe Mouiller visant à déconjugaliser les revenus entre la bénéficiaire de l'AAH et son conjoint, mais je consulterai mon groupe pour déterminer notre vote en séance publique.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je rejoins tout ce qu'a dit Philippe Mouiller.
Je m'interroge tout de même sur l'acharnement du Gouvernement à vouloir imposer une mesure qui est impopulaire auprès des personnes handicapées. Il y a une forte incompréhension et même une grande colère des associations à cet égard. Cela en dit long sur la volonté du Gouvernement, au-delà des injonctions de Bercy, qui se focalise sur les économies en matière de dépenses sociales. Ce n'est pas un hasard si, lors de la discussion sur le revenu universel d'activité, il y avait eu une difficulté à extraire l'AAH du projet de fusion entre les minima sociaux. Il aura fallu que Philippe Mouiller rappelle qu'il s'agit non pas d'un minimum social, mais de la compensation d'une impossibilité partielle ou totale de travailler ; c'est donc une prestation particulière, qui doit être sortie de la fusion des minima sociaux au sein d'un revenu universel d'activité.
Cela soulève la question du rapport du Gouvernement avec l'impossibilité des adultes handicapés à travailler ; toutes les prestations sociales doivent être tournées vers la reprise d'emploi. Or les personnes handicapées ne pouvant pas travailler ne peuvent, elles, être focalisées sur l'activité productive. C'est cela qui explique cette obstination. Au-delà de tout cela, c'est de l'autonomie et de la dignité des intéressés qu'il s'agit in fine.
Le Gouvernement a revalorisé rapidement cette prestation, il faut le reconnaître, mais ne l'a pas portée au niveau du seuil de pauvreté. Nous avons déposé les mêmes amendements que M. Mouiller, donc nous soutiendrons les amendements proposés.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Au-delà du bras de fer avec le Gouvernement sur ce sujet, nous avons besoin urgemment d'une vision d'ensemble, donc d'un texte consacré à l'autonomie : faute de stratégie globale, on peine à envoyer un message clair quant à l'avenir des personnes en situation de handicap.
M. Martin Lévrier. - Je ne peux pas laisser dire que ce gouvernement n'a presque rien fait, voire n'a rien fait du tout, en faveur des personnes handicapées. En outre, l'AAH a été conçue comme un minimum social : en le remettant en cause, on soulèverait beaucoup d'autres problèmes.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Je le confirme, beaucoup a été fait pendant ce mandat - nous avons d'ailleurs accompagné les actions entreprises. Cela étant, c'est le chef de l'État lui-même qui a tranché en écrivant que l'AAH n'était pas un minimum social. Pour ma part, j'écoute ce que dit le Président de la République !
Mme Catherine Deroche, présidente. - Que c'est compliqué, le « en même temps ».
M. Martin Lévrier. - Mais non, c'est très simple !
EXAMEN DES ARTICLES
M. Philippe
Mouiller, rapporteur. - L'amendement
COM-3,
comme l'amendement identique
COM-1
rectifié, présenté par les membres du
groupe
Écologiste - Solidarité et Territoires, vise
à rétablir la rédaction de l'article adoptée par le
Sénat en première lecture, qui déconjugalise le calcul de
l'AAH.
Les amendements COM-3 et COM-1 rectifié sont adoptés.
L'article 3 est ainsi rédigé.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - ' L'amendement COM-4, comme l'amendement identique COM-2, présenté par nos collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, vise à rétablir l'article 3 bis, introduit par le Sénat en première lecture, qui instaure un mécanisme transitoire destiné à amortir les effets de la déconjugalisation de l'AAH sur les ménages qui seraient perdants au dispositif.
Les amendements COM-2 et COM-4 sont adoptés.
L'article 3 bis est rétabli dans cette rédaction.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Avant tout, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que ce périmètre comprend toutes dispositions relatives aux conditions d'exercice du droit de visite dans les établissements sanitaires et médico-sociaux.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, tous amendements ayant, plus largement, pour objet l'exercice des autres composantes du droit à la vie privée en établissement de santé ou en établissement médico-social, ou les conditions générales de prise en charge des patients en établissement de santé ou d'accueil des personnes en établissement médico-social.
Cette proposition de loi a été cosignée par le président et plus d'une centaine de sénateurs du groupe Les Républicains, mais je ne crois pas que cette circonstance importe beaucoup, car le contenu de ce texte me semble de nature à nous rassembler très largement.
Son objet est aussi simple que son titre : il s'agit, premièrement, de mieux préciser les modalités d'application du droit qu'ont les personnes prises en charge à l'hôpital ou accueillies en établissement médico-social de recevoir la visite de leurs proches et, deuxièmement, de rendre ce droit inconditionnel pour les personnes en fin de vie.
Vous devinez quels événements récents ont motivé sa rédaction. Ces milliers de résidents mis à l'isolement dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ces milliers de patients privés de visite à l'hôpital, ces milliers de personnes décédées et mises en sac - je pèse mes mots - sans avoir vu leurs proches ni même reçu les derniers soins que l'humanité doit aux défunts, nous les avons encore tous douloureusement présents à l'esprit.
J'ai cependant souhaité entendre à nouveau ces témoignages. J'ai donc auditionné, outre l'administration, les représentants d'établissements, des juristes, la vice-présidente du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), la Défenseure des droits et un certain nombre de représentants d'usagers. Parmi eux figuraient les fondateurs du collectif « Tenir ta main », qui rassemble patiemment les milliers d'histoires de ceux qui n'ont pu dire adieu à leurs proches prisonniers - c'est le mot - de la gestion de crise. À présent, ces personnes tentent de vivre malgré l'angoisse et la culpabilité ; elles travaillent à faire un deuil difficile, voire impossible.
Si je les rappelle d'un mot, c'est parce que, réunis, ces cas particuliers finissent par circonscrire le problème précis que ce texte peut tenter de résoudre, c'est-à-dire les situations dans lesquelles la balance entre la protection du droit à recevoir des visites et la nécessité de protéger le plus grand nombre s'est trouvée trop gravement déséquilibrée en défaveur du premier.
Soyons clairs : il ne s'agit pas de pointer quiconque du doigt ni de refaire la commission d'enquête sur la gestion de la crise. Les directeurs d'établissement ont tout fait pour protéger leurs patients ou leurs résidents, avec les moyens dont ils disposaient à chaque instant ; et encore ne faisaient-ils le plus souvent qu'appliquer des directives nationales ou suivre les éléments de la communication officielle qu'une navigation sans visibilité ne pouvait que rendre fluctuants et erratiques, pour ne pas dire contradictoires.
Autrement dit, si ce texte peut donner le sentiment de vouloir remettre les pendules à l'heure, c'est uniquement parce qu'il entre plus naturellement dans la mission du législateur de rectifier ce qui dysfonctionne que de distribuer des encouragements.
Ce texte introduit donc dans la loi le droit des patients et résidents qui le souhaitent de recevoir des visites quotidiennes. Il en précise également les limites, car il va de soi qu'un tel droit ne saurait être absolu.
L'administration et un certain nombre de juristes objectent que ce droit est déjà garanti au plus haut niveau de la hiérarchie des normes et qu'il est décliné dans de nombreux documents de rang inférieur à la loi, tels la charte de la personne hospitalisée ou le livret d'accueil du résident en Ehpad. Tout cela est presque vrai, et le serait-ce totalement que ce serait encore insuffisant pour démontrer qu'il est inutile de légiférer.
C'est presque vrai, car le droit de visite est en réalité considéré comme une composante du droit à la vie privée. Du moins est-ce ainsi que le juge l'entend lorsqu'un contentieux est porté à sa connaissance, et encore faudrait-il distinguer entre la vie privée au sens du code civil et la vie privée au sens de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), définitions qui ne se recoupent pas totalement. Quoi qu'il en soit, ces dispositions ne sont pas de nature à rassurer : on peut souhaiter ne jamais en arriver à devoir demander au juge l'autorisation de voir son père ou sa mère à l'hôpital.
Les grands principes sont donc en réalité lointains et imprécis. Quant à leur traduction dans les documents de gestion quotidienne des établissements, elle est en effet répandue, mais il faut craindre que le retour à la normale post-covid ne parvienne à éteindre totalement les incompréhensions qu'elle suscite chez les usagers et leurs familles, soit parce que, le pic épidémique passé, les directeurs d'établissement font toujours preuve d'une prudence excessive, soit parce que l'on se rend compte à présent que les plages horaires de visites avaient jadis été trop étroitement délimitées, par mauvaise habitude ou par contrainte de personnel. Cette crainte, la Défenseure des droits l'a étayée devant moi sur la base des signalements reçus ces derniers mois.
La loi semble donc un véhicule approprié pour clarifier un principe important de gestion des établissements prenant en charge un public fragile. D'ailleurs, la loi mentionne le droit à la vie privée. Elle s'autorise même à être plus explicite sur d'autres de ses composantes : à l'hôpital, elle s'attarde sur les contours du droit au secret médical et, en établissement médico-social, sur le respect de l'intimité et de la dignité. Dès lors, y accoler, par souci de précision, le droit de recevoir des visites et en préciser le régime n'aurait rien d'aberrant.
On a parfois cru me rassurer en me disant que la seule manière efficace de procéder serait l'incitation au dialogue de proximité dans les établissements, et que le fait d'inscrire ce droit dans la loi serait au mieux un acte symbolique.
Or, jusqu'à preuve du contraire, la loi présente un caractère obligatoire et devra emporter l'harmonisation des pratiques pour assurer son respect. Inscrire dans la loi ce qui passe pour un usage plus ou moins répandu est donc bien plus que symbolique. Sinon, nous vous aurions invités la semaine dernière à supprimer tous les articles du code de la santé publique relatifs aux soins palliatifs au motif qu'« écarter les souffrances » a toujours fait partie du code de conduite médicale depuis qu'Hippocrate a rédigé De l'art, au Ve siècle avant Jésus-Christ.
Tout dépend, me direz-vous, des dispositions précises que l'on inscrit dans la loi. J'en viens donc au contenu de ce texte.
L'article 1er crée un droit de visite quotidien pour les patients des établissements de santé et les résidents des établissements médico-sociaux, lequel ne peut être subordonné à une information préalable de l'établissement, et l'article 2 précise les motifs pouvant fonder un refus de visite dans un établissement de santé.
Je vous proposerai de supprimer l'article 2 pour transférer son contenu dans un article 1er un peu remanié et consacré aux seuls établissements de santé. Le droit de visite y serait codifié au sein du code de la santé publique, sa rédaction légèrement raccourcie pour ne pas imposer la fixation de « plages horaires de visites », et les motifs de refus de visite légèrement toilettés. D'une part, il s'agit de laisser le médecin chef de service ou, sur sa délégation, un autre professionnel de santé, apprécier la qualification du motif de refus de visite fondé sur un risque sanitaire ou d'ordre public, mais sans les détailler excessivement pour ne pas alourdir les procédures. D'autre part, il s'agit de formaliser un minimum une telle décision, en imposant sa motivation et sa notification sans délai.
L'article 3 procède de même pour les établissements médico-sociaux. Je vous proposerai de le codifier dans le code de l'action sociale et des familles. Je vous suggérerai également d'en alléger et d'en préciser légèrement la rédaction : en disposant que l'avis sur le risque sanitaire pouvant fonder un refus de visite peut être rendu par tout professionnel de santé désigné par le directeur en l'absence de médecin coordonnateur - en effet, les Ehpad ne sont pas seuls concernés et tous les Ehpad n'ont d'ailleurs pas de médecin coordonnateur ; en poussant à la formalisation de la décision de refus, qui devra être motivée et notifiée sans délai aux intéressés ; en précisant enfin que le règlement de fonctionnement de l'établissement, établi après consultation du conseil de la vie sociale (CVS), fixe les modalités de respect du droit de visite.
L'article 4 rend le droit de visite des personnes « en phase terminale d'une affection mortelle incurable » inconditionnel pour certains de leurs proches : descendants, ascendants, conjoints, membres de la fratrie ou personnes de confiance.
Là encore, je propose de codifier le dispositif dans le code de la santé publique, mais aussi de l'élargir, car, si l'idée est de rendre possibles les visites des êtres chers aux personnes dont la vie touche à sa fin, il faut être plus généreux : je propose de faire référence aux personnes « en fin de vie ou dont l'état requiert des soins palliatifs », notion que le code de la santé publique connaît déjà, et d'élargir le cercle des proches pouvant bénéficier d'un droit de visite : à ce titre, j'emprunte au code du travail la catégorie des personnes pouvant justifier la prise d'un congé de proche aidant.
L'article 5 tente de préserver les mesures qui précèdent de la menace que pourrait faire peser sur elles l'état d'urgence sanitaire. Il soumet les mesures réglementaires prises sous ce régime qui restreindraient le droit de visite pendant une seule journée à l'avis conforme motivé du conseil scientifique réuni au déclenchement d'une telle situation, inscrit dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020. En outre, il impose que l'application de telles mesures restrictives au-delà de 96 heures soit soumise à l'autorisation du législateur ; et il précise que ces mesures ne sauraient quoi qu'il arrive faire obstacle au droit de visite inconditionnel prévu à l'article 4.
C'est un mécanisme intéressant, que je propose de modifier légistiquement, mais aussi sur plusieurs points importants : en supprimant la mention d'un avis conforme, qui serait inconstitutionnelle, en ajoutant au comité scientifique le CCNE, qui m'a dit approuver cette précision, et en renonçant à préciser la durée d'application des mesures exceptionnelles nécessitant l'intervention du législateur, ce qui semble difficile à mettre en oeuvre sur le plan pratique.
L'article 6 dispose que le texte est d'ordre public, ce qui empêchera les stipulations contractuelles de contredire ces dispositions : c'est opportun.
Le texte me semble ainsi reposer sur un trépied solide : l'inscription dans la loi d'un principe fondamental qui y fait défaut et laisse, en conséquence, les usagers dans l'ignorance de leurs droits et les établissements à la tentation de la surprotection ; la responsabilité toutefois laissée aux directions d'établissements de le mettre en oeuvre, sans formalisme excessif ; l'introduction enfin de garde-fous contre les situations d'inhumanité que nous avons connues au printemps 2020, en sanctuarisant le droit de visite dans les cas extrêmes. C'est cette démarche que je vous propose de suivre en adoptant ce texte.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci du beau travail que vous avez accompli sur ce texte, dont l'intitulé paraissait évident, mais qui n'était pas si simple à rédiger.
M. Alain Milon. - Cette proposition de loi institue un droit de visite quotidien : le personnel soignant et le personnel administratif des établissements auront pour obligation de le garantir. Pourra-t-on étendre cette obligation aux familles, pour assurer un devoir de visite ?
Mme Annie Le Houerou. - Le premier confinement a été brutal, tout particulièrement pour les personnes âgées, du fait de leur fragilité face au covid. Les liens affectifs et intergénérationnels ont été mis à mal. Les résidents des établissements ont été isolés des aidants familiaux. Les personnes ne pouvaient plus s'embrasser ni se voir. Les deuils ont été extrêmement difficiles, voire traumatisants. Le désespoir de certains patients ou résidents a été si fort qu'ils se sont laissés glisser vers la mort.
Ce texte entend apporter une réponse à ces drames, causés par les restrictions liées à l'épidémie. En ce sens, il vise à combler un vide juridique. Le droit définit déjà un cadre protecteur sans citer expressément le droit de visite. En vertu de l'article 9 du code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Le code de l'action sociale et des familles précise l'exercice des droits et libertés individuels et les garantit. La charte de la Fondation nationale de gérontologie encadre, quant à elle, la présence et le rôle des proches.
Le droit commun n'a pas été modifié par les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence ; mais des consignes et des protocoles ont restreint la liberté d'aller et venir. C'est un droit souple qui s'est imposé, le ministère de la santé s'en remettant aux directives d'établissement en reportant la décision : la Défenseure des droits a dénoncé ce flou et cette absence de garantie d'un cadre légal.
Cette proposition de loi ne pourrait-elle pas imposer la consultation du CVS, pour que ces décisions fassent l'objet d'une concertation au sein des établissements avant que de telles restrictions ne soient imposées ? Les décisions prises ont beaucoup varié d'un établissement à l'autre.
Passé l'urgence extrême, qui a pu justifier des restrictions de visite pour des raisons de sécurité, la liberté d'appréciation laissée aux directeurs d'établissement a fait prospérer des restrictions, voire des interdictions disproportionnées. C'est d'ailleurs dans la période récente que ces plaintes se révèlent les plus nombreuses.
Ce texte instaure dans notre législation un droit de visite pour les résidents des Ehpad ou des foyers. Il prévoit qu'un patient en phase terminale ne peut se voir interdire un droit de visite quotidien. En ce sens, il répond au drame vécu par nombre de nos concitoyens pendant la crise sanitaire. Toutefois, il soulève quelques questions.
Si les visites ont été interdites, c'est avant tout pour protéger les patients et limiter la propagation d'un virus encore méconnu : or le présent texte n'apporte pas de réponse à une situation d'urgence exceptionnelle, telle que nous l'avons vécue et telle qu'elle pourrait encore se produire. Il faut distinguer le droit de visite en période normale et en période de crise sanitaire, où des mesures restrictives de protection se révèlent nécessaires.
Les saisines ont afflué sur le bureau de la Défenseure des droits, surtout en dehors de la période de crise aiguë : cela plaide pour la nécessité de légiférer afin de renforcer le droit existant et, surtout, les pratiques. Mais veillons à ne pas formaliser les contraintes à l'excès : on pourrait atteindre l'inverse du but visé. Une formalisation du refus signifié au demandeur reste indispensable : les amendements proposés par Mme la rapporteure vont précisément dans ce sens.
Mme Laurence Cohen. - Je remercie Mme Corinne Imbert pour le travail précis et fouillé qu'elle a mené. Mon groupe considère que cette proposition de loi est véritablement transpartisane. Elle répond aux difficultés auxquelles nous avons pu être confrontés dans notre vie personnelle ainsi qu'à celles qui nous ont été rapportées lors des auditions, notamment en ce qui concerne les phénomènes de glissement qu'ont connus de nombreuses personnes. Le texte ne résout pas tous les problèmes rencontrés en Ehpad, ni ceux des personnes en phase terminale, mais ce n'est pas son but. Nous le voterons.
M. Daniel Chasseing. - Mme Corinne Imbert a donné un aspect très pragmatique à cette proposition de loi, en précisant qu'elle dissociait les Ehpad et les établissements de santé. Je félicite les directeurs d'établissement et les professionnels de santé qui ont dû prendre en charge des patients dans les Ehpad touchés par des contaminations. Certaines familles ont été plus compréhensives que d'autres, face à la situation. Les directeurs d'établissement, les professionnels de santé et les médecins ont tous connu l'angoisse de devoir faire face à des contaminations et au décès de personnes en mauvais état général, qui risquaient d'être atteintes de covid.
Il fallait un texte clair pour préciser les conditions de refus de visite en Ehpad et dans les établissements de santé. Nous ne sommes pas à l'abri d'une épidémie qui se reproduirait.
Le droit de visite pour les malades en fin de vie a également été précisé et encadré. Je félicite Corinne Imbert pour ce travail utile. Le texte fournit des dispositions claires sur lesquelles les médecins et les directeurs d'établissement pourront s'appuyer.
Mme Brigitte Devésa. - Je remercie Mme Imbert pour son travail remarquable. La période a montré combien il était nécessaire de venir en aide aux personnes isolées. Le groupe Union Centriste soutient cette loi essentielle pour les aidants.
M. Martin Lévrier. - Merci à Mme la rapporteure d'avoir développé cette approche très intéressante du problème. Nous avons tous été confrontés, parfois de très près, à certaines difficultés. Les établissements sont nombreux où l'on a accompli un travail remarquable et fait preuve d'une humanité extraordinaire. Il faut aussi constater cet aspect très positif de la situation.
Je ne dirai pas que cette loi est une loi d'émotion, car je n'apprécie pas forcément le terme, même si j'assume l'avoir employé à propos d'autres textes qui le justifiaient. Toutefois, il reste très délicat de légiférer aussi rapidement, alors que la pandémie n'est pas achevée. Je m'abstiendrai donc, à titre personnel.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Je vous remercie pour les propos bienveillants que vous avez tenus à mon égard.
Madame Le Houerou, le droit souple est effectivement privilégié, pour l'instant, mais cela pose une question d'égalité et d'équité de traitement sur le territoire. D'où la nécessité d'établir un cadre. L'intervention du conseil de la vie sociale fait l'objet d'un amendement à l'article 3 visant à préciser que le règlement du fonctionnement de l'établissement fixe les modalités du droit de visite. En effet, ce règlement exige la consultation du conseil.
Madame Cohen, ce texte peut effectivement nous rassembler de manière transpartisane.
Je remercie M. Chasseing et Mme Devésa pour les propos qu'ils ont tenus.
Monsieur Lévrier, la vie sociale a pu être préservée dans certains établissements grâce à la mobilisation des équipes, alors qu'il n'était pas forcément très simple de le faire. Il ne s'agit pas d'émettre une valeur de jugement sur la manière dont la situation a été traitée. Dans les établissements médico-sociaux, on a eu recours à des tablettes pour recréer un lien social. Il n'en reste pas moins que la situation a été particulièrement difficile pour les personnes en fin de vie.
J'aime à dire que la météo de la veille est toujours plus facile à donner que celle du lendemain. Malgré une directive qui autorisait leur pratique au bout d'un mois, les soins mortuaires n'ont pas forcément été assurés partout. Il faut agir avec prudence. Cependant, il me semble qu'il était important de rendre le droit de visite inconditionnel pour les personnes en fin de vie ou en soins palliatifs.
À l'occasion du rapport d'information sur les soins palliatifs que nous avons réalisé avec Christine Bonfanti-Dossat et Michelle Meunier, nous avons visité la maison médicale Jeanne-Garnier, à Paris. Quinze jours après le début du premier confinement, les responsables de l'établissement avaient organisé la possibilité de visites pour les familles.
Monsieur Milon, le devoir de visite est important, mais il me semble difficile de pénaliser les familles.
M. Alain Milon. - On pénalise les établissements !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Le droit de visite existe. Il faudrait effectivement s'intéresser au devoir de visite.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à codifier dans le code de la santé publique le droit de visite en établissement de santé. Il reprend ce faisant le contenu de l'article 1er et de l'article 2 de la proposition de loi, en veillant à rendre son mécanisme plus souple et plus précis.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à supprimer l'article 2, car sa substance est reprise dans l'article 1er.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article 2 est supprimé.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à codifier dans le code de l'action sociale et des familles le droit reconnu au résident d'établissement médico-social de recevoir des visites, et à préciser légèrement sa rédaction. Il tend en effet à ce que l'avis sur le risque sanitaire pouvant fonder un refus de visite puisse être pris par tout professionnel de santé en l'absence de médecin coordonnateur. Il a également pour objet de formaliser la décision de refus, qui doit être motivée et notifiée sans délai aux intéressés. Enfin, il précise que le règlement de fonctionnement, établi après consultation du conseil de la vie sociale, fixe les modalités de respect du droit de visite.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - ' L'amendement COM-4 vise à codifier dans le code de la santé publique le droit de visite inconditionnel des personnes en fin de vie, et à élargir doublement le dispositif. Sont ainsi concernées, plus largement que les personnes en phase terminale d'une affection mortelle incurable, les personnes en fin de vie ou dont l'état requiert des soins palliatifs, au sens que le code de la santé publique donne déjà à ce terme.
En outre, ces personnes pourront recevoir la visite d'un cercle plus étendu de proches, dont le périmètre a été emprunté, dans le code du travail, à celui des proches pouvant justifier la prise d'un congé de proche aidant.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-5 tend à réécrire le dispositif de l'article en tenant compte de la codification des dispositions précédentes. Il vise à ajouter au comité scientifique le Conseil national consultatif d'éthique, à retirer le caractère « conforme » de l'avis rendu par ces instances, qui serait inconstitutionnel, et à requérir l'exigence d'une autorisation législative lorsque l'atteinte au droit de visite excèdera 96 heures, ce qui serait difficile à mettre en pratique.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 6
L'article 6 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2 - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Bernard Jomier, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons vise à instaurer une vaccination obligatoire en population générale contre la covid-19, afin d'atteindre à court terme un niveau de protection collective qui nous permettra de maîtriser durablement l'épidémie à laquelle notre pays fait face depuis plus d'un an et demi.
Avant d'aborder l'examen de ce texte, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la vaccination contre la covid-19, aux modalités de contrôle du respect d'une obligation vaccinale contre la covid-19 et au régime des sanctions en cas de méconnaissance d'une telle obligation. En revanche, les amendements relatifs à la politique nationale de vaccination et aux autres vaccinations obligatoires, ou à l'état d'urgence sanitaire et aux outils de gestion de la crise sanitaire autres que la vaccination contre la covid-19 ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé.
Si l'annonce à la mi-juillet 2021 de l'extension du passe sanitaire a permis de relancer le rythme des vaccinations, le nombre de premières injections ne cesse de diminuer depuis le 31 juillet. Ainsi, la part des personnes entièrement vaccinées, qui s'établit au 4 octobre 2021 à un peu plus de 72 % de la population totale, ne progresse désormais plus que très lentement.
Or le taux d'immunité vaccinale ou naturelle nécessaire au contrôle de la propagation du virus, initialement évalué entre 70 % et 75 % de la population totale, se situerait désormais entre 90 % et 95 %, compte tenu du haut degré de transmissibilité du variant Delta. En l'état actuel du rythme des primo-vaccinations, il est donc impossible d'atteindre ce niveau de protection à court terme sans une mesure forte qui permette de mobiliser l'ensemble de nos concitoyens qui n'ont pas encore franchi le pas de la vaccination. Avec moins de 35 500 premières doses injectées en moyenne chaque jour, nous ne pouvons pas en effet espérer atteindre 90 % de la population partiellement vaccinée avant le 15 juillet 2022.
Il nous faut dès à présent tordre le cou à plusieurs idées fausses qui continuent de freiner l'adhésion de la population à la vaccination.
D'abord, l'idée selon laquelle le vaccin ne nous permettra pas de vaincre l'épidémie, au motif que des personnes doublement vaccinées peuvent être réinfectées. Si, le vaccin protège, y compris contre des variants du type Delta. Il constitue une arme redoutable contre les formes graves et sévères de la maladie : j'en veux pour preuve les écarts de taux d'occupation des lits de réanimation entre la région la plus vaccinée, la Bretagne, dont seulement 16 % de lits sont occupés, et une des régions les moins vaccinées, la Martinique, dont les capacités sont complètement saturées avec 319 % des lits de réanimation occupés.
Le vaccin est également un levier puissant de réduction de la circulation du virus en limitant significativement la charge virale en cas d'infection. Les personnes vaccinées infectées transmettent ainsi douze fois moins le virus que les personnes non vaccinées.
Ensuite, la seconde idée fausse à combattre est que l'effort collectif vaccinal serait derrière nous et que, au vu de la baisse des contaminations et des hospitalisations dans la période récente, il n'y aurait plus lieu de chercher à renforcer un taux de couverture vaccinale qui est déjà l'un des plus élevés d'Europe.
Or, au contraire, une part importante du chemin reste à parcourir. Cette couverture vaccinale comporte en effet de nombreux « trous dans la raquette » qui nous fragilisent face au risque d'une reprise épidémique, notamment en cas d'apparition d'un nouveau variant. La couverture vaccinale des personnes de plus de 80 ans, qui constituent la population la plus vulnérable au risque d'hospitalisation, reste ainsi le principal talon d'Achille de la campagne vaccinale en France. Quelque 84 % d'entre eux sont entièrement vaccinés, quand ce taux est supérieur à 95 % chez les personnes âgées de 70 ans à 79 ans.
Cette situation tranche avec d'autres pays comme l'Espagne, le Danemark, l'Irlande ou Malte, où la part des personnes vaccinées chez les plus de 80 ans atteint 100 %. Une part non négligeable des personnes de plus de 80 ans reste en effet éloignée de la vaccination ; les situations d'isolement sont aggravées par des difficultés d'accès à un médecin traitant et par un maillage des points d'information sur la vaccination et des centres de vaccination qui reste insuffisant dans certains territoires.
D'importantes marges de progression existent également au sein des classes d'âge plus jeunes pour atteindre une couverture vaccinale complète supérieure à 90 % : la proportion de schémas vaccinaux complets n'est encore que de 80 % chez les 25-39 ans, 83 % chez les 18-24 ans et 64 % chez les 12-17 ans.
En outre, la vaccination des publics fragiles, les plus susceptibles de développer des formes graves ou sévères de la covid-19, reste insuffisante : fin septembre, plus de 14 % des personnes atteintes de maladies chroniques ne justifiaient toujours pas d'un schéma vaccinal complet. Plus de 15 % des personnes obèses n'ont toujours pas reçu leur première dose de vaccin, alors que l'obésité constitue, après l'âge, le facteur de risque d'hospitalisation et de décès le plus important.
Face à ces fragilités, les dispositifs d'« aller-vers », indispensables pour sensibiliser les populations les plus éloignées de la vaccination, restent insuffisants pour atteindre à court terme le taux de protection collective recherché. Nous pouvons espérer un rebond des injections de premières doses à compter du 15 octobre 2021, date de la fin de la gratuité des tests de confort. Cependant, ce rebond restera limité dans son ampleur ; il ne concernera qu'un nombre limité de personnes ayant jusqu'ici préféré se faire tester plutôt que vacciner.
La vaccination universelle obligatoire s'impose dès lors comme la solution pour provoquer un sursaut et parvenir à une immunité collective, qui nous permettra de transformer l'épidémie en un phénomène à bas bruit, avec d'éventuelles résurgences saisonnières. C'est précisément l'objectif poursuivi par cette proposition de loi.
La méthode retenue est simple et ménage au pouvoir réglementaire une certaine souplesse dans le déploiement de cette obligation. Son article unique se cantonne en effet à compléter la liste des vaccinations obligatoires en population générale inscrite dans le code de la santé publique par la vaccination contre l'infection par le SARS-CoV-2.
Le droit en vigueur prévoit déjà que ces vaccinations sont obligatoires « dans des conditions d'âge déterminées par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Haute Autorité de santé » (HAS). Il reviendra donc au Gouvernement de déterminer par voie réglementaire les conditions d'âge pour lesquelles la vaccination contre la covid-19 aura un caractère obligatoire. Ces critères pourront par exemple évoluer en fonction des données scientifiques sur le bénéfice et l'innocuité du vaccin chez les mineurs de moins de 12 ans.
De même, il appartiendra au Gouvernement de déterminer par décret les contours du schéma vaccinal complet permettant de satisfaire à l'obligation vaccinale. Pour l'heure, bien que l'administration d'une troisième dose ait débuté fin août chez les plus de 65 ans et les personnes sévèrement immunodéprimées ou présentant des comorbidités, le schéma vaccinal pour disposer d'un passe sanitaire valide n'a pas été modifié.
L'exemple israélien nous invite pourtant à la vigilance : après avoir vacciné massivement et très tôt, dès décembre 2020, le pays n'a pas résisté à une reprise épidémique cet été. Compte tenu des données disponibles sur la durée de l'immunité conférée par la vaccination, se pose donc la question de l'intégration d'un rappel vaccinal dans les caractéristiques du schéma vaccinal complet.
L'enjeu de la troisième dose ne doit pas être sous-estimé. La protection acquise par le vaccin ou l'infection diminue avec le temps : toute notre population éligible pourrait avoir tôt ou tard à renouveler le geste vaccinal par l'injection d'une dose de rappel. L'introduction d'une obligation vaccinale est justement, encore une fois, le meilleur moyen d'assurer le maintien de cette vigilance collective.
À l'image de l'obligation vaccinale contre la covid-19 que la Nouvelle-Calédonie a instituée en population générale le 3 septembre dernier, la proposition de loi n'assortit pas d'emblée cette obligation de sanctions en cas de non-respect. À cet égard, plusieurs options sont possibles ; ce texte nous donne l'occasion d'en discuter ensemble.
Les élus néo-calédoniens ont fixé au 31 octobre une clause de revoyure qui les conduira à décider, en fonction de l'évolution du taux de couverture vaccinale, si des sanctions applicables en population générale sont justifiées et nécessaires. Je vous proposerai également de retenir une démarche progressive en matière de sanctions : outre l'institution dès cet automne du principe de l'obligation vaccinale, nous pourrions prévoir l'application, à compter de janvier 2022, d'une amende forfaitaire en cas de non-respect, ce qui laissera le temps aux personnes encore non vaccinées de se conformer à cette exigence. C'est l'objet de l'amendement que je vous soumets.
En complément, la mise en place d'un passeport vaccinal pour l'accès à certains lieux collectifs pourrait achever d'amener les plus réticents à s'engager dans une démarche vaccinale. Inspiré du modèle écossais déployé depuis le 1er octobre, le passeport vaccinal conditionnerait l'accès à de grands rassemblements à la présentation d'un justificatif vaccinal ou d'un certificat de guérison, en supprimant l'échappatoire que constituent les tests, sauf pour les personnes justifiant d'une contre-indication.
Ne sous-estimons pas l'impact positif que pourrait avoir la vaccination universelle obligatoire sur l'adhésion de la population à la vaccination. J'en veux pour preuve les résultats encourageants déjà produits par le passage de trois à onze vaccins obligatoires chez les enfants, que nous avons voté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. En moins de deux ans, le taux de vaccination des nourrissons contre l'hépatite B a progressé de plus de 5 points et la couverture vaccinale contre le méningocoque C a connu une augmentation spectaculaire de plus de 36 points.
Vous l'aurez compris, la vaccination universelle obligatoire reste, selon moi, la solution la plus acceptable et opérationnelle, en complément des actions d'« aller-vers », pour garantir une couverture vaccinale suffisamment élevée, afin de transformer l'épidémie en un « bruit de fond » maîtrisé sur le plan sanitaire. Elle présente l'avantage de poser une règle claire et simple applicable à tous, par opposition à un passe sanitaire qui, lui, soulève d'importantes difficultés d'application, aggrave les inégalités sociales et territoriales et dont la prolongation jusqu'à l'été 2022 est envisagée par le Gouvernement. L'obligation vaccinale reste la dernière étape à franchir collectivement pour vaincre cette épidémie et enfin tourner la page d'une crise sanitaire qui n'a que trop duré.
En ma qualité de rapporteur, je vous propose donc d'adopter ce texte.
M. Philippe Mouiller. - Mon groupe est défavorable à cette proposition de loi pour trois raisons.
Nous sommes contre le principe général d'obligation et préférons une forte adhésion de la population, même si nous partageons le même objectif, celui d'une couverture vaccinale la plus large possible. Le passe sanitaire, lui, donne une certaine liberté à chacun.
Ce texte ne définit aucune sanction ni aucun moyen opérationnel pour faire appliquer cette obligation. Il ne s'agit que d'un effet d'annonce. Quelles politiques, quels moyens prévoyez-vous de mettre en place pour faire appliquer cette obligation et la contrôler ?
Enfin, cette mesure intervient au mauvais moment, la temporalité n'est pas la bonne.
M. Alain Milon. - Je salue le travail de M. Jomier, particulièrement ardu. Il lui a fallu réaliser une sacrée gymnastique intellectuelle pour trouver les raisons qui justifient cette vaccination obligatoire.
Une autre raison de l'opposition de mon groupe est l'instabilité du virus et l'arrivée de nombreux variants, dont certains seront à échappement vaccinal. La vaccination ne servira pas à grand-chose tant qu'un vaccin stable n'aura pas été trouvé.
De plus, nous constatons que l'efficacité des vaccins est limitée. Une troisième dose est aujourd'hui recommandée, et il n'est pas sûr que des doses supplémentaires ne soient pas nécessaires, comme pour la grippe.
Enfin, je suis étonné que l'on ne parle que de vaccination de la population française. Même si la population française était vaccinée, si le reste de la population mondiale ne l'était pas, des variants à échappement vaccinal surviendraient et mettraient en échec l'immunité collective. Plutôt qu'une obligation vaccinale, je préférerais que la France et l'Europe assurent la vaccination des populations qui n'y ont pas accès actuellement.
M. Olivier Henno. - Le passe sanitaire est une politique publique réussie : elle a atteint ses objectifs.
Je comprends le principe de cette vaccination obligatoire, mais son exécution pose problème. Adopter une politique publique sans pouvoir la faire exécuter, c'est se mettre en situation d'impuissance publique, c'est discréditer l'action publique. Dans cette mesure, il me semble impossible d'adopter votre proposition.
Enfin, nous ne pouvons limiter notre réflexion à la France, et même l'horizon européen ne suffit pas ; il faut envisager la question à l'échelle mondiale.
Monsieur Jomier, pourquoi dire que le passe sanitaire constitue une injustice territoriale ? Enfin, dans quels pays la vaccination est-elle obligatoire ?
M. Martin Lévrier. - Le mieux est souvent l'ennemi du bien, et il faut être prudent face aux lois qui ne seraient pas applicables. Comment encourager la vaccination chez les personnes âgées ? J'ai trouvé excellente l'idée que les médecins généralistes appellent leur patientèle non vaccinée. C'est probablement la meilleure solution, mais elle ne porte pas suffisamment ses fruits.
Je suis totalement pour la vaccination obligatoire - j'ai soutenu son extension à onze vaccins chez les jeunes enfants en 2018 -, mais à condition qu'elle soit applicable. Si cela est possible pour les enfants, il en va autrement pour les adultes.
Concernant la vaccination à l'échelle planétaire, j'ai posé plusieurs questions au Gouvernement sur le déploiement du dispositif Covax.
L'aspect pédagogique doit aussi être abordé. Si nous avions rendu la vaccination obligatoire très rapidement, les oppositions contre le vaccin auraient été beaucoup plus virulentes. Aujourd'hui, beaucoup se vaccinent un peu malgré eux, mais ont compris la nécessité de la vaccination.
Ainsi, une grande partie du groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Monsieur Mouiller, je ne savais pas que votre groupe était opposé au principe de l'obligation. Vous aviez pourtant voté l'extension de l'obligation vaccinale à onze vaccins en 2018 pour les enfants. Je ne suis pas un inconditionnel du principe d'obligation en santé publique et le débat doit effectivement avoir lieu, mais nous voilà maintenant à front renversé : vous écartez par principe un outil qui existe déjà.
Monsieur Lévrier, il ne s'agissait pas de rendre le vaccin obligatoire dès le début de la crise. Cependant, anticiper l'évolution de la pandémie implique d'adapter les outils.
Nous ne devons pas mettre au premier plan la question des sanctions - j'étais défavorable à la dureté des sanctions pour les personnels soignants non vaccinés. L'expérience prouve que l'annonce d'une obligation amène les populations à agir, et non l'annonce d'une sanction. Chez les enfants, le taux de vaccination contre la rougeole a progressé dès que nous avons voté l'obligation vaccinale en 2018. Le taux de vaccination est aujourd'hui supérieur à 95 % et nous sommes en train d'éradiquer cette maladie.
La sanction doit être différée. La Nouvelle-Calédonie a adopté l'obligation vaccinale pour la population générale le 3 septembre. L'annonce de l'obligation vaccinale a fait progresser significativement le taux de vaccination. La Nouvelle-Calédonie est désormais dans une bien meilleure situation que les Antilles, alors qu'aucune sanction en population générale n'a encore été prise. Elles ont simplement été annoncées pour plus tard.
J'en viens à la question de la temporalité. En juillet, on nous dit « c'est trop tôt », en octobre « c'est trop tard ». Nous allons devoir nous réunir le 15 août, à l'Assomption, pour adopter ce genre de dispositions ! Le passe sanitaire a été efficace un temps. Cette forme d'obligation masquée a produit ses effets, mais cela ne fonctionne plus : 30 000 primo-vaccinés par jour, c'est infime, alors que nous devons encore vacciner 10 millions de personnes.
De plus, aucune donnée n'indique que le passe sanitaire est efficace pour réduire la circulation virale, car il y a des trous partout dans le dispositif. Voyez le métro, les supermarchés, etc. Le dispositif est « bancal », comme dit Arnaud Fontanet.
Monsieur Milon, je n'ai pas eu à me creuser la tête pour trouver des arguments, mais plutôt des contre-arguments. Dans notre pays, 17 millions de personnes n'ont ni immunité naturelle ni immunité vaccinale. Arnaud Fontanet nous alerte quant à la probabilité réelle que, dans les semaines à venir, nous connaissions une nouvelle vague et des dizaines de milliers d'hospitalisations, ce qui représente des milliers de covid longs, des centaines ou des milliers de morts et de nombreux lits de réanimations occupés. Que fait-on ? Plus d'« aller-vers » ? Nous avons parlé de l'« aller-vers » dès la commission d'enquête de 2020, mais cette stratégie est trop lente. Certes, des incertitudes perdurent, mais cela ne nous exonère en rien d'agir. L'obligation engendre de meilleurs taux de vaccination, c'est un outil qui s'est toujours avéré efficace.
Je suis évidemment pour la vaccination à l'échelle mondiale, mais cela n'est pas de notre ressort. Cependant, nous pourrions nous exprimer sur la levée des brevets, sur le dispositif Covax, qui est en faillite, et sur les engagements internationaux de la France.
En matière d'opérationnalité, voyez ce qui s'est passé en Nouvelle-Calédonie. Quand l'obligation a été décrétée, des populations kanakes, très dispersées, ont demandé des livraisons de vaccins dans des territoires reculés par les hélicoptères de l'armée. Les autorités ont agi. L'obligation vaccinale crée en miroir des obligations pour l'État, non dans le marbre de la loi, mais dans la pratique.
La vaccination obligatoire existe dans peu de pays, mais bien dans un territoire de la République, en Nouvelle-Calédonie. Cependant, elle s'étend dans de nombreux pays. L'obligation générale est très peu répandue, mais les obligations sectorielles sont de plus en plus nombreuses. En effet, une fois que les personnes volontaires sont vaccinées - c'était la bonne démarche - la population est rassurée et les enjeux de protection collective sont mieux compris. Va-t-on maintenir les restrictions de liberté et le passe sanitaire parce qu'une petite minorité hurle à la dictature sanitaire ?
La proportion d'antivax a été survalorisée. Au mois d'août, 61 % des Français étaient favorables à une vaccination obligatoire pour tous, contre 67 % en septembre. Les Français se sont fait vacciner, ils veulent donc que les dispositifs de restriction s'arrêtent.
M. Alain Duffourg. - À la fin de l'année 2020, après avoir entendu les scientifiques, ma position a évolué, et j'estime aujourd'hui que la vaccination est indispensable. Je suis pleinement favorable à la vaccination générale obligatoire. Les jeunes enfants sont bien vaccinés contre de nombreuses pathologies. Lors de mon service militaire, j'ai aussi reçu un grand nombre de vaccins, sans que l'on me demande mon avis.
Concernant la vaccination à l'échelle mondiale, la France, comme elle l'a fait en matière d'environnement, pourrait donner l'exemple.
M. Daniel Chasseing. - Je m'associe aux arguments de M. Jomier et je souhaite dire aux antivax combien le vaccin a été efficace : neuf personnes hospitalisées sur dix n'étaient pas vaccinées. Je remercie aussi les élus et les sapeurs-pompiers, qui ont tant fait pour que les populations des territoires isolés puissent être vaccinées.
Environ 72 % de la population est vaccinée, sachant que les jeunes le sont depuis peu. Environ 80 % des personnes de plus de 80 ans sont vaccinées ; celles qui ne le sont pas encore ne sont pas opposées à la vaccination, simplement, personne ne s'est rendu à leur domicile. Si nous n'allons pas vers elles, la vaccination obligatoire n'aura aucun effet.
Une reprise épidémique est certes possible avec l'arrivée de l'hiver. Cependant, comme le passe sanitaire a été efficace et que le rappel vaccinal est en cours, sans être opposé à cette proposition, le groupe les Indépendants - République et Territoires s'abstiendra.
Mme Nadia Sollogoub. - Je souhaite parler des contrôles. En cas de vaccination obligatoire, on installe des forces de police partout et l'on contrôle tout le monde à l'entrée des métros ? Les lacunes portent sur les moyens de contrôle. Le dispositif s'additionne-t-il au passe ? Voilà qui ne me semble pas opérationnel.
De plus, l'annonce de l'obligation rendra l'opposition des antivax et de la population encore plus grande. En matière d'« aller-vers », notamment auprès des jeunes, nous pouvons encore faire mieux. Dans sa majorité, le groupe Union Centriste sera opposé à cette proposition.
Mme Laurence Cohen. - Quoi que nous fassions, nous ne pourrons convaincre les antivax. Pour la tranche de population non vaccinée restante, la situation est beaucoup plus complexe. « Aller-vers » implique de se rendre auprès des personnes âgées à domicile, dans les déserts médicaux, car elles ne bénéficient pas de la vaccination. Dans ces conditions, introduire l'obligation vaccinale, d'autant plus avec des sanctions, me semble disproportionné. Concernant les mineurs, le Comité consultatif national d'éthique exprime des réticences : la balance bénéfices-risques ne plaide pas pour la vaccination obligatoire, mais pour une information éclairée et la promotion de la vaccination.
Enfin, les données sur l'efficacité du vaccin sont encore floues. Il est très difficile de demander une obligation vaccinale quand le vaccin reste entre les mains de grands laboratoires, qui font des profits colossaux. Envisageons la levée des brevets, sinon nous créerons une rente de milliards d'euros pour ces laboratoires. À la fin, c'est toujours le patient qui paie ! Enfin, le maillage territorial médical existant n'est pas propice à une telle vaccination.
Mes doutes sont nombreux ; ils ne plaident pas pour l'obligation vaccinale. Mon groupe va se réunir et je réserve donc mon vote.
Mme Corinne Féret. - Ce sujet mérite un véritable débat. Le passe sanitaire est une obligation indirecte qui ne dit pas son nom. Nous, nous faisons le choix de la transparence.
Il n'est pas trop tard aujourd'hui pour rendre la vaccination obligatoire, car la couverture vaccinale est insuffisante chez les plus vulnérables. S'ajoutent de fortes inégalités territoriales. Au rythme de vaccination actuel, qui a fortement diminué, nous n'atteindrions un taux de 90 % de vaccinés qu'en juillet 2022. Pouvons-nous nous permettre d'attendre aussi longtemps et de prendre le risque d'une nouvelle vague épidémique, de nouvelles hospitalisations et de nouveaux décès ?
Concernant le contrôle, il n'est pas question d'avoir des contrôleurs et l'armée à chaque coin de rue ! Nous sommes bien obligés d'avoir un permis de conduire, sans être contrôlés en permanence. Quant aux sanctions, elles ne seront pas forcément disproportionnées.
Soyons cohérents. La vaccination obligatoire existait au temps du service militaire, et elle existe aussi pour les plus petits - vous avez voté son extension en 2018. Il s'agit d'un choix politique de santé publique. L'argument budgétaire ne peut nous freiner. Il y va de la protection de nos concitoyens.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Merci à Bernard Jomier d'avoir engagé ce débat nécessaire, mais une question demeure : comment mettre en oeuvre l'obligation vaccinale ? Le passe sanitaire bute déjà sur un noyau de résistances, l'obligation n'améliorera pas les choses - en tout cas, je n'entends pas d'argument propre à me convaincre qu'elle y parviendra.
M. René-Paul Savary. - Favorable à l'obligation vaccinale en général, je suis plutôt convaincu par ceux qui la demandent contre la covid-19, même si je trouve également convaincants ceux qui y sont opposés pour des raisons pratiques. Cependant, quand la ceinture de sécurité a été rendue obligatoire, j'étais de ceux qui ronchonnaient devant ce que je regardais alors comme une entrave à ma liberté, puis la ceinture est entrée dans les moeurs et je m'y suis fait : la ceinture n'évite pas l'accident, mais sauve des vies, je pense que c'est comparable.
Nous avons ardemment voulu le vaccin et maintenant que nous l'avons, certains n'en veulent pas ; or il y va de la liberté de l'ensemble de la population : ceux qui refusent de se vacciner pénalisent ceux qui se sont vaccinés. Ensuite, le coût du dépistage est plus important que celui la vaccination, il faut y penser quand nous finançons le tout à crédit, sur les générations futures.
Par ailleurs, il ne suffit pas que la France se vaccine, ses voisins et la Terre entière doivent le faire, d'où l'importance de l'action européenne et internationale.
Où en est-on s'agissant des nouvelles thérapies ? Enfin, il faut maintenir les gestes barrières, on le voit avec la grippe qui fait 5 000 à 7 000 morts par an.
Je reste donc partagé : ni pour, ni contre, mais bien au contraire...
Mme Chantal Deseyne. - Vous parlez d'un taux de couverture de 73 %, alors que le Gouvernement avance 84 % : est-ce à dire que vous envisagez la vaccination des moins de 12 ans ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je n'ai pas de certitude sur certains points et je vois qu'on peut changer d'avis en avançant : d'une façon plus générale, cette crise nous a appris à gérer l'incertitude, et je crois que cela ne veut pas dire qu'on doive renoncer à prendre des décisions - c'est à quoi je m'attèle, pour trouver la voie la plus utile à la population.
Le passe sanitaire a été un bon outil, il relève d'une méthode de gouvernance connue, celle du nudge, ou du « coup de pouce » : l'autorité n'oblige pas, mais incite et « pousse » les citoyens à adopter un comportement, ici à se faire vacciner. Ce faisant, on pense éviter que les oppositions ne se cristallisent, ce qui n'est pas évident, et l'on euphémise la réalité, ce qui pose la question du respect des citoyens en démocratie - nous pourrions avoir ce débat philosophique. Quoi qu'il en soit, il reste le noyau dur, ceux qui ne voudront se faire vacciner à aucun prix : je ne sais pas de quel outil nous disposons pour les y forcer, je préfère prévoir une sanction et penser que, avec cette sanction, cette fraction de la population sera suffisamment faible pour qu'on atteigne l'immunité collective sans qu'elle se fasse vacciner.
S'agissant des vaccinations à domicile, il faut savoir qu'elles s'élèvent à peine à 15 000 par jour, c'est très peu, notre dispositif fonctionne mal. Avec l'obligation, j'escompte que l'action de l'État se modifie : il devra mettre en place un accès au vaccin, il aura une obligation de moyens - c'est la raison pour laquelle le président de la Seine-Saint-Denis réclame l'obligation. L'obligation vaccinale simplifie la vie pour l'administration du vaccin.
Sur le contrôle, ensuite, il faut se garder de toute démesure, en particulier celle consistant à dire que toute obligation devrait nécessairement être assortie d'un contrôle partout et tout le temps. Je suis pour un retour au droit commun, avec un contrôle a priori restreint à certaines circonstances, par exemple l'accès à des lieux très fréquentés, ou encore dans le train - un contrôle aléatoire, assorti de sanctions. Je crois que ce système suffirait, et j'ai du mal à comprendre l'argument consistant à dire qu'il faudrait absolument contrôler tout le monde tout le temps pour s'assurer que les gens se font vacciner, un tel contrôle ne fonctionnerait pas.
Je suis sensible à la diversité de situations pour nos concitoyens, je sais que l'obligation n'apparaîtra pas comme une solution pour ceux qui sont isolés et vivent dans des déserts médicaux. Cependant, l'obligation peut décider ceux qui ne se font pas vacciner aujourd'hui en se disant que si la vaccination n'est qu'une recommandation, c'est qu'elle n'est pas si nécessaire. Je n'en connais pas la proportion, mais je tiens compte de l'expérience avec les autres vaccins.
L'intérêt du vaccin est démontré quand sont établis son bénéfice collectif et son bénéfice individuel. Pour les mineurs de plus de 12 ans le bénéfice individuel et collectif est établi. Pour les plus jeunes, le bénéfice collectif est établi, puisque plus il y a de vaccinés, moins le virus circule ; reste à établir s'il y a un bénéfice individuel : Pfizer a demandé une autorisation pour les plus jeunes aux États-Unis et si les autorités la lui accordent, les enfants américains nous donneront le recul suffisant pour établir s'il y a, ou non, un intérêt individuel. En attendant, le mieux étant l'ennemi du bien, il n'est pas question d'abaisser l'obligation vaccinale en deçà de 12 ans, mieux vaut laisser le pouvoir réglementaire fixer l'âge de l'obligation, pour ajuster par la suite.
Est-on face à une alternative entre le passe sanitaire et l'obligation vaccinale ? La question est intéressante, la réponse dépend de l'analyse que l'on fait de la suite des événements. De mon côté, je crois que, avec à peine 30 000 primo-vaccinations par jour, nous sommes au bout de la dynamique vaccinale liée au passe sanitaire. Nous sommes parvenus mi-septembre à 50 millions de vaccinés, c'est bien, mais, pour aller plus loin, nous avons besoin de l'obligation vaccinale, c'est ce que montrent les situations où elle a été établie - voyez en Nouvelle-Calédonie, ou dans les professions médicales, le taux de vaccination s'établit désormais à 95 % chez les professionnels de santé en ville, et à plus de 90 % à l'hôpital, nous avons atteint ces niveaux avec la mise en place de l'obligation.
Sur le traitement, Jean-François Delfraissy m'a dit être très optimiste sur les thérapies ciblées, même si les anticorps monoclonaux n'ont visiblement qu'un effet partiel. Il est donc possible qu'arrive bientôt un traitement très efficace - mais actuellement, le meilleur traitement, c'est la vaccination !
Enfin, les gestes barrière restent décisifs, on le voit à travers l'effet pervers du passe sanitaire : les gens baissent la garde parce qu'ils ont leur passe, ce qui en annule les bénéfices, au risque d'une nouvelle vague épidémique...
Mme Catherine Deroche, présidente. - Le passe sanitaire est devenu obligatoire pour les plus de 12 ans au 30 septembre, on verra bientôt quel effet aura l'obligation sur les chiffres.
M. Martin Lévrier. - Et les tests ne seront plus remboursés au 15 octobre.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Les Français anticipent, je parie que, après le 15 octobre, nous n'enregistrerons qu'une vaguelette de vaccinations, rien de plus...
Mme Véronique Guillotin. - Je défends les vaccins et j'ai toujours été favorable à l'obligation vaccinale, mais cette obligation-ci arrive au mauvais moment, après une politique de passe sanitaire qui, même si elle montre ses limites, contribue à ce que 84 % des plus de 12 ans soient vaccinés. Nous ne sommes certes pas à l'abri d'une nouvelle vague épidémique, qui serait plus faible que les précédentes, car nous sommes davantage à être vaccinés, mais je crois que l'obligation vaccinale à ce niveau de couverture enverrait un mauvais signal à la population.
Ensuite, ce vaccin n'est pas comparable à celui contre la rougeole ou la polio, nous sommes en situation de crise et nous ne maîtrisons pas tout le schéma vaccinal. Quand le vaccin sera obligatoire, est-ce qu'on refusera de scolariser les enfants non vaccinés ? Je peux en être d'accord, mais il faut le dire.
Enfin, nous ne faisons pas la même analyse de la contrainte imposée par une telle obligation, elle introduit en réalité un passe vaccinal. Je reste donc attentive à la situation et ne gage pas l'avenir.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Le passe vaccinal n'est pas dans ce texte.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Non, ce n'est pas le bon véhicule. Au sein de la mission d'information, dès le mois d'avril, nous nous sommes déclarés favorables au passe vaccinal pour accéder aux événements culturels.
En réalité, si nous en étions restés à la souche originelle, l'immunité collective, qui était de 70 %, serait déjà derrière nous ; il nous faut désormais 90 % de vaccinés, comment va-t-on y parvenir, sachant qu'il n'y a plus grand monde à convaincre ? Sans changer d'outil, il nous faudra des mois pour y parvenir, c'est pourquoi je vous propose l'obligation pour maintenant - ou bien la prochaine vague, même faible, touchera quand même des dizaines de milliers de personnes qu'il nous faudra hospitaliser.
Lors de notre déplacement au Commissariat à l'énergie atomique, au printemps dernier, une chercheuse nous avait montré les atteintes de la covid-19 sur les cellules cérébrales : des cellules souches cérébrales peuvent être atteintes par des formes bénignes de la covid-19, provoquant des dégâts irréparables et des conséquences à moyen et long termes - je préfère la vaccination à une contamination suivie de troubles cognitifs...
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Bernard Jomier, rapporteur. - J'ai déjà défendu l'amendement COM-1.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission désigne Mme Frédérique Puissat rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 869 (2020-2021) en faveur de l'activité professionnelle indépendante.
La réunion est close à 11 h 45.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Rapport annuel de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale - Audition de MM. Pierre Moscovici, Premier président et Denis Morin, Président de la sixième chambre de la Cour des comptes
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons, cet après-midi, MM. Pierre Moscovici, Premier président, et Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, pour la présentation du rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, le « RALFSS ».
Ils sont accompagnés de Carine Camby, rapporteure générale de la Cour, Stéphane Seiller, rapporteur général du RALFSS, Thibault Perrin, rapporteur général adjoint du RALFSS, Guillaume de La Batut, chargé de mission, et Roma Beaufret, chargée de mission auprès du Premier président.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission en direct sur le site du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande.
Chaque année à pareille époque, la présentation du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, qui constitue l'une des traductions de la mission d'assistance de la Cour au Parlement prévue par l'article 47-2 de la Constitution, ouvre pour notre commission les travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année à venir.
Cette année encore, ce rendez-vous est marqué par l'ampleur des déficits et de la dette de la sécurité sociale auquel notre pays devra bien se confronter.
Mais cette année est aussi marquée par la révision engagée du cadre organique applicable aux lois de financement de la sécurité sociale. Nous partageons l'appréciation, formulée ô combien poliment, par le rapport selon laquelle « les lois de financement de la sécurité sociale pourraient apporter une contribution plus nette à la transparence des choix relatifs aux politiques et aux finances sociales et au rétablissement de la situation financière de la sécurité sociale ». Bien sûr, un cadre juridique ne produirait jamais d'effets en lui-même en l'absence de choix politiques, mais il peut effectivement contribuer à les éclairer.
De ce point de vue, nous sommes un peu dubitatifs quant à l'intérêt d'une loi d'approbation des comptes qui ne serait pas accompagnée d'éléments au moins aussi détaillés que le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale.
De la même manière, la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année à venir devrait s'accompagner d'une justification étayée des objectifs de dépenses proposés qui font actuellement défaut.
Enfin, les perspectives pluriannuelles nous semblent encore trop souvent déterminées sur le fondement d'hypothèses « conventionnelles » auxquelles il serait vain de consacrer des analyses très poussées. Vous nous ferez part des propositions de la Cour pour y remédier.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Merci infiniment de m'avoir invité à vous présenter le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, le RALFSS. C'est avec grand plaisir que je retrouve votre commission pour cet exercice annuel important.
Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, déposé cette semaine. J'ai présenté notre travail à la presse hier, car, comme vous le savez, c'est un rapport très attendu par nos concitoyens, ainsi qu'à l'Assemblée nationale ce matin.
Je profite donc de cette occasion pour vous faire part, comme je le fais souvent, de mon attachement profond à la mission d'assistance au Parlement que la Constitution a confiée à la Cour. Je sais l'importance que revêt le Parlement pour le contrôle démocratique. Cette mission est donc pour moi essentielle, non seulement parce que je conserve une sensibilité d'ancien parlementaire, mais aussi parce que mon rôle et mon devoir, comme Premier président de la Cour, sont de veiller à votre bonne information. J'attache donc à la relation privilégiée qui nous unit une attention toute particulière. Sachez donc que je suis à votre disposition.
Pour cet exercice, je suis accompagné de Denis Morin, président de la sixième chambre, Carine Camby, rapporteure générale de la Cour, Stéphane Seiller, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport et Thibault Perrin, son adjoint. Ils pourraient être amenés à intervenir pour répondre à vos questions. Je souhaite les remercier chaleureusement pour leur implication, ainsi que la vingtaine d'autres rapporteurs qui ont aussi contribué à ce travail approfondi.
Face à la gravité de la situation, nos transferts sociaux - c'est d'ailleurs une caractéristique partagée de notre pays et de ceux de l'Union européenne en général - ont joué et continuent à jouer un rôle essentiel pour amortir les conséquences de cette crise pour nos concitoyens. Ce point est important, car il nous rappelle la place qu'occupe la protection sociale dans notre pacte républicain, auquel la Cour est très attachée.
Toutefois, nous portons toujours le même message depuis l'année dernière et le porterons aussi longtemps qu'il sera nécessaire : pour sauvegarder notre système de sécurité sociale, un maillon essentiel de cohésion et de solidarité dans notre pays, nous devons progressivement, pour sortir de la situation exceptionnelle que nous connaissons, reconstruire une trajectoire de retour à l'équilibre des comptes sociaux.
Si, à court terme, la situation appelait à des mesures exceptionnelles, à moyen terme, il convient de penser aux générations futures.
Pour la deuxième année consécutive, 2021 est donc un exercice hors norme pour nos comptes sociaux. Les comptes de la sécurité sociale devraient rester en 2021 sur un haut niveau de déséquilibre, de près de 35 milliards d'euros. Le déficit 2021 serait le deuxième plus fort de l'histoire de la sécurité sociale, après 2020. Une telle situation est - c'est le rôle de la Cour de le rappeler - problématique. Rappelons qu'une branche maladie ou une branche retraite en déséquilibre, cela signifie que les dépenses de soins ou les pensions versées aujourd'hui devront être financées par nos enfants ou nos petits-enfants. Nous ne sommes pas obsédés par la dette en tant que telle, mais par ses conséquences sur le pacte intergénérationnel.
Je constate que les conditions du redressement des finances sociales restent à définir, notamment dans les domaines de la retraite et de la santé.
Ce rapport n'approfondit pas la question des réformes en matière de retraites, dont nous avons esquissé les perspectives dans notre rapport au Premier ministre. Nous savons que le débat public est ouvert et qu'il appellera nécessairement des décisions le moment venu. Une réforme est incontournable, selon nous. En revanche, nous soulignons la nécessité d'accélérer les réformes dans le domaine de la santé, et plus généralement dans l'ensemble de la gestion de notre système de sécurité sociale.
Il ne s'agit évidemment pas pour la Cour de méconnaître la situation exceptionnelle que le pays a traversée, et connaît encore à certains égards, même si les signaux de ces derniers mois sont positifs.
Mais, à travers ce rapport, la Cour souhaite remettre en perspective l'ampleur des déséquilibres, ouvrir des pistes pour contribuer progressivement à la maîtrise de l'évolution des dépenses d'assurance maladie et inviter à relancer les différents chantiers de modernisation qui ont été évidemment ralentis ou suspendus durant la crise sanitaire. Ce travail de réforme doit se poursuivre, en tenant compte des circonstances.
Je vais d'abord commencer rapidement par rappeler la situation financière actuelle de la sécurité sociale, au vu des dernières données disponibles communiquées par la commission des comptes de la sécurité sociale, en m'arrêtant en particulier sur les dépenses de l'assurance maladie.
Dans un contexte de reprise puissante de l'activité économique - une prévision de croissance de 6 % en 2021, jugée prudente par le Haut Conseil des finances publiques, et de 4 % en 2022 - et de recettes en fort redressement par rapport à 2020, avec une hausse de 31 milliards d'euros, les dépenses de la sécurité sociale, tirées par celles de la branche maladie, ont, elles aussi, continué à croître fortement en 2021 par rapport à 2020, avec une progression de 27 milliards d'euros. C'est la situation de la branche maladie qui est la plus problématique : en 2021, pour 1 000 euros dépensés, 130 euros sont financés par de nouvelles dettes à la charge des générations futures. Comment l'expliquer ?
Cela résulte certes des mesures exceptionnelles de tests de dépistage de covid et de vaccination, ainsi que d'une croissance plus forte que prévu des dépenses de médicaments. Mais il faut aussi prendre en compte le poids des mesures de revalorisation salariale et d'investissement décidées lors du Ségur de la santé. Ces mesures pèseront en 2022, représentant près de 40 % des dépenses supplémentaires, et alourdiront durablement les charges de l'assurance maladie.
La crise sanitaire a entraîné une perte
définitive de recettes sociales et explique
- mais seulement en
partie - le surcroît de dépenses maladie, remettant ainsi en
cause les conditions d'équilibre des comptes de la
sécurité sociale. Il y a un enjeu fort, pour l'avenir de la
sécurité sociale, à reprendre en main l'évolution
des dépenses de l'assurance maladie et à mettre en oeuvre de
nouveaux modes de régulation. Sur ce sujet central et dans le
prolongement de multiples travaux antérieurs de la Cour, nous estimons
que la régulation mise en oeuvre ne s'est pas suffisamment
accompagnée d'une réorganisation du système de soins.
Pour l'avenir, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) doit être davantage inscrit dans une trajectoire pluriannuelle, documentée beaucoup plus rigoureusement que par le passé. Et surtout, cette trajectoire doit être directement liée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, aux orientations de la stratégie nationale de santé. Ses objectifs apparaissent justifiés à la Cour, comme elle a déjà eu l'occasion de l'indiquer dans le passé : il s'agit de favoriser la pertinence et la qualité des prises en charge, notamment par des soins gradués en fonction des besoins des patients, de donner accès à tous à des soins de premier niveau et de faciliter le lien ville-hôpital. En revanche, nous relevons à nouveau que cette stratégie n'a été accompagnée d'aucun cadrage financier.
Il faut mettre en oeuvre une vraie stratégie de transformation en profondeur du système de santé, en lien avec la trajectoire de maîtrise des dépenses, en utilisant tous les leviers disponibles. J'en citerai quelques-uns : pour les professionnels libéraux, des incitations renouvelées doivent être trouvées à travers la rémunération sur objectifs de santé publique ; pour les établissements de santé, une logique analogue devrait être poursuivie en s'appuyant sur le dispositif d'incitation financière à l'amélioration de la qualité, notion fondamentale ; de son côté, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) devrait accélérer la rénovation de ses outils de gestion du risque ; l'actualisation de la nomenclature des actes de santé, qui conditionne leur niveau de prise en charge, devrait également aller plus vite, sous l'égide du Haut Conseil des nomenclatures ; enfin, dans les régions et les territoires, des marges de manoeuvre et des leviers d'action plus grands doivent être confiés aux agences régionales de santé (ARS), afin de faciliter les réallocations, entre offreurs de soins, de ressources inégalement réparties aujourd'hui, et de tenir davantage compte des réalités et de la diversité de nos territoires.
Il reste que l'effet de ces progrès indispensables dans le domaine de la santé, tout comme l'impact des mesures, attendues, de rétablissement de l'équilibre des comptes de l'assurance vieillesse, ne sera que progressif. Pour les prochaines années, la dette sociale va continuer à croître.
L'ampleur des déficits en 2020 et 2021 des branches du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) est telle que le plafond de 92 milliards d'euros de reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ne paraît pas en mesure de couvrir la totalité du déficit de 2022 ni, a fortiori, un déficit en 2023. Au-delà, une grande incertitude existe sur l'évolution des soldes de la sécurité sociale et, corrélativement, de la dette sociale.
Voilà pourquoi la Cour dit clairement qu'une grande vigilance doit être de mise. La réforme, en cours d'examen par le Parlement, des modalités de discussion des lois de financement de la sécurité sociale, permettra, en tout cas je l'espère, de disposer de plus de temps pour débattre de la performance de notre système de sécurité sociale au regard des ressources qui lui sont affectées. Cette réforme permettrait de distinguer la discussion sur les comptes de l'exercice clos de celle relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année qui suit. La sécurité sociale participerait alors au « printemps de l'évaluation », dont l'Assemblée nationale a souhaité à juste titre la mise en place. La Cour ne peut qu'y être favorable.
Mais, si cet objectif d'évaluation est indispensable, nous proposons d'aller plus loin pour mieux encadrer l'évolution de nos finances sociales.
Le rapport propose ainsi de compléter le cadre posé par les lois de financement de la sécurité sociale, par quatre leviers : l'obligation pour le Gouvernement de déposer une loi rectificative si les prévisions initiales sont bouleversées, comme pour le budget de l'État ; l'extension du champ des dépenses encadrées par la loi de financement à celles des retraites complémentaires et d'assurance chômage ; l'explicitation des écarts entre l'exécution et les normes fixées en lois de programmation des finances publiques - s'il est compréhensible que la LFSS soit vite devenue obsolète avec la crise, une telle situation ne peut être que provisoire - ; et enfin, la définition impérative d'une trajectoire de retour à l'équilibre pour toute nouvelle reprise de dette sociale portant sur des prévisions de résultats futurs. Cela n'a pas été le cas l'an dernier, le Parlement s'étant vu proposer d'autoriser la reprise par la Cades des déficits prévisionnels sur la période 2020-2023 à hauteur de 92 milliards sans visibilité sur les conditions de retour à l'équilibre.
J'en viens maintenant aux problématiques de la sortie de crise dans les domaines des affaires sociales et de la santé. Le rapport illustre cette problématique à travers trois exemples.
Le premier concerne le fonctionnement des organismes de sécurité sociale, qui ont été mis à l'épreuve par la crise sanitaire. Ils n'étaient pas préparés à faire face aux conséquences d'une telle crise. Mais ils ont pu préserver l'essentiel pour nos concitoyens : éviter toute rupture dans le service des prestations. C'était encore plus nécessaire en période de crise. Saluons cette réussite.
Cependant, l'objectif de continuité a été en partie atteint au prix d'une grande simplification des procédures de gestion, de dérogations et par la levée ou l'allégement des contrôles.
La Cour a mesuré au printemps dernier, dans le cadre de ses travaux de certification, l'impact de ces mesures exceptionnelles sur la fiabilité des comptes. Elle a exprimé 22 réserves, un nombre sensiblement plus élevé que les années précédentes, sur les comptes présentés par les branches du régime général. Ainsi, la Cour s'est vue dans l'impossibilité de certifier les comptes de l'activité de recouvrement. En effet, la priorité a été donnée à la survie économique des entreprises, confrontées pour certaines, dans de nombreux secteurs, à l'arrêt ou à la chute brutale de leur activité. Mais cela a généré des niveaux de restes à recouvrer jamais observés par le passé. Les arriérés de cotisations ont été multipliés par cinq en un an.
La normalisation des procédures de gestion des prestations et du recouvrement des prélèvements est désormais le principal enjeu des organismes de sécurité sociale.
Le deuxième exemple est celui de la télésanté. Le nombre de téléconsultations a explosé durant la crise. On est passé de 140 000 téléconsultations en 2019 à 18,4 millions en 2020 ! Elles ont été un palliatif très utile durant les deux confinements.
La Cour estime toutefois qu'il est nécessaire de mettre fin à la prise en charge dérogatoire à 100 %, qui perdure encore aujourd'hui, et ce jusqu'au 1er janvier 2022, au détriment de la sécurité sociale et à l'avantage des organismes complémentaires d'assurance maladie. Plus largement, la Cour considère qu'il n'y a pas d'intérêt à favoriser la multiplication de téléconsultations, qui se substituent surtout au mode de recours traditionnel à la médecine de ville, alors qu'elles présentent un coût supérieur pour l'assurance maladie, et qu'elles reposent assez largement sur des outils encore faiblement sécurisés.
En revanche, la Cour considère que la télémédecine peut contribuer à la transformation du système de santé de façon positive pour faciliter l'accès aux soins dans des zones faiblement pourvues en médecins, et renforcer la coordination des professionnels de santé, dans des logiques de parcours de soins.
La troisième illustration porte sur les dépenses de biologie médicale et la régulation de ce secteur. En raison de la crise, les mécanismes de régulation des dépenses de biologie ont été suspendus de fait. En temps ordinaire, il s'agit d'accords prix-volume, qui consistent à fixer une norme d'évolution annuelle des dépenses et à diminuer les tarifs de certains actes, si les volumes sont trop dynamiques. Ce n'est qu'au printemps 2021 que des baisses de tarifs, qui auraient dû être mises en oeuvre début 2020, ont été pratiquées. Vous voyez le retard généré.
Or, du fait du financement par l'assurance maladie des tests de dépistage de la covid-19, pris en charge à 100 % sans prescription médicale - nous savons que les choses vont changer à compter de la mi-octobre -, les dépenses de biologie, c'est-à-dire le chiffre d'affaires des laboratoires d'analyse médicale, ont considérablement augmenté en 2020 et 2021. Elles devraient, cette année, être deux fois supérieures à leur niveau de 2019. L'analyse faite par la Cour est qu'en France les tarifs de remboursement des tests RT-PCR ont été fixés à un niveau plus élevé que dans les pays européens voisins. Par exemple, si ces tarifs avaient d'emblée été fixés aux niveaux constatés en Allemagne ou en Belgique, une économie de l'ordre de 800 millions d'euros aurait pu être réalisée. À ce titre, la Cour souligne que la régulation administrative de ce secteur doit être améliorée, qu'il s'agisse de la connaissance de l'offre, de la rentabilité des laboratoires privés ou de la prise en charge de l'innovation.
Ainsi, alors que les impacts sur le système hospitalier des vagues épidémiques semblent désormais progressivement maîtrisés grâce à l'effort de vaccination, la Cour souligne, à travers ces trois exemples, qu'il n'y a plus lieu de prolonger l'usage des dispositifs dérogatoires, utilisés aux moments les plus critiques de la crise sanitaire.
Pour autant, il ne s'agit pas simplement dans notre esprit de revenir à la normale et aux routines de gestion : la sortie de crise doit être l'occasion de relancer ou d'intensifier les réformes dont notre système de sécurité sociale a besoin. La Cour illustre cette nécessité par quatre pistes.
La première porte sur les chantiers de réforme du financement des établissements de santé, pour les soins de suite et de réadaptation et les soins psychiatriques, et du financement des établissements et services médico-sociaux, en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes en situation de handicap. La Cour constate que ces chantiers ont pris beaucoup de retard, sans que la crise ait d'ailleurs joué un rôle déterminant dans ces ralentissements : le chantier de réforme du financement des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a été engagé il y a plus de dix ans, celui du financement des soins psychiatriques et des soins de suite et de réadaptation, il y a plus de vingt ans... Ça ne date pas d'hier.
Ces réformes doivent pourtant être menées à bien, au risque sinon de ne pas répondre aux besoins de la population de soins aux personnes mieux coordonnés entre professionnels de santé.
L'objectif est de favoriser la gradation des soins en fonction des besoins individuels, ainsi que le développement de soins plus inclusifs, notamment pour les personnes âgées ou en situation de handicap, et l'on sait combien le sujet de leur traitement a été critique et délicat durant la crise. Il faut aussi faciliter le maintien au domicile ou l'accès à l'emploi et au travail. C'est urgent, parce que la France perd du terrain par rapport au reste de l'OCDE : nos dépenses de soins de longue durée en établissement augmentent de 2,6 %, alors qu'elles baissent en moyenne de 4,6 % dans les pays de l'OCDE où la prise en charge à domicile se développe.
Une deuxième illustration concerne la dématérialisation des prescriptions médicales. Dématérialiser les prescriptions, c'est progresser sur la sécurité et la pertinence des soins, la réduction des coûts de gestion et la prévention des fraudes, en supprimant les fausses prescriptions. Or, la France est en retard par rapport à de nombreux pays : l'Italie, la Belgique et le Royaume-Uni notamment. Dans notre pays, la majorité des prescriptions de médicaments ne sont pas dématérialisées.
Des textes ont été pris avec l'objectif ambitieux de parvenir à la dématérialisation complète des prescriptions de médicaments en 2024. Toutefois, les arrêts de travail prescrits par un praticien hospitalier ne sont pas soumis à l'obligation de dématérialisation. Les systèmes d'information hospitaliers ne sont pas non plus raccordés aux téléservices de prescriptions gérés par l'assurance maladie.
Un troisième exemple se fonde sur une enquête conduite sur la gestion des accidents de travail et des maladies professionnelles (AT-MP). Il y aurait beaucoup à en dire. Notamment sur la reconnaissance qui est faite en France des troubles musculo-squelettiques, les TMS, qui représentent en effet plus de 80 % des maladies professionnelles reconnues dans notre pays. En raison du principe de présomption de reconnaissance, ces dernières sont trois fois plus nombreuses en France qu'en Allemagne.
Mais j'insisterai surtout sur un aspect, qui concerne la branche accidents du travail et arrêts maladie, et également la branche maladie. C'est la dynamique des arrêts de travail. En pratique, la progression des dépenses d'arrêt de travail nécessite d'agir sur les causes des arrêts longs, en favorisant et en accompagnant le retour au travail. En effet, le salarié qui voit son arrêt de travail se prolonger court le risque, progressivement, d'éprouver de grandes difficultés à retrouver son travail, voire un autre travail. Il est prioritaire d'engager, à grande échelle, des programmes d'action coordonnés pour détecter précocement les personnes en risque de désinsertion, et pour les accompagner vers la reprise de travail, grâce à des adaptations de poste le cas échéant, à l'aménagement des espaces de travail et à des formations, voire à des reconversions professionnelles.
Enfin, j'évoquerai deux derniers exemples, choisis parmi les nombreux dispositifs de protection sociale existants : il s'agit de l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (l'ASPA), communément appelée le minimum vieillesse, qui représente 3,9 milliards d'euros en 2020, et l'allocation de rentrée scolaire, soit 2,6 milliards d'euros en 2020, en raison d'une revalorisation exceptionnelle.
L'ASPA est une allocation efficace, puisque le taux de pauvreté des personnes de plus de 65 ans est au plus bas comparé aux autres grands pays européens. Notre analyse nous porte à penser que la priorité pour l'ASPA devrait être de simplifier les règles d'attribution, très complexes, pour réduire les causes d'erreurs et de fraudes, mais également de faciliter l'information du public sur cette allocation, caractérisée par un taux de non-recours élevé, c'est-à-dire par une proportion importante de personnes qui ne font pas valoir leurs droits.
L'allocation de rentrée scolaire est la deuxième prestation familiale en nombre de bénéficiaires. Alors que, comme chaque année, la question de sa transformation en bons d'achat a alimenté l'actualité, il nous semble qu'elle pourrait être recentrée sur les familles aux revenus les moins élevés, et surtout modulée pour mieux tenir compte des coûts de scolarité qui augmentent avec l'âge des enfants. Cet ajustement pourrait être gagé par la suppression de la réduction d'impôts pour frais de scolarité, qui profite aux seuls ménages imposables.
Pour conclure, je voudrais à nouveau insister sur le message principal : au moment où la crise sanitaire semble maîtrisée et où l'économie repart avec une exceptionnelle vigueur, il est impératif de remettre rapidement la sécurité sociale sur un chemin d'équilibre financier durable et de maîtriser la dette sociale. La crise a illustré la résilience de nos systèmes publics de solidarité. Elle a aussi ouvert des perspectives nouvelles, par exemple en matière de numérique. Les acteurs du système de santé ont montré une exceptionnelle capacité d'adaptation. Tous ces éléments me rendent très confiant en vue de la nécessaire transformation de notre système de sécurité sociale. Plus elles seront différées, plus les réformes seront difficiles. Enfin, si elles ne sont pas engagées fermement et rapidement, alors il est à craindre que le seul moyen qui restera pour réduire les déficits soit non plus de gagner en efficience, mais de réduire les droits. Le rapport de la Cour ne propose pas cela, ce n'est pas un rapport d'austérité, c'est un rapport de transformation.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je remercie la Cour des comptes pour ses analyses, qui permettent d'apporter un éclairage pertinent sur la gestion de l'exercice écoulé et de l'année en cours à l'heure où nous allons devoir nous prononcer sur le PLFSS pour 2022.
Votre rapport montre l'ampleur du choc financier que la crise épidémique de covid-19 a représenté pour la sécurité sociale, ainsi que son empreinte durable sur les comptes sociaux. Si, dans un premier temps, ce choc était surtout un choc de recettes, il risque de devenir à l'avenir, de manière structurelle, un choc de dépenses, notamment du fait des dépenses pérennes du Ségur de la santé.
Dès lors, convient-il, selon la Cour, d'acter que ce niveau élevé de dépenses correspond à une demande sociale qui nécessitera à terme une adaptation du niveau des prélèvements obligatoires (PO) consacrés à la sécurité sociale ? Ou, à l'inverse, préconisez-vous, à terme, le retour d'une régulation assumée du niveau de dépenses ?
S'agissant des recettes, votre rapport indique que, compte tenu de la forte récession de l'année dernière et malgré le rebond anticipé en 2021 et 2002, les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) dans leur ensemble devraient enregistrer une perte de l'ordre de 10 milliards d'euros à l'horizon 2025. Pourtant, si l'on compare la trajectoire quadriennale qui figure dans l'avant-projet de loi de financement à la dernière LFSS d'avant-crise, la LFSS pour 2020, la prévision de recettes de l'année 2023 est désormais meilleure que celle anticipée pour cette même année 2023 il y a deux ans. Y a-t-il une explication à cette divergence d'analyse ou bien s'agit-il de remettre en cause le caractère réaliste de la prévision quadriennale ?
Même avec ce niveau de recettes optimiste, la trajectoire quadriennale fait apparaître d'importants déficits jusqu'en 2025, stabilisés à environ 15 milliards d'euros. Dès lors, considérez-vous que l'objectif d'extinction de la dette sociale en 2033 reste réaliste ? Comment analysez-vous la différence de traitement entre la « dette covid » de l'État, que celui-ci souhaite amortir à très long terme, et celle de la sécurité sociale, qui devrait être amortie beaucoup plus rapidement ?
Enfin, en matière de gouvernance, je note avec intérêt que les propositions de la Cour des comptes rejoignent en grande partie celles qu'a défendues le Sénat, et en particulier notre commission, lors du récent examen de la proposition de loi organique relative aux LFSS, ce dont je me félicite. J'en profite néanmoins pour vous interroger sur les mesures qui vous concernent au sein de ce texte : dépôt du RALFSS conjointement au projet de loi d'approbation des comptes, donc au printemps ; remises des enquêtes dans un délai de huit mois ; et, dans le cadre de la « règle d'or », avis du Haut Conseil des finances publiques sur la trajectoire financière quadriennale du PLFSS.
M. Pierre Moscovici. - Vous m'interrogez sur la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise dans le domaine de la protection sociale. Vous connaissez la situation : une dette publique de 115 % du PIB, en augmentation ; un taux de dépenses publiques par rapport au PIB de 2 points supérieur à ce qu'il était avant la crise et proche de 58 % ; et le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l'Union européenne.
Nous recommandons d'éviter une hausse nette des prélèvements obligatoires, dont le risque serait de pénaliser la croissance à moyen terme et de se heurter aux limites du consentement à l'impôt par les Français. Il n'y a pas d'autre choix, comme je l'ai écrit dans le rapport que j'ai remis au Président de la République et au Premier ministre le 15 juin, que d'emprunter la voie d'une régulation assumée des dépenses, avec un effort particulier en matière de dépenses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse. L'enjeu principal, c'est de prévenir la constitution de nouvelles dettes sociales, en réduisant les déficits de la sécurité sociale pour les ramener graduellement à l'équilibre. Cela n'est nullement impossible. Je rappelle qu'en 2019, avant la crise sanitaire, la sécurité sociale était pratiquement à l'équilibre, avec un déficit inférieur à 2 milliards d'euros.
Vous m'interrogez aussi sur la pertinence des prévisions quadriennales de recettes pour les lois de financement de la sécurité sociale, le montant prévu aujourd'hui pour 2023 étant supérieur de 6,7 milliards d'euros à celui qui avait été prévu fin 2019. Nous savons tous que la prévision en matière de recettes fiscales et sociales est assez difficile. Une partie de l'écart observé dans la prévision faite aujourd'hui est ainsi lié au surcroît de recettes constatées en 2020 au titre de 2019 ; ensuite les prévisions pour 2023 de la LFSS pour 2022 intègrent les ex-ressources propres de la CNSA, qui ne figuraient pas dans la prévision pour 2023 de la LFSS 2020, ce qui représente environ 6 milliards d'euros.
Pour ce qui concerne l'objectif d'extinction de la dette sociale, des décisions seront à prendre. La Cour constate que l'ampleur des déficits sur la période 2020-2023 sera telle que le plafond de reprise de dette par la Cades de 92 milliards d'euros, prévu par la loi du 7 août 2020, ne suffira pas, en l'état actuel des prévisions, à couvrir le déficit 2023. Au-delà de 2023, les déficits prévisionnels devraient s'élever entre 10 et 15 milliards d'euros chaque année et aucune trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale n'est définie pour l'instant.
L'accumulation des déficits compromet donc la possibilité de mettre un terme à la Cades à la fin de l'année 2033, comme cela avait été prévu par la loi du 7 août 2020, et une nouvelle reprise de dette sera probablement à envisager.
Nous pensons que le cantonnement de la dette « covid » ne constitue pas une solution de maîtrise de la trajectoire de la dette des administrations publiques. L'enjeu est celui de la soutenabilité des finances publiques, c'est un enjeu de souveraineté. Le champ des dépenses sociales ne doit pas être mis à l'écart des efforts qui seront inévitables : si l'on regarde les efforts déjà réalisés dans le passé, notamment au cours de la dernière décennie, nous pensons que l'effort à faire pour remettre ces régimes d'assurance maladie et de retraite sur une trajectoire d'équilibre n'est pas inatteignable.
Enfin, en réponse à votre dernière question, madame la rapporteure générale, je considère que plusieurs des dispositions que vous venez de citer constitueront des progrès utiles. Je veux évoquer d'abord le dépôt du RALFSS conjointement au projet de loi d'approbation des comptes au printemps ; cela ne devrait pas nous dispenser toutefois de publier un deuxième fascicule d'actualisation au moment du PLFSS, comme nous le faisons pour les finances publiques locales.
La remise dans un délai de huit mois des enquêtes conduites par la Cour à la demande du Parlement est aussi une mesure positive.
Il est aussi utile que l'avis du Haut Conseil des finances publiques puisse porter sur la trajectoire financière quadriennale du PLFSS. Le développement de cette institution budgétaire indépendante, l'extension de son mandat pour en faire une institution comparable à ce qu'elle est dans la plupart des pays de l'Union européenne et de l'OCDE me semblent une nécessité. Voilà un message que j'ai aussi porté auprès de votre commission des finances, avec un succès limité... C'est pourtant l'intérêt du Parlement que de disposer d'un tiers de confiance indépendant tel que le Haut Conseil, institution comparable à nulle autre dans le paysage de l'expertise économique en France.
Toutefois, si le projet de loi d'approbation est déposé avant la fin du mois de mai, il serait indispensable que la Cour reçoive beaucoup plus tôt qu'aujourd'hui les éléments nécessaires pour rendre ses avis sur les tableaux d'équilibre et le tableau patrimonial de la sécurité sociale. La marche est importante, car, en 2021, les éléments définitifs ont été reçus fin août...
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Je retiens de votre rapport, lu avec attention, plusieurs constats préoccupants sur les dépenses sociales et en particulier sur les comptes de l'assurance maladie. Certains sont désarmants, comme l'impact de la gestion de la crise sanitaire sur les finances de l'assurance maladie.
La biologie médicale a contribué, par des baisses de prix précédemment, à contenir l'évolution des dépenses. Mais la tarification nous interpelle. Certes, on peut aisément comprendre qu'à l'occasion de la crise, pour que les laboratoires puissent investir et répondre à la demande massive de tests de dépistage de la covid, des tarifs élevés aient été pratiqués en phase d'amorçage. Les laboratoires ont été au rendez-vous et ont relevé le défi. Mais les coûts ont été vite amortis et les tarifs n'ont été ajustés que très tardivement. Selon votre rapport, 800 millions d'euros auraient pu être économisés par une révision six mois plus tôt du tarif pratiqué. Comment justifier d'avoir laissé filer une telle dépense ?
J'étais défavorable au remboursement à 100 % de la téléconsultation. Certes, le nombre de téléconsultations a augmenté, et elles ont permis la prise en charge de nombreux patients. Mais avec quel est surcoût de dépenses pour la branche maladie ? Selon mon estimation, avec les 800 millions d'euros des laboratoires, on ne serait pas très loin du milliard d'euros de surcoût. Me confirmez-vous ce chiffre ? Imaginez ce qu'on aurait pu faire avec une telle somme...
La Cour a dénoncé des tuyaux de financement peu orthodoxes dans un récent rapport dédié à la gestion de la crise, comme le recours à des fonds de concours de l'assurance maladie pour financer des dépenses de l'État. Nous ne pouvons que constater, a posteriori, un dévoiement manifeste des règles budgétaires. Non seulement l'État ne compense pas les dépenses exceptionnelles de Santé publique France assumées par la CNAM, mais il fait financer certaines dépenses par la sécurité sociale. C'est révélateur d'une situation de fait : l'État n'assume pas que la CNAM soit devenue son opérateur dans le champ de la santé ; si cela peut s'entendre, il faut le clarifier, particulièrement en matière financière.
Je retiens également les lacunes en matière de déploiement de la dématérialisation des prescriptions d'actes et de médicaments, et les points de vigilance concernant le développement de la télésanté, qui doit avant tout être un complément pertinent de l'offre actuelle, particulièrement dans les zones sous-dotées ou pour mieux coordonner les professionnels de santé. La qualité est une notion fondamentale. La télésanté ne doit pas se développer au détriment de la qualité de la prise en charge des patients.
Quid de l'avenir de notre sécurité sociale, puisque ce PLFSS nous montre une trajectoire plus que dégradée ? Le déficit de l'assurance maladie demeurerait à des niveaux durablement élevés et ne serait pas résorbé avant au moins dix ans : comment assurer la pérennité de notre système ? Quelles marges d'efficience pourraient-être utilisées afin de rétablir l'équilibre de la branche et retrouver ce fameux chemin que vous espérez, sans obérer la qualité des soins des Français ? Vous évoquez plusieurs pistes sur la biologie médicale ou des parcours de soins, mais comment réellement accélérer les transformations nécessaires ?
Notre commission vous rejoint sur le pilotage, comme nous avons pu le démontrer lors du récent examen de la proposition de loi organique sur les lois de financement de la Sécurité sociale.
M.
René-Paul Savary, rapporteur pour la branche
vieillesse, président de la Mecss. - Au Sénat, nous
ne nous limitons pas au printemps de l'évaluation, mais nous pratiquons
l'annualité de l'évaluation par la Mission d'évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale
(Mecss)... Je partage les remarques de Corinne Imbert
- notre
commission les avait également formulées. Il faut mettre en
oeuvre une stratégie de santé avec un accompagnement financier,
et un Ondam pluriannuel. Des Ondam régionaux permettraient d'avoir plus
de marges de manoeuvre localement.
Vous n'avez pas répondu sur la règle d'or, que nous avions proposée pour redresser la trajectoire sans retarder l'application de mesures draconiennes. Plus nous tardons, plus ces mesures seront difficiles à appliquer - on le voit pour les retraites...
Pourriez-vous me confirmer que la baisse des recettes de la
branche vieillesse
- moins 3,5 % en 2020 - est moindre que
celles des autres branches ?
Quel est l'impact de l'augmentation de 9 % des décès en 2020 sur les comptes de la branche ?
Enfin, pourriez-vous nous préciser à combien se chiffrent les erreurs de liquidation de l'ASPA sur les comptes des régimes et les conséquences de ces erreurs pour les bénéficiaires ?
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Votre expression de « nouvelle donne » est juste. Durant la crise, on a dépensé des moyens supplémentaires sans faire attention à la régulation et aux réformes structurelles. Cela a-t-il créé des écarts, notamment entre les secteurs public et privé ?
La branche famille est la seule branche excédentaire. L'allocation de rentrée scolaire est attribuée aux parents de jeunes de 6 à 18 ans, sous condition de ressources. Selon vous, elle n'est pas assez différenciée alors que les besoins diffèrent selon l'âge de l'enfant. Comment son montant pourrait-il être modulé tout en tenant compte des autres aides du foyer, et notamment celles attribuées par les collectivités locales ?
La gestion de cette allocation est simple et automatisée. Il y a peu de créances ou d'indus frauduleux, au regard des autres prestations familiales. Cette simplicité de gestion tient-elle aux caractéristiques propres de l'allocation de rentrée scolaire ? Ne serait-il pas pertinent d'étendre ses modalités de gestion à d'autres prestations ?
M. Pierre Moscovici. - Madame Imbert, le contrôle de l'évolution de l'Ondam après la crise se posera de manière aiguë, compte tenu de l'ampleur des déficits prévisibles. Mais cette question était déjà présente avant la crise. L'an dernier, nous avions souligné à la fois la nécessité de l'encadrement global des dépenses sous la forme de l'Ondam et le caractère insuffisant de cet encadrement. Nous avions regretté l'absence de lien avec des objectifs de réformes plus structurelles. Des marges existent pour concilier qualité des soins et maîtrise des coûts. Nous n'avons pas une réflexion uniquement portée sur la dépense sèche ou sur le système.
Progressivement, des marges pourront être dégagées, d'où notre recommandation d'inscrire l'Ondam dans une trajectoire pluriannuelle finement documentée, en lien avec la stratégie de santé. Il faudra justifier les révisions de sa trajectoire.
Je suis d'accord sur votre estimation du surcoût de 200 millions d'euros engendré par le remboursement à 100 % des téléconsultations. Avec une baisse plus précoce des prix de remboursement des tests, on aurait gagné environ un milliard d'euros.
Effectivement, pour les dépenses que vous avez évoquées, il aurait fallu des crédits d'État et non un fonds de concours financé par Santé publique France. Ce n'est pas de la plus belle orthodoxie ni du meilleur effet.
Monsieur Savary, les cotisations de la branche vieillesse du régime général ont reculé de 6 %, mais ses recettes ont été soutenues par un effet de périmètre : la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) a bénéficié d'un supplément de taxe sur les salaires ; deux de ses principales recettes, le forfait social et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), dépendent du résultat et du chiffre d'affaires des entreprises, non affectés en 2020 par la crise économique. L'effet de la crise est visible en revanche en 2021. En 2005, à l'occasion de l'adossement du régime de retraite des industries électriques et gazières au régime général, une soulte globale de 7,65 milliards d'euros a été versée par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) au fonds de réserve des retraites. Cette soulte avait été partagée en deux fractions ; la première, de 60 %, donne lieu à un versement annuel à la CNAV de 0,3 milliard d'euros jusqu'en 2024 et la deuxième, soit 40 %, devait donner lieu à compter de 2020 à des versements à la CNAV. C'est cette deuxième fraction, de 5 milliards d'euros, qui a été pour l'essentiel versée à la CNAV pour faire face aux besoins de trésorerie de la branche retraite du régime général. L'utilisation d'une réserve en période de crise ne me paraît pas sortir de l'objectif du dispositif.
Il me manque des éléments pour répondre à votre interrogation sur les effets de la surmortalité de la covid-19 sur la branche retraite. Selon le dernier rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites (COR) de juin, l'espérance de vie à 60 ans serait réduite de sept mois - c'est très important. Mais le COR n'a pas fait de chiffrage sur l'impact financier en matière de dépenses de retraites. Le seul chiffrage disponible reste celui de la CNAV en juin 2020, après la première vague épidémique, qui avait provoqué 21 000 décès supplémentaires - nous en sommes à près de 120 000. La CNAV avait calculé que ces décès entraîneraient une baisse des prestations de 106 millions d'euros, mais on ne peut pas pour autant en déduire un effet multiplicateur automatique. Il faudra donc attendre d'avoir des données un peu plus précises.
Vous vous inquiétez à juste titre du nombre d'erreurs et de fraudes causées par les règles complexes du minimum vieillesse. La Cour constate, à travers ses travaux de certification des comptes, l'incomplétude persistante du système de contrôle interne de la CNAV, qui ne fournit pas actuellement d'évaluation fiable tant de l'incidence des erreurs de liquidation à l'égard des allocataires que des montants estimés de la fraude. Outre le renforcement des contrôles, la Cour insiste sur la nécessaire simplification des dispositifs dans les processus de gestion, dans les modalités de vérification des conditions de résidence en France, et dans la réglementation, par exemple l'alignement de l'assiette des ressources sur l'assiette fiscale. Vous trouverez le détail dans le chapitre 10 du rapport annuel.
Monsieur Henno, il y a une nouvelle donne, mais je ne dispose cependant pas de données sur l'écart entre le secteur public et le secteur privé. Des réformes sont possibles et nécessaires ; il y a des marges d'efficience et de performance, au moins à égalité de résultat en termes de justice sociale, dans notre système de sécurité sociale comme dans l'ensemble de notre système public. Une fois la crise passée, il faut reprendre les transformations, soit en reprenant parfois un fil qui a été interrompu - comme la réforme des Ehpad - soit en tenant compte d'éléments nouveaux comme le numérique et la télésanté, phénomènes de société qu'il faut orienter et canaliser.
Sur les aides à la scolarité, outre l'allocation de rentrée scolaire, l'État apporte des bourses pour les collégiens et les lycéens et une réduction de l'impôt sur le revenu pour les frais de scolarité dans le secondaire. L'ensemble des aides de l'État dépasse un milliard d'euros. Les collectivités locales, de manière facultative, attribuent des aides à la scolarité, pour plus de 800 millions d'euros en 2020. Plutôt que de moduler l'allocation versée par des caisses d'allocations familiales (CAF) en fonction des aides versées par l'État, procédons plutôt de manière inverse en ajustant les aides de l'État. Quelle est la pertinence du maintien de dispositifs d'État d'aide à la scolarité qui peuvent apparaître en concurrence avec les aides versées par la branche famille ? Nous recommandons la suppression de la réduction d'impôt sur le revenu. Les aides apportées par les collectivités locales, librement décidées, pourraient voir leur montant calé sur le barème de l'allocation de rentrée scolaire, une fois mise en oeuvre la plus grande modulation que nous proposons.
Certes, les règles de la sécurité sociale gagneraient à être simplifiées pour une meilleure connaissance, par nos concitoyens, de leurs droits et du paiement, à bon droit, des prestations. Cela réduirait les sources d'erreurs pour les organismes de sécurité sociale, mais aussi les risques de fraude.
Mme Chantal Deseyne, en remplacement de Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche AT-MP, et de M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - J'interviens d'abord au nom de Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche AT-MP. Quel regard portez-vous sur la trajectoire excédentaire de la branche AT-MP ? Faut-il rétablir l'équilibre en réduisant les cotisations des employeurs ou en augmentant les dépenses de prévention pour favoriser l'accompagnement des salariés en arrêt ou à la reprise du travail, ou bien utiliser ses excédents pour compenser les déficits des autres branches, et assumer plus ouvertement ce déséquilibre ?
Sur la sous-déclaration des AT-MP, vous avez souligné la difficulté de répartir les frais de santé entre le risque maladie et le risque professionnel et préconisé de contrôler et d'améliorer les modalités d'imputation des frais de santé à la branche AT-MP. Quelle forme prendrait cette proposition ? La prise en charge avantageuse des soins et des indemnités journalières au titre des accidents du travail peut constituer une incitation à déclarer en accident de travail un accident qui en réalité n'en relève pas. Ne faudrait-il pas compléter les travaux de la commission d'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP ?
Vous avez souligné le taux de reconnaissance particulièrement élevé des maladies professionnelles en France, en particulier du fait de la reconnaissance des troubles musculo-squelettiques (TMS), et vous établissiez une comparaison entre la France et l'Allemagne. La France surestime-t-elle ces TMS, ou permet-elle une meilleure reconnaissance et une meilleure prise en charge ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la branche autonomie, souhaitait vous interroger sur l'architecture des LFSS. Vous plaidez pour l'intégration, dans l'Ondam, des dépenses d'investissement portées par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Or les plans d'aide à l'investissement de la caisse financent des dépenses hétérogènes, qui vont jusqu'à la création dans les Ehpad de lieux utilisés par les riverains - salons de coiffure, jardins partagés... Est-ce bien opportun de ranger ces dépenses dans l'Ondam ? Ne faudrait-il pas distinguer plus finement les enveloppes ?
Le rapport propose d'étendre aux établissements et services médico-sociaux (ESMS) le principe législatif visant à corriger progressivement les inégalités territoriales à travers la répartition entre régions de dotations. Mais l'équité territoriale figure déjà dans les objectifs de la CNSA. Comment appliquer plus précisément ce principe ?
Vous préconisez, dans une optique de recours plus sélectif aux incitations financières, d'établir la cartographie de l'utilisation des principaux leviers de transformation de l'offre - autorisation, contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), tarifs. Ne faudrait-il pas plutôt évaluer l'efficacité de ces leviers ? Faut-il accroître les incitations financières ?
M. Alain Milon. - Merci pour ce rapport passionnant. Votre réponse m'a déçu : vous évoquez la maîtrise des dépenses de la sécurité sociale en prenant comme exemple la LFSS d'avant crise. Certes, les comptes étaient quasiment à l'équilibre, mais à quel prix ? Le blocage des salaires, l'abandon de la psychiatrie, un déficit des hôpitaux et un manque d'investissement de ces derniers.
S'il faut une maîtrise comptable des dépenses, à quel niveau et au détriment de qui ? Sinon, ne faudrait-il pas trouver un autre mode de financement d'un système qu'on pourrait appeler assurance maladie universelle ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Merci pour ce rapport annuel de qualité, dont je partage les recommandations et la philosophie générale.
La proposition de loi organique du Sénat a traduit vos recommandations sur le cadre à réformer.
L'Assemblée nationale nous suivra sur la loi d'approbation des comptes et la LFSS, mais j'ai des craintes sur la règle d'or. En tout cas, il est indispensable d'avoir des compteurs des écarts pour contenir les dépenses.
Je rappelle qu'en matière d'assurance maladie, nous avons formulé une série de recommandations sur la pertinence des soins, sachant qu'il faut maintenir la qualité des soins.
Je n'ai pas vu de cadrage financier, de stratégie, ni de plan pluriannuel. Évidemment, ce n'est pas en un an qu'on réussira à revenir à une trajectoire vertueuse. Je doute d'y arriver après avoir écouté la direction de la Haute Autorité de santé (HAS)... Nous avons cette volonté, mais est-ce que tout le monde la partage ? Selon l'OCDE, 20 % des actes sont inutiles ou redondants ; 28 % selon le rapport d'Alain Milon, et 30 % selon la précédente ministre des solidarités et de la santé. Il y a un gisement de ressources non disponibles mais qui seront nécessaires pour les autres dépenses, notamment pour la 5e branche.
Nous avions commis un rapport sur la pertinence des soins, peu suivi d'effets.
Par ailleurs, pour revenir à l'équilibre, il faudra s'attacher aux recettes et aux dépenses, et non seulement aux dépenses. Il faut garantir les recettes existantes et leur développement. Notre évolution démographique l'exige.
Mme Monique Lubin. - Vous prônez le retour à l'équilibre des comptes sociaux, pour éviter leur financement par l'emprunt et donc par les générations futures. Selon vous, il convient d'affecter à la réduction des déficits, et non à de nouvelles dépenses, tout surcroît de recettes par rapport aux prévisions, mais aussi d'engager des actions résolues pour améliorer l'efficience des dépenses, notamment pour l'assurance maladie et les retraites.
Depuis 2020, le groupe SER dénonce la volonté de l'État de faire peser les mesures d'urgence sur les comptes de la sécurité sociale et de l'Unedic, au lieu de les prendre à sa charge.
L'introduction du rapport du COR de 2021 précise que « malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population française, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire à l'horizon de la projection, c'est-à-dire 2070. » Comment articuler ces projections et les vôtres ? Quelles mesures préconisez-vous pour la réforme des retraites ?
Vous préconisez d'élargir le champ des LFSS au régime complémentaire et d'assurance chômage et de lier les objectifs annuels et pluriannuels de dépenses des lois de financement de la Sécurité sociale à ceux des documents de cadrage des finances publiques. Cela va dans le sens de la proposition de loi de Thomas Mesnier que nous venons d'examiner. Cela ne se traduira-t-il pas par une moindre participation des partenaires sociaux dans la gestion des caisses de retraite complémentaires ?
Une fois n'est pas coutume, je rejoins Alain Milon et Jean-Marie Vanlerenberghe : votre rapport, pourtant précieux, évoque toujours une réduction des dépenses, mais jamais une augmentation des recettes. Nous espérons sortir de cette crise qui a révélé les fragilités de notre système de protection sociale - certes beaucoup plus protecteur qu'ailleurs. Mais c'est peut-être un colosse aux pieds d'argile... Comment faire face à l'augmentation des besoins sans augmenter les recettes ?
M. Pierre Moscovici. - Madame Lubin, sans doute faut-il consolider les recettes. Mais dans une autre vie, j'ai connu la politique et le ras-le-bol fiscal. Nous sommes le pays d'Europe dont le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé. Les augmenter encore pèsera sur la croissance. Nous nous heurtons, y compris dans les catégories populaires, à un moindre consentement à l'impôt. Les mouvements sociaux récents, comme les Gilets jaunes, en attestent.
Oui, la sécurité sociale est un colosse aux pieds d'argile, mais à cause de la persistance des déficits et d'une dette très élevée. La dette est l'ennemi de la solidarité. C'est paradoxal : actuellement, la dette est indolore, avec des taux d'intérêt négatifs. Mais lorsque j'étais ministre des finances, la charge de la dette était bien plus élevée, après la crise financière. Je ne souhaite à personne de revivre cette situation qui oblige à prendre des décisions extrêmement douloureuses et impopulaires. Les écarts de taux étaient très importants avec nos voisins européens, et nous avons dû augmenter les impôts. La charge de la dette était alors le second poste du budget de l'État ! Comment mener des politiques éducatives, pour la justice ou la cohésion sociale et financer la sécurité sociale dans ces conditions ?
Ce n'est pas une politique de bon père de famille, mais qui regarde l'avenir que de vouloir maîtriser la dette publique, qu'elle soit celle de l'État ou de la sécurité sociale.
Dans le rapport remis au Président de la République et au Premier ministre, la Cour estime qu'une plus forte croissance est indispensable, car elle confortera les recettes de la sécurité sociale. Cette année, nous aurons 31 milliards d'euros de plus grâce à la croissance. Il faudra renforcer la croissance potentielle de l'économie française. Des investissements seront nécessaires.
Mais maîtriser les dépenses publiques est incontournable. On ne peut pas avoir de démarche austéritaire ou purement comptable, mais il faut insister davantage sur la qualité et la pertinence de notre modèle social. Nous avons resserré l'Ondam au prix du déficit de nos hôpitaux. Faisons plutôt l'inverse : partir de la réforme pour définir ensuite l'Ondam.
Le rapport de cette année est différent : il insiste sur la nécessaire transformation. La maîtrise des dépenses sera mieux acceptée si les prestations sociales sont plus performantes et plus justes.
Madame Deseyne, il n'appartient pas à la Cour de trancher entre les différentes solutions sur l'équilibre de la branche AT-MP. Mieux vaut être dans une situation excédentaire... J'ai une certaine prévention à l'égard de la solution qui viserait à augmenter les dépenses de la branche, compte tenu de la situation générale des comptes publics et du haut niveau des prestations sociales. Le PLFSS 2022 va un peu dans le sens d'une contribution des excédents de la branche AT-MP au financement des autres branches, puisqu'il relève de 100 millions d'euros le transfert de la branche AT-MP vers la branche maladie.
Pour éviter les erreurs d'imputation, nous devons mieux informer les professionnels de santé lorsqu'ils traitent une personne victime d'un accident ou d'une maladie professionnelle.
Le sujet des sous-déclarations de maladies professionnelles est complexe et sensible au sein du dialogue paritaire entre représentants des employeurs et des salariés. Vous évoquez un meilleur niveau d'indemnisation des arrêts de travail. Je ne rentrerai pas dans le détail de ces sujets techniques. La commission d'évaluation de la sous-déclaration des maladies professionnelles, indépendante de la Cour des comptes, réalise un bilan triennal qui sert de base de calcul au montant des transferts financiers entre la branche AT-MP et la branche assurance maladie.
Les TMS représentent 87 % des maladies professionnelles reconnues en France. C'est énorme. Nous avons trois fois plus de maladies reconnues comme professionnelles en France qu'en Allemagne, car il y a une présomption de reconnaissance des TMS comme les lombalgies, le syndrome du canal carpien, des lésions des membres inférieurs ou supérieurs... Pour 100 000 salariés, 227 maladies sont reconnues comme professionnelles en France, contre 3 en Allemagne. Or les conditions de travail ne sont pas si différentes entre nos deux pays pour expliquer cet écart. C'est plutôt en raison de définitions différentes des TMS. La définition française est trop imprécise. Il faudrait revoir la manière dont les tableaux sont créés et évoluent.
Concernant l'architecture de la LFSS, la Cour est favorable à intégrer toutes les sources de financement dans l'Ondam. Mais les dépenses d'investissement, même intégrées dans l'Ondam, doivent faire l'objet d'un suivi spécifique. C'est une recommandation constante de la Cour.
Sur la question d'étendre aux ESMS le principe de correction progressive des inégalités territoriales, il faut effectivement étendre les instruments qui peuvent corriger les inégalités de répartition de l'offre entre établissements et entre régions et territoires. À côté des CPOM, la Cour recommande d'utiliser les dotations populationnelles déjà utilisées dans le champ des soins aigus. On peut ainsi calibrer par région des dotations sur la base de différents critères sociodémographiques comme l'âge, l'offre de soins existants, et que l'ARS les répartisse ensuite entre établissements, en complément des ressources tirées directement de leur activité.
Concernant le recours plus sélectif aux incitations financières, il faut éviter que trop d'objectifs soient attribués aux seuls instruments de financement, sinon le dispositif de financement deviendra trop sophistiqué et illisible. Nous demandons donc que l'administration réfléchisse en amont des réformes pour identifier les instruments de régulation et les incitations les plus appropriées pour atteindre ces objectifs.
Monsieur Vanlerenberghe, nous sommes d'accord sur le cadre organique et nous devrions publier deux tomes pour le RALFSS.
C'est le moment d'avancer sur la pertinence des soins, mais ne nous nourrissons pas d'illusions sur les marges de manoeuvre et sur les prélèvements obligatoires comme sur les transferts de recettes de la sécurité sociale.
Madame Lubin, je ne crois pas trop à un transfert de charges sur l'État, qui est lourdement déficitaire.
Le déficit du régime de retraites est une donnée constante. Notre pourcentage de dépenses consacrées aux retraites dans le PIB est largement supérieur à la moyenne européenne. Je vous renvoie au rapport remis au Président de la République et au Premier ministre. Ce n'est pas à nous de faire des propositions, même si nous avions souligné la nécessité que les mesures soient étalées dans le temps, construites sur la base d'un dialogue, et équitables.
Sur l'extension du champ des LFSS, nous ne préconisons pas une étatisation ni une diminution du rôle des partenaires sociaux, mais prônons une vision d'ensemble, complète, sans se soustraire au débat démocratique.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie pour cet exercice annuel.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures.