Mercredi 29 septembre 2021
- Présidence de M. Pierre Cuypers, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Examen du rapport de la mission d'information relative à la méthanisation
M. Pierre Cuypers, président. - Mes chers collègues, nous avons largement le quorum, puisque des pouvoirs ont été donnés, nous allons procéder aux vérifications nécessaires. Nous allons commencer la présentation.
Avant de donner la parole à notre rapporteur, je voudrais rappeler que notre mission d'information a commencé ses travaux le 3 mars dernier. Au cours des six mois écoulés, nous avons mené à bien ensemble un travail tout à fait considérable, que ce soit sur le terrain ou en visioconférence.
Quelques chiffres suffisent à en donner un aperçu :
- nous avons réalisé neuf auditions plénières ;
- ainsi que 28 auditions rapporteur, ouvertes en visioconférence à chacun des 23 membres de la mission ;
- de même que trois déplacements sur le terrain.
Au total, nous avons pu échanger avec 106 interlocuteurs, venus de tous les horizons : des scientifiques, des responsables associatifs, des politiques, des exploitants-méthaniseurs, des syndicalistes agricoles, des industriels, des élus locaux, des porteurs de projet, le préfet du Finistère, le secrétaire général de la préfecture de Loire-Atlantique, les services de la sous-préfecture du Lot, ainsi que toutes les grandes administrations publiques et universitaires compétentes.
Grâce à ce très large panel, nous avons entendu pratiquement tous les points de vue. Enfin, nous avons auditionné conjointement, le 12 mai 2021, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, et M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Le rapport que s'apprête à vous présenter notre collègue Daniel Salmon constitue l'aboutissement de cette réflexion collective.
Comme vous le savez, nous avons veillé à associer tous les sénateurs de la mission d'information et à vous consulter à chacune des étapes de la confection de ce document. Permettez-moi d'insister sur ce point, car la méthanisation est devenue à certains égards un sujet passionnel : notre tâche n'était donc pas simple.
Vous vous en souvenez, nous avons organisé une première réunion d'orientation et de débats dès le 4 mai 2021, suivie par une seconde, le 20 juillet, portant cette fois sur le plan du rapport. Nous avons ensuite corrigé ce plan en fonction de vos observations, pour vous le communiquer, dans une version améliorée, le 22 juillet dernier. Enfin, nous nous sommes retrouvés, la semaine dernière pour débattre cette fois du détail des propositions, qui vous avait été préalablement adressé.
Au total, nous aurons consacré quatre réunions et délibéré une douzaine d'heures sur le contenu de ce rapport. Je crois donc pouvoir affirmer que nous avons traité le sujet en profondeur, en utilisant tout le temps nécessaire, pour identifier, très en amont, nos points d'accord et nos points de désaccord, voire de divergence.
C'est ainsi que nous sommes parvenus ensemble à une rédaction de compromis, qui correspond aux équilibres politiques du Sénat, tout en permettant au rapporteur de faire valoir les préoccupations qui lui tiennent à coeur.
Sur le fond, l'orientation générale de ce projet de rapport défend l'idée d'un développement raisonné de la méthanisation. Au demeurant, ce développement permet également de renforcer opportunément notre souveraineté énergétique, alors que nous dépendons grandement de nos importations, ce que confirme l'actualité des derniers jours. Depuis le 1er janvier 2021, le prix du gaz a d'ailleurs augmenté de plus de 50 %.
Nos travaux ont également mis en évidence qu'il n'existe pas une approche uniforme, mais « des » méthanisations, très différentes suivant les régions, la densité de population et les modèles agricoles.
Enfin, nous avons traité des dimensions les plus complexes du sujet, en particulier l'accidentologie, le pourcentage maximum de cultures dédiées, l'agronomie, ou l'impact des digestats.
La méthanisation est à l'origine d'une filière économique encore jeune, qui prend très au sérieux la problématique environnementale. Améliorer l'acceptabilité sociétale doit permettre d'éviter que n'apparaissent des situations locales conflictuelles.
Au total, le rapport de notre mission d'information représente l'aboutissement d'un long travail sénatorial sérieux et dépassionné, où chacun a oeuvré, de façon à contribuer utilement au débat public.
Je laisse le soin à notre rapporteur Daniel Salmon de vous en présenter le détail.
Avant de lui passer la parole, je tiens vivement à le remercier, en votre nom à tous et en mon nom personnel, tout à la fois pour son implication, sa disponibilité, son sérieux et sa capacité de dialogue que j'ai découverte et qui s'est avérée bien utile dans le cadre de nos missions.
Merci, Daniel, pour ce magnifique travail. Je te cède temporairement la parole, puisque je la reprendrai juste avant le débat !
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci, Monsieur le Président, merci cher Pierre. Nous arrivons à la toute dernière étape du travail que nous avons entamé ensemble, le 3 mars dernier. Je savais que cela serait un travail de longue haleine et je n'ai pas été déçu.
Vous avez pu le constater, la méthanisation se situe à la croisée de nombreuses disciplines et de nombreuses politiques : agricole, énergétique, fiscale et environnementale.
En préambule à mon propos, je tiens à remercier chacun de vous pour l'esprit constructif que vous avez manifesté durant ces six derniers mois. J'exprime aussi ma reconnaissance toute particulière à notre président, Pierre Cuypers : quelles que fussent parfois nos différences d'analyse, j'ai eu pour interlocuteur un collègue toujours ouvert au dialogue, garant des usages parlementaires et soucieux de dégager des compromis. Je pourrais reprendre mot par mot tout ce qu'il vient de dire. Nous avons cherché à trouver la voie qui pourrait être la meilleure pour la méthanisation française.
Nous avons appris à nous connaître et à travailler ensemble. Sur le plan des rapports humains, je garderai aussi, mon cher Pierre, un excellent souvenir des moments passés ensemble.
J'en viens maintenant au coeur de mon propos, à savoir la présentation du rapport de notre mission d'information, pour lequel vous proposons conjointement le titre suivant : « Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? ».
Permettez-moi également de souligner, mes chers collègues, que le texte même de ce rapport, mis à votre disposition depuis avant-hier, a pour ainsi dire été réalisé en permanence sous vos yeux.
En effet, nous avons pris un soin tout particulier, lors de nos trois réunions précédentes, à identifier les questions sensibles pour dépasser nos divergences. Vous avez été consultés dès le 20 juillet sur le projet de plan, qui a été amendé en fonction de vos observations avant de vous être communiqué le 22 juillet, sous la forme d'un document écrit très détaillé. C'est sur cette base que le projet de rapport a été rédigé.
Quant aux 61 propositions et recommandations figurant dans la troisième partie du document, nous vous les avons présentées, une à une, le vendredi 24 septembre. Nous nous sommes attachés, là encore, pour chacune d'entre elles, à recueillir en amont votre accord.
Enfin, j'ajouterai qu'avec le président Cuypers, nous avons l'un et l'autre consacré pas moins de deux semaines à la relecture de ce projet de rapport. Je ne crois pas exagéré d'affirmer que chaque phrase a été relue avec la plus grande attention. Quant au contenu de ce rapport, vous vous en souvenez, il suit un plan en trois parties, les deux premières de nature descriptive, la troisième rassemblant nos propositions et nos recommandations.
La première partie s'intitule : « Si la méthanisation est utile à la transition énergétique, son cadre de soutien est ambigu, un modèle français de la méthanisation peinant encore à s'affirmer. »
Nous y abordons les grands points suivants :
- premièrement, l'utilité de la méthanisation sur le plan de la transition énergétique et de la souveraineté économique, comme l'a rappelé le président tout à l'heure ;
- deuxièmement, les limites des dispositifs publics de soutien à la filière, qui font aujourd'hui l'objet d'une refonte complète, dont les effets mériteront d'être appréhendés avec recul. S'y ajoutent des ambiguïtés manifestes, entre les impératifs agricoles et énergiques, entre l'environnement et l'économie ;
- troisièmement, une analyse des garde-fous, qui nous ont prémunis contre des dérives à l'oeuvre en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe du Nord. Pour aller à l'essentiel, la politique française est plus prudente sur le plan qualitatif, car elle prévoit, en particulier, un plafond de 15 % pour cultures dédiées, alors que l'Allemagne les a promues via un bonus jusqu'en 2012. D'une façon générale, nous devons faire preuve de vigilance, en améliorant les dispositions applicables. Tel est précisément l'objet des propositions et des recommandations que je m'apprête à vous exposer.
La deuxième partie du rapport s'attache ensuite à formuler un jugement d'ensemble équilibré. Nous avons adopté, à cet effet, la formulation suivante : « Source d'externalités positives comme négatives, la méthanisation est l'objet de débats croissants quant à ses risques environnementaux et agricoles, d'où une remise en cause de son acceptabilité sociale ».
Jusqu'à présent, la grande majorité des installations en service est de taille petite ou moyenne, ce qui limite les inquiétudes et les problèmes rencontrés. Fort heureusement, rares sont les projets de très grande taille, mais ils existent bel et bien, comme nous l'avons constaté dans le Lot, avec une forte conflictualité à la clé.
Parmi les projets de méthanisation « XXL » à l'étude, celui de Corcoué-sur-Logne, en Loire Atlantique, mérite à lui seul une mention particulière pour son caractère démesuré : nous retenons de nos échanges avec le maire de la commune, M. Claude Naud, qu'il s'agirait, si toutefois cette installation à l'étude venait un jour à entrer en production, d'un véritable cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire. Toutefois, nous y reviendrons, la taille n'est qu'un élément de l'acceptabilité.
Le rapport consacre une large place aux questions de sécurité, de protection de l'environnement et de prévention des incidents, à la lumière notamment de l'accident survenu dans le Finistère à Châteaulin, en août 2020, qui a conduit à priver d'eau potable 180 000 personnes, le temps de circonscrire le sinistre.
En définitive, nous devons veiller à inscrire l'ensemble de la filière dans une trajectoire réfléchie et durable sur le long terme.
J'en arrive maintenant à la troisième partie du rapport, qui constitue un plaidoyer en faveur de la définition d'un modèle français de la méthanisation, dont les contours restent encore largement à inventer. Ce modèle français pourrait reposer sur les cinq grandes orientations suivantes :
- premièrement, clarifier les politiques publiques ;
- deuxièmement, structurer la filière de la méthanisation ;
- troisièmement, territorialiser les projets ;
- quatrièmement, améliorer les pratiques ;
- cinquièmement, prévenir les risques.
Nous vous proposons d'en définir les contours, par un ensemble de 61 propositions et recommandations. Nous les avons passées en revue, une à une, lors de notre réunion du 24 septembre dernier. J'insisterai sur les principales d'entre-elles, à savoir :
- éviter un scénario « tout biogaz à l'allemande » et privilégier un effort soutenu, mais équilibré et progressif du biogaz, avec un point d'étape à mi-parcours de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), en 2023 ;
- donner une traduction réglementaire, notamment dans la PPE, cohérente avec les objectifs ou les dispositifs prévus par le législateur ;
- consolider l'obligation d'achat et le complément de rémunération, attribués en guichets ouverts ou par appels d'offres ;
- maintenir un soutien spécifique à l'injection du biométhane issu des boues d'épuration (STEP) ;
- intégrer le biogaz au plan de relance, dès le projet de loi de finances pour 2022 ;
- consolider la « démarche qualité » de la filière, notamment par la diffusion du label « Qualimétha » et l'institution d'un label « Exploitation » ;
- développer la pyrogazéification, la gazéification hydrothermale et le power to gas en complément de la méthanisation ;
- utiliser le biogaz (bioGNV) pour la décarbonation des transports lourds de marchandises ;
- maintenir un plein soutien à la valorisation du biogaz par cogénération, en particulier dans le cadre des « tarifs d'achat » ;
- renforcer l'information préalable des élus locaux sur les projets de méthanisation, en appliquant les outils prévus pour les projets d'énergies renouvelables électriques ;
- instituer un « guichet unique » pour les porteurs de projets de méthanisation ;
- constituer une base de données pour l'ensemble des installations de production de biogaz, sous l'égide de l'Ademe ;
- poursuivre l'acquisition des connaissances sur l'impact agronomique de l'épandage du digestat ;
- mettre en place un outil d'observation associant les Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), qui permettrait de mesurer les effets induits par la massification potentielle de la méthanisation agricole sur les prix du foncier ;
- conserver le plafond de 15 % sur les cultures dédiées et contrôler son application ;
- définir plus précisément les Cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE), tant dans la nature des cultures que dans leur ordre de succession dans la rotation culturale ;
- évaluer l'impact économique du nouveau régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) pour en tirer les conclusions en termes de compensation ;
- développer une culture de la prévention des risques parmi l'ensemble des acteurs de la méthanisation, en renforçant les offres de formation continue ;
- familiariser les étudiants aux enjeux de la méthanisation, dès la formation initiale au sein des établissements d'enseignement agricole ;
- généraliser la communication en amont des projets, y compris pour les installations simplement soumises à déclaration ;
- développer une information nationale « grand public » pour diffuser une connaissance générale minimale de la méthanisation.
En dernière analyse, et pour conclure, je reprendrai une partie des propos de notre président. Notre pays a besoin d'une méthanisation équilibrée, cohérente avec les territoires, respectueuse de l'environnement et utile aux agriculteurs, ainsi qu'à l'ensemble de la société. Tel est donc, mes chers collègues, le contenu du rapport que je vous soumets, pour son adoption par notre mission d'information.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci M. le rapporteur, chers collègues, je vous propose d'organiser nos échanges en deux temps.
Tout d'abord une sorte de discussion générale qui donnera l'occasion à chacun, après avoir entendu notre rapporteur, de s'exprimer sur la thématique d'ensemble des travaux de notre mission.
Pour permettre une expression pluraliste, je donnerai la parole à un représentant par groupe, puis à tous ceux qui le souhaiteraient.
Dans un deuxième temps, je vous demanderai de nous présenter, si vous en avez, vos propositions de modification du projet de rapport, afin que nous puissions statuer dessus.
Nous avons reçu une proposition écrite de notre collègue Angèle Préville, ainsi qu'une suggestion de recommandation d'Olivier Rietmann.
Pour la parfaite fluidité de nos échanges, je vous demanderai de nous préciser la page et le paragraphe sur lequel porte votre intervention, de sorte que chacun ait un niveau d'information égal et parfaitement clair.
Enfin, nous nous prononcerons par un vote sur le titre que nous souhaitons donner au rapport et, bien évidemment, sur l'adoption de l'ensemble du rapport.
J'en termine à ce stade pour vous indiquer qu'une conférence de presse de sera organisée le mardi 5 octobre, à 10 heures dans la salle de la commission des lois.
Je vous précise également que nous avons cinq délégations de vote :
- M. Hervé Gillé donne délégation à Mme Angèle Préville ;
- M. Cyril Pellevat donne délégation à M. Jean-François Husson ;
- M. Jean Bacci donne délégation à moi-même ;
- M. Laurent Duplomb donne délégation à Mme Lavarde ;
- M. Bernard Buis donne délégation à Mme Saint-Pé.
M. Jean-Claude Tissot. - Je tiens tout d'abord à remercier notre président et notre rapporteur pour leur implication dans les travaux de notre mission d'information. Il n'était pas si simple d'associer deux visions différentes.
La méthanisation s'inscrit au coeur de plusieurs enjeux très importants : l'environnement, la gestion des déchets, la politique énergétique et l'avenir de notre agriculture. Le récent développement de cette filière doit s'accompagner d'une réflexion construite et adaptée à ses conséquences. Ainsi, apparaît-il nécessaire d'être vigilant sur plusieurs points afin que la méthanisation soit intégrée dans notre bouquet énergétique, sans être créatrice d'externalités négatives pour l'homme, pour l'environnement et pour d'autres secteurs d'activité.
Premièrement, concernant les relations entre la méthanisation et la pratique agricole, il convient d'être particulièrement prudent sur le modèle que l'on souhaite installer. Les cultures dédiées à la méthanisation ne doivent pas entrer en concurrence avec la production principale de l'exploitation agricole, que ce soit pour l'alimentation humaine ou animale. Les surfaces agricoles françaises ne doivent pas être progressivement accaparées par les différents usages de la méthanisation. Le plafond de 15 % auquel les installations de méthanisation peuvent avoir recours doit être scrupuleusement contrôlé.
Deuxièmement, les recettes provenant de la méthanisation peuvent venir compléter les revenus des agriculteurs, mais il est nécessaire d'être vigilant sur la substitution progressive des revenus agricoles par ces recettes fortement subventionnées. De même, il existe un enjeu important sur la garantie du prix de revente de la ressource, notamment lors de la transmission ou de la vente des exploitations agricoles. En effet, dès l'installation du méthanisateur, les prix de revente sont garantis durant les quinze prochaines années. Dès lors, quelles seraient les garanties de prix de revente pour les futurs exploitants ? Cette réflexion doit être prise en considération, dans la mesure où les méthaniseurs sont souvent considérés comme une valeur ajoutée et comme une source de revenus stables pour les exploitations.
Troisièmement, à l'image de l'ensemble des énergies renouvelables, la méthanisation ne doit pas être pleinement privatisée et gérée sur la base de considérations purement économiques. Il faut que les collectivités territoriales et les élus locaux soient pleinement associés, pour bâtir des projets de méthaniseur à proximité immédiate des villes, où la consommation d'énergie est la plus importante. Nous rejoignons ici pleinement la proposition du rapport sur le renforcement de l'information des élus locaux sur les projets de méthanisation, à commencer par les maires des communes et les présidents des EPCI d'implantation.
Pour conclure mon propos, le développement de la méthanisation doit s'effectuer selon une logique de planification de notre politique énergétique et de respect de nos surfaces agricoles. Il convient que ce développement soit progressif, conçu avec les acteurs locaux, adapté aux besoins territoriaux et prenne en compte les risques et les conséquences environnementales de cette filière. Les nombreuses incertitudes justifient un développement raisonné et encadré de la méthanisation en France.
Mme Denise Saint-Pé. - En quelques mots, je m'associe aux remerciements formulés à l'égard de notre président et de notre rapporteur pour la réalisation de ce rapport, qui représente un enjeu important à mes yeux, comme pour le groupe Union Centriste.
Je pense que nous devons mettre en avant la méthanisation comme un élément essentiel de la transition énergétique. J'en veux pour preuve une visioconférence à laquelle j'ai participé cette après-midi dans le cadre des rencontres dites « 24 heures du climat », sous le haut patronage du président de l'Assemblée nationale et où il m'était demandé de témoigner. J'ai porté avec force le message que la méthanisation constitue un élément essentiel de la transition énergétique. Je me suis sentie isolée dans cet exercice. En effet, j'étais la seule intervenante à faire valoir clairement que la méthanisation doit faire partie du mix énergétique français et que nous devions développer cette énergie renouvelable. Je suis donc particulièrement heureuse de la publication de ce rapport.
Il convient de clarifier les politiques publiques, mais nous avons également besoin de structurer la filière qui présente encore trop de côtés négatifs pour beaucoup d'intervenants. J'espère que ce rapport permettra d'aller plus loin, en donnant une image sérieuse à la méthanisation et en positionnant cette dernière efficacement dans le développement des territoires. Il convient également de prendre les précautions nécessaires, notamment en ce qui concerne la revente des exploitations.
Le monde agricole a besoin de nouvelles ressources, au regard de la crise qu'il subit actuellement. Je salue également particulièrement l'analyse des externalités positives et négatives de la méthanisation.
Je vous félicite enfin d'avoir souligné la dimension capitale de la prévention des risques et, d'une façon générale, d'avoir réalisé un travail répondant à l'attente de nos territoires.
M. Gérard Lahellec. - À mon tour, je tiens à saluer la qualité de ce travail, ainsi que la disponibilité du rapporteur qui a bien voulu nous accompagner dans nos départements, y compris pour rencontrer des personnes confrontées à des situations plutôt tendues. Je tiens à le dire, car ce rapport constituera probablement un indicateur de référence dans le débat public.
Nous voyons, en effet, émerger des débats dans nos territoires : la profession agricole se tourne vers les élus, de façon à promouvoir une meilleure résilience de même qu'une optimisation économique des exploitations. Nous devons cependant nous garder de l'illusion de la substitution des sources de revenus.
M. Christian Klinger. - Je suis d'accord sur tout, sauf sur la remarque relative au droit de regard sur la revente des exploitations. J'ai du mal à comprendre cette démarche. Si aujourd'hui un boulanger revend son commerce avec sa clientèle, nous n'avons pas de droit de regard sur le prix de cette transaction. Si demain un exploitant agricole revendait son exploitation avec un méthaniseur et le contrat associé, je vois mal comment nous pourrions concevoir un droit de regard sur l'opération. Une telle transaction relève du droit privé : l'exploitant revend au prix qu'il souhaite, en fonction de l'offre et de la demande.
M. Daniel Gremillet. - Je souhaiterais formuler plusieurs observations au nom du groupe Les Républicains. Au préalable, je tiens à remercier aussi bien le président que le rapporteur et l'ensemble des membres de la mission d'information, pour la qualité du travail réalisé en commun.
Notre rapport sera publié à un moment important, caractérisé par une nette augmentation des prix de l'énergie. S'agissant des énergies renouvelables, un travail important a été mené à bien dans le domaine de l'hydraulique. Nos réflexions portent également sur la place du nucléaire, tandis que le biogaz fait partie des énergies renouvelables non intermittentes.
Le rapport de la mission d'information présente également le mérite d'aborder la question de l'usage de la terre, agricole ou forestière, à laquelle notre groupe politique est très attentive. Nous devons, d'une façon générale, préserver un équilibre et privilégier la vocation d'abord nourricière de la terre pour l'homme, avant d'envisager le développement des capacités énergétiques.
Il conviendrait, au surplus, d'encourager les entreprises françaises à produire davantage de composants des installations de méthanisation. Force est de reconnaître, en effet, qu'une large partie de ces équipements n'est pas fabriquée dans notre pays, ce qui dégrade aussi leur bilan carbone.
Concernant la question du foncier, je souhaiterais que nous améliorions la rédaction proposée à la page 149 du rapport, pour ce qui concerne le libellé de la deuxième phrase de la proposition numéro 46. À mon sens, il conviendrait de mettre en place un outil d'observation associant les Safer qui permettrait de mesurer les effets induits par la massification potentielle de la méthanisation agricole sur les prix du foncier et des matières premières.
Je terminerai mon propos en soulignant le rôle des régions, qui assument une responsabilité importante en matière de méthanisation.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci à vous, chers collègues, pour vos observations. Nous avons effectivement un véritable message pédagogique à faire passer.
M. Daniel Salmon, rapporteur. -Un grand nombre des préoccupations que vous venez d'exprimer trouvent leur place dans nos préconisations. D'une façon générale, nous nous sommes efforcés de dégager une ligne médiane : à nos yeux, la méthanisation participera à l'avenir au mix énergétique français, à condition d'être précautionneux et de mener des études précises pour identifier les dérives possibles.
Certaines filières pourraient être déstabilisées si l'on n'y prend garde. Nous savons d'ores et déjà qu'une véritable ruée sur la biomasse se produira dans les années à venir. Nous en aurons besoin pour nourrir les hommes et les animaux, pour produire de l'énergie, mais également de la fibre pour l'habillement, l'isolation ou l'industrie automobile, en remplacement des produits dérivés du pétrole. Il nous faut donc présenter une vision globale de ce que nous attendons de la surface agricole utile en France à l'avenir. Dans cet objectif, je vais d'ailleurs avoir recours à un mot que les libéraux n'apprécient pas particulièrement : je pense qu'il nous faut envisager une planification, pour que nous ne nous retrouvions pas demain dans une impasse.
Mme Christine Lavarde. - Peu avant la fin de notre précédente réunion, j'avais formulé deux observations, l'une portant sur le nombre des recommandations, l'autre de nature plus générale sur l'orientation de nos travaux.
J'ai l'impression que vous avez tenu compte de ma première remarque, en dégageant 5 grandes lignes directrices, de façon à classer les 61 propositions du rapport. Je n'ai pas d'objections sur ces propositions, mais je crains qu'elles ne compliquent la lisibilité de votre communication auprès des journalistes et de l'opinion publique.
J'avais également avancé une deuxième remarque portant cette fois sur le coût des dispositifs envisagés. Je ne partage pas la réponse qui m'a été apportée faisant valoir que leur coût serait nul, au motif que seuls des dispositifs existants seraient mobilisés. Si nous avons davantage recours aux Certificats d'économie d'énergie (C2E), aux tarifs d'obligation d'achat et aux appels d'offres, cela aura bel et bien un impact.
Je vous dis cela avec d'autant plus de force que, ce matin même, la commission des finances examinait les résultats du contrôle budgétaire portant sur les installations photovoltaïques et sur la révision des tarifs, que j'ai portés à sa connaissance, en ma qualité de rapporteur spécial.
Nous avons constaté, à cette occasion, que l'État conçoit sa politique de soutien aux énergies renouvelables en ayant recours à des contrats de vingt ans sans clause de révision et sans tenir compte des coûts. Or au moindre soubresaut, la puissance publique revient sur sa parole, comme nous venons de le voir avec le photovoltaïque ou l'éolien en mer. Si l'on ne prend pas garde à trouver un juste équilibre entre le coût du soutien aux énergies renouvelables pour le consommateur et les coûts réels des producteurs, nous irons vers un rejet social croissant à l'égard des énergies renouvelables. Si notre rapport ne tient pas suffisamment compte de la problématique financière, je crains que nous ne perdions en crédibilité.
M. Pierre Cuypers, président. - Les préoccupations avancées par notre collègue Christine Lavarde seront intégrées dans le compte rendu de la présente réunion.
Mme Christine Lavarde. - Cela me convient parfaitement. Je souhaite surtout m'assurer que le Sénat reste cohérent dans l'ensemble des travaux qu'il mène à bien.
M. Daniel Salmon, rapporteur. -Effectivement, la filière de la méthanisation apparaît fortement soutenue aujourd'hui par la puissance publique. Nous abordons cet aspect dès l'introduction du rapport. Il ne faut pas que les tarifs de rachat constituent une sorte de rente.
M. Pierre Cuypers, président. -Tout ne dépend pas que de l'État, puisque des mesures extrabudgétaires accompagnant les projets sont mises en place par les filières elles-mêmes. Ce point est notamment précisé au point « a » de la préconisation numéro 10.
M. Daniel Salmon, rapporteur. -À partir de 2023, en fonction du nombre de projets à venir, les tarifs seront plus ou moins dégressifs.
M. Olivier Rietmann. - Il faut que les engagements de l'État soient respectés, conformément aux dispositions contractuelles. Il me paraît en revanche normal que les prix de rachat de l'énergie évoluent à l'avenir en fonction du nombre des installations. Je pense qu'au cours des dix ou quinze prochaines années, le coût d'un méthaniseur aura tendance à diminuer, comme cela a été observé pour les installations photovoltaïques.
M. Pierre Cuypers, président. - Nous ne devons pas céder sur un point absolument essentiel : une personne montant un projet bénéficie d'un contrat de rachat sur une durée déterminée ; elle construit son business plan par rapport à ces éléments et les termes du contrat ne doivent pas être modifiés en cours de route. Ce qu'a fait l'État dans le cas du photovoltaïque n'est pas acceptable. L'État doit respecter sa parole !
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Avec le président Cuypers, nous sommes d'accord sur ce point. La régulation se fera par une diminution progressive de la rentabilité, à mesure que les tarifs de rachat seront révisés, en fonction du nombre de contrats conclus et de la programmation pluriannuelle de l'énergie.
M. Olivier Rietmann. - Si je puis me permettre, ce modèle apparaît plutôt sain. Nous ne voulons pas d'une situation à l'allemande, dans laquelle l'installation des méthaniseurs a été pour ainsi dire dopée à coup de moyens financiers sans régulation, engendrant un déséquilibre total sur les autres filières agricoles.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Éviter une densité excessive d'installations de méthanisation nécessiterait également un véritable pilotage par les services de la puissance publique, en fonction des situations locales.
M. Jean-Claude Tissot. - Nous devons définir l'objectif que nous cherchons à atteindre. Il est question de production d'énergie, mais également de la plus-value que ces dispositifs peuvent apporter aux agriculteurs. Je serais plutôt prudent sur ce point, car la frontière est ténue entre l'opportunisme et le souci de l'intérêt général.
S'agissant de la remarque de l'un de nos collègues s'inquiétant d'une éventuelle volonté de ma part de prôner une immixtion dans des transactions de droit privé, je n'ai jamais exprimé une telle intention dans mes propos. Je vous ai indiqué très exactement les éléments suivants : « les recettes provenant de la méthanisation peuvent venir compléter les revenus des agriculteurs, mais il est nécessaire d'être vigilant sur la substitution progressive des revenus agricoles par ces recettes fortement subventionnées ».
Je n'ai jamais déclaré que nous devions préconiser un quelconque droit de veto sur les conditions de vente d'une exploitation agricole.
Mme Angèle Préville. - S'agissant du méthaniseur de Gramat, je tiens à préciser que le défaut de mise en oeuvre opérationnelle de l'Observatoire de la méthanisation tient à une absence de financement : cette situation ne reflète aucunement une conflictualité entre les acteurs.
Je souhaite ensuite revenir sur la question de l'information des élus, de façon à ce que les maires des communes concernées soient informés dès la transmission des projets en préfecture, car il me semble que cela n'est pas toujours le cas.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Dans le rapport, nous proposons de renforcer l'information des maires et des présidents d'EPCI.
Mme Angèle Préville. - S'agissant du développement de la prévention des risques et de l'acceptabilité, serait-il possible, dans les recommandations numéro 38 et numéro 45 du rapport, d'ajouter une obligation d'analyse hydrographique de l'eau du réseau concerné par le projet de méthaniseur, avant la mise en fonction d'un méthaniseur ?
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Effectivement, il n'existe pas d'obligation d'analyse préalable de la qualité des eaux. Un arrêté vient toutefois d'être publié en juin 2021 pour imposer une étude préalable sur les odeurs. Nous avons formulé une préconisation relative au digestat dans laquelle nous abordons le sujet des sols.
M. Daniel Gremillet. - Il me semble que ce qui est écrit dans le rapport, notamment sur le digestat, est assez équilibré. Si nous rentrons dans le débat posé sur la qualité de l'eau, je peux vous dire, pour avoir travaillé sur des périmètres de captage des nitrates, qu'il n'apparaît pas possible de mesurer la qualité de l'eau avec une simple mesure à l'instant t. Les analyses doivent être réalisées sur une période donnée.
M. Pierre Cuypers, président. - À mon sens, le rapporteur Daniel Salmon a raison sur le plan des analyses de qualité de l'eau. Mieux vaut s'en tenir à la rédaction proposée pour les recommandations numéro 38 et numéro 45.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Avez-vous d'autres interventions ?
M. Olivier Rietmann. - Nous avions échangé lors d'une précédente réunion sur un sujet que je ne retrouve pas dans le projet de rapport.
En effet, aujourd'hui, lorsque vous vous installez sur une exploitation agricole, que vous la reprenez ou que vous la développez, vous devez obligatoirement tenir compte de la notion de gestion des flux, et notamment des effluents. On doit pouvoir stocker sur une exploitation agricole six mois d'effluents d'élevage, liquide ou solide. Dès lors, pourquoi ne pas proposer, lorsqu'un jeune s'installe ou qu'il existe une construction pour le développement d'un élevage sur une exploitation agricole, une contractualisation qui obligerait l'exploitation à fournir ses effluents d'élevage sous forme de contrat à un méthaniseur des environs et ramener en contrepartie la capacité de stockage à un mois ?
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Si une obligation doit exister, elle doit reposer sur l'énergéticien (obligation d'utiliser des intrants situés à proximité) et non l'agriculteur (obligation de céder les effluents d'élevage). En outre, alléger des normes sanitaires (l'existence ou le dimensionnement d'une cuve) en contrepartie de la conclusion d'un contrat (de fourniture d'un méthaniseur) reviendrait à conditionner l'absence d'investissement (décision par nature pérenne) à un contrat (qui peut être résilié ou devenir caduc en cas de faillite). En définitive, cette idée présente des écueils et apparaît difficile à mettre en oeuvre.
M. Olivier Rietmann. - Pour autant, il convient de creuser le sujet.
M. Pierre Cuypers, président. - Nous adresserons un courrier en ce sens au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Daniel Gremillet. - Il s'agit d'un point intéressant pour les agriculteurs qui viennent de s'installer, mais il convient de distinguer le contrat avec un méthaniseur du statut de coactionnaire dans un projet de méthanisation. Dans le second cas, l'agriculteur participe à un investissement collectif, ce qui devrait rendre possibles des aménagements avec l'administration concernant les lieux de stockage. En revanche, dans le cadre de contrats commerciaux, les agriculteurs risquent de se retrouver en difficultés pour des problèmes de conformité.
M. Pierre Cuypers, président. - Pour revenir à notre ordre du jour, je vous propose, tout d'abord, de vous prononcer par un vote sur le titre du rapport, à savoir : « Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? ».
Le titre du rapport est approuvé à l'unanimité des votants, tel que présenté en séance.
M. Pierre Cuypers, président. - Je vous propose désormais de vous prononcer par un vote sur l'ensemble du projet de rapport, comportant deux modifications destinées à prendre en compte nos échanges de vues :
- d'une part et à la demande d'Angèle Préville, la suppression, à la page 104, du dernier alinéa de l'encadré relatif à l'Observatoire de la méthanisation à Gramat dans le Lot, qui considérait qu'« en définitive, du moins jusqu'à présent, il semblerait difficile de réussir à faire travailler ensemble les différentes parties prenantes pour sortir d'une situation conflictuelle désormais ancienne » ;
- d'autre part et à la demande cette fois de Daniel Gremillet, l'ajout de la mention des matières premières, à la page 149, dans le libellé de la deuxième phrase de la proposition numéro 46. Pour plus de clarté, je vais vous lire la nouvelle rédaction proposée : « Mettre en place un outil d'observation associant les Safer qui permettrait de mesurer les effets induits par la massification potentielle de la méthanisation agricole sur les prix du foncier et des matières premières ».
Le rapport de la mission d'information sur la méthanisation dans le mix énergétique ainsi modifié est approuvé à l'unanimité des votants.
La réunion est close à 18 h 10.