- Mardi 6 juillet 2021
- Mercredi 7 juillet 2021
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Examen du rapport
- Contrôle budgétaire - Mission « Transformation et fonction publiques » - Communication
- Contrôle budgétaire - Rôle des maisons départementales des personnes handicapées dans la gestion de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) - Communication
- Projet de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Désignation de rapporteurs
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
Mardi 6 juillet 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 16 h 20.
Assurer les risques exceptionnels : quelle couverture et quel financement ? - Audition de MM. Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR), Joël Limouzin, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Mmes Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA) et Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)
M. Claude Raynal, président. - Si les multiples répercussions de la crise sanitaire n'ont pas fini de nous interroger sur nos systèmes économiques et sociaux, il est certain que le secteur assurantiel fait partie de ceux qui traversent une profonde remise en cause. En effet, l'exclusion du risque pandémique de la plupart des garanties « pertes d'exploitation » souscrites par les entreprises a rappelé, parfois douloureusement, que ceux-ci n'agissent que dans le cadre des engagements contractuels souscrits. Plus largement, la crise sanitaire, d'une ampleur inédite, nous a permis de nous interroger sur l'articulation du secteur assurantiel avec la solidarité nationale, et leurs responsabilités respectives.
Dans ce contexte, notre commission avait d'ailleurs examiné l'an dernier la proposition de loi de Jean-François Husson, sur le rapport de Claude Nougein.
De son côté, le Gouvernement a initié une réflexion sur le développement d'une couverture « pandémie », avec la mise en place d'un groupe de travail, piloté par la direction générale du Trésor en avril 2020. Ses travaux ont finalement été étendus à l'ensemble des risques dits « exceptionnels ». Il est vrai que le déploiement d'une couverture assurantielle contre ces risques réputés « inassurables » passe toujours par la résolution d'une même quadrature du cercle, à savoir comment garantir une protection maximale, tout en minimisant son coût pour les assurés.
La question de l'articulation de l'assurance avec la solidarité nationale se pose, au-delà de la crise sanitaire, dans le contexte de dérèglement climatique. L'actualité récente a ainsi rappelé, si besoin en était, les effets des aléas climatiques sur la production et les rendements agricoles, avec l'épisode de gel tardif que nos agriculteurs ont subi en avril dernier. Vous pourrez ainsi revenir sur le régime des calamités agricoles d'une part, et sur l'assurance récolte d'autre part, cette dernière souffrant d'un taux de pénétration modeste, de l'ordre de 30 % des surfaces agricoles. Alors qu'un plan de soutien aux agriculteurs a été annoncé par le Premier ministre, la question du financement du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), élargi exceptionnellement à la viticulture et aux grandes cultures, pourra également être abordée.
Afin d'aborder ces sujets, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi quatre intervenants, que je remercie pour leur participation : Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA) ; M. Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance ; Mme Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ; et M. Joël Limouzin, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).
Sans plus tarder, je cède la parole à Florence Lustman, pour un bref propos liminaire sur le rôle des assureurs dans la prise en charge des risques exceptionnels.
Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA). - Parmi les risques majeurs auxquels notre société est confrontée, la transition écologique figure en premier lieu. Dans le monde, au cours des vingt dernières années, le nombre de catastrophes naturelles a augmenté de 74 % par rapport aux vingt années précédentes, causant 1,2 million de décès et affectant plus généralement 4,2 milliards de personnes. Sur la seule année 2020, un triste record a été franchi avec plus de 126 milliards d'euros de dommages.
En France, entre 2020 et 2050, le coût des sinistres climatiques devrait être multiplié par cinq ou six dans certains départements, majoritairement situés dans l'ouest. Il est donc urgent d'agir, comme nous le rappellent les épisodes récents, tels que la tempête Alex ou les épisodes de gel et les intempéries de juin.
Nous devons également faire face à des risques émergents, et notamment le risque cyber. En 2020, dans le monde, ce risque correspond à 800 000 plaintes et à plus de 4 milliards de dollars de pertes, avec une progression des plaintes de plus de 70 % par rapport à 2019 et, en termes de coût, de plus de 20 % par rapport à 2019. En France, 1 640 plaintes ont été déposées, soit 1,3 fois plus qu'en 2019 et 3,8 fois plus qu'en 2018.
Un autre risque émergent est le risque pandémique. Le Forum économique mondial identifie celui-ci comme le premier risque à court terme. Nous aurons malheureusement de nouvelles pandémies dans le futur. En France, le risque d'augmentation des pandémies est le troisième risque à 5 ans d'après notre étude annuelle des risques.
Quid de l'assurance privée face à la montée de ces risques ?
L'assurance privée ne peut pas seule gérer ces risques exceptionnels. En effet, l'assurance repose sur le principe de la mutualisation : les primes servent à indemniser ceux qui ont des sinistres. Or, quand tout le monde est touché en même temps, ce principe ne fonctionne plus. C'est la raison pour laquelle les risques systémiques sont exclus des contrats d'assurance, tels que les contrats contre les pertes d'exploitation.
On peut trouver des solutions sur des risques non assurables comme les catastrophes naturelles. Notre régime est une chance en France, beaucoup de territoires dans le monde aimeraient avoir une couverture des aléas naturels. Il est rendu possible par la mutualisation sur l'ensemble des contrats d'assurance dommage, c'est-à-dire une mutualisation géographique très importante, permettant une mutualisation à moindre coût pour les assurés. Toutefois, la branche dite « catastrophes naturelles » est déficitaire pour la cinquième année consécutive avec 2,2 milliards d'euros de prestations versées pour 1,7 milliard d'euros de cotisations collectées. Même sur les risques pour lesquels on a trouvé des solutions, l'aggravation de ceux-ci pose des difficultés financières. Le constat est le même pour le risque cyber, pour lequel le ratio qui compare la charge de sinistres par rapport aux primes est passé de 84 % à quasiment 170 %. Sur l'assurance agricole, on paye en moyenne 105 % des primes en sinistres.
Heureusement, l'assurance repose sur la mutualisation entre les assurés d'une même branche, mais aussi entre les différents risques assurés par l'assureur. Sur l'assurance récolte, ce sont les autres branches d'assurance qui compensent l'excédent de sinistres. C'est la clé du fonctionnement de l'assurance. Quand nous devons faire face à une année exceptionnelle, avec une baisse de la sinistralité, ce n'est pas pour autant qu'il faut baisser les tarifs ou rembourser les primes, car ce surplus va financer l'excédent de risques sur d'autres branches.
Nous souhaitons accompagner les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics pour identifier en amont les risques et appréhender la vulnérabilité de leurs installations face aux risques, et en particulier au risque climatique. Nous souhaitons leur permettre de faire face à ces évènements climatiques, et nous agissons dans le sens d'une plus grande prévention. On essaie en somme de repousser les limites de l'assurabilité en faisant plus de prévention, de prévenir plutôt que de guérir.
Sur les deux risques émergents, nous portons deux propositions concrètes.
Premièrement, sur les conséquences économiques des catastrophes de type pandémique, mais pas seulement, nous avons présenté notre proposition dite « CATEX », dès juin dernier, élaborée collégialement. Cette proposition n'a, à ce stade, pas été retenue par le Gouvernement qui a lancé d'autres pistes. En France et en Europe nous n'avons pas encore trouvé d'autres solutions de type assurantiel, à part celle que nous avons mise sur la table.
Deuxièmement, pour ce qui est du risque cyber, il reste des efforts à faire sur la prévention, en particulier sur les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Toutes les enquêtes le montrent, ainsi que les audits de risque. Au plan réglementaire, nous attendons également des pouvoirs publics qu'ils précisent et qu'ils lèvent les interrogations sur l'assurabilité des rançons et des amendes administratives qui n'est pas formellement interdite par les textes.
S'agissant des risques qui s'aggravent, l'assurance récolte et les catastrophes naturelles sont des risques déjà pris en charge mais sur lesquels nous avons des propositions. Les principales propositions consistent à lutter contre la non-assurance. Dans les premières réunions récentes organisées sur le sujet par le ministre de l'agriculture, Julien Denormandie, et réunissant l'ensemble de la filière et des assureurs, le problème de la non-assurance fait consensus. 70 % des surfaces ne sont pas couvertes. Nous travaillons dans les groupes de travail mis en place dans le cadre du Varenne de l'eau pour trouver une solution qui ne pénalise pas ceux qui sont déjà assurés.
Sur les catastrophes naturelles, nous plaidons pour une actualisation du régime, sans remettre en question ses fondamentaux. Il faut renforcer les dispositifs de prévention à tous les niveaux.
En conclusion, une interrogation demeure sur la dimension systémique de certains risques, comme la pandémie ou une cyberattaque mondiale, alors qu'ils sont en train d'évoluer et peut-être d'exploser. Pour les risques dits « extrêmes », la seule mutualisation ne suffit pas. Il faut se tourner vers des partenariats public-privé qui ont prouvé leur efficacité. Tous les assureurs sont conscients de ces enjeux car ils sont aux premières loges aux côtés des victimes de ces catastrophes, donc nous sommes particulièrement motivés pour contribuer à ces travaux.
M. Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR). - Je traiterai le sujet qui nous occupe sous l'angle des rôles respectifs de l'État et du marché pour la couverture des risques extrêmes. La CCR présente une spécificité en France et dans le monde qui est d'opérer des partenariats public-privé, pour reprendre l'expression de Mme Lustman, en matière d'assurance et de réassurance. Je voudrais vous montrer la valeur ajoutée de tels dispositifs pour couvrir des risques qui, sinon, ne seraient pas ou seraient mal couverts.
Je vais partir d'un constat : dans nos sociétés modernes où l'on croit pouvoir tout prévoir, contrôler ou optimiser, on se fait surprendre par des catastrophes imprévues voire improbables, que l'on n'aurait jamais imaginées, ou qui sont d'un autre âge. À chaque fois, le même scénario se reproduit : on constate que les assurances indemnisent peu ou mal les dommages subis, ce qui est pourtant normal. Compte tenu de la nature et de l'ampleur des dommages, l'État finit par en payer tout ou partie, pour ne pas ajouter la crise à la catastrophe. Puis, dans un second temps, viennent les discussions, les travaux parlementaires, qui engagent des réflexions sur des dispositifs permettant de pallier les insuffisances de marché et d'éviter qu'une pareille mésaventure ne se reproduise dans le futur. C'est peu ou prou ce qui s'est produit l'année dernière avec la crise de la covid-19 : l'État est intervenu massivement pour soutenir les entreprises et les professionnels indépendants, puis des discussions se sont engagées pour la couverture du risque des pertes d'exploitations sans dommages. Des dispositifs ont été mis en place, comme les compléments d'assurance-crédit publics (CAP, CAP+, ou CAP Relais), puis des discussions sont menées pour pérenniser ou reconduire dans le temps ces dispositifs. Ce n'est pas un effet du tropisme de la France en faveur de la socialisation des risques ou de l'intervention étatique : ceci s'observe partout dans le monde, en tout cas dans les pays développés, y compris dans les pays très libéraux. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, des systèmes de couverture de catastrophes naturelles ou des actes de terrorisme ont été mis en place. Cela n'a donc rien à voir avec nos propres spécificités nationales.
Le marché de l'assurance privée n'est pas tout puissant et ne peut pas couvrir tous les risques ; en tout cas, ne peut pas les couvrir tous tout seul. C'est assez surprenant, car nous vivons une époque où les capitaux disponibles sont totalement surabondants et à un coût dérisoire. Les avancées de la science et les outils informatiques permettent d'investiguer n'importe quel type de risque, mais le marché de l'assurance ne peut pas tout couvrir - pas plus que l'État ne le peut. Il arrive que l'offre et la demande ne se rencontrent pas spontanément ou de façon harmonieuse, nécessitant un coup de pouce de la puissance publique. Je voudrais donner trois raisons principales, qui permettent de mieux comprendre dans quel cas de figure on se situe et quelle est la réponse à apporter en termes de spécificités de partenariats public-privé à mettre en place.
D'abord, l'assurance n'a pas la capacité de couvrir les risques systémiques. Elle peut indemniser les sinistres de quelques-uns avec les primes payées par le plus grand nombre. Mais elle ne peut rien lorsque tous les assurés sont sinistrés en même temps, même si les sinistres sont circonscrits à une région ou un pays donnés. La capacité d'absorption et de couverture du marché est limitée. Dans ces cas de figure, l'État est contraint d'apporter sa garantie financière, en complément de la capacité offerte par les acteurs privés. C'est ce que nous avons expérimenté l'année dernière, avec la couverture des pertes d'exploitation sans dommages, où le montant du sinistre effectif était sans commune mesure avec les capacités financières du marché de l'assurance et de la réassurance privées.
En deuxième lieu, le marché de l'assurance privée rencontre des difficultés à mutualiser les risques en présence d'aléa moral ou d'anti-sélection : quel intérêt les assurés ont-ils à choisir une couverture d'assurance s'ils ont la certitude que l'État leur viendra en aide en cas de sinistre ? Quelle possibilité les assureurs ont-ils de couvrir les risques lorsque l'aléa est concentré sur quelques têtes ? Il ne s'agit plus réellement d'un risque mais d'une très forte probabilité. Dans ce cas, l'État doit forcer la mutualisation, en prévoyant une extension obligatoire d'assurance, et introduire une forme de solidarité entre les territoires, comme c'est le cas pour les catastrophes naturelles.
Enfin, se pose le problème de la couverture des « super catastrophes », dont l'occurrence est rare, mais qui peuvent causer des dégâts très élevés. Je prendrai l'exemple de la pandémie : comment fixer un tarif d'assurance qui soit acceptable pour les assurés, lorsqu'ils peuvent avoir le sentiment qu'ils vont devoir payer pendant 30 à 40 ans sans savoir si cela leur sera utile un jour ? Des représentants d'entreprises ont pu se poser cette question. Du côté des assureurs, comment rémunérer le capital énorme à immobiliser pour couvrir les risques ? Pour résoudre ces difficultés, qui existent pour les catastrophes naturelles s'agissant de la crue centennale de la Seine, du tremblement de terre à Nice, du cyclone force 5 sur l'île de La Réunion, qui sont des sinistres qui dépassent la vingtaine de milliards d'euros, la seule façon de fixer le tarif de l'assurance est d'avoir une subvention implicite de l'État, à travers la garantie offerte à un prix raisonnable.
Il existe donc des risques extrêmes, qui ont, pour les raisons évoquées, des difficultés à être couverts uniquement par le marché privé. Mais heureusement, l'État peut mobiliser l'outil législatif, et l'aide budgétaire sous forme de garantie ou de subvention. Il est donc possible de débloquer ces situations avec un grand bénéfice pour la nation, car cela permet de combler les « gaps » de couverture, d'assurer une solidarité entre la population exposée et celle qui l'est moins, tout en protégeant les finances publiques. Le régime « CATNAT » le permet : je vous invite à comparer la situation française par rapport à la situation allemande. Tout ceci permet d'avoir une meilleure connaissance des risques et de travailler sur les questions de prévention.
A l'occasion de la crise de l'année dernière, j'ai eu le plaisir de constater que certains, qui pouvaient être dubitatifs, réticents ou critiques, ont redécouvert l'intérêt d'avoir un État qui joue son rôle de garant de l'assurabilité des risques, et d'avoir un garant en dernier ressort pour soutenir le marché privé de l'assurance. Ayant dit cela, je me dois de vous dire que mettre en place un partenariat public-privé n'est pas chose aisée. Il faut prendre garde à plusieurs écueils : pour le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, à travers le lissage des primes d'assurance qui est opéré de facto par le régime, on atténue le signal prix. Il y a donc moins d'incitations de la part des assurés à prendre les bonnes mesures et décisions. Si on met en place une forme de subventions aux primes d'assurance, on fait supporter une partie du coût du risque par le contribuable plutôt que par l'assuré. Or, le poids de la subvention ne doit pas être disproportionné par rapport au poids de la prime l'assurance, sinon, nous ne sommes plus dans un système assurantiel.
Je pense que l'intervention de l'État et du réassureur public ne peut être que supplétive et doit entraver aussi peu que possible la liberté des acteurs privés. Idéalement, les ménages et les entreprises doivent pouvoir ne pas s'assurer, quitte à les y obliger de facto, ou à les y inciter fortement. C'est important d'avoir la liberté d'adhérer ou pas au dispositif d'assurance et de réassurance publique. Mais lorsque l'on y adhère, il est légitime d'exiger certaines conditions au titre de la solidarité. Ce n'est pas seulement une opinion personnelle, c'est une contrainte que nous avons au niveau du droit européen : tous les six mois, les dispositifs mis en place, comme les dispositifs CAP, ou les dispositifs d'assurance-crédit, sont soumis à la Commission européenne, qui vérifie leur compatibilité avec les règles de concurrence au sein du marché de l'Union européenne.
Le deuxième écueil est une ambition qui doit être considérée avec prudence : il s'agit de la tentation du couteau suisse. En matière de risques extrêmes, le « sur-mesure » s'impose. Il ne faut pas chercher à transposer ce qui existe et qui fonctionne bien, car ce ne sont pas toujours les mêmes problématiques. Pour les catastrophes naturelles, la problématique est d'assurer la solidarité entre les territoires, en particulier entre les territoires ultra-marins et métropolitains, et entre certaines zones du territoire métropolitains et d'autres moins exposées. Le dispositif mis en place permet d'assurer cette solidarité.
Le régime mis en place pour couvrir le risque de terrorisme relève d'une autre logique : en l'absence de capacité privée de réassurance, un pool de coréassurance a été mis en place pour développer cette capacité. L'État offrait initialement la totalité de cette capacité, puis il se retire progressivement à mesure qu'une capacité de réassurance privée émerge sur le marché.
En tout état de cause, les dommages liés à des risques assurables doivent être couverts selon les voies traditionnelles, sans la garantie de l'État. Cela demande une meilleure diffusion de la culture du risque, un effort de promotion des garanties d'assurance et une mobilisation accrue des réassureurs privés. Il ne faut pas aller tout droit vers une solution de facilité, qui est d'utiliser la réassurance publique à la moindre difficulté : il faut d'abord explorer et épuiser les capacités du marché privé.
Pour conclure, nous avons en France, avec le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles et le régime de couverture des attentats, une expérience reconnue de longue date et saluée par des organismes internationaux. Des réflexions sont en cours pour optimiser ou réformer le régime « CATNAT», des réflexions démarrent sur la couverture des risques cyber et des risques agricoles, sur les risques de pandémie, ou encore sur le risque de crédits : la CCR y participe de façon très ouverte, en mettant à disposition ses compétences pour aider à faire émerger des solutions qui présentent un grand intérêt pour nos concitoyens et pour le développement du marché de l'assurance.
Mme Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). - Lors de cette pandémie, nous avons constaté, d'une part, un manque d'acculturation des TPE et PME au risque assurantiel et d'autre part, un manque de visibilité sur les contrats d'assurance et les garanties offertes. Ce constat résulte du fait que les assurances ont souvent été vendues aux TPE et PME en contrepartie de quelque chose, c'est le cas par exemple de l'assurance-crédit, ou alors par obligation légale. Il y a donc, dans la majorité des cas, un faible accompagnement de la part des assureurs pour les plus petits contrats.
Nous avons mené une enquête auprès de nos adhérents au mois de mai 2020. Il ressort que 42 % des entreprises sondées disent avoir souscrit une assurance couvrant les pertes d'exploitations. Parmi elles, 34 % ont déclaré un sinistre au titre des pertes d'exploitation, dont 80 % précisent ne pas avoir été indemnisées par leur assureur. Enfin, 7 % des dirigeants qui avaient souscrit à une assurance couvrant les pertes d'exploitation ont constaté que cette garantie avait été résiliée dans le contrat pour 2021. Plus largement, il nous a été remonté que si les chefs d'entreprise souhaitaient maintenir cette garantie, ils devaient faire face à une croissance à deux chiffres du montant de la cotisation.
Si un nouveau mécanisme de couverture des risques exceptionnels doit être mis en place, ce à quoi nous ne sommes pas opposés, il ne faut pas oublier les objectifs fixés au groupe de travail par le Gouvernement. Ils étaient d'offrir une couverture adaptée aux risques d'intensité exceptionnelle, faire face aux baisses de chiffre d'affaires, mais en limitant le coût pour les entreprises, qui pèserait sur nos TPE et PME. Nous sommes bien conscients de la difficulté de créer un tel mécanisme pour les assureurs, notamment parce qu'il s'agit de couvrir des risques exceptionnels.
Nous sommes particulièrement attachés au principe d'une garantie facultative. Charge à l'assureur de motiver et d'expliquer à son client les intérêts d'une telle assurance, mais la décision de souscrire doit revenir au chef d'entreprise.
Au niveau des périls retenus, nous préconisions une couverture face au risque de pandémie, de crise sanitaire grave, mais aussi de l'élargir aux émeutes, menaces, conséquences d'attentats terroristes, éventuellement aux catastrophes naturelles sans dommage. Il nous avait été dit, à l'époque de la mise en place du groupe de travail, qu'un tel périmètre susciterait une hausse du coût des cotisations limitée à 20 %. On nous avait également dit qu'il était impossible de mutualiser des risques différents.
S'agissant des mesures administratives susceptibles de déclencher la couverture, nous souhaitons que cela ne concerne pas uniquement le cas des fermetures administratives, mais également les restrictions de circulation et d'accès. Nous souhaitons également que le déclenchement de la garantie soit automatique. La mutualisation doit être la plus grande possible, et que toutes les entreprises qui souhaitent y souscrire puissent le faire. Un niveau plafond, de cotisation comme de couverture, pourrait être retenu pour les grandes entreprises, afin de limiter les coûts.
Au niveau du système indemnitaire, nous avions opté pour une méthode d'indemnisation forfaitaire, sur la base d'un montant équivalent à 50 % de la marge brute hors bénéfices et masse salariale. S'agissant de la typologie des contrats, nous ne défendons pas une position fermée, tant que le caractère facultatif de la garantie est préservé.
La possibilité d'une auto-assurance a également été évoquée. La députée Valéria Faure-Muntian a d'ailleurs fait des propositions en ce sens. Dans cette perspective, les TPE et PME décideraient d'affecter une partie de leurs résultats d'entreprise, soit dans des fonds propres, soit dans le cadre de contrats dédiés, afin de se créer une enveloppe mobilisable en cas de difficultés. Nous ne sommes pas contre une telle proposition, à condition que le dispositif reste incitatif et facultatif. Il faut néanmoins garder à l'esprit que lorsque l'on parle de renforcement des fonds propres, c'est une notion qui ne parle pas à 99 % des commerçants. Parce que la très large majorité des commerçants sont en entreprise individuelle et n'ont dont pas la même notion de bilan que pour une entreprise au statut de société à responsabilité limitée (SARL).
Concernant la cybersécurité, sujet qui monte en puissance, particulièrement dans un contexte d'essor de la visioconférence et du télétravail, on voit qu'il y a de plus en plus d'alertes. Je rejoins complètement Mme Lustman sur ce point. Seulement 17 % des entreprises de moins de 50 salariés sont assurées contre les attaques informatiques. Un travail important de sensibilisation doit être fait. Là encore, nous ne sommes pas favorables à une couverture obligatoire. Il faut expliquer ce risque, qui peut toucher même les plus petites entreprises, parce que beaucoup de TPE ne se sentent pas concernées. Cela est toutefois en train de changer mais un effort conséquent reste à faire.
En conclusion, nous soutenons la mise en place de dispositifs facultatifs, incitatifs. Le rapport entre le coût et l'indemnisation doit être intéressant, sinon les entreprises ne cotiseront pas. Enfin, il faut inciter les métiers de l'assurance à expliquer, sensibiliser sur l'intérêt de s'assurer et renforcer la clarté des contrats d'assurance comme les garanties offertes.
M. Claude Raynal, président. - Merci Madame Pauzat. Avec ce troisième point de vue, le débat gagne en complexité.
M. Joël Limouzin, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). - Je vais me focaliser sur le secteur agricole. Ces questions économiques nous regardent de très près, mais l'aspect climatique y est encore plus prépondérant. Depuis plusieurs années, les phénomènes climatiques sont d'une intensité exceptionnelle, et s'enchaînent quasiment tous les ans. Presque tous les territoires de notre pays ont été touchés. Certains ont subi quatre années consécutives de sécheresse. Pour d'autres, l'année a vu se succéder épisodes de sécheresse, de grêle et de neige. Cette situation dramatique n'épargne personne. Certaines régions qui se sentaient à l'abri il y a quelques années ne peuvent plus dire qu'elles passeront à côté d'un sinistre, qu'il s'agisse de tempêtes, de sécheresses, d'inondations ou de canicules.
Nous ne pouvons plus nous contenter d'évaluer les dégâts a posteriori. C'est un constat partagé entre le secteur de l'assurance, les agriculteurs, et l'État. Cette situation nous engage tous : agriculteurs, pouvoirs publics, acteurs de l'assurance et de la réassurance. Il nous faut désormais mieux prévenir, mieux préparer, et surtout mieux réparer, afin de permettre aux entreprises agricoles d'être plus résilientes. Cette résilience permet de mieux redémarrer après de tels épisodes. Certains exploitants ont subi cette année l'épisode de gel puis un épisode de grêle. En particulier, 250 hectares d'une même commune ont été ravagés par ces deux sinistres consécutifs. On croirait voir des vignes en plein hiver. Psychologiquement, cette situation est insupportable pour les agriculteurs concernés.
Il est de notre responsabilité collective de réformer en profondeur le modèle de gestion des risques que nous connaissons aujourd'hui. Nous avons un système assurantiel, qui a évolué avec le temps, et qui s'incarne aujourd'hui dans le système de multirisques climatiques. Vous avez évoqué Mme Lustman un taux de pénétration de 30 % en moyenne, qui concerne surtout le secteur grande culture, ainsi que la viticulture. Sur l'arboriculture, nous ne sommes qu'à 4 ou 5 % de pénétration, et sur la prairie, autour de 1 à 2 %.
Il y a, parallèlement à ce dispositif assurantiel, le fonds des calamités agricoles, qui a fait ses preuves. Il est fondé sur un principe de solidarité, en prévoyant une taxe additionnelle assise sur les cotisations d'assurance acquittées par chaque agriculteur sur ses biens d'exploitation. Son taux, originellement fixé à 11 %, a été réduit il y a quelques années à 5,5 %. Cette taxe représentait, jusqu'à il y a cinq, six ans, un rendement de 120 millions d'euros chaque année, versés au fonds des calamités agricoles, un montant en principe équivalent à l'abondement de l'État. La contribution des agriculteurs représentait, sur les vingt dernières années, 52 % des recettes du fonds, contre 48 % par l'État. Le fonds était donc abondé annuellement de 250 millions d'euros en moyenne.
Aujourd'hui, les agriculteurs qui travaillent à ciel ouvert ne peuvent plus faire face seuls aux changements climatiques. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Agriculture ont été clairs là-dessus. L'enjeu politique est fondamental. Il y a un objectif de pérennisation de la production sur tous nos territoires, y compris dans les zones plus difficiles. A la FNSEA, nous tenons à ce que l'agriculture soit présente sur tous nos territoires. C'est un maillon clé de notre souveraineté alimentaire ; si l'on ne fait rien pour apporter de la résilience, elle sera atteinte. Certains pensent que l'on pourra toujours trouver à manger. Peut-être, mais notre alimentation risque d'être de plus en plus issue de l'importation.
La solidarité nationale doit jouer son rôle dans le cadre d'un schéma global, qui articule assurance récolte et fonds d'indemnisation des calamités agricoles. Ce débat a été largement engagé dans le cadre du Varenne agricole de l'eau et du changement climatique, que nous avions appelé de nos voeux. Des groupes de travail ont été initiés. Le premier se réunit toutes les semaines, avec les assureurs, les réassureurs et les pouvoirs publics. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de mobiliser des moyens, nous devons obtenir des résultats et des décisions politiques courageuses.
La solidarité nationale doit s'appuyer sur une gouvernance équilibrée. Il y a un vrai débat sur la mise en place d'un « pool » de co-réassurance. Tout le monde n'est pas d'accord sur le sujet. Mais nous pensons, en tant qu'agriculteurs, qu'il doit y avoir un tel « pool », dont le taux d'indemnisation comme le curseur de détermination des aléas catastrophiques doivent encore être précisés. Cette articulation est fondamentale, car les agriculteurs ne peuvent plus subvenir seuls à leurs risques ou par la seule assurance.
Il est également nécessaire d'appliquer les acquis du règlement européen « Omnibus ». Dans le cadre de la politique agricole commune, il est possible d'aller plus loin en termes d'attractivité du système assurantiel. L'ensemble des filières agricoles le demandent, tout comme d'ailleurs le député Frédéric Descrozaille. Dans son rapport sur la gestion des risques en agriculture, il demandait à baisser le seuil et le niveau de franchise à 20 %, et d'augmenter la part subventionnée à 70 %. Je rappelle que l'Italie a mis en place le règlement omnibus depuis 2018.
Enfin, il y a une question douloureuse, qui ralentit probablement le développement de l'assurance, c'est le système de la référence, que nous appelons communément la « moyenne olympique ». C'est un dispositif où on calcule l'indemnisation à partir des cinq années passées, en enlevant la meilleure et la moins bonne. Mais dans un contexte de sinistres répétés, année après année, le rendement se trouve fortement rabaissé, et l'assurance ne déclenche pas l'indemnisation dans des proportions satisfaisantes. Il faut que nous aboutissions à un nouveau dispositif pour quantifier le vrai potentiel de production d'une entreprise agricole en situation normale. L'objectif est de pouvoir indemniser au plus juste pour permettre aux agriculteurs de repartir dans les meilleures conditions possibles. De nos groupes de travail, il ressort que la combinaison de la contribution via une assurance et de la solidarité nationale va devenir indispensable.
Nous allons un peu plus loin sur la question de l'obligation ou du volontariat. Jusqu'à présent, nous étions sur un principe d'assurance volontaire. Mais on ne peut plus continuer, à l'heure où de nombreux drames se jouent dans les entreprises, avec le système actuel. Or, si l'on veut qu'un système de coassurance et de solidarité nationale fonctionne, il doit être assis sur le principe d'une souscription obligatoire. Nous sommes prêts à aller jusque-là pour donner un vrai coup de « boost » au développement de l'assurance.
Ce que nous constatons aujourd'hui, et je le déplore fortement, c'est que les assureurs sont fortement sollicités dans l'accompagnement du secteur agricole. Le rapport des cotisations sur les sommes décaissées pour sinistres dépasse 100 %, certaines régions frôlant les 200 %, 240 % certaines années. Nous sommes conscients que cela ne peut pas continuer. L'offre assurantielle à destination de l'agriculture est en retrait, certains contrats sont revus à la hausse dès cette année, avec des augmentations de tarifs importantes ou le retrait de certaines options. Si nous comprenons la difficulté de maintenir ces contrats pour les assureurs, nous pensons également que ce n'est pas le meilleur moment pour effectuer de tels changements, alors que nous sommes à la veille d'une réforme. Il y a urgence à mettre en place un nouveau dispositif, avec la transition la plus courte possible.
L'État doit comprendre que sans la solidarité nationale, c'est la souveraineté alimentaire qui est mise en danger.
M. Jean-François Husson. - Ces interventions confirment que nous avons un travail à mener. Le Gouvernement a lancé l'an dernier une réflexion sur l'assurance de la perte d'exploitation liée à la pandémie puis l'a refermée en fin d'année. Je le regrette, compte tenu du travail collectif qui a été mené. Aux risques classiques, s'ajoutent des risques nouveaux et exceptionnels, avec un caractère coûteux et répétitif. L'État ne pourra pas s'occuper de tout et je pense, après la proposition de loi sur laquelle nous avons travaillé, qu'il faut engager une réflexion sur la mise en place d'une sorte de« partenariat public-privé ». Ces risques pourraient être couverts avec des « captives » : quel est votre point de vue ?
Axa vient de relancer deux initiatives. La première prend en compte l'image laissée par le secteur et prévoit un engagement de l'ordre de 300 millions d'euros pour indemniser les restaurateurs dans un délai très court. La seconde est une volonté de travailler à des solutions nouvelles, dans un « partenariat public-privé ». Qu'en pensez-vous ?
S'agissant du monde agricole, des risques nouveaux, répétés ou coûteux créent des drames pour les propriétaires touchés. Un groupe de travail, présidé par le député Frédéric Descrozaille, travaille sur la gestion des risques agricoles. Quelles sont les solutions à imaginer ?
Comment mutualiser de manière très large afin d'éviter les phénomènes d'anti-sélection ? Nous avions proposé dans la proposition de loi une garantie additionnelle à caractère obligatoire, afin d'ajouter une mutualisation par les professionnels à la mutualisation entre les contribuables via l'impôt.
Au total, je comprends vos prises de position, je ne les partage pas toutes mais le dispositif actuel n'est pas satisfaisant et nous devons être imaginatifs de manière collective.
M. Christian Bilhac. - Il y a un problème assurantiel concernant la voirie communale par exemple lorsque survient un « épisode cévenol » : je connais bien la difficulté des maires à remettre en état la voirie après un tel épisode.
S'agissant de l'agriculture, les récoltes devaient être assurées car l'exceptionnel devient fréquent. Sur les cinq dernières années, une seule a été bonne. Par exemple, la plupart de ceux qui sont passés en exploitation biologique n'ont pas résisté à l'attaque de mildiou sur la vigne.
Je rejoins le rapporteur général : il faut mêler la participation du contribuable et celle de l'assuré, même si en fin de compte il s'agit souvent de la même personne.
M. Vincent Segouin. - Je n'ai pas compris si le fonds des calamités agricoles doit continuer à exister ou non. La profession accepte-t-elle d'aller uniquement vers l'assurantiel ? Au contraire, veut-elle garder ce fonds et à chaque épisode climatique, comme celui récent du gel, avoir un ministre qui se déplace pour débloquer des enveloppes budgétaires ? Va-t-on également vers la prévention des risques, par exemple en faisant des réserves d'eau, sachant que la législation sur le climat met des freins en permanence en la matière ?
Mme Pauzat, vous disiez que les TPE et PME étaient assurées pour la perte d'exploitation, mais qu'il y a eu des déclarations de sinistre sans effet, et donc qu'elles n'avaient pas eu suffisamment d'information de la part de leur assureur. En même temps, j'entends que le cyber-risque pouvait devenir la pandémie du futur. Les TPE et PME ont-elles vraiment pris conscience de ce risque et se sont-elles assurées ?
M. Thierry Cozic. - Nous savons que nous allons connaître une recrudescence des catastrophes en tous genres dans les années à venir. Peut-on envisager un fonds européen de garantie qui serait abondé à la fois par le secteur privé exploitant les activités ayant un impact sur le climat et par les États eux-mêmes ?
M. Jean-Michel Arnaud. - S'agissant de l'assurance des cultures, il semble qu'il serait proposé une couverture par les assurances pour les pertes de 20 % à 50 % des récoltes, et par le régime des calamités agricoles pour le reste. Le confirmez-vous et avez-vous évalué l'impact sur les dispositifs assurantiels que vous gérez et pour les cotisations à l'hectare ? Le niveau de cotisation est différent en fonction de la valeur des productions agricoles à l'hectare. L'arboriculture est peu couverte, et pour cause, car les cotisations sont rédhibitoires pour les exploitants.
Je pense aussi qu'il faut une réflexion sur un régime de mutualisation à l'échelle européenne. Les phénomènes de gel sont récurrents et liés au réchauffement climatique. L'Europe de l'ouest est plus exposée que l'Europe continentale en raison des différences dans les dates de floraison.
M. Claude Raynal, président. - La liberté, pour les entreprises, de s'assurer ou non a-t-elle des conséquences sur le soutien de l'État ? Il serait curieux qu'on puisse choisir de ne pas s'assurer tout en comptant ensuite sur l'État.
M. Joël Limouzin. - Pour nous, le régime des calamités agricoles dans sa forme actuelle est obsolète : il nous faut complètement réinventer ce système. En matière de pertes, nous estimons que c'est supportable pour les agriculteurs et qu'ils peuvent les prendre en charge jusqu'à 20 %, que ce soit par le biais de la fiscalité ou de dispositifs de prévention des risques (stockage d'eau, filet para-grêle, système anti-gel). Il nous faut en effet un vrai plan de bataille et d'accompagnement de l'investissement en faveur de la prévention : tout investissement en faveur de la prévention sera toujours plus rentable que d'intervenir sur du curatif. Pour autant, et même si cela fait des années que nous attirons l'attention sur ce point, le curatif reste le premier réflexe.
Parallèlement à ces dispositifs, et nous le signalons depuis longtemps aux assureurs, il faut mener une vraie expertise des risques et mesurer l'exposition au risque de chaque entreprise agricole afin de définir le montant le plus juste pour la prime d'assurance. Par exemple, dans le système des bâtiments agricoles, lorsqu'on installe des dispositifs anti-incendie, c'est pris en compte par l'assureur et on peut renégocier le contrat d'assurance. Les assureurs ont toute la compétence nécessaire pour mener ce travail.
Dans notre schéma et dans nos propositions, l'acteur majeur, c'est l'assureur. L'assureur peut s'appuyer sur sa proximité : le grand intérêt de ce système, c'est la rapidité d'indemnisation des agriculteurs. Aujourd'hui, le régime des calamités agricoles indemnise jusqu'à un an après les dégâts, ce qui n'est pas tenable en matière de trésorerie. Il faut donc conserver le lien avec l'assurance et vraiment utiliser toutes les compétences de l'assureur, de la gestion de la partie assurance à la partie risque. Sur la partie assurance, il faudrait une prise en charge pour les pertes de rendements allant de 20 % à 50 %, qui s'adapterait en fonction des filières. Toutes ne peuvent en effet pas être abordées de la même façon : lorsqu'il y a un épisode de gel ou de grêle violent, les secteurs de l'arboriculture et de la viticulture peuvent perdre jusqu'à 100 % des récoltes, tandis qu'on n'a quasiment jamais vu un exploitant perdre 50 % de son revenu en prairie. Il faudrait donc mettre en place des curseurs selon les filières, qui détermineraient à partir de quel niveau de pertes la solidarité nationale prendrait le relais.
Il faut ensuite regarder le taux d'indemnisation. Je rappelle que dans le cas du régime des calamités agricoles, il faut justifier d'au moins 30 % de pertes, pour une indemnité à hauteur de 28 %. Cependant, pour quelqu'un qui a perdu 100 %, ne devrait-on pas plutôt considérer que l'assureur en prend une partie en charge, sur le volet de 20 % à 50 %, et qu'ensuite cela revient à l'État ? Cela nous permettrait de renforcer la solidité économique des assureurs, tout en allant vers un vrai partenariat public-privé. Nous passerions ainsi d'un mécanisme collectif et public des calamités à un système plus proche de ce partenariat public-privé. Je considère que nous n'aurons pas le choix que de suivre cette évolution si nous voulons conserver notre souveraineté alimentaire.
Sur le capital assuré, oui, il faut trouver des curseurs qui nous permettent de nous appuyer sur ces éléments. Un hectare de prairie n'a que peu à voir avec un hectare d'arboriculture. Je crois savoir qu'en matière de chiffrage, ces simulations sont en cours. Le groupe de travail sur la réforme de la gestion des risques, piloté par Hervé Lejeune et Frédéric Descrozaille, doit bientôt rendre ces conclusions. Nous attendons quant à nous beaucoup de l'État, et en particulier du ministère de l'économie, des finances et de la relance, parce qu'il apparait très en retrait sur le sujet, en s'interrogeant seulement sur le coût immédiat. Dans l'esprit du ministre Bruno Le Maire, l'idée était plutôt celle, en contrepartie de la solidarité nationale, de l'assurance obligatoire.
Or, nous considérons que l'assurance obligatoire ajoute certaines complexités, par exemple au regard de l'accompagnement financier dans le cadre des aides européennes. On est donc plutôt sur une approche d'assurance « conditionnée ». J'ajoute que si on n'avait pas de responsables agricoles dans certaines compagnies d'assurance, qui connaissent bien ces enjeux, cela ferait au moins un ou deux ans qu'on aurait certainement mis fin à cette offre assurantielle pour l'agriculture.
Ce système ne marchera que s'il y a une offre assurantielle pour tous les secteurs, y compris donc les petits secteurs qui, seuls, ne pourront pas y arriver. Les assureurs doivent donc s'engager filière par filière, tout en conservant un socle minimal de mutualisation. C'est un chantier immense, mais le changement climatique va beaucoup plus vite que nous et nous impose d'avancer sur ces réformes.
Mme Stéphanie Pauzat. - Concernant les captives de réassurance, ce n'est pas aujourd'hui un sujet TPE/PME parce que cela semble très complexe. En revanche, ce que l'on avait évoqué lors du groupe de travail, c'était l'éventualité de s'inspirer des contrats « indemnités de fin de carrière » (IFC), c'est-à-dire de donner la possibilité - et ce serait aussi possible pour un commerçant - de cotiser tous les mois ou à la fin d'un bon exercice, et d'avoir ce contrat qui puisse servir en cas de matérialisation de risques exceptionnels. L'idée, c'était également de prévoir quelques cas de déblocages exceptionnels - à l'instar de ce qui est prévu par exemple pour la participation ou l'épargne salariale. Si la société s'approche d'une situation dans laquelle elle serait en cessation de paiement, il faut lui donner la possibilité de récupérer les fonds mis de côté.
Concernant la cybersécurité, les TPE et les PME n'ont pas encore bien pris conscience que le risque cyber pouvait être la pandémie de demain. Il faut vraiment mener un travail de sensibilisation dans ce domaine. Des entités publiques ou privées commencent à travailler sur ce point, que ce soit pour sensibiliser les entreprises ou les collaborateurs, par le biais de mises en situation.
Je crois vraiment qu'il y a là un vrai travail à faire. C'est d'abord, et surtout en matière de sensibilisation, le rôle de tous : les entreprises, les organisations, les experts-comptables, les assureurs et les banquiers. Les TPE se sentent en effet très peu en danger parce qu'elles ont l'impression qu'elles ne sont pas des cibles prioritaires, qu'elles ne disposent pas d'actifs aussi précieux que ceux des grandes entreprises. Or, la cyber-criminalité, ce n'est pas forcément chercher à s'attaquer aux actifs les plus valorisés ou les plus secrets, c'est avant tout une tentative de gripper le système, de nuire à l'entreprise. C'est un sujet dont tout le monde doit s'emparer, et vite. À titre d'exemple, la CPME a créé une commission spécifique avec un président en charge de ce sujet.
Concernant la liberté pour les entreprises de s'assurer ou non, et de maintenir ou non en contrepartie un soutien de l'État, je souhaite rappeler le contexte de 2020. L'assurance n'existait pas ou peu pour répondre à cette situation. Il y avait bien des assurances couvrant les pertes d'exploitation, mais entourées de clauses dans les contrats qu'on a eu du mal à interpréter. Or, durant la crise, les personnes et les entreprises ayant reçu une indemnisation suffisante ont moins fait appel, voire pas du tout fait appel, aux solutions de solidarité mises en place par l'État. Il y a donc un équilibre à trouver, on peut aller vers ce binôme assurance-État.
Les entreprises ne sont pas des chasseurs de subventions et de primes : l'objectif n'est pas de bénéficier d'aides indues, de gagner plus grâce à ces mécanismes de solidarité, mais bien de sauver son entreprise. On pourrait toutefois envisager, après avoir vu ce qui s'est passé durant la crise sanitaire, de rendre obligatoire l'assurance pour certains risques : s'il y a un produit qui existe, alors l'entreprise doit s'assurer sur ce produit, ne serait-ce qu'un minimum. L'État pourrait alors ne pas couvrir ces pertes d'exploitation, assurées, mais c'est un sujet sur lequel il faut que l'on travaille avec nos adhérents.
M. Bertrand Labilloy. - Concernant le fait que les voiries et les ouvrages d'art et d'infrastructures publiques ne sont pas couverts par l'assurance catastrophes naturelles, il faut rappeler que ces ouvrages ne sont pas exposés aux vols ou aux incendies. L'assurance dommages aux biens devait à l'origine couvrir le vol et l'incendie, c'est simplement une surprime, une extension de garantie qui couvre les dommages consécutifs à une catastrophe naturelle. Il n'est cependant pas du tout interdit d'envisager une assurance obligatoire et spécifique dont la prime serait calculée en fonction des capitaux assurés. Ce sont des choses tout à fait faisables.
Le fonds européen de garantie pour les risques climatiques est très séduisant, même si on ne sait pas trop s'il aurait vocation à couvrir les catastrophes naturelles ou seulement les risques climatiques pesant sur les récoltes. J'ai travaillé sur cette idée avec des collègues italiens, allemands ou espagnols. Toutefois, le fait est que l'exposition aux risques naturels est très diverse d'un pays à l'autre : le risque sismique et volcanique pour les Italiens, le risque inondations pour les Allemands. Si vous ajoutez à cela la diversité culturelle par rapport à la socialisation des risques et à l'intervention de l'État, vous en concluez vite que l'idée même d'un étage européen, sans parler d'un système européen, est très compliquée. Même s'ils reconnaissent le mérite du régime français des catastrophes naturelles, nos homologues allemands n'ont pas du tout la même approche que nous.
Pour illustrer mon propos liminaire, je voudrais revenir sur le régime pour couvrir les pertes d'exploitation et la réforme de l'assurance des risques climatiques sur récoltes. Il est absolument critique et indispensable de clarifier le rôle entre l'assurance agricole et le fonds de gestion des risques en agriculture. Tant que l'on n'aura pas fait cet effort, en limitant très clairement l'intervention du régime des calamités agricoles à des situations très spécifiques, il n'y aura jamais d'assurances agricoles viables et pertinentes.
J'ai indiqué qu'il fallait également éviter la tentation du couteau suisse. Il y a quelque chose qui existe aujourd'hui pour le terrorisme, c'est le GAREAT (Gestion de l'Assurance et de la Réassurance des risques Attentats et actes de Terrorisme). C'est un pool de co-assurance par lequel, lorsqu'il y a un attentat qui cause des dommages à une grande entreprise, les assureurs en couvrent le coût de manière solidaire. C'est en même temps un groupement d'achat de réassurance par lequel ils achètent en commun la réassurance auprès du marché privé. Copier ce dispositif pour les risques agricoles ne semble pas être la bonne option. Nous avons en effet aujourd'hui affaire à des assureurs dont le modèle économique sur les risques agricoles est profitable et d'autres pour lequel il l'est moins. La partie pool de co-assurance aurait donc déjà du mal à fonctionner. Quant au groupement d'achat de réassurance, il n'y a pas de problème de capacité sur le marché privé de la réassurance en matière de risque agricole. C'est un risque qui est couvert massivement, partout dans le monde, qui se mutualise très bien à l'échelon international et ces mêmes capacités existent en France.
Sur le risque agricole, ce que j'ai retenu des difficultés de cette assurance, c'est qu'elle est techniquement déficitaire, quasiment tous les ans. Si on veut qu'elle prospère, et indépendamment de toute idée de régime ou de partenariat public-privé, il faut tout de même, comme pour les catastrophes naturelles, se dire que cela doit concerner des événements rares, les catastrophes au sens strict du terme. Par exemple, pour les catastrophes naturelles, sont visées celles qui surviennent moins d'une fois tous les dix ans. Si cela intervient tous les deux-trois ans, on comprend bien que ce ne peut pas être financièrement équilibré. Le prix de l'assurance ou le surcoût que l'on fait peser sur le contribuable serait trop élevé. En revanche, la réassurance publique des catastrophes naturelles est quasiment équilibrée. En près de quarante ans d'exercice, on a fait appel une fois à la garantie de l'État et pour un montant assez modique. Cela signifie que la prime de réassurance permet l'équilibre et apparaît suffisante. On a donc un dispositif certes public, mais qui s'équilibre. Si l'idée était de faire intervenir la réassurance publique pour couvrir les pertes récurrentes et certaines d'un dispositif de couverture des risques agricoles, alors il ne faudrait pas appeler cela de la réassurance publique mais il faudrait créer un fonds, par exemple en recyclant le fonds de gestion des risques en agriculture, qui deviendrait un fonds de solidarité abondé par le contribuable. C'est important pour la crédibilité de nos dispositifs de réassurance publique.
Sur les pertes d'exploitation sur dommages, je pense qu'il y a deux voies. La difficulté que nous avons rencontrée, outre la frilosité et l'opposition de certaines parties prenantes, était ce sentiment d'être devant un risque binaire : soit le risque ne survient pas, et il peut ne pas survenir pendant 30 ou 40 ans, soit le risque survient et cela peut coûter 50 ou 60 milliards d'euros. Ce n'est pas du tout la même configuration que le risque catastrophes naturelles, où il y a toujours de 300 à 600 millions d'euros de catastrophes naturelles de tailles diverses et variées par an, et de temps en temps plusieurs milliards d'euros. Cette non-granularité du risque de pandémie appliquée aux pertes d'exploitation était une vraie difficulté. Si on veut couvrir ces pertes, il y a deux approches possibles. La première est assez libérale : on n'impose aucune obligation, aucune extension obligatoire de garantie mais on cherche simplement à promouvoir les garanties d'assurance pertes d'exploitation, qui ne sont pas généralisées chez les PME et les ETI. Elles sont encore plus rares pour les pertes sans dommages, du fait aussi de difficultés techniques : ces garanties sont techniquement très difficiles à définir, à tarifer, à mettre en place et à indemniser. Il n'y a guère que les grandes entreprises qui arrivent à obtenir des garanties d'assurance sur mesure, pour leurs besoins. Si on veut développer ce marché, il faut être très modeste, l'appliquer à des domaines spécifiques, par exemple l'annulation de billetteries de spectacles ou encore les cautions que doivent donner les agences de voyage. Si on doit aller vers un régime général, je rejoins l'idée qu'il faut qu'il y ait une forme d'obligation d'assurance, d'extension obligatoire de garantie d'assurance. Dans le cas contraire, il n'y aurait pas de possibilité de mutualiser les risques.
Mme Florence Lustman. - Je vais essayer de conclure de façon constructive. Le point central reste le caractère très important du risque. Le problème est celui du coût du risque.
Monsieur le rapporteur général, je vous remercie de tenter de remettre au centre du jeu une solution assurantielle fondée sur un partenariat public-privé. C'est selon moi la seule façon d'avoir une indemnisation en ligne avec les attentes des assurés et des citoyens. Ce qui permet la mutualisation la plus large, c'est l'inclusion dans tous les contrats dommage. Quand on a une mutualisation extrêmement large, le coût est très restreint pour une TPE. D'après nos évaluations, pour une TPE qui fait moins de 100 000 euros de chiffre d'affaires par an, pour 4 euros par mois, elle peut s'acheter une indemnisation qui peut aller jusqu'à 3 750 euros. Un restaurant qui fait un million d'euros de chiffre d'affaire par an va payer une prime de 26 euros par mois, et il peut toucher jusqu'à quasiment 22 000 euros en cas de crise. Les montants de primes évalués me paraissent abordables pour toutes les tailles d'entreprises. Votre proposition, Monsieur le rapporteur général, recouvre en partie celle de la FFA. Effectivement, les contrats de pertes d'exploitation en assurance sont des contrats mis en oeuvre après dommage pour couvrir les frais fixes pendant la période de fermeture de l'établissement, comme en cas d'incendie par exemple. Cette garantie est complexe car l'indemnisation nécessite notamment de se plonger dans les comptes de l'entreprise sur plusieurs années. Dans un cas exceptionnel avec des conséquences économiques d'une fermeture administrative de certaines activités économiques, il faut agir vite, d'où l'idée d'une indemnisation forfaitaire. Les exemples que je vous ai donnés partent de marges brutes qui sont différentes selon les activités, évaluées à partir des données de l'INSEE. L'indemnisation forfaitaire permet de verser rapidement les sommes dues, comme dans votre proposition de loi qui prévoit un délai de 30 jours. Une large mutualisation est valable pour le régime « CATNAT », donc je continue de penser que c'est une solution.
Certes, il est complexe d'imposer une garantie alors que certains vont payer toute leur vie, sans toucher de compensations. Mais ce régime pourrait indemniser les conséquences économiques résultant d'une fermeture administrative décidée dans le cadre d'autres évènements, plus locaux, comme une menace terroriste qui peut motiver une fermeture administrative, mais aussi la menace d'une catastrophe sanitaire, ou les manifestations comme celles des gilets jaunes. On a fait le chiffrage de cette garantie principale pour la pandémie, mais ce type de solution n'est pas encore totalement abouti, et il faut continuer à travailler de manière collégiale.
Aujourd'hui, d'autres solutions sont envisagées. La première solution est fondée sur l'épargne, sur le modèle de l'épargne défiscalisée pour les agriculteurs. Les assureurs sont prêts à y répondre, mais je ne suis pas convaincue que l'indemnisation à la clé soit à la hauteur du montant capitalisé. Il faut veiller à ne pas faire miroiter la promesse d'une garantie qui risque de décevoir les assurés, en plein milieu d'une crise.
S'agissant des captives de réassurance, elles consistent à mutualiser le risque dans le temps, et j'y suis très favorable. Cette pratique était courante en France auparavant. Le principe est d'accumuler, tant qu'il n'y a pas de sinistre, en provisions dans ses comptes. Or, aujourd'hui, le régime fiscal ne permet pas de le faire. On pouvait auparavant faire des provisions d'égalisation déductibles, permettant de repousser les limites de l'assurabilité. Juridiquement, une captive est une société d'assurance ou de réassurance qui a des actionnaires particuliers. On peut imaginer une possibilité de lissage des risques, qui pourrait être ouverte à l'ensemble des acteurs de l'assurance, assureur ou réassureur. On pourrait ainsi rapatrier depuis le Luxembourg en permettant de constituer des provisions d'égalisation en franchise d'impôt.
M. Bertrand Labilloy. - La CCR a fait une proposition de longue date à la direction générale du Trésor pour avoir un traitement fiscal adéquat des provisions d'égalisation, qui évite d'avoir une fuite de l'assiette fiscale de l'assureur et des réassureurs, et de limiter l'objet des provisions d'égalisation aux risques pour lesquels c'est justifié. La solution technique existe.
M. Claude Raynal, président. - Je vous félicite de profiter de votre passage devant la commission des finances pour faire passer le message...
Mme Florence Lustman. - Pour conclure, je rappelle que l'assurance est un métier de service, nous expliquons les contrats. Beaucoup de pédagogie reste à faire. Il faut partager la culture du risque. Dans le cadre de l'assurance agricole, la première proposition que nous faisons est d'accroître la prévention et la culture du risque. Nous suggérons d'ajouter un module sur l'assurance dans la formation des candidats à l'installation agricole.
Dans le domaine de la prévention, nous avons en France des programmes d'action de prévention des inondations (PAPI), mis en oeuvre par les communes. Il faudrait y intégrer les surfaces agricoles de façon à alerter les agriculteurs sur les risques qu'ils encourent.
L'autre volet est le développement de l'assurance : comment fait-on pour convaincre les gens de s'assurer ? Notre proposition est de conditionner les aides publiques à la détention de la garantie d'une assurance privée. Par exemple, conditionner la déductibilité de l'épargne de précaution à la souscription d'une assurance sur les récoltes. Il faut également limiter le coût, notamment en allant au maximum de ce que le règlement « omnibus » nous permet de faire.
Enfin, il est évident qu'il faut trouver une solution pour les risques de pointe. Il faut bien distinguer le fonds de gestion des risques en agriculture de la couverture de base, et il faut faire de l'assureur le guichet unique. Ceux qui sont touchés par une catastrophe ne doivent pas être obligés de s'adresser à plusieurs intermédiaires. Les assureurs peuvent déployer de grandes capacités sur un territoire donné pour accompagner les sinistrés.
M. Claude Raynal, président. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour leur participation.
La réunion est close à 18 h 15.
Mercredi 7 juillet 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Examen du rapport
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin, en premier point de l'ordre du jour, le rapport du rapporteur général sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme vous le savez, monsieur le Président, mes chers collègues, nous avons connu, en 2020, une très grave crise sanitaire qui s'est traduite par une contraction historique de l'activité dont les effets ont été absorbés à plus de 80 % par les administrations publiques afin de préserver la situation des ménages et des entreprises.
Alors que nous attendions initialement une croissance de l'ordre de 1,3 % en 2020, les restrictions sanitaires et les mesures de confinement ont entrainé une chute très importante du produit intérieur brut (PIB).
Quelques indicateurs permettent d'en rendre compte. En 2020, le nombre d'heures travaillées a chuté de 9,1 %, soit 3,9 milliards d'heures travaillées en moins par rapport à 2019. Dans certains secteurs comme l'hébergement-restauration, cette contraction a même atteint 35 %. De même, la valeur ajoutée brute des entreprises s'est contractée de 8,1 % par rapport à 2019 avec, là-aussi, des résultats très impressionnants par secteur. Je pense, par exemple, au secteur du transport dont la valeur ajoutée a chuté de 17,1 %.
Au final, la France a connu une récession de 7,9 % en 2020, ce qui est un peu plus qu'en zone euro et bien plus qu'en Allemagne.
Chacun le sait, cette crise a rendu urgente et vitale la mise en oeuvre de mesures de soutien aux entreprises et aux ménages. Cela s'est fait en France, comme dans le reste des principales économies avancées, au travers de la mise en oeuvre de plan de soutien mêlant versement de subventions directes, allégements ou reports d'impôt, intervention en capital et mise en jeu de la garantie de l'État.
Le plan de soutien et de relance français, annoncé pour les années 2020 et 2021 représentait, à cet égard, un engagement équivalent à 25,5 points de PIB, ce qui est un niveau comparable à nos partenaires. Il a toutefois présenté une spécificité : celle de reposer pour plus de la moitié sur l'engagement de la responsabilité de l'État, plutôt que sur des mesures ayant un impact sur le déficit public.
En ne regardant que les dispositifs consistant à verser directement des subventions - je pense par exemple au fonds de solidarité et à l'activité partielle -, on constate que les administrations publiques ont engagé 58,7 milliards d'euros en 2020.
Dans le même temps, je rappelle que le montant de l'encours des prêts garantis par l'État contractés en 2020 s'élevait à 5 % du PIB.
Avant d'en venir à une présentation plus exhaustive de l'état de nos finances publiques, je souhaite dire quelques mots sur la manière dont le choc économique que nous avons subi a été absorbé par les différents acteurs.
En 2020, la crise économique et sanitaire s'est traduite par une contraction du revenu brut disponible au niveau national de 7,8 % soit 149,6 milliards d'euros.
Pour mémoire, le revenu brut disponible représente la somme des revenus primaires des agents économiques majorés des transferts qu'ils perçoivent et minorés des impôts et cotisations dont ils s'acquittent. En d'autres termes, c'est en observant le revenu brut disponible d'un agent que l'on peut évaluer l'impact de la crise, en tenant compte des effets des mesures de soutien.
Ce qui ressort lorsque l'on regarde la répartition de la baisse du revenu disponible entre chaque secteur de l'économie, c'est la part très importante des administrations publiques. Ainsi, en France 85,1 % de la baisse de revenu a été absorbée par les administrations publiques. Cela fait beaucoup mais c'est moins qu'en zone euro ou qu'en Allemagne.
En parallèle, les entreprises ont - quant à elles - conservé à leur compte 21,8 % de la contraction du revenu disponible. Ce montant, toutefois, pourrait être un peu plus faible en tenant compte des annulations d'impôts qui, au plan comptable, ne sont pas retracées au niveau du revenu disponible.
Cette situation découle, à mon sens, du choix fait par le Gouvernement de recourir davantage aux prêts garantis par l'État qu'à des aides directes sur fonds publics.
En effet, faute d'avoir assaini nos finances publiques avant la crise, nous avons disposé d'une capacité moindre pour intervenir sur fonds publics.
Ce qui peut être constaté, c'est que les ménages dans leur ensemble - sans me prononcer sur les situations particulières - ont été préservés du choc économique sous l'effet, notamment, de mesures comme le soutien à l'activité partielle.
Ainsi, en France comme en Allemagne, le revenu brut disponible des ménages a progressé en 2020 respectivement de 0,7 % et de 0,9 %.
J'en viens maintenant à la présentation de la situation de nos finances publiques qui sont, en conséquence de cette crise et des mesures de soutien, particulièrement dégradées.
En 2020, le déficit public a atteint 9,2 % du PIB après 3,1 % en 2019. C'est un record, qui devrait toutefois être battu dès 2021 avec un déficit de 9,4 %. Cette dégradation est principalement portée par l'État et les administrations de sécurité sociale.
Ce déficit procède d'abord d'une forte contraction des recettes publiques de l'ordre de 63,8 milliards d'euros, c'est-à-dire de 5 % par rapport à 2019. La contraction des prélèvements obligatoires représente à elle seule 44 milliards d'euros, soit une baisse de 4,1 %.
Les administrations publiques centrales et les administrations de sécurité sociale assument, chacune, une perte d'environ 21 milliards d'euros. Les administrations publiques locales ont subi, quant à elles, une contraction des prélèvements obligatoires de l'ordre de 2,8 milliards d'euros.
Toutefois, je veux rappeler ici l'impact très important des pertes de recettes tarifaires et domaniales et saluer les efforts entrepris par le Sénat pour obtenir, de la part du Gouvernement, la mise en oeuvre de mécanismes de compensation adaptés avec, par exemple, l'amélioration et la reconduction du filet de sécurité.
La diminution en valeur des prélèvements obligatoires perçus par les différentes administrations publiques ne pèse pas de la même manière en volume sur chacune d'entre elles.
Ainsi, pour les administrations centrales, la perte des 21 milliards d'euros de prélèvements correspond à une baisse de recettes de 6,4 %. Pour les administrations de sécurité sociale, cette contraction équivalente en valeur est plus faible en volume, puisqu'elle correspond à une baisse des prélèvements obligatoires de 3,6 %. Enfin, pour les administrations publiques locales, la baisse des prélèvements obligatoires de 2,8 milliards d'euros en valeur correspond à une variation d'un peu moins de 2 %.
Au global, l'aggravation du déficit public procède, ensuite, d'une hausse des dépenses publiques de l'ordre de 73,5 milliards d'euros.
Sur ce montant, le coût de l'ensemble des mesures de soutien face à la crise est évalué à 72,7 milliards d'euros en incluant les dépenses de santé.
En miroir de cette dégradation du déficit public, nous avons assisté en 2020 à une augmentation spectaculaire de l'endettement équivalent à 17,5 points du PIB.
Sur cette variation, 7,9 points résultent du besoin de financer notre déficit primaire et 7,2 points s'expliquent par un effet « boule de neige » particulièrement défavorable. Pour mémoire, l'effet « boule de neige » mesure l'évolution spontanée du ratio dette sur PIB lorsque le solde primaire est à l'équilibre. Cet effet « boule de neige » défavorable implique que même si nous avions atteint l'équilibre primaire - c'est-à-dire sans déficit - notre ratio de dette sur PIB aurait quand même augmenté de 7,2 points.
Malgré l'aggravation de notre niveau d'endettement qui est plus que problématique, nos conditions de financement sont restées très favorables. En témoigne, notamment, la diminution du taux apparent de la dette publique et la baisse continue de la charge de la dette rapportée au PIB.
Avant d'entrer plus en détail dans l'exécution du budget de l'État, il faut reconnaitre qu'il nous est difficile, en 2020, de mesurer l'ampleur des efforts de maitrise de la dépense hors crise. Le Gouvernement indiquait dans la version initiale du projet de loi que les administrations auraient réalisé un effort en dépense équivalent à 1,5 point de PIB potentiel. Plus nuancé, le Haut Conseil des Finances Publiques estimait quant à lui que cette estimation n'avait « aucune signification ». Je partage cette opinion. En effet, à combien s'élèvent les économies en dépenses qui sont imputables à la crise ? Cela n'est pas véritablement évalué s'agissant de l'État. Quelle part des dépenses de soutien et des aides à l'économie doit-elle être considérée comme exceptionnelle et temporaire ? Il y a ici matière à débat.
J'en viens à présent au budget de l'État proprement dit.
Le déficit budgétaire s'établit en 2020 à un niveau de 178,1 milliards d'euros, dépassant de loin le niveau de 148,8 milliards d'euros atteint lors de la crise financière de 2010.
Ce déficit est d'ailleurs supérieur de 85 milliards d'euros par rapport au niveau prévu en loi de finances initiale. Bien sûr, l'écart est dû pour l'essentiel à la crise sanitaire, qui crée des dépenses, surtout avec la nouvelle mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », et diminue les recettes.
Ce déficit est toutefois inférieur au déficit de 223,3 milliards d'euros prévu par la quatrième loi de finances rectificative du 30 novembre 2020, car celle-ci s'était fondée sur des hypothèses de dépenses supplémentaires qui n'ont pas été vérifiées. Les plafonds de crédit prévus par le dernier collectif budgétaire n'ont donc pas été dépassés, mais au contraire sous-exécutés.
Les recettes diminuent nettement en 2021, sous l'effet de la crise économique qui réduit de 9,0 % les recettes fiscales nettes. Elles sont toutefois supérieures de 6,7 milliards d'euros à la prévision de la quatrième loi de finances rectificative.
Les recettes d'impôt net sur les sociétés sont de 36,3 milliards d'euros, soit un quart de moins que la prévision en loi de finances initiale. En effet les derniers acomptes, versés en décembre, ont été très faibles comme on le voit dans le niveau, mois après mois, des recettes brutes. En recettes nettes, il est toutefois en hausse de 2,9 milliards d'euros par rapport à 2019 à cause de l'effet de plusieurs réformes décidées avant la crise, notamment la transformation du crédit d'impôt d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui a réduit les remboursements et dégrèvements.
La TICPE, également, a été particulièrement touchée : son produit brut a chuté lors des deux confinements du printemps et de l'automne, car cet impôt est très lié aux secteurs les plus concernés par les restrictions d'activité et de déplacements. Sur l'ensemble de l'année, son produit net diminue de 38,9 % par rapport à 2019.
En revanche, l'impôt net sur le revenu s'établit à 74,0 milliards d'euros, soit un niveau proche de la prévision en loi de finances initiale comme de l'exécution 2019 : comme on l'a vu, les revenus des salariés ont été globalement préservés, grâce notamment au financement de l'activité partielle.
Enfin la TVA a connu une évolution spontanée de - 6,5 %, car c'est un impôt dont l'évolution est proche de celle de l'activité. Toutefois, en chiffres absolus elle diminue de 15,2 % par rapport à 2019 en raison, notamment, d'un nouveau transfert de TVA à la sécurité sociale. La part de TVA revenant à l'État a particulièrement diminué au cours des dernières années.
Enfin, les recettes non fiscales s'établissent en 2020 à un niveau de 14,8 milliards d'euros, proche de l'exécution 2019 : la chute des dividendes, qui résulte de la crise sanitaire, a été compensée par des recettes exceptionnelles liées notamment à des amendes et à la signature d'une convention judiciaire d'intérêt public avec la société Airbus.
Les dépenses nettes du budget général s'établissent à un niveau de 389,7 milliards d'euros, y compris les fonds de concours, soit une hausse considérable de 16,0 % par rapport à 2019.
L'augmentation des dépenses est bien plus importante qu'en 2010, où elle avait été de 10,9 %. À l'époque cette augmentation avait été suivie, dès 2011, d'un retour au niveau de dépenses antérieur à la crise. Ce n'est pas le cas cette fois, puisque les dépenses continuent à augmenter en 2021, et les documents déjà transmis par le Gouvernement en vue du débat d'orientation des finances publiques laissent penser qu'il faudra plusieurs années avant de revenir à une véritable maîtrise de la dépense publique.
Si l'on compare les crédits exécutés avec ceux prévus en loi de finances initiale, le fait essentiel est bien sûr la création de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », qui a été dotée de 69,6 milliards d'euros de crédits budgétaires au total, dont elle a consommé 41,8 milliards d'euros. Elle n'est dépassée en importance que par les missions « Enseignement scolaire » et « Défense ».
Les missions « Solidarité, insertion et égalité des chances » et « Cohésion des territoires » ont également fait l'objet d'ouvertures de crédit importantes en cours d'année pour financer des dépenses à caractère social induites, pour la plus grande partie, par la crise sanitaire.
En sens inverse, la persistance des taux bas a une nouvelle fois abaissé la charge de la dette à un niveau inférieur à la prévision de plus de 2 milliards d'euros. C'est le paradoxe que nous avons déjà souligné : la charge de la dette, en comptabilité générale, diminue dans des proportions identiques à la hausse de la dette. Ne nous y trompons pas : cette diminution aura une fin, probablement dès 2021 avec la reprise de l'inflation. La dette, elle, ne diminuera pas avant plusieurs années.
La masse salariale augmente en 2020 de 1,7 %, ce qui correspond à la prévision en loi de finances initiale, en raison notamment de la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR). Sur les trois premières années du quinquennat, l'ensemble des dépenses de personnel (c'est-à-dire la masse salariale plus les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ») augmentent à un rythme moyen de 1,4 %. La maîtrise « stricte » de la masse salariale qu'annonçait la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 n'a pas été réalisée, puisque l'augmentation est supérieure à celle qui a été réalisée à la même période du précédent quinquennat.
En particulier, je rappelle que la quatrième loi de finances rectificative a acté une augmentation d'environ 2 800 emplois de l'État, dont l'effet en termes de dépenses sera surtout visible en 2021. Le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques indique explicitement que l'objectif du Gouvernement se limite désormais à la stabilité de l'emploi au sein de l'État et de ses opérateurs, alors qu'il annonçait naguère une réduction des 50 000 emplois au sein du Gouvernement et des opérateurs.
Enfin, il est nécessaire lors de l'examen d'un projet de loi de règlement, de vérifier de quelle manière a été respectée la loi de programmation des finances publiques. Nous notions un premier dépassement de 3,0 milliards d'euros l'an dernier pour la norme de dépenses pilotables, alors que ce n'était que la deuxième année d'application. L'écart est, bien sûr, beaucoup plus important en 2020 : la croissance très élevée des dépenses a placé loin derrière les objectifs en termes de dépenses pilotables comme en termes de dépenses totales. L'écart de 15,4 milliards d'euros sur les dépenses pilotables n'inclut pas les dépenses de la mission « Plan d'urgence », donc il s'agit de l'effet des dépenses d'urgence sur les missions traditionnelles, ainsi que de la conséquence des mesures prises en 2019 - déjà au nom de l'urgence économique et sociale.
Voilà les quelques éléments d'analyse que je souhaitais partager avec vous, vous trouverez des développements plus détaillés dans le rapport général qui accompagne vos contributions en tant que rapporteurs spéciaux.
Je crois que cette présentation retrace l'année exceptionnelle que nous avons vécue, avec notamment l'ouverture de près de 70 milliards d'euros de crédits sur la seule mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » qui n'existait même pas dans la loi de finances initiale !
S'agissant de notre vote sur ce texte, plusieurs éléments doivent être rappelés.
D'un côté, nous avons, en conscience et en responsabilité, voté les quatre projets de loi de finances rectificative, en obtenant d'ailleurs d'importantes évolutions et apports du Sénat. Nous avons en particulier validé les mesures de soutien, essentielles pour maintenir les entreprises à flot et protéger les ménages.
De l'autre, nous ne partagions pas les choix du Gouvernement qui ont guidé la construction de la loi de finances initiale pour 2020 et qui restent d'actualité. En particulier, nous déplorions, comme en 2019, que le Gouvernement ait manifestement renoncé à redresser les comptes publics. Or l'assainissement de nos finances publiques nous auraient permis d'avoir de plus grandes marges de manoeuvre lorsque la crise est survenue. Nous nous étions aussi opposés à de nombreuses mesures et avions regretté de n'avoir pas été entendu sur le schéma de financement pour les collectivités territoriales au titre de la suppression de la taxe d'habitation.
Par ailleurs, s'il n'y a pas de problème de respect de l'autorisation parlementaire au titre de cet exercice budgétaire compte tenu de la sous-exécution des crédits votés lors du dernier projet de loi de finances rectificative, le Gouvernement a, en revanche, procédé à des opérations de reports massifs en fin d'année, vers l'année 2021, et sans nécessairement conserver la destination initialement prévue.
Aussi, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je m'en remettrai à la sagesse de notre commission pour le vote sur ce projet de loi.
M. Claude Raynal, président. - Je souhaiterais avoir simplement une précision par rapport à la présentation qui nous a été distribuée : les montants de TVA transférés à la Sécurité sociale sont-ils structurels ou conjoncturels ?
M. Jérôme Bascher. - L'année 2020 est exceptionnelle et les éléments habituels d'évaluation ne sont plus valables : on a un « point aberrant » dans les mesures statistiques. Sur le plan budgétaire, les reports de crédits ont atteint un niveau inédit afin d'éviter de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative au premier trimestre, ce qui n'est pas acceptable. Le principe est l'autorisation budgétaire annuelle, et la programmation pluriannuelle n'a d'ailleurs jamais été respectée. Je ne peux pas voter ce projet de loi de règlement.
M. Vincent Capo-Canellas. - Le Sénat a voté les projets de loi de finances rectificatives de l'année 2020. Mais nous sommes alertés par l'augmentation de la dette et du déficit. Les émissions de dette rencontrent un grand succès auprès des marchés, mais combien de temps cela va-t-il durer ? Nous vivons sur une bombe à retardement.
M. Albéric de Montgolfier. - On peut approuver les mesures de soutien et, en même temps, ne pas donner un blanc-seing à la dégradation des déficits. Où en nous sommes-nous par rapport à nos voisins, notamment allemands, en termes de déficit et de perspectives de retour à l'équilibre ?
Mme Christine Lavarde. - Nous avons soutenu les projets de loi de finances rectificatives, mais ce problème des reports de crédits ne nous permet pas d'adopter le projet de loi de règlement. Notre groupe s'abstiendra.
M. Roger Karoutchi. - Je vais tirer la sonnette d'alarme, sans illusion sur la capacité du Gouvernement et des administrations à se remettre en cause. Nous sommes couverts de dette, le déficit explose et aucune réforme de structure n'est réalisée. Les responsables publics sont aveugles devant la situation et l'année est toujours calamiteuse. Les jeunes sont mal traités et devront payer la dette. Je m'abstiendrai comme mon groupe, mais il faut dire au Gouvernement que cela ne peut pas durer. On se réjouit de la réussite des émissions de dette, mais pour combien de temps ?
Mme Sophie Taillé-Polian. - Je partage la tonalité de ces propos. Il fallait des outils puissants pour éviter l'effondrement de l'économie et on a ouvert les vannes sans objectif précis. Or la situation des jeunes et des étudiants est très préoccupante. On n'a pas fait les réformes nécessaires dans le contexte actuel. Cette politique n'est pas crédible au regard des enjeux.
M. Éric Bocquet. - La quiétude des marchés financiers est remarquable. On s'inquiétait autrefois d'une dette à 100 % du PIB... Les réformes structurelles sont en fait engagées : l'assurance-chômage, voire les retraites font partie de ce qu'on veut nous imposer pour soi-disant restaurer la crédibilité de la France, ce qui n'est pas nécessaire puisqu'on nous prête à taux négatifs.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans le cadre de la loi de règlement, il faut faire le constat de ce qui s'est passé, mais on voit que le débat politique de la loi de finances est déjà engagé.
Les outils statistiques sont en effet inadaptés alors qu'il faudrait transformer non seulement les outils, mais aussi la manière de faire. Il aurait fallu mieux associer l'ensemble des partenaires, dont le Parlement.
Les réformes sont annoncées puis mises de côté. Or les indicateurs sont préoccupants et plus encore pour la France que pour ses principaux partenaires. Certains d'entre eux reviendront au niveau de 3 % de déficit dès 2024, et nous en 2027 seulement : c'est un handicap dans la compétition internationale. Le déficit est à - 9,2 % du PIB en France, - 9,5 % en Italie, - 4,3 % aux Pays-Bas, et - 4,2 % en Allemagne. La capacité de rebond n'est pas la même.
On a un problème de maîtrise de la dépense publique et les arbitrages seront difficiles. J'ai montré ce qu'est devenu l'objectif de réduction de 50 000 emplois.
La TVA transférée à la sécurité sociale a compensé des pertes de ressources, notamment en 2019 et en 2020 : il s'agit d'un transfert permanent, mais le montant peut varier selon la dynamique de l'impôt.
S'agissant des marchés financiers, il faut rappeler que la Banque centrale européenne (BCE) continue à acheter de la dette française et que les acteurs financiers sont soumis à des obligations prudentielles qui les poussent à acheter de la dette. Il faudra bien un jour diminuer la dette publique, qui s'ajoute à une dette écologique considérable et plus difficile à évaluer.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.
Contrôle budgétaire - Mission « Transformation et fonction publiques » - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons maintenant à une communication des rapporteurs spéciaux de la mission « Transformation et fonction publiques » sur l'exécution des crédits de la mission.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Nous vous présentons ce matin, avec Albéric de Montgolfier, les résultats de notre contrôle sur les projets financés par la mission « Action et transformation publiques ». Cette mission a été créée par le Gouvernement en 2018, pour une durée de vie à l'origine temporaire, puisqu'elle devait s'éteindre en 2022. La mission regroupe désormais quatre programmes hétérogènes, chacun poursuivant un objectif bien différent : la rénovation énergétique des cités administratives pour le programme 348, l'accompagnement de la transformation de l'action publique pour le programme 349, les ressources humaines pour le programme 351 et le développement numérique de l'État pour le programme 352.
Même pour nous, rapporteurs spéciaux, il est parfois difficile de nous y retrouver et de savoir ce que fait chacun. Un cinquième programme a par ailleurs été rattaché à la mission au 1er janvier 2021, le programme 148 « Fonction publique ». Il était auparavant attaché à la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », que nous suivons également en tant que rapporteurs spéciaux.
J'en viens maintenant aux raisons qui justifient ce contrôle, et j'en citerai deux.
La première vient du constat que nous faisons maintenant depuis trois ans : les crédits de la mission sont chaque année sous-consommés, de l'ordre de 75 % à 80 % pour trois programmes, et l'année 2020 ne fait pas exception. Cette gestion, que l'on ne saurait qualifier de satisfaisante, remet en cause le vote du Parlement. Nous avions proposé un amendement d'appel lors du projet de loi de finances 2021 pour annuler 75 % des crédits de la mission et ainsi attirer l'attention du Gouvernement sur ces graves problèmes d'exécution budgétaire.
La seconde raison vient du contexte de crise sanitaire, qui a remis en avant quelques-unes des grandes priorités de la transformation de l'action publique, telle la numérisation de nos administrations et de nos services publics. Pourtant, en dépit de la création d'une mission et de programmes ad hoc, il nous est très difficile de suivre les résultats dans ce domaine.
Notre principale conclusion est la suivante : si la mission soutient des objectifs que nous pouvons partager, les véhicules budgétaires sont totalement inadaptés. Le Gouvernement aura beau jouer la carte de la « crise » pour expliquer les nouveaux problèmes de consommation des crédits en 2020 et, même si nous ne nions pas ses conséquences, cette explication est insuffisante. Chaque année, le Gouvernement propose une « nouvelle excuse ». La mission souffre en réalité de problèmes structurels, qu'il nous semble urgent de régler.
Je commencerai par aborder le programme 348, supposé porter un milliard d'euros pour la rénovation des cités administratives. Les 39 cités éligibles au programme ont bien été sélectionnées, en 2018 et 2019. Or, les travaux ont commencé pour seulement deux d'entre elles en 2020, Bordeaux et Colmar. Six cités les ont rejoints au premier semestre 2021 et 15 projets ne devraient pas commencer avant 2022. Les travaux ne devraient donc constituer la majorité des dépenses du programme qu'en 2022.
Par conséquent, aucune livraison des travaux ne pourra intervenir avant 2023, voire 2024 pour Bordeaux. Il est donc quasiment certain qu'il y aura des restes à payer au-delà de 2022, mais le ministère se refuse encore à se prononcer sur le portage de ces crédits, dans l'éventualité où la mission ne serait pas reconduite.
Certes, ces retards ont pu être aggravés par la crise sanitaire, mais ils lui sont antérieurs. La direction de l'immobilier de l'État prévoyait au départ d'engager les travaux dès l'année 2019. Ces retards sont d'autant plus dommageables que le risque de surcoût s'est significativement accru cette année. En effet, les maîtres d'oeuvre constatent une hausse du coût des matériaux de près de 10 %, du fait de difficultés d'approvisionnement. Or, l'enveloppe ouverte sur le programme 348 est une enveloppe fermée, qui nécessite un pilotage fin des crédits. Tout ceci n'incite guère à l'optimisme.
Par ailleurs, nous constatons que, parmi les projets sélectionnés, 12 ne présentent que des gains énergétiques faibles et sept ont été validés malgré un avis négatif de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. La maitrise d'ouvrage souffre par ailleurs de lacunes significatives, parmi lesquelles un déficit de compétences et de moyens humains.
Pour un programme de cet ampleur, de près d'un milliard d'euros je le rappelle, il est enfin extrêmement dommage de ne disposer d'aucun indicateur de performance vraiment pertinent. Le principal indicateur n'est qu'une estimation des économies d'énergie attendues, basées sur des auto-évaluations des porteurs de projet, autant dire que cela n'engage pas beaucoup le responsable du programme ! Ces indicateurs ne renseignent donc pas sur les effets concrets des travaux engagés et ne se prêtent pas non plus à une mesure annuelle.
Notre première recommandation porte sur l'urgence de revoir les indicateurs du programme 348, sachant qu'une partie de ces données est d'ores et déjà transmise à la Cour des comptes. Il faut aussi aller plus vite : les crédits sont disponibles, mais rien n'est prêt ! Il revient pourtant à l'État de donner l'exemple en matière de rénovation énergétique ou de cadre de vie et d'accessibilité pour les agents !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Le rapporteur général posait la question de la réduction des déficits publics et de la masse salariale de l'État dans son rapport sur la loi de règlement 2020, ce que doit normalement permettre la transformation de l'action publique. Or, nous ne pouvons que constater son échec à produire ses effets, avec des responsables de programme incapables de consommer les crédits. Nous avons également eu l'impression, lors de nos auditions, d'une certaine auto-satisfaction des directions en charge de suivre la transformation de l'action publique : à les écouter, nos concitoyens seraient parfaitement satisfaits de leurs services publics, de leur accessibilité et de leur qualité. Ce n'est pas du tout en accord avec ce que nous pouvons observer sur le terrain.
Ainsi, les difficultés que vient de décrire Claude Nougein sur le programme 348 de rénovation des cités administratives, nous les constatons aussi sur les autres programmes. Je commencerai par le deuxième le plus important par son volume de crédits : le programme 349, qui porte le Fonds pour la transformation de l'action publique. Il était supposé être doté de 700 millions d'euros sur cinq ans, mais nous sommes encore loin du compte. Moins de 35 % des crédits ont ainsi été consommés en trois ans, et il ne reste plus que deux ans au Fonds, en théorie, pour produire ses effets.
Son objectif est pourtant louable : il doit soutenir les réformes porteuses d'économies à moyen terme au sein des services de l'État en finançant le coût supplémentaire que peut représenter une telle réforme dans sa phase initiale. Un euro investi devait ainsi conduire à un euro d'économie pérenne au bout de trois ans. Ce critère de sélection a toutefois été remis en cause, justement pour pouvoir accroître le nombre de projets sélectionnés.
Là-encore, les délais sont encore trop importants pour envisager une exécution au plus juste des crédits du programme. Les délais de contractualisation avec les porteurs de projets sont en effet extrêmement longs : il y a de nombreux allers-retours avec les administrations, notamment pour réévaluer le montant d'économies attendu et le montant de crédits alloué. Résultat, la plupart de ces projets ne produiront pas leurs effets avant 2023 au moins, posant là-aussi la question du portage budgétaire des restes à payer.
Comme pour le programme 348, les indicateurs de performance sont lacunaires et il est quasiment impossible de suivre le montant total des crédits alloués à chacune des administrations. Notre deuxième recommandation invite ainsi à identifier clairement, dans les documents budgétaires, et pour chacun des programmes concernés, la part des crédits en provenance du Fonds pour la transformation de l'action publique. Cet effort de clarification doit également porter sur les projets soutenus : date d'amorçage, coût prévisionnel total, part et utilisation des crédits en provenance du FTAP. Les indicateurs de performance du programme 349 doivent être modifiés en conséquence. Nous recommandons également, hors de la phase d'amorçage, de confier directement aux gestionnaires et responsables de programme les crédits prévus sur le Fonds, pour accélérer leur mobilisation.
J'en viens maintenant au programme 351, correspondant aux crédits du Fonds pour l'accompagnement interministériel Ressources humaines, et au programme 352, qui porte les crédits de ce qui était jusqu'au 31 décembre 2020 le Fonds pour l'accélération des start-up d'État. Je vais être clair : nous recommandons de les supprimer et de réallouer leurs crédits.
L'exécution du programme 351 entraine chaque année des contorsions budgétaires, en raison des règles applicables au transfert de crédits du titre 2, soit les dépenses de personnel. Simplifions tout cela et attribuons directement les crédits sur les programmes des administrations qui mènent des réformes structurelles en matière de ressources humaines. Ces crédits pourraient sinon être portés par le programme 148 « Fonction publique », dont l'action n° 3 porte déjà plusieurs fonds destinés à soutenir des réformes ou des actions dans le domaine des ressources humaines.
Le programme 352 est de taille très limitée, autour de quelques millions d'euros par an. Nous ne voyons pas l'intérêt de maintenir ce programme, d'autant qu'il a dû être renommé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 pour mieux correspondre aux projets qu'il finançait. Il vaudrait mieux redéployer ses crédits sur l'action 16 « Coordination de la politique numérique » du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». La logique interministérielle du programme serait ainsi conservée et le Fonds pourrait s'intégrer aux autres actions d'ores et déjà portées par la Direction interministérielle du numérique.
Pour résumer, nous souhaitons insister sur une triple nécessité.
Premièrement, il faut modifier les indicateurs de performance et permettre au Parlement de mieux suivre l'avancée concrète des projets financés par la mission.
Deuxièmement, il convient de faire preuve de davantage de transparence sur le devenir de la mission.
Troisièmement, il est nécessaire d'accroître la sincérité des prévisions inscrites en projet de loi de finances initiale, afin de respecter l'autorisation parlementaire. Cet effort de sincérisation doit s'accompagner d'une rationalisation des programmes de la mission.
Pour conclure, le sentiment que nous retenons avec Claude Nougein à la fin de ce contrôle est celui d'un gâchis. La ministre de la transformation et de la fonction publiques se définit elle-même comme la ministre de la qualité des services publics, mais tout ceci semble manquer d'élan, à la fois sur le plan budgétaire et sur le plan des indicateurs.
Regardez par exemple les objets de la vie quotidienne (OVQ) : le cabinet a admis devant nous que cette désignation un peu trop « incompréhensible » des réformes à mener au sein des administrations et des ministères n'avait pas suscité l'élan attendu. Rien de surprenant ! Le Gouvernement nous parle donc désormais de réformes prioritaires.
Même constat pour l'objectif de rendre accessibles en ligne les 250 démarches administratives les plus usuelles, avec un haut niveau de satisfaction des usagers d'ici 2022. Au printemps 2021, nous ne pouvons que constater que de nombreux efforts restent à mener pour que le Gouvernement respecte ses engagements. 37 démarches n'ont fait l'objet d'aucune numérisation, 45 seulement présentent un niveau acceptable de satisfaction, 140 démarches ne sont pas évaluées. Tout ceci sans compter les problèmes d'accessibilité pour nos concitoyens les plus éloignés du numérique.
M. Jérôme Bascher. - La question que je souhaite poser aux rapporteurs est celle des objectifs fixés pour la mission. Ceux-ci vous paraissent-ils être clairement définis ? En effet, on peut s'interroger, au-delà de l'incantation à la transformation publique, sur les véritables objectifs poursuivis par le Gouvernement au travers de cette mission budgétaire.
M. Vincent Capo-Canellas. - En tant que rapporteur des crédits de Météo France, de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), j'ai pu constater que si ces établissements bénéficiaient en effet des crédits du fonds pour la transformation de l'action publique, ceux-ci sont de faible niveau au regard des mutations en cours.
Ces différentes structures se sont engagées dans des réorganisations internes très importantes et je m'interroge donc sur les raisons justifiant la sous-consommation des crédits du fonds. Est-ce un problème de critère ? Faut-il au contraire considérer que ce niveau de consommation relève d'une bonne gestion ou d'une volonté de montrer aux administrations bénéficiaires que ces crédits ne sont pas récurrents ?
M. Éric Bocquet. - Quel a été l'effet de levier de la transformation publique sur la diminution du nombre d'emplois publics ? François Fillon, alors candidat à l'élection présidentielle, avait pour objectif la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires. Aujourd'hui, où en est-on par rapport à cet objectif ambitieux ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je me joins aux constats des rapporteurs spéciaux : à partir du moment où 75 % des crédits ne sont pas consommés, il y a effectivement un problème majeur.
Les rapporteurs ont évoqué la situation des cités administratives et la nécessité de les moderniser pour renforcer leur efficience environnementale. Il me semble néanmoins qu'il n'y a pas d'indicateur pour mesurer cet objectif. Concernant la numérisation des services publics, on constate, d'une part, qu'elle n'est pas assez rapide sur certains services et, d'autre part, qu'elle ne prend pas toujours en compte l'ensemble des publics, surtout les plus éloignés du numérique.
M. Claude Nougein. - Concernant la rénovation des cités administratives, seuls des objectifs théoriques d'économies d'énergie ont été fixés, basés sur une auto-évaluation des porteurs de projet ! Ce constat, sur un programme d'un milliard d'euros, est d'autant plus préoccupant que les travaux n'ont été entamés que dans trois cités administratives en 2020, et six en 2021, sur les 39 sélectionnés.
Vous l'avez rappelé, plus de 75 % des crédits du programme dédié à la rénovation n'ont pas été consommés ces trois dernières années. Le Gouvernement nous promet chaque année un effet de rattrapage. Il s'agit en réalité d'un problème de fond, qui interroge sur la sincérité des prévisions du Gouvernement et sur le rôle du Parlement. Nous espérons que 2021 et, surtout, 2022, marqueront enfin de vraies améliorations quant à la consommation de ces crédits. Beaucoup de responsables de programmes aimeraient bénéficier de moyens aussi importants pour mener à bien leurs projets !
Les cités administratives, qui sont souvent des passoires thermiques construites dans les années 1970, demandent beaucoup de travaux. Ces crédits sont indispensables pour les rénover et pour améliorer la qualité de vie au travail des agents publics.
M. Albéric de Montgolfier. - Qu'on ne se trompe pas sur nos principaux constats. Oui, il nous apparaît nécessaire de donner des moyens aux administrations pour transformer la fonction publique, accélérer la numérisation et moderniser l'action publique. Ce sont des objectifs utiles pour lesquels il faut savoir investir et mobiliser des crédits.
Cependant, le système qui consiste à recourir à une direction interministérielle et à saupoudrer des crédits ne fonctionne pas. Il y a un grand nombre d'administrations et d'organismes qui ont un besoin en investissement considérable, en particulier dans le domaine informatique, et Météo France constitue de ce point de vue un bon exemple. Ce n'est pas en accordant ponctuellement quelques millions d'euros que l'on peut apporter des solutions durables et accompagner des transformations profondes. Nous considérons qu'il faut redonner aux gestionnaires des administrations les moyens d'accompagner les transformations.
Par ailleurs, je n'ai pas l'impression que les Français soient satisfaits de l'accès aux services publics sur le terrain. Avec la fermeture des trésoreries et des points d'accueil de la sécurité sociale, les démarches sont parfois très compliquées. Il faut revenir à la réalité et renforcer les moyens d'accès aux services publics des personnes les plus éloignées du numérique.
Il faut enfin que soient respectées les autorisations du Parlement et arrêter de faire de la communication et de l'affichage.
Il n'est pas normal que nous progressions aussi lentement sur les passoires thermiques ou qu'autant de démarches ne soient pas numérisées avec un niveau élevé de satisfaction. La mission « Transformation et fonction publiques » emporte de grandes déceptions et affiche des résultats qui ne sont pas à la hauteur.
Contrôle budgétaire - Rôle des maisons départementales des personnes handicapées dans la gestion de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons la restitution des travaux de contrôle de notre commission avec la présentation du contrôle budgétaire sur le rôle des maisons départementales des personnes handicapées dans la gestion de l'allocation aux adultes handicapés mené par les rapporteurs spéciaux Arnaud Bazin et Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Nous vous présentons ce matin, avec Arnaud Bazin, les principales conclusions de nos travaux de contrôle budgétaire sur le rôle des maisons départementales des personnes handicapées - les MDPH - dans la gestion de l'allocation aux adultes handicapés - l'AAH.
Pour mémoire, l'AAH est un minimum social attribué sous conditions de ressources à des personnes en situation de handicap. Comme pour le RSA, l'instruction des dossiers est décentralisée, à ceci près que cette tâche essentielle n'est pas confiée aux départements mais - depuis la loi « Handicap » de 2005 - aux MDPH. Son attribution est ensuite entérinée en commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et son service est assuré par les caisses d'allocations familiales (CAF). Toutefois, à l'inverse du revenu de solidarité active (RSA), le dispositif reste financé par le budget de l'État et la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Il en résulte donc une architecture institutionnelle originale, dans laquelle l'État se cantonne quelque peu au rôle de payeur. C'est la raison pour laquelle il nous a semblé intéressant de nous pencher sur la part qu'y prennent les MDPH, une part décisive puisqu'elle détermine dans la pratique l'attribution de la prestation.
À ce titre, le premier constat que nous portons est celui d'un financement complexe des MDPH, et surtout d'un niveau insuffisant.
Les groupements d'intérêt public que sont les MDPH ont trois principales sources de financement : le département pour 43 %, l'État pour 35 % et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour 20 %. Cela représente un montant total de contributions d'un peu plus de 300 millions d'euros par an.
Je précise que la contribution de l'État au fonctionnement des MDPH, qui se limite à compenser les vacances des postes qui avaient été mis à leur disposition lors de leur création, est versée depuis 2017 par la CNSA.
Du côté des départements, les contraintes financières que l'État a imposées sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont forcément rendu plus complexe tout renforcement de leur contribution aux MDPH.
En tout état de cause, il ressort des entretiens que nous avons menés que la relative stabilité des concours nationaux aux MDPH est bien insuffisante pour leur permettre de faire face à la hausse massive de leur activité dans des conditions satisfaisantes. À titre d'exemple, le nombre de bénéficiaires de l'AAH a progressé de 15 % en seulement 5 ans. Tous dispositifs confondus, on constate même une hausse de 70 % du nombre des demandes depuis 2006.
Le seul constat de l'évolution du nombre de demandes est de surcroît insuffisant pour apprécier la charge réelle des services des MDPH. Une demande d'AAH n'en vaut pas forcément une autre. Je pense par exemple aux demandes d'AAH-2, le volet de la prestation - particulièrement dynamique au demeurant - réservé aux personnes ayant un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 %, mais justifiant d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi. Ce critère de « RSDAE » pose d'importantes difficultés d'appréciation, et est à ce titre particulièrement chronophage pour les instructeurs. Encore faut-il d'ailleurs que ces derniers soient en mesure d'expertiser convenablement un critère d'accès à l'emploi...En effet, en dépit de la lettre de la loi, qui impose que l'instruction des demandes soit effectuée par une équipe pluridisciplinaire capable de croiser différentes expertises, ces équipes sont dans les faits souvent réduites à peau de chagrin. Certaines MDPH n'ont même pas un ETP complet de médecin !
Les MDPH sont dans le même temps confrontées à une forte pression pour tenir le délai légal de traitement des demandes, fixé à 4 mois. De fortes disparités peuvent être constatées à cet égard : le délai moyen au niveau national était estimé en 2019 à 4 mois et 7 jours, soit à peine au-dessus du délai légal fixé à 4 mois, mais l'on observe des variations selon les départements allant de 2 mois à plus d'un an.
Au vu de tous ces éléments, il est indispensable que soit mené un travail de qualification et de quantification des compétences dont doit disposer une MDPH pour assurer ses missions convenablement, en portant un diagnostic précis sur les effectifs et la composition des équipes pluridisciplinaires dans les MDPH.
L'augmentation annoncée de 15 millions d'euros de la dotation de la CNSA va naturellement dans le bon sens, mais l'effort devra sans doute être amplifié si l'on veut que l'objectif affiché d'appréciation globale de la situation des personnes dans un délai raisonnable ne soit plus un slogan mais bien une réalité pour tous les usagers.
La mise en place d'une « task force » en faveur des MDPH les plus en difficulté et dotée d'un budget d'intervention de 20 millions d'euros sur deux ans est également à saluer. Il faudra mener une évaluation rigoureuse de ses résultats, afin d'envisager une pérennisation, voire un renforcement de l'enveloppe ponctuelle qui lui a été attribuée.
S'agissant enfin de la contribution de l'État, il convient sans doute de se demander s'il n'est pas temps de remettre à plat les critères posés en 2006 pour valoriser les vacances de postes à compenser, et plus fondamentalement sur le sens de cette compensation quand tous les postes transférés à l'époque de la création des MDPH auront disparu. L'État doit, nous semble-t-il, sortir d'une logique de compensation au coût historique pour s'investir pleinement dans la politique du handicap et singulièrement dans la politique de l'AAH, en contribuant à doter les MDPH de moyens suffisants pour être les relais efficace de son action.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Nous n'avons également pas manqué d'être frappés, dans le cadre de nos travaux, par la connaissance très imparfaite que nous avons de l'AAH et de ses bénéficiaires, alors même que celle-ci représente une dépense de plus de 11 milliards d'euros, par ailleurs très dynamique.
Nous avons trop longtemps laissé perdurer une situation dans laquelle chaque MDPH pouvait disposer de son propre système d'information, en dépit de l'obligation légale clairement posée en 2005 tendant à l'institution d'un système d'information commun. Cette situation rendait impossible la remontée d'une information robuste sur les bénéficiaires de l'AAH.
Néanmoins, nous avons eu l'occasion de constater que des progrès certains avaient été accomplis en ce sens, avec la mise en place d'un système d'information qui, à défaut d'être commun, est au moins harmonisé. Celui-ci doit notamment permettre un traitement homogène des données relatives aux demandes et offrir un cadre commun pour les échanges de données entre les MDPH et leurs partenaires, comme les CAF ou encore les établissements médicaux-sociaux.
Le déploiement de ce SI a par ailleurs permis la publication d'un « baromètre MDPH » par la CNSA, qui marque également un progrès en termes de transparence, même si l'outil est à ce jour un peu fruste et ne permet pas d'isoler de façon satisfaisante les données relatives à l'AAH de celles relatives aux autres types de dispositifs instruits par les MDPH.
Ce choix du SI harmonisé n'en reste pas moins source de complexités et nous avons tout de même tendance à considérer, avec Éric Bocquet, qu'un système réellement commun aurait sans doute été préférable. Reste à voir si l'on peut capitaliser sur l'existant pour progresser sur cette voie. En tout état de cause, toute évolution du système devra être pensée pour et avec le point de vue des agents des MDPH, en déployant simultanément un réel effort de formation en leur direction.
La nécessité de s'approprier ces nouveaux outils, parfois à marche forcée et avec une formation minime, s'est en effet imposée aux agents comme une contrainte lourde s'ajoutant à leurs tâches quotidiennes d'instruction. Ces dimensions concrètes sont trop souvent négligées.
Plus largement, il existe un consensus parmi les MDPH pour considérer que l'effort de formation actuellement déployé par la CNSA est largement lacunaire. De réels efforts sont à mener en ce sens, en partenariat avec le CNFPT.
Cet enjeu de la formation m'amène, pour conclure, à vous présenter notre dernière série d'observations, qui porte sur l'animation du réseau et la nécessité de renforcer son pilotage.
La CNSA montre une réelle volonté pour assumer son rôle de pilote du réseau. Elle coordonne à ce titre la feuille de route gouvernementale « MDPH 2022 ».
L'hétérogénéité des pratiques entre MDPH est encore. On peut la constater en matière de délais de traitement, mais aussi en matière de taux d'attribution de l'AAH, et encore davantage en matière d'appréciation du critère de RSDAE. L'harmonisation des pratiques, qui va dans le sens d'une plus grande égalité de traitement entre usagers, justifie donc pleinement un renforcement du pilotage national.
Pour autant, la forme que celui-ci est en train de prendre laisse parfois un peu dubitatif. Les responsables de MDPH que nous avons auditionnés ont été unanimes pour regretter une évolution de la CNSA vers un pilotage très directif et centralisé, focalisé sur la remontée d'indicateurs et les enjeux budgétaires. Il y a une vraie obsession de la donnée, sans que leur partage ne donne lieu à un véritable dialogue individualisé entre la CNSA et la MDPH afin d'en faire un réel levier de progrès d'amélioration de ses performances.
L'État semble de son côté s'efforcer de reprendre quelque peu la main sur l'AAH, en lançant une mission nationale d'audit et de contrôle dont les contours, les objectifs et les moyens semblent encore flous, de même que ses modalités d'articulation avec l'action de la CNSA.
Le renforcement du pilotage ne suffit donc pas, encore faut-il que celui-ci reste clair et - j'ai envie d'ajouter - soit plus partenarial et plus humain et plus efficace.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je veux à nouveau remercier les deux rapporteurs. D'après vous qu'est ce qui a pu empêcher la mise en place, pourtant décidée en 2005, d'un système d'information commun ? Au regard de votre connaissance du sujet et de vos expériences personnelles, quels avantages verriez-vous à ce système d'information commun ? Sur ce sujet, je partage le propos conclusif : la donnée ne doit pas être recherchée pour elle-même, et il faut veiller à conserver de l'humanité dans les relations avec les équipes qui travaillent autour de la question du handicap et avec les usagers.
Mme Sylvie Vermeillet. - A mon tour, je souhaite remercier nos deux rapporteurs spéciaux pour cet exposé très intéressant. Je suis frappée par la carte qui est intégrée dans le rapport. Elle fait en effet apparaître des disparités entre départements en matière de traitement des dossiers d'AAH. Quelle est l'origine de ces disparités entre départements, est-ce une question de disparités de moyens humains ?
M. Marc Laménie. - Merci à nos deux rapporteurs qui ont travaillé sur un sujet d'importance. J'ai en mémoire, lorsque je faisais partie de la commission des affaires sociales, un travail qui avait été réalisé en 2010 sur le bilan des MDPH par notre ancien collègue Paul Blanc, et à titre personnel je ne mesure plus réellement leur rôle. Il y a en effet, comme cela a été rappelé par les rapporteurs, trois partenaires financiers sous l'autorité des conseils départementaux. Mes questions sont les suivantes : premièrement, comment se rapprocher, sur le terrain, des demandeurs qui déposent leur dossier ? Ensuite, peut-on quantifier le coût de fonctionnement des MDPH rapporté à leur réelle efficacité?
Mme Sophie Taillé-Polian. - Merci aux deux rapporteurs pour ce travail qui soulève différents éléments qu'il convient de remettre à plat. Ma question rejoint, dans l'esprit, celle de Marc Laménie. Les indicateurs ont certes leur utilité mais se révèlent déconnectés du réel. Ainsi par exemple, de nombreuses MDPH préconisent, après un parcours du combattant des parents, le suivi par des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). On devrait donc aussi mesurer l'effectivité de l'accès aux droits qui sont ouverts par les MDPH. Car si les parents parfois s'interrogent sur un nombre d'heures qui leur semble peu important par rapport au handicap de leur enfant, en réalité pendant l'année scolaire, il n'y a parfois aucun recrutement d'AESH pour assurer cet accompagnement. Cela montre la limite de l'approche par les indicateurs : une fois qu'il y a prescription de droits, quelle est la réalité de leur ouverture ?
M. Michel Canévet. - Je voudrais moi aussi remercier les deux rapporteurs pour leur travail sur ce sujet dont on a beaucoup parlé il y a quelques semaines à l'occasion des échéances qui viennent de s'achever et en effet dans le Finistère on s'apercevait qu'il y avait un délai de traitement particulièrement long, parfois de plus de huit mois. Et j'observe dans le rapport qu'il y a des disparités très fortes en termes de délai de l'ordre de un à six entre les départements. Les rapporteurs ont-ils pu faire une évaluation du nombre de demandes rapporté à la population qui justifierait ces disparités? Par exemple, dans la Meuse est-ce parce qu'il y a moins de demandes que les dossiers sont traités aussi rapidement? Est-ce qu'on a une idée des coûts de traitement des dossiers ? Concernant les personnels, est-ce que la pénurie de médecins entrave le fonctionnement des MDPH ? Je vois que l'une des propositions des rapporteurs est d'aller vers des points d'accueil territorialisés. S'agit-il de se rapprocher des maisons France Service pour proposer sur le territoire une présence ou alors de s'appuyer sur d'autres institutions comme les communes ou communautés de communes ou d'agglomération ? Enfin sur la question des moyens, n'est-il pas temps de se dire qu'il faudrait que ce soit le conseil départemental qui pilote totalement ces MDPH ? On a aujourd'hui le sentiment que des difficultés relationnelles entre les différents acteurs nuisent au pilotage. Sachant que nous sommes dans un domaine où les demandes évoluent fortement et les coûts induits aussi. Il s'agit ici d'une dépense quasi-obligée, qui génère pour l'État des coûts importants, mais justifie que les dépenses publiques augmentent un peu.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Sur le système d'information : il s'agit d'un sujet que nous avons croisé régulièrement au cours de nos travaux ces dernières années. On constate enfin que les choses s'enclenchent : c'est une bonne nouvelle. Il était difficilement compréhensible que nous ne disposions pas de cet outil qui concerne, sur le seul champ de l'AAH, 1,2 million d'allocataires. J'avais du mal à croire que, alors nous avons pu mettre en place le prélèvement à la source pour 38 millions de foyers fiscaux, nous serions dans l'incapacité de mettre en place un système d'information commun pour les MDPH.
Un tel système permet une meilleure connaissance des situations, et constitue donc un outil d'analyse précieux. Il permet également d'objectiver plus finement les disparités entre départements, qui s'expliquent de différentes façons. Par exemple, les effectifs des équipes pluridisciplinaires sont quelque peu à géométrie variable. Il existe d'importantes disparités en matière de formation. On constate enfin des disparités de pratiques, notamment en termes de taux d'attribution, qui ne sont pas acceptables s'agissant d'une politique nationale comme celle de l'AAH.
En réponse à Marc Laménie, le fait de disposer de points d'accueil territorialisés est un atout indéniable pour se rapprocher des demandeurs. Environ deux tiers seulement des MDPH disposent de tels points d'accueil.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Je vais m'efforcer de répondre avec ma « double casquette » de rapporteur spécial et d'ancien vice-président aux affaires sociales d'un département d'Île-de-France puis de président. J'étais notamment en charge des affaires sociales au moment de l'institution des MDPH dans mon département, ce qui me permet de répondre au rapporteur général : il n'y a pas pu y avoir d'emblée un système d'information commun pour la seule raison que l'État a placé les départements face à la nécessité de faire sans coordination, et que ceux-ci se sont alors tournés vers différents éditeurs, qui sont encore là aujourd'hui. Ces systèmes d'information MDPH ont en outre souvent des liens avec les systèmes d'information des départements, ce qui a contribué à rendre leur unification complexe.
Pour prolonger le propos d'Éric Bocquet sur les avantages d'un système d'information unique ou au moins harmonisé, je dirais qu'un tel système permet une connaissance plus fiable de l'AAH, une facilité d'interaction avec les autres acteurs, notamment les CAF, et la simplification de la relation à l'usager. Cela peut aussi constituer un levier d'harmonisation des pratiques.
Sylvie Vermeillet nous a interrogés sur les disparités constatées entre les départements : elles reflètent d'abord l'hétérogénéité des départements. Pour avoir siégé plusieurs années au bureau de l'Assemblée des départements de France, je peux affirmer une chose : « autant de départements, autant de situations ». Cela justifie la décentralisation du dispositif, pour mieux prendre en compte la diversité du territoire, à condition bien sûr qu'on puisse toujours garantir une équité de traitement.
Je partage la nécessité exprimée par Marc Laménie de simplification de la communication avec le public. Comme président de département, je m'étais efforcé d'obtenir une simplification de l'expression des notifications de décisions adressées par la MDPH, qui était très complexe. Je me trouvais parfois moi-même en incapacité d'expliquer aux personnes concernées le sens de la décision... Je m'étais cependant heurté à une forte résistance de mon administration, qui craignait que la modification des termes de la notification n'ait pour effet d'ouvrir de nouveaux espaces de contentieux. Il faut donc mettre suffisamment de moyens d'interface pour être en capacité de présenter leurs droits aux personnes le plus clairement possible.
Nous partageons le point de vue exprimé par Sophie Taillé-Polian : les indicateurs ne doivent pas être une obsession. Il y a derrière les chiffres des réalités complexes. La vérification de la bonne activation des droits ouverts par les CDAPH nécessite notamment d'améliorer les relations et les échanges d'informations entre les MPDH et les établissements médico-sociaux.
Michel Canévet a posé une question sur les disparités en termes de délais. Il s'agit de données à manier avec précaution. Certaines décisions simples peuvent être prises très rapidement, tandis que les situations les plus douloureuses, et souvent les plus urgentes, sont évidemment les plus compliquées et leur délai de traitement est plus long. Nous devrions réussir à faire le contraire : traiter prioritairement les demandes émanant des personnes dont la situation est la plus difficile.
La pression en termes de nombre de demandes n'est pas la même selon les départements. Elle est notamment plus forte dans les départements les plus urbanisés.
Il est par ailleurs évident que la pénurie de médecins dans les MDPH et la difficulté de celles-ci à les fidéliser constituent des enjeux importants. Le constat vaut d'ailleurs pour tous les personnels : on observe un « turn-over » important, de la fatigue...
Pour compléter le propos d'Éric Bocquet sur la territorialisation de l'accueil, je dirais qu'à mon sens les centres communaux et intercommunaux d'action sociale restent les partenaires naturels des départements, même si les maisons France services peuvent aussi jouer un rôle.
Sur la question d'un rôle départemental plus affirmé, je noterais qu'en pratique les conseils départementaux, en tant que président des GIP, sont déjà les pilotes des MDPH, notamment en matière de ressources humaines. Il leur manque certaines compétences pour pouvoir exercer un pilotage global, en particulier la compétence « emploi », qui est notamment importante en matière d' « AAH-2 ». Le partenaire État est indispensable dans la chaîne de décision : il faut rappeler que l'AAH représente tout de même 11 milliards d'euros de crédits budgétaires.
La conclusion que j'en tire, c'est que, dans un domaine particulièrement complexe d'un point de vue juridique et de l'organisation administrative, finalement, nous sommes tout de même dans une optique de progrès et d'améliorations. Nous exprimons cependant une nouvelle inquiétude sur l'attitude de l'État au travers de la CNSA, qui est davantage dans le contrôle que dans une volonté d'accompagner et d'impulser ces progrès.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La commission autorise la publication de la communication des rapporteurs spéciaux sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Stéphane Sautarel, Vincent Delahaye, Rémi Féraud et Didier Rambaud, comme membres titulaires, et de MM. Vincent Segouin, Arnaud Bazin, Philippe Dallier, Jean-Michel Arnaud, Mme Isabelle Briquet, MM. Jean-Claude Requier et Pascal Savoldelli, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020.
Désignation de rapporteurs
La commission désigne MM. Jean-François Husson et Claude Raynal rapporteurs sur la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques (A.N., XVe lég., n° 4110 rect.) et sur la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques (A.N., XVe lég., n° 4113 rect.), sous réserve de leur transmission.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, sous réserve de sa présentation en Conseil des ministres et de son dépôt, et désigne M. Christian Klinger en qualité de rapporteur pour avis.
La réunion est close à 11 h 20.