- Mercredi 23 juin 2021
- Projet de loi de finances rectificative pour 2021 - Examen du rapport
- Rapport relatif à la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise et rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques - Audition de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes
Mercredi 23 juin 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi de finances rectificative pour 2021 - Examen du rapport
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin le rapport du rapporteur général sur le projet de loi de finances rectificative pour 2021.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous voici de nouveau réunis pour l'examen d'un projet de loi de finance rectificative (PLFR), quelques semaines après avoir donné notre avis sur un décret d'avance de 7,2 milliards d'euros. Nous avions pris l'habitude de « sortir des milliards » pour soutenir l'économie et assurer la solidarité nationale. Espérons que ce texte sera bien celui de la sortie de crise avec un soutien en faveur des entreprises encore touchées par les dernières contraintes et une pleine mise en oeuvre du plan de relance.
Examinons d'abord la trajectoire de croissance qui, si elle se confirme, reste toutefois modérée et fragile.
Le projet de loi de finances rectificative réajuste la prévision de croissance du PIB en volume de 6 % à 5 %. Toutefois, malgré cette révision et comparativement à l'année 2019, le niveau d'activité sera plus important que ce qui était prévu initialement. En effet, la récession en 2020 ayant été moins forte qu'escompté, la « rampe de lancement » du PIB en 2021 s'en trouve plus porteuse.
La prévision du Gouvernement a été qualifiée de « réaliste » par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), qui rappelle, toutefois, qu'elle a été établie alors que demeurent un grand nombre d'incertitudes sur le plan macroéconomique. En tout état de cause, elle se situe dans la fourchette basse des prévisions publiées par diverses institutions, notamment la Banque de France, ce qui peut s'assimiler à une certaine prudence. Cela peut se comprendre compte tenu du nombre d'aléas qui pèsent sur la reprise d'activité dans notre pays. Je pense, par exemple, aux inconnues que constitue le niveau de liquidités et de solvabilité des entreprises au sortir de cette crise ou, encore, à l'ampleur de la reprise du commerce international et du tourisme.
À l'inverse, plusieurs signaux positifs nous permettent d'envisager une croissance plus importante que celle qui a été retenue par le Gouvernement. Je pense, plus particulièrement, à l'indice de confiance des ménages et à l'indicateur du climat des affaires qui étaient, au mois d'avril à des niveaux comparables ou supérieurs à ceux que nous avions connus avant la crise.
Néanmoins, même en retenant les hypothèses les plus optimistes, la reprise française reste modérée par rapport à celle de nos partenaires.
Certes, d'après les prévisions de croissance de la Banque de France, nous reviendrions, en 2022, au niveau d'activité de 2019, que nous dépasserions même de 1,2 %. Toutefois, nos partenaires pourraient faire mieux, la zone euro serait à 2,1 % au-dessus du niveau d'activité de 2019, et l'Allemagne à 2,5 %.
Je souhaite dire quelques mots sur les deux phénomènes que sont la reprise de l'inflation et la remontée sensible du taux des obligations souveraines. Compte tenu des inquiétudes légitimes qu'ils suscitent, je m'attellerai à répondre à trois questions. D'abord, quelle est l'ampleur du phénomène ? Ensuite, comment s'explique-t-il et faut-il considérer qu'il procède de causes durables ? Enfin, quels risques emportent-ils pour la soutenabilité de nos finances publiques ?
Depuis la fin d'année 2020, le taux d'inflation a augmenté en France, pour s'établir à + 1,8 % en mai 2021. L'inflation sous-jacente, qui exclut les produits dont les prix sont les plus volatils ou administrés et qui permet d'apprécier la tendance de fond de l'économie, augmente également, pour s'établir à + 1,1 %.
Pour autant, quelle est l'ampleur de ce phénomène ?
Il est en réalité assez limité si l'on s'intéresse plutôt à l'évolution de l'indice des prix à la consommation lui-même.
Ainsi, l'indice des prix est resté quasiment plat pendant la majeure partie de la crise sanitaire. La demande adressée à l'économie a chuté, ce qui a limité les pressions inflationnistes. Au final, le niveau de l'indice des prix se situe en dessous de ce qu'il aurait pu être si la Banque centrale européenne (BCE) avait atteint son objectif d'inflation d'environ 2 % par an depuis janvier 2019.
Quelles sont les causes de cette reprise de l'inflation et sont-elles durables ? Plusieurs causes ont été évoquées.
La première d'entre elles est celle d'un « effet base » : les prix ont baissé ou stagné en 2020 sous l'effet de la baisse de la demande, mais aussi de mesures telles que le chômage partiel, qui a réduit les coûts salariaux, ou encore l'allégement de TVA en Allemagne. Lorsque ces dispositifs s'éteignent, les prix ont tendance à revenir à leurs niveaux antérieurs, ce qui, mécaniquement, accélère l'inflation.
La seconde cause est liée aux tensions d'approvisionnement en matières premières ou d'intrants spécifiques dans les secteurs notamment de la métallurgie, du bâtiment ou de l'électronique. En effet, les chaînes de valeur sont encore perturbées par la crise sanitaire et les restrictions qu'elle induit.
En tout état de cause, ce phénomène ne semble pas présenter de caractère durable. Selon la Banque centrale européenne, si l'inflation peut bien atteindre + 1,9 % en 2021, elle ralentirait, pour s'établir à + 1,4 % en 2023.
Pour mémoire, la cible d'inflation de la BCE se situe à 2 % : le risque principal dans la zone euro et en France n'est pas une accélération de l'inflation, mais, à l'inverse, la persistance d'une inflation faible.
Quels risques cette inflation emporte-t-elle pour nos finances publiques ?
En cet instant, j'estime que les risques sont modérés. En effet, l'inflation se traduit à court terme par une augmentation des recettes publiques plus importante que celle des dépenses. En conséquence, elle participe à améliorer le solde, ce qui pourrait être bienvenu en 2021. Elle se traduit également par une hausse de la charge de la dette indexée, laquelle augmentera d'ailleurs de 1,9 milliard d'euros en 2021. Ce n'est pas négligeable, mais cela ne modifie pas la trajectoire de réduction de la charge de la dette par rapport au PIB, lequel augmente, lui aussi, avec l'inflation.
En parallèle de la hausse de l'inflation, on a pu constater depuis le mois de janvier dernier une hausse soutenue du taux d'intérêt nominal des obligations françaises. En effet, pour l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans, le taux a augmenté de 51,2 points de base entre janvier et juin 2021.
Mettre à jour les causes sous-jacentes aux variations de taux d'intérêt reste un exercice périlleux et, pour cette raison, je n'évoquerai ici qu'une seule hypothèse évoquée par la BCE.
Pour cette institution, la variation des taux des actifs sans risque en zone euro résulterait principalement des anticipations d'inflation des investisseurs. Les taux d'intérêt réels, minorés de l'inflation et du risque emprunteur, resteraient, quant à eux, négatifs. Toutefois, la BCE précise que ce serait peut-être moins les anticipations d'inflation qui pousseraient les taux à la hausse que l'incertitude sur la solidité de ces anticipations. En d'autres termes, dans un contexte d'incertitude élevée s'agissant du niveau d'inflation à venir, les investisseurs demanderaient une rémunération plus importante pour se prémunir contre ce risque.
Dans cette hypothèse, on peut dès lors penser que la sortie progressive de la crise devrait permettre d'ancrer plus fortement les anticipations d'inflation, ce qui réduirait la pression à la hausse des taux d'intérêt. Dès lors, il ne faut pas, me semble-t-il, s'alarmer excessivement de cette remontée des taux. D'abord, celle-ci semble assise sur un phénomène temporaire. Ensuite, les taux réels ou nominaux négatifs constituent une anomalie et traduisent autant la faiblesse de notre croissance potentielle qu'ils désincitent à adopter une gestion plus efficiente de nos finances publiques. Enfin et surtout, la hausse des taux à laquelle nous assistons et qu'anticipent d'ailleurs les marchés financiers est bien moins importante que ce que prévoit le scénario gouvernemental.
Venons-en à la reprise et à la relance.
Tout en invitant à une certaine sérénité quant à l'augmentation de l'inflation et des taux d'intérêt, je considère, comme je l'ai indiqué, que la reprise économique est fragile. Aussi, il convient de ne pas accentuer cette fragilité en ratant la sortie des mesures de soutien et la relance.
La France a mobilisé un effort substantiel pour soutenir son tissu économique et éviter la destruction durable de nos capacités de production et des emplois. En 2021, ce sont près de 44 milliards d'euros qui ont été engagés ou prévus au titre des mesures de soutien dont, par exemple, 22,2 milliards d'euros pour le fonds de solidarité et les autres aides directes et 11 milliards d'euros pour l'activité partielle. À cela s'ajoute la garantie de l'État à l'octroi de prêts ou au profit de véhicules d'investissement en quasi-fonds propres.
Aussi, avec ce PLFR, nous devons préparer la sortie des mesures de soutien et, j'y insiste, le passage plein et rapide à une logique de relance.
Il faut évidemment sortir intelligemment des mesures de soutien, c'est-à-dire en tenant compte du fait que certains secteurs restent encore affectés par la crise sanitaire. Cela peut s'expliquer par le maintien de mesures de restriction - c'est le cas du tourisme international -, mais aussi par la persistance de difficultés d'approvisionnement dans l'attente d'un plein retour à la normale.
Il faut donc sortir d'une économie « sous perfusion », tout en continuant à soutenir ceux qui doivent l'être et en passant pleinement à une logique de relance.
Certains dispositifs me semblent aller dans le bon sens.
L'assouplissement du carry back, report en arrière des déficits des entreprises au titre de l'impôt sur les sociétés, a déjà été adopté par le Sénat dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 et constituera un utile soutien pour les entreprises qui auront besoin de soulager leur trésorerie.
De même, l'ajustement du dispositif d'allégements de cotisations sociales, qui passe d'un mécanisme de soutien sous condition de perte d'activité à un dispositif élargi au plus grand nombre, mais sur une période de temps plus courte, est positif.
En revanche, le soutien à la solvabilité des entreprises doit être une priorité si l'on souhaite assurer pleinement la relance, et le renforcement des fonds propres doit être favorisé.
Je vous proposerai donc, conformément à l'une de mes recommandations dans le rapport d'information sur la sortie des prêts garantis par l'État (PGE), d'introduire un allégement fiscal temporaire en faveur du renforcement des fonds propres des entreprises.
Il me semble que l'urgence voudrait que le Gouvernement engage également pleinement le plan de relance. Comme je l'ai déjà indiqué, le plan de relance français présente un caractère intermédiaire compte tenu de son coût rapporté au PIB.
Au titre de l'année 2021, les crédits ouverts au titre du plan de relance, mais également du plan d'investissement d'avenir et des autres dépenses assimilées de l'État, s'élèvent à 26,8 milliards d'euros. Or, sur ce montant, d'après les données qui m'ont été transmises, seuls 3,6 milliards d'euros de crédits de paiement ont été consommés fin avril. C'est trop peu, et il faut aller beaucoup plus vite avant de se demander s'il faudrait prévoir davantage.
Il en va de même concernant le volet européen du plan de relance, qui consiste en un ensemble d'actions éligibles à un financement équivalent à 40 milliards d'euros. Celui-ci devrait être validé aujourd'hui par la Commission européenne. Quoi qu'il en soit, nous pourrions avancer ce coût avant d'être remboursés par la suite par l'Union européenne.
Avant de passer à l'analyse du budget de l'État, je souhaite, comme il est d'usage, dire quelques mots sur l'état des finances publiques, toutes catégories d'administration confondues. Cela ne vous surprendra pas, le constat ressemble à celui que nous avions dressé pour 2020. Après cette crise, notre solde public est fortement dégradé.
Le PLFR conduit à réviser à la baisse la trajectoire du solde public : de 8,5 points de PIB, comme prévu en loi de finances initiale, le déficit passerait à 9,4 points, pour atteindre 228,4 milliards d'euros. La dégradation du solde public par rapport à la loi de finances initiale s'élève, en valeur, à 33,9 milliards d'euros.
Elle résulte, d'abord, d'une hausse des dépenses de l'ordre de 24,9 milliards d'euros opérée entre la loi de finances initiale et le programme de stabilité. Nous verrons de façon plus détaillée, dans mon analyse portant sur le budget de l'État, comment les crédits ont évolué avant ce PLFR, que ce soit par voie de reports ou de décrets d'avance.
Ensuite, le solde s'aggrave en raison d'une augmentation de 13,9 milliards d'euros de dépenses par rapport au programme de stabilité. Elles permettront, notamment, d'abonder le fonds de solidarité, le dispositif de chômage partiel ou encore la prime à l'embauche et à l'alternance.
Cette dégradation apparaît presque sans effet sur le montant de la dette dont le volume diminuerait, par ailleurs par rapport à la prévision initiale, pour s'établir à 117,2 % du PIB.
La croissance des dépenses, hors charge de la dette et hors mesures de soutien et de relance, s'établirait à + 2,3 %. Ce taux de croissance est le même que celui qui a été constaté en 2019. Toutefois, si le Gouvernement n'a pas cherché à maîtriser l'évolution des dépenses, il n'a pas non plus vraisemblablement pris prétexte de la crise pour les laisser filer.
À l'inverse, je rappelle que le Gouvernement s'est engagé sur une trajectoire de réduction des déficits dans le cadre du programme de stabilité. Celle-ci prévoit, notamment, que nous reviendrions sous la barre des 3 % en 2027, ce qui impliquerait, je le rappelle, entre 41 et 68 milliards d'euros d'économies au cours du prochain quinquennat selon les hypothèses retenues.
J'ai eu l'occasion de dire que je soutiens la date proposée pour entamer cet effort - à savoir l'année 2023 - et le choix de passer par une maîtrise des dépenses. Je regrette, néanmoins, que le Gouvernement ne présente pas de stratégie crédible pour atteindre son objectif de baisse de dépenses, alors même que nos voisins européens devraient retrouver une maîtrise de leurs comptes publics sous la barre des 3 % bien plus rapidement que nous. Les règles de la gouvernance budgétaire européenne doivent être révisées d'ici 2023 et la France occupera bientôt la présidence de l'Union : ce n'est guère le moment de manquer de stratégie pour la consolidation dont nous faisons notre objectif.
Venons-en au budget de l'État et à ses ouvertures de crédit importantes.
Le déficit budgétaire s'élève à 220 milliards d'euros dans le texte adopté par l'Assemblée nationale : ce serait de loin le plus important jamais connu, bien au-delà des 178,1 milliards d'euros de l'année 2020. Le déficit s'aggrave de 46,7 milliards d'euros par rapport aux 173,3 milliards d'euros prévu en loi de finances initiale. Les mesures du collectif ont moins d'impact sur le déficit que les reports de crédits. En effet, 28,8 milliards d'euros de crédits de la mission « Plan d'urgence », non consommés en 2020, ont été reportés à 2021 et contribuent désormais à la prévision de déficit.
Conséquence paradoxale, l'accroissement du déficit affiché par ce collectif budgétaire n'augmente pas l'endettement de l'État. En effet, l'État s'est endetté l'an dernier bien au-delà de ce qui était nécessaire, gonflant sa trésorerie qui financera à présent le surcroît de déficit de cette année. Ce phénomène illustre les « silences » de la loi de finances initiale, qui a retracé les ouvertures de crédits, mais pas les reports.
La comparaison de l'exécution budgétaire entre 2020 à 2021 montre que le déficit évolue pour l'instant de manière similaire. Dans ces conditions, un déficit de 220 milliards d'euros impliquerait que les dépenses soient beaucoup plus importantes au second semestre 2021 qu'au second semestre 2020, alors même que l'activité reprend et que les régimes d'aide diminuent. Il est vrai que certaines mesures de soutien ont été renforcées, mais les hypothèses du Gouvernement paraissent très prudentes : au-delà de quelques mécanismes tels que le carry back qui grèverait les recettes d'impôt sur les sociétés de 400 millions d'euros, ce budget est un budget de précaution et nous en verrons des exemples plus précis dans les ouvertures de crédit.
Le niveau exceptionnel des reports de crédits concerne donc la mission « Plan d'urgence », mais également les missions traditionnelles. La recapitalisation de la SNCF est emblématique du manque de lisibilité de la gestion budgétaire. Un montant de 4,1 milliards d'euros a été consommé sur le programme 358, qui devait permettre des prises de participations dans des entreprises soumises à la crise, bien que cette opération ait également été présentée comme une mesure du plan de relance. Or, la SCNF a immédiatement reversé ces fonds dans un fonds de concours de la mission « Écologie », qui ne sera reversé à SNCF Réseau que progressivement de 2021 à 2023. L'objectif est pertinent puisqu'il s'agit de renouveler le réseau, mais la technique employée ôte une partie de sa portée à l'autorisation parlementaire.
J'évoquerai rapidement les recettes, qui sont révisées à la hausse, de 3,1 milliards d'euros.
Les recettes fiscales nettes augmentent de 1,1 milliard d'euros. L'impôt sur le revenu et la TVA, notamment, profitent d'une réévaluation à la hausse des estimations de revenus en 2020 et de bonnes rentrées fiscales depuis le début de l'année.
Les recettes non fiscales sont en hausse de 1,2 milliard d'euros. En particulier, les prévisions de primes reçues par l'État au titre des prêts garantis par l'État (PGE) augmentent de 800 millions d'euros ; ces primes avaient été moins élevées que prévu à la fin 2020, donc il peut y avoir un effet de rattrapage.
Ces réévaluations en cours d'année n'ont rien d'extraordinaire et sont modérées par rapport aux ouvertures de crédits.
Le projet de loi de finances rectificative prévoit, dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, l'ouverture nette de 20,1 milliards d'euros en crédits de paiement. Ces ouvertures de crédit concernent très majoritairement les dispositifs d'urgence : nous sommes toujours dans un budget de crise, même s'il en accompagne la sortie.
Sur la mission « Plan d'urgence », les ouvertures de crédit sont de 9,8 milliards d'euros et concernent le financement du chômage partiel pour 2,2 milliards d'euros, le fonds de solidarité pour 3,6 milliards d'euros et la compensation à la Sécurité sociale des allégements de prélèvements pour 4 milliards d'euros. Ces programmes ont eu des ouvertures de crédit dans la plupart des lois de finances rectificatives en 2020.
En 2021, le chômage partiel a été jusqu'à présent financé principalement sur les crédits de la mission « Plan de relance », mais ce n'est pas suffisant et il est nécessaire d'en recharger les crédits.
Le programme 358, créé pour accroître les participations de l'État dans des entreprises touchées par la crise, a été peu utilisé. À présent, le Gouvernement demande 2 milliards d'euros pour prendre des participations dans des entreprises non touchées par la crise, sur un nouveau programme 367 créé dans la mission « Économie ». Je regrette le manque d'informations qui entoure cette demande de crédits d'un niveau conséquent. Je vous proposerai un amendement pour maintenir une nécessaire vigilance sur ces opérations extraordinaires puisqu'elles nécessitent des crédits du budget de l'État.
Le programme 360, qui compense à la Sécurité sociale des allégements de prélèvements décidés l'an dernier, a reporté ses crédits non consommés en 2020 vers le fonds de solidarité. C'est pour cela qu'il est nécessaire de l'alimenter à nouveau afin de régler des arriérés.
Quant au fonds de solidarité, il a été alimenté par des ouvertures de crédits en loi de finances initiale, mais aussi et surtout par des reports de crédits non consommés en 2020 sur plusieurs programmes, ainsi que par le décret d'avance du 19 mai. Le projet de loi de finances rectificative propose d'ouvrir encore 3,6 milliards d'euros, qui s'ajouteront aux 9,6 milliards d'euros environ dont dispose aujourd'hui le fonds, alors que les besoins devraient diminuer dans les mois à venir. Le Gouvernement se montre manifestement très prudent dans ses estimations.
S'agissant de la mission « Plan de relance », le montant des crédits actuellement consommés est de 7,4 milliards d'euros en crédits de paiement, ou 3,8 milliards d'euros si l'on exclut les dépenses liées à l'activité partielle d'urgence et déjà décaissées, ce qui constitue un taux d'exécution de 18,1 % en crédits de paiement.
Les ouvertures de crédit portent principalement sur le rechargement, pour 4,2 milliards d'euros, des crédits du programme 364 « Cohésion » qui ont été utilisés depuis le début de l'année pour financer l'activité partielle d'urgence.
Par ailleurs, 500 millions d'euros environ sont ouverts sur le programme 363 « Compétitivité », mais une annulation du même montant en autorisations d'engagement est prévue sur le projet « Hydrogène du futur » de la mission 362 « Écologie ». Il faut donc se demander quel est le financement, et donc l'avenir, de ce projet important de développement de l'hydrogène vert, qui devait être doté de 2 milliards d'euros sur deux ans. Vous constaterez donc avec moi combien les parcours de l'ouverture de ces crédits peuvent être sinueux.
Les autres ouvertures de crédit rejoindront les préoccupations de certains rapporteurs spéciaux.
Sur l'hébergement d'urgence, la ministre chargée du logement elle-même nous avait annoncé un abondement de 700 millions d'euros, très supérieur aux ouvertures de crédits des années précédentes, mais peut-être insuffisant au regard des besoins que Philippe Dallier a décrits devant notre commission.
Le monde agricole a été atteint par plusieurs crises cette année, notamment un épisode de gel tardif et une nouvelle épidémie de grippe aviaire. Ce projet de loi de finances rectificative ouvre 350 millions d'euros, mais on sait d'ores et déjà que d'autres crédits seront nécessaires, probablement dans le collectif de fin d'année.
La Nouvelle-Calédonie nécessite également une aide d'urgence à hauteur de 82 millions d'euros, notamment en raison des dépenses occasionnées par le protocole sanitaire strict.
Quelque 150 millions d'euros sont ouverts pour financer des bourses sur critères sociaux sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », également concernée par des redéploiements depuis le programme d'investissements d'avenir (PIA).
Sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative », 130 millions d'euros vont soutenir le nouveau « Pass Sport » ainsi que la mise à disposition d'équipements sportifs.
Enfin, l'Assemblée nationale a augmenté de 5 millions d'euros les crédits de la mission « Culture » au titre du soutien au monde du spectacle vivant, touché par les privations de recettes.
En dehors des missions « traditionnelles », le Gouvernement, dans le cadre de ce budget « de précaution », souhaite alimenter à hauteur de 1,5 milliard d'euros l'enveloppe des dépenses accidentelles et imprévisibles. Une fois de plus, alors que les programmes du plan d'urgence sont assez largement dotés, il demande des crédits dont le Parlement ne connaîtra l'utilisation qu'a posteriori. Je considère qu'on ne peut pas donner ainsi l'impression de faire des « chèques en blanc » au Gouvernement. Après les nombreux reports et mouvements budgétaires opérés, alors que, depuis 15 mois, l'unité de vote semble être devenue la dizaine de milliards d'euros : nous devons rester vigilants. Je vous proposerai donc un amendement pour réduire à 500 millions d'euros cette augmentation de la dotation pour dépenses accidentelles. Cela aura du moins le mérite de montrer au Gouvernement que tout n'est pas permis, que nous restons attentifs et qu'il est nécessaire d'entendre le ministre à ce sujet.
La charge de la dette augmenterait de 1,9 milliard d'euros, en raison de la reprise de l'inflation qui affecte les obligations indexées. En sens inverse, les appels en garantie sur les PGE sont prévus à un niveau moins élevé de près de 1 milliard d'euros qu'en loi de finances initiale.
Les annulations de crédit, quant à elles, portent en grande partie sur des crédits mis en réserve, ainsi que sur certains dispositifs pour lesquels des sous-consommations sont à prévoir.
Enfin, en dehors du budget général, il faut noter une nouvelle augmentation de 200 millions d'euros des avances au budget annexe « Compte et exploitation aériens », les prévisions de trafic faites en loi de finances initiale ne pouvant pas être atteintes, comme l'avait déjà noté Vincent Capo-Canellas.
Voilà pour la présentation générale de ce projet de loi de finances rectificative, qui propose avant tout de prolonger les dispositifs de soutien pour aider à la sortie de crise. Je resterai très vigilant sur l'usage qui en est fait et je considère qu'il ne faut pas que l'on s'habitue à laisser trop de marge budgétaire au Gouvernement. La crise est, je l'espère, derrière nous, la « valse des milliards » aussi ! Dans cette optique, outre l'amendement consistant à supprimer 1 milliard d'euros ouverts au titre des dépenses accidentelles et imprévisibles, je vous propose de prolonger sur 2021 l'obligation pour le ministre de l'économie de nous informer, le président de la commission et moi, avant toute opération réalisée au titre des participations financières de l'État et sur des crédits ouverts sur le budget général.
Du côté des mesures fiscales, ce texte porte essentiellement une mesure de carry back que la commission avait proposé au Sénat dès l'été dernier, sous l'impulsion de mon prédécesseur qui a bien raison de dire que le Sénat a souvent raison trop tôt. Nous ne pouvons donc qu'y être favorable, de même que sur la reconduction sur la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA), dans ses nouvelles modalités. C'est la même chose pour la prolongation de l'octroi de garantie de l'État au titre des PGE qui s'inscrit dans l'accompagnement des entreprises dans la sortie de crise.
En revanche, je vous proposerai un amendement pour reporter au 1er janvier 2023 la suppression du tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au gazole non routier (GNR). En effet, alors que cette date avait été annoncée par le Gouvernement, pour tenir compte en particulier du fait que les secteurs concernés ont été durement touchés par la crise et que les solutions alternatives à l'utilisation du gazole restent balbutiantes, les députés ont finalement retenu la date du 1er juillet 2022. Cela ne me paraît pas acceptable.
Je vous proposerai également, à titre temporaire, un mécanisme fiscal de déduction pour le capital à risque, qui entend neutraliser le biais fiscal en faveur de la dette et inciter les entreprises à améliorer leur situation financière en levant des fonds propres. Il met en oeuvre une recommandation de mon rapport « Comment réussir la sortie des prêts garantis par l'État ? » présenté le 12 mai dernier.
Pour inciter les entreprises à investir dans la transition écologique, même en temps de crise, je vous proposerai un amortissement accéléré sur douze mois des biens destinés à économiser l'énergie et des équipements de production d'énergies renouvelables acquis jusqu'à la fin 2022, assorti, pour les entreprises constatant une perte en raison de la crise sanitaire, d'une option pour monétiser immédiatement l'avantage fiscal.
Reprenant un dispositif que nous avons déjà adopté en loi de finances initiale, je vous proposerai également d'actualiser et de clarifier les seuils prévus pour les PME en matière d'imposition de leurs bénéfices, afin de les soutenir dans la relance de l'économie et de simplifier les règles du système fiscal.
Je vous proposerai aussi de porter le taux de la réduction d'impôt sur le revenu pour l'investissement dans les PME - dit dispositif « Madelin » - de 25 % à 30 % et faire de même pour le taux de la réduction d'impôt au titre des investissements dans les foncières solidaires chargées d'un service économique d'intérêt général, tout en prorogeant cette bonification jusqu'à la fin de l'année 2022 comme pour les autres entreprises visées par le dispositif « Madelin ».
Pour soutenir les entreprises qui ont rencontré des difficultés pour obtenir de l'aide ou qui ont été particulièrement touchées par les contraintes sanitaires, je propose, contrairement à ce que prévoit le Gouvernement, une exonération fiscale et sociale de l'aide à la reprise d'un fonds de commerce, sur le modèle de ce qui est prévu pour les aides du fonds de solidarité, auquel ces entreprises ne sont pas éligibles.
Dans la même idée, je vous proposerai un amendement de crédit pour financer un mécanisme de subvention pour les entreprises issues d'une création en 2020 et qui, à défaut d'avoir repris un fonds de commerce et en l'absence de tout chiffre d'affaires, ne font l'objet d'aucune aide actuellement, alors même qu'elles peuvent avoir consenti de lourds investissements initiaux. Cela me paraît juste qu'elles soient également aidées alors que pour elles, tout reste à faire pour trouver leur clientèle et qu'elles ont joué de malchance...
Concernant le dispositif d'aide au paiement des cotisations et contributions sociales prévu à l'article 9, je propose également de le prévoir pour les discothèques qui, après 15 mois de fermeture, devront se relancer à compter du 9 juillet prochain, avec une majoration de 20 % au lieu des 15 % retenus dans le texte. J'ai également un amendement qui sécurise juridiquement le dispositif de dégrèvement de taxe foncière adopté par l'Assemblée nationale, toujours pour les discothèques.
S'agissant du soutien du pouvoir d'achat des travailleurs, je propose que la limite du plafond permettant une exonération fiscale de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat puisse également être relevée à 2 000 euros pour les entreprises de moins de 50 salariés ayant mis en place un accord de participation volontaire, quelle que soit sa forme.
Pour soutenir les associations venant en aide aux personnes les plus défavorisées, je vous soumets aussi un amendement qui tend à proroger jusqu'à la fin 2022 le relèvement temporaire du plafond des dons éligibles à la réduction d'impôt sur le revenu de 75 % au titre du dispositif « Coluche ». Il s'agit ainsi de s'aligner sur la période prévue dans le projet de loi pour les dons aux associations cultuelles.
Concernant les collectivités territoriales, je vous proposerai de reconduire pour 2021 les « filets de sécurité » qui étaient prévus en 2020 pour certaines ressources spécifiques des collectivités d'outre-mer et de la collectivité de Corse, comme c'est le cas pour les autres dispositifs de droit commun.
Enfin, mes chers collègues, je vous annonce que la semaine prochaine, je vous présenterai un amendement qui vise à assurer de l'équité et le respect des engagements pris, en prévoyant une exonération fiscale des majorations exceptionnelles reçues par les internes des hôpitaux pour l'indemnisation de leurs gardes.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je vous proposerai d'adopter ce collectif budgétaire sous réserve de l'adoption des amendements que je vous ai présentés.
M. Claude Raynal, président. - Merci de cette présentation, nous allons maintenant prendre les questions sur le rapport général, avant l'examen des amendements.
M. Roger Karoutchi. - Une fois de plus, le Gouvernement fait comme si la crise sanitaire était terminée, comme si la pandémie était derrière nous : voilà que tout revient à la normale, on rouvre tout, alors que les pays les plus vaccinés referment leurs aéroports, comme Israël, et que bien des virologues annoncent une quatrième vague d'ici à la fin août ou le début de septembre. Comme l'été dernier, on fait comme si la crise était réglée et on ne se prépare en rien à l'éventualité d'une nouvelle vague. Je me souviens avoir dit l'an dernier à M. Le Maire que c'était irréaliste de faire comme si tout était terminé. Et si une nouvelle vague arrive, on n'aura encore une fois rien préparé, de même qu'on n'avait pas préparé l'arrivée de la deuxième puis de la troisième vagues - et ce sera un désastre pour nos équipements sanitaires comme pour nos finances publiques. Je ne joue pas les Cassandre, en réalité je ne fais qu'observer les choses et je suis sidéré de voir le décalage entre les discours et la réalité - et de savoir que si une nouvelle vague se produit, le ministre viendra nous voir en assurant qu'elle n'était pas prévisible et que les chiffres que le Gouvernement établit aujourd'hui étaient erronés... Cette répétition est invraisemblable.
Ensuite, on nous a dit que la pandémie ne laisserait pas notre économie indemne et qu'il faudrait une réflexion de fond, une réorganisation de notre système dans son ensemble, alourdi par son déficit abyssal. On nous a promis une réorganisation en profondeur, mais il ne se passe rien et on reste au fil de l'eau. Le « quoi qu'il en coûte » continue, je doute qu'il s'arrête avant les élections présidentielles, le pays fait comme s'il n'y avait pas de crise économique ni financière, je suis très inquiet.
M. Jérôme Bascher. - Ce collectif budgétaire ne fait qu'enregistrer les mesures déjà prises, sauf le carry back, il ne fait que mettre les crédits à jour. La presse est mieux informée que le Parlement, puisque c'est par elle que nous apprenons la préparation d'un nouveau plan de relance de 100 milliards d'euros. Les taux d'intérêt remontent un peu, le problème peut devenir crucial, mais le vrai problème reste que la France est le pays de la zone euro qui émet le plus de dette, mais qui redresse le moins possible ses finances publiques. Alors que, avec les États-Unis, il y a un spread de plus de 100 points de base sur les taux d'intérêt à 10 ans, on ne peut pas avoir des financiers qui viennent prendre de l'argent à la France en masse et payer aussi peu alors que d'autres pays sont plus compétitifs : la question des taux d'intérêt viendra grever notre avenir.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je ressens l'inquiétude exprimée par Roger Karoutchi, cependant je sais aussi que le dosage n'est pas facile entre l'ouverture nécessaire à la relance et la préparation d'une possible nouvelle vague. Le Gouvernement est prudent dans sa prévision de croissance, mais sommes-nous capables de fixer une autre trajectoire, avec une croissance plus forte ? Bercy préfère viser une meilleure exécution, c'est préférable pour se présenter sur les marchés, mais peut-on présenter un autre scénario ? Sur les taux d'intérêt, qu'il faut surveiller de très près, je suis étonné également qu'un écart de 500 points de base ne fasse pas de différence pour les finances publiques.
Enfin, nous savons déjà que les 200 millions d'euros supplémentaires au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » ne vont pas suffire, et que si l'on s'en tient là, on prépare un matraquage des compagnies aériennes, si elles s'en sortent.
M. Marc Laménie. - Dans votre présentation, il est noté que les reports de crédits passent à 36,6 milliards d'euros en 2020 : pourquoi une telle hausse ? Par ailleurs, s'agissant de votre schéma relatif à la SNCF, quel est le montant qui correspond à la recapitalisation de la SNCF, sachant que l'État a aussi repris une partie de sa dette ?
M. Albéric de Montgolfier. - Notre commission manque certes de compétences pour prédire une nouvelle vague de covid-19, mais pas pour savoir que nous n'avons pas tiré toutes les conséquences de la pandémie. Des entreprises nous disent qu'elles ont du mal à recruter, mais nous continuons à entretenir le système de chômage partiel le plus généreux du monde, aux dires de Bruno Le Maire : faut-il prolonger un tel dispositif et comment aider les entreprises à résoudre leurs difficultés de recrutement ?
M. Vincent Segouin. - Après les épisodes de gel, le Premier ministre a annoncé une aide de 1 milliard d'euros aux agriculteurs ; or, seulement 314 millions d'euros sont inscrits à ce collectif, dont 170 millions d'euros iront aux agriculteurs effectivement touchés par le gel. Pourquoi un tel écart ?
M. Vincent Delahaye. - Je ne suivrai pas notre rapporteur général, je voterai contre ce collectif qui poursuit le « quoi qu'il en coûte » et le laxisme budgétaire - je suis, de mon côté, pour la baisse de la dépense publique...
Les aides ne sont pas imposables, alors qu'elles remplacent des revenus, l'effet d'aubaine peut-être tout à fait important ; j'ai cité l'exemple d'un chauffeur de taxi pour qui les revenus de remplacement étaient très avantageux... Je crois que nous devrions regarder ce qui se passe du côté des pays scandinaves, qui ne sont pas frugaux, comme on le dit parfois, mais tout simplement sérieux.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je ne comprends pas non plus que les aides perçues du fonds de solidarité ne soient pas soumises à l'impôt. Ne devrait-on pas comparer les revenus touchés pendant la crise avec ceux des trois années précédentes ? On a peu évoqué la question, mais si le revenu est supérieur, il faudrait l'imposer : qu'en pensez-vous ?
Mme Christine Lavarde. - Effectivement, et il faut compter aussi avec l'activité non déclarée... Les économistes et le Gouvernement différent sur la perspective d'évolution des taux d'intérêt : est-ce à dire que le Gouvernement se garderait une petite « réserve » pour dégager un peu d'excédent ?
M. Éric Bocquet. - Vous écrivez dans votre présentation, page 11, que le taux nominal à 10 ans est sorti du négatif. Cependant, le site de l'Agence France Trésor m'apprend que la dernière adjudication s'est faite, le 20 juin, à - 0,76 % : comment l'expliquez-vous ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Le Premier ministre s'est engagé à combler les failles dans l'aide au titre du fonds de solidarité, en particulier pour les régies, cela a été fait pour l'an passé, mais les cinq premiers mois de 2021 n'ont pas été intégrés dans ce collectif budgétaire : est-ce bien le cas ?
M. Pascal Savoldelli. - Vous évoquez les mesures de dépenses, mais peut-être devrait-on s'autoriser quelques mesures visant aussi les recettes. Sur l'article 10, en particulier, notre commission va-t-elle avoir une marge par rapport à la perte de recettes des collectivités territoriales ? Alors que les associations d'élus l'estiment à 2 milliards d'euros, ce collectif budgétaire mobilise 200 millions d'euros : peut-on faire évoluer le périmètre ? Peut-on être unanimes sur cette question qui concerne directement la perte de recettes des collectivités territoriales ?
M. Christian Bilhac. - Comme on dit en Occitanie, entre mourir et payer, on a tout son temps... Avec ce collectif, c'est le « quoi qu'il en coûte » pour maintenant, mais pour le reste, on verra plus tard. On fait comme si la crise était finie et on agit au fil de l'eau, sans piste de réforme : cet attentisme est dangereux.
M. Jean-Marie Mizzon. - L'article 10 ouvre une dotation au profit des régies des collectivités territoriales et des EPCI, tout en listant des services non éligibles, dont on constate qu'ils peuvent concerner le domaine des transports, alors qu'Olivier Dussopt nous avait assuré que l'ensemble du secteur serait couvert : une fois retirés tous ces services non éligibles, que restera-t-il ?
M. Claude Raynal, président. - Je pense moi aussi que nous pourrions faire des propositions sur les recettes, je regrette même que notre commission n'en fasse pas.
Ensuite, les amendements que vous présentez aggravent la dépense, globalement, et un seul va dans l'autre sens, visant une diminution d'une enveloppe de précaution : est-ce pour réaffecter les crédits ailleurs ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme Roger Karoutchi, je m'interroge face à l'optimisme du Gouvernement qui, l'an passé déjà, disait que tout reviendrait à la normale. Cependant, cette crise a été si soudaine et inédite, que nous n'y étions pas préparés. Je suis inquiet moi aussi, et je crois que notre rôle, c'est de tout faire, en particulier grâce à la vaccination, pour être prêts à la rentrée, en étant proches de l'immunité collective - ce n'est pas acquis et c'est un élément du débat public à porter par l'ensemble des formations politiques et par le Gouvernement. Nous ne devons pas relâcher l'effort de vaccination, c'est la responsabilité du Gouvernement de le dire. Je suis convaincu que nous ne sommes pas sortis de la crise et je sais que nos compatriotes doutent, nous l'avons encore vu dimanche dernier avec l'abstention massive aux élections régionales et départementales. L'équilibre est difficile à trouver, j'essaie pour ma part d'être audacieux. Comme me l'ont dit des responsables de discothèques, qui sont fermées depuis 15 mois : les mesures de réouverture auront un effet seulement si l'on sort de la crise sanitaire, sans quoi cela ne servira à rien... Nous nous plaçons donc du côté du soutien à la relance, et nous suivons de très près l'affectation des crédits, en particulier de ceux qui ne sont pas consommés alors qu'ailleurs les contraintes sont fortes. Cependant, nous n'avons pas tous les éléments pour évaluer de façon plus précise la couverture des besoins - on constate des décalages, par exemple avec le décret d'avance, où l'on a vu que l'on s'était moqué de nous...
De même, je partage avec Jérôme Bascher le sentiment que les indicateurs de taux d'intérêt sont préoccupants, nous le disons depuis des mois, mais il y a une forme de déni, une addiction à la dépense publique qui fait que chacun revendique sa part d'aide, le discours de responsabilité doit être tenu. Le Président de la République a instauré le « quoi qu'il en coûte », mais c'est bien lui qui disait jusqu'alors qu'il n'y avait pas d'argent magique : il faut être sérieux et raisonnable ; les incertitudes fortes sur les taux intérêt changent évidemment la donne. Nous en saurons plus d'ici la prochaine loi de finances.
Sur le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », je partage l'inquiétude de Vincent Capo-Canellas, je suis convaincu que nous aurons à regarder cela de près d'ici la prochaine loi de finances.
Je précise à Marc Laménie que le montant de la recapitalisation de la SNCF est de 4,1 milliards d'euros, ce qui n'inclut pas la reprise de sa dette.
La carence de main d'oeuvre n'est pas nouvelle, elle date d'avant la crise sanitaire et tient aussi à des changements d'orientation, un mouvement que la crise sanitaire a certes renforcé. Il y a des carences sur certains métiers, des sureffectifs dans d'autres, l'analyse des besoins doit être faite par bassin d'emploi, en relation étroite avec les régions.
En ce qui concerne l'aide aux agriculteurs après le gel, je constate également le décalage entre les annonces et les moyens effectivement mobilisés : le Premier ministre a parlé d'un milliard d'euros, très loin des moyens mobilisés par ce collectif budgétaire, mais on ne connaît pas encore le montant définitif des dégâts, il faudra suivre ce dossier de près.
Sur les pertes d'épargne brute des régies exploitant des services publics industriels et commerciaux en2021, il paraît préférable d'attendre la fin de l'année pour faire le point. Les transports ne sont pas pris en compte, effectivement, dans le dispositif prévu par l'article 10. Cela tient au fait que les AOM ont déjà fait l'objet de mesures ciblées en 2020.
S'agissant de prévoir des mesures de recettes dans ce collectif, il faut à mon sens commencer par freiner les dépenses et par bien dépenser, alors que les prévisions sont difficiles à faire ; ensuite, il serait difficile d'ajouter des impôts ou taxes, avant la fin de la pandémie et en rompant avec la promesse de ne pas augmenter les charges...
Les aides aux entreprises versées au titre du fonds de solidarité sont effectivement défiscalisées. Si le Gouvernement avait écouté le Sénat et choisi de passer par une aide calculée sur les frais fixes, on y verrait plus clair. La réalité, c'est qu'on a ouvert le parapluie et qu'il est toujours difficile de le refermer... ou bien on risque de mettre le feu au pays ; voyez les « bonnets rouges » et les « gilets jaunes ». Au sortir de la crise, il faut faire attention au dosage et au moment où l'on arrête les aides.
Éric Bocquet, dans le cas que vous me soumettez, il s'agit d'une obligation indexée dont l'évolution de la rémunération est garantie par rapport à l'inflation. Ainsi, à l'occasion de ses adjudications du mois de juin, l'Agence France Trésor a émis des OAT à 10 ans à un taux moyen pondéré de 0,16 % et des OAT indexées à 10 ans à un taux moyen pondéré de - 1,27 %. Le taux de - 0,76 % que vous mentionnez correspond à celui d'une OAT indexée à 30 ans dont la souche a été réabondée.
Les amendements que je vous propose sont pour la plupart assez peu coûteux, ils introduisent des dispositifs temporaires, portant au plus loin en 2023 et leurs effets visent principalement à soutenir la trésorerie des entreprises. Le pari à faire, c'est celui de l'économie, pas celui des taxes et impôts.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement n° 45, je vous propose une exonération d'impôt sur les bénéfices et de contributions et cotisations sociales pour les aides à la reprise visant à soutenir les entreprises ayant repris un fonds de commerce en 2020.
M. Michel Canévet. - Le dispositif s'appliquera-t-il pour les établissements repris en 2020 et qui ont connu les plus grandes difficultés alors qu'ils étaient censés ouvrir ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai proposé un mécanisme de crédit pour ces cas, j'y reviendrai.
M. Vincent Delahaye. - Il faut effectivement regarder cela de très près.
L'amendement n° 45 est adopté.
Articles additionnels après l'article 1er
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement n° 46 je vous propose d'actualiser et de simplifier les seuils prévus pour les PME en matière d'imposition des sociétés.
L'amendement n° 46 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 47 vise à introduire, à titre temporaire, un dispositif de déduction fiscale pour le capital à risque, afin d'inciter les entreprises françaises à renforcer rapidement leurs fonds propres en sortie de crise. Il met en oeuvre une des recommandations de mon rapport Comment réussir la sortie des prêts garantis par l'État ?, que j'ai présenté le 12 mai dernier. Ce dispositif est envisagé au niveau européen et existe déjà en Belgique ou en Italie. Le mécanisme vise aussi à neutraliser le biais fiscal en faveur de l'endettement, qui résulte de la possibilité de déduire les charges financières afférentes à un emprunt.
M. Pascal Savoldelli. - Le groupe CRCE s'abstiendra dans l'immédiat sur les amendements et se prononcera en séance, en raison du caractère flou des réponses qui nous ont été données.
L'amendement n° 47 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 48 prévoit deux dispositifs complémentaires permettant de stimuler l'investissement des entreprises, dans un objectif de relance de l'économie et de soutien à la transition écologique. Il s'agit de réactiver la possibilité d'amortissement accéléré des matériels destinés à économiser l'énergie et les équipements de production d'énergies renouvelables, en permettant aux entreprises faisant l'acquisition de ces biens entre le 23 juin 2021 et le 31 décembre 2022 de les amortir sur douze mois.
L'amendement n° 48 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 49 vise à donner aux entreprises de moins de 50 salariés, et ce quelle que soit la forme de l'accord de participation mise en oeuvre, la possibilité de verser la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, en bénéficiant d'une exonération fiscale et sociale, dans une limite de 2 000 euros, contre 1 000 euros prévus initialement.
M. Claude Nougein. - Certes, mais la plupart des entreprises de moins de 50 salariés n'ont pas d'accord de participation ! Ne faudrait-il pas étendre la possibilité de verser 2 000 euros défiscalisés à toutes ces entreprises, même lorsqu'elles n'ont pas conclu un tel accord ? Cela permettrait de compenser les pertes de pouvoir d'achat enregistrées par les salariés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'entends votre objection, mais mon amendement constitue déjà une avancée, car le projet de loi initial ne vise que les plans d'épargne d'entreprise et permet surtout aux grands groupes de distribuer ces primes défiscalisées.
L'amendement n° 49 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° 50 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 51 vise à reporter de 18 mois l'alignement du tarif de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au gazole non routier (GNR) sur celui appliqué au gazole routier. Nous rétablissons la rédaction initiale de l'amendement du Gouvernement, en revenant sur le texte de l'Assemblée nationale, afin de respecter ce qui avait été annoncé aux organisations professionnelles.
L'amendement n° 51 est adopté.
Article 2 ter (nouveau)
L'amendement de coordination n° 52 est adopté.
Article additionnel après l'article 2 sexies (nouveau)
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 53 tend à reconduire, en 2021, les mécanismes de garantie, dits « filets de sécurité », mis en place en 2020, dans le contexte de la crise, pour certaines ressources spécifiques aux collectivités territoriales d'outre-mer et à la collectivité de Corse.
L'amendement n° 53 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 54 vise à réduire de 1 milliard d'euros l'ouverture de crédits demandée au titre des dépenses accidentelles et imprévisibles.
L'amendement n° 54 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 55 vise à augmenter les crédits consacrés à la forêt par le plan de relance, au sein du programme 362 « Écologie ». Afin d'investir dans les dessertes et les repeuplements indispensables pour faire face au réchauffement climatique, une aide à l'amélioration des peuplements forestiers a été instituée en 2018. Toutefois, de nombreuses communes ne disposent pas des moyens nécessaires pour financer les opérations préalables au reboisement des parcelles, qui peuvent être coûteuses en raison, par exemple, de la topographie, des difficultés d'enlèvement des bois ou de la nécessité de créations de pistes pour le débardage, dans un contexte où le prix du bois a chuté. Il convient donc d'aider ces collectivités.
L'amendement n° 55 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement n° 56, je souhaite instaurer un mécanisme de soutien pour les entreprises issues d'une création en 2020.
L'amendement n° 56 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 57 rend éligible à la réduction d'impôt de 75 % les dons effectués aux associations cultuelles et aux établissements publics des cultes reconnus d'Alsace-Moselle, à compter du 1er janvier 2021, et non à partir du 2 juin, comme le proposait le Gouvernement. Il s'agit de simplifier l'éligibilité des dons pour les particuliers et l'administration fiscale.
L'amendement n° 57 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Par parallélisme, l'amendement n° 58 vise à prolonger jusqu'au 31 décembre 2022 le relèvement temporaire du plafond des dons éligibles à la réduction d'impôt sur le revenu de 75 % au titre du dispositif « Coluche ».
L'amendement n° 58 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 59 vise à augmenter à 30 % le taux bonifié temporaire pour les réductions d'impôt sur le revenu et à prolonger jusqu'au 31 décembre 2022 la bonification du taux de la réduction d'impôt applicable aux investissements dans les foncières solidaires chargées d'un service d'intérêt économique général (SIEG), tout en portant ce taux à 30 %.
L'amendement n° 59 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cet article donne la possibilité aux communes de renoncer à leur part de taxe foncière sur les propriétés bâties due par les bailleurs qui accordent une remise totale sur les loyers commerciaux des gérants de discothèques, ou de décider d'un dégrèvement de cette taxe au profit des discothèques. L'amendement n° 60 vise à améliorer et à sécuriser le dispositif.
L'amendement n° 60 est adopté.
Article additionnel après l'article 8 (nouveau)
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 61 vise à réintroduire le dispositif de la proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure, adoptée par le Sénat le 2 juin 2020.
L'amendement n° 61 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 62 vise à étendre aux discothèques l'aide au paiement des cotisations, à compter de leur réouverture et pour trois mois, avec un taux majoré à 20 %, au lieu de 15 % dans le texte initial du Gouvernement.
L'amendement n° 62 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 63 a pour objet de conserver et compléter le mécanisme d'information préalable, prévu par la deuxième loi de finances rectificative pour 2020, concernant l'utilisation des crédits exceptionnels ouverts en vue de renforcer les participations financières de l'État dans le cadre de la crise sanitaire.
L'amendement n° 63 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement n° 64 prévoit que les conditions d'utilisation des prêts participatifs sur l'enveloppe du fonds de développement économique et social (FDES) à l'ensemble des entreprises seront définies par décret.
L'amendement n° 64 est adopté.
M. Rémi Féraud. - Si nous soutenons certains amendements, nous sommes sceptiques sur d'autres, et nous exprimerons notre position sur chacun d'entre eux en séance. Notre rapporteur général a-t-il une estimation du coût que représentent ses amendements ? Rien que l'amendement 51 sur le gazole non routier coûte environ 500 millions d'euros. Vous parlez souvent de la nécessité de réduire la dépense publique. Or vos amendements élargissent certaines niches fiscales, créent des exonérations ou des augmentations de dépenses - d'autres seraient d'ailleurs nécessaires, selon nous, notamment en matière sociale ; nous déposerons des amendements en ce sens -, mais en dehors de la réduction de 1 milliard d'euros des crédits pour dépenses accidentelles et imprévisibles, on peine à trouver des amendements de réduction des dépenses publiques ! Certes, un PLFR n'est sans doute pas la meilleure occasion pour y procéder, mais on ne peut s'empêcher de constater que s'il est facile d'affirmer des principes, il y a loin de la coupe aux lèvres dès lors qu'il s'agit de passer aux actes, notamment en cette période de crise !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En ce qui concerne le GNR, nous demandons simplement le respect de l'accord conclu avec les organisations professionnelles. Le coût serait d'environ 400 millions d'euros. Pour le reste, comme vous l'avez dit, ce PLFR n'est pas le moment de procéder à des baisses de dépenses. Nous ne sommes pas sortis de la crise. J'ai beau être libéral, je pense que nous devons continuer à être solidaires de Français, des collectivités et des entreprises. Si on coupe les aides trop tôt, on court à la catastrophe. Chaque chose en son temps ! Je n'ai d'ailleurs pas le souvenir que la dépense publique ait baissé sous le précédent quinquennat...
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2021 tel que modifié par les amendements qu'elle a adoptés.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Rapport relatif à la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise et rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques - Audition de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons en cette fin de matinée Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des Comptes, sur le rapport relatif à la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise, commandé par le Premier ministre, et le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques, traditionnellement remis au mois de juin en vue du débat d'orientation des finances publiques qui aura lieu dans notre assemblée le 15 juillet prochain.
Ces rapports ont bien évidemment de nombreux points communs. Tous deux marquent une inflexion notable et compréhensible dans les préconisations de la Cour, qui nous avait habitués à plaider pour une maîtrise rigoureuse de nos finances publiques privilégiant la baisse de la dépense publique. Dans le nouveau contexte économique créé par la crise sanitaire, la Cour préconise que les finances publiques soient mobilisées pour renforcer le niveau de notre croissance potentielle, en concentrant l'effort d'investissement public sur des priorités ciblées, en vue de soutenir l'innovation, la recherche, l'industrie et le développement des compétences ; en soutenant la transition écologique ; en contribuant à l'accélération de la transformation numérique et en renforçant nos capacités de résilience. Pour autant, elle préconise aussi une consolidation de nos finances publiques à compter de 2023, en vue d'une décrue de l'endettement public à partir de 2027, et appelle à des réformes dans cinq secteurs clés de la dépense publique que sont le système des retraites, l'assurance maladie, la politique de l'emploi, les minima sociaux et la politique du logement. Vous nous préciserez quelles pourraient être les réformes que vous appelez de vos voeux.
Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques reprend ce constat global, en insistant sur l'enjeu lié à la hausse de l'endettement public et à son financement par les marchés financiers.
Monsieur le Président, je vous laisse sans plus attendre la parole.
M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes - Je vous remercie vivement pour votre invitation. Comme vous le savez, le Premier président de la Cour, Pierre Moscovici, ne pouvait être présent pour cette audition traditionnelle sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Il m'a donc demandé de le suppléer et de vous présenter non pas un mais deux rapports : d'une part, le rapport que la Cour des comptes a préparé à la demande du Premier ministre sur la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise. Il a été remis au président de la République et au Premier ministre et rendu public en début de semaine dernière ; d'autre part, le rapport que la Cour réalise chaque année sur la situation et les perspectives des finances publiques prévu par la LOLF dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement, qui a été rendu public hier.
Ces deux rapports sont complémentaires : l'un présente la situation des finances publiques et commente la trajectoire présentée par le gouvernement dans le programme de stabilité envoyé en avril à la Commission européenne ; l'autre, sur la base du constat dressé dans ce premier rapport, propose une stratégie pour assurer durablement la soutenabilité de finances publiques.
Je suis venu accompagné des principaux membres de l'équipe nombreuse de la Cour qui a conduit de manière conjointe tout au long des quatre derniers mois les travaux ayant abouti à ces deux rapports : Michel Houdebine, François Kruger et Martine Latare, qui se sont particulièrement consacrés au rapport en réponse à la demande du Premier ministre, Stéphane Guéné, rapporteur général du RSPFP, ainsi que Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître qui en a assuré le contre-rapport.
La demande de l'exécutif d'un rapport sur la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise a été perçue par la Cour comme une grande marque de confiance. La mission a suscité, dès le début, un très vif enthousiasme au sein de la Cour et les équipes se sont rapidement mobilisées pour relever le défi, un défi qui était de taille puisqu'il s'agissait d'apporter, en peu de temps, une contribution que nous espérons utile au débat public sur ce sujet central qu'est la sortie de crise de Covid-19.
La demande du Premier ministre comportait trois volets : l'un sur les finances publiques, un autre sur les modalités de sortie des dispositifs d'urgence mis en place pendant la crise, un troisième enfin sur les réformes structurelles à mettre en oeuvre pour renforcer à l'avenir l'efficience des politiques publiques. Le délai de réalisation initialement accordé à la Cour, qui devait nous conduire à remettre nos premières conclusions début avril, a été prolongé à l'initiative de l'exécutif pour nous permettre de conduire nos travaux dans les meilleures conditions et de lui remettre en même temps ces trois volets.
Pour réaliser ce rapport, les équipes de contrôle se sont appuyées sur les récentes publications de la Cour mais aussi sur des travaux en cours d'instruction. La Cour a également réalisé une quarantaine d'auditions et bénéficié de l'éclairage de responsables politiques, français et européens, de parlementaires, d'économistes de renommée mondiale, mais aussi des présidents des trois grandes associations de collectivités territoriales, de partenaires sociaux et de représentants du monde économique.
Quels sont les principaux messages qui ressortent de ces deux rapports ?
Les deux premiers messages sont principalement détaillés dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Le premier message est que notre pays a abordé la crise sanitaire avec des finances publiques insuffisamment redressées. Ce constat n'est pas nouveau. La Cour l'avait déjà souligné dans son rapport de l'année dernière. Nous avons souhaité conforter notre analyse en présentant, dans le premier chapitre du RSPFP, l'évolution des finances publiques au cours des deux décennies qui ont précédé la crise : entre 2000 et 2019, notre pays a connu 15 exercices qui se sont clôturés par un déficit public supérieur à 3 points de PIB. Sous l'effet de ces déficits récurrents, le niveau de la dette publique a augmenté de près de 40 points de PIB, passant d'un peu moins de 60 points de PIB en 2000 à 96,7 points de PIB en 2019.
S'il est incontestable - comme l'a montré la sortie de la procédure de déficit excessif -, le redressement de nos finances publiques après les crises de 2008 et 2010 a été moins important que chez nos partenaires européens. Ainsi, le solde public s'est amélioré sensiblement entre 2010 et 2019, de près de 4 points de PIB, mais moins que la zone euro ou que l'Allemagne (près de 6 points de PIB).
En conséquence, alors que le taux d'endettement public de la France était proche de celui de l'Allemagne et de la zone euro avant la crise de 2008, il se situe maintenant 40 points de PIB au-dessus de celui de l'Allemagne et 15 points au-dessus de celui de la zone euro.
Cette trajectoire de déficit et de dette en décalage avec celle de nos principaux partenaires européens tient beaucoup à la dynamique de la dépense publique. Même si celle-ci a globalement ralenti sur les 20 dernières années, sa croissance a été en moyenne plus élevée que celle de l'activité économique, conduisant à une hausse du ratio des dépenses sur PIB de près de 4 points et plaçant la France près de 9 points de PIB au-dessus du niveau de l'Union européenne.
Ce sont principalement les dépenses de protection sociale qui ont poussé les dépenses à la hausse : ainsi, entre 2000 et 2019, elles expliquent 80 % de l'augmentation des dépenses, lorsque celles-ci sont calculées par habitant.
Dans le même temps, les recettes ont augmenté mais moins que les dépenses et leur dynamique a souvent été pro-cyclique : nous avons eu tendance à accroître les impôts en bas de cycle, au risque de freiner la croissance, et à les diminuer en haut de cycle, en augmentant les déficits à un moment où, au contraire, il faudrait retrouver des marges de manoeuvre.
Ainsi, après deux décennies de déséquilibres financiers, la France était avec l'Espagne en 2019, le seul pays de la zone euro qui affichait un déficit primaire. Fin 2019, sa dette approchait le seuil de 100 % du PIB et son déficit public était supérieur à 3 %, une situation bien moins favorable que la majorité des autres États membres de la zone euro.
Le deuxième message est que, sans surprise, la France sortira de la crise avec des niveaux de déficit et de dette publics encore plus élevés.
En 2020, le déficit public a atteint 9,2 points de PIB, soit le niveau le plus élevé de l'après-guerre.
Ce déficit massif résulte d'une forte contraction des recettes du fait du recul brutal du PIB en 2020, de près de 8 %.
Il résulte également, et c'est une différence notable par rapport à la crise de 2009, d'une hausse des dépenses sous l'effet des mesures d'urgence et, dans une moindre mesure, des premiers décaissements du plan de relance.
Au total, la dette publique a augmenté de près de 20 points de PIB par rapport à 2019, pour s'établir à un niveau proche de 117 points de PIB.
Les mesures de soutien à l'économie, dont les principales sont l'indemnisation de l'activité partielle, le fonds de solidarité et le surcoût en termes de dépenses de santé liées au covid, ont ainsi totalisé plus de 70 milliards d'euros en 2020. Hors mesure de soutien, la dépense publique a progressé de 1,5 % en valeur, soit un rythme comparable à la situation d'avant crise, malgré le tassement de la dépense locale, la baisse des charges d'intérêt et les effets induits à la baisse sur certaines dépenses.
En 2021, malgré le rebond de l'activité économique, le déficit serait toujours élevé, à 9,4 % du PIB selon les prévisions du projet de loi de finances rectificative déposé le 2 juin. La croissance pourrait atteindre 5 % en 2021, prévision jugée réaliste par le Haut Conseil des finances publiques.
Les prévisions publiées par la Banque de France sont venues conforter ce jugement avec une croissance attendue à 5,75 % en 2021. Pour autant, l'activité économique resterait en 2021 plus de 3 % inférieure à son niveau de 2019. Cette perte d'activité est similaire à celle attendue pour la zone euro et plus faible que celles attendues pour l'Espagne et l'Italie mais supérieure à celle attendue pour l'Allemagne.
Le rebond de l'activité économique conduirait à un ressaut partiel des recettes, freiné cependant par des baisses importantes de prélèvements obligatoires : 15 milliards d'euros de baisses de prélèvements, dont 10 milliards pour la baisse des impôts de production du plan de relance, viendraient en effet réduire les recettes.
Les dépenses seraient en hausse de 3,6 %, notamment sous l'effet de près de 70 milliards d'euros de dépenses de soutien et 30 milliards d'euros de dépenses de relance. Hors dépenses de soutien et de relance, elles resteraient dynamiques à + 2,3 % en volume. Parmi ces dernières, on peut relever l'impact notable des mesures de revalorisation salariale dans le cadre du Ségur de la santé qui viendraient, avec les augmentations mises en place en 2020 et 2021, augmenter les dépenses de manière pérenne de près de 8 milliards d'euros.
La Cour estime que le déficit structurel, c'est-à-dire celui qui n'est pas expliqué par la conjoncture économique, se situerait autour de 4,5 points de PIB en 2021 - une fois retiré l'impact des mesures de soutien à l'économie qui ont vocation à s'éteindre en 2022 - contre 2,5 points de PIB en 2019. Il s'est donc considérablement dégradé. C'est la conséquence des mesures pérennes qui viennent peser, de manière durable, sur le solde public. Il s'agit principalement de la poursuite des baisses de prélèvements (taxe d'habitation, impôts de production, impôts sur les sociétés) et des mesures du Ségur de la santé. C'est la conséquence également des effets négatifs durables de la crise sur l'activité et la situation du marché du travail.
Le troisième message de la Cour est que la crise aura un impact durable sur la trajectoire de nos finances publiques. Comme elle l'avait fait il y a un an dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour s'est attachée dans son rapport sur la stratégie de sortie de crise à éclairer les évolutions susceptibles d'intervenir dans la décennie à venir, en s'appuyant sur des scénarios à vocation illustrative.
Nous avons, cette fois encore, retenu trois scénarios en fonction du rebond de l'activité après la crise et des perspectives de croissance à moyen terme : un scénario de rattrapage où la France récupèrerait à la fois la production d'avant crise et son rythme de croissance potentielle antérieure à la crise de 1,25 % par an, un scénario de perte limitée où la perte de production due à la crise n'est pas récupérée mais où nous retrouvons le rythme de croissance d'avant crise ; enfin un scénario de faiblesse persistante où la crise affecte à la fois nos capacités de production et le rythme de croissance.
Quel que soit le scénario retenu, l'enseignement est le même : le retour de la croissance de l'économie française ne permettra pas à lui seul d'infléchir durablement notre trajectoire de dette publique. Si nous ne faisons pas d'effort de consolidation des finances publiques, la dette restera sur une trajectoire d'augmentation.
Ce constat ressort également de l'analyse que la Cour a faite de la trajectoire à moyen terme du programme de stabilité envoyé à la Commission européenne en avril dernier : sous l'hypothèse d'un rebond marqué de l'activité économique en 2021 et 2022, la dette pourrait refluer à partir de 2027, sous l'effet d'un ajustement structurel constant et modéré de 0,3 point de PIB chaque année entre 2023 et 2027 qui permet de faire passer le solde structurel de 4 ½ points à 2,8 points de PIB en 2027.
Malgré cet effort d'ajustement programmé, la trajectoire d'amélioration des finances publiques du programme de stabilité de la France est en décalage avec celle prévue par la plupart de nos partenaires européens. Ainsi, en 2024, qui correspond à l'horizon minimal pour les programmes de stabilité, la France aurait le déficit le plus élevé des principaux pays de la zone euro et sa dette serait globalement stable à cet horizon à un peu moins de 120 points de PIB, alors que celle des autres pays européens sont prévues en baisse.
Pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques dans la durée, et c'est son quatrième message, la Cour propose, dans son rapport au Premier ministre, une stratégie qui allie renforcement de la croissance et réduction progressive du déficit public.
La croissance économique est en effet la première condition pour renouer avec une trajectoire soutenable.
À cette fin, nous proposons de poursuivre quatre objectifs complémentaires.
Le premier consiste à concentrer l'effort d'investissement public sur l'innovation et la recherche, l'industrie et les activités à forte valeur ajoutée, ainsi que sur le développement des compétences. Comme nous l'avions évoqué dans le rapport sur les aides à l'innovation réalisé à la demande de votre commission, nous recommandons en particulier d'accroître les synergies entre la recherche publique, la recherche privée et les entreprises, de favoriser les innovations de rupture et de soutenir notre industrie qui est porteuse d'importants gains de productivité. Nous pensons d'ailleurs à cet égard que la période est propice à un renouveau de la politique industrielle trop longtemps délaissée.
Nous proposons aussi de soutenir la transition écologique pour favoriser une croissance plus durable. La Cour recommande à cet égard de mieux définir les investissements prioritaires « verts », par exemple dans le domaine des transports ou de l'énergie. Notre rapport appelle aussi à mieux tirer parti des effets amplificateurs de la transition écologique, notamment en termes d'emplois, et à accompagner les mutations.
Le troisième objectif est d'accélérer la transformation numérique. Cet effort implique en priorité d'accompagner l'essor de technologies numériques performantes, inclusives et sécurisées et d'amplifier l'adaptation numérique des entreprises et des services publics. S'agissant du secteur public, la mobilisation du numérique dans la santé et l'éducation constituent à nos yeux deux axes prioritaires.
Enfin, et c'est le quatrième objectif, il faut renforcer nos capacités de résilience. L'époque récente a en effet été marquée par une succession de chocs de différente nature - financiers, terroristes, épidémies - qui ont tous eu un impact majeur sur la situation économique et sociale de notre pays, sur ses finances publiques, et bien souvent des répercussions géopolitiques. L'absence d'anticipation de ces chocs a un coût qui peut être élevé et durable : la pandémie de Covid-19 en offre un exemple parlant. Il faut donc, selon nous, mieux hiérarchiser, évaluer et prévenir les risques de toute nature, et se préparer plus activement à la gestion de crise.
Orientée sur ces quatre priorités, la stratégie de croissance devra s'accompagner d'une feuille de route pour réduire progressivement le déficit public et engager la décrue de la dette au plus tard à compter de 2027.
Cette consolidation progressive pourrait débuter selon nous en 2023, une fois retrouvé le niveau d'activité économique d'avant-crise, sous l'hypothèse d'une fin de la crise sanitaire d'ici la fin de cette année. Qu'il n'y ait pas à cet égard de contresens : nous ne proposons pas de ne rien faire d'ici là ! Bien au contraire : 2021 et 2022 doivent être mises à profit pour sortir progressivement des principales mesures de soutien au revenu des ménages et des entreprises.
Ces mesures, qu'il s'agisse par exemple du fonds de solidarité, des allègements de charge ou du soutien à l'activité partielle, étaient indispensables. Tous nos partenaires en ont mis en place de comparables pour limiter l'impact de la crise sur leurs économies et sur les ménages.
Elles ont pleinement rempli leurs objectifs, mais leur prolongation au-delà du nécessaire augmenterait les risques de fraudes, déjà avérés s'agissant de l'activité partielle, et présenterait un coût important. Les récentes annonces du Gouvernement quant au repli progressif de certaines d'entre elles vont dans le sens des recommandations que formule la Cour. Nous proposons ainsi d'évoluer vers des dispositifs plus sélectifs, axés sur la solvabilité des entreprises et le renforcement des fonds propres, notamment en faveur des PME les plus endettées.
Concernant la trajectoire de finances publiques à retenir à partir de 2023, il nous semble prématuré d'en fixer les paramètres compte tenu du niveau élevé d'incertitudes. Mais nous fournissons ce qui, selon nous, devrait en être les principes directeurs.
Cette trajectoire devrait d'abord être inscrite dans une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Cette dernière, qui pourrait être votée à l'automne 2022 pour une mise en oeuvre à compter de 2023, porterait sur l'ensemble de la législature.
La réduction du déficit public devrait ensuite porter de manière privilégiée sur la dépense publique. L'analyse des expériences des pays de l'OCDE met en effet en évidence une plus grande efficacité de l'effort ciblé de maîtrise de la dépense pour réduire l'endettement public par rapport aux baisses généralisées - aux coups de rabot - ou aux hausses de prélèvements obligatoires. Cette dernière option apparaît, de toute façon, peu souhaitable pour notre pays, qui présente le taux de prélèvements le plus élevé de l'Union européenne.
L'effort en dépense devrait être suffisamment ambitieux pour permettre un infléchissement rapide de la dette, au plus tard à compter de 2027, afin de ne pas s'écarter des trajectoires retenues par nos partenaires.
Nous avons ainsi réalisé différentes projections d'évolution du solde public et de la dette publique à horizon 2030, sur la base du scénario dit de « perte limitée », un peu moins favorable que celui retenu par le gouvernement pour son programme de stabilité. La conclusion est claire : plus le rythme de progression des dépenses publiques est contenu, plus forte est l'assurance de d'inverser la courbe de l'endettement avant 2027.
En même temps, l'ajustement doit aussi permettre la poursuite de la croissance, dans le cadre d'une action coordonnée au sein de la zone euro pour favoriser la reprise de l'activité. C'est pourquoi nous privilégions un rythme d'effort structurel d'un niveau raisonnable mais constant dans la durée.
À cette fin, la Cour formule, dans la dernière partie du rapport d'audit pour le Premier ministre, une série de pistes de travail, en quelque sorte une « boîte à outils » pour maîtriser la dépense publique et renforcer l'efficacité et l'efficience de nos politiques.
Notre niveau de dépenses publiques, nous le savons, est l'un des plus élevés au monde. Avant même la survenance de la crise, en 2019, il s'élevait à 55,6 % du PIB, près de 9 points de plus que la moyenne de la zone euro, un ensemble de pays qui par bien des aspects nous ressemblent. Cet écart avec la zone euro a quasiment doublé en 20 ans. Cette divergence est apparue sans que les indicateurs économiques, sociaux, ou de développement humain ne permettent de l'expliquer, pas plus d'ailleurs que l'évolution de la qualité et de l'efficacité de nos politiques et de nos services publics comparativement à nos voisins. Ce phénomène affecte notamment les secteurs de la protection sociale et de la santé. Nous invitons donc à nouveau à engager sans délai des revues de dépenses, pour identifier les leviers d'une meilleure équité et d'une meilleure efficacité des dépenses publiques.
Sans sous-estimer l'importance des autres postes de dépenses, la Cour a choisi d'analyser dans ce rapport cinq secteurs clés de la dépense publique.
Le premier d'entre eux touche au système des retraites. Compte tenu notamment des évolutions démographiques et de l'allongement de la durée de la vie, une reprise de la réforme engagée avant la crise ou un ajustement des paramètres d'ouverture des droits ou de calcul de la pension devront être envisagés et débattus sans tarder. L'enjeu est à la fois de maîtriser l'évolution des dépenses et d'en accroître l'équité mais aussi de favoriser le dynamisme de la population active. Cela devra se faire après une concertation approfondie et avec un calendrier de mise en oeuvre suffisamment étalé pour en faciliter l'acceptation et permettre les adaptations nécessaires dans les entreprises.
Renforcer l'efficience et la qualité de notre système de santé constitue une priorité. Cela nécessite de coordonner plus étroitement les acteurs de ville et hospitaliers, avec pour ambition de renforcer la qualité et la sécurité des soins, et de remettre en place une régulation effective des dépenses d'assurance maladie par l'Ondam pour en stabiliser leur part dans le PIB et rééquilibrer l'assurance maladie.
La troisième priorité concerne la politique de l'emploi. Il s'agit ici d'adapter les dispositifs d'indemnisation du chômage et d'aides à l'emploi à l'évolution des cycles économiques, mais aussi de renforcer l'insertion durable dans l'emploi des publics fragiles et la prévention du chômage de longue durée, particulièrement après la crise que nous venons de traverser.
Les minimas sociaux constituent un quatrième domaine où les défis sont majeurs. L'enjeu est d'assurer une plus grande efficacité et équité de ces dispositifs, en renforçant l'incitation à l'activité, mais aussi de veiller à leur soutenabilité et à leur contrôle, en procédant à leur harmonisation et à leur simplification.
Enfin, la Cour appelle à simplifier et territorialiser davantage les instruments de la politique du logement. Les interventions publiques devraient cibler en priorité les ménages les plus défavorisés. Et les dispositifs, notamment fiscaux, dont l'efficience et l'efficacité apparaissent insuffisantes devraient être supprimés.
Ces réformes doivent nous permettre tout à la fois de mieux soutenir la croissance, de contribuer à résorber les fractures sociales et territoriales et d'infléchir le rythme de progression des dépenses publiques, pour conserver nos marges de manoeuvre. Pour qu'elles portent pleinement leurs fruits, elles doivent être mises en oeuvre par des administrations plus stratèges et recentrées sur leur vocation première.
C'est pourquoi notre rapport d'audit se conclut par des recommandations pour rénover le secteur public et l'aider à mieux accomplir les missions qu'attendent de lui les citoyens. Elles recouvrent quatre axes : une revue des missions de l'ensemble des acteurs publics, pour supprimer les missions que la sphère publique n'a plus vocation à exercer, donner toute sa portée au principe de subsidiarité et mettre fin aux doublons administratifs, notamment au niveau local ; une démarche de contractualisation pluriannuelle sur les objectifs et les moyens, y compris vis-à-vis des collectivités territoriales, en contrepartie d'une plus grande liberté confiée aux gestionnaires publics ; la simplification des organisations publiques, des procédures administratives et des normes. Enfin, l'évaluation de politiques publiques, et le renforcement de la lutte contre la fraude.
La Cour est prête à prendre toute sa part dans ces chantiers, et entend notamment devenir l'acteur majeur dans la conduite de l'évaluation des politiques publiques en France, mission que lui confie la Constitution.
Revue des missions, contractualisation, simplification, transparence : toutes ces mesures peuvent donner une impression de déjà-vu, mais rarement un sentiment de déjà fait. Ces outils ont pu être partiellement mobilisés par le passé, notre rapport le rappelle, mais sans que les résultats attendus soient toujours au rendez-vous, alors qu'ils constituent, s'ils sont appliqués avec toute la détermination nécessaire, des leviers indispensables de transformation de l'ensemble du secteur public. Nous devons cette transformation à nos concitoyens, qui attendent que l'argent de leurs impôts soit employé plus efficacement.
Le choc massif subi par nos finances publiques du fait de la crise doit aujourd'hui nous inviter à rénover le cadre de gouvernance dans lequel elles évoluent, à la fois au niveau européen et national. C'est le cinquième message de la Cour
Les règles budgétaires européennes apparaissent en effet inadaptées au contexte de sortie de crise et la Cour recommande de les réformer rapidement, dans le sillage des réflexions initiées par la Commission européenne à la veille de l'épidémie. Ces évolutions permettraient de rendre le Pacte de stabilité et de croissance plus simple, en privilégiant une norme de dépenses, moins pro-cyclique et plus adaptée à la situation de chaque pays. Nous espérons également qu'une réforme permettra de renforcer son appropriation par les États membres, dont la France, notamment grâce à un rôle accru des institutions budgétaires indépendantes, comme le Haut Conseil des finances publiques. La présidence française de l'Union européenne pourrait constituer une étape importante pour faire avancer ce chantier.
Pour accompagner les efforts à réaliser, le cadre national a également besoin d'être rénové. Nous avons publié en novembre dernier un important rapport sur ce sujet, qui détaillait nos recommandations. J'en rappelle les principaux objectifs, qui n'ont rien perdu de leur actualité : renforcer la programmation pluriannuelle, étendre le champ des lois financières, accroître la surveillance de la trajectoire par le Haut Conseil des finances publiques en élargissant son mandat, et améliorer l'appropriation des questions de soutenabilité, notamment par un débat au Parlement sur la dette publique.
Certaines des orientations proposées par la Cour se retrouvent, et nous en sommes très heureux, dans les deux propositions de loi organique déposés récemment à l'Assemblée nationale.
Je terminerai cette présentation en évoquant le dernier message de la Cour, celui relatif à la dette. Vous l'aurez compris, pour la Cour, la question de la soutenabilité de la dette est centrale dans les deux rapports que nous rendons publics.
La dette publique a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies, à l'occasion des deux crises que la France a traversées, et, jusqu'à ce jour, sans jamais baisser durablement. Elle est principalement portée par l'État qui concentre 80 % la dette publique, sans pour autant que cet endettement massif ait contribué à accroître l'actif de l'État, comme le montre l'analyse de la situation financière de l'État à laquelle nous avons procédé pour la première fois à partir des données de la comptabilité générale dans l'annexe du RSPFP dont je vous recommande la lecture.
Nous n'avons pas un discours alarmiste : des déficits temporaires, même importants, n'affectent pas nécessairement la soutenabilité des finances publiques ; le contexte de taux d'intérêt historiquement bas tend à renforcer à court terme la viabilité de la trajectoire des finances publiques ; enfin la France n'a pas rencontré jusqu'ici de difficultés pour financer sa dette.
Nous avons un discours prudent et réaliste. Les analyses de soutenabilité menées notamment par la Commission européenne classe la France parmi les pays pour lesquelles il existe des risques de tension sur la dette à court et moyen terme. Nous devons y être attentifs.
Certains pensent que la progression de la dette et les niveaux élevés qu'elle atteint dans certains pays ne constituent pas un problème, surtout en période de taux d'intérêt bas, voire négatifs, et même que l'on pourrait tout simplement annuler la dette de crise, d'autant qu'elle a été largement rachetée par la Banque centrale européenne.
Ce n'est pas la position de la Cour, car une dette doit toujours être remboursée.
Il y va de la crédibilité de notre pays. Au-delà de cette question de principe, nous estimons qu'une trajectoire de dette qui continuerait de croître présenterait des risques que la France ne devrait pas prendre.
Pour le moment, le placement des titres de dette s'est fait de manière globalement fluide, facilité par le programme d'achats massifs de titres publics par la BCE, le contexte de taux d'intérêt bas et une politique avisée de l'Agence France Trésor sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir à la demande de votre Commission.
Mais ces programmes d'achat ont vocation à s'éteindre, même si nous ne savons pas encore quand. Le contexte de taux bas n'est pas non plus une donnée intangible, notamment si la croissance économique repart de manière dynamique ou si la confiance des investisseurs se dégrade. Celle-ci n'est en effet jamais acquise et peut se perdre brutalement quand la trajectoire d'un pays diverge de celle de ses partenaires et que les observateurs doutent de sa capacité à faire face à ses échéances financières. Pour un pays, perdre la confiance des investisseurs, c'est risquer de perdre sa souveraineté avec des ajustements sous contrainte des recettes et des dépenses.
La sortie de crise sanitaire s'accompagne également d'une réflexion sur le traitement de ce qu'on appelle la « dette Covid », c'est-à-dire celle provoqué par la crise sanitaire. Les interrogations portent principalement sur l'opportunité ou non de cantonner cette dette. C'est une question posée explicitement à la Cour par le Premier ministre. Pour y répondre, il faudrait d'abord être en mesure d'identifier la dette de crise. C'est un exercice complexe qui reposerait nécessairement sur des conventions parfois contestables : faut-il se limiter au surcroît de dette de 2020 ? Prendre en compte l'année 2021 ? Faut-il se limiter à la seule dette supplémentaire de l'État ou prendre en compte celles d'autres administrations publiques qui sortiront de la crise avec une dette très fortement alourdie ? Je pense notamment à celle de l'Unédic qui devrait atteindre 70 milliards d'euros en fin d'année.
Sans nier l'intérêt pédagogique d'un cantonnement, en ce qu'il ferait clairement apparaître que la dette « Covid » fait partie des engagements financiers que la France devra honorer, la Cour souligne que le seul cantonnement ne permettrait pas de modifier la trajectoire de dette publique : qu'elle soit ou non traitée à part, la dette ne se réduira pas toute seule.
Voilà, monsieur le Président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, j'en ai terminé avec la présentation de ces deux rapports.
Avant de venir aux échanges et de répondre à vos questions, je souhaiterais insister sur l'esprit dans lequel nous avons conçu et rédigé ces rapports. Il ne s'agit pas d'être alarmiste sur ce qui attend notre pays à la sortie de la crise, mais d'être lucide, car c'est ce qui permet de prendre de bonnes décisions.
Pour faire face à cette situation inédite, la Cour recommande une stratégie de finances publiques qui allie renforcement de la croissance et réduction progressive du déficit public. Elle estime ainsi que les finances publiques devraient être mobilisées pour renforcer la croissance potentielle dans la durée, en concentrant l'effort d'investissement public, en soutenant les transitions écologique et numérique et en renforçant les capacités de résilience.
Parallèlement, la Cour recommande, une fois la crise sanitaire circonscrite et l'activité suffisamment rétablie, d'engager à partir de 2023 une consolidation des finances publiques en modérant la progression des dépenses de manière à permettre une décrue de l'endettement public au plus tard à compter de 2027.
À cette fin, elle propose des réformes clés pour infléchir le rythme et améliorer la qualité de la dépense publique et souligne la nécessité d'une action continue en vue de renforcer leur efficience et d'améliorer la qualité des services rendus aux citoyens.
Je vous remercie de votre écoute et suis à votre disposition pour répondre à vos questions, avec les membres de la Cour qui ont participé à ces travaux.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'apprécie les propos conclusifs que vous venez de porter, monsieur le Président, dans un moment où la crise sanitaire nous appelle à la modestie dans l'appréciation et la critique que l'on peut formuler.
Aujourd'hui, le Gouvernement a ouvert une « boîte à milliards » dont je crains que l'on ait du mal à sortir.
Comme vous, je partage l'idée que le cantonnement est une fausse bonne idée. C'est une forme de coup de communication et une manière de diluer la responsabilité. L'adage dit « qui paye ses dettes s'enrichit », cela est vrai pour notre pays aussi.
J'ai trois courtes questions à vous adresser.
D'abord, quelles pistes voyez-vous pour favoriser notre croissance potentielle sans augmenter la dépense publique ?
Ensuite, je suis un fervent partisan de la transition écologique et je suis d'accord avec vous sur l'intérêt du plan de relance en faveur de l'hydrogène vert. Pour autant, le projet de loi de finances rectificative pour 2021 annule 500 millions d'euros en autorisations d'engagement sur ce projet. Qu'en pensez-vous ? Vous dites qu'il est nécessaire d'accompagner les ménages et les entreprises au travers de mécanismes fiscaux en matière de transition écologique. À quels dispositifs pensez-vous ?
Enfin, vous proposez de créer de nouveaux instruments financiers permettant de drainer l'épargne des ménages constituée pendant la crise afin de renforcer les fonds propres des entreprises. J'y souscris volontiers mais j'observe que les Français sont très attachés au livret A et privilégient les produits les plus liquides. Comment pensez-vous que l'on puisse faire bouger les lignes ?
M. Christian Charpy. - S'agissant du cantonnement, nous sommes sur la même position.
Nous disons qu'il faut renforcer la croissance potentielle, mais la dépense publique n'est pas le seul instrument possible Cela passe par une simplification de l'aide à la création d'entreprise, une fluidité plus grande dans la mobilisation de l'épargne. Cela n'empêchera pas néanmoins qu'il y a des secteurs dans lesquels il faut faire mieux. C'est une question de sélectivité plus que de quantité. Quand on propose une réforme des dispositifs de gouvernance européenne, nous ne disons pas qu'il faut traiter les investissements publics à part, mais qu'il faut avoir, dans le cadre d'une norme publique de dépense, une attention particulière aux investissements publics. On doit être plus sélectifs, plus ciblés et avoir moins de dispositions moins générales.
Sur la transition écologique, je n'ai pas d'appréciation particulière sur les mesures contenues dans le premier projet de loi de finances rectificative, peut-être qu'il y a des difficultés à mettre en oeuvre les mesures. Il faut accompagner cette transition écologique. Nous disons qu'il ne faut pas augmenter les prélèvements, mais il n'est pas absurde d'avoir une réorientation de telle sorte que l'on puisse favoriser les comportements plus vertueux. Parmi ceux-ci, accroitre la taxe sur le carbone, la taxe sur les produits polluants nous parait nécessaire, mais pose un problème d'acceptabilité sociale qui s'est révélé à l'occasion de l'épisode des gilets jaunes. Il faut donc trouver des dispositifs pour aider les ménages, même s'il est contraire à l'ADN de la Cour des comptes de proposer des dépenses fiscales. Pour les ménages les plus modestes, il faudra toutefois prendre cela en considération pour rendre le dispositif acceptable.
Nous avons une épargne accumulée considérable, peut-être que le sursaut de consommation pendant l'été va la limiter, mais son niveau reste très élevé. Nous avons des dispositifs de prêts garantis par l'État (PGE) qui pèsent très lourd. Nous avons engagé un audit sur ce dispositif qui pourrait aboutir au printemps prochain. Il faut réorienter l'épargne des français vers l'investissement et l'entreprise. La suppression de l'impôt sur la fortune (ISF) a conduit à supprimer l'ISF-PME qui permettait pourtant d'orienter l'épargne vers les entreprises. Il faut trouver un nouveau dispositif qui oriente l'épargne des Français vers les entreprises et l'industrie. Nous faisons actuellement un travail sur l'épargne réglementée qui va permettre également de préciser ces points-là.
M. Vincent Delahaye. - Je partage le diagnostic et les pistes de réflexion du rapport. Je ne pense pas que la dépense publique soit un facteur de croissance, sinon la France serait championne du monde de la croissance.
Sur l'investissement, vous parlez d'améliorer nos capacités de résilience ; auriez-vous des exemples concrets en la matière ?
À la fin de votre exposé, vous avez indiqué que vous n'étiez pas pour une « cure d'austérité ». J'avais lors d'une précédente audition demandé au Premier président de la Cour des comptes de définir l'austérité et d'indiquer clairement quand elle avait été mise en oeuvre. Cette question était restée sans réponse ; pourriez-vous y répondre ?
M. Jérôme Bascher. - Vous appelez dès 2021 à faire des réformes structurelles. Vous proposez une loi de programmation des finances publiques à l'automne 2022, mais vous ne dites pas si elle doit être contraignante. Si vous faites appel à une réforme du pacte de stabilité, il y a peut-être un manque s'agissant du caractère contraignant de ces lois de programmation des finances publiques, et je le regrette.
Sur la croissance potentielle, la population active n'est pas évoquée. Sans parler de politique nataliste, quelle mesure pourrait-on avoir pour augmenter la croissance potentielle ? Le rapport est cursif sur ce sujet.
S'agissant de la compétitivité, vous dites qu'il faut une politique industrielle. Le manque de compétitivité et l'existence de déficits jumeaux permanents est problématique mais vous proposez peu de mesures sur la compétitivité.
Enfin, sur la dette, ne serait-il pas intéressant de faire une « dette zéro », sans l'annuler, mais en remettant toute la dette de la sécurité sociale soit à la CADES soit à l'État car elle se finance à des taux moindres que l'ensemble des organismes d'administration centrale ou de la sphère sociale, en contrepartie de réformes qui permettraient de rétablir l'équilibre des comptes ?
M. Éric Bocquet. - Vous ne dites rien de nouveau, et vous avez de la constance dans vos propos. Vous parlez d'un niveau de dépense publique élevé. Mais quel serait selon vous le bon niveau ? La comparaison n'a pas de sens, car il faut comparer l'ensemble des données, comme le modèle social. Décréter d'emblée que la dépense publique est nocive est contestable. Une dépense qui contribue à la formation et à la santé génère demain de la croissance potentielle.
Vous ne parlez jamais des recettes, qui demeurent un sujet.
En fait, vous avez établi la feuille de route d'un prochain candidat libéral à la présidentielle en 2022. Élimination des minima sociaux, stabilisation des dépenses de santé... il ne reste au nouveau gouvernement qu'à faire le choix de la méthode.
Vos avis sont sérieux mais on peut les contester. Je suis de ceux qui pensent non pas que « qui paye ses dettes s'enrichit », mais qu'il enrichit les marchés financiers.
Quel est votre avis sur la part de dette détenue par la Banque centrale européenne depuis la crise ? Avez-vous un avis sur ce qu'il conviendrait de faire de cette part de dette spécifique ?
L'entreprise Euler Hermes a publié une étude sur la dette Covid, en examinant pour les quatre premières économies de l'Europe le nombre d'années qui seraient nécessaires pour venir à bout de cette dette : il atteint 89 ans pour l'Espagne, 7 ans pour l'Allemagne, 25 ans pour l'Italie, et 67 ans pour la France. Avez-vous entendu parler de cette étude ? Cette estimation vous semble-t-elle crédible ?
Mme Isabelle Briquet. - Le rapport évoque la garantie jeune universelle, annoncée par la ministre du travail. Vous proposez de mieux l'articuler avec les dispositifs d'insertion existants. En effet, cette garantie prévoit notamment le versement d'une allocation allant jusqu'à 500 euros par mois. Cela revient à une extension du RSA aux 18-25 ans, et c'est ce que notre groupe avait proposé. Si elle pourrait représenter un coût pour les finances publiques, elle serait au final plutôt efficace pour soutenir nos États et nos économies à moyen terme. Avez-vous travaillé sur d'autres scénarios comme la mise en place d'un guichet unique d'aide pour tous, une allocation unique prenant en compte les différentes difficultés auxquelles nos jeunes font face. Pouvez-vous préciser vos recommandations à ce sujet ?
La Cour n'évoque que la réduction des dépenses, rappelant que les prélèvements obligatoires sont déjà élevés. Alors que l'OCDE appelle à de nouvelles réformes des impôts sur le revenu du capital, ne pensez-vous pas qu'il y a là aussi des pistes sérieuses à creuser ?
M. Didier Rambaud. - Quand nous examinions le projet de loi de finances, on regrettait que le débat soit focalisé sur les dépenses et pas assez sur les recettes. On connaît la volonté du gouvernement de ne pas toucher aux impôts. Toutefois, n'est-il pas dangereux de chercher à réduire les taux de TVA, au regard du rendement de ce prélèvement ? Le projet de loi Climat et résilience proposait de baisser la TVA sur les transports collectifs, par exemple.
S'agissant de la gouvernance des finances publiques, nous allons prochainement examiner une proposition de loi organique relative aux lois de finances émanant du président et du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale. À ce stade, quel est votre regard sur ce texte ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Vous prévoyez de stabiliser les dépenses d'assurance maladie. Comment parvenir à cet objectif ? S'agissant de la réforme des retraites, en imaginant qu'elle soit soutenable, on n'ignore pas que ses effets ne porteront que sur le moyen et long terme. Dès lors, comment parvenez-vous à inclure les perspectives des réformes des retraites dans vos prévisions ?
S'agissant d'une identification dans les documents budgétaires de la dette Covid, j'y suis pour ma part favorable, car je ne vois pas en quoi des comptes annuels explicites nuiraient à qui que ce soit, en particulier aux créanciers. Il est vraiment opportun de pouvoir apprécier la solidité des entreprises en dehors de la conjoncture et de la crise sanitaire. Il est important de pouvoir dégager ce qui relève d'un aléa impondérable et de la santé de l'entreprise en dehors cette conjoncture. La lisibilité des comptes ne peut qu'aider à prendre des décisions par la suite. Pour l'instant les choses sont relativement floues. On nous présente souvent des évolutions de la dette des entreprises et des évolutions de leur trésorerie, mais à l'intérieur on n'identifie pas ce qui relève de la crise.
M. Thierry Cozic. - Selon le rapport, la réduction du déficit résulte d'abord du rebond de l'activité économique et nous bénéficierions d'un ajustement conjoncturel en 2022, dû à l'ajustement des mesures d'urgence. Je pense qu'il y a d'autres pistes possibles, notamment la mobilisation de l'épargne. Selon la dernière estimation de la Banque de France, l'épargne Covid devrait continuer à progresser pour atteindre 180 milliards d'euros fin 2021, soit 8,5 % du PIB. Selon le Conseil d'analyse économique, les 10 % les plus aisés sont à l'origine de la moitié du surplus d'épargne accumulée depuis l'arrivée du virus. Ce montant atteint 70 % si l'on inclut les 20 % les plus aisés. À la lumière de ces chiffres, on constate qu'il y a beaucoup d'épargne et très peu d'épargnants. La mobilisation de l'épargne pourrait-elle être un levier pour assainir les finances publiques de manière équitable ?
M. Michel Canévet. - Entre 2000 et 2019, les dépenses publiques annuelles par habitant ont augmenté de 7 000 euros, dont 3 400 pour les services généraux des administrations publiques, ce qui est considérable. Cela montre bien qu'il y a eu des dépenses publiques qui ont surtout servi au fonctionnement et pèsent aujourd'hui. Je rejoins les préoccupations de la Cour et l'objectif de réduire les dépenses publiques, mais je me demande si une réduction du déficit à 0,6 % du PIB est suffisante et s'il ne faudrait pas aller plus loin. Je vois bien la difficulté, qui est liée notamment aux dépenses de personnel et aux objectifs de dépense qui augmentent dans certains domaines, comme la défense ou l'aide publique au développement. Comment peut-on dans ce contexte trouver les moyens de limiter la dépense publique ? Vous avez évoqué vos réflexions sur les niches fiscales et l'orientation de l'épargne accumulée.
Sur la question de la protection sociale, dont on voit que les dépenses ont augmenté considérablement, n'est-il pas temps de penser à un autre système de protection sociale ? Le nôtre est aujourd'hui assis sur les cotisations sociales, ce qui limite notre compétitivité. Ne pourrait-on pas le faire davantage reposer sur les transactions financières ?
M. Stéphane Sautarel. - Merci pour la présentation de ce rapport. Je souhaiterais revenir sur deux sujets.
Le premier c'est celui de la règle d'or. Nous sommes incapables, depuis plusieurs décennies, d'atteindre nos objectifs en matière de finances publiques, qu'il s'agisse de la maitrise du déficit ou de l'endettement. La mise en place d'une règle d'or, par exemple dans une loi de programmation, pourrait-elle y remédier ? Avez-vous des préconisations, notamment constitutionnelles, en cette matière, ou des propositions afin de nous permettre d'avoir une régulation crédible des finances publiques et de retrouver la confiance des marchés ?
Le second porte sur la mobilisation de l'épargne exceptionnelle des ménages. Comment pouvons-nous mobiliser cette épargne et l'orienter vers notre réindustrialisation ? Cette question ouvre sur deux interrogations subsidiaires. La première c'est la mobilisation d'une garantie d'État ou des régions, afin d'inciter à la mobilisation de l'épargne vers des investissements productifs. Dans quelles conditions une telle garantie pourrait-elle être octroyée ? La seconde interrogation porte sur la territorialisation de ces investissements. Je crois, à titre personnel, que plus on identifie le destinataire de ces investissements, plus l'incitation à investir est forte. Pourrait-on encourager l'émergence de fonds souverains territoriaux ? Certains existent déjà au niveau régional, et pourraient apporter une garantie aux épargnants comme soutenir les choix économiques.
M. Claude Raynal. - J'ai trois remarques.
La première porte sur les recettes publiques. C'est un sujet sur lequel il y a relativement peu de discussions. Le débat porte généralement sur les dépenses. Nous avons des difficultés à faire des propositions qui permettraient une diminution des dépenses, et nous nous concentrons surtout sur l'efficacité de cette dépense. Je pense que le débat en l'état n'est pas équilibré, et que nous devrions aussi défendre des propositions sur les recettes. S'agissant des recettes, il me paraît évident d'interroger la possibilité d'un arrêt de la diminution de la baisse des impôts. Dans le débat politique national, les propositions de baisses d'impôts se font toujours plus audacieuses. Certains proposent même une suppression totale des impôts de production. Un petit geste à 50 milliards d'euros, allons-y ! Je pense personnellement qu'il ne faut pas poursuivre la baisse des impôts de production. Pouvez-vous nous donner des éclairages sur les conséquences de la baisse des impôts de production déjà engagée ? Est-elle de nature à augmenter la croissance potentielle ? Je ne suis pas certain de ses bénéfices pour l'investissement.
Également, nous évoquons l'augmentation exceptionnelle de l'épargne, et pourtant nous continuons à l'encourager, puisque nous avons réduit la taxe d'habitation pour les 20 % des ménages aux plus hauts revenus. Est-ce qu'en période de crise, un report de quelques années de cette réduction n'est pas envisageable ? La crise a entrainé une chute du PIB de la France de 9 points. La poursuite des baisses d'impôts est-elle vraiment indiquée ?
Ma deuxième remarque porte sur le pacte de stabilité européen et la révision des critères en matière de finances publiques. La qualification de l'investissement public dans les nouvelles règles est un enjeu essentiel. La révision des critères de finances publiques risque-t-elle de brider ou de favoriser l'investissement ? On sait que la mise en oeuvre des règles européennes en matière de trajectoire des finances publiques s'était accompagnée d'une baisse d'investissement public très significative, dans notre pays et l'ensemble des pays du sud de l'Europe, notamment s'agissant des investissements d'avenir.
Mon troisième sujet porte sur les lois de programmation des finances publiques. Dans votre rapport, vous préconisez un enrichissement de la loi de programmation, avec une déclinaison en sous-objectifs et en enveloppes budgétaires pluriannuelles. Est-ce qu'il n'est pas paradoxal de souhaiter ajouter des éléments à ces lois de programmation, quand on sait que ces lois n'ont pas été respectées, ni révisées depuis le début du quinquennat, quand bien même tout le monde sait qu'elles sont caduques depuis bien longtemps ? Ma question est donc ouverte. Comment est-il envisageable de redonner du sens à cet outil de programmation, si les gouvernements ne sont pas obligés de la respecter, et peuvent s'affranchir de toute révision devant le Parlement ?
M. Christian Charpy. - Merci beaucoup pour ces questions. Je vais essayer d'y répondre le plus précisément possible.
Je commencerai par le sujet des recettes et de l'épargne. Vous avez raison, monsieur le Président, nous intervenons peu, dans notre rapport, sur le sujet des recettes. L'idée est que si nous baissons les recettes, nous devrions en retrouver d'autres. Nous avons fondé nos travaux sur une hypothèse de prélèvement constant. Le Parlement et le Gouvernement font leurs choix s'agissant des évolutions de la fiscalité, comme ce fut le cas sur la taxe d'habitation. Il ne nous appartient pas de juger de la qualité de telles mesures, mais plutôt de rappeler que les baisses de recettes rendent plus difficile l'atteinte de l'équilibre des finances publiques si elles ne sont pas compensées par d'autres mesures.
Sur les impôts de production, le Gouvernement a prévu dix milliards d'euros de baisse d'impôts de production. Faut-il aller au-delà ? Il est vrai que le niveau des impôts de production en France est plus élevé que dans d'autres pays comparables. En même temps, je ne suis pas convaincu que nous avons aujourd'hui la marge de manoeuvre suffisante pour poursuivre la baisse des impôts de production. Il faut être prudent en matière de baisses de recettes.
Plusieurs de vos questions ont porté sur la TVA. Le taux réduit de TVA sur la restauration avait été, à l'époque, une revendication constante des professionnels de l'hôtellerie-restauration. Cette baisse ciblée était supposée permettre de soutenir le secteur, d'augmenter la consommation et d'accroître les embauches, mais ses résultats réels restent à préciser. Un bilan de cette mesure était prévu en 2020, mais il a été reporté compte tenu de la conjoncture. Je ne suis pas convaincu de la pertinence de l'outil TVA pour le soutien sectoriel, c'est un levier à utiliser avec prudence.
En réponse à la question de M. Delahaye, je ne pense pas nous n'ayons jamais été dans une situation d'austérité, si l'on définit l'austérité comme la baisse de la dépense publique. Imaginer baisser la dépense publique aujourd'hui, alors que nous n'avons même jamais réussi à en limiter l'augmentation, me paraît peu probable. D'autant que nous avons des facteurs fondamentaux qui alourdissent les besoins de dépense publique : les retraites, la santé et le vieillissement de la population. Ce qu'il faut surtout, c'est limiter le rythme de croissance des dépenses publiques en volume, et stabiliser la part de dépenses publiques rapportée au PIB.
S'agissant des dépenses publiques de résilience, je pense que nos efforts peuvent porter sur plusieurs éléments. D'abord, nous avons découvert, au début de la crise, nos lacunes en matière de cartographie des risques. Il nous faut identifier les risques, notamment sanitaires, et maintenir une vigilance et des moyens de réaction aux crises dans la durée. Ensuite, je pense qu'il faut mieux se préparer à la gestion de crise. Au début de la crise, la France a eu quelques difficultés à prendre la mesure des événements, avant de se redresser et de prendre en charge cette crise. Également, la cyber sécurité me paraît être un sujet massif en même temps qu'un objet essentiel d'investissement. Enfin, je pense qu'il y a des éléments de la chaîne de production que nous avions externalisés, et dont l'absence peut être créatrice de vulnérabilité pour la France en cas de crise. Nous devons engager une réflexion globale sur l'anticipation des crises et leurs effets sur l'économie, les personnes et les finances publiques.
La question de l'agenda budgétaire à l'horizon 2021 et 2022 a également été évoquée. Je pense d'abord qu'il faut réduire les dépenses de crise au niveau nécessaire, mettre en oeuvre les mesures de relance et de soutien à l'économie. Un travail de programmation devra être engagé et cela rejoint l'interrogation du président Raynal ; pour qu'une programmation soit crédible, il faut qu'elle engage politiquement. Ce que nous répétons dans notre rapport, c'est que nous croyons à la nécessité d'une programmation. Plusieurs pays mettent en oeuvre un contrat de gouvernement, et cela fonctionne. Nous n'avons pas souhaité proposer de modification de la Constitution, parce que ce n'est pas notre rôle en tant que juridiction financière, et qu'une révision constitutionnelle prend du temps.
Nous avons toutefois proposé des mesures plus pragmatiques, qui pourraient s'inscrire dans le chantier de réforme de la loi organique relative aux lois de finances. Nous proposons de fixer le contenu des lois de programmation, en intégrant un objectif de dépenses pour l'ensemble des administrations publiques, décliné par secteur. Nous avons également proposé la mise en place d'une réserve de programmation pour faire face aux aléas. Je ne suis pas convaincu, compte tenu du fond constitutionnel de la France, que l'on puisse contraindre le Gouvernement et le Parlement, sous peine d'inconstitutionnalité, à respecter les trajectoires de programmation qu'ils se sont fixés. C'est pour cela que nous privilégions une logique de « réaliser l'objectif ou expliquer l'échec », avec un compteur des écarts qui obligerait le Gouvernement à expliquer pourquoi il pourrait s'écarter d'une loi de programmation. C'est également pour ces raisons que nous n'avons pas proposé de règle d'or, qui nécessiterait en outre une modification constitutionnelle.
Nous portons un regard attentif aux deux propositions de loi organiques déposées à l'Assemblée nationale afin de réformer la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ainsi que la proposition de loi organique déposée au sein de la commission des affaires sociales du Sénat. Tout ce qui permettra de renforcer la cohérence des lois financières, en permettant une meilleure prise en compte des dépenses de sécurité sociale, et de faire advenir une logique d'ensemble intégrant toutes les administrations publiques, me paraît aller dans le bon sens.
Plusieurs questions ont porté sur la dette publique, et notamment celle contractée du fait du Covid. De manière générale, les dettes d'État ne se remboursent pas, elles se roulent. C'est la croissance du PIB qui doit permettre d'en diminuer le poids. Cette règle admet une exception, la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), dont on espère qu'elle permettra un jour de rembourser l'ensemble de la dette sociale. Il aurait pu être imaginé que l'État reprenne l'ensemble des dettes Covid contractées par les administrations publiques. Nous ne défendons pas une telle position. Toutefois nous soulignons, dans notre rapport, la nécessité de se pencher sur la situation de l'Unédic, qui supporte 70 milliards d'euros de dette, dont 30 milliards d'euros du fait de la crise sanitaire.
S'agissant de la dette de la sécurité sociale, le Gouvernement a préféré l'intégrer aux dettes déjà gérées par la CADES, dont la fin de mission a été repoussée à 2033, pour l'instant. Nous n'étions pourtant pas loin de l'équilibre de la sécurité sociale, dans les années qui ont précédé la crise. Cette perspective est compromise. Il convient de noter que la reprise de dette décidée en 2020 n'a pas été accompagnée d'un plan de retour à l'équilibre pour la CADES, ce qui est une première, et n'est pas normal.
Concernant la BCE et les questions portant sur son intervention pendant la crise. La France a émis 260 milliards d'euros de dette publique en 2020, dont 185 milliards d'euros ont été rachetés par la BCE, ce qui représente près de 70 %. L'Allemagne a émis 250 milliards d'euros de dette, dont 226 milliards d'euros ont été rachetés par la BCE, c'est-à-dire près de 90 %. L'écart entre les deux s'explique par la clé de répartition des achats de la BCE, qui limite son intervention en fonction du PIB des États européens. Pour la dette italienne par exemple, la BCE n'a racheté que 50 % des titres émis.
Heureusement que la BCE était là. Nous avions appris de la crise de 2008 qu'il était nécessaire que la BCE intervienne. Désormais, le problème sera de sortir progressivement dans cette situation qui s'assimile à de la création monétaire. Il faut désormais, au moment opportun, que la BCE réduise ses programmes d'achats massifs de dette. Si la BCE réduit progressivement ses achats, ce qui sera le cas à un moment à un autre, la France doit réduire son flux d'émission de dette. Nous ne sommes pas favorables à l'annulation de la dette publique, même celle détenue par la BCE.
Sur la garantie jeunes, je ne peux pas vous répondre précisément. Ce que nous soutenons néanmoins, c'est que ce qui compte c'est l'accompagnement, particulièrement pour les jeunes. Soutenir financièrement l'accompagnement au retour à l'emploi me paraît judicieux. De ce point de vue-là, la garantie jeunes me semble avoir joué son rôle.
S'agissant de la fusion des minimas sociaux, je ne souhaite pas que l'on fusionne dans un même creuset des choses qui ne relèvent pas des mêmes problématiques. Entre les sujets d''accès à l'emploi des personnes en situation de handicap, en difficulté sociale ou le minimum vieillesse, l'approche ne saurait être identique. Je pense toutefois que nous pouvons gagner en cohérence, notamment au niveau des critères d'attribution et des barèmes, qui restent trop compliqués.
Sur la réforme des impôts sur les revenus du capital, et l'éventualité, évoquée précédemment, d'un élargissement du financement de la sécurité sociale, le financement de la sécurité sociale repose beaucoup moins sur le travail aujourd'hui qu'il ne reposait avant. Il repose désormais essentiellement sur les revenus, avec la CSG, qui représente près de 140 milliards d'euros de recettes pour la sécurité sociale. Je rappellerai également que la TVA n'est plus strictement un impôt de l'État, qui ne récupère plus que 50 % de ses recettes. La sécurité sociale bénéficie de près de 25 % des recettes de la TVA, et le reste bénéficie aux collectivités territoriales. Je rappellerai enfin que les revenus du capital contribuent au financement de la sécurité sociale, via la CSG, ainsi qu'au financement de l'État.
La Cour des comptes ne dit pas qu'il fallait diminuer les dépenses d'assurance maladie en 2020. Nous devions faire face à la crise et nous avons fait ce qu'il fallait. Nous aurons toutefois l'occasion, dans un prochain rapport, de faire un bilan des dépenses de crise. Nous aurons peut-être à cette occasion un regard critique, notamment sur le coût des tests pour l'assurance maladie. En revanche, il ne serait pas soutenable de supporter un surcoût persistant de 14 milliards d'euros, chaque année, sur l'objectif de dépenses de l'assurance maladie. Une fois passé le choc, il faudra retrouver les moyens d'équilibrer l'assurance maladie, je laisse le soin au Gouvernement de trouver la solution. Je sais que c'est un discours qui n'est pas facile à tenir, mais il doit être possible d'accroître l'efficience des dépenses de santé, en renforçant les groupements d'hôpitaux, en améliorant la gestion des stocks de médicaments par exemple.
Enfin, s'agissant de la mobilisation de l'épargne, on peut essayer d'orienter son utilisation, pour l'industrie comme évoqué plus tôt. Faire un impôt pour taxer cette épargne surnuméraire me paraît toutefois difficile voire confiscatoire, surtout que celle-ci peut être motivée par l'incertitude des ménages. Personnellement, je pense que c'est surtout le retour de la confiance qui permettra de remettre l'épargne dans le circuit productif.
Enfin, je pense qu'il y a une petite incompréhension s'agissant des dépenses des services généraux. D'après ce qu'on m'explique, elles auraient diminué de 480 euros par tête entre 2000 et 2019. Certains éléments complémentaires pourront être apportés sur ce sujet.
M. Claude Raynal. - Merci, monsieur le Président, pour cette présentation. Je voudrais également remercier les membres de la Cour des comptes qui vous ont accompagné ce matin.
La réunion est close à 13 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.