- Mardi 15 juin 2021
- Audition des organisations professionnelles de policiers sur les conditions d'exercice de leurs missions
- Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
- Mercredi 16 juin 2021
- Projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement - Examen du rapport et du texte de la commission
- Numérisation de la justice - Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
- Jeudi 17 juin 2021
Mardi 15 juin 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Audition des organisations professionnelles de policiers sur les conditions d'exercice de leurs missions
M. François-Noël Buffet, président. - Madame, messieurs, je voudrais tout d'abord vous informer que notre audition et les débats qui vont s'ouvrir sont retransmis en direct sur le site internet du Sénat, car cette audition est publique. Il est très probable que la chaîne Public Sénat retransmette cette audition ou réutilise les images qui se trouveront sur le site internet du Sénat.
Merci d'avoir répondu à l'invitation que nous vous avons envoyée. Se trouvent ici les représentants de différents syndicats de la famille police. Le Sénat et la Commission des lois sont particulièrement sensibles aux sujets de sécurité et de justice. Nous savons, y compris comme élus locaux, combien l'exercice du métier de policier présente un grand nombre de difficultés, en particulier à l'égard des actes de délinquance que je qualifierais probablement de manière impropre du quotidien, qui sont de plus en plus violents, qui vous visent en particulier mais qui visent aussi toute personne susceptible de représenter l'autorité publique. Je pense aux sapeurs-pompiers mais aussi aux élus locaux, qui sont de plus en plus victimes également de cette violence.
Nous avons tous observé la manifestation que vous avez organisée le 19 mai dernier devant l'Assemblée nationale, entendu les propos qui ont pu y être tenus, à l'égard des conditions d'exercice de vos missions mais aussi les inquiétudes à l'encontre de la réponse pénale, posant de fait la question des relations entre les services de police et la justice, parfois dans des termes extrêmement forts. J'ai considéré, avec nos collègues de la Commission des lois, qu'il était important de vous entendre ici, officiellement devant le Parlement, et d'organiser cette audition.
Ceci traduit notre volonté d'écoute mais cette audition s'inscrit également dans la perspective de l'examen par le Parlement, au mois de septembre, du projet de loi « confiance dans la justice » du gouvernement, dont les rapporteurs ont été désignés. Nous avons été informés, par la télévision, du lancement des États généraux de la Justice. Il sera intéressant de savoir comment vous accueillez cette démarche et ce que vous en attendez. Monsieur Henri Leroy, membre de la Commission des lois, ici présent, a par ailleurs participé au Beauvau de la Sécurité, lors duquel il a représenté l'institution sénatoriale.
Cette audition ne traduit qu'une partie des discussions dans le cadre de la démarche que nous conduirons, qui nous amènera sans doute, soit à des textes nouveaux, soit au texte devant être examiné à la rentrée soit à des prises de position du Sénat d'une autre nature.
Je crois devoir excuser le syndicat UNSA, qui ne pouvait être là cet après-midi en raison d'une réunion fédérale.
M. Julien Morcrette, chargé de mission, Fédération CFDT Interco. - Merci, messieurs les sénateurs et mesdames les sénatrices pour votre invitation et votre écoute. Nous bénéficions toujours d'une grande qualité d'écoute dans cette instance.
Je suis accompagné du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, syndicat majoritaire des officiers de police et d'Alternative Police CFDT, qui représente les gradés et gardiens de la paix.
Je voudrais d'abord rappeler qu'un grand travail d'inventaire et de recensement des causes du malaise policier avait été initié par votre homologue François Grosdidier. Nous avions abouti à un diagnostic très riche et très précis. Malheureusement, il y a eu peu d'évolutions depuis ; quelques-unes ont eu lieu sur le plan des moyens matériels mais le malaise est toujours aussi grand.
Malgré l'effort de recrutement, au cours de ce quinquennat, les policiers sont toujours dans une logique de priorisation des missions. Nous ne sommes pas assez nombreux pour assurer le traitement de toutes les missions, ce qui place parfois nos collègues en insécurité juridique, au-delà des cas de conscience que cela peut causer. Nous croulons toujours sous une procédure pénale beaucoup trop chronophage, excessivement axée sur les droits des mis en cause et insuffisamment sur ceux des victimes. Nous sommes sur une ligne de crête entre l'inquisitoire et l'accusatoire, ce qui rend notre travail très compliqué. Nous faisons face, pour ces raisons, à une crise des vocations parmi les officiers de police judiciaire. Une réforme tend à accélérer le déroulement de carrière des officiers de police judiciaire mais je ne suis pas certain qu'à long terme, cela soit totalement bénéfique, car nous sommes face à une perte de sens du travail du policier. Nous faisons plus de l'abattage qu'un traitement qualitatif des procédures.
C'est la raison pour laquelle nous demandons, depuis plusieurs années, qu'un travail de simplification du code de procédure pénale et de réécriture du code de procédure pénale soit diligenté conjointement par les policiers, les agents de justice et les magistrats. Nous demandons un travail partenarial pour mettre fin à l'entre-soi. Il ne peut s'agir que d'un travail sur le long terme, en dehors des effets d'annonce ;
Parallèlement, le « police bashing » initié par quelques « responsables » politiques ne cesse de prospérer. Nos collègues sont vilipendés, lynchés jusque dans la sphère privée. Il y a quelques années, la plupart des fonctionnaires de police ne pouvaient habiter dans leur circonscription, lorsqu'ils travaillaient dans des agglomérations aux loyers exorbitants, et faisaient le choix contraint de travailler à une heure de route de chez eux. Ceux qui travaillaient dans des villes moyennes ou de petites villes où les loyers sont plus accessibles, font aujourd'hui le choix, de plus en plus, d'habiter à une heure de route de chez eux. C'est une difficulté que nous demandons à nos dirigeants de traiter. Des partenariats qui ont été engagés avec la SNCF sur les lignes TER afin de sécuriser des lignes et de prendre en charge le coût de trajet domicile-travail pour les policiers mais peu sont éligibles, puisque beaucoup travaillent en horaires décalés. C'est la raison pour laquelle nous demandons qu'une réflexion soit initiée sur la prise en charge des péages autoroutiers sur le trajet domicile-travail des policiers. Cela représente une grosse part de leurs dépenses mensuelles.
M. Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure. - Le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure est majoritaire au sein du corps de commandement de la police nationale. Un certain nombre de constats sont dressés de longue date. Ils étaient énoncés dans le rapport de 2018.
Ils sont également posés dans le cadre du Beauvau de la Sécurité. Ils ont trait notamment à l'encadrement et à la formation. Je voudrais en donner trois illustrations récentes.
La première concerne le nouveau logiciel de rédaction des procédures, Scribe, dont le déploiement a été annoncé par l'ancien directeur général de la police nationale, monsieur Morvan, en novembre 2017. Cet outil est utilisé par l'ensemble des policiers au quotidien pour rédiger leurs procès-verbaux. Notre logiciel actuel, le LRP3, est obsolète et son ergonomie complique le travail de nos collègues. Il avait été annoncé en 2017 que le déploiement du logiciel Scribe aurait lieu au sein des services en 2019. Nous sommes en 2021 et n'avons toujours aucune nouvelle. Notre organisation avait rédigé un tract intitulé « Scribe ou momie ? ». Malheureusement, nous pourrions reprendre ce trait d'esprit aujourd'hui, car nos collègues attendent toujours ce logiciel qui doit leur faire gagner du temps au quotidien.
Deuxième exemple, en matière de ressources humaines, si les services de la DRCPN avaient suffisamment de moyens humains et informatiques pour fonctionner correctement et garantir des mouvements de mutation et la prise d'arrêtés dans des délais décents, au moment des prises d'échelons, les risques psychosociaux diminueraient de manière sensible. En ce qui concerne le corps de commandement et notre dernier mouvement général de mutation, le télégramme, qui est le message qui officialise les mutations et changements de poste, est tombé le 30 avril pour une prise de poste prévue théoriquement le 1er mai, c'est-à-dire le lendemain. Je ne suis pas sûr que de nombreuses administrations connaissent une officialisation des mouvements de mutation dans des délais aussi brefs, qui laissent peu de temps à nos collègues pour organiser leur vie familiale.
Dernier exemple, je vais aborder un sujet qui concerne aussi les officiers et commissaires de police : aucune prime judiciaire ne valorise l'exercice de l'encadrement au sein de la filière judiciaire, alors que nous sommes confrontés à un problème d'attractivité des postes d'officiers et de commissaires au sein de ces services, qu'il s'agisse des commissariats ou de services d'OPJ, alors même que, dans le même temps, les officiers de gendarmerie voient leur qualité d'officier de police judiciaire valorisée et l'exercice des missions judiciaires valorisé. Une fois encore, nous nous interrogeons donc quant à la parité qui existe entre police nationale et gendarmerie.
Quant au projet de loi « justice », nous pourrons y revenir dans le cadre de nos échanges. Nous avons adressé un courrier à l'ensemble des parlementaires après notre rassemblement du 19 mai. Ce courrier revenait sur les dispositions qui nous inquiètent. C'est le cas de la présence de l'avocat en perquisition, qui fait suite à l'adoption d'un amendement par l'Assemblée nationale. Nous espérons qu'à l'issue du parcours législatif du texte, cette disposition ne sera plus imposée aux officiers de police judiciaire et aux magistrats. Elle pose notamment des questions pratiques de sécurité : comment va-t-on assurer la sécurité de l'avocat et de son véhicule dans un certain nombre d'endroits où nous sommes amenés à perquisitionner ? Nous sommes équipés. Nous disposons de gilets pare-balles et pouvons placer des policiers pour surveiller notre parc automobile. Ce ne sera pas forcément le cas pour les avocats, ce qui pourrait poser énormément de difficultés, en plus d'alourdir encore la procédure pénale et les contraintes qui pèsent à la fois sur les enquêteurs et sur les magistrats.
Concernant l'enquête préliminaire, nous nous interrogeons quant au devenir, au bout des deux ans, des enquêtes qui n'auront pu être traitées. Je pense aux dossiers attribués à un officier de police judiciaire ou à un enquêteur au sein d'un service, dans les cas où cet agent partira en mutation. Vu l'état des ressources humaines, cet agent ne sera malheureusement pas toujours remplacé. Que deviendront alors les dossiers qui n'auront pas pu être présentés à un parquetier pour faire l'objet d'une décision quant à la suite de la procédure ?
Des interrogations se font jour également à propos des crédits de réduction de peine. Nous sommes naturellement favorables à ce que les réductions de peine soient limitées pour tous les agresseurs de personnes dépositaires de l'autorité publique. Ce projet de loi envoie toutefois, simultanément, d'autres signaux assez négatifs. Ainsi, en cour d'assises, pour entrer en voie de condamnation en première instance, le quantum requis passera de six à sept voix sur neuf, au sein du jury, ce qui nous interpelle. On nous a parfois reproché d'opposer police et justice. Nous estimons faire partie d'une même chaîne pénale. Nous discutons d'ailleurs avec l'Union syndicale des magistrats- organisation majoritaire parmi les magistrats. Je crois que ce sont des choses qui nous interpellent tous.
M. Pascal Jokowlew, secrétaire national en charge de l'investigation et du renseignement, Alternative police. - L'essentiel a déjà été dit mais je voudrais dire quelques mots en complément. En effet, pour les OPJ et APJ en investigation, nous constatons une véritable désaffection vis-à-vis de l'investigation depuis plusieurs années. Nous avons également du mal à fidéliser les collègues, à tel point que des jeunes sortis d'école sont aujourd'hui affectés à l'investigation, alors que celle-ci requiert plutôt des profils expérimentés.
Les droits de la défense ont été systématiquement renforcés depuis une vingtaine d'années et cela n'a pas été fait en consultant les fonctionnaires de police qui traitent les procédures au quotidien. En conséquence, aujourd'hui, la machine est bloquée : une grande partie des procédures n'est plus traitée et nous devons les prioriser. Les magistrats se déplacent dans les commissariats pour faire un tri sélectif. Il y a là un véritable problème.
Les droits de la défense sont également renforcés aujourd'hui par la présence de l'avocat en garde à vue. Nous constatons que 80 % du temps de garde à vue est consacré au formalisme. Nous ne travaillons véritablement que 20 % du temps sur le fond du dossier. Si l'on n'augmente pas le temps initial de la garde à vue, nous nous demandons comment continuer, sauf à ce que les magistrats reprennent les auditions à l'issue de la garde à vue.
M. Jérôme Moisant, secrétaire national aux conditions de travail, Unité SG Police. - Je voudrais d'abord évoquer une question de forme. La convocation aux travaux de votre commission ne nous a pas laissé d'autre choix que d'y participer par visioconférence et nous réalisons que certains de nos camarades sont présents dans la salle au Sénat, ce que nous ne comprenons pas bien.
Notre organisation représente exclusivement les gardiens gradés, les adjoints de sécurité et les personnels administratifs techniques et spécifiques. Le moral n'est pas bon. Les difficultés rencontrées par les policiers dans le cadre de l'exercice de leurs missions sont multiples. Leur autorité est bafouée, piétinée, ce qui se traduit par des refus de se soumettre aux contrôles et aux vérifications, des refus d'obtempérer, de l'entrave à leur action à l'occasion d'autres vérifications ou contrôles sur la voie publique. Cela prend également la forme d'outrages, de violences volontaires, voire pire, comme nous l'avons malheureusement vécu récemment.
Nous sommes soumis à un stress et à une certaine précarité. Le code de déontologie, et c'est bien normal, se veut très exigeant envers les policiers - qui forment sans doute la corporation la plus soumise aux sanctions disciplinaires.
Pour d'autres raisons, c'est sûrement une des corporations qui est aussi le plus soumise à l'action de la justice. Les policiers sont soumis à des violences, en service et hors service, eux et leurs proches, de même qu'au sein des services. Cela fait aussi partie de leurs préoccupations.
Socialement, nos collègues sont soumis à des charges importantes et à des horaires atypiques, fluctuants. Il n'y a pas de sanctuarisation de leur temps de repos, qu'il s'agisse des week-ends ou de repos de cycle, pour les collègues en régime cyclique. Il n'y a pas davantage de sanctuarisation de leur temps de congé. Nous avions un dispositif prévisionnel de congé qui fonctionnait plus ou moins bien mais l'opérationnalité prenant le pas, il est de plus en plus difficile pour nos collègues d'avoir une visibilité sur leurs congés à venir et sur les moments de respiration qu'ils pourront partager en famille ou entre amis.
A tout ceci s'ajoute l'absence quasi-systématique de soutien dans leur service, au sein de l'Institution. Voilà ce qui, en dehors de la confrontation à la violence, à la précarité et à la mort, dans l'exercice de leurs missions, peut conduire les policiers vers l'état d'esprit qui est le leur.
Vous nous avez également interrogés sur le projet d'États généraux de la Justice. Nous appelions cet évènement de nos voeux et notre secrétaire général Grégory Joron a partagé deux tribunes dans la presse avec la secrétaire générale d'Unité Magistrats Force Ouvrière pour appeler à la tenue de ces États généraux. Il se pose à l'évidence un problème de réponse pénale, particulièrement vis-à-vis des auteurs d'infractions envers les policiers. Nous devons trouver des solutions. De graves problèmes se posent, plus largement, au regard de l'évolution de la justice. Là où, il y a trente ans, l'aménagement de peine constituait l'exception et l'emprisonnement la règle pour les délits et crimes, les choses se sont inversées : l'emprisonnement est devenu l'exception et l'aménagement de peine la règle. C'est le résultat de dispositions accumulées, notamment sous les ministères de mesdames Taubira et Belloubet. Il faut vraiment que l'on revienne à quelque chose de plus efficient.
La sanction pénale a vocation à punir à réparer et, cerise sur la gâteau, à réinsérer des auteurs d'infractions. A l'heure actuelle, la sanction pénale ne répond plus aucune de ces trois tâches. Il se pose sans doute un problème de moyens. Les moyens carcéraux sont ce qu'ils sont. Sans doute d'autres moyens de la justice doivent-ils être améliorés. Il suffit par exemple de songer aux greffiers. Nous n'avons aucune garantie que ce puisse être le cas dans des délais assez brefs. Nous souhaitons qu'un débat public s'ouvre quant à ce qu'attend la société vis-à-vis de la justice, en explicitant ce que la société ne veut plus (les féminicides, les atteintes aux policiers et aux personnes dépositaires de l'autorité publique d'une manière générale). Nous attendons que toutes ces infractions soient ciblées par la justice de manière systématique.
M. François-Noël Buffet, président - La distinction entre ceux qui sont présents dans la salle et ceux qui participent à l'audition à distance répond aux conditions de jauge que nous devons respecter au sein de l'institution sénatoriale. Je ne sais pas comment les choses se sont organisées mais en aucun cas, il n'y a plus ou moins d'importance pour les uns ou pour les autres. En outre, il y aura certainement d'autres occasions de venir au Sénat.
M. Yann Bastière, délégué national aux questions judiciaires, Unité SG Police. - Je vais centrer mon propos sur le projet de loi « confiance dans l'institution judiciaire », étudié dernièrement à l'Assemblée nationale, qui arrive prochainement pour être étudié au Sénat. Vous nous avez orientés vers certains articles, parmi lesquels l'article 2, qui traite de la réforme de l'enquête préliminaire.
Je ne vais pas reprendre les propos de mes collègues, avec lesquels nous sommes totalement d'accord. L'article 9 porte sur la remise de peine. L'application de la peine nous importe beaucoup. Nous espérons bien que la justice fera son oeuvre.
L'article 3 nous importe aussi beaucoup. Une partie de cet article a fait l'objet d'un amendement n°814. Il nous semble traduire, de même que de nombreux articles du projet de loi, d'ailleurs, une défiance envers les enquêteurs. C'est ce qui ressort des premières remontées de terrain. Nous sommes les ouvriers de la procédure pénale. Les enquêteurs du corps d'encadrement et d'application forment le gros des troupes. Ce sont eux qui interpellent et qui enquêtent, même s'ils ont de moins en moins le loisir de le faire. 80 % des actes d'une procédure sont en effet des actes de forme, dans la délinquance de masse. Il faut y remédier, notamment par une réforme de la procédure pénale.
Ce n'est pas ce qui se dessine à travers ce projet de loi de confiance dans l'institution judiciaire. À cela s'ajoute la présence de l'avocat en perquisition, sur un acte déjà initialement très chronophage, qui implique généralement un déplacement hors des locaux de police, souvent à plusieurs kilomètres. Nous nous sommes entretenus dernièrement avec le directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Ce format existe déjà en Suisse, où les perquisitions peuvent durer un peu plus de 36 heures. Vous imaginez bien à quel point, sur une durée totale de 48 heures de garde à vue, cela limite les possibilités d'agir.
Certes, en matière de stupéfiants, la garde à vue peut durer 96 heures mais la perquisition sera aussi particulièrement chronophage. Nous nous inquiétions du temps qu'il va rester pour l'enquête elle-même. La défiance s'ajoute ici à la complexification. De nombreux éléments, dans ce texte, montrent que le futur de l'enquêteur sera de plus en plus compliqué. La crise des vocations s'avère extrêmement prégnante dans cette filière et les pistes actuellement à l'étude par notre administration ne sont pas les bonnes. Le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure vient de réclamer une prime d'encadrement judiciaire. Je n'ose pas vous parler de l'augmentation de 18 euros dont bénéficieront peut-être, à partir du 1er janvier, les enquêtes si le décret paraît - car il n'est toujours pas publié. Cela fait rire - jaune - tout le monde. Messieurs les sénateurs, entendez cette grogne qui sourde au sein de la filière d'investigation, car elle pourrait alimenter la perte de confiance dans l'institution judiciaire.
Souhaitons que les États généraux de la Justice témoignent d'une prise en compte du caractère totalement obsolète de la procédure pénale, hors d'âge, qui a empilé des briques les unes sur les autres. L'amendement n° 814 en constitue une de plus. A défaut de cette prise de compte, l'avenir de l'investigation, au sein de la police nationale, sera plus que sombre.
Nous appelons de nos voeux une étude d'impact de toutes ces réformes sur le terrain. L'amendement 814 va venir à l'étude au Sénat et nous ne doutons pas que vous y attacherez la plus grande importance. Cette proposition était venue de vos rangs dans le cadre de la loi de justice 2018-2022. Elle est extrêmement mal perçue par les enquêtes de la police nationale, sur l'ensemble du spectre. L'acte de perquisition est si chronophage que beaucoup se demandent comment nous pourrions travailler demain s'il venait encore à se complexifier.
Mme Linda Buquet, conseiller technique, Synergie officiers. - Je suis aujourd'hui accompagnée par Benjamin Iseli, secrétaire national de Synergie Officiers.
J'aimerais insister sur le climat délétère de violence dans lequel nos collègues travaillent quotidiennement. Il ne se passe pas un jour sans qu'un évènement ne défraie la chronique. Tout le monde en fait le constat mais rien ne change.
La plus grande difficulté, à nos yeux, réside dans l'absence de reconnaissance de l'autorité des forces de police, en raison d'une réponse pénale insuffisamment pertinente, à tel point que s'accroît un sentiment d'incompréhension dans les rangs de la police nationale. Tel est le cas en particulier lorsque les enquêteurs s'investissent dans une enquête judiciaire, identifient les auteurs de violences, réussissent à les interpeller et que la réponse pénale n'est pas à la hauteur. Nous ne savons pas encore ce qu'il sortira des États généraux de la justice. Nous appelons en tout cas de nos voeux la célérité et la sévérité de la justice pour ce type de faits.
La crise du judiciaire, qui ne suscite plus de vocations, a déjà été soulignée. Un certain nombre de projets ont vu le jour, notamment en termes de simplification de la procédure pénale. Là encore, ce n'est pas à la hauteur des attentes des policiers. A titre d'exemple, un certain nombre de circonscriptions, au sein de la préfecture de police, seront sites pilotes pour le projet d'oralisation d'une partie de la procédure pénale, notamment sur la garde à vue, compte tenu de son caractère très chronophage et du formalisme qu'elle exige. Il s'agira en fait de lire à l'interpellé ses droits, soit trois pages à lire, à enregistrer, avec un CD à placer sous scellé. Au final, le gain de temps sera inexistant. Les policiers doivent avoir voix au chapitre pour formuler des rapports en vue de simplifier leur quotidien, notamment dans le domaine judiciaire.
M. Frédéric Lagache, délégué général, Alliance Police nationale. - Il a été rappelé que plusieurs commissions s'étaient déjà réunies, ayant mis en exergue les difficultés que rencontrent les policiers dans l'exercice de leurs missions, notamment la menace terroriste, la pression migratoire, la radicalisation des mouvements sociaux, ainsi que l'application des règles sanitaires et l'augmentation de la délinquance.
Cette pression a conduit depuis plusieurs années à une augmentation, comme vous le savez, des heures supplémentaires. Elle a également conduit à une hyper-vigilance de nos collègues, qui s'est transformée en un épuisement de l'ensemble des forces de l'ordre. Cette pression a aussi fait des policiers les cibles de tous les acteurs qui ne veulent plus voir les forces de l'ordre dans ce pays. Le seul fait d'incarner l'autorité, quelle qu'elle soit (élus, instituteurs, pompiers...) suffit à faire de nous des cibles de la délinquance au quotidien et des terroristes. Nous l'avons vu à la lumière des affaires dramatiques que nous avons pu vivre. Nous sommes aussi la cible de responsables politiques, de certaines associations et de certains journalistes, à tel point que le policier doit aujourd'hui se cacher de sa fonction afin d'éviter d'être visé dans le cadre de sa vie citoyenne. Il doit se protéger lui-même et il doit protéger sa famille. Aucun enfant de policier ne peut dire à ses camarades d'école qu'il est l'enfant de policiers, sauf à être systématiquement visé.
Notre manifestation intersyndicale, à laquelle vous avez fait allusion, avait réuni près de 35 000 personnes, policiers et citoyens, mobilisés en une semaine. Ce fut l'occasion de souligner des messages essentiels à nos yeux.
Il faut une cohérence entre l'action du ministère de l'Intérieur c'est-à-dire l'action de nos collègues (ceux qui identifient les délinquants, rassemblent les preuves puis présentent les individus aux magistrats) et le ministère de la Justice (ceux qui vont faire appliquer la loi). Dès lors que les faits sont constitués, une incompréhension se fait jour, très fréquemment, au regard de l'application de la loi. Ce fut d'ailleurs l'objet de cette manifestation, qui a fait l'unanimité parmi les syndicats de police. Nous étions nombreux et ce mouvement a été compris de la population. En atteste un sondage, dont on ne peut soupçonner qu'il fût manipulé par une quelconque organisation syndicale : il indiquait que les citoyens de ce pays avaient plus confiance dans la police que dans la justice de leur pays.
Il faut bien sûr, comme cela a été rappelé, disposer de policiers motivés, tant par leur pouvoir d'achat direct que par leur pouvoir d'achat indirect. Comment peut-on vivre décemment et appréhender notre métier sereinement avec un salaire de 2 000 euros par mois, alors qu'eu égard au niveau des loyers, dans de nombreuses villes, il ne laisse que 800 euros pour vivre. Ni vous ni moi, à mon avis, ne pourrions appréhender le métier sereinement dans de telles conditions.
Nous plaidons enfin pour que notre action s'appuie sur des textes et des règlements adaptés. Nous entendons parler depuis très longtemps de l'allègement de la procédure pénale, afin que nos collègues enquêteurs passent plus de temps à enquêter qu'à faire de la paperasse. Je me souviens de certaines manifestations lors desquelles on nous avait promis monts et merveilles sur ce chapitre de l'allègement de la procédure pénale. L'une d'elles avait eu lieu place Vendôme, autre lieu symbolique, sans que cela ne suscite d'ailleurs autant de polémiques que notre dernière manifestation. Toujours est-il que la procédure pénale a continué par la suite de s'alourdir. Les choses sont dites mais ne sont - quasiment - jamais faites.
Alors que le policier devient de plus en plus une cible, comme nous l'avons vu lors d'attentats terroristes, la loi sur la sécurité globale prévoyait des dispositions de floutage et d'anonymisation du policier dans le cadre de l'exercice de ses missions. Le sujet avait été évoqué à de multiples reprises dans différentes commissions, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Cette demande est malheureusement peu entendue, même si l'on nous dit souvent, en aparté, que nous avons raison.
M. Stanislas Gaudon, délégué général, Alliance Police nationale. - Parmi les difficultés au quotidien, dans l'exercice des missions, nous ne pouvons évidemment, en tant que syndicalistes, passer sous silence la question des conditions de travail et des moyens alloués. Le budget de la police nationale est un budget déséquilibré, comme vous le savez, avec 90 % de masse salariale, au détriment de l'investissement et du fonctionnement, qui n'ont perdu « que » 130 millions d'euros en l'espace de trois ans. Combien de voitures en moins, de rénovations immobilières en moins ou d'ordinateurs en moins cela représente-t-il? Au quotidien, le policier se retrouve entravé, faute d'ordinateurs, de véhicules corrects, sans compter un immobilier parfois délabré et qui tombe en décrépitude. Au quotidien, ce n'est pas facile. Il faudra revenir sur ce budget de la police nationale. Je mettrai de côté le budget 2021, qui a été placé sous perfusion à la faveur du Plan de relance. J'ose espérer que le budget 2022 ne sera pas en baisse par rapport à ceux qui ont précédé et que nous verrons un peu d'ambition dans les moyens alloués aux forces de sécurité.
L'autre moyen touchant aux conditions de vie et de travail des policiers réside dans les moyens réglementaires et juridiques, comme l'ont souligné plusieurs intervenants. Souvent, des efforts sont produits au moment de la rédaction des textes mais ceux-ci se trouvent entravés, parfois par l'exercice parlementaire de la navette, parfois par des décisions du Conseil Constitutionnel ou du Conseil d'État, lequel a censuré certaines dispositions qui nous semblaient intéressantes pour nos collègues.
Je pense par exemple à l'engagement pour les forces mobiles et à la décision du Conseil Constitutionnel relative à la protection des policiers, lorsque leur visage est diffusé sur les réseaux sociaux. Il faudrait qu'on ait l'ambition d'aller jusqu'au bout pour réellement donner aux policiers les moyens juridiques et réglementaires d'exercer sereinement leurs missions au quotidien.
Si le policier va mal, il a néanmoins une forte motivation pour protéger les personnes et les biens, ce qui le conduit parfois à effectuer des heures supplémentaires ou être rappelé le week-end. Il n'en demeure pas moins qu'in fine, c'est lui qui est en souffrance car il perçoit une perte de sens du métier.
Je ne reviendrai pas sur la procédure pénale. De nombreuses choses ont été dites. Des choses avaient été annoncées mais n'ont pas été faites. Je pense en particulier à toute la partie numérique. Je m'interroge d'ailleurs quant à ce qu'il est advenu d'un budget de plus de 100 millions d'euros qui devait être consacré à la direction du numérique. En voyant que le logiciel Scribe n'est toujours pas opérationnel en matière d'investigation, nous ne pouvons que nous interroger quant aux moyens alloués aux forces de sécurité.
Enfin, si, effectivement, les policiers travaillent bien avec les magistrats dans le cadre des enquêtes, quel que soit le cadre d'enquête, un tableau contenu dans un rapport sénatorial sur la loi « sécurité globale » nous apporte un tout autre éclairage sur la réponse pénale. Sur trois ans, il a été fait état de toutes les agressions à l'encontre des policiers, des fonctionnaires exerçant des missions de service public et des sapeurs-pompiers. Les taux d'emprisonnement prononcés et les quantums de peine prononcés m'invitent à rejoindre le verdict du Sénat, dont le rapport soulignait l'existence d'un fossé entre les peines encourues et les peines prononcées. Je ne parle même pas des peines exécutées, car le constat irait encore plus loin. Les policiers ne comprennent pas l'aboutissement de leur travail au bout de la chaîne pénale et les citoyens ne le comprennent pas davantage. Pour preuve, moins d'un Français sur deux fait confiance à la justice.
Une fois que l'on aura établi ce diagnostic, il faudra avoir le courage de donner une impulsion nouvelle. Si chacun s'accorde sur le principe de séparation des pouvoirs, la politique pénale s'impulse et seul le Garde des Sceaux peut le faire. Cela peut être fait en corrélation avec les policiers. On nous a parfois reproché de ne pas livrer tous les éléments dans les enquêtes. Si on ne donne pas aux policiers tous les moyens de mener des enquêtes, les taux d'élucidation peuvent effectivement s'avérer compliqués à gérer. Cette chaîne pénale devra être prise en compte par l'ensemble des acteurs. En tant que législateurs, vous pouvez nous y aider à travers l'écriture des textes et nous vous en remercions.
M. François-Noël Buffet, président. - Sachez que la Commission des lois a beaucoup de regrets quant au texte sur la sécurité globale. Elle s'était beaucoup investie pour en rédiger un certain nombre d'articles.
M. Jean-Paul Megret, secrétaire national, syndicat indépendant des commissaires de police. - Je m'efforcerai de ne pas être redondant avec les propos des représentants des autres associations professionnelles, car malheureusement, sur le sujet qui nous réunit, nous sommes tous unanimes : nous sommes confrontés à une crise profonde de la police nationale, qui fait écho à une crise profonde de la société française. Celle-ci subit énormément de violence, avec des violences de plus en plus graves. Ceux qui les commettent bénéficient, au-delà de l'excuse, de l'impunité la plus totale, et la société s'inquiète. Nous sommes aux premières loges et nous sommes ceux qui sont les plus exposés à ce débordement de violence.
Nous avons manifesté il n'y a pas longtemps, suite à des évènements plus que dramatiques, après que deux de nos collègues ont été, en deux endroits différents, lâchement assassinés. Nous avions déjà manifesté il y a quelque temps pour signaler nos grandes difficultés.
Au-delà du petit bal médiatique, la réponse du Gouvernement est inexistante, car nous sommes coincés par un certain nombre de principes, comme cela été rappelé : on ne peut rien demander à la Justice et celle-ci n'a pas de comptes à rendre, ni à la communauté nationale, ni aux élus ni aux ministres. D'un autre côté, les policiers sont régulièrement attaqués, leurs familles régulièrement stigmatisées. Nous avons été amenés à lancer, ces dernières années, des plans pour lutter contre les suicides, qui se multipliaient au sein de notre Institution. Ce n'est pas un hasard.
La situation actuelle pourrait faire sourire si elle n'était pas si grave. Le jour même de cette fameuse manifestation, alors que nous expliquions les difficultés de nos métiers, de nombreuses personnes s'y sont jointes, des citoyens, des élus et des parlementaires de tous bords, pour nous soutenir. Le soir même, le Parlement a voté des dispositions pour entraver nos missions. Je pense à la disposition sur la perquisition. Ce sont des dispositions qui, d'une façon générale, témoignent d'une méfiance vis-à-vis de l'action des forces de l'ordre. Faire participer un avocat à une perquisition, laquelle est déjà soumise à un certain nombre de règles de forme, c'est estimer que les policiers et gendarmes font n'importe quoi ou ont une attitude liberticide. C'est une façon de reprendre d'une main ce qu'on essayait de nous donner symboliquement de l'autre en manifestant à nos côtés.
Vous savez tous, malheureusement, que même si les travaux éclairés de votre commission, au Sénat s'efforcent d'édulcorer un certain nombre de conséquences funestes de certains textes, ce genre de réforme, proposé au nom des libertés, conservera une part de matérialité. Celle-ci est aujourd'hui devenue tout à fait insupportable pour ceux qui sont chargés de faire respecter la loi et les règlements dans ce pays. Nous le voyons tous les jours sur les chaînes d'information. Nous sommes amenés à faire respecter diverses prescriptions, jusqu'à des couvre-feux. Notre action n'a plus de sens et ne peut être confirmée aujourd'hui par l'étape suivante de la chaîne pénale. On demande régulièrement à notre Institution de se réformer, ce qui est le signe qu'elle n'est pas suffisamment efficace, alors que toutes les institutions, autour, ne s'interrogent jamais sur leur utilité réelle au service de la population.
Ces préoccupations sont portées du gardien de la paix aux chefs de service et directeurs centraux. Ce n'est donc pas un réflexe corporatiste mais un vrai sentiment d'abandon des pouvoirs publics.
M. François-Noël Buffet, président. - Sur le point particulier des perquisitions, avons-nous ou existe-t-il un certain nombre de statistiques sur des procédures qui auraient été annulées du fait d'un problème de légalité des perquisitions ? Avons-nous des chiffres à ce sujet ?
On peut donner un sens à la présence d'un avocat au cours de la perquisition. Le premier élément, pour savoir si les choses se passent bien, ce qui est vraisemblablement le cas dans 90 % des procédures, réside peut-être dans le nombre de recours introduits suite à des actes de perquisition et ayant entraîné des nullités de procédure (dès lors que celle-ci n'aurait pas respecté les règles) ? Avons-nous de tels éléments d'appréciation qualitative ?
M. Yann Bastière. - La perquisition est très encadrée par les textes. Dans les possibilités de l'enquête, la présence du mis en cause est prévue. Dans d'autres cas, ce sont des représentants légaux qui peuvent être présents, par exemple les parents. En bout de course, lorsqu'il n'y a pas d'autre choix, deux témoins choisis au hasard, qui peuvent être des voisins ou des passants, peuvent être sollicités pour assister à la perquisition.
Cet acte est donc encadré de garanties quant à la légalité et aux bonnes pratiques des OPJ.
Cet amendement va exactement dans le sens d'une défiance. Peut-être quelques dérives existent-elles sur le plan de la procédure mais ne faisons pas d'amalgame. Sur les réseaux sociaux, certains se félicitent de cet amendement au motif qu'on ne verra plus des canapés éventrés à coup de couteau. Ce n'est pas possible. Sur place, l'individu pourrait dénoncer de tels comportements s'ils avaient lieu.
Cet amendement qui concerne certaines infractions plutôt dans le « le haut du spectre », va cadrer certaines pratiques de façon assez limitée. J'évoquais ce qu'il se passe en Suisse. On me disait la semaine dernière que, lors d'une perquisition, dans une affaire importante, il y avait sur place davantage d'avocats que d'enquêteurs. C'est tout de même affolant.
M. Jean-Paul Megret. - Je voudrais confirmer ce qui vient d'être dit et apporter un éclairage complémentaire. Effectivement, il y a un certain nombre de conditions de forme, à commencer par la présence d'un officier de police judiciaire. On ne peut être officier de police judiciaire qu'après avoir été formé et avoir passé un examen. Il existe aussi des règles de forme, notamment sur le plan des horaires. On ne fait pas de perquisition la nuit, sauf autorisation spéciale d'un magistrat du siège.
Au-delà de l'exemple un peu pittoresque de la Suisse, actuellement mis en lumière, aucun pays au monde ne pratique la présence de l'avocat en perquisition, pas même le pays des avocats, c'est-à-dire les États-Unis d'Amérique, où les avocats sont pourtant extrêmement puissants. On n'aurait pas l'idée, aux États-Unis, de faire participer un représentant d'une des parties à un acte d'investigation. Si l'on va par là, peut-être voudra-t-on y faire participer également le représentant du parquet. Ce sera un happening général pour savoir quand il faut être présent.
Surtout, les perquisitions se déroulent souvent très tôt le matin. Je doute de la présence effective, à ces heures, d'un certain nombre de personnes. Il faudra donc les attendre et y consacrer une matinée, là où on y passait deux heures. Il faudra assurer des formes de roulement et mettre en place un dispositif de sécurité extrêmement lourd. Dans les faits, cela conduira à ne plus perquisitionner certains lieux et donc à collecter moins de preuves, ce qui assurera l'impunité d'un certain nombre de personnes. Dans les enquêtes, l'on se rend parfois d'un endroit à l'autre extrêmement rapidement, si l'on trouve une deuxième adresse au cours d'une perquisition par exemple. Il n'y a jamais eu de remise en cause de la perquisition au motif qu'elle aurait eu lieu sans avocat. C'est une demande des avocats, qui permet à ceux-ci, pour les avocats commis d'office, d'être rémunérés pour un certain nombre d'actes supplémentaires, au-delà des auditions actuellement effectuées dans les commissariats.
M. Pascal Jakowlew. - L'article 56, en matière de saisies et de scellés, nous pose également une difficulté les saisies et scellés doivent être effectués en temps réel. Lorsqu'il y a énormément de matériel à saisir, l'exploitation est effectuée au service. Or l'article 56 prévoit le scellé provisoire. En revanche, les saisies et scellés doivent être signés par toutes les parties ayant participé à la perquisition. Cela signifie que l'OPJ reste à la disposition de l'avocat le lendemain, lorsqu'il sera disponible, ce qui pose problème.
M. Henri Leroy. - Nous avons, dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, auquel participent tous les syndicats de police, tenu le 27 mai une table ronde sur ce sujet de la police et de la justice, en présence du Garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur. Elle a duré quatre heures trente. Les élus ont eu la parole durant 20 à 30 minutes, l'ensemble des syndicats et les ministres pendant trois heures environ et les ministres durant une demi-heure environ. Les positions que vous venez d'exprimer y ont été exposées de façon très claire et détaillée, tant au ministre de la Justice qu'à celui de l'Intérieur. On ne peut donc pas affirmer que les ministres n'ont pas été informés de toutes vos préoccupations en ce qui concerne les perquisitions, les gardes à vue ou de nouveaux problèmes qui se font jour en ce qui concerne la procédure pénale. Cela a été bien entendu.
Lors de mon intervention, le Garde des Sceaux me disait qu'il avait entendu parler de nos travaux. Il faisait allusion au rapport sur l'état des forces de sécurité, que nous avions remis à l'époque à Édouard Philippe, Premier ministre et au ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb ou son successeur. Durant six mois, les 21 sénateurs de la mission ont tenu 481 auditions, tenu 42 tables rondes et effectué 18 déplacements de terrain. Cette séance a eu lieu en présence du procureur de la République de Clermont-Ferrand. La Commission des lois a transmis une nouvelle fois les 350 pages de ce rapport sur l'état des forces de sécurité, travaux qui étaient présidés par Michel Boutant, avec pour rapport François Grosdidier. J'en ai discuté ensuite avec le ministre de l'Intérieur, qui n'avait jamais vu ce rapport. Il me l'a dit. Le ministre de l'Intérieur l'a vraisemblablement dans ses tiroirs mais je lui ai de nouveau transmis notre rapport afin de m'assurer que toutes les observations que vous avez formulées aujourd'hui ont bien été portées dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, institué par le président de la République. Le gouvernement ne peut donc pas ignorer aujourd'hui ce que vous revendiquez aujourd'hui dans tous les domaines.
Vous retrouverez dans ce rapport quatre propositions qui ont été actualisées sur le terrain :
· le principe de stage d'immersion, mêlant
policiers et magistrats, pendant le cursus de la formation initiale - principe
entériné par le procureur de la République de
Clermont-Ferrand, qui représentait la magistrature ;
· la réforme totale du code de
procédure pénale, dont le volume a été
multiplié par huit en trente ans ; pour le co-rapporteur de la
simplification de la procédure pénale, Jacques Baume, « la
lourdeur de la procédure pénale est incontestable. Le code de
procédure pénale est illisible, tant pour nos enquêteurs
que pour le parquet, le juge d'instruction et la quasi-totalité des
intervenants de la procédure pénale » ;
· l'oralisation de la procédure ;
· sa dématérialisation.
Telles sont les quatre propositions que vous retrouvez dans le rapport sur les forces de sécurité.
M. François-Noël Buffet, président. - Je puis vous informer que nous auditionnerons jeudi (17 juin 2021) madame de Montchalin et monsieur Dupont-Moretti à propos de la dématérialisation, pour la partie judiciaire.
M. Alain Richard. - Je suis frappé par la pauvreté, voire l'inexistence des statistiques portant sur le fond des jugements. On sait très peu de chose sur ce qui est jugé au pénal comme pour les autres champs de l'activité judiciaire. Il faut le rappeler aux Garde des Sceaux successifs, car c'est un outil de travail pour tous, y compris pour l'administration de la justice.
Ici, comme législateurs, nous sommes en priorité concernés par l'évolution du code de procédure pénale et le facteur de paralysie que constitue son alourdissement, ainsi que le déséquilibre entre les parties dont il témoigne aujourd'hui. De mon point de vue, telle est la priorité. Dans vos organisations se trouvent de nombreux acteurs de terrain de la procédure pénale et nous aurions besoin d'un relevé extrêmement factuel, écrit, détaillé, des dispositions du code de procédure pénale qui sont les plus paralysantes ou génératrices de risques d'erreur. Le métier d'avocat pénaliste est d'abord un métier de procédurier. Il me paraît donc très utile d'examiner ce qu'il y a dans le « tableau de chasse » des avocats pénalistes, c'est-à-dire les procédures qu'ils parviennent à faire tomber, en utilisant telle ou telle disposition du code de procédure pénale. Je crois vraiment que c'est sur cette base que nous devons travailler.
Il se trouve que je représente le Sénat au sein de la commission supérieure de codification, où nous mettons en ordre les différents textes pour en retirer les incohérences. Les personnes plus qualifiées que moi qui y siègent sont convaincues que le code de procédure pénale présente, dans les faits, des travers importants en tant que texte. Il me semble qu'il y a là matière à un dialogue très factuel et très professionnel sur les points critiques du code de procédure pénale, sans porter atteinte au caractère élémentaire des droits de la défense ni à la liberté, pour le prévenu, de ne pas s'exprimer, que rappelle à juste titre le Conseil Constitutionnel.
Puisque nous constatons, du fait de ces difficultés, un moindre attrait pour les postes d'officiers de police judiciaire, que choisissent, en second, les personnels qualifiés qui auraient le potentiel et un intérêt pour la police judiciaire ? Comment cette perte d'attractivité se traduit-elle dans leurs choix d'affectation ?
M. Léo Moreau. - Je voudrais d'abord répondre à la remarque de monsieur Leroy à propos du rapport de 2018 sur l'état des forces de sécurité, qui a effectivement constitué un travail conséquent. Un problème réside aussi dans le fait que le ministère de l'Intérieur est le ministère de l'urgence. Je crois que monsieur Darmanin est le neuvième ministre de l'Intérieur en dix ans et le troisième du présent quinquennat. Lors de chaque changement de ministre, nous réexpliquons nos problématiques, qui ne sont pourtant pas nouvelles. Des constats ont été posés, notamment lors du Beauvau de la Sécurité, mais nous les mettons en exergue de longue date en tant que représentants du personnel. Chaque fois, pour les réformes d'ampleur, nous nous heurtons à un calendrier (politique, médiatique etc.) qui n'est pas toujours le même que celui des attentes des personnels.
S'agissant du code de procédure pénale, le secrétaire général de notre syndicat a souligné, lors du Beauvau de la Sécurité, qu'il s'agissait « d'un montre devenu inintelligible, même pour les professionnels ». Il est vrai que l'actuel code de procédure pénale a des airs de Frankenstein, pour avoir été modifié à l'occasion de chaque loi de procédure pénale - et elles sont assez fréquentes. Au-delà des critiques de fond, on pourrait donc souligner son manque de stabilité. Les enquêteurs et magistrats consacrent une partie de leur temps à la compréhension, dans chaque nouveau texte, de ce qui va changer pour eux au quotidien. Nous pouvons signaler des dysfonctionnements de façon extrêmement précise mais il faudrait tout simplement envisager de le réécrire. Un tel chantier ne peut évidemment se conduire en quinze jours et doit - sans préjuger du rôle du Parlement à l'issue du processus - associer les enquêteurs (policiers et gendarmes), les magistrats, les avocats, etc. Notre procédure pénale est aujourd'hui au milieu du gué. On n'a pas choisi entre l'inquisitoire et l'accusatoire. Les enquêteurs de terrain nous disent que l'on cumule ainsi les difficultés des deux modèles. Il va donc falloir choisir et réécrire ce code, en remettant à plat l'ensemble de ses dispositions avec le concours des professionnels. Nous avons conscience que ce chantier ne pourra, du fait du calendrier, être lancé dans l'immédiat.
Je pense que ce sera aussi l'un des enjeux des États généraux de la Justice. Nous attendons de savoir de quelle manière nous serons, en tant qu'organisations représentatives des fonctionnaires de police, associés à cette démarche. Il est toujours positif que l'on débatte mais nous n'allons pas découvrir les difficultés de la justice à l'occasion des États généraux de la Justice, en particulier les problèmes de moyens, qui sont exprimés par les représentants des magistrats, des agents d'insertion et de probation, etc. Nous allons une nouvelle fois nous réunir et débattre. Il ne faudrait pas que nos collègues constatent que, concrètement, une fois de plus, la procédure pénale s'alourdit pendant que nous en débattons.
Quant aux services choisis ensuite par les agents, un mouvement inverse à celui qu'on connaissait il y a un certain nombre d'années peut aujourd'hui être observé. Il était logique de commencer par la voie publique, avant de rejoindre un service d'investigation dans un commissariat, puis peut-être un service spécialisé. Aujourd'hui, il existe une diversité d'aspirations de nos collègues, sur le plan géographique et en termes de spécialisations. Mais nombre de nos collègues, fatigués de l'investigation, des risques d'erreur induits par la procédure et de cette tension quotidienne, vont se diriger vers des services de voie publique ou des services de renseignement préservant un aspect d'investigation, sans être soumis au même formalisme procédural.
Dans un commissariat de Seine-Saint-Denis, aujourd'hui, vous avez toutes les chances de retrouver, au sein du service d'accueil et d'investigation de proximité, des gardiens de la paix sortis d'école, qui seront encadrés par un lieutenant sorti d'école, lui-même peut-être placé sous la responsabilité d'un commissaire sorti d'école, car il existe des territoires et des fonctions qui sont devenus très peu attractifs. Si les mesures indemnitaires ont tout leur sens pour reconnaître le travail des officiers de police judiciaire et le travail judiciaire qui est effectué, il faut avant tout redonner du sens au travail de nos collègues afin de les attirer de nouveau vers l'investigation, au-delà du seul respect des obligations procédurales dont ils comprennent de moins en moins le sens.
M. Pascal Jakowlew. - J'ai travaillé vingt ans en police judiciaire. Je l'ai quittée pour les Renseignements généraux, car le formalisme judiciaire était devenu beaucoup trop lourd. Un enquêteur ne travaille plus sur le fond aujourd'hui. Nous sommes devenus des techniciens du formalisme. Il faut être habilité pour tout et il n'y a plus aucun intérêt dans le métier. Ce n'est pas qu'une question d'argent. Même pour 200 ou 300 euros supplémentaires, je ne retournerais pas à l'investigation. Cela ne m'intéresse pas. Ma motivation se trouve dans l'intérêt de mon métier au quotidien. Or nous n'y trouvons plus de plaisir.
M. Frédéric Lagache. - Le sénateur Richard posait la question de la finalité des peines. Je rappelle que nous avons eu les mêmes interrogations, puisque nous avions proposé, à une époque, et réaffirmé lors de notre récente, manifestation la mise en place d'un observatoire de la réponse pénale contre ceux qui agressent les forces de l'ordre. C'était simplement pour démontrer qu'au bout de la chaîne pénale, la décision du magistrat avait un rôle crucial. Ce n'est pas pour rien si l'autorité est aujourd'hui remise en cause, celle du policier mais aussi, in fine, celle du citoyen. Lorsqu'on agresse impunément un représentant des forces de l'ordre, on peut s'imaginer que l'on peut s'en prendre à un élu, à un professeur et plus facilement encore à un citoyen. Tout ceci forme une chaîne qui nécessite des prises de décision. C'est la raison pour laquelle nous avons exprimé cette revendication relative à un observatoire de la réponse pénale, en examinant à la fois la peine encourue (en cas d'agression d'un policier, selon le code pénal), la peine prononcée par le juge et la peine réellement effectuée, lorsque l'individu passe devant le JLD (juge des libertés et de la détention).
C'est ce que je soulignais tout à l'heure : l'aménagement de peine est devenu la règle alors que l'emprisonnement est devenu l'exception. Nous sommes amenés à exercer une sorte de contrôle des décisions des magistrats, car peu d'individus sont sanctionnés, en dehors des affaires médiatiques, parmi ceux qui agressent les policiers, en vertu d'un principe idéologique : la justice tend aujourd'hui à sanctionner davantage ceux qui ont 20 ou 25 faits derrière ceux plutôt que ceux qui commettent leur première infraction. C'est un choix de doctrine de la politique pénale à la française, à la différence d'autres pays démocratiques qui ont fait un choix différent. Là aussi, une interrogation se fait jour, en écho avec les États généraux de la Justice.
Si nous n'avons pas de places de prison, on ne pourra emprisonner. C'est un peu le serpent qui se mord la queue. La prison restera l'école du crime dès lors que ceux qui y vont sont déjà formés au crime. Si l'on s'interroge sur la récidive à propos d'auteurs qui ont déjà commis 25, 50 ou 100 faits, soyez assurés que ceux qui sont confrontés à eux au quotidien, parmi les forces de l'ordre, ne se posent pas du tout cette question.
M. François-Noël Buffet, président. - Vous avez mis en exergue trois points principaux, la philosophie générale, la sanction pénale et l'exécution de la peine. Pouvons-nous considérer que votre préoccupation première porte moins sur le quantum de la peine prononcée que sur l'importance absolue de l'exécution rapide de la peine ?
M. Stanislas Gaudon. - Les deux sont également importants. Le document auquel je faisais référence, qui est un document officiel, issu de la Chancellerie et annexé à un rapport du Sénat, fait état des taux de peines d'emprisonnement prononcées et des quantums de peine par rapport aux peines encourues. En cas d'atteinte contre une personne dépositaire de l'autorité publique sans ITT, la peine encourue est de trois ans et le quantum moyen est de 5,8 mois. La grille des peines, depuis 2019, oblige, pour toute peine inférieure à six mois, à un aménagement de peine. Du coup, le raccourci est fait : pour l'agression d'un policier, l'auteur échappe à la case prison. Sur le plan symbolique, c'est un mauvais signal du point de vue du respect de l'autorité de l'État et de la protection dont doivent bénéficier les personnes dépositaires de l'autorité publique. Ce signal encourage et entretient l'impunité qui s'est infiltrée dans la société actuelle. Le quantum de la peine et l'exécution de la peine constituent deux éléments indissociables.
De même, lorsque des peines prononcées sont - par exception - supérieures à un an, comme vous le savez, le jeu de la réduction automatique des peines et de leur réduction pour bon comportement conduit à des aménagements qui sont prononcés en cours d'exécution des peines. Là encore, on nous explique qu'il s'agit d'un principe de réinsertion. Là aussi, nous marquons de statistiques qui seraient intéressantes quant au taux de récidive. Nous avons regardé les chiffres de la Justice. Je ne suis pas en mesure d'affirmer qu'un primo-délinquant qui entrerait en prison devient récidiviste, car ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, ce ne sont que des récidivistes qui vont en prison, car on fait de la gestion de la population carcérale alors que l'on devrait raisonner en termes de gravité d'infraction et de préjudice subi - car il y a aussi les victimes, que nous ne devons pas oublier.
M. Philippe Bonnecarrère. - Monsieur le président, vous m'avez confié, avec les collègues de la commission, le rapport sur le texte « confiance dans l'institution judiciaire », qui a été évoqué à plusieurs reprises. Je vais donc me concentrer sur ce rapport, en ayant une approche plus technique, et en m'excusant de ne pas me placer sur le plan des nombreux éléments évoqués par les uns et les autres (crise de l'autorité, stress des policiers, violence de la société...), bien que j'y sois particulièrement sensible.
J'aurai quatre questions à formuler. Je vais les présenter globalement avant d'y revenir par la suite. La première portera sur la chronologie. Vous serez probablement invités à l'automne à des États généraux de la Justice, sans doute en octobre. Ce calendrier est-il compatible avec l'adoption de la loi « confiance dans l'institution judiciaire », prévue fin décembre, selon le calendrier actuel ?
Mes deuxième et troisième questions porteront sur le contenu même du texte. Je vous propose d'y examiner ce qui s'y trouve et ce qui en est absent. Que pensez-vous de l'organisation d'États généraux de la Justice à l'automne, avec un texte a priori dans votre coeur de cible, qui aurait été adopté quelques jours avant ?
En d'autres termes, allez-vous porter vis-à-vis du ministère de la Justice l'idée qu'il serait raisonnable de n'examiner ce texte « confiance dans l'institution judiciaire » qu'après les États généraux de la Justice, notamment pour permettre d'intégrer leurs résultats ?
M. Julien Morcrette. - Je rejoins votre questionnement. Le calendrier suscite en effet des interrogations, du fait de cette inversion. Je reviens également sur le Beauvau de la Sécurité. Pourquoi celui-ci se tient-il alors que nous avions, avec le Livre blanc sur la sécurité intérieure, toute la matière pour statuer sur les questions de sécurité ? Ce Beauvau de la Sécurité a estomaqué pas mal de monde lorsqu'il a été annoncé.
Nous espérons qu'il en émergera quelque chose de consistant mais il retarde aussi l'adoption d'une loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) que nous appelons de nos voeux. Il faut arrêter avec le temps court et les effets d'annonce. Nous voulons que du sens soit donné à notre profession. Nous voulons de la perspective et non naviguer à vue. Pourquoi un Beauvau de la Sécurité et non un Matignon de la sécurité ?, peut-on également se demander. Lorsque vous avez une fuite chez vous, vous ne disposez pas des serpillières. Vous appelez le plombier.
Nous sommes confrontés à une délinquance galopante. Nous pouvons incessamment construire de nouvelles places de prison, si l'on n'agit pas sur les causes. Si un gamin commence à insulter et frapper ses parents, ou son instituteur (trice), comment voulez-vous qu'il ne frappe pas le policier lorsqu'il aura 15, 16 ou 18 ans ? Aujourd'hui, ce sont les pompiers qui trinquent, nouveau phénomène qui va en empirant.
Nous appelons de nos voeux, à la CFDT, un projet social et sociétal de lutte contre la délinquance, impliquant tous les acteurs de notre société, institutionnels et associatifs. Il s'agirait de mettre autour de la table les personnels de la petite enfance, de soutien à la parentalité, l'Éducation nationale, bien entendu la police et la justice, les acteurs de l'insertion professionnelle, notamment ceux de la politique de la ville. Agissons sur les causes et arrêtons de traiter les symptômes.
M. Léo Moreau. - La célérité et la certitude de la sanction nous semblent particulièrement importantes en ce qui concerne les mineurs délinquants. Avant qu'il ne s'engage dans un parcours de délinquance, cela n'aura pas beaucoup de sens de juger et d'infliger une peine d'emprisonnement, deux ans après, à quelqu'un qui commet un premier fait à l'âge de 15 o 16 ans, s'il a déjà récidivé entre temps. Il se pose donc une question de rapidité, sans éluder les autres aspects que nous avons évoqués.
M. François-Noël Buffet, président. - Je rappelle à nos collègues sénateurs que la dernière LOPSI date de 2002 et qu'elle a été reprise en 2011. On peut imaginer qu'une nouvelle loi de programmation donnerait quelques perspectives aux acteurs de la sécurité - comme cela a été fait pour la justice à travers le texte de 2018.
M. Jérôme Moisant. - Nous ne partageons pas du tout l'avis de l'intervenant précédent. Nous avons participé aux travaux du Livre blanc. Nous faisions partie du groupe de travail public, dont faisaient partie des représentants de la société civile. Nous avons le sentiment de ne pas avoir été entendus. Le Livre blanc est clairement le fruit du travail de la technostructure.
Comme vous l'avez souligné, les syndicats sont très entendus dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, en tout cas ont une grande faculté à s'exprimer. Au moins, nous avons le sentiment d'avoir pu dire tout ce que nous avions à dire. Pour des policiers, c'est déjà beaucoup.
En outre, le Livre blanc faisait un plan large de l'institution « police nationale » et de la sécurité intérieure dans son ensemble. Le Beauvau de la Sécurité traduit plutôt une approche macroscopique, notamment à l'échelle des personnels.
Vous nous demandiez si un problème de calendrier ne se posait pas. Les occasions de dire ce que l'on pense, de formuler quelques propositions pragmatiques, ne manquent pas. Nous avons participé à plusieurs reprises à la commission Beaume Nattali. Nous y avons participé à plusieurs reprises et nos interlocuteurs semblaient pleinement adhérer tant aux constats que nous dressions qu'aux solutions que nous proposions. In fine, malheureusement, comme souvent, pour les policiers, il ne se passe rien. Pire encore, on aggrave leur situation. Oui, l'on pourrait considérer qu'il existe une maladresse dans le calendrier. Néanmoins, compte tenu de ce qu'il en sortira au bout, nous avons le sentiment que ce concours de circonstances ne sera pas tellement malheureux.
M. Philippe Bonnecarrère. - Ma deuxième question porte sur le contenu du texte dit de confiance dans l'institution judiciaire. Je ne reviens pas sur la question de la perquisition. J'aimerais connaître votre sentiment à propos des enquêtes préliminaires, qui seraient limitées à deux ans. Y a-t-il de nombreuses enquêtes préliminaires qui durent plus de deux ans ? Quels domaines concernent-elles ? Parlons-nous seulement du trafic de drogue ou du travail du Parquet national financier ?
Je considère que vous avez répondu sur les réductions de peine. J'aimerais que vous disiez un mot du rappel à la loi. Je crois que vos organisations ne sont pas de fervents soutiens du rappel à la loi, qui serait supprimé. Toute suppression d'une disposition conduit néanmoins à se demander par quoi, dès lors, elle serait remplacée. Le nombre de places de prison est limité. Dans le même temps, il faut assurer une forme d'effectivité de la sanction.
M. Yann Bastière. - En ce qui concerne l'enquête préliminaire, pour avoir été sollicités dans le cadre de la commission Mattéi mandatée par le Garde des Sceaux, nous avions déjà exprimé nos craintes quant à cette unification. Comme vient de le dire mon collègue, peut-être avons-nous été écoutés mais non entendus, puisque les dispositions les plus contraignantes ont finalement été retenues pour être intégrées dans le projet de loi.
Déjà, aujourd'hui, rares sont les dispositions du texte actuel (article 75 et suivants) qui peuvent être appliquées du fait de la masse de dossiers. Dans le contentieux financier, par exemple, certains dossiers ne sont pas suivis. Je sais très bien que deux ans, avec une réquisition, sur des dossiers, cela peut aller très vite. C'est la charge mentale qui va peser sur nos collègues enquêteurs qui m'inquiète particulièrement. Ils sont déjà submergés de dossiers et ne voient plus la lumière. Lorsqu'une pression se manifestera de la part du parquet, une charge mentale infernale pèsera sur eux, pour certaines infractions. Le fond du dossier, l'enquête, perdra tout son sens, au-delà d'une gestion du calendrier contrainte par ces nouveaux textes. Nous savons que des armoires entières, dans les commissariats de France, sont pleines de dossiers de 2015 ou 2016 qui n'ont pu être traités ou en attente de réquisitions. Pourquoi prendre des dispositions encore plus contraignantes ?
M. Léo Moreau. - Comme je l'avais rappelé tout à l'heure, nous avons des interrogations quant au devenir des procédures qui n'auront pu être orientées par un magistrat dans un délai de deux ans. Ceci concerne un certain nombre de procédures, y compris en commissariat. Nous l'avons déjà dit face à la commission Mattéi. On a l'impression qu'il suffirait d'imposer par la loi une durée limite pour que les policiers et magistrats, qui se tournaient les pouces, décident de traiter leurs dossiers plus rapidement. Vos aurez bien compris que la réalité est bien différente et que nos collègues, au sein des services d'investigation, sont débordés. Lorsque vous avez 200 ou 300 dossiers en portefeuille voire davantage, il faudra effectuer un recensement. Pendant ce temps, d'autres procédures continueront d'arriver.
Qu'en sera-t-il du collègue qui ne sera pas remplacé ? Qui reprendra la procédure pour la présenter à un magistrat avant l'expiration du délai de deux ans ? Nous avons l'impression que les dispositions du projet de loi, d'une façon générale, sont pensées pour quelques dossiers de grande délinquance financière. Le code de procédure pénale s'appliquant aussi aux affaires traitées dans les commissariats et au contentieux de masse, le texte risque d'avoir des conséquences assez importantes et préjudiciables. Aujourd'hui, si nos collègues ne traitent pas les enquêtes préliminaires, ce n'est évidemment pas par choix. La charge mentale est une réalité, car il y a aussi les victimes, qui appellent pour savoir où en est leur dossier. Lorsque nous contactons les magistrats, ceux-ci nous invitent à prioriser les dossiers, le « très très urgent » devant passer avant le très urgent et avant l'urgent. Nous faisons en fonction des moyens humains et matériels qui sont les nôtres. Malheureusement, il ne suffit pas de changer la loi pour faire évoluer la situation du jour au lendemain.
Nous avons également une interrogation à propos du rappel à la loi. Nous accueillons assez favorablement sa suppression, car il s'agit d'une modalité de classement sans suite. Néanmoins, près de 300 000 rappels à la loi sont prononcés chaque année. J'ai quelques doutes quant à la possibilité de l'institution judiciaire et de la nôtre à faire appliquer 300 000 amendes ou peines d'intérêt général par an. Certains magistrats nous disent qu'ils n'ont pas d'autre choix que de classer pour d'autres motifs, car le rappel à la loi était parfois utilisé pour des faits qu'ils jugeaient d'une importance relativement faible. Si c'est cela et si cette suppression n'aboutit pas à des sanctions effectives dans les dossiers concernés, nous ne serons pas satisfaits.
M. Stanislas Gaudon. - Le rappel à la loi est une alternative aux poursuites, qui fait partie des classements sans suite, dans les affaires non poursuivables. S'il s'agit de le remplacer par une autre alternative aux poursuites sans se poser la question de la gravité des faits, nous n'aurons pas répondu à la question. Si un rappel à la loi est décidé suite à une agression envers un policier, le décalage entre la peine encourue et la peine prononcée est énorme. Si vous le remplacez par des travaux d'intérêt général ou des jours-amendes, vous n'aurez pas appliqué la politique pénale de fermeté que les policiers attendent.
M. Philippe Bonnecarrère. - J'en viens à ma troisième question, relative à ce qu'il n'y a pas dans le texte de confiance dans l'institution judiciaire. Dans un exercice où interviennent les services de gendarmerie mais aussi la justice et la défense, qu'auriez-vous aimé trouver dans ce texte, pour la partie qui vous concerne ? Quels seraient les manques ?
Vous avez bien sûr évoqué les agressions et les drames dont peuvent être victimes les policiers. Le Garde des Sceaux vous dira que la durée de la période de sûreté a été allongée, en cas de meurtre de policiers. Je comprends très bien cet objectif. J'aurais sans doute davantage attendu des mesures tendant à faciliter les enquêtes. Je pense en particulier à toutes les procédures que vous pouvez mener dans les infractions dites en bande organisée. Vous pouvez utiliser, dans ce cadre, différentes techniques d'investigation qui ne peuvent être mobilisées autrement. J'aurais plutôt attendu des évolutions sur ce plan.
M. Pascal Jakowlew. - Le véritable souci, à nos yeux, concerne l'investigation, le contentieux de masse. Nous n'avons pas d'éléments de réponse. L'officier de police judiciaire n'a pas l'opportunité des poursuites. On a tout judiciarisé et nos procédures ont explosé.
Nous souhaiterions qu'un référent du parquet soit présent dans les services d'investigation et puisse faire le tri en amont. Cela nous permettrait de faire gagner un temps assez important sur le plan des procédures. Le code pénal demande de constater l'infraction et de présenter l'auteur à l'OPJ. De l'autre côté, la procédure pénale prévoit de ne pas réprimer ou d'apporter une réponse pénale qui ne suffit pas. Nous souhaiterions donc que le tri soit fait en amont et non a posteriori.
M. Philippe Bonnecarrère. - Il s'agirait de choisir les enquêtes si je comprends bien.
M. Pascal Jakowlew. - C'est cela, les prioriser et orienter l'enquête vers l'OPJ compétent en fonction du degré de l'infraction.
M. Léo Moreau. - D'une manière générale, il faudrait simplifier aussi, tant pour les magistrats que pour les enquêteurs, les comptes rendus obligatoires et les demandes d'autorisation de réquisition, notamment en enquête préliminaire. Énormément de temps est perdu du fait de l'obligation de rédiger des comptes rendus formels qui ne portent pas forcément sur le fond du dossier.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je termine avec le focus sur le volet « procédure pénale », qui est, nous l'avons bien senti au fil de vos interventions, le « coeur du réacteur », de ce qui pose problème. Vous avez d'ailleurs beaucoup insisté sur le fait que le malaise de la police française se concentrait beaucoup sur la police judiciaire. Du moins est-ce là que vous estimez qu'il existe des défauts manifestes de fonctionnement.
En matière de simplification de la procédure pénale, vous paraîtrait-il outrancier de vous demander malgré tout ce « tableau de chasse », pour reprendre l'expression qu'utilisait Alain Richard, et de vous demander de nous communiquer votre corbeille, votre stock ou simplement vos propositions de modification des dispositions de procédure pénale ? Je voudrais vous pousser un peu dans vos retranchements, pour nous permettre collectivement de mesurer ce qui relève du domaine législatif et du domaine réglementaire.
Les sénateurs vivent ancrés dans les territoires. Je discutais récemment avec le DDSP de ma circonscription. Les difficultés qu'il évoque, en matière de procédure pénale, sont systématiquement des problèmes de nature réglementaire. Pour notifier ses droits à un étranger, par exemple, il serait tout de même plus simple de pouvoir afficher sur l'écran de l'ordinateur, dans telle langue, les éléments à exposer à la personne, afin de ne pas être obligé de réquisitionner un traducteur. De même, pour les écoutes, il serait mieux d'annexer la clé USB à l'enquête sans reprendre tous les éléments. Je pourrais multiplier les exemples. J'entends des choses pertinentes mais elles me paraissent toutes relever du niveau réglementaire. C'est un peu la limite de l'exercice pour le Parlement. Nous pouvons être un outil d'influence, avoir une fonction de porte-parole mais notre terrain d'action est le législatif et non le réglementaire.
Je vous renouvelle donc ma demande de communication de vos propositions, afin de nous permettre de bien mesurer vos attentes législatives et vos attentes de nature réglementaires - à charge pour nous de trouver le point de levier dans la discussion avec le Garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur, afin de ne pas nous désintéresser de ce qui relève du réglementaire.
M. François-Noël Buffet, président. - La commission vous enverra par mail cette demande, de sorte que vous puissiez nous répondre dans un délai correct - si possible dans le courant du mois de juillet. Cela nous permettra d'expertiser avant la période du mois de septembre.
Je voudrais terminer en m'assurant d'avoir bien compris votre propos. Il y a un aspect prégnant qui a trait à la gestion des ressources humaines et aux moyens matériels, qui est prégnant. Il y a un aspect lié à la procédure pénale, au sens strict, avec un objectif d'allègement, en tout cas de simplification, du fait de la complexité actuelle de la procédure.
Une question a trait au quantum de la peine, pour les infractions commises à l'encontre de policiers et de toute personne ayant autorité publique (élus, pompiers, etc.). Nous percevons une volonté d'augmenter la peine encourue pour ce type d'infraction, indépendamment du prononcé de la peine, qui constitue une demande distincte dans vos propos. Une question porte enfin sur l'exécution de la peine, dont vous souhaitez qu'elle soit rapide.
Le problème statistique me paraît par ailleurs essentiel.
Ce résumé extrêmement simple traduit-il votre pensée, à vous toutes et à vous tous ?
M. Frédéric Lagache. - Vous avez oublié un point essentiel, monsieur le président, même si ce n'est pas un oubli à mon avis. C'est la nécessité absolue de protection des forces de l'ordre de ce pays, car si aujourd'hui l'on peut s'attaquer à un policier, il est plus facile de s'attaquer à un citoyen, d'où l'augmentation de la délinquance que nous constatons, à travers les coups et violences volontaires. Ce qui vaut pour les citoyens vaut pour les policiers et pour les élus. Nous le constatons tous les jours. Il est essentiel de trouver une solution à cette problématique et de protéger les forces de l'ordre de ce pays. Nous l'avions proposé à travers l'observatoire de la réponse pénale. Celui-ci aurait eu pour rôle de dresser un constat mais nous connaissons le constat. Vous le connaissez également. Il va falloir maintenant y apporter des réponses.
Très récemment, le chef de l'État a été injustement agressé. La réponse a été forte puisqu'un mandat de dépôt a été prononcé. La sanction est légitime. Trouvez-moi un exemple dans lequel un policier a été giflé et où l'agresseur a fait l'objet d'un mandat de dépôt. Cela n'existe pas. L'auteur a également été privé de ses droits civiques et ne peut se présenter aux concours de la fonction publique. Cette réponse est légitime, car on n'agresse pas un président de la République. Mais on n'agresse pas non plus un policier.
Quand les magistrats le veulent, ils peuvent prendre des sanctions fortes. Les forces de l'ordre représentent aussi la République. C'était un point essentiel de notre manifestation, en écho à l'actualité, qui n'est malheureusement pas nouvelle. Je rappelle que notre revendication commune visait la mise en place d'une peine minimale pour les auteurs d'agressions contre des policiers.
M. François-Noël Buffet, président. - Peut-être me suis-je mal exprimé. Lorsque j'ai dit que vous vouliez revoir le quantum des peines, c'est bien cet aspect-là que j'évoquais. Lorsque j'ai dit qu'il faut une réponse pénale qui soit à la hauteur, c'est également cet aspect-là que j'aborde. Les choses sont parfaitement claires et nous sommes parfaitement conscients de la situation.
M. Jérôme Moisant. - Globalement, vous avez fait un résumé assez complet de ce qui a pu être dit et de ce qui est attendu. Nous tenons beaucoup à la protection des policiers victimes. Cela passe par la protection fonctionnelle. Celle-ci est d'ailleurs souvent contestée de manière unilatérale par notre administration.
La protection fonctionnelle constitue un ensemble. Quelques fois, c'est simplement une épaule. Récemment, lorsque nos collègues de Viry-Châtillon sont allés en cour d'assises d'appel, pas un seul responsable de leur administration n'était à leurs côtés, alors qu'à l'époque du drame, ils étaient tous face caméra, ou dans les services, à se montrer solidaires et blessés par ce qu'il s'était passé. Ce sont des choses qui marquent nos collègues et qui ne peuvent plus perdurer.
En outre, nos collègues mis en cause ne bénéficient pas toujours, semble-t-il, de la même présomption d'innocence que tout un chacun. Ils sont souvent lâchés par l'Institution. Leur mise en cause impacte généralement leur vie professionnelle, leur vie sociale et leur vie personnelle. Nous souhaitons que nos collègues ne soient pas maltraités par l'Institution tant qu'ils ne sont pas jugés.
M. Léo Moreau. - Il ne faut pas oublier un certain nombre de sujets traités dans le cadre du Beauvau de la Sécurité. Je pense à la formation et à l'encadrement, qui demeurent des sujets importants. Dans la gendarmerie nationale, il y a un seul corps de cadres. Dans la police, il y en a deux. Nous estimons qu'il faudrait les unifier pour aboutir à un système dans lequel, comme dans la gendarmerie, on commence lieutenant en commandant une unité sur le terrain, pour parvenir ensuite aux plus hautes responsabilités. C'est une position que nous défendons de longue date vis-à-vis du ministère de l'Intérieur et peut-être le Beauvau de la Sécurité sera-t-il l'occasion de faire avancer ce dossier.
Quant à la formation, le président de la République a annoncé récemment, lors d'un déploiement à Montpellier, la création d'une école de guerre pour la police nationale. Nous attendons d'en savoir un peu plus et de mieux connaître les contours de ce futur établissement. S'il permet de bénéficier d'un plus grand nombre de formations partagées entre les différents corps, notamment, ce sera un dispositif intéressant. Nous y serons évidemment attentifs, car c'est aussi un point primordial pour préparer nos futurs collègues à leurs missions.
M. François-Noël Buffet, président. - Il ne me reste qu'à vous remercier de votre disponibilité. Les rapporteurs du texte « confiance dans la justice » auront l'occasion de revenir vers vous. Nous vous adresserons une note confirmant notre souhait de recevoir vos propositions, notamment en matière de procédure pénale. En toute hypothèse, nous aurons l'occasion de reprendre contact. Merci à vous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 35.
La réunion, suspendue à 16 heures, est reprise à 17 h 35.
Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales
M. François-Noël Buffet, président. - Nous auditionnons aujourd'hui Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 4D » ou « 3DS », que nous examinerons en commission le 30 juin, et à partir du 7 juillet en séance.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Le projet de loi relatif à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui, est le fruit d'un travail collectif riche, qui a impliqué une large partie des membres du Gouvernement : près de vingt ministres et secrétaires d'État, sous la conduite du Premier ministre, ont participé à son élaboration.
Il est né de quatre constats posés à l'occasion du Grand Débat national : une attente très forte de nos concitoyens à l'égard de notre politique de renforcement de l'action publique de proximité ; une aspiration tout aussi importante à une meilleure prise en compte des particularités locales et à une organisation territoriale des politiques publiques moins uniforme et moins rigide ; une volonté des acteurs locaux d'être confortés et soutenus dans l'exercice de leurs missions ; et une forme de fatigue des élus comme des citoyens à l'égard des réformes institutionnelles, après vingt ans d'évolutions incessantes.
À la demande du Président de la République, nous nous sommes donc fixé pour objectif de bâtir un « acte de décentralisation adapté à chaque territoire », résolument tourné vers l'action publique, et non vers une énième redistribution générale des compétences.
Ce projet a été patiemment construit depuis près de dix-huit mois, dans la concertation, malgré la crise sanitaire, avec l'ensemble des échelons de collectivités et dans l'ensemble des régions du territoire, notamment dans les outre-mer - cela se traduit par un titre entier, que Sébastien Lecornu défendra avec moi dans l'hémicycle, consacré aux spécificités de ces territoires. Le projet de loi a également intégré les attentes nouvelles qui ont été exprimées par les citoyens et les élus à l'occasion de la crise de la covid-19, notamment en matière de sanitaire.
Il répond donc aux attentes pragmatiques, concrètes et utiles formulées dans les territoires, et constitue une marque de respect, d'écoute et de compréhension à l'égard des élus locaux.
Il marque un tournant dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales : si l'État fixe un cadre et fournit une boîte à outils concrète, il appartient aux collectivités locales et à leurs élus de saisir l'opportunité qui leur est offerte pour exprimer leurs singularités et leurs projets.
Le projet de loi traite en effet de la quasi-totalité du champ de l'action publique locale, en se concentrant sur les grands défis auxquels les décideurs locaux font face : je pense en particulier à la transition écologique, aux mobilités, à l'urbanisme, au logement, à la santé, à la cohésion sociale et à l'éducation.
Les quatre « D » de l'intitulé du projet de loi en résument les objectifs.
Tout d'abord, la « différenciation » territoriale, pour s'adapter aux réalités locales. Elle se traduit, par exemple, par une extension du pouvoir réglementaire local, des mesures adaptées aux enjeux transfrontaliers, ou encore l'expérimentation d'un financement différencié du revenu de solidarité active (RSA) en métropole, envisagé depuis longtemps et que la différenciation permet enfin de réaliser.
La « décentralisation » ensuite, pour conforter les compétences des collectivités territoriales dans les domaines, que j'ai déjà cités, de la mobilité, du logement, de l'insertion, de la transition écologique ou de la santé. À titre d'illustration, les départements et les métropoles pourront se voir transférer une partie du réseau routier national non concédé sur leur territoire afin de parachever le mouvement de décentralisation des routes aux départements et métropoles. Les objectifs de production de logement social définis par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et applicables aux communes seront pérennisés, tout en prenant davantage en compte les réalités locales. Le travail mené en commun avec Emmanuelle Wargon, qui défendra le texte avec moi sur ce volet, a permis d'aboutir à une proposition équilibrée qui recueille l'assentiment des élus locaux.
La « déconcentration », troisième élément, pour rapprocher l'État du terrain, dans une logique d'appui et de contractualisation avec les collectivités territoriales. Par exemple, le Gouvernement souhaite faciliter le recours par les collectivités aux capacités d'appui en ingénierie du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), établissement public de l'État. La parole de l'État sur le terrain sera réunifiée en faisant du préfet de région le délégué territorial de l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Enfin, la « décomplexification » de l'action publique locale est le dernier volet que je porterai avec Amélie de Montchalin, et qui a été considérablement renforcé au cours des derniers mois à la demande du Premier ministre.
J'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec le Président du Sénat, le président de la commission des lois et les deux rapporteurs de votre commission, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud. J'ai également eu un entretien avec Dominique Estrosi Sassonne et Valérie Létard dans le cadre du rapport d'information qu'elles ont rédigé sur l'évaluation de la loi SRU. Je crois ne pas me tromper en affirmant que nous sommes tous dans un état d'esprit constructif et que nous voulons voir ce texte aboutir. D'ores et déjà, vous avez dû retrouver une partie des propositions que le Sénat avait formulées dans le rapport intitulé 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales.
Je crois que l'examen dans lequel nous nous engageons nous permettra d'aller encore plus loin puisque plusieurs mesures pourront rejoindre le texte initial sans difficulté, d'autres demanderont quelques ajustements pour trouver un point d'équilibre. Évidemment, nous avons aussi quelques lignes rouges sur lesquelles je suis certaine que nous allons revenir au fil de notre échange.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - La déconcentration constitue l'un des piliers de ce texte. Elle va de pair, selon nous, avec la décentralisation. À l'été dernier, le Sénat et son Président avaient insisté, dans le cadre des 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales, sur la nécessaire complémentarité entre les préfets de département et les maires. Si l'on peut regretter un manque général de souffle dans ce texte, il tient tout particulièrement à la timidité des mesures en matière de déconcentration. Ainsi, le rôle des préfets de région sera renforcé dans l'attribution des subventions des agences de l'eau, alors que les comités de bassin dépassent le périmètre des régions - nous aurions donc préféré privilégier les préfets de département. Nous aurions aussi aimé que le préfet de département soit le délégué territorial de l'Office français de la biodiversité (OFB), sur le modèle de ce qui est proposé dans le projet de loi pour la gouvernance territoriale de l'Ademe. De même, il aurait été judicieux de préciser davantage le rôle des sous-préfets, qui ont l'agilité nécessaire pour être à l'écoute des territoires, comme en témoigne leur rôle fondamental dans la mise en oeuvre du plan de relance.
Autre point crucial, le transfert expérimental des routes aux régions. Nous considérons qu'il est nécessaire d'augmenter la durée de l'expérimentation : cinq ans, cela semble trop court au regard des enjeux qu'un tel transfert représente et pour évaluer les besoins et les transferts de personnels requis. Nombre d'élus y voient un écueil majeur. De même, les mesures de simplifications semblent disparates, sectorielles et de portée inégale. Nous essaierons de leur donner plus de cohérence et de souffle.
Enfin, la question de l'eau et de l'assainissement, à laquelle nous sommes très attachés, vous le savez. L'eau ne relève pas, selon nous, du champ intercommunal. La preuve en est que les communes qui souhaitaient transférer cette compétence à l'intercommunalité pouvaient le faire avant la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) : peu l'ont fait ! Cette compétence est singulière et nous devons revoir les modalités de transfert, pour privilégier les syndicats aux intercommunalités. Nous avons toujours essayé d'avancer avec le Gouvernement, mais nous sommes face à un blocage. Les subdélégations semblent, en pratique, difficiles à mettre en oeuvre. Il est rare que le Sénat insiste de manière récurrente sur un point, mais nous écoutons les remontées des territoires.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Le Sénat accueille ce texte avec bienveillance et exigence. Nous espérons que les discussions seront fructueuses. Néanmoins, nous poussons déjà ce texte vers la lettre « E », car nous visons avant tout l'efficacité de l'action publique !
S'agissant du principe de différenciation, qui fait l'objet de l'article 1er, le Sénat ne vise pas à « détricoter » la République : la Constitution et la jurisprudence reconnaissent clairement, en effet, que la différenciation est utile pour parvenir à l'égalité. Comme pour la compétence « eau », n'y voyez pas là un « marronnier » du Sénat. Simplement, la crise sanitaire a montré la nécessaire complémentarité entre l'État et les collectivités territoriales, et l'exigence de réactivité. L'État peut avoir confiance dans les collectivités qui ne manquent jamais à leur devoir. Malheureusement, l'article 1er n'apporte rien de nouveau. Il se borne pour l'essentiel à la répétition du principe de différenciation tel qu'il est aujourd'hui admis par la jurisprudence constitutionnelle, et se trouve donc concrètement dépourvu de portée normative.
De même, à l'article 2 sur le pouvoir réglementaire local, il devrait être possible d'aller plus loin pour plus d'efficacité. Je note d'ailleurs que pendant la crise sanitaire, beaucoup de maires de petites communes ont été contraint de s'octroyer un pouvoir réglementaire local, faute d'autres solutions.
Les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) sont ce que j'appelle des « parloirs », simples lieux de dialogue entre collectivités. La plupart ne fonctionnent pas très bien et certains s'interrogent sur leur intérêt. Or, avec ce texte, elles deviendraient un lieu de décision, permettant de définir les transferts de compétence tous les six ans, après les élections, au risque d'entraver la liberté des territoires. J'y suis défavorable.
Il faut aussi plus d'audace sur la médecine scolaire et la prévention. La qualité de l'action des départements dans des domaines connexes, relatifs à la protection de l'enfance, est reconnue. Toutefois, il faudrait clarifier ses compétences en la matière. Les instituts départementaux de l'enfance et de la famille sont ainsi financés par le département, mais le président du conseil départemental n'a aucune autorité sur le personnel et n'en choisit pas le directeur ; c'est pourtant lui qui assure le financement de ces personnels. Je ne suis pas sûre que ce système fonctionne vraiment bien. Il nous paraîtrait souhaitable, par souci de cohérence, d'élargir le détachement dans la fonction publique territoriale qui est proposé, par le texte, aux directeurs adjoints, afin que le directeur ne soit pas le seul à être placé sous l'autorité du département. Quant à la médecine scolaire, Madame la ministre, vous connaissez notre position : au regard de l'état actuel de sa gestion, de sa situation financière qui confine à l'indigence, son transfert aux départements aurait dû perdurer au sein du texte...
J'en viens à l'assouplissement du fonctionnement des intercommunalités, thème qui m'est cher, vous le savez. Je souhaite une intercommunalité heureuse. L'Assemblée des communautés de France (AdCF) a beaucoup évolué sur ce sujet. Elle reconnaît l'obligation de performance et d'efficacité, et le niveau de l'intercommunalité n'est pas toujours le plus adapté : est-ce le rôle de la métropole de réparer les nids-de-poule sur les routes ? On a plutôt besoin d'une intervention de proximité. L'action des métropoles mériterait d'être réinterrogée. La Cour des comptes s'étonne du nombre de délégations de gestion dans les métropoles et les intercommunalités. Cela montre que les communes et les intercommunalités ont trouvé des solutions originales pour s'adapter à des transferts autoritaires décidés d'en haut. Cela vaut aussi pour les centres intercommunaux d'action sociale.
Je constate par ailleurs que l'autorité judiciaire comme la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) retiennent trop souvent une acception par trop large de la qualification de prise illégale d'intérêt, parfois jusqu'à l'absurde... Bien sûr, il faut être vigilant sur ce point, et il ne s'agit en aucun cas d'exonérer les élus d'obligations légitimes relatives à l'exercice de leur mandat ; mais en considérant que les élus locaux qui représentent la commune au sein des conseils d'administration des sociétés d'économie mixte (SEM) ou d'une société publique locale (SPL) commettent un délit de prise illégale d'intérêts s'ils ne se déportent pas, on va très loin, et l'on risque de ne plus trouver de candidats pour exercer les mandats locaux. Il importe donc d'agir sur ce point et de prévoir au besoin une dérogation en faveur des élus qui représentent leur collectivité au sein d'une SEM ou d'une SPL. Où en êtes-vous dans vos réflexions sur ce point ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Sur le titre III relatif à l'urbanisme et au logement, je voudrais vous poser trois questions sur la réforme de la loi SRU.
Le projet de loi ouvre la possibilité d'un rattrapage différencié pour chaque commune déficitaire en logements sociaux au travers d'un contrat de mixité sociale (CMS) signé avec le préfet et l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre auquel appartient la commune. Pourrait-on aller plus loin dans la différenciation et la déconcentration en donnant plus de marge de manoeuvre aux acteurs locaux, notamment sur le rythme de rattrapage et ses conséquences ? Pour être simple, peut-on muscler le contrat de mixité sociale pour faire du couple maire-préfet l'élément central de l'application de la loi SRU ?
Le 29 janvier dernier à Grigny, le Premier ministre a déclaré qu'il était très favorable à une vision intercommunale de l'application de la loi SRU. Comment la réflexion du Gouvernement a-t-elle évolué sur ce sujet ? Pourra-t-on mettre en place une expérimentation en la matière ?
Dans ce même discours de Grigny, le Premier ministre s'est également prononcé en faveur d'une limitation des logements très sociaux dans les communes comptant déjà plus de 40 % de logements sociaux, pour garantir la mixité sociale. Seriez-vous favorable à l'inscription dans la loi de ce principe d'une « loi SRU à l'envers » ou cela doit-il rester du niveau de simples consignes aux préfets ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - M. Darnaud a parlé de déconcentration : nous sommes d'accord pour renforcer le rôle des préfets de département, ce qui ne veut pas dire que nous allons pour autant supprimer les préfets de région...
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Personne n'en demande autant !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Pourtant, certains le souhaitent ! J'avais déjà obtenu, non sans difficulté, que le préfet de département devienne le délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Ce texte prévoit que le préfet de région sera le délégué territorial de l'Ademe. C'est une avancée, même si je connais votre attachement au renforcement du rôle au préfet de département. Le préfet de région pourra ainsi conclure des conventions avec les collectivités au nom de l'Ademe et participer à l'évaluation de cette politique, en lien avec les préfets de département. Vous réclamiez plus de « souffle » ; si je peux me permettre, je ne crois pas en avoir manqué pour obtenir de telles décisions !
Le texte confie aussi aux préfets coordonnateurs de bassin la présidence du conseil d'administration des agences de l'eau, et renforce leur rôle dans l'élaboration du programme pluriannuel d'intervention de chaque agence. Là encore, en renforçant les prérogatives du préfet de région, on renforce indirectement le rôle des préfets de département. Quant à l'OFB, il nous a semblé qu'il s'agissait d'un organisme de création trop récente pour être déjà modifié, mais sur le fond, je suis d'accord avec vous sur le nécessaire renforcement du rôle des préfets de département.
En ce qui concerne le transfert des routes, je suis ouverte à la discussion sur la durée de l'expérimentation. Nous avons retenu une durée de cinq ans, car c'est la durée habituelle pour des expérimentations, mais la discussion reste ouverte sur ce point.
Vous avez raison de souligner que le texte comporte de nombreuses mesures de simplification, de portée inégale. Mais le diable se cache souvent dans les détails, et de petites choses peuvent s'avérer très précieuses pour le fonctionnement des collectivités territoriales. Nous sommes évidemment ouverts à toutes vos propositions. Je suis persuadée que l'examen du texte dans le détail montrera que de nombreuses mesures sont intéressantes.
J'ai beaucoup travaillé, depuis que je suis ministre, sur la question de l'eau et de l'assainissement ; et j'avais déjà beaucoup travaillé sur ce sujet en tant que sénatrice...
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - C'était bien alors !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Certes, mais il ne faut pas se tromper de débat ! La loi dite « Engagement et proximité » de décembre 2019 a déjà traité cette question. Vous avez raison, l'intercommunalité n'est pas toujours le meilleur niveau. Un syndicat est parfois plus adapté à la dimension d'un bassin versant. Nous avons déjà réduit de trois à deux le nombre d'intercommunalités nécessaires pour créer un syndicat. Mais si l'on rouvre le dossier de l'eau, certains voudront rétablir la compétence des communes. Or, ce n'est pas possible à mes yeux ! Même si j'ai conscience que la question de l'articulation entre bassins versants et intercommunalités peut se poser dans certains territoires.
Françoise Gatel a évoqué des articles « qui n'apportent rien ». L'article 1er me semble au contraire fort utile, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel est, s'agissant du principe de différenciation, méconnue. Il s'agit de permettre la reconnaissance, au sein des règles applicables aux collectivités territoriales et dans le respect du principe d'égalité - c'est important -, davantage de marges de manoeuvre pour exercer leurs compétences. La différenciation doit ainsi conduire à apporter des assouplissements à l'uniformité des règles d'attribution et d'exercice des compétences au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales.
En ce qui concerne le pouvoir réglementaire des élus locaux, l'article 2 est conçu comme une accroche législative, vouée à être enrichie, pour renforcer ce pouvoir dans les champs des compétences des collectivités territoriales. Le Sénat a fait des propositions que nous étudions. Nous avons aussi missionné l'inspection générale de l'administration sur cette question. Nous sommes prêts à travailler sur ce sujet pour élargir le pouvoir réglementaire des élus, dans le respect de leurs compétences.
Les CTAP, qui ont été créées par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), ne fonctionnent pas toujours très bien, sauf peut-être en Bretagne. C'est une grand-messe annuelle, quand elle se réunit... Il fallait donc opérer des changements. Mais il est important que les collectivités, de tous niveaux, puissent disposer d'un lieu où se réunir et discuter entre elles de l'articulation des politiques publiques, de manière horizontale. Je suis parfois surprise de constater que, dans certaines régions, le président du conseil régional ne parle pas avec les présidents des conseils départementaux... Le Gouvernement veut renforcer le rôle des CTAP, sans remettre en cause leurs équilibres, pour que les élus puissent mieux s'approprier cet outil et discuter de délégations de compétences centrées sur la réalisation de projets concrets, afin que les collectivités puissent s'entraider. C'est l'objet de l'article 3, mais nous pouvons sans doute travailler ensemble à clarifier sa rédaction.
Des mesures de souplesse dans les EPCI sont déjà possibles, mais cette faculté n'est ni bien connue ni utilisée. Le cadre actuel autorise ainsi déjà de nombreuses adaptations : un EPCI peut partager un service commun avec une ou plusieurs communes ; les EPCI peuvent réaliser des prestations de services pour les communes membres, et inversement ; le président d'un EPCI peut déléguer l'exercice de certaines de ses compétences à des conseillers communautaires, même de manière territorialisée. Rouvrir ce dossier pourrait nous entraîner loin. La loi « Engagement et proximité » a prévu une conférence des maires ; c'était déjà un premier pas important.
Nous travaillons avec la HATVP sur la question des conflits d'intérêts. Elle met en avant un problème de cohérence avec le code pénal. Nous partageons votre analyse sur le fond, mais il reste à déterminer le texte qui pourrait porter les dispositions que vous évoquez.
Le transfert de la médecine scolaire aux départements, déjà compétents pour la petite enfance, figurait dans le texte initial. Il y a eu beaucoup de réflexions. Seuls 18 % des élèves ont bénéficié de la visite médicale de rentrée en classe de sixième. Néanmoins, en raison de la crise sanitaire, il a été décidé que ce n'était pas le moment de changer l'organisation du système de santé...
J'en viens au logement. Les contrats de mixité sociale permettront un rattrapage différencié selon la situation locale. Le taux de rattrapage du déficit pourra être ramené de 33 % à 25 %...
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Cela reste trop élevé !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il est important de souligner que les CMS seront déconcentrés : ce sont les avis des préfets ainsi que d'autres avis locaux qui compteront, et non les décisions d'une commission nationale. L'article 18 évoque un examen conjoint des difficultés entre le maire et le préfet, cela donne beaucoup de marge de manoeuvre pour gérer ces contrats. Nous voulons faire de ce dispositif un levier de différenciation en matière de construction de logement social, afin de pouvoir régler localement ces questions ; c'est une grande avancée par rapport à loi SRU.
Les intercommunalités ont déjà des compétences en matière de logement. Il existera deux dispositifs pour mutualiser les rattrapages : les programmes locaux de l'habitat (PLH) et le dispositif qui avait été adopté à l'initiative de Marc-Philippe Daubresse. Nous sommes ouverts pour améliorer ces mécanismes, mais n'avons pas reçu de propositions de la part des associations d'élus. Beaucoup s'inquiètent du rôle que pourrait jouer l'intercommunalité. Certains voient dans ces mécanismes une modalité de souplesse, d'autres une forme de contrainte. Il ne faudrait pas toutefois faire une loi SRU « à l'envers » en faisant porter toutes les obligations sur les communes qui ont déjà beaucoup de logements sociaux. Une circulaire est parue, afin de ne plus délivrer d'agréments dans les communes qui comptent déjà 40 % de logements sociaux. Parfois, ces communes demandent à construire des logements sociaux intermédiaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - C'est une manière de favoriser la diversité sociale. Au lieu de construire des logements financés par le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) ou par le prêt locatif à usage social (PLUS), on peut en effet chercher à réaliser des logements financés par le prêt locatif social (PLS) ou par le prêt locatif intermédiaire (PLI).
Mme Cécile Cukierman. - Si les élus locaux disent ne pas vouloir de nouvelle grande réforme, mais plutôt une « pause institutionnelle », il ne faut pas pour autant oublier de travailler au renforcement des libertés locales et à l'amélioration de la capacité des élus locaux à répondre aux besoins de leurs populations. Finalement, en cette fin de mandat, cette loi apparaît encore hésitante. J'ai eu beau relire les nombreux articles de ce texte, je cherche encore comment celui-ci pourrait constituer un « nouvel acte » de décentralisation, qui permettrait à nos concitoyennes et concitoyens de s'approprier la chose publique et aux élus de construire dans la proximité.
La déconcentration est évidemment le pendant nécessaire d'une véritable décentralisation, et elle ne peut se résumer au simple renforcement du pouvoir des préfets, fussent-ils départementaux. On observe aujourd'hui une désertification de l'État dans nos départements : les restructurations dans les directions départementales des finances publiques (DDFiP) fragilisent l'accompagnement dans la technique et l'ingénierie financière des élus ; la capacité de réponse des nouvelles directions départementales des territoires (DDT) est affaiblie ; et l'ANCT ne peut à elle seule répondre à ce recul de la présence de l'État. Il faut donc un État « fort » dans les départements, accompagnateur de l'exercice démocratique.
La simplification doit se réaliser dans le cadre de l'égalité. La première des simplifications serait de rétablir la clause de compétence générale pour le département et la région, dont on a vu au travers des crises successives qu'elle leur manquait cruellement. Il faut également simplifier en revenant sur ces mesures calendaires qui empêchent le bon déploiement du service public de l'eau.
Sur les CTAP, la meilleure simplification serait tout simplement de les supprimer : instaurées pour répondre aux besoins de ceux qui défendaient la métropolisation, elles visaient à rassurer ceux qui étaient inquiets de la disparition des autres territoires. Force est de constater que cela n'a pas marché. À la veille des élections départementales et régionales, pour lesquelles on attend un fort taux d'abstention, il nous appartient collectivement de tirer les conséquences des lois successives qui ont corseté les libertés locales.
M. André Reichardt. - L'article 1er de ce projet de loi n'a pas de portée normative et ne va pas assez loin en matière de différenciation. Dans la mesure où le texte prévoit d'achever le transfert de certains blocs de compétences et de clarifier la répartition de ces dernières, pourquoi ne pas profiter de cet article pour compléter la différenciation de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) ? Par exemple, la CEA a des compétences sociales. Pourquoi ne pas lui avoir permis d'être compétente en matière d'économie et de commerce de proximité, pour en faire ainsi un bloc cohérent ?
Selon l'article 3, la CTAP a l'obligation, sous l'autorité du président de région, de « mettre au débat » le principe de délégation de compétence d'une collectivité territoriale à une autre. Une résolution peut ensuite être adoptée par la majorité, et le cas échéant, les collectivités intéressées peuvent procéder aux délégations de compétences concernées. Mais les collectivités territoriales n'étant pas liées par cette résolution, à quoi va servir cette procédure ? De plus, la loi prévoit déjà le principe et les procédures des délégations de compétences. Au fond, le problème ne réside pas tant dans la possibilité de mettre en oeuvre une délégation, mais dans la volonté de la collectivité délégante de le faire, ce qui n'est pas le cas de la région Grand Est.
Si l'article 2 prévoit certes une légère extension du pouvoir réglementaire en Alsace-Moselle, en revanche, le droit local n'évolue pas. N'y aurait-il pas lieu de le faire progresser, et ce de deux façons : en renforçant le rôle de la commission du droit local, et en transférant à la CEA et au département de la Moselle des compétences qui relèvent du pouvoir réglementaire ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Je regrette que les lois en vigueur renforcent les possibilités de délégations de compétences entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Cela introduit une certaine confusion, d'autant que de plus en plus d'instances réclament de plus en plus de compétences. Pensez-vous que la confusion des pouvoirs est inéluctable, ou restez-vous attachée au postulat de départ de la décentralisation : que chaque niveau de collectivité soit responsable d'un niveau de compétences ? Cette question se pose aussi dans le cadre du rôle de l'État, dont il est précieux d'avoir une définition claire.
La démocratie est un sujet très présent. Certaines petites communes élisent leurs représentants au suffrage universel direct, alors que ce n'est pas le cas pour des collectivités comptant plus de 1 million d'habitants. Le système des communautés de communes me paraît bien fonctionner de cette façon, du fait de la proximité avec les communes. En revanche, ne serait-il pas pertinent d'instaurer un suffrage universel dans les métropoles, comme dans le cas lyonnais ? Concomitamment au suffrage universel direct, la métropole de Lyon s'est par ailleurs dotée des pouvoirs du département sur son territoire. Dès lors que la métropole endosse les prérogatives du département, elle devient une collectivité locale, d'où le vote au suffrage universel. Mais certains sont partisans de généraliser le système lyonnais aux métropoles. Je sais que ce sujet n'entre pas dans le cadre du projet de loi, toutefois il finira par apparaître dans les discussions. Quelle est votre philosophie sur ce point ?
M. Stéphane Le Rudulier. - La métropole à statut particulier d'Aix-Marseille-Provence intègre dans son périmètre des compétences dites « de proximité », comme l'extension des cimetières communaux, les bornes incendie, ou encore les voies de défense des forêts contre l'incendie (DFCI). Or, dans les mois qui ont suivi la création de la métropole, nous nous sommes aperçus que ces compétences ne pouvaient pas être exercées à cette échelle, c'est pourquoi 208 conventions de gestion ont été conclues entre la métropole et les 92 communes qui la composent. Mais nous arrivons aujourd'hui à un point de blocage, puisque le préfet de région a, à juste titre, émis un recours gracieux sur ces conventions de gestion, dont il a apprécié avec justesse le caractère illégal. Or, la métropole n'est pas en mesure de reprendre ces compétences en gestion. C'est pourquoi il faut remettre sur la table ce débat sur les métropoles, entre les compétences stratégiques et les compétences dites « de proximité » qui ne fonctionnent pas sur ce périmètre. Derrière cette question, c'est l'organisation de la métropole qui est en jeu, y compris ses liens avec les services déconcentrés. Le périmètre de la métropole fait lui aussi l'objet de plusieurs interrogations, avec éventuellement une réflexion sur son élargissement à l'échelle du département.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La décentralisation est bien présente dans ce projet de loi, par exemple en matière de mobilités, ou encore dans le domaine de la transition écologique. Toutefois, j'assume entièrement le fait que ce texte ne soit pas une grande loi de décentralisation. Premièrement, celle-ci se heurte au « mur » des compétences régaliennes de l'État. Deuxièmement, il y a aujourd'hui deux grandes lois de décentralisation, et nous sommes déjà dans une République décentralisée, comme la Constitution le prévoit. Troisièmement, j'ai rencontré plus de 2 000 élus et je n'ai pas senti d'appétence particulière pour une décentralisation forte, sauf peut-être dans certains domaines, à l'image de la médecine scolaire. Cela nous amène donc à relativiser la demande des élus sur ce sujet. Quatrièmement, le grand marqueur de notre loi est la différenciation. Dans ce cadre, l'exemple des CMS permet de facto de mettre en oeuvre la décentralisation et la déconcentration par le transfert des décisions du niveau national au local. Nous avons donc réalisé un travail assez fin pour que ce texte soit un équilibre entre différenciation, décentralisation et déconcentration.
Je le dis haut et fort, je ne suis pas favorable au retour de la clause de compétence générale pour les régions et les départements. Il est apparu clairement dans les auditions que les élus et les associations d'élus ne souhaitaient pas revenir sur la clarification apportée par la loi NOTRe.
La CEA commence seulement à être mise en place, et le nouvel exécutif sera bientôt élu. Il faut laisser à cette nouvelle collectivité le temps de s'installer et de s'approprier ses compétences ainsi que sa gouvernance. Il serait inapproprié de revenir sur ce que l'on vient de mettre en place. Rappelons également que la CEA a été créée à cadre constitutionnel constant, appliquant les possibilités offertes par le principe de la différenciation. De plus, l'article 3 est inspiré de l'exemple alsacien, puisqu'il permet une délégation de compétence par projet, tout en respectant le principe de non-tutelle d'une collectivité sur l'autre, au sein d'une CTAP. Enfin, la CEA, comme toute autre collectivité, ne peut pas se voir transférer de compétences régaliennes comme législatives. Les élus locaux ne l'ont par ailleurs pas demandé !
L'élection au suffrage universel des métropoles, qui concerne aujourd'hui la métropole de Lyon, est un sujet qui fera partie du débat politique au cours des prochaines réformes institutionnelles. La question de la réforme des métropoles mérite également d'être posée pour Paris et Marseille. Mais si l'on ouvre ce débat, où s'arrêter ensuite ? Faut-il inclure les communautés urbaines, les communautés d'agglomération et les communautés de communes ? En tout état de cause, la présente loi ne me semble pas devoir traiter ce sujet.
Il est clair que le système de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ne fonctionne pas bien, c'est pourquoi l'article 56 de notre texte pose la question de la répartition des compétences entre la métropole et les conseils de territoire. Selon moi, les 208 délégations que vous évoquez démontrent un véritable dysfonctionnement. La métropole a du sens pour porter des projets structurants, et notre article ouvre la discussion pour trouver un équilibre entre la proximité à redonner aux communes et les sujets stratégiques. La situation exige la prévision d'un débat à mi-mandat, portant sur les délégations de compétence et sur le périmètre de la métropole. Les métropoles de Paris et de Marseille ont été sciemment exclues de ce texte, car ces deux réformes métropolitaines exigent un travail et des textes spécifiques.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous vous remercions de votre participation, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 05.
Mercredi 16 juin 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement - Examen du rapport et du texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons aujourd'hui le rapport d'Agnès Canayer et Marc-Philippe Daubresse sur le projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement. Nous accueillons Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis de la commission de la culture, et Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Faute d'intervention du législateur, plusieurs dispositions du code de sécurité intérieure arriveront à échéance en 2021, après avoir été prorogées par la loi du 24 décembre 2020. Sont concernées, d'une part, les dispositions introduites par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), pour prendre le relais du régime de l'état d'urgence et, d'autre part, une disposition créée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement qui porte sur la technique dite de l'algorithme.
Le texte vise donc en premier lieu à pérenniser tout en les adaptant les mesures de police administrative permettant de lutter contre les actes de terrorisme issues de la loi SILT : les articles 1er à 4 de cette loi avaient instauré des mesures de police administrative inspirées de l'état d'urgence, à savoir les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), et les visites domiciliaires et saisies. S'agissant de mesures fortement attentatoires aux libertés, le législateur a prévu un contrôle parlementaire renforcé, ainsi qu'une caducité de ces dispositions, initialement fixée au 31 décembre 2020, avant d'être reportée au 31 juillet 2021. C'est la raison pour laquelle il y a urgence à légiférer.
Le projet de loi que nous examinons ce matin prévoit donc de pérenniser ces dispositifs, en leur apportant quelques ajustements, visant, par exemple, à limiter la durée de mise en place des périmètres de protection - article 1er bis - ; à élargir la mesure de fermeture administrative des lieux de culte en permettant la fermeture des locaux annexes afin de faire face aux stratégies de contournement parfois observées - article 2 - ou à permettre la saisie des supports informatiques à l'occasion d'une visite domiciliaire lorsque la personne fait obstacle à l'accès aux données informatiques concernées ou à leur copie - article 4.
En ce qui concerne les MICAS, le projet de loi instituerait notamment la possibilité, pour le ministre de l'intérieur, d'exiger un justificatif de domicile ou de prononcer une interdiction de paraître à l'encontre des personnes faisant par ailleurs l'objet d'une assignation à résidence, afin de faire face à l'organisation de certains grands événements, comme les Jeux Olympiques, par exemple.
Nous avions déjà proposé de pérenniser ces dispositions lors du dernier examen en séance, plutôt que de les proroger. Le Gouvernement nous avait répondu, en ligne avec nos collègues députés, que ce n'était pas possible à cause de la pandémie. Nous avons donc perdu huit mois sur ce sujet... Le Sénat avait adopté à cette occasion plusieurs ajustements, qui reprenaient des recommandations formulées par notre commission. Je ne peux que souscrire à la pérennisation de ces dispositions proposée par le projet de loi, que nous demandions, au regard du bilan positif de leur application, et aux ajustements proposés, qui reprennent les amendements que nous avions adoptés à l'époque.
Le projet de loi vise en second lieu à permettre un suivi effectif des personnes condamnées pour des actes de terrorisme sortant de détention. Ceux-ci, comme l'avait expliqué Muriel Jourda devant notre commission il y a quelques semaines, ne bénéficieront pas de mesures d'accompagnement à leur élargissement. La loi instaurant des mesures de sûreté, adoptée par le Parlement le 27 juillet 2020, a en effet été censurée par le Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement propose donc une autre voie permettant de renforcer le suivi des personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention. Le dispositif est double. D'une part, le texte instaure une mesure de sûreté à destination de ce public, dénommée « mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion », qui permettrait de soumettre les personnes condamnées pour terrorisme d'une particulière dangerosité à des obligations visant à favoriser leur réinsertion à l'issue de leur peine. C'est l'objet de l'article 5. D'autre part, l'article 3 porte la durée des MICAS à deux ans pour les personnes condamnées pour des actes de terrorisme et sortant de détention, afin d'assurer leur surveillance effective.
Comme nous l'avons rappelé lors de l'audition de Marlène Schiappa la semaine dernière, nous estimons que pèse un risque constitutionnel sur l'allongement de la durée des MICAS, qui sont des mesures administratives. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré, dans sa décision du 29 mars 2018, que les MICAS, compte tenu de leur rigueur, ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois. Il a ajouté, dans le commentaire de cette même décision, que, quelle que soit la gravité de la menace qui la justifie, une telle mesure de police administrative ne peut pas être prolongée aussi longtemps que dure cette menace, alors que le Gouvernement propose de les étendre d'un à deux ans, précisément en raison de cette particulière gravité.
Le renforcement des dispositifs de suivi judiciaire nous apparaît comme la voie juridiquement la plus adaptée pour répondre à l'enjeu que représente, en termes de sécurité publique, l'élargissement des condamnés terroristes dans les prochaines années, et ce d'autant que les mesures judiciaires offrent une garantie plus importante en termes de respect des droits et des libertés des personnes.
C'est pourquoi, dans la suite logique de l'adoption par le Sénat, il y a quelques semaines, de la proposition de loi du président de la commission des lois François-Noël Buffet sur ce sujet, nous vous proposons de préférer au dispositif proposé par le projet de loi une mesure judiciaire à visée non seulement de réadaptation sociale, mais également de surveillance de l'individu, tout en supprimant l'allongement de la durée des MICAS à deux ans. Il s'agit donc de la reprise du dispositif adopté par le Sénat le 25 mai 2021, qui répond à une démarche d'ensemblier, et adapte le dispositif adopté par le Parlement en juillet 2020 pour répondre aux objections soulevées par le Conseil constitutionnel.
Les principales différences entre la mesure proposée par le Gouvernement dans son article 5 et la mesure que nous vous proposons d'adopter tiennent aux obligations susceptibles d'être prononcées et à l'autorité prononçant la mesure, le Gouvernement préférant le juge de l'application des peines, et nous, la juridiction régionale de la rétention de sûreté, pour des questions de cohérence.
En troisième lieu, en ce qui concerne la prévention du terrorisme, le texte adapte dans son article 6 la communication des informations relatives à l'admission d'une personne en soins psychiatriques. Cet article prévoit en effet d'étendre, avec une portée assez large, la possibilité de communication des informations relatives à l'admission d'une personne en soins psychiatriques aux représentants de l'État chargés du suivi de cette personne, mais aussi à plusieurs services de renseignement. Je vous propose de considérer que la possibilité, pour les services de l'État, d'accéder aux données relatives aux hospitalisations doit être strictement encadrée, et donc de restreindre la portée de cet article aux seuls préfets et aux personnes et agents placés sous l'autorité spécialement désignée à cette fin.
Certains collègues ont exprimé le souhait de refuser plusieurs mesures de ce texte, qu'ils considèrent comme attentatoires aux libertés. D'autres veulent aller plus loin et durcir les critères. Nous sommes sur une ligne de crête. Notre commission a toujours su trouver un bon équilibre entre sécurité et liberté, que nous avons essayé de conserver. Certains amendements, qui concernent notamment les populations étrangères, tomberont sous le coup de l'article 45 de la Constitution.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - J'aborde maintenant la partie du projet de loi relative au renseignement. La loi du 24 juillet 2015, qui a été neuf fois modifiée depuis, a fixé pour la première fois le cadre légal de l'action des agents de la communauté du renseignement français. Notre rapporteur Philippe Bas avait alors affirmé, à juste titre, que cette loi constituait une étape fondamentale dans l'histoire du renseignement et était le signe de la maturité de notre démocratie.
L'expression de cette maturité repose, en matière de renseignement, sur un subtil équilibre entre l'efficacité des services et la protection de nos libertés constitutionnelles, au premier rang desquelles figure le respect de la vie privée. Six ans plus tard, il convient de consolider cet équilibre, qui doit faire face à une double évolution et à une double menace juridique.
Évolution de la menace, d'une part, avec une menace terroriste qui était surtout le fait d'auteurs partant sur des zones de conflits, notamment syro-irakiennes, et qui devient celle d'un djihadisme d'atmosphère, selon la formule de Gilles Kepel, ce qui nécessite de capter des signaux plus faibles. Évolution des techniques, d'autre part, avec l'émergence des communications satellitaires et de la 5G. Nous devons donner à nos services de renseignement les moyens d'avoir toujours un pas d'avance sur ces évolutions.
La menace juridique est elle-même double. D'une part, à la date du 31 décembre prochain, plusieurs fois repoussée, l'expérimentation de la technique dite de l'algorithme cessera. Nos services ne pourront plus utiliser cette technique prometteuse, mais qui reste à améliorer et à peaufiner. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s'est prononcée en octobre dernier, dans l'arrêt Quadrature du Net, appliqué par le Conseil d'État dans une décision du 21 avril dernier dite « French Data Network », sur la non-conventionalité de la conservation généralisée des données de connexion, qui sont la base de l'information à laquelle peuvent accéder les services de renseignement. Elle impose au Gouvernement français de mettre en conformité son dispositif avant le 21 octobre prochain. Tel est l'objet de l'article 15 de ce projet de loi. Cette contrainte nous oblige à légiférer dans un temps restreint.
En conséquence, le projet de loi prévoit plusieurs évolutions en matière de renseignement, que je vous résumerai en cinq point principaux.
En premier lieu, ce texte encadre mieux la transmission et l'exploitation de renseignements entre services. Dans la communauté du renseignement, le principe est l'étanchéité. Mais on voit bien que les services de renseignement sont amenés, pour une plus grande efficacité, à se parler, à échanger de plus en plus d'informations. Cela ne signifie pas qu'ils doivent pouvoir s'échanger tous les renseignements issus de toutes les techniques de renseignement. Le principe de proportionnalité doit être respecté. C'est la raison pour laquelle, comme l'avait souligné la délégation parlementaire au renseignement en 2020, il convient d'encadrer cette technique d'échange des renseignements entre services.
Le texte prévoit de soumettre la transmission d'informations entre les services à l'autorisation du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), si les renseignements collectés transmis sont utilisés pour une finalité qui est différente de celles pour lesquelles ils ont été collectés. Sont soumis à cette même obligation les renseignements, qu'ils soient collectés ou extraits, s'ils sont transmis à un service qui n'aurait pas pu y avoir accès faute d'avoir accès à la technique qui a permis de les obtenir. Le texte propose un encadrement de la transmission de renseignements : un agent habilité sera chargé, au sein de chaque service, d'assurer la traçabilité des renseignements transmis et la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement aura accès à toutes les informations relatives à ces transmissions, qu'elle pourra, en tant que de besoin, interrompre. Les autorités administratives pourront aussi transmettre des informations, même couvertes par le secret professionnel. Tout refus devra être justifié. Enfin, l'article 17 élargit la transmission des services judiciaires vers les services de renseignement, notamment pour les questions de cybercriminalité.
Le texte vise en deuxième lieu à pérenniser les algorithmes. Ceux-ci, prévus par l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, sont utilisables uniquement pour lutter contre le terrorisme. Ils consistent à imposer aux opérateurs de communications électroniques de mettre un système dans leurs réseaux afin de détecter les connexions qui, elles-mêmes, permettent de révéler une menace terroriste. Ces algorithmes ont été autorisés pour la première fois en 2015 et ils ont été mis en oeuvre à partir de 2017. Trois algorithmes sont actuellement expérimentés sur des communications téléphoniques. C'est un chalutage : on prend toutes les données, elles sont traitées et on en ressort de l'information. Cela implique une ingérence forte dans la vie privée, ce qui impose de soumettre cette technique à des garanties fortes. C'est pour cette raison que son utilisation est limitée aux questions de terrorisme, et qu'elle ne peut être autorisée que par le Premier ministre, après avis de la CNCTR, pour une durée de deux mois renouvelable. Seules les données de connexion - et non le contenu de ces connexions - sont concernées, et les informations ne peuvent être qu'anonymes. S'il y a besoin de lever l'anonymat, une deuxième autorisation doit être demandée, toujours au Premier ministre et avec avis de la CNCTR.
Les algorithmes sont utiles et prometteurs, mais ils ne sont pas utilisés dans toutes leurs potentialités. La possibilité de recourir aux algorithmes sur les données informatiques de connexion n'a pas été mise en oeuvre. Les services nous disent que c'est parce qu'ils n'ont pas la possibilité d'accéder aux URL. Ces algorithmes permettent de détecter des signaux faibles, qui sont particulièrement utiles au regard de l'évolution de la menace terroriste. L'article 12 pérennise donc cette technique, tandis que l'article 13 l'étend aux URL, tout en renforçant les garanties. Je vous proposerai d'acter le principe de la pérennisation des algorithmes, mais de soumettre à expérimentation l'accès aux URL jusqu'au 31 juillet 2025. Le rapport prévu par l'Assemblée nationale sur le sujet ne me semble pas suffisant.
Le troisième volet de cette partie sur le renseignement concerne l'anticipation des évolutions technologiques.
Demain, l'intelligence artificielle sera un outil nécessaire pour les services de renseignement. Il faut donc faire de la recherche et développement (R&D) et, pour cela, disposer de données fiables, pour entraîner les ordinateurs. C'est pourquoi l'article 8 autorise à conserver les données anonymisées issues de techniques de renseignement pendant une durée maximale de cinq ans, à des fins de recherche et développement. L'article 10 pose une obligation de coopération des opérateurs pour aider les services à mettre en place deux techniques importantes et efficaces, l'IMSI-catcher et le recueil de données de connexion, qui existent déjà. Le développement des constellations de satellites, avec les projets de SpaceX ou d'Amazon, notamment, multiplie les sources de connexions. Mais, avec les connexions satellitaires, ce n'est plus un numéro de téléphone qui appelle un numéro de téléphone. Ces connexions sont portées par des opérateurs étrangers, elles proviennent du ciel : il est plus compliqué de capter de l'information sur ce flux de connexions. L'article 11 introduit une expérimentation pour permettre de capter les communications satellitaires, qui sont ou seront justement très utilisées par les terroristes ou par les criminels, notamment en Guyane.
Le quatrième volet de la partie renseignement vise à tirer les conséquences de la jurisprudence européenne sur la conservation des données de connexion. La conservation généralisée et automatique des données prévue dans notre système a été jugée contraire aux standards de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la directive « vie privée » de 2002. Le Conseil d'État a, dans sa décision du 21 avril 2021, ouvert un certain nombre de portes pour trouver une solution. Il faut suivre un chemin de crête entre l'efficacité de la conservation des données et la préservation des libertés. Cet article s'insère dans ce « trou de souris », en prévoyant qu'on puisse faire conserver par l'opérateur des données relatives au contrat et aux paiements ou des données liées à l'identité civile, selon des durées allant d'un à cinq ans. Pour les besoins de la criminalité grave et la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et la sauvegarde de la sécurité nationale, l'opérateur doit également conserver, pendant un an à compter de la connexion, toutes les données techniques permettant d'identifier la source et celles permettant d'identifier le matériel, c'est-à-dire les adresses IP.
S'il existe une menace grave, actuelle et prévisible, contre la sécurité nationale, alors le Premier ministre lui-même peut enjoindre, par décret, aux opérateurs de conserver pendant un an certaines catégories de données de trafic - dont les fadettes - et de localisation, cette menace devant être réévaluée tous les ans. Pour sauvegarder un accès à ces données dans le cadre de la criminalité grave, le texte introduit une injonction de conservation rapide, dont on ne sait pas trop ce qu'elle recouvre, mais qui fait le lien entre l'autorité judiciaire et la conservation des données.
L'essentiel semble ainsi préservé, mais le champ s'est réduit sur la conservation des données de connexion, notamment en ce qui concerne la criminalité ordinaire. Dans le cadre des procédures judiciaires et des enquêtes, deux millions de réquisitions sont faites chaque jour par la justice pour obtenir des informations sur un vol, une violence, etc. Or les dispositions de l'arrêt de la CJUE, et celles de la décision du Conseil d'État, affirment clairement qu'on ne peut utiliser la conservation généralisée et anonyme des données pour un objectif de lutte contre la criminalité ordinaire. Elle ne doit concerner que la criminalité grave. Où situer la frontière entre les deux ? Les juges la détermineront à l'avenir, mais il n'en reste pas moins qu'il existe une crainte très importante de la part des institutions judiciaires - en particulier des procureurs de la République, qui nous l'ont dit fortement lors des auditions - de ne plus pouvoir recourir aux informations issues de la conservation des données de connexion par les opérateurs. C'est un enjeu majeur, mais nous n'avons pas véritablement d'ouverture juridique. Je vous proposerai de réfléchir encore jusqu'à la séance à une solution technique.
Enfin, dernier point sur la partie renseignement, le texte prévoit d'ajuster l'encadrement de certaines techniques, ce qui ne pose pas de problème, ainsi que de renforcer les procédures de contrôle. L'avis de la CNCTR devient liant, et le Premier ministre ne peut pas passer outre - il ne l'a d'ailleurs jamais fait -, sauf à ce que le Conseil d'État soit saisi. L'article 17 bis renforce les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement et l'article 17 ter soumet à contrôle de la CNCTR les communications internationales interceptées sur le sol français.
Enfin, le projet de loi comporte des évolutions, avec l'article 19 du projet de loi, sur la question de la communicabilité des archives portant atteinte à la défense nationale. Il y a aujourd'hui un conflit entre le code du patrimoine, qui fixe le délai au-delà duquel certains documents sont communicables de plein droit, et le code pénal, qui condamne tous ceux qui révèlent le contenu de documents classifiés. Pour les articuler, une instruction interministérielle n° 1300 a prévu la nécessité de déclassifier les documents avant de les communiquer, ce qui entraine un allongement des délais de communication de ces documents, et suscite une grogne forte des historiens.
Le point d'équilibre proposé par l'article 19 du projet de loi nous paraît pertinent : il est prévu que les documents seront communicables au bout de cinquante ans, sauf ceux qui appartiennent à quatre catégories : ceux qui sont relatifs aux caractéristiques techniques des installations militaires ou nucléaires, qui seront communicables à compter de la date de fin de leur affectation ; ceux qui sont relatifs à la conception et aux techniques d'emploi de matériels de guerre, qui seront communicables à la fin de leur emploi par les forces armées ; ceux qui sont relatifs aux procédures opérationnelles de renseignement, qui seront communicables à la date de leur perte de valeur opérationnelle ; et ceux qui sont relatifs à la dissuasion nucléaire, qui seront eux aussi communicables à partir de leur perte de valeur opérationnelle.
Les historiens craignent que certains documents ne soient pas communicables alors qu'ils n'entrent pas dans ces quatre catégories. Nous devrions peut-être imposer aux services détenteurs d'archives classées secret défense une obligation de faire l'inventaire, et de déclassifier au fur et à mesure. Je crois cependant que l'article prévoit un bon compromis entre les impératifs constitutionnels concurrents : le libre accès aux archives et la protection de la sécurité nationale. On peut peut-être l'améliorer, notamment sur les contrôles. Nous continuerons d'y réfléchir d'ici à l'examen en séance.
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Merci, au nom de la commission de la culture, de nous avoir permis de nous saisir pour avis de l'article 19, parce qu'il touche directement à la loi de 2008, qui est fondatrice du régime d'accès aux documents historiques et aux archives. La commission des lois du Sénat avait porté le texte de 2008, en la personne du sénateur René Garrec, qui avait une sensibilité très particulière pour tout ce qui touche à la mémoire et à l'histoire - il avait d'ailleurs participé à certaines des grandes heures de l'Histoire de notre pays.
La loi de 2008 portait une triple exigence : le libre accès à toutes les archives ; la compétence du législateur pour définir les régimes dérogatoires ; un rôle interministériel au ministère de la culture dans la gestion, au profit des usagers, des relations avec les autres ministères qui détiennent des archives, comme notamment celui de l'armée et celui des affaires étrangères.
À la suite d'une instruction générale interministérielle, qui a été prise sous la forme juridique d'un arrêté, ces principes ont été remis en question. Cet arrêté, en effet, considère que tout acte classé défense postérieur à 1934 doit être déclassifié avant de pouvoir être communiqué, ce qui a obligé notamment le service historique de la défense à déclassifier un million de pièces, dont certaines, paradoxalement, avaient déjà fait l'objet de publications ! Ainsi, de ce document très secret qui émane de l'état-major particulier du général de Gaulle à Londres, daté du 15 juin 1943 : cette pièce, qui était consultable, était classifiée et, pour être de nouveau communicable, a été déclassifiée par un magnifique coup de tampon apposé sur le document original, par décision n° 502 133 du 23 mars 2020. Cette instruction interministérielle a été attaquée, et le rapporteur public a considéré qu'elle n'était pas fondée en droit. Le Conseil d'État rendra cet après-midi une décision essentielle.
Dans les quatre catégories prévoyant des délais plus long avant la communicabilité des documents - qui ne sont pas remises en cause par la commission de la culture - il y a des documents classés, mais aussi des documents non classés, qui jusqu'à présent étaient communicables et qui ne le seraient plus du fait de la création de ces quatre nouvelles catégories. Je pense, par exemple, aux ouvrages hydrauliques de grande hauteur, comme le barrage de Bort-les-Orgues sur la Dordogne : les plans sont librement consultables aujourd'hui, mais ne le sauraient plus demain, à la faveur de ces nouvelles catégories. Ce qui pose problème à la commission de la culture, c'est que les documents classés dans ces quatre catégories pourraient être de nouveau consultables en fonction de délais glissants et qui ne sont pas toujours très bien définis par la loi. Le Conseil d'État a demandé au ministère de la défense de définir des actes positifs permettant de savoir à quel moment ces documents pourraient être consultables.
La commission de la culture a parfaitement conscience du nouveau contexte lié au terrorisme. À cet égard, nous avons considéré qu'il n'était pas toujours opportun de considérer que la désaffectation d'une infrastructure permettait la communication des documents. Ainsi, de la pile atomique Z.O.E., construite dans mon département, à Fontenay-aux-Roses, dans le fort de Châtillon, qui fut la première pile nucléaire à produire de l'électricité en 1947. Elle a été désaffectée en 1978. Selon la rédaction actuelle de l'article 19, les plans devraient être communicables. Lors de nos auditions, j'ai demandé aux militaires s'ils trouvaient judicieux que les plans d'une pile atomique soient disponibles librement sur Internet... Non, évidemment : même s'il s'agit d'une technologie primitive, des États terroristes pourraient, à moindres frais, s'emparer de cette technologie pour produire, au mieux, une centrale nucléaire, au pire, des armes atomiques.
La commission de la culture a estimé qu'il était sans doute nécessaire, pour certaines catégories de documents, de ne pas procéder à une déclassification et à une communication systématique : mieux vaut laisser au service émetteur la possibilité de retenir encore ces textes.
La commission de la culture vous propose donc un renversement de perspective, qui s'inspire des pratiques en cours dans des pays qu'on ne peut pas soupçonner de libéralisme absolu en matière de secret défense, comme les États-Unis ou Israël. Aux États-Unis, tout ce qui concerne la défense n'est pas communicable avant 30 ans ; ensuite il revient à chaque service émetteur de décider ce qui pourra être communicable, ou non. La liste est mise à jour très régulièrement afin de déclassifier les documents qui peuvent être communiqués. Sur ce modèle, la commission de la culture vous propose que, au-delà du délai légal actuel de 50 ans, une période s'ouvre, que nous avons portée à 25 ans - mais on peut discuter de cette durée - à l'issue de laquelle les services détenteurs des archives devront dire à l'usager et aux services des archives quelles seraient les pièces pour lesquelles ils demandent la prolongation de dix ans du délai d'incommunicabilité, ce délai pouvant être renouvelé autant de fois qu'il est nécessaire pour continuer à protéger des secrets militaires importants. Les historiens que nous avons consultés sur ce dispositif le trouvent beaucoup plus clair que celui porté par l'article 19, qui leur faisait craindre de ne pas pouvoir disposer d'une information claire et suffisante pour organiser leurs recherches en fonction de la communication des pièces. Ils préfèrent porter le délai de 50 ans à 75 ans, mais avoir la certitude que, pour entreprendre leurs recherches, ils pourront disposer des pièces.
Lors de l'audition du ministère de la culture et de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), nous avons eu beaucoup de mal à comprendre comment, d'un point de vue pratique, le chercheur pourrait demander des actes qui entrent dans ces quatre nouvelles catégories. Il semble que, dans certains ministères, le travail de recensement des documents archivistiques n'était pas poussé suffisamment loin pour permettre rapidement à ces services de donner des informations fiables sur la communicabilité, au regard à la fois des critères constitutifs des quatre nouvelles catégories et des critères liés à la déclassification.
Cet article est complexe, et nous n'avons eu qu'une semaine de réflexion ! Il aurait fallu un travail beaucoup plus important...
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est saisie pour avis des articles 7 à 19 du projet de loi, qui concernent les services de renseignement, les techniques d'investigation qu'ils peuvent utiliser et les règles qui encadrent cette utilisation, ainsi que la lutte contre les drones présentant une menace, et enfin les archives intéressant la défense nationale.
Le contexte sécuritaire reste marqué par le terrorisme, avec un continuum sécurité-défense qui constitue toujours un enjeu crucial pour la sécurité de nos concitoyens, même si la menace actuelle est davantage endogène que par le passé. Nos armées affrontent toujours une menace terroriste globale. La fin annoncée de l'opération Barkhane ne signifie pas la fin de toute présence militaire au Sahel : l'opération Chammal se poursuit, ainsi que l'opération Sentinelle sur notre territoire.
Le terrorisme constitue la première des menaces, mais nos services continuent également à faire face aux agissements de puissances étrangères décomplexées, qui utilisent en particulier tous les moyens fournis par les nouvelles technologies et le cyber.
Dans ce contexte, il était important que nos services de renseignement - ceux du ministère des armées et ceux des autres ministères - continuent à disposer des moyens les plus efficaces pour mener leur action.
La création d'un régime des interceptions satellitaires, la possibilité de solliciter les opérateurs de télécommunications en matière d'IMSI-Catching pour s'adapter à la 5G, ou encore l'extension des algorithmes aux URL, permettront ainsi aux services de rester dans la course technologique. Par ailleurs, nous nous félicitons de la possibilité nouvelle de brouiller les drones menaçants. Cette menace est loin d'être théorique, nous en avons déjà de nombreux exemples sur le territoire national. La gendarmerie nationale est d'ailleurs en pointe sur ce sujet.
Il fallait par ailleurs, pour encadrer cette évolution, des règles juridiques répondant à deux nécessités. Premièrement, la continuité avec le cadre fixé par la loi du 24 juillet 2015, car les services, ayant désormais formé leurs agents à ce cadre, ont besoin de cette stabilité. Deuxièmement, des garanties suffisantes pour que les libertés, et en particulier la vie privée, ne subissent pas d'atteinte excessive.
Je crois que le projet de loi répond bien à ces deux exigences, comme cela ressort nettement de nos auditions. Dès lors, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ne propose à ce stade que quelques modifications. Il s'agit de deux amendements, pour renforcer la protection des rapports de la Délégation parlementaire au renseignement et de la Commission de vérification des fonds spéciaux couverts par le secret de la défense nationale. Ces amendements prévoient que ces rapports soient désormais présentés et non plus remis aux autorités prévues par la loi ; c'est d'ailleurs déjà le cas en pratique pour la commission de vérification des fonds spéciaux. Un amendement est destiné à mieux encadrer l'expérimentation des interceptions satellitaires. C'est une technologie encore balbutiante, et il faut en laisser la pleine maîtrise aux services du premier cercle, en particulier à la Direction générale de la sécurité extérieure. Il sera temps ensuite, si nous pérennisons ce dispositif, de l'ouvrir aux services du second cercle, et en particulier à la gendarmerie, qui en aura besoin à l'avenir pour ses enquêtes si les communications satellitaires se banalisent.
S'agissant enfin du nouveau régime de communication des archives, le sujet est encore en réflexion ; le dispositif prévu par le texte convient aux armées, mais nous avons conscience qu'il suscite des débats ; peut-être pourrons-nous aboutir collectivement à une avancée d'ici la séance avec la commission des lois et la commission de la culture.
Sous réserve de ces remarques et de ces amendements, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a approuvé le présent projet de loi.
Mme Nathalie Goulet. - Merci aux rapporteurs pour leur travail. J'ai assisté à presque toutes les auditions. Ce texte apparaît comme un texte anodin, mais il ne l'est pas, car il comporte un certain nombre de dispositifs qui peuvent poser problème : l'article 15 notamment suscite une opposition extrêmement forte de la conférence des procureurs - la première d'une telle ampleur selon notre rapporteur Marc-Philippe Daubresse ! C'est pourquoi nous regrettons les délais et les conditions dans lesquels ce texte est présenté et doit être adopté : nous sommes dans une seringue !
L'article 15 correspond en fait à la transposition d'une décision de la CJUE, sur laquelle nos collègues et voisins européens portent des appréciations variées et variables. Ce que nous sommes en train de faire dans l'urgence aujourd'hui risque de poser ensuite des problèmes d'harmonisation européenne... Il y a une vraie dichotomie entre les services qui nous expliquent que tout va bien, et un ensemble de personnes auditionnées, qui trouvent au contraire que cela pose des problèmes - et il ne s'agit pas seulement des associations habituellement chargées de la protection des données personnelles. Bref, ce texte est beaucoup plus problématique qu'il n'y paraît, et nous n'avons pas le recul, ni tous les éléments nécessaires, pour apprécier toutes les coordinations éventuelles à prévoir.
J'attends donc avec beaucoup d'intérêt le débat en séance, tout en regrettant que ce texte ait été si peu discuté à l'Assemblée nationale, notamment en commission.
Sur la question des archives, je me joins à l'hommage rendu à René Garrec, ancien président de la Basse-Normandie et souhaite rappeler l'intervention extraordinaire de Robert Badinter, en séance, lors de l'examen du texte en 2008.
M. Jean-Yves Leconte. - Ce texte comporte de nombreuses dispositions qu'il faudrait voter rapidement, car les échéances sont proches. Je pense notamment à la pérennisation des mesures SILT votées à l'automne 2017. Le groupe socialiste a toujours considéré que ces mesures, particulièrement attentatoires aux libertés, devaient être placées sous un contrôle renforcé du Parlement. C'est pourquoi nous avions suivi les rapporteurs Michel Mercier et Michel Boutant, qui avaient proposé en 2017 un délai au terme duquel il fallait revoter ces mesures après évaluation. Il nous semble que les dispositifs issus de la loi SILT doivent rester transitoire, même si l'on peut reconnaître leur utilité - cela dit, dans l'étude d'impact, le Gouvernement lui-même reconnaît qu'il en fait parfois plus un usage à des fins de communication que de réelle sécurité...
Nous souhaitons réaffirmer un doute, qui a été aussi exprimé par les rapporteurs, sur la constitutionnalité de l'allongement à deux ans des MICAS. Nous réaffirmons aussi notre refus de mesures de sûreté : pas de peine après la peine ! Une peine doit s'appuyer sur des éléments spécifiques et non sur des faits qui ont déjà été punis. De plus, les moyens du renseignement devraient suffire. Il nous semble toutefois important de mieux conjuguer les mesures de suivi socio-judiciaire, ou les mesures judiciaires, si cette mesure de sûreté devait être votée, avec les mesures administratives. Or, les auditions ont révélé la difficulté de conjuguer les deux, faute de moyens d'arbitrer en cas de contradiction. C'est pourquoi nous déposons des amendements en ce sens.
Nous sommes particulièrement sensibles au maintien à la fois du secret médical et des secrets professionnels lors des échanges entre services. Sur ce point, le texte va un peu trop loin.
Sur le renseignement, nous partageons globalement les appréciations des rapporteurs. En matière d'échanges entre services, la CNCTR contrôle ce que les services de renseignements utilisent comme techniques de renseignement. D'autres services, toutefois, utilisent des techniques de renseignement, et en particulier des données de connexion, sans être sous le contrôle de la CNCTR ; et d'autres services peuvent avoir accès à ce que ces services obtiennent sans contrôle de la CNCTR. Il faudrait donc engager une réflexion sur l'élargissement de son domaine de compétence.
Si le projet de loi réécrit l'obligation des opérateurs de conserver les données de connexion, la jurisprudence de la CEDH sur les échanges avec les services extérieurs n'est absolument pas traitée par ce texte.
Sur la CJUE, je partage l'avis de Nathalie Goulet : les témoignages de la conférence nationale des procureurs sont particulièrement inquiétants sur les moyens que nous allons donner à la justice pour effectuer un certain nombre d'enquêtes. Le dispositif de l'article 15 relève presque d'un contournement de ce que la CJUE indique, en donnant une solution partielle, fragile, mais qui dépendrait d'un acte de l'exécutif, ce qui est tout de même assez problématique si on est attaché à la séparation des pouvoirs...
Alors que la jurisprudence de la CJUE s'applique à l'ensemble des pays européens, nous n'avons pas conduit une vraie étude sur la manière dont les autres pays allaient mettre en place des moyens pour que leur justice, elle aussi, puisse continuer à fonctionner. Dès lors, il ne serait pas raisonnable d'adopter les dispositions de l'article 15. On peut aussi se demander si cette difficulté peut être traitée à droit européen constant...
Sur les archives, les orientations données par Pierre Ouzoulias nous conviennent.
Ce projet de loi, donc, est nécessaire sur un certain nombre de points, mais nous serons très vigilants sur d'autres, notamment pour protéger les libertés individuelles et le secret professionnel, et pour défendre les moyens de la justice.
Mme Esther Benbassa. - J'interviendrai à propos de l'article 19 : historienne a été mon premier métier ! Ce texte marque un recul par rapport à la loi de 2008. Actuellement, les archives publiques dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l'État ou encore à la sécurité publique, peuvent être librement communiquées après l'expiration d'un délai de 50 ans. Ce projet de loi établit un délai indéterminé et glissant dans le temps. Le plus grave est que l'administration émettrice du document sera la seule à décider si la diffusion est possible. En votant la loi telle quelle, le législateur se dessaisirait de son pouvoir au profit de l'administration, et des archives actuellement accessibles pourraient retourner dans les cartons, si l'interprétation de l'administration, ou de sa tutelle politique, change.
Certains ouvrages de recherche, par exemple sur la guerre d'Algérie, avec ce nouvel article de loi, ne pourraient pas être écrits aujourd'hui. Je pense au premier livre qu'a écrit Benjamin Stora, qui a d'ailleurs rédigé récemment le rapport sur le Mouvement national algérien pour l'indépendance. Il s'était appuyé, comme beaucoup d'historiens politiques, sur des fiches de policiers des Renseignements généraux. Il va devenir très compliqué pour certains historiens de faire leur métier : comment faire l'histoire d'un parti politique sans avoir accès aux fiches des Renseignements généraux, rédigées par des policiers qui se sont rendus à des rassemblements politiques ?
Les rédacteurs de la loi invoquent la valeur opérationnelle des archives du monde du renseignement. Cette formulation, à mon avis, reste vague. De fait, le monde du renseignement en France continue à utiliser certaines techniques qui ont été développées il y a longtemps... De nombreux champs de l'histoire contemporaine du pays ne pourront plus être étudiés - et il ne s'agit pas seulement des questions sensibles tournant autour de la mémoire coloniale ou de la guerre d'Algérie. J'avais travaillé, pour ma part, sur la Commune de Paris de 1871. Sans les archives de la police, je n'aurais pas pu faire mon travail.
Cet article sur les archives entre en contradiction avec le discours présidentiel, notamment sur les questions mémorielles. Emmanuel Macron estimait pourtant que, de l'Algérie au Rwanda, la France devait regarder son histoire en face. Si cet article est voté, nous regarderons notre histoire de loin !
Il n'y a pas d'historien qui fasse des recherches pour mettre en danger la sécurité nationale ou les intérêts de la Nation. Ce serait plutôt l'affaire des chroniqueurs - et les historiens ne sont pas des chroniqueurs, ce sont des gens sérieux ! Nous avons donc déposé plusieurs amendements sur cet article.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci aux deux rapporteurs au fond et aux deux rapporteurs pour avis pour la qualité de leurs interventions. Ils nous ont fait part de leurs interrogations sur les limites de cet exercice législatif, que je partage.
Je n'ai pas de difficultés sur la prolongation des éléments de la loi SILT. Nous avons déjà eu à prendre position sur ces mesures, sans toutefois parvenir à convaincre l'Assemblée nationale qui, maintenant, admet leur pertinence. Je n'ai rien à ajouter à l'excellent rapport de Marc-Philippe Daubresse.
Sur le renseignement, le sujet est douloureux. Agnès Canayer souhaiterait que la Chancellerie nous aide à résoudre cette difficulté devant laquelle vont se trouver nos enquêteurs. Je ne pense pas que vous obtiendrez de réponse. Les conséquences de l'arrêt de la CJUE ont été analysées, et le Conseil d'État a fait preuve d'une grande créativité juridique, dans une logique d'ordre public, pour tirer parti des exceptions énumérées par la CJUE. Je ne crois pas que nous arriverons à sauvegarder l'utilisation des données de connexion pour les procédures de droit commun. On ne peut que le regretter. L'époque où Maigret et ses inspecteurs passaient leur nuit sous la pluie, dans les embrasures des rues parisiennes, est terminée, et les enquêteurs d'aujourd'hui travaillent avec d'autres méthodes, et notamment le traitement des données : les voilà placés dans une situation d'impossibilité !
Vous faites pour le mieux, et je ne vois pas comment il serait possible de faire davantage... Reste tout de même une interrogation plus générale pour la société, que notre commission a bien prise en compte - et je remercie le président François-Noël Buffet d'avoir pris l'initiative, avec son collègue président de la commission affaires européennes, d'organiser une table ronde sur le sujet « pouvoir régalien et dispositions européennes », qui était passionnante.
Il y a deux enjeux pour l'avenir, posés par les conséquences de l'arrêt de la CJUE. D'abord - et c'est un sujet commun à la commission des lois et à la commission des affaires européennes - se pose la question des conditions d'exercice du contrôle de subsidiarité. C'est un pouvoir important de notre assemblée. Pourtant, nous n'avons jamais regardé ces questions de subsidiarité au prisme de la réserve d'ordre et de sécurité nationale, prévue par l'alinéa 2 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne. Personne n'avait imaginé que, dans le Règlement général sur la protection des données, ce sujet se poserait. Personne n'avait vraiment imaginé que la directive sur le temps de travail soulèverait la question du régime de travail de nos sapeurs-pompiers, et surtout de nos militaires... Le président de notre commission des lois devrait donc sans doute avoir une concertation avec le président de la commission des affaires européennes, sur une sorte de réactualisation du prisme d'examen du contrôle de subsidiarité, pour y introduire une logique de sécurité nationale. On ne peut certes pas reprocher à la CJUE d'avoir appliqué le droit européen : après tout, nous la poussons à être le gardien des valeurs de l'Union vis-à-vis des pays de l'Europe centrale !
Par ailleurs, les pays confrontés à la difficulté de mener des enquêtes seront ouverts à des évolutions des directives, mais nous sommes dans une procédure de codécision. Or, il n'est pas certain que la commission des libertés du Parlement européen ait la même appréciation. D'où l'intérêt d'entretenir une forme de dialogue avec cette commission pour expliquer les points sur lesquels le législateur national se trouve en difficulté, et sur lesquels la codécision du législateur européen nous sera à un moment donné nécessaire.
Mme Éliane Assassi. - Nous devons avoir conscience que nous allons examiner un texte sur lequel plane encore l'ombre du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État. Cela doit nous amener à nous poser un certain nombre de questions fondamentales. Nous avons déposé des amendements en commission pour montrer notre opposition à ce texte. Bien sûr, il faut mener une lutte acharnée contre le terrorisme. Mais nous estimons que notre arsenal législatif antiterroriste est déjà largement suffisant.
Ce texte nous propose de pérenniser des mesures qui, à cause de l'ampleur de l'atteinte aux libertés publiques qu'elles présentaient, avaient été mises en place avec des clauses de caducité. Leur pérennisation ne s'accompagne que de quelques ajustements, et de quelques pseudo-restrictions, qui sont largement insuffisantes. Ce texte s'inscrit dans une multiplication de lois sécuritaires, dérogatoires au droit commun, et qui sont votées sans évaluation préalable des dispositifs qui existent déjà, de leur nécessité et de leur efficacité.
Les dispositifs issus de la loi SILT sont très intrusifs. Ils s'apparentent à des assignations à résidence et des perquisitions contrôlées par l'administration, et ils contournent la procédure judiciaire et les droits de la défense. Leurs conséquences sont très lourdes pour les personnes visées, qui sont jugées potentiellement dangereuses. En outre, en 2018, lors de l'examen périodique universel de la France à l'Assemblée générale des Nations unies, plusieurs États se sont inquiétés du manque de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en France, et ils ont insisté sur la nécessité de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi.
En ce qui concerne le renseignement, le recours très large aux techniques de renseignement les plus intrusives porte atteinte au principe de l'individualisation de la surveillance, qui est le fondement de la loi de 2015. À cet égard, le Conseil national des barreaux souligne que l'extension des facultés conférées aux services de renseignement, la légitimation sans réserve de ces méthodes d'investigation, l'imprécision de la définition des situations justifiant leur recours, ainsi que l'insuffisance de mécanismes de contrôle et de recours ne garantissent pas la proportionnalité des mesures d'intrusion dans la sphère privée au regard des objectifs visés. Nous avons déposé des amendements en commission, et nous en redéposerons en séance.
Je terminerai sur l'article 19, qui a eu un grand écho dans la sphère des chercheurs et des historiens. Nous avons été très alertés, je l'avais évoqué lors de l'audition de la ministre Marlène Schiappa, sur les nombreux points de vue qui émergent sur ce sujet, sans qu'ils soient partisans, idéologiques ou dogmatiques. La présentation par le rapporteur pour avis de la commission de la culture, Pierre Ouzoulias, devrait recevoir l'assentiment de ces personnalités, même si notre commission aura à y retravailler. En conséquence, je ne peux que souscrire à sa proposition.
M. Jean-Pierre Sueur. - J'interviendrais uniquement sur l'article 19. Je salue tout ce qui a été dit par les précédents orateurs, l'effort conceptuel consenti par Pierre Ouzoulias au nom de la commission de la culture, ainsi que l'apport de nos collègues de la commission des affaires étrangères. Nathalie Goulet a rappelé l'attachement qui est le nôtre à la loi de 2008, qui fait suite à loi de 1979. Souvenons-nous du discours de Robert Badinter en 2008, qui avait très largement excédé le temps de parole qui lui était imparti ! Les différentes propositions émanent de trois commissions, et des amendements ont été déposés par Catherine Morin-Desailly, Nathalie Delattre, Esther Benbassa et Pierre Ouzoulias, ainsi que par certains collègues de notre groupe. Vous avez proposé une concertation avant la séance publique, ce qui serait effectivement très précieux. La loi de 2008 prévoyait des exceptions compte tenu des intérêts de la Nation par rapport à des équipements stratégiques que nous devons prendre en compte.
Les cinq amendements que nous avons présentés visent à mettre des barrières. L'alinéa 3 ne peut pas prévoir pour tous ces cas l'allongement du délai sans autre précision. Les alinéas 8 et 10 prévoient, eux, la prolongation des délais jusqu'à ce que les dispositifs, qui ne sont pas très clairement définis, perdent leur valeur opérationnelle. C'est donc le pouvoir exécutif qui est souverain en la matière. Or il est tout à fait imaginable que le dispositif soit toujours opérationnel, ce qui empêchera définitivement l'accès à une partie de la connaissance. Nous ne disons pas que la sécurité nationale ne soulève aucun problème, mais la rédaction de ces trois alinéas est tellement floue que l'on ne peut pas s'en affranchir. Il serait intéressant d'interroger le Gouvernement sur ce qu'aura dit le Conseil d'État cet après-midi, car le premier pourrait réviser sa copie.
M. Alain Richard. - Nous avons beaucoup de points de convergence entre nous, quelle que soit notre sensibilité, sur le texte du Gouvernement, qui se montre ouvert pour perfectionner son dispositif. Je reste toutefois hésitant concernant les mesures individuelles de contrôle postérieures à la sortie d'incarcération. Deux méthodes sont en concurrence, qui nous impose de choisir la moins risquée du point de vue constitutionnel, sachant que ce besoin d'un contrôle individuel prolongé est nécessaire.
Je constate une acceptation assez généralisée de la poursuite d'une expérimentation favorisant l'utilisation de l'algorithme comme moyen de détection des signaux faibles de préparation à des opérations attentant à la sécurité nationale. Nous nous retrouvons aussi sur la balance entre la protection des libertés publiques et la capacité de transmission d'informations entre services du renseignement. Nous le savons tous, la décision récente de la CJUE sur l'accès aux données de connexion entraîne un affaiblissement massif de nos capacités de lutte contre la délinquance. Même restrictive, elle ouvre une marge d'intervention aux États nationaux pour réaliser leur travail de sécurité nationale sur l'accès aux données utiles en la matière. Elle constitue donc un pas en arrière extrêmement préjudiciable. En réalité, c'est le signal que la démarche collective de l'Union européenne fondée sur le libre marché telle que nous l'avons tous acceptée voilà des décennies manquait de vigilance par rapport à la préservation des prérogatives d'autorité et de défense de la sécurité des citoyens, s'agissant notamment de la recherche des infractions. On aurait pu s'attendre à une position plus mesurée de la part de la CJUE, qui est composée de magistrats professionnels très expérimentés. Puisque tel ne fut pas le cas, les États devraient prendre une initiative politique.
Pour ce qui est de l'accès aux archives, nos solutions sont très voisines concernant non pas le principe d'exception, qui existe depuis le début de la législation sur ce sujet, mais la façon de l'utiliser. Un travail de perfectionnement devrait porter sur la procédure du maintien en classification d'un certain nombre de documents, pour des raisons d'impératifs de sécurité, comme l'a justement souligné Pierre Ouzoulias. Et, chers collègues de la commission des affaires étrangères, la fin de l'utilisation de matériels de guerre par la France n'emporte pas automatique la cessation de l'emploi de ces outils par nos alliés à qui nous les avons cédés ! Il serait discourtois de faire circuler librement de telles données. Je vous rejoins sur le fait que seul l'exécutif peut apprécier la pertinence d'une classification, sous contrôle du juge. La décision qui émanera aujourd'hui du Conseil d'État à l'issue du délibéré sera aussi un moyen d'identifier si le contrôle du juge sur les décisions de reclassification sera ou non efficient.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Concernant la loi SILT, je fais miens les propos de Philippe Bonnecarrère et Alain Richard, y compris les alertes qu'ils ont lancées. Jean-Yves Leconte, qui a été très assidu lors de nos auditions, réaffirme qu'il convient non pas de pérenniser cette loi, mais de la prolonger tout en continuant les expérimentations. Nous avons déjà eu le débat à ce sujet, et le Sénat s'est prononcé il y a huit mois sur cette pérennisation. En outre, j'ai été chargé au nom de la commission du contrôle renforcé du Sénat sur ces dispositifs, et notre commission a adopté deux rapports d'évaluation. Notre collègue soulève à juste titre la question délicate de la nécessité de mieux conjuguer ce qui relève du judiciaire et de l'administratif, qu'a tenté de résoudre le président Buffet dans la proposition de loi votée récemment.
Le Parquet national antiterroriste et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) estiment que 15 % à 20 % des détenus condamnés pour des actes de terrorisme qui vont sortir de prison sont encore extrêmement dangereux. Cela signifie que, sur un total de 250 personnes, 50 sont susceptibles de récidiver et de commettre des attentats en un moment délicat où de grands événements sportifs vont avoir lieu. Gérald Darmanin et Marlène Schiappa ont d'ailleurs répété qu'au cours des dix-huit derniers mois, le Gouvernement avait déjoué un grand nombre d'attentats. On ne peut pas baisser la garde en la matière.
Sur le maintien du secret médical, je suis d'accord avec Jean-Yves Leconte pour dire que le texte va trop loin, notamment sur les aspects psychiatriques. C'est pourquoi je présenterai un amendement sur ce point.
Selon Alain Richard, il faut choisir, sur les deux méthodes possibles, la moins risquée constitutionnellement. Je vous invite à réexaminer la situation, car le Conseil constitutionnel dit qu'il faut limiter les MICAS à un an, quelle que soit la gravité des faits. Je ne l'imagine pas modifier sa jurisprudence, alors qu'il a plutôt tendance à la durcir ces temps-ci, avec une probable censure de l'article 3 du présent texte. La méthode présentée par le président Buffet et rapportée par Muriel Jourda est beaucoup plus conforme à son interprétation. En cas de rejet de l'article 3, sans alternative de notre part, nous serions bien démunis... Je rappelle également qu'une mesure de sûreté n'est pas une peine, raison pour laquelle le Sénat l'a votée à deux reprises.
Madame Goulet, je suis parlementaire depuis près de trente ans. J'ai présidé des séances à l'Assemblée nationale, j'ai été au Gouvernement, j'ai organisé de multiples auditions, jamais je n'ai entendu un tel cri d'alarme des procureurs ! La lutte contre la délinquance risque d'être mise à mal par l'article 15, puisque, selon la conférence nationale des procureurs de la République, de nombreuses mesures d'enquête risquent de devenir impossibles. Peut-être dramatisent-ils la situation, mais on ne peut pas en rester là. On ne peut pas non plus se contenter de supprimer l'article, car comme l'a dit Agnès Canayer, nous avons l'échéance du 21 octobre et la décision, sur une ligne de crête, du Conseil d'État. Je soutiens la proposition de ma collègue, mais il faudra approfondir le sujet d'ici à la séance.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nos collègues ont tous soulevé des points très sensibles.
Madame Goulet, l'article 15 est perfectible et nous contraint, comme l'a dit Alain Richard. Nous sommes confrontés à des enjeux importants en matière d'enquête préalable, qui pèsent fortement sur l'institution judiciaire, en particulier les procureurs. Si ce point n'a pas été soulevé à l'Assemblée nationale, c'est sans doute parce que les procureurs n'y ont pas été auditionnés. Cet article limite la conservation générale et individualisée des données aux actes de criminalité grave, et les enquêteurs n'auront plus les moyens de remplir leurs missions dans les autres cas. L'utilisation des SMS restera possible, mais les techniques habituelles utilisées, telles que les « fadettes » ou la géolocalisation, ne seront pas applicables pour les infractions pénales ordinaires. Les contraintes proviennent aussi de la jurisprudence de l'Union européenne. Et même si le Conseil d'État a laissé une petite ouverture, une intervention plus forte au niveau européen est la seule voie possible. On ne peut pas supprimer l'article 15, qui est essentiel, au risque d'empêcher toute conservation des données et de mettre à bas tout l'édifice du renseignement.
S'agissant de l'article 7 relatif à l'échange des données entre services ou à la transmission de renseignements aux services, la CNCTR contrôle les techniques de renseignement, quels qu'en soient leurs auteurs. L'article 16 institue un véritable avis conforme de la CNCTR liant le pouvoir exécutif, conformément à la jurisprudence qui impose l'intervention d'une autorité judiciaire ou une autorité administrative indépendante ayant un pouvoir contraignant. Ce dernier peut toutefois saisir le Conseil d'État qui statue dans les vingt-quatre heures. Il peut passer outre en cas d'urgence dûment justifiée. Cette transposition d'un dispositif qui existait déjà pour les interceptions de sécurité dans les lieux privés me paraît bienvenue.
L'article 19 ayant trait aux archives est l'autre point clef du texte. Nous sommes évidemment attachés à la loi de 2008 et à la nécessité de trouver le juste équilibre entre l'accès aux archives et à la connaissance pour les historiens, les plus directement concernés, mais aussi à toute personne qui en formule la demande. Les historiens réclament des délais clairs afin de savoir à quelle date ils pourront avoir accès à certaines pièces, d'où les 75 ans et les tranches de 10 ans renouvelables proposés par Pierre Ouzoulias. Ces mesures me cependant semblent moins protectrices que celles de l'article 19, qui est plus souple en prévoyant une communicabilité des documents au bout de 50 ans, sauf s'ils appartiennent à l'une des quatre catégories, auquel cas la déclassification dépendra de l'évolution des conditions, notamment de la valeur opérationnelle, et interviendra au cas par cas. Reste la question de savoir à quel moment il sera possible d'imposer l'inventaire aux services en vue de déclassifier certains documents, ce qui supposera un travail colossal.
Le renversement de la charge de la preuve, tel que le propose la commission de la culture, me semble dangereuse eu égard aux enjeux opérationnels. C'est pourquoi, même si le texte est perfectible, il prévoit un juste équilibre, et nous y travaillerons jusqu'à la séance publique. De surcroît, tous les amendements qui donnent des dates fixes sont risqués - pourquoi 100 ans par exemple ?
Éliane Assassi m'a interrogé sur les mécanismes de contrôles. Ils ont été renforcés depuis 2015, y compris dans le présent texte, qui apporte de grandes précisions à ce propos, qu'il s'agisse de l'organisation des services, de la traçabilité, des contrôles a priori ou a posteriori, de l'extension des pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement, de la destruction ou de la conservation, etc.
Comme l'a dit notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous allons encore travailler sur tous ces points délicats, notamment sur les délais de communicabilité. Nous présenterons un amendement pour restreindre la protection prévue par l'article 19 aux documents qui révèlent de nouvelles informations. En effet, toutes les techniques mises à jour dans le Bureau des légendes n'ont plus à être couvertes par le secret de la défense nationale.
M. François-Noël Buffet, président. - Merci de toutes ces explications très précises.
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Je propose de retenir que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux mesures administratives de lutte contre le terrorisme issues de la loi SILT, à l'institution d'une mesure de sûreté à destination des personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention, à la communication d'informations relatives à l'admission d'une personne en soins psychiatriques lorsque celle-ci représente une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics en raison de sa radicalisation à caractère terroriste, à l'exploitation et à la transmission de renseignements entre services de renseignement et aux services de renseignement, aux techniques de renseignement, à la conservation des données par les opérateurs de communications électroniques, aux dispositifs de lutte contre les aéronefs circulant sans personne à bord malveillants, et, enfin, au régime de communicabilité des archives protégées par le secret de la défense nationale.
M. Jean-Yves Leconte. - Je m'interroge sur ce périmètre, compte tenu de la jurisprudence de la CEDH : les échanges avec les services étrangers sont-ils bien inclus ?
M. François-Noël Buffet, président. - Ce sujet ne pose pas de problème de recevabilité, mais, sur le fond, c'est une autre affaire...
EXAMEN DES ARTICLES
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le débat a déjà eu lieu sur l'amendement de suppression COM-41 : avis défavorable.
L'amendement COM-41 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-68 tend à conserver le caractère expérimental des mesures issues de la loi SILT, tout en reportant leur date de caducité au 31 décembre 2024. Or ces mesures, saluées par l'ensemble des acteurs concernés, ont déjà été validées par le Conseil constitutionnel : avis défavorable.
L'amendement COM-68 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Notre amendement COM-96 garantit le caractère non discriminatoire des vérifications opérées dans le cadre d'un périmètre de protection. Ce faisant, nous traduisons une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel : avis favorable à l'amendement COM-69 rectifié de Jean-Yves Leconte, qui est identique.
Les amendements COM-96 et COM-69 rectifié sont adoptés.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-86 rectifié précise que, lorsque les officiers de police judiciaire sont assistés d'agents de police judiciaire et d'agents de police judiciaire adjoints ou de membres de la réserve civile de la police ou de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, ceux-ci doivent être placés sous leur contrôle effectif. Il s'agit d'une précision utile : avis favorable.
L'amendement COM-86 rectifié est adopté.
Article additionnel après l'article 1er bis
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-13 a trait à la durée des périmètres de protection. Je suis obligé d'émettre un avis défavorable, comme je le ferai pour nombre d'amendements, car le Conseil constitutionnel a fait de la limitation de la durée l'un des éléments de sa décision de conformité de ce dispositif à la Constitution.
L'amendement COM-13 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-14 prévoit que la fermeture de l'établissement peut être portée à 12 mois lorsqu'un lieu de culte fait l'objet d'un second arrêté de fermeture. La mesure de fermeture d'un lieu de culte est une mesure très attentatoire aux libertés ; cette mesure doit être proportionnée. Par ailleurs, les différentes personnes auditionnées nous ont indiqué que la durée de six mois était suffisante pour mettre en oeuvre d'autres mesures administratives. Avis défavorable.
L'amendement COM-14 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-97 me semble plus précis que le Gouvernement en parlant de lieux « gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire du lieu de culte ». Il reprend un amendement déposé l'année dernière quand nous avons examiné la question de la fermeture des locaux annexes aux lieux de culte.
L'amendement COM-97 est adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-15 propose de supprimer la condition selon laquelle la fermeture des lieux de culte ne peut intervenir qu'aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Tel est l'objet de l'article 44 du projet de loi confortant le respect des principes de la République. Chaque projet de loi doit garder sa cohérence ; l'avis est donc défavorable.
L'amendement COM-15 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Avec l'amendement COM-16, le ministre du culte exerçant dans un lieu de culte fermé aux fins de prévention des actes de terrorisme serait automatiquement expulsé, sauf décision motivée de l'autorité administrative. Or, il est déjà prévu que les étrangers dont la présence constitue une « menace grave pour l'ordre public » puissent faire l'objet d'une mesure d'expulsion ; certains ministres du culte ont fait l'objet de cette mesure. Notre corpus législatif nous donne les moyens juridiques de répondre à cette préoccupation, et il n'est donc pas nécessaire de prévoir une mesure automatique d'expulsion supplémentaire. Avis défavorable.
L'amendement COM-16 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-9 souhaite ajouter les « atteintes répétées aux valeurs de la République ». Avis défavorable.
L'amendement COM-9 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Avec l'amendement COM-17, les lieux de culte ayant fait l'objet de deux mesures de fermeture administrative et dans lesquels il est toujours provoqué à la violence peuvent faire l'objet d'une mesure de fermeture définitive. Là encore, les différentes personnes auditionnées nous ont indiqué que la durée de six mois était suffisante pour mettre en oeuvre d'autres mesures administratives. Sur les huit mesures de fermeture prononcées, six des lieux de culte n'ont jamais rouvert. Avis défavorable.
L'amendement COM-17 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-18 propose qu'il soit possible de confisquer les biens mobiliers, immobiliers ou financiers. Une confiscation des biens constitutifs d'une infraction est déjà possible, aller plus loin serait contraire au principe de proportionnalité, avis défavorable.
L'amendement COM-18 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Avec l'amendement COM-42, nos collègues communistes proposent de supprimer l'article 3, au motif que celui-ci allongerait la durée de certaines MICAS à 24 mois. Nous partageons ce raisonnement. Pour autant, il y a d'autres éléments importants dans cet article 3. J'émets un avis défavorable, mais nous présenterons ultérieurement un amendement supprimant l'allongement à 24 mois.
L'amendement COM-42 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-20 propose de porter le nombre de fois auquel la personne peut être astreinte de se présenter aux services de police ou aux unités de gendarmerie à trois par jour, au lieu d'une fois dans le droit actuel. Nous avons visité, au cours de nos travaux sur ce projet de loi, un centre du programme d'accompagnement individualisé et de réaffiliation sociale (PAIRS), dédié notamment à la réinsertion des personnes détenues pour terrorisme. Quand on demande à une personne de pointer trois fois dans son lieu de résidence et qu'elle doit, par exemple, se rendre à l'autre bout de Paris pour suivre les activités du programme PAIRS, c'est matériellement impossible. Avis défavorable.
L'amendement COM-20 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Les amendements COM-19 et COM-53 proposent de restreindre le périmètre dans lequel une personne peut être assignée à résidence. Le Conseil constitutionnel a fait du périmètre prévu - au minimum celui de la commune - un élément de la constitutionnalité de la mesure. Avis défavorable aux deux amendements.
Les amendements COM-19 et COM-53 ne sont pas adoptés.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Notre amendement COM-98, conformément aux éléments que je vous ai exposé, supprime la prolongation de la durée maximale des MICAS à deux ans pour les personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention. La voie judiciaire nous parait plus pertinente.
L'amendement COM-64 supprime la possibilité pour le ministre de l'intérieur d'imposer à la personne de justifier de son lieu d'habitation ; les amendements COM-65 et COM-22 proposent la suppression de l'allongement des MICAS pour les personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention. Si l'amendement COM-98 est adopté, ces trois amendements tombent.
L'amendement COM-98 est adopté ; les amendements COM-64, COM-65 et COM-22 deviennent sans objet.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-88 prévoit d'intégrer au code de la sécurité intérieure une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, selon laquelle la détermination des interdictions de contacts imposés à l'intéressé doit tenir compte de sa vie familiale. Avis favorable.
L'amendement COM-88 est adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-54 supprime la limitation de durée à l'interdiction de paraître dans de grands événements qui pourrait être prononcée à l'encontre des personnes soumises à une interdiction de sortir du périmètre d'une commune. Or, le texte prévoit que cette interdiction de paraître soit strictement limitée à celle de l'événement concerné. La durée de trente jours permet de couvrir l'ensemble des grands évènements à venir - par exemple, la Coupe du monde de rugby et les jeux Olympiques. Avis défavorable.
L'amendement COM-54 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Mon avis concernant l'amendement COM-21 est défavorable, pour les mêmes raisons que celles qui ont été indiquées précédemment ; le Conseil constitutionnel s'est prononcé.
L'amendement COM-21 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 3
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-23 propose de géolocaliser les personnes qui optent pour un bracelet électronique dans le cadre des MICAS. Ce bracelet doit seulement permettre de vérifier qu'elles ne sortent pas du périmètre auquel elles sont astreintes. Avis défavorable.
L'amendement COM-23 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 4
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-24 propose d'ouvrir la possibilité de réaliser des visites domiciliaires à d'autres fins que celle de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Là encore, nous sortirions du cadre strict fixé par le Conseil constitutionnel. Avis défavorable.
L'amendement COM-24 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-25 propose d'élargir les critères permettant de réaliser une visite dominicale. Pour les mêmes raisons que l'amendement précédent, avis défavorable.
L'amendement COM-25 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-99 vise à supprimer l'article 4 bis. La présence de témoins au cours d'une visite domiciliaire constitue une garantie essentielle au respect des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif. Cependant, en cas d'anonymisation des témoins sur le procès-verbal, l'occupant des lieux ne disposera plus d'aucun moyen de vérifier que ceux-ci existent effectivement et que la visite domiciliaire a été effectuée dans le respect des prescriptions légales. En conséquence, nous proposons de supprimer cet article.
M. François-Noël Buffet, président. - Lors de leur audition, les syndicats de police nous expliquaient qu'ils avaient recours au témoignage de personnes présentes sur place pendant les perquisitions, afin de s'assurer que celles-ci se passent bien.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Cela évite les contentieux liés à la procédure. L'amendement COM-70 deviendra sans objet si l'amendement COM-99 est adopté.
L'amendement COM-99 est adopté ; l'amendement COM-70 devient sans objet.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-43 supprime l'article 5 ; je ne peux qu'y être défavorable.
L'amendement COM-43 n'est pas adopté.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-100 reprend la proposition de loi adoptée par notre assemblée il y a trois semaines.
L'amendement COM-100 est adopté ; l'amendement COM-27, les amendements identiques COM-26 et COM-55, de même que les amendements COM-28, COM-29, COM-56, COM-10 et COM-67 deviennent sans objet.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-66 dénonce un amalgame entre terrorisme et psychiatrie. Cela ne me paraît pas être le cas. Il existe une part minoritaire de personnes présentant un risque terroriste et souffrant de troubles mentaux. Pour assurer leur suivi dans les meilleures conditions, il paraît nécessaire que les préfets et les agents sous leur autorité puissent avoir connaissance des entrées et des sorties de ces personnes en soins sans consentement.
Le terroriste avec des troubles psychiatriques qui a décapité le chef d'entreprise en Isère venait d'un département proche. Je propose le retrait de cet amendement, au profit de l'amendement COM-101 rectifié, qui me semble plus précis.
Mme Nathalie Goulet. - Cet article rejoint le travail commun effectué par la commission des lois et la commission des affaires sociales sur la psychiatrie. Nous avions mis en place un certain nombre de dispositifs concernant la communication du dossier médical. Sur ces questions, le préfet est en situation de compétence liée, ce qui pose des difficultés ; en effet, les préfets ont parfois une appréciation plus fine de la situation que les médecins. Je suis favorable à l'amendement de la commission.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur Leconte, acceptez-vous de retirer votre amendement au profit de celui de M. Daubresse ?
M. Jean-Yves Leconte. - Tout à fait.
L'amendement COM-66 est retiré.
L'amendement COM-101 rectifié est adopté.
Article additionnel après l'article 6
L'amendement COM-31 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-89 rectifié propose de clarifier le contenu du rapport devant être remis annuellement au Parlement. Avec l'amendement COM-102, nous souhaitions axer ce rapport sur les dispositifs judiciaires préventifs effectivement mis en oeuvre. M. Richard ayant accepté de rectifier son amendement pour intégrer le mien, j'y suis favorable.
L'amendement COM-102 est retiré.
L'amendement COM-89 rectifié est adopté.
Articles additionnels après l'article 6 bis
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Je vous propose de déclarer les amendements COM-11, COM-12, COM-32, COM-33, COM-34, COM-35, COM-36 et COM-40 irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution, car ils concernent le droit des étrangers. La préoccupation est légitime, mais nous sortons du périmètre de notre texte.
L'amendement COM-47 relaie les préoccupations des régies de transports. Cet amendement, déjà rejeté dans le cadre de l'examen de la proposition de loi sur la sécurité globale, me paraît également irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution. De même, les amendements COM-48, COM-49, COM-50, COM-51 et COM-52 seraient irrecevables.
Les amendements COM-11, COM-12, COM-32, COM-33, COM-34, COM-35, COM-36, COM-40 COM-47, COM-48, COM-49, COM-50, COM-51 et COM-52 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 7
L'amendement rédactionnel COM-103 est adopté ; l'amendement COM-93 rectifié devient sans objet.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-71 propose de subordonner l'ensemble des transmissions de renseignement entre services à une autorisation du Premier ministre, après avis de la CNCTR. L'équilibre proposé par le texte sur ces transmissions me paraît déjà satisfaisant. Avis défavorable.
L'amendement COM-71 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avec l'amendement COM-72, lorsque les services de renseignement se voient transmettre des informations couvertes par un secret protégé par la loi, cette transmission doit être autorisée au préalable par la CNCTR. Or cette commission ne contrôle que les techniques de renseignement. Avis défavorable.
L'amendement COM-72 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-73 concerne le délai de conservation par les services de renseignement des données issues des autorités administratives, que Jean-Yves Leconte propose de réduire à trois mois ; ce nouveau délai paraît trop court.
M. Jean-Yves Leconte. - Ces informations étant acquises sans le contrôle de la CNCTR, les services renseignements ont besoin de les traiter sans les accumuler. Dans ce cadre, le délai de trois mois peut être suffisant.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Le délai est trop court, notamment dans le cadre du suivi d'un individu, qui peut intervenir sur un plus long terme. Avis défavorable.
L'amendement COM-73 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-82 concerne la remise d'un rapport sur la définition d'un cadre légal pour les échanges avec les services de renseignements à l'étranger. La commission est traditionnellement défavorable aux demandes de rapport. Le sujet est cependant en effet particulièrement sensible, du fait de la récente décision de la CEDH.
M. François-Noël Buffet, président. - Madame la rapporteur, je comprends l'avis défavorable, mais peut-être la délégation parlementaire au renseignement (DPR) pourrait-elle de se pencher sur le sujet ? Cela pourrait faire l'objet d'un travail et d'un rapport au cours de l'année.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Tout à fait.
M. Jean-Yves Leconte. - Le sujet vient de faire l'objet d'une décision de la CEDH ; il est nécessaire d'y travailler, sous peine de compliquer les échanges avec un certain nombre de services de pays alliés.
M. Jean-Pierre Sueur. - M. Vaugrenard est présent dans trois instances : la DPR, la CNCTR et la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS). Il est bien conscient du fait que nous ne sommes pas favorables aux rapports, mais il nous indique que les autres pays sont en avance sur nous et qu'il faut assurément traiter le sujet. Bien sûr, la DPR est le lieu idoine pour cela ; mais, comme vous le savez, les échanges y sont confidentiels.
M. François-Noël Buffet, président. - Les rapports comportent malgré tout une partie publique, qui est conséquente.
M. Jean-Pierre Sueur. - Depuis M. Urvoas, le rapport de la DPR est devenu substantiel ; avant cela, on n'y trouvait pratiquement rien.
M. Alain Richard. - Il serait souhaitable que nous ayons une analyse précise des effets de la décision de la CEDH relative aux échanges de données.
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce serait d'autant plus précieux que, selon la CEDH, cette question doit être soumise à un contrôle indépendant. Si cela n'est pas mis en oeuvre, la CEDH pourra nous le faire observer.
Mme Nathalie Goulet. - Je cite un cas très simple : la France avait arrêté sur son territoire une personne d'origine libanaise pour un problème de fraude fiscale ; relâchée, cette personne vient d'être extradée aux États-Unis, car il s'avérait qu'elle finançait le Hezbollah. Cela prouve que les États-Unis ont plus de moyens que nous pour surveiller nos propres ressortissants. La coordination est donc nécessaire.
L'amendement COM-82 n'est pas adopté.
Articles additionnels après l'article 7
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-2 inclut parmi les finalités des techniques de renseignement la lutte contre le financement du terrorisme et du trafic d'armes. Cet amendement est satisfait ; ces finalités sont déjà incluses à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.
Mme Nathalie Goulet. - Je veux bien supprimer le trafic d'armes. En ce qui concerne le financement du terrorisme, la directrice de Tracfin, lors de son audition, n'était pas opposée à une précision dans cet article L. 811-3.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La lutte contre le terrorisme inclut par nature le financement du terrorisme.
Mme Nathalie Goulet. - Je redéposerai l'amendement en séance.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à étendre la durée de conservation des informations nécessitant une traduction. On comprend l'objet de cet amendement, mais, rédigé ainsi, il ne permet pas d'atteindre l'objectif poursuivi. La conservation au-delà de la durée prévue serait destinée à de pures finalités techniques, à l'exclusion de toute finalité de surveillance. Avis défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
Article 8
L'amendement de précision COM-104 est adopté.
L'amendement de précision COM-92 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-44 supprimerait l'article 10, qui conforte les capacités des services de renseignement à utiliser l'IMSI-catcher après l'arrivée de la 5G. Avis défavorable.
L'amendement COM-44 n'est pas adopté.
L'amendement rédactionnel COM-105 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements identiques COM-106 et COM-115 limitent l'expérimentation des techniques d'interception des correspondances par voie satellitaire aux seuls services du premier cercle.
Les amendements COM-106 et COM-115 sont adoptés.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-63 réduit d'un an les réquisitions sur les communications satellitaires. En passant de quatre à trois ans, le délai paraît trop court. Avis défavorable.
L'amendement COM-63 n'est pas adopté.
Articles additionnels après l'article 11
Les amendements COM-37 et COM-38 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-45 supprime la pérennisation des algorithmes. Avis défavorable.
L'amendement COM-45 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Par les amendements COM-107 et COM-62, nous souhaitons placer l'extension des algorithmes aux URL sous un régime expérimental. Le traitement serait autorisé jusqu'au 31 juillet 2025, avec un recours au Parlement pour décider de sa prorogation ; la date s'aligne sur celle prévue pour l'interception des communications satellitaires. L'amendement COM-62 retient comme fin de l'expérimentation l'année 2024.
M. François-Noël Buffet, président. - L'expérimentation que nous avions souhaitée a porté ses fruits. Aujourd'hui, le système concernant les algorithmes devrait être pérennisé dans de bonnes conditions.
L'amendement COM-107 est adopté.
L'amendement COM-62 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à supprimer l'article 15 ; cela reviendrait à supprimer toute la conservation des données de connexion au bénéfice des services de renseignement et de la lutte contre la criminalité grave ; avis défavorable.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-108 précise un certain nombre de dispositions de l'article 15, notamment sur les données conservées.
L'amendement COM-74 supprimerait l'injonction de conservation rapide. Nous nous interrogeons sur cette procédure d'injonction ; toutefois, elle fait le lien entre les données conservées et l'institution judiciaire. Nous avons donc besoin de garder cette injonction.
L'amendement COM-108 est adopté.
L'amendement COM-74 devient sans objet.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-46 ferait de l'avis de la CNCTR sur les techniques de renseignement un avis conforme. Il est largement satisfait, puisque le Conseil d'État sera saisi de toute décision contraire du Premier ministre à un avis de la CNCTR, ce qui ne s'est encore jamais produit. Avis défavorable.
L'amendement COM-46 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-109 prévoit que la CNCTR est informée des avis rendus par un seul de ses membres statuant dans des procédures d'urgence, notamment dans le cadre d'installation de dispositif à domicile. De manière générale, l'article 16 bis simplifie les procédures pour assurer la maintenance ou retirer des balises à domicile.
L'amendement COM-109 est adopté.
Article 17
L'amendement rédactionnel COM-87 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements identiques COM-110 et COM-116 concernent la transmission du rapport par la DPR.
Les amendements identiques COM-110 et COM-116 sont adoptés.
Article additionnel après l'article 17 bis (nouveau)
Les amendements identiques COM-111 et COM-117 sont adoptés.
Articles additionnels après l'article 17 ter (nouveau)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-80 revient sur la question des échanges avec les services étrangers des organismes internationaux. Tant que nous n'avons pas travaillé sur le sujet, il est trop tôt fixer des orientations. Avis défavorable.
L'amendement COM-80 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-81.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-39 supprime la condition de « menace imminente ». Cette disposition a été ajoutée sur la recommandation du Conseil d'État. Avis défavorable.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Tous ceux qui ont regardé le match de football hier soir ont pu constater qu'un deltaplane pouvait pénétrer tranquillement dans un stade. Il faut donc éviter que des drones malveillants ne viennent perturber les manifestations sportives. Le brouillage, loin d'être attentatoire aux libertés, est une vraie mesure de défense.
L'amendement COM-39 n'est pas adopté.
Article 19
Concernant l'amendement COM-113, nous ne sommes pas favorables à la communicabilité des archives intéressant la défense nationale à l'issue de 75 ans et avec un système de réexamen glissant tous les dix ans. Avis défavorable, de même qu'aux amendements COM-7, COM-60, COM-75 rectifié, COM-83, COM-4, COM-57, COM-76 rectifié, COM-84, COM-6, COM-59, COM-78 rectifié et COM-94.
En revanche, avis favorable aux amendements COM-5, COM-58, COM-77 rectifié et COM-85.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela fait beaucoup d'amendements émanant d'instances et de sénateurs différents qui, à ce stade, sont balayés. J'espère que cela implique une nouvelle discussion.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Tout à fait. Ces amendements, le plus souvent identiques, soulèvent une question, mais n'apportent pas de solutions. L'amendement COM-112 prévoit que seuls les documents qui révèlent de nouvelles informations en matière de renseignement sont protégés.
Les amendements COM-113, COM-7, COM-60, COM-75 rectifié, COM-83, COM-4, COM-57, COM-76 rectifié, COM-84, COM-6, COM-59, COM-78 rectifié et COM-94 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-112 et les amendements identiques COM-5, COM-58, COM-77 rectifié et COM-85 sont adoptés.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'avis concernant l'amendement COM-114 est favorable, sous réserve sous réserve que la dernière phrase du nouvel article 213-3-1 proposé soit supprimée.
M. François-Noël Buffet, président. - Si Pierre Ouzoulias le rectifie maintenant, nous l'intégrons dans le texte de la commission.
M. Pierre Ouzoulias. - J'accepte la rectification.
L'amendement COM-114, ainsi modifié, est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements identiques COM-8, COM-61, COM-79 rectifié et COM-95 offrent au juge la possibilité d'ordonner en référé la communication d'un document en cas d'avis favorable de la CADA. Le contrôle du juge doit toutefois être entier, car il lui revient de vérifier que l'administration a soupesé convenablement, d'une part, les intérêts du demandeur qui souhaite accéder à ces documents, et, d'autre part, la préservation de notre souveraineté. Avis défavorable.
Les amendements COM-8, COM-61, COM-79 rectifié et COM-95 ne sont pas adoptés.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion, suspendue à 11 h 30, est reprise à 16 h 30.
Numérisation de la justice - Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
M. François-Noël Buffet, président. - Madame la ministre, monsieur le ministre, merci d'avoir accepté de venir devant notre commission, pour vous exprimer sur le sujet de la numérisation de la justice. C'est, pour nous, une question extrêmement importante. Sans doute, elle ne fait pas la une de tous les journaux. Mais ce n'est pas l'objectif ! Il s'agit de créer de bonnes conditions de travail pour nos magistrats, nos greffiers, nos policiers, les avocats, tous ceux qui collaborent à l'oeuvre de justice. Ces conditions sont compliquées, parfois incompréhensibles, du fait de difficultés techniques majeures qui occasionnent une perte de temps importante et, au lieu de simplifier les choses, les complexifient. Sans vouloir paraître pessimiste, je tiens à ce que nous ayons un débat de vérité. Je sais que vous avez travaillé sur le sujet, que vous avancez, je n'ai pas de doute.
Voici tout de même quelques éléments de contexte. Les crédits de paiement consacrés à l'informatique du ministère s'élèvent en 2021 à 267 millions d'euros, contre 242 millions d'euros en 2020. C'est donc une augmentation très nette de 10 %, à périmètre constant. Outre 50 emplois créés au secrétariat général du ministère, un peu plus de 206 millions d'euros de crédits de paiement sont prévus en 2021 au profit du plan de transformation numérique 2018-2022, contre 177 millions d'euros en 2020. Là encore, c'est un progrès incontestable. Lors de votre audition sur le projet de loi de finances pour 2021, monsieur le garde des sceaux, vous aviez précisé que 353 millions d'euros de crédits de paiement auront été dépensés à la fin de l'année 2021, sur les 530 millions d'euros dont ce plan, d'une durée de cinq ans et qui doit s'achever en 2022, est doté.
Pour autant, la crise sanitaire a mis en lumière les dysfonctionnements structurels dont souffrent nos juridictions en matière numérique, qu'il s'agisse d'équipements bureautiques ou, surtout, de solutions logicielles qui, pour partie, sont dépassées. Lors de nos déplacements dans les juridictions, et au cours d'entretiens avec les magistrats, les greffiers et les avocats, nous avons constaté des difficultés réelles, concrètes, pratiques. Nous avons constaté l'urgence qu'il y avait à faire avancer ce sujet.
Au tribunal judiciaire de Lyon, en mars dernier, les greffiers nous ont alertés, par exemple, sur les conditions de mise en oeuvre de la réforme de l'intermédiation financière des pensions alimentaires. Celle-ci nécessite la transmission d'informations entre les juridictions et les caisses d'allocations familiales (CAF). Les CAF disposent d'un outil informatique qui est assez performant, mais qui ne communique pas avec le logiciel de la justice civile! Les greffiers doivent ainsi ressaisir toutes les informations permettant d'assurer l'exécution de la décision du juge.
C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre cet après-midi. Mon propos ne se veut pas désagréable, mais l'on observe que les juridictions commerciales ou les juridictions administratives, plus petites, certes, sont devenues très performantes. Pourquoi ces difficultés dans l'institution judiciaire ? Nous devons progresser collectivement sur ce point. C'est un service que nous devons à nos magistrats, greffiers, avocats, policiers et surtout à nos concitoyens. Ce n'est ni un cri d'alarme ni un cri de désespoir que je pousse : je ne fais qu'exprimer la volonté politique de la commission de contribuer à des avancées significatives dans ce domaine.
Pouvez-vous nous présenter l'organisation, au sein du ministère, du pilotage de la numérisation de la justice ? Quelles sont les améliorations que vous souhaitez ? Pourriez-vous nous faire un bilan de la mise en oeuvre du plan de transformation numérique et des moyens mis en place ? Enfin, parmi les exemples parlants, je pense à la signature électronique des actes en matière civile et pénale, où en est-on ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ni cri d'alarme, ni cri de désespoir : vous avez raison de ne pousser ni l'un ni l'autre, monsieur le président, parce que nous sommes en train de progresser, et que nous avançons à grands pas. J'ai la volonté farouche de faire avancer le numérique, qui est un outil essentiel pour les magistrats, les greffiers, les avocats, les huissiers, mais surtout, aussi, pour le justiciable, qui peut remplir par le truchement du numérique son dossier d'aide juridictionnelle, et avoir accès aux différentes étapes de la procédure civile.
Merci d'avoir organisé cette audition, qui s'inscrit bien sûr dans une logique d'information du Parlement, qui était la mienne dès le vote du budget 2021.
Au regard de l'importance des enjeux de la transformation numérique de la justice, j'ai mis en place de façon informelle un rendez-vous bisannuel de suivi de la transformation numérique de mon ministère pour, d'une part, les rapporteurs budgétaires des commissions des finances et des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale et, d'autre part, les services du ministère de la justice spécifiquement en charge de ces questions. La première édition s'est d'ailleurs tenue le 5 février dernier.
Lorsque j'ai pris mes fonctions en juillet 2020, nous sortions d'un premier confinement, qui avait fortement affecté le ministère de la justice. Les défis à relever étaient de taille, avant même d'engager les grandes réformes que je porte aujourd'hui devant vous. J'ai bien sûr constaté l'investissement des services et des agents pour relever les défis de cette crise, et je veux ici saluer les efforts considérables de tous les professionnels de la justice pour se relever et déployer les moyens numériques qui ont permis à l'institution judiciaire de fonctionner durant cette période. Grâce à ces efforts, toutes les missions de la justice ont pu être maintenues à l'occasion du second confinement.
L'engagement de la Chancellerie dans sa transformation numérique est total. J'en veux pour preuve l'investissement budgétaire réalisée chaque année en la matière, avec une ambition portée à 232 millions d'euros pour 2021. C'est un effort sans précédent en matière numérique pour la justice - et ce, sans même parler du plan de relance.
Pour une numérisation réussie de l'administration de la justice, je porte trois grandes orientations.
Premièrement, nous avons d'abord réalisé un effort inédit de mise à niveau des équipements du ministère. La modernisation des infrastructures du ministère nous est apparue indispensable pour améliorer la qualité et la fiabilité des services numériques existants. La crise sanitaire a fortement accéléré ces travaux, et j'entends bien poursuivre cet effort en 2021 et en 2022. Pour cela, j'ai obtenu un financement à hauteur de 5 millions d'euros au titre du plan de relance.
Face à cette crise, la toute première urgence était d'augmenter massivement les capacités de connexion au réseau du ministère de la justice. En quelques semaines, nous sommes passés de 2 000 accès simultanés à plus de 30 000. Les sites équipés en fibre optique sont passés de 198 en 2017 à 979 en 2021. Une augmentation significative de la dotation en équipements a été réalisée ces derniers mois. Nous sommes passés de 7 500 ordinateurs portables en 2017 à 44 000 en juin 2021 : 100 % des magistrats sont équipés ; 39,5 % des fonctionnaires de greffe et 41 % pour les autres fonctions. Prochainement, 6 000 ordinateurs portables seront distribués, prioritairement aux greffes.
S'agissant de l'accès aux applicatifs métier, il convient de préciser que les trois applications essentielles pour la justice pénale - Cassiopée, API et le casier judiciaire - sont désormais accessibles à tous, et à distance. Les applicatifs nécessaires au traitement à distance des contentieux civils sont également opérationnels, et je peux annoncer que, depuis mai 2021, 100 % des juridictions civiles ont un accès en ligne à leurs logiciels métier.
Nous avons aussi continué à travailler pour rendre accessible à distance de nouveaux applicatifs, en particulier ceux des cours d'appel et des juges pour enfants statuant en assistance éducative. Une expérimentation est actuellement en cours, à Metz, avec de premiers résultats particulièrement encourageants. Par ailleurs, le ministère travaille au déploiement des autres outils numériques au profit de tous les utilisateurs. Près de 2 500 équipements de visioconférences sont déployés. En mai 2021, une convention nationale a généralisé et simplifié la communication électronique pénale entre les juridictions et les barreaux. Notamment, l'outil PLEX (PLateforme d'échanges EXterne) permet la communication électronique de procédures avec les avocats et a concerné l'envoi dématérialisé de près de 400 000 procédures l'an passé.
Nous devons avoir, monsieur le président, le souvenir commun de l'époque de la photocopie des dossiers, à 3 francs la page : il fallait six mois pour obtenir une copie de dossier. Cela se fait maintenant en un clic.
M. François-Noël Buffet, président. - En effet !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Un outil facilitant la communication électronique avec les huissiers est également en cours d'expérimentation.
Troisièmement, des bornes WiFi ont été déployées, leur nombre passant de 433 en 2017 à 4 200 en 2021.
Quatrièmement, mes équipes ont travaillé afin de disposer d'une signature électronique équivalente à la signature manuscrite papier, ayant la même force probante, pour pouvoir dématérialiser les dossiers de procédure. Les premiers déploiements réalisés avec succès ont d'abord eu lieu sur la procédure pénale numérique. Sur les 24 sites bénéficiant de la numérisation des procédures correctionnelles, la signature manuscrite est remplacée par la signature électronique pour tous les actes qui y sont établis. Récemment, à Paris, le jugement relatif à l'affaire du Mediator a ainsi été signé électroniquement pour faciliter son envoi électronique à des milliers de parties civiles.
J'ai souhaité ensuite fixer un cap très clair, qui est de recentrer les trajectoires des grands projets numériques sur la justice du quotidien, avec un bénéfice immédiat pour le justiciable. Les réformes législatives, l'émergence de nouveaux projets, la crise sanitaire, les difficultés inhérentes à tout projet informatique ont pour partie bouleversé le déroulement du plan décidé en 2017. Actuellement, les moyens qui y sont consacrés, à savoir 260 emplois dédiés au plan de transformation numérique et un budget d'investissement de 530 millions d'euros sur cinq ans, sont affectés à plus d'une centaine de projets d'ampleurs très diverses. Pour y mettre bon ordre, j'ai souhaité prioriser douze projets afin de placer au coeur de notre stratégie numérique le bénéfice immédiat pour le justiciable. Je pense par exemple à la dématérialisation de la procédure pénale, à la dématérialisation de l'aide juridictionnelle, au logiciel « Parcours » mis à la disposition des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse pour mettre en oeuvre le nouveau code de justice pénale des mineurs, à la justice civile numérique, ou à la dématérialisation de la gestion du travail d'intérêt général.
La procédure pénale peut être entièrement numérique, de bout en bout : depuis la plainte de la victime jusqu'au jugement. C'est un gain de temps et d'efforts pour tous les professionnels du droit, notamment pour les avocats, qui peuvent disposer plus rapidement des procédures nécessaires à la défense des intérêts de leurs clients. C'est aussi un net allégement des formalités qui pèsent au quotidien sur les policiers et les gendarmes, qui sont dispensés désormais d'établir des copies de leurs procédures. C'est également un gain pour les fonctionnaires du greffe, qui assument actuellement des missions d'archivage, de manutention et de reprographie.
La procédure pénale numérique (PPN) s'articule autour de plusieurs phases. D'abord, l'automatisation du traitement des procédures sans poursuites, dans toutes les juridictions métropolitaines, d'ici décembre 2021, pour autoriser l'enregistrement sans manipulation humaine de près de 2 millions de procédures par an, ainsi que l'information des victimes des suites données à leur plainte. Concrètement, les usagers pourront obtenir en ligne le résultat du traitement de leur plainte. À ce jour, cette phase a été déployée dans 61 tribunaux. Puis, la numérisation des procédures correctionnelles au sein d'une quarantaine de juridictions, afin d'y tenir d'ici mars 2022 des audiences correctionnelles numériques. La signature manuscrite est remplacée par la signature électronique. Cela a été déployé dans 24 tribunaux. Les outre-mer bénéficieront évidemment du déploiement de la PPN, qui sera par exemple installée à Saint-Pierre de la Réunion dès cet automne. Les services de la PPN seront disponibles dans toutes les juridictions de France d'ici décembre 2023.
J'ai souhaité mettre en place une maîtrise des coûts, et faire évoluer les méthodes de travail. Ces efforts sont menés de manière coordonnée, en lien étroit avec les services de la ministre de la transformation et de la fonction publique, que je veux ici chaleureusement remercier pour son aide et ses conseils précieux.
Les mesures nouvelles de suivi des projets sont mises en oeuvre avec le développement d'un outil de comptabilité analytique. Le ministère de la justice s'est rapproché de la direction interministérielle du numérique afin de capitaliser sur de bonnes pratiques, dont l'organisation de revues de projet sur les douze projets phares du ministère.
Enfin, pour mener cette transformation, le ministère de la justice n'a pas hésité à se faire accompagner, avec l'appui de la ministre de la transformation et de la fonction publique. À ma demande, le Premier ministre a accordé un financement supplémentaire de plus de 53 millions d'euros. La collaboration étroite des services de nos deux ministères nous permet d'envisager que le ministère de la justice puisse, sur le long terme, assumer ses responsabilités avec ses propres compétences.
Un pilotage externalisé des chantiers numériques pourrait en apparence présenter des avantages : rapidité, agilité... Toutefois, la Cour des comptes a rappelé dans son rapport sur les grands projets numériques de l'État qu'il convient de garder un juste équilibre entre internalisation et externalisation, car la maîtrise technologique ne suffit pas : la connaissance des métiers est tout aussi essentielle pour réussir notre transformation numérique. C'est en travaillant en proximité avec le terrain, les greffiers, les magistrats, les tribunaux, les agents de l'administration pénitentiaire, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, que nous réussirons notre transition numérique. Je tiens donc à ce que le ministère conserve son autonomie numérique. J'ai réalisé 50 nouveaux recrutements au sein du secrétariat général pour le numérique à cette fin.
Enfin, j'ai souhaité valoriser le respect de trois grands principes en réaffirmant le rôle clé du ministère de la justice à l'heure du numérique. La justice est une institution humaine. Sa transformation numérique doit y contribuer, en la rendant plus accessible, plus lisible pour nos concitoyens et en leur assurant les mêmes garanties de droit, que la procédure soit numérique ou en papier. La protection des données est un enjeu majeur pour tous nos concitoyens. Je veille à ce que tous les traitements de données à caractère personnel donnent lieu à une information et à une voie de recours pour tous nos concitoyens.
La mise en oeuvre de l'open data des décisions de justice est tout aussi capitale : le numérique, c'est aussi le moyen de rendre la justice plus transparente et accessible. Dès cet automne, l'open data des décisions du Conseil d'État et de la Cour de cassation favorisera l'accès au droit. À terme, et au plus tard en 2025, plus de 350 000 décisions seront concernées chaque année pour l'ordre administratif, et plus de 3,5 millions de décisions pour l'ordre judiciaire.
Je veille enfin tout particulièrement à l'inclusion de tous les citoyens et au risque d'exclusion liée à la fracture numérique. Les efforts menés pour l'inclusion des personnes en situation de handicap doivent également être menés en matière numérique. Pour cela, un audit sur les démarches en ligne de mon ministère a été réalisé et un travail est engagé pour favoriser leur accessibilité. Partout sur le territoire, des points justice ont été intégrés aux maisons France Service, permettant à chacun de trouver au plus près de chez lui l'appui dont il a besoin pour ses démarches numériques.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - Je vous remercie pour cette opportunité d'échanger sur un sujet qui est au coeur des préoccupations des Français, et du Gouvernement dans son ensemble. C'est, je le sais, une préoccupation partagée par votre commission. La transformation numérique de nos services publics est une priorité. Elle concerne en premier lieu le service public de la justice, et nous y travaillons en étroite collaboration avec le garde des sceaux, comme en témoigne cette audition conjointe, avec une relation chaleureuse et précise, alignée avec la stratégie numérique de transformation de l'action publique que je porte.
C'est un enjeu majeur car, derrière le numérique, il s'agit bien de garantir l'effectivité de l'accès au droit et au service public et donc, pour ce qui nous occupe aujourd'hui, à la justice. Je partage avec le garde des sceaux la conviction que c'est un élément fondamental de notre pacte républicain et une condition essentielle du bon fonctionnement de l'État de droit.
Cette transformation tient donc une place particulière dans le chantier majeur de la modernisation de l'administration que je conduis au sein du ministère de la transformation et de la fonction publiques, qui réunit pour la première fois dans une même maison la gestion des ressources humaines, les outils numériques des agents et des usages, et la transformation des organisations publiques.
La numérisation des services publics est une priorité de la transformation des administrations pour ce quinquennat. Le constat est simple : les Français peuvent faire leurs courses sur internet, payer leur abonnement en ligne, préparer leurs vacances depuis chez eux, mais doivent encore trop souvent réaliser les démarches administratives en papier ou se déplacer pour aller déposer un dossier auprès de services publics. Nous ne pouvons pas nous y résoudre. Nous devons faire entrer complètement nos services publics dans le XXIe siècle en y mettant la méthode, l'énergie et les moyens nécessaires.
Le Président de la République nous avait fixé un cap en 2017: en 2022, tous les services publics du quotidien devaient être accessibles en ligne. Le garde des sceaux l'a souligné : cette ambition s'est vue réaffirmée par la crise sanitaire, qui est venue renforcer les attentes de nos concitoyens pour des services publics de qualité, plus proches, plus efficaces. Cette crise sanitaire nous a également conduits à accélérer de façon très significative les chantiers que nous avions engagés.
Le ministère de la transformation et de la fonction publiques a la responsabilité du numérique de l'État. II se trouve donc au coeur de cet engagement ambitieux de numériser tous les services publics du quotidien, et il doit s'assurer de sa déclinaison dans tous les périmètres ministériels. En tant que ministre, j'exerce une pression amicale sur mes collègues ministres mais, surtout, j'apporte un soutien humain et financier pour accompagner ces transformations qui sont particulièrement lourdes pour les organisations.
Pour que chacun puisse suivre la mise en oeuvre de cet engagement, je publie, de manière totalement transparente, tous les trimestres, un point d'avancement sur la numérisation des 250 démarches les plus usuelles des Français dans tous les domaines. La dernière publication a eu lieu en avril et la prochaine aura lieu en juillet. Je vous en transmettrai une copie, monsieur le président.
Nous pouvons mesurer l'étendue des progrès accomplis : en 2017, 63 % des 250 démarches en question étaient numérisées, tous ministères confondus. Aujourd'hui, nous sommes à 83 % de numérisation. Nous visons 100 % pour 2022. Cela dit, c'est surtout la qualité qui compte. Nous nous assurons donc que chaque démarche donne l'occasion à l'usager de donner son avis, grâce à un bouton conçu à cet effet. La note moyenne recueillie sur les services publics en ligne est de 7,3/10. Nous pouvons faire mieux, d'autant que 80 % des premiers contacts avec une administration se font en ligne...
Il ne s'agit pas de tout passer sous un format numérique. Plus fondamentalement, le numérique participe à renouveler le rapport qu'ont nos concitoyens avec l'administration, notamment en facilitant le partage de données entre administrations. Le préremplissage des formulaires, par exemple, simplifie le quotidien des Français. Nous allons renforcer cette pratique, dans le respect de la protection des données personnelles, en particulier pour simplifier la demande d'aide juridictionnelle en préremplissant les ressources grâce aux données déjà connues de l'État. La partie simplification du projet de loi 4D, que je porte, contient des dispositions à ce sujet. J'aurai l'occasion d'y revenir devant votre commission demain à l'occasion de mon audition sur ce texte.
Je tiens enfin à souligner que le numérique doit être un facteur d'efficacité de nos services publics et en aucun cas ne doit se développer au détriment du maintien d'un accès diversifié aux services publics, sur tout le territoire. Il peut s'agir d'un accueil physique ou d'un point téléphonique pour les publics qui seraient éloignés du numérique. Je sais que vous y êtes, en tant que représentants des territoires, particulièrement attachés.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux de numérisation, nous avons mis en place une stratégie de transformation numérique des administrations. Je l'ai présentée le 4 mars dernier. Cette transformation vise trois principaux publics.
Le citoyen, tout d'abord, c'est-à-dire - pour le sujet qui nous concerne aujourd'hui - le justiciable, qu'il soit particulier, entreprise ou encore association. Ce sont bien entendu ceux pour qui nous travaillons d'abord et avant tout. L'agent public, ensuite. Ce sont les hommes et les femmes dont j'ai la charge en tant que ministre de la fonction publique. Ils ont parfois été délaissés, le numérique prenant souvent le visage de l'usager, et moins celui de l'agent qui est derrière le guichet. Trop souvent, les agents ont vu le numérique comme une contrainte, voire une menace, alors qu'il est une opportunité s'il est correctement déployé, et si l'accompagnement nécessaire est prévu. Je pense aux greffiers bien sûr, aux magistrats et à tous les agents qui travaillent au quotidien pour que la justice soit rendue dans ce pays.
En matière d'équipement, nous avons déployé 185 000 ordinateurs portables à l'interministériel en un an entre mars 2020 et mars 2021. C'est plus de quatre années normales de déploiement. Nous devons aller plus loin pour simplifier les procédures, réduire l'usage du papier, développer la signature électronique... Je sais que le garde des sceaux y travaille avec beaucoup de conviction au sein de son ministère.
Le troisième public est constitué par les partenaires de l'action publique, ceux qui contribuent au service public. L'action publique, ce n'est pas que l'État : le service public de la justice dépend de professions règlementées, comme les avocats, les huissiers, ou les notaires, qui doivent être associées à cette transformation.
La stratégie de transformation que je porte repose sur trois enjeux principaux : qualité, transparence, et souveraineté. La qualité concerne l'expérience pour les usagers du service public, et les outils en interne des agents doivent permettre des gains de productivité, et donc un meilleur service.
La transparence renvoie à l'enjeu de l'open data. Notre culture administrative est souvent trop verticale et trop centrée sur l'État. L'ouverture, c'est aussi l'ouverture des données. Le Premier ministre a récemment réaffirmé notre ambition très forte en la matière dans l'ensemble des champs ministériels. Nous avons décidé d'ouvrir plus de 60 nouveaux jeux de données particulièrement demandés en 2021, comme la carte scolaire des collèges, les fichiers fonciers des personnes morales ou encore les données d'information routière en temps réel. L'open data est aussi un enjeu très important pour les décisions de justice, sur lequel nous travaillons.
Enfin, il y a un vrai enjeu de souveraineté. La souveraineté, c'est s'assurer à la fois que l'on garde la main sur les solutions que l'on achète, celles qu'on développe, et nos usages en matière de données personnelles. Le 17 mai dernier, avec Bruno Le Maire et Cédric O, nous avons présenté la stratégie du Gouvernement en matière d'hébergement et de cloud. J'ai acté que les administrations devaient mobiliser les technologies d'hébergement du meilleur niveau technologique, mais à deux conditions extrêmement strictes : d'une part, une protection de haut niveau sur les enjeux de cybersécurité, et d'autre part une protection contre toute règle extraterritoriale, afin de s'assurer que les données restent sur le territoire européen. Ce sujet de la souveraineté est particulièrement prégnant dans la justice, car les attentes de nos citoyens en matière de protection de leurs données sont très légitimes dans un domaine éminemment régalien. Je connais la préoccupation constante du garde des sceaux sur cette question.
Afin de mener cette transformation à bien, le ministère de la transformation et de la fonction publiques déploie des moyens inédits pour soutenir tous les autres ministères, notamment dans le cadre de la relance. Dès mon arrivée en juillet, j'ai souhaité renforcer les moyens dédiés à la transformation numérique de l'État et j'ai obtenu une enveloppe dédiée dans le cadre de France Relance. Jamais autant de moyens n'avaient été déployés pour le numérique de l'État.
Ces moyens, ce sont bien entendu des crédits budgétaires, avec les 700 millions d'euros du fonds pour la transformation de l'action publique lancé par le Président de la République dès le début du quinquennat, qui a notamment financé la procédure pénale numérique ou le système d'information de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle. Ces crédits, ce sont aussi 1 milliard d'euros du plan de relance destinés à la transformation numérique des administrations d'État, dont 500 millions pilotés par mon ministère et répartis comme suit : 208 millions d'euros permettent de financer une amélioration sensible de la qualité des outils des agents, avec l'augmentation des débits réseau au sein de plus de 800 services et juridictions du ministère de la justice ; 204 millions d'euros permettent d'améliorer les services pour les usagers, et financent la numérisation des démarches judiciaires, comme la saisine du tribunal de proximité pour le contentieux locatif ; 88 millions d'euros sont destinés à la transformation numérique des collectivités territoriales.
Ces moyens, ce sont aussi des méthodes, avec le suivi des réformes prioritaires, que je réalise en toute transparence via le baromètre des résultats de l'action publique sur le site du Gouvernement. Il contient une réforme emblématique du ministère de la justice : le suivi du travail d'intérêt général et, demain, l'accès à l'aide juridictionnelle. Sur le site internet du Gouvernement, vous pouvez voir précisément le nombre de postes de travail d'intérêt général proposés en tant que peine, département par département.
Pour transformer, l'ingrédient essentiel sera toujours les femmes et les hommes qui conduisent le changement, nos agents publics. C'est la raison pour laquelle, entre externalisation et internalisation, nous portons une vraie stratégie en matière de ressources humaines au sein de la fonction publique. J'ai présenté ma stratégie pour la filière numérique publique le 20 mai dernier dans une école d'ingénieurs en informatique. Elle repose sur quatre principales actions. D'abord, renforcer l'attractivité des métiers du numérique de l'État, en améliorant notre marque employeur ; favoriser la diversité ; simplifier les modalités de recrutement, en proposant notamment des grilles salariales adaptées à la concurrence ; enfin, former les agents tout au long de leur carrière, que ce soit dans la filière numérique ou en dehors.
Enfin, mon ministère développe et déploie des services numériques mutualisés et essentiels. Je pense en particulier, en matière d'identité numérique, à FranceConnect, qui avait 500 000 utilisateurs en 2017. Il en compte 23 millions aujourd'hui. C'est FranceConnect qui permet de récupérer en ligne son certificat de vaccination, ou encore de faire sa procuration pour les élections. Nous en étendrons l'usage au maximum de démarches relevant du ministère de la justice.
Je ne vais pas revenir bien entendu sur les points détaillés par le garde des sceaux à l'instant. Nous sommes en train d'accélérer, avec des échéances qui se calculent non plus en années mais en mois, notamment pour la PPN, l'aide juridictionnelle ou encore le travail d'intérêt général. Mes équipes sont mobilisées pour appuyer la Chancellerie sur ces différents travaux.
Nous voulons un numérique choisi, et pas un numérique subi par les Français. Le numérique dans le service public doit être un canal d'accès additionnel, en complément des guichets et d'autres canaux comme le téléphone ou l'accueil physique. Le but n'est pas d'arriver à une justice 100 % dématérialisée, mais d'offrir, à ceux qui le souhaitent et à ceux qui le peuvent, la capacité de réaliser leurs démarches en ligne. C'est la raison pour laquelle nous déployons très volontairement les espaces France Services. Il y en a 1 304 sur le territoire aujourd'hui, et il y en aura 2 000 en 2 022, qui offrent un bouquet de services publics : les impôts, les allocations familiales, Pôle emploi, l'assurance retraite ou encore le ministère de la justice - qui n'a jamais eu, à lui tout seul, 2 000 points d'accueil ! D'ici 2022, chaque usager pourra trouver une maison France Service à moins de 20 minutes de son domicile.
Le Premier ministre a également annoncé le 5 février 2021 le lancement d'un plan téléphone : les usagers pourront contacter un numéro de téléphone support pour toutes leurs démarches.
La transformation numérique de la justice s'inscrit donc, vous l'aurez compris, dans une ambition de transformation de nos administrations que nous portons collectivement au sein de ce Gouvernement : le sujet est abordé chaque trimestre au sein du conseil des ministres. Nous voulons améliorer concrètement le service public au quotidien pour les Français, et renforcer l'efficacité de notre action publique. Le chantier engagé est important mais, au regard de la qualité de la coopération entre mon ministère et la Chancellerie, nous ne pouvons qu'espérer que les objectifs fixés soient atteints dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais.
Mme Dominique Vérien, rapporteure budgétaire pour avis. - Nous nous intéressons de près au fonctionnement de la justice. Lorsque nous avons examiné le projet de budget et que nous sommes allés dans les différents tribunaux, les difficultés informatiques sont apparues nettement. La crise n'a fait que renforcer cette impression. Puisque nous allons régulièrement dans les tribunaux, je dois vous dire que nous voyons une réelle progression en termes de matériel, même si le rythme de déploiement n'est pas aussi rapide que ce qui avait été annoncé. Quand un agent reçoit un ordinateur portable, celui-ci remplace son ordinateur fixe. C'est intelligent, et cela permettra un déploiement plus rapide.
Le problème semble plutôt être du côté des logiciels. Lorsque nous étions à Lyon, nous avons vu que la réforme de l'intermédiation financière des pensions alimentaires était ralentie par le manque d'interfaces : la greffière nous montrait qu'elle devait tout ressaisir à la main - sans possibilité de sauvegarde intermédiaire ! Le logiciel Cassiopée utilise WordPerfect, que tout le monde a abandonné depuis 30 ans, sauf le ministère de la justice... Nous avons vu une greffière essayer de saisir une peine, avec par exemple de la prison ferme, du sursis et une obligation de soins : elle a bien saisi les données mais, dans le résultat, il manquait l'obligation de soins. Il a donc fallu qu'elle aille bidouiller le système pour pouvoir l'ajouter et l'imprimer ! Ce ne sont que de petits embarras, certes, mais ils se cumulent, et lassent les agents. Qu'avez-vous prévu pour améliorer ces systèmes ?
La juridiction unique nationale des injonctions de payer (Junip) semble abandonnée pour plus de proximité, mais aussi, peut-être, pour des problèmes techniques. Pouvez-vous nous en dire plus ? C'était attendu par certains tribunaux. Sur la signature électronique, vous nous avez répondu : les juridictions l'attendent aussi. Le point justice dans les maisons France Service est davantage un projet qu'une réalité : il n'y a pas toujours un fonctionnaire disponible pour répondre aux questions.
Pour terminer sur une note positive, nous étions à la réunion, ma collègue Agnès Canayer et moi-même, le 5 février, et nous avons pu voir la mise en place des travaux d'intérêt général : il y a des avancées, mais des dysfonctionnements perdurent.
M. André Reichardt. - Je suis sénateur alsacien et mon département a les mêmes attentes que le reste du territoire français en matière de numérique. Mais nous avons en plus un droit local, alsacien mosellan. Voilà qui n'est pas fait pour simplifier la situation... Je souhaite vous interroger sur le registre des associations d'Alsace et de Moselle, qui est différent du répertoire national des associations qui concerne le reste du pays. Il est tenu par voie électronique mais, contrairement au répertoire national des associations, il n'est pas consultable sur Internet et il n'est pas non plus possible d'accomplir les démarches d'inscription ou de modification en ligne. Il nous paraît pourtant souhaitable que le système national du répertoire national des associations soit étendu aux associations de droit local. Toutes les questions de principe et financières sont déjà tranchées. Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, examiner cette affaire et la faire avancer ?
Ma seconde question s'adresse à Mme la ministre chargée de la transformation numérique. Le taux de satisfaction des usagers est reflété par la note de 7,3 / 10 que vous avez évoquée. Je souhaite me faire l'interprète des « 2,7 » restant, qui correspondent à des problèmes qui nous remontent. Il y a encore une difficulté en ce qui concerne l'accompagnement d'une partie de la population, qui ne trouve pas, pour maintes raisons, la solution qu'elle recherche.
Vous avez l'intention de mettre en oeuvre un important plan numérique dans ce pays, sans qu'il s'agisse de substituer le numérique à tous les contacts : j'ai bien noté qu'il y aura encore de l'accueil physique, et un numéro de téléphone de contact. Mais lorsqu'on se connecte, par exemple, pour obtenir un permis de conduire, ce n'est que tout en bas de page qu'il est indiqué que, si l'usager ne peut pas faire cette démarche par voie numérique, il est possible d'aller en préfecture pour être accompagné... Et ensuite, en préfecture, le référent est parfois bien difficile à trouver. Il faut prendre en compte tous les besoins, et ceux-ci nous sont relayés par les élus locaux. Si vous mettez en place un numéro de téléphone support, de grâce, évitez les arborescences infinies où l'on vous demande de taper 1, puis de taper 2, en vous faisant attendre indéfiniment !
Mme Marie Mercier. - J'ai été comme vous, bien évidemment, et comme tout le monde, catastrophée par le meurtre de Mérignac. Cette affaire est tellement significative qu'une mission d'inspection a été diligentée pour essayer de la tirer au clair. Elle a montré plusieurs dysfonctionnements dans la transmission de l'information entre la police et la justice. Cette femme avait porté plainte, son mari violent était recherché par la police, et cet individu s'est présenté deux fois à des convocations de l'administration pénitentiaire sans être inquiété. Pensez-vous que des outils informatiques plus performants auraient pu permettre d'éviter ce drame ? Ou croyez-vous que le monde de la justice et celui de la police sont hermétiques de façon presque philosophique ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour éviter que de telles défaillances et de tels drames se reproduisent ?
Mme
Nathalie Goulet. - Il y a longtemps que les juges des
tribunaux de commerce attendent une adresse en
« justice.fr ». Ils travaillent sur leurs boîtes
personnelles, ce qui pose un certain nombre de problèmes, comme nous
l'avions signalé lors du budget.
Votre ministère avance-t-il
sur ce dossier ? Vous avez parlé de souveraineté et de
protection. Pour ces dossiers, avez-vous recours à des cabinets
privés ? Le ministère de la santé y a recours pour
faire des évaluations. Vous avez engagé une cinquantaine de
personnes sur ces dossiers au ministère. J'en conclus que vous traitez
la question en interne. Pouvez-vous nous le confirmer ? Y a-t-il un impact
financier du Brexit sur le système informatique et numérique du
ministère ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je n'ai pas entendu dire qu'il y ait un impact du Brexit sur le développement numérique de la Chancellerie. Je vais me renseigner. Je sais par contre que plusieurs décisions prises outre-Manche, en matière de mandats d'arrêt européen et de procédure civile, nous préoccupent.
M. Reichardt est alsacien, je le sais d'autant plus qu'il a écrit dans les Dernières nouvelles d'Alsace qu'il m'impute - à tort - la fin de la commission du droit local d'Alsace-Moselle. Tout le monde peut se tromper... Au contraire, j'ai tout fait pour restaurer cette commission, parce que je suis attaché au droit local d'Alsace-Moselle, comme j'ai eu l'honneur d'aller le dire à Strasbourg. J'avais d'ailleurs chargé la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, de piloter un certain nombre de réunions pour restaurer cette commission si chère au coeur des Alsaciens et des Mosellans. J'ai reçu en avril dernier un rapport proposant le rétablissement de cette commission sous un nouveau format, avec un rattachement au Premier ministre, une composition rénovée, des attributions et une organisation renforcées. Mes services travaillent actuellement à la rédaction du projet de décret, qui s'inspirera de ces préconisations. Un avant-projet sera soumis avant l'été à l'arbitrage du Premier ministre. Nous nous étions engagés à redonner vie à cette commission importante.
Vous m'interrogez sur les féminicides. Vous me posez une question singulière et infiniment délicate : aurait-on pu éviter ? On ne peut pas répondre à cette question, tant il est vrai qu'on ne peut pas réécrire l'histoire. On peut d'autant moins la réécrire que, par les temps qui courent, on a une vision de la justice exclusivement fondée sur le fait divers. On en demande davantage au ministère de la justice qu'il y a dix ou quinze ans : on lui demande non seulement de juger les crimes, mais aussi de les compter. Et chaque fois qu'un crime est commis, c'est la faute du ministère de la justice !
Pourtant, nous sommes au rendez-vous des efforts que nous avions promis de faire, qu'il s'agisse des téléphones grave danger, des bracelets anti-rapprochement ou des ordonnances de protection. J'ai dû recadrer les choses il y a peu, dans une circulaire, en disant en substance que les bracelets anti-rapprochement ne pouvaient pas rester dans les tiroirs : on en a augmenté l'utilisation de 100 %. Je m'en félicite. J'ai constaté également que des téléphones grave danger avaient été distribués par la Chancellerie. Sans doute sont-ils mieux utilisés que les bracelets anti-rapprochement parce que les magistrats se sont davantage emparés de cet outil, qui est aussi plus ancien. Parfois, aussi, la victime ne souhaite pas qu'un bracelet anti-rapprochement soit posé, il faut aussi le dire ! La plateforme qui centralise ces appels et ces alertes nous a communiqué des chiffres impressionnants. On évite beaucoup de crimes, beaucoup d'agressions, qui ne feront jamais la une des journaux. La Chancellerie a été au rendez-vous de ses obligations, légitimes, en distribuant ces outils dans toutes les juridictions, et en demandant aux juridictions qu'elles les utilisent, au mieux et au maximum.
Certes, l'inspection conjointe que nous avons demandée révèle un certain nombre de dysfonctionnements. Nous avons demandé s'ils étaient, ou non, constitutifs d'une faute déontologique. Nous aurons la réponse à la fin de ce mois. En tous cas, un certain nombre de dysfonctionnements ont été mis en lumière. Oui, il y avait un problème de coordination. Et le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice conduisent des travaux visant précisément à améliorer la prise en charge des victimes, notamment pour les faits de violence conjugale. C'est le ministère de l'intérieur qui pilote le dossier. Nous avons déjà une plateforme de signalement disponible pour les seules violences sexuelles et sexistes. Nous souhaitons l'élargir. Des travaux sont en cours. Le portail existant sera rebaptisé « plateforme nationale d'aide aux victimes », et son périmètre sera étendu à d'autres infractions. En tous cas, il est indispensable que les services se coordonnent davantage et qu'on ne laisse pas passer des informations capitales.
Aurait-on pu éviter ? Peut-on tout éviter ? On essaie, bien sûr, de faire au mieux avec ces outils, mais vous n'empêcherez jamais, malheureusement, un fou furieux de s'affranchir d'une injonction d'éloignement ou des règles que fixe un bracelet anti-rapprochement, et de contourner la protection du téléphone grave danger.
Il y a 1 992 points justice, madame Vérien, ce n'est pas une illusion, c'est une réalité. J'en ai visité, intégrés à France Services : il y a tout sur place. Ces points justice s'adressent à des gens défavorisés, fragiles. On y retrouve une sorte de délocalisation de la justice.
Mme Dominique Vérien, rapporteur budgétaire pour avis. - Il y a une maison France Services dans ma commune : encore faut-il qu'une personne compétente soit disponible !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cela ne peut pas être un permanent, en effet. Mais il y a déjà 1 992 points ouverts. Par ailleurs, en doublant le nombre de délégués du procureur, nous avons permis à ceux-ci d'aller là où des infractions de basse intensité sont commises. Je recevrai bientôt les retours d'expérience de cette justice de proximité pénale. Je pense que les chiffres seront encourageants.
Vous m'avez parlé de deux situations où cela ne fonctionnait pas bien. Nous avons mis en place un point d'entrée unique de déclaration et de suivi des incidents pour l'ensemble des agents du ministère, précisément pour répondre à ces problèmes.
Mme Dominique Vérien, rapporteur budgétaire pour avis. - Comme les dysfonctionnements sont récurrents, les agents n'appellent pas systématiquement.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il existe effectivement une difficulté, car il n'y a pas de lien direct d'échange entre le logiciel WinCI-TJ et le portail de la CAF. Il s'agit d'un choix de sagesse, qui tient à l'ampleur du chantier et aux risques inhérents au transfert des données. Toutefois, ces deux exemples ne doivent pas entraver notre optimisme quant au fonctionnement du numérique dans ce ministère. Nous avons fait des efforts considérables, et nous avons des outils qui fonctionnent bien.
Mme Dominique Vérien, rapporteure budgétaire pour avis. - Et pourtant, j'ai au moins trois exemples de lieux où des problèmes persistent : Paris, Lyon, et Auxerre.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Qu'il y ait eu des incidents dans ces trois villes ne peut suffire à ternir l'optimisme qui est le mien, qui n'est pas un optimisme béat, quant au fonctionnement du numérique dans notre ministère. La justice de proximité est quelque chose qui me tient à coeur, et j'ai tous les jours des retours positifs sur le fonctionnement des différents outils. Je ne l'ai pas caché, il y a eu certains retards, certaines difficultés issues de la covid. Mais de véritables améliorations ont été apportées, avec de véritables services rendus. Dès mon arrivée au ministère, j'ai veillé à prioriser les choses, considérant que qui trop embrasse mal étreint, pour aboutir à douze grands chantiers que nous allons mener à leur terme, et ce, dans les délais.
La PPN ne posera pas de difficultés, puisque les applications informatiques concernées sont, pour l'instant, uniquement dédiées au stockage de dossiers. En revanche, la conception de Cassiopée rend très complexe et lourde l'intégration de réformes législatives successives. Mais le sujet est moins la refonte de Cassiopée que l'évolution de notre doctrine en matière de trame. Par exemple, pour la mise en oeuvre du code de la justice pénale des mineurs, mes services ont revu toute leur organisation - pensez qu'ils doivent coder des trames de 160 pages modifiables à volonté ! Il s'agit d'un travail de long terme, qui, s'il n'est pas prévu dans l'actuel plan de transformation numérique, devra absolument être mis à l'agenda dans un délai bref.
Nous estimons que le projet de juridiction nationale des injonctions de payer se situe trop loin de la réalité pour le faire aboutir. D'abord, ce projet est très éloigné de mes préoccupations de proximité, et le choix de centraliser ces injonctions de payer en une juridiction unique nous semble assez peu compatible avec l'objectif du Gouvernement, à savoir renforcer une justice proche du justiciable. Ensuite, sur le plan budgétaire, il aurait nécessité des dépenses de recrutement importantes dans un contexte économique difficile. Par ailleurs, le développement de solutions numériques permet de pallier les difficultés inhérentes au traitement des injonctions de payer, c'est pourquoi la juridiction nationale des injonctions de payer n'est plus à l'ordre du jour.
M. André Reichardt. - Ma question portait sur la numérisation du registre des associations. J'aimerais obtenir une réponse par écrit.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Dans le plan de relance, 200 millions d'euros sont consacrés aux outils des agents publics, 200 millions d'euros aux démarches numériques, et 80 millions aux collectivités. À chaque fois que nous appuyons et finançons un projet, nous testons les applicatifs métiers avec les agents. Dans l'ensemble de la politique de transformation de l'État, nous sommes passés à une logique d'amélioration continue, en rupture totale avec les périodes précédentes. Pour résumer, dans de nombreux cas, un cahier des charges était signé, et au bout de quelques années, le projet était livré. Le travail était ensuite considéré comme terminé - que cela fonctionne parfaitement ou non ! Aujourd'hui, nous utilisons ce que l'on appelle la méthode « agile », une méthode de développement des outils numériques qui permet de procéder par « petites briques », qui sont testées en permanence et à chaque étape avec les agents et les usagers. Ce « changement de braquet » nous permet aujourd'hui d'atteindre 73 % de satisfaction dans les démarches numériques en ligne du quotidien. C'est pourquoi l'échange avec le ministère de la justice est à mes yeux très fructueux : nous apportons non seulement des moyens, mais aussi une méthode efficace, qui a mené au rétrécissement des délais. Ce schéma s'applique à l'ensemble de la politique numérique de l'État telle que je la pilote aujourd'hui. Ceci étant dit, il faut ensuite traiter les difficultés qui sont remontées au niveau central via les différents points d'accès que nous avons mis en place. Nous le faisons d'ailleurs très bien au travers de « service public plus », qui permet aux usagers de faire remonter une expérience, quelle qu'elle soit, dans n'importe quel service public, pour que nous prenions connaissance des difficultés et que nous les traitions. Cela participe également de la démarche de simplification qui consiste à ne pas multiplier les lois, car beaucoup de ces transformations peuvent se mettre en place en continu.
Concernant l'Agence nationale des titres sécurisés, je vous invite à vous rendre sur le site internet « observatoire.numerique.gouv.fr ». Vous y trouverez les 250 démarches numériques les plus usuelles des Français, évalués au travers de huit critères, comme la satisfaction, la rapidité de connexion, ou encore la possibilité d'obtenir un service de support si l'on est coincé dans sa déclaration. Là encore, nous sommes dans une démarche d'amélioration continue et transparente. Ces chiffres sont présentés chaque trimestre en conseil des ministres, et ils ont un véritable impact politique, puisque 80 % de l'accès des citoyens aux services publics se fait aujourd'hui par l'outil numérique.
Oui, nous avons recours à des développeurs extérieurs au ministère. D'une part, il est pour moi nécessaire d'écouter la Cour des comptes, qui rapporte que seuls 31 % des projets sont aujourd'hui internalisés. L'objectif est de monter à 37 %, ce qui conduirait à embaucher 400 chefs de projet expérimentés. Ré-internaliser la compétence est une politique que je mène très activement pour le compte de tous les ministères. Certains recrutements sont effectués par les ministères directement, d'autres par la direction interministérielle du numérique, qui re-déploie ensuite ce que l'on appelle des brigades d'intervention numérique sur les projets.
D'autre part, le sujet de l'hébergement de données, le cloud, doit être absolument traité. Nous avons pour cela deux options. La première est d'utiliser un cloud interne, à l'image de ceux de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et du ministère de l'intérieur. Si un nouveau projet très régalien a besoin d'être hébergé par un cloud interne sécurisé, c'est possible : les investissements seront réalisés, mais toujours dans le cadre d'une interministérialité, afin de maitriser les coûts. L'autre possibilité est d'avoir recours à un prestataire de cloud externe. Dans ce cas, nous avons fixé deux critères que je vous ai présentés. Un label de sécurité, intitulé « cloud de confiance », est délivré par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, qui vérifie en premier lieu des éléments comme le cryptage ou la sécurisation des données contre les cyberattaques. En deuxième lieu, l'enjeu est que ces données soient protégées contre les lois extraterritoriales. Cela fait suite à l'arrêt Schrems de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui avait acté la nécessité de protection des données européennes, notamment contre le cloud act américain.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Un rapport déposé à l'Assemblée nationale en février dernier a souligné le résultat globalement positif de l'expérimentation de la PPN, notamment via l'association étroite des agents et acteurs de la chaîne pénale. En effet, la PPN modifie concrètement leurs pratiques, qu'elle a pour objectif de simplifier. Pourriez-vous nous dresser un bilan de la PPN en termes de gain de temps dans les différents services participant à l'expérimentation ? Quels sont les points pour lesquels sont envisagées des adaptations ou ajustements dans la perspective de sa généralisation ?
Parmi les chantiers prioritaires en matière de numérisation du service public, vous mentionniez utilement, en mars dernier, l'équipement des agents publics. Ce sujet pose l'enjeu de la culture et des compétences numériques de ces agents. Quel retour formulent ces derniers sur l'utilisation des outils numériques de la justice ? Quelle adaptation de leur formation est envisagée pour intégrer ces nouveaux outils ? Enfin, dans quelle mesure cette compétence numérique a-t-elle vocation à être prise en compte pour les recrutements dans le secteur de la justice ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Il y a quatre ans, Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, nous faisait part du caractère décisif du numérique pour son action ministérielle, notamment dans le cadre de réunions bimestrielles qu'elle présidait, consacrées à son déploiement. Nous savons que l'issue a été quelque peu difficile.
Cherchez-vous à réaliser une numérisation du ministère de la justice qui serait centralisée, ou, au contraire, plutôt décentralisée ? Raisonnez-vous par des grands systèmes, tels que les fameuses « chaînes civiles-pénales », ou au contraire, par l'expérience des juridictions et l'idée de faire remonter les bonnes pratiques du terrain ?
Qui travaille concrètement sur ces sujets ? S'agit-il d'informaticiens, de magistrats ? Je n'ai pas de philosophie sur ce qui doit être internalisé ou pas.
Par exemple, je note la manière époustouflante avec laquelle la profession notariale a résolu la question des signatures numériques et comment elle a maintenu ses systèmes opérationnels pendant le confinement.
J'aimerais comprendre comment le ministère traite à la fois les besoins numériques et l'environnement réglementaire et législatif. Au niveau de la chaîne pénale, vous êtes obligés de traiter les deux aspects en même temps. Les policiers nous disent qu'ils sont obligés d'attendre un traducteur pour pouvoir notifier à une personne étrangère ses droits dans sa langue, alors qu'il serait plus simple d'utiliser un ordinateur. On se dit également que vos greffiers, monsieur le garde des sceaux, ont, à l'évidence, autre chose à faire que de numéroter les pièces des procédures d'instruction.
À mon sens, le sujet de la numérisation ne peut être déconnecté de la question de la simplification, à laquelle notre président est attaché dans les débats actuels - en particulier concernant la procédure pénale. Auriez-vous des précisions complémentaires sur la manière dont fonctionne cette numérisation ?
Enfin, concernant la partie externalisée, qui est l'acheteur public ? Cette partie est-elle centralisée au sein d'une direction interministérielle ?
M. Alain Richard. - Avec les évolutions de ces derniers mois, s'il devait y avoir une nouvelle séquence de télétravail, le niveau d'accomplissement des missions des juridictions serait-il proche de 100 % ?
Les juridictions pénales seront-elles assurées d'une interface avec l'ensemble des services de police judiciaire ?
Chaque justiciable est-il assuré de savoir quand sa plainte sera classée sans suite ? C'est l'une des grandes carences du système actuel : beaucoup de gens ont une plainte classée et ne le savent pas.
Enfin, je suggère une réflexion. Il me semble, monsieur le garde des sceaux, que vous manquez de statistiques sur le fond de ce qui est jugé. Il existe des recueils de jurisprudence sur le plan conceptuel, mais, en ce qui concerne le volume traité par la justice pénale et aussi par la justice civile, les occasions sont rares de comprendre la solution de fond correspondant à un certain type de litiges. Ce qui me frappe et ne me rassure guère, c'est que ce travail est en train d'être réalisé par des legal techs privées. Avec le développement numérique du ministère, pensez-vous disposer d'indications statistiques sur le fond des jugements qui permettent un pilotage plus éclairé de la marche de la justice ?
Une maxime du business américain me semble particulièrement appropriée pour ces grands programmes : « bon, rapide, économique ; choisissez-en deux ».
M. François-Noël Buffet, président. - Dans le cas de la justice prédictive, on a effectivement tout intérêt à ce que l'institution produise ses propres statistiques, non seulement sur les volumes mais aussi sur le fond de l'application du droit.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le plan de relance prévoit de consacrer 28 millions d'euros à la formation numérique des agents. Nous sommes donc en train de déployer des montants très significatifs. Dans le cadre des fonds de la transformation de l'action publique, le dernier projet soutenant le ministère de la justice s'élève à plus de 12 millions d'euros ; avec cette somme sont formés des greffiers pour le déploiement de la PPN. Mon ministère accompagne, finance et soutient la formation.
En lien avec la réforme de la haute fonction publique, vous avez peut-être entendu que nous allions créer un tronc commun de formations. L'école nationale de la magistrature (ENM) sera associée à ce tronc commun dont l'un des éléments est la transition numérique. À partir de la rentrée de 2021-2022, tous les élèves magistrats, commissaires de police, futurs préfets et directeurs d'hôpitaux formés à l'institut national de service public (INSP) - soit à peu près 1 000 personnes - auront les mêmes références et la même méthodologie en matière de numérique. Au-delà de l'outil de travail, c'est la conception même des politiques publiques qui évolue.
Concernant l'achat public numérique, chaque ministère passe ses marchés et, en règle générale, ce sont les directeurs du numérique qui en ont la responsabilité. Néanmoins, nous mutualisons nos engagements sur un certain nombre de sujets - la formation par exemple. Le ministère des armées porte un marché interministériel qui va permettre de former 7 000 agents en 2021. La mutualisation est portée soit par un ministère, soit par la direction interministérielle du numérique qui, récemment, a développé le programme « Label » permettant à l'ensemble de l'écosystème d'innovation de pouvoir référencer ses propositions de solutions, afin que nous achetions aussi à de plus petites entreprises innovantes.
Avec la forte accélération des derniers mois au niveau de l'équipement, des logiciels, de la formation, de l'accompagnement et aussi des pratiques managériales, nous avions encore, il y a quelques semaines, 78 % des agents des administrations centrales et 50 % des agents des services déconcentrés qui télétravaillaient. Cela nous a permis d'assurer la continuité du service public et de ne pas subir les interruptions ou les discontinuités que nous avions pu connaître un an auparavant. En un an, nous avons fait ce que nous pensions faire en quatre ou cinq ans. Comme disait Winston Churchill, il ne faut pas gâcher une bonne crise ; je ne sais pas si elle a été bonne mais, sur le plan du numérique, elle nous a en tout cas permis d'accélérer.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai oublié de répondre à Madame Goulet concernant les juges consulaires. Je souhaite qu'ils puissent bénéficier d'adresses électroniques se terminant par « justice.fr » ; à ce titre, j'ai demandé à ce qu'une expérimentation soit lancée. La prochaine étape est la mise à disposition d'un accès à l'intranet.
Mme Nathalie Goulet. - Il serait judicieux, monsieur le garde des sceaux, que l'expérimentation se passe à une plus grande échelle.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est assez simple à mettre en place, madame la sénatrice ; c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas choisi d'échelle plus grande. Les juges consulaires du tribunal de commerce de Versailles en sont déjà dotés et ceux des autres tribunaux du ressort de la cour d'appel en disposeront d'ici mi-juillet.
Pour répondre à monsieur Mohamed Soilihi, la PPN s'articule autour de plusieurs phases. La première phase concerne l'automatisation du traitement des procédures sans poursuites dans toutes les juridictions métropolitaines d'ici décembre 2021, afin d'autoriser l'enregistrement sans manipulation humaine de près de 2 millions de procédures par an ; à ce jour, 61 tribunaux sont déjà équipés.
Ensuite, il y a la numérisation des procédures correctionnelles ; 24 tribunaux sont déjà équipés. La PPN met à la disposition des juridictions des outils numériques pour faciliter le traitement de la procédure. Il s'agit d'un service en libre accès ; à titre d'exemple, une application de communication électronique de procédure avec les avocats a déjà permis l'envoi de 400 000 procédures.
Pour mémoire, ces enregistrements automatiques concerneront 2 millions de procédure pour la fin de l'année 2021 - soit 40 % des procédures transmises à l'autorité judiciaire -, ce qui est un véritable succès.
L'achat public, monsieur Bonnecarrère, est opéré par le secrétariat général de la Chancellerie. Mais, dans le même temps, nous prenons l'avis du terrain. Je suis très sensible aux bonnes pratiques, et j'ai d'ailleurs fait créer un moteur de recherche avec toutes celles recensées dans les juridictions ; plutôt que d'imposer une circulaire par bonne pratique, j'ai souhaité les rassembler dans un moteur de recherche.
Nous avons un nombre considérable de téléchargements qui concernent aussi bien l'administration pénitentiaire que les juridictions consacrées aux mineurs. Parmi les centaines de bonnes pratiques qui s'enrichissent tous les jours de l'expérience des magistrats ou des greffiers, je peux vous citer la généralisation des convocations des justiciables par le téléphone portable ; cette expérience née du confinement mérite d'être étendue.
Autre bonne pratique : pour donner une seconde vie à certains scellés, des juridictions nous ont indiqué qu'elles les distribuaient à des associations caritatives. Un protocole peut être signé entre une juridiction et une association ; à Bordeaux par exemple, j'ai assisté à la distribution de draps et de paires de chaussures qui avaient été saisis.
Les juges consulaires pourront également nous faire part de bonnes pratiques en matière de jugement commercial.
Il faut trouver un équilibre entre l'internalisation et l'externalisation. La justice n'est pas une matière comme les autres. Nous faisons travailler les gens de terrain, les magistrats, les greffiers, les ingénieurs. Les réunions sont très régulières. J'ai donné un certain nombre de directives très claires. Comme il y avait trop de projets, j'ai indiqué qu'il fallait en prioriser certains ; nous en avons retenu douze. Le principal critère de sélection était la proximité ; cela devait parler immédiatement au justiciable.
Parmi ces projets retenus, il y a celui consacré aux familles de détenus, que l'administration pénitentiaire trouve formidable ; celui dédié au casier judiciaire, qui marche très bien ; pour les gens les plus démunis, il y a la possibilité de remplir les demandes d'aide juridictionnelle ; un système permet désormais une meilleure identification des victimes d'attentats ; il y a également la numérisation de la procédure pénale et la mise en oeuvre du code de justice des mineurs - lors de notre discussion au Sénat à l'époque, vous aviez fini par me convaincre de reporter la date d'entrée en vigueur de ce texte, et nous avons mis à profit ce délai afin de préparer l'outil informatique pour les magistrats.
Nous avons consommé le budget ; cela prouve que nous avons beaucoup bougé, et nous bougerons encore. Si vous souhaitez davantage de précisions techniques, la porte de la Chancellerie est ouverte.
Monsieur Richard, il y a eu un deuxième confinement et le service judiciaire a bien fonctionné...
M. Alain Richard. - Cela est-il vrai dans tous les champs ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'administration pénitentiaire, sans possibilité de recours au télétravail, a bien fonctionné ; je tiens à rendre hommage à ses courageux agents qui ont effectué un travail formidable. Le respect des gestes barrières a permis à la fois que l'administration pénitentiaire poursuive son travail et que les détenus reçoivent des visites. Même si nous avons déploré un décès, il y a eu peu de contaminations et nous n'avons pas connu de mutineries, ce qui n'a pas été le cas dans les autres pays.
Au niveau de l'administration judiciaire également, la machine a continué à tourner. Symboliquement, il me paraissait indispensable de rappeler que la justice était une denrée essentielle et qu'elle pouvait continuer à assurer ses missions, même si l'utilisation de la visioconférence a pu être contestée par certains avocats.
Concernant les statistiques, j'ai demandé un certain nombre de travaux, notamment sur la récidive ; c'est important, car cela permet d'affiner une politique pénale. Nous disposons déjà de chiffres mais, assez curieusement par les temps qui courent, personne ne veut les entendre. Par exemple, sur les peines planchers : les peines prononcées étaient plus sévères après leur abrogation ; l'objectif n'a donc vraisemblablement pas été atteint.
Avec les chiffres dont je dispose, je peux dire également que la délinquance n'a pas baissé pendant cette période où les peines planchers étaient en vigueur - ce qui fait dire à certains syndicats de police que cela a été un fiasco. On connaît également le nombre de meurtres par an dans notre pays. Cela dit, je conçois qu'il faudrait affiner ces chiffres.
Les chiffres du ministère de l'intérieur et ceux du ministère de la justice ne disent pas deux vérités différentes, comme je peux l'entendre parfois. Prenons l'exemple des féminicides ; si un homme tue une femme, son acte sera qualifié de féminicide, mais la justice dira peut-être qu'il s'agit d'un homicide volontaire commis sur une femme, mais pas dans le cadre conjugal ; et cela, seule la justice peut le dire.
Il y a aussi des manières différentes de présenter certains chiffres. On a pu ainsi demander aux policiers de privilégier les mains courantes aux plaintes, dans le but de faire artificiellement baisser les chiffres de la délinquance ; mais personne n'était dupe.
Je suis tout à fait prêt à ce que l'on dispose de davantage de chiffres. Les ministères de l'intérieur et de la justice envisagent de créer ensemble un observatoire, notamment pour répondre à ces questions.
Par ailleurs, nous devons nous améliorer non pas sur l'exécution des peines, mais sur le moment où intervient l'exécution ; cela doit aller plus vite, et les chiffres peuvent nous permettre d'accélérer le processus.
Je dois également pouvoir rendre des comptes aux parlementaires. J'ai été interrogé à l'Assemblée nationale il y a deux jours sur le sujet de la récidive ; un rapport sera prochainement rendu public. Nous n'avons rien à cacher. J'entends bien ce que vous me dites et j'y suis sensible.
M. Alain Richard. - Cela vaut-il aussi pour le classement des plaintes ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, bien sûr. Les raisons du classement sont également intéressantes à connaître. Un classement sans suite n'est pas forcément significatif de désinvolture ; la raison peut être l'insuffisance d'éléments pour aller au-delà. Concernant les classements sans suite en matière de violences sexuelles, j'ai demandé au procureur qu'ils en précisent mieux les raisons ; soit le fait n'est pas constitué, soit il s'agit d'une prescription.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le garde des sceaux, s'agissant du poids de l'exécution des peines, vous avez raison de préciser les choses. La difficulté ne réside pas dans l'exécution de la peine - elle l'est en général -, mais dans son délai d'exécution. Nous devons parvenir à réduire ce délai, afin que l'exécution intervienne le plus rapidement possible.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai porté deux textes, que vous avez d'ailleurs votés : l'un sur le code de la justice pénale des mineurs, qui entre bientôt en vigueur et va permettre de réduire les délais ; l'autre sur la justice de proximité, avec la proposition de loi du député Dimitri Houbron, qui permet là aussi d'apporter une réponse beaucoup plus rapide. Dans le cadre de la justice de proximité, l'intervention des délégués du procureur permet de traiter les délits de petite délinquance pratiquement du jour au lendemain.
Il ne faut pas non plus confondre vitesse et précipitation. Le taux d'exécution des peines - un peu plus de 90 % - est plutôt satisfaisant si on le compare à celui des autres pays. En revanche, cela ne va pas assez vite. J'ai un certain nombre de solutions sur lesquelles j'ai demandé à mes services de travailler ; je vous ferai part rapidement des résultats.
M. François-Noël Buffet, président. - Vous avez évoqué la priorisation de douze projets numériques. Avez-vous la liste, de manière à ce que l'on comprenne bien de quoi il s'agit ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ces projets concernent la numérisation de la procédure pénale et de la justice civile ; l'élaboration d'un système d'information de l'aide juridictionnelle (Siaj) ; la mise en oeuvre du code de justice pénale des mineurs, qui nécessite un système d'information - Parcours - permettant le suivi des jeunes confiés au service de protection judiciaire de la jeunesse (PPJ) ; le développement d'un système d'information pour la gestion du travail d'intérêt général - TIG 360 ° -, qui représente une alternative essentielle à la détention ; la facilitation des démarches des détenus et de leur famille grâce au numérique en détention (Ned) ; la mise à disposition des agents pénitentiaires de moyens leur permettant d'accéder aux applications de gestion de la détention à partir de smartphones ; le système permettant une meilleure identification des victimes d'attentats et de catastrophes ; la refonte du casier judiciaire ; l'amélioration et la simplification de la gestion des agents du ministère ; et enfin, la gestion numérique des dossiers de ressources humaines, avec le système d'information Harmonie.
Mme Dominique Vérien, rapporteure budgétaire pour avis. - Je citais précédemment le tribunal d'Auxerre. Pour terminer sur une note positive, les salles d'audience sont aujourd'hui équipées d'écrans. La PPN est en cours, et les greffiers voient leur quotidien amélioré grâce à un accès numérique au dossier. Clairement, les choses avancent.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Donc il y a des choses qui fonctionnent à Auxerre !
Mme Dominique Vérien, rapporteure budgétaire pour avis. - Je l'ai dit tout à l'heure aussi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Merci, madame la sénatrice.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le garde des sceaux, à quel moment serez-vous en mesure de nous donner des informations sur les États généraux de la justice ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai déjà donné quelques informations. Par ailleurs, le Premier ministre a répondu à une question sur le sujet aujourd'hui au Sénat.
Je rappelle que ces États généraux de la justice ont été demandés par les deux plus hauts magistrats de notre pays. Je compte me rendre auprès de nos concitoyens avec les magistrats, les greffiers et les avocats pour expliquer ce qu'est la justice de notre pays. J'en ai assez qu'elle soit réduite à la caricature de justice laxiste. Je ne veux pas plus qu'elle soit décriée sur le terrain institutionnel et républicain, comme je l'ai précisé aux syndicats de police lors de notre rencontre. La police et la justice méritent autre chose que cet opprobre.
Nous sommes dans une période où la justice n'est présentée que sous l'angle du fait divers. On n'a plus aucun recul, on ne veut plus réfléchir sur ces questions, on s'interdit la nuance ; naturellement, il faut expliquer et expliquer encore.
Je souhaite associer les parlementaires. Dans ma bouche, monsieur le président, ce n'est pas un vain mot ; chaque fois que j'ai pu travailler avec les parlementaires, je l'ai fait sans aucun ostracisme politique. Vous aurez prochainement un certain nombre de précisions à ce propos.
Les professionnels de la justice seront également associés, cela va de soi. Nous travaillerons sur un certain nombre de thématiques qui auront vocation à couvrir l'ensemble des difficultés. L'idée est de tout mettre à plat. À la rentrée, vous serez complètement informés. N'ayez aucune crainte, monsieur le président, et d'ailleurs je pense que vous n'en avez pas.
M. François-Noël Buffet, président. - Je n'ai aucune crainte, monsieur le garde des sceaux. Les sénateurs de la commission des lois seront mobilisés pour participer à ces États généraux. Par ailleurs, nous avons engagé un cycle d'auditions qui a débuté hier avec les syndicats de police ; l'objectif était de les entendre à la suite des manifestations du mois de mai et après certains propos qui ont pu être tenus à cette occasion. Je m'inscris dans ce que vous avez dit, à savoir qu'il ne faut pas opposer police et justice, au risque de courir de grands périls. Je dois noter que, lors de cette audition, l'état d'esprit des syndicats de police présents était peut-être critique mais en aucun cas vindicatif à l'égard de l'institution judiciaire.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Lorsque j'ai été convié par le ministre de l'intérieur au Beauvau de la sécurité, j'ai bien dit aux syndicats de police que l'on pouvait discuter de tout, y compris des sujets qui fâchent, mais que je ne voulais plus entendre ce que j'avais entendu lors de cette manifestation. J'ai condamné sévèrement cette scène où l'on voyait la justice balayer les cadavres ; pour moi, cette scène était insupportable.
Ma défense de l'institution judiciaire n'est pas corporatiste mais républicaine. Je veux sanctionner les dysfonctionnements lorsqu'ils apparaissent. Nous n'affirmons pas que la justice ne peut pas se tromper, mais la police et la justice ne sont rien l'une sans l'autre ; nous travaillons tous au service de la République. J'observe que les propos tenus lors de cette manifestation n'ont pas été réentendus.
Les échanges avec les syndicats de police ont été courtois, la réunion a duré cinq heures. Un certain nombre de problèmes ont été évoqués ; des propositions ont été faites. Il faut que la police et la justice communiquent mieux. Cela dit, il y aussi un discours syndical qui ne correspond pas à celui du terrain. Je ne confonds pas les syndicats de police et les policiers, de même que je ne confonds pas les syndicats de magistrats et les magistrats. Au quotidien, les policiers travaillent bien avec les procureurs, et ils le disent. Nous avons envisagé un référent parquet pour chaque juridiction. Le préfet, l'élu local, le magistrat du siège, du parquet et le policier doivent pouvoir se rencontrer et échanger ; c'est une façon républicaine et efficace de voir les choses.
M. François-Noël Buffet, président. - Merci à tous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.
Jeudi 17 juin 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons ce matin Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, dans le cadre des auditions sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS », anciennement intitulé « 4D ». Nombre de nos collègues participent à nos travaux en visioconférence.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - Monsieur le président, je vous remercie beaucoup de cette invitation qui me donne l'occasion d'échanger sur le projet de loi « 4D », désormais « 3DS » relatif à la politique de simplification et de décomplexification que je conduis pour l'ensemble du Gouvernement au bénéfice de nos concitoyens.
J'ai une conviction, c'est que la simplification n'est pas un objet technocratique, elle ne résulte pas d'une obsession qui complexifierait en prétendant simplifier. C'est un sujet éminemment politique, et je sais, madame, monsieur les rapporteurs, que vous partagez cette vision. Il me semble légitime qu'il fasse l'objet d'un vrai débat, de portée politique, devant le Parlement, car la simplification évoque trop souvent dans nos esprits, et malheureusement aussi pour nos concitoyens, les lois obsolètes qu'il faut abroger, les 69 000 pages de droit disponibles sur Légifrance, les commissions Théodule, ou les chevauchements administratifs. À mes yeux, la simplification a au contraire trait au vécu quotidien des Français, à la capacité que nous avons et qui est au coeur de notre engagement personnel de le modifier et de l'améliorer. Cette question a toute sa place dans le présent projet de loi porté à titre principal par Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales que je salue, car elle poursuit des objectifs d'ensemble pour ancrer davantage l'action publique dans le réel et la vie quotidienne en parachevant l'organisation de la décentralisation, en renforçant la place de l'État aux côtés des collectivités par la déconcentration et en ouvrant des opportunités nouvelles pour différencier les interventions publiques en fonction des besoins des territoires.
Ces questions, vous le savez - j'ai déjà été auditionnée au Sénat à ce sujet par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation -, sont au coeur de l'ambition de mon ministère, celui de la transformation et de la fonction publiques : mobiliser le numérique, les ressources humaines, les fonctionnaires pour mieux servir nos concitoyens, en étant dans cette logique de bienveillance, de proximité et d'efficacité. Le Président de la République a d'ailleurs fait de ces trois mots la matrice de l'ambition qu'il a fixée à tous les « cadres dirigeants » de l'État le 8 avril dernier. Tels sont les axes de l'action que je conduis. Je les illustrerai brièvement en explicitant les articles qui prouvent que, derrière les mots, nous mettons bien des actes.
Premièrement, nous voulons utiliser l'ensemble des leviers, en particulier numériques, à notre disposition pour simplifier effectivement la vie de nos concitoyens. Les articles 50, 51 et 52, qui visent notamment à accélérer les partages de données entre administrations et acteurs publics, déjà autorisés dans le code des relations entre le public et l'administration, permettront de passer d'une interdiction, sauf exception autorisée par un décret en Conseil d'État - donc par un acte réglementaire - pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour chaque échange, à un partage de données qui devient la règle par défaut, et ce dès lors qu'il est réalisé au bénéfice de l'usager. J'ai d'ailleurs mis à jour en avril dernier ledit décret tendant à autoriser le partage de données sur les diplômes, les situations de famille, les statuts de demandeur d'emploi, les droits sociaux, etc. Cette procédure est aujourd'hui très lourde, et l'article 50 du projet de loi instaure un véritable changement de paradigme qui dispensera les usagers, lors de leurs démarches administratives, de fournir des informations déjà détenues par l'administration. Il s'agit donc de la véritable mise en oeuvre du principe « Dites- le nous une fois ».
La mise en oeuvre des interfaces de programmation applicative -ou Application Programming Interface (API) en anglais - facilitera la détermination des droits ouverts aux usagers et fera passer les services publics au XXIe siècle.
Je prendrai quelques exemples très concrets qui découlent de cette mise en oeuvre dans le cadre du plan de relance. Quand vous souhaitez inscrire votre enfant à la crèche ou à la cantine scolaire, il ne sera plus utile que votre collectivité, mairie ou intercommunalité, vous demande de fournir un avis d'imposition ou un justificatif de votre quotient familial, alors que ces documents ont d'abord été produits par une administration. Il en est de même pour votre date de naissance, celle de vos enfants ou encore votre adresse, informations que, par définition, l'administration détient déjà. Aller au-devant des usagers pour les informer de manière proactive sur leurs droits à des prestations, telles que l'éligibilité à des bourses étudiantes ou à une prime écologique, constituera également un moyen de lutter contre le non-recours aux droits. Ce sont autant de sujets qui sont au coeur des politiques publiques déployées par les collectivités.
Parallèlement à l'élaboration de cet article, en étroite collaboration avec la CNIL, nous avons revu, en vue de leur simplification et de leur modernisation, les procédures de contrôle, de correction et de sanction par la CNIL. C'est bien la preuve que simplifier pour l'usager, n'est pas synonyme de renoncement à l'application du droit et au respect de nos principes.
J'entends aussi approfondir la transformation souhaitée par le Président de la République vers un État plus bienveillant, qui sert et conseille l'usager. L'innovation numérique joue un rôle central pour améliorer la qualité des services publics. Nous nous sommes engagés pour atteindre en 2022 l'objectif de numérisation des 250 démarches les plus usuelles des Français pour qu'elles soient accessibles en ligne dans des conditions similaires et satisfaisantes pour les usagers. Nous nous attachons à garantir à tous les Français un guichet physique et/ou un accueil téléphonique et, au travers du réseau France Services, l'accès aux services publics partout sur le territoire. Ce sont 88 millions de crédits que nous mobilisons dans le cadre du plan de relance pour accélérer la transformation numérique des collectivités locales. Cela représente cinq à six ans d'investissement, et c'est inédit.
Deuxièmement, nous oeuvrons pour le développement de l'expérimentation au service de l'innovation. Le titre VII du projet de loi porte cette ambition. Trop souvent, la loi n'a, par définition, pas prévu les évolutions de demain. Elle peut donc devenir bloquante et empêcher les projets innovants d'émerger. C'est pourquoi nous avons souhaité ouvrir dans ce texte, au chapitre VI, un nouvel appel à projets France expérimentation de niveau législatif, à travers deux expérimentations qui favoriseront le secteur agricole ainsi que le mécénat de compétences de fonctionnaires vers des associations et fondations d'utilité publique. J'ai appelé les entreprises, les services déconcentrés, les élus locaux, les parlementaires à faire remonter leurs besoins pour que ce guichet trouve toute son utilité. L'objectif consiste à identifier les projets innovants et ambitieux et à leur permettre de se développer par l'attribution de dérogations temporaires à certaines dispositions législatives ou réglementaires. Il s'agit d'accompagner les entreprises pour interpréter le droit et, à terme, le simplifier et l'adapter aux évolutions techniques. Il me semble que la proposition de loi, récemment examinée par votre commission et le Sénat à l'initiative de Vincent Delahaye, tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, et plus largement la mission dite « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles » (Balai) conduite par votre assemblée contribuent pleinement à cet effort.
Cette démarche France expérimentation a été lancée en 2016 ; 300 projets, dont 25 % provenant de start-up, ont été revus, et la moitié d'entre eux ont obtenu de notre part une dérogation pour se développer via un arbitrage, une expérimentation juridique ou une évolution durable du droit. C'est grâce à une meilleure prise en compte des enjeux économiques et territoriaux, qu'il s'agisse de la transition écologique, du logement, des transports, de la santé, des solidarités, de la réutilisation des eaux usées ou encore de la mobilisation des logements vacants, que nous ouvrirons le droit aux innovations de demain.
Dans cette recherche de transformation de l'action publique au plus près des besoins des territoires, nous mettons en avant la transparence dans les résultats de l'action publique, département par département, dont le baromètre a tout de même été consulté par 680 000 Français depuis le mois de janvier. J'espère que vous en faites partie et que vous avez pu prendre connaissance dans vos départements respectifs des résultats des 36 politiques prioritaires en 2017, aujourd'hui, et à l'horizon de 2022. Les multiples disparités que vous constaterez justifient la différenciation de l'action publique pour garantir aux Français un bilan homogène.
Le pilotage de l'action publique doit prendre en compte les effets évalués au plus près des territoires. Nous avons donc renforcé les moyens d'action, notamment des préfets et de tous les échelons déconcentrés départementaux, en leur donnant des marges de manoeuvre en termes budgétaires ou de ressources humaines, et en les dotant - c'est une innovation depuis 1964 - d'une feuille de route interministérielle. Signées par le Premier ministre, elles seront envoyées au cours du mois de juillet et comprendront les priorités fixées pour chaque département au vu des résultats. Cela répond aux engagements que nous avions pris au mois de février dernier lors du cinquième comité interministériel de la transformation publique (CITP) à Mont-de-Marsan concernant la différenciation de l'innovation, de l'expérimentation et du pilotage.
En conclusion, le Président de la République s'est engagé depuis 2007 à construire une action publique plus proche des citoyens et plus efficace, les besoins devenant plus prégnants du fait de la crise sanitaire. Les citoyens nous font confiance, puisqu'ils sont passés de 69 % à 72 % à avoir une bonne opinion des services publics. Ce taux atteint même 76 % pour les entreprises. Pour que ces résultats progressent encore, nous devons continuer à agir, certes par le droit, mais également par une action publique quotidienne faite de bienveillance, de proximité et d'efficacité.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Pour reprendre un terme entendu hier dans l'hémicycle, je ne suis pas grincheuse, mais il faut reconnaître que ce texte, anciennement « 4D » et désormais « 3DS » n'apporte aucunement satisfaction s'agissant, selon le cas, de la décomplexification ou de la simplification de l'action publique. Or je sais, madame la ministre, combien vous défendez avec ardeur et pertinence cet objectif de simplification qui se veut utile pour nos concitoyens et doit servir tous les acteurs de l'action publique, l'État, mais aussi les collectivités locales.
Au-delà de cette simplification, je souhaiterais vous poser quatre questions.
Le projet de loi aborde les différents aspects de l'évolution du statut du personnel et de la gestion des ressources humaines dans plusieurs fonctions publiques. Il porte sur la mise à disposition de personnels d'État dans les départements autour de la direction des établissements d'accueil de la petite enfance, mais aussi, et le Sénat sera particulièrement attentif à ce dossier, sur la capacité des présidents de département et de région à exercer leurs obligations législatives et réglementaires, en disposant d'une réelle autorité sur les gestionnaires de collèges et de lycées. Il serait à nos yeux assez judicieux d'aller un peu plus loin au nom de la cohérence et de l'efficacité de l'action publique. Il serait en effet délicat de demander à un président de département d'assumer sa mission de prévention et d'accompagnement de la petite enfance quand il ne recrute ni n'évalue le directeur de la structure visée. Nous soutiendrez-vous dans cette démarche à propos de laquelle nous avons averti Jacqueline Gourault ?
L'article 69 évoque la mise à disposition des fonctionnaires d'État auprès des associations pour un mécénat de compétences. L'idée nous paraît intéressante. Des fonctionnaires territoriaux pourraient-ils être inclus dans cette démarche ?
Quant à l'article 50, est-il vraiment miraculeux ? Nous avons auditionné la CNIL hier. S'il suffisait d'adopter des dispositions pour qu'elles se concrétisent, ça se saurait... Sans être, à nouveau, grincheuse, je pense que cela nécessite une organisation de l'ensemble des services de l'État et des capacités matérielles. Il faudrait peut-être aller plus loin pour les collectivités en alimentant systématiquement les communes afin qu'elles aient une connaissance précise des enfants scolarisés sur leur territoire. Cela complèterait utilement l'obligation du maire relative à l'instruction des enfants, d'autant que, nul ne l'ignore, les maires ne connaissent que les habitants qui s'inscrivent sur les listes électorales. Accepteriez-vous cette mesure qu'appellent de leurs voeux la CNIL et les associations d'élus ? Il y va de l'efficacité et la sécurité du processus.
Je terminerai par la question de l'évaluation. Les ministres et le législateur ont toute compétence en la matière et ont tout intérêt à évaluer. L'expérimentation est utile, mais un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) publié en 2020 a souligné les marges très significatives d'amélioration de l'évaluation publique partagée. Je m'inquiète beaucoup de l'absence de politique commune entre l'État et les collectivités sur ce sujet. Pendant la crise, les agences régionales de santé (ARS), qui exerçaient comme les présidents de département la tutelle sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ont travaillé du mieux qu'elles ont pu, mais sont restées dans leur coin, de telle sorte que certains présidents de département ont appris par la presse l'existence d'un cluster et de décès dans tel Ehpad. La systématisation du partage des compétences constituerait un facteur positif en direction de la décentralisation.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Si certaines dispositions vont assurément dans le bon sens, il est un sujet qui est traité de façon superficielle au regard des souhaits clairement exprimés par le Gouvernement : la proximité. Il est singulier de faire du préfet de département la « porte d'entrée » pour les élus, pour nos concitoyens sur le territoire, et ce lien agile entre les élus et l'État territorial. Pourquoi renforcer le rôle du préfet de région dans l'octroi des subventions des agences de l'eau, alors que le préfet de département serait potentiellement plus légitime ? Pourquoi ne pas faire du préfet de région ou de département le délégué territorial de l'Office français de la biodiversité (OFB), sur le modèle de ce qui est fait par le projet de loi s'agissant des directions régionales de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ? Cette problématique trouverait toute sa place dans ce texte. Il en est de même pour le sous-préfet, considéré comme un acteur majeur, qui doit être conforté dans la politique de relance. Je pousse ce matin un cri du coeur afin que le Gouvernement se saisisse de ces sujets, largement portés par la Haute Assemblée.
Il est par ailleurs essentiel que le pouvoir dérogatoire des préfets soit accru pour renforcer cette agilité et être au rendez-vous des attentes des collectivités. En période de crise, il faut de la réactivité et de l'immédiateté. Or le processus est alourdi par un centralisme parfois trop pesant. C'est l'un des messages les plus forts que nous souhaitons vous adresser ce matin.
Enfin, s'agissant de l'article 49, pourriez-vous nous éclairer sur la question des maisons France Services, car nous avons quelques difficultés à en comprendre l'intérêt sur le fond ?
M. André Reichardt. - Je m'arrêterai sur l'article 50 ; il est intéressant, à condition que l'on en mesure toutes les conséquences. À cet égard, j'appuie sans réserve l'observation de Françoise Gatel concernant la possibilité de doter les collectivités territoriales, et plus particulièrement les communes, de la meilleure information possible sur leur population. Depuis dix ans, je dois épuiser tous les ministres de l'intérieur en leur posant la même question : pourquoi ne pas rendre obligatoire un fichier domiciliaire ? Les réponses sont toujours les mêmes, quel que soit le gouvernement ; il serait impossible de le mettre en oeuvre, notamment pour des raisons qui tiennent à la protection des données à caractère personnel. Vous prévoyez donc une mise à disposition des informations en faveur des collectivités territoriales, mais sans aller jusqu'à rendre obligatoire une inscription dans un fichier domiciliaire comme nous l'appelons de nos voeux. Chaque année, le ministère de l'éducation nationale sollicite les communes pour savoir quels sont les enfants non scolarisés. Or il leur est impossible de répondre sans connaître leur population. Sachant que c'est l'une de mes marottes, les maires m'interpellent souvent à ce sujet. Si l'article 50 était assorti d'une mise en commun des différents fichiers, les collectivités locales pourraient alors obtenir une réponse sans que la personne qui vient de s'installer dans la commune soit obligée de s'inscrire.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'article 50, qui suscite de nombreuses interrogations de votre part, est très substantiel. Le but n'est pas de créer des fichiers statiques qui n'auraient pas vocation à être utilisés. La négociation avec la CNIL permet le changement de paradigme, et chaque fois que cela permet une simplification ou un bénéfice pour un usager, alors le partage des données est possible.
Concernant les écoles, on peut considérer que l'usager retire un bénéfice de l'accès facilité à une inscription ou aux services périscolaires. Nous construisons non pas des bases de données, mais un accès automatique à la donnée et, partant, à un service public. Cette mesure est évidemment encadrée par des précautions liées au droit et réservée à ceux qui en ont l'usage.
Notre objectif n'est pas de créer des charges. Personne n'est obligé de fournir des données qu'il n'a pas. En revanche, les échanges de données seront possibles pour tout le monde, entre communes, entre intercommunalités, entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et la Caisse d'allocations familiales (CAF) pour justifier de l'invalidité d'une personne et faciliter l'accompagnement à la mobilité des personnes en situation de handicap, etc. Nous nous inscrivons, là encore, dans cette logique de bienveillance, de proximité et d'efficacité dans l'intérêt des usagers, qui sont à la fois des entreprises et des citoyens - combien de fois une entreprise doit-elle aujourd'hui donner son numéro Siret ?
Ces flux d'informations vont pouvoir se réaliser de manière intuitive entre tous les acteurs publics - collectivités, opérateurs, services déconcentrés, administrations centrales ; c'est un point majeur.
Le droit permet déjà un certain de nombre de choses. Dans le cadre du plan de relance, nous donnons aujourd'hui 5 000 euros, de manière forfaitaire, via le site transformation.gouv.fr, à toute commune qui souhaite déployer des API, afin d'avoir accès au revenu fiscal de référence ou au quotient familial. Cela va faciliter le processus d'instruction des dossiers, notamment la cantine, le service périscolaire et autres aides municipales. Le dispositif est très incitatif ; il y a des régions où sa diffusion est rapide - je pense notamment à la région Centre-Val de Loire - et d'autres où elle est plus lente.
Nous soutenons également le déploiement de FranceConnect par lequel 23 millions de Français accèdent aujourd'hui à divers services publics en ligne. Le dispositif facilite le partage de données et les démarches.
Ces éléments très concrets n'entraînent pas de charge supplémentaire pour les collectivités. Avec ces dispositifs, on peut avoir accès aux données pour le bénéfice de l'usager, mais on ne constitue pas des bases de données statiques qui pourraient entraîner des risques de cyberattaques.
Concernant l'évaluation publique, je suis tout à fait d'accord avec vous, madame Gatel. Cela a été mon combat lorsque j'étais députée ; je suis, parmi d'autres, à l'origine du fameux printemps de l'évaluation ; à l'Assemblée nationale, nous consacrons désormais plus de temps à la manière dont l'argent public a été dépensé l'année précédente qu'à celle de le dépenser l'année suivante.
Le baromètre des résultats n'est pas un outil d'évaluation, mais permet ensuite l'évaluation. Toutes les dispositions sur l'activation des chambres régionales des comptes (CRC) à la demande des collectivités vont dans le sens d'une évaluation partagée des politiques publiques.
Concernant les mises à disposition de personnels, je suis très ouverte. Si nous avons un statut unique, nous travaillons sur des dispositions partagées.
L'évolution du statut des directeurs d'instituts départementaux de l'enfance et de la famille (IDEF) et celle des gestionnaires de collèges et lycées sont distinctes. Les directeurs des IDEF étant détachés dans la fonction publique territoriale, cela permettra au président de département de mieux les piloter. Concernant les gestionnaires de collèges et lycées, la mesure prévue à l'article 41 est le résultat d'un dialogue entre les départements, les gestionnaires et les organisations syndicales, qui y sont assez peu favorables. L'état actuel du texte me paraît raisonnable. Ces articles sont portés par Jacqueline Gourault. À ma demande, elle a rencontré les organisations syndicales, notamment pour évaluer les enjeux de sécurisation des éventuels transferts et les changements de périmètre. Je serai à ses côtés lorsque le sujet sera débattu.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Nous avons mesuré l'enthousiasme des syndicats lors des auditions...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vous avez donc une bonne visibilité de l'enjeu.
Monsieur Darnaud, un certain nombre de textes font aujourd'hui référence aux maisons de services au public (MSAP), mais France Services a pris la relève. Il nous semble utile de clarifier le droit afin que tout le monde sache bien de quoi l'on parle. De plus, il y a un saut qualitatif en termes de labellisation.
Il s'agit d'un projet politique affirmé, visant à procéder à un remaillage de notre territoire, avec 1 300 espaces France Services - soit des maisons, soit des bus itinérants ; nous souhaiterions atteindre les 2 000 espaces en 2022. Les acteurs du service public s'impliquent beaucoup ; la justice, par exemple, sera accessible dans les 2 000 maisons France Services. Nous avons besoin d'acter dans le droit qu'il ne s'agit pas simplement d'une expérimentation, mais d'une véritable réflexion sur notre service public.
Concernant le remembrement de l'État départemental, je partage vos observations. Le Gouvernement est en rupture sur deux points majeurs dans la manière de concevoir un État départemental.
La première rupture concerne les effectifs. La crise sanitaire a montré que nous manquions parfois de personnels ; nous avons, sur ce point, des faiblesses et des fragilités qui peuvent devenir problématiques. Depuis 2010, les effectifs départementaux de l'État ont baissé de 40 % ; tel est le fruit de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Au début du quinquennat, nous avons commencé par stabiliser les effectifs, et aujourd'hui nous souhaitons les augmenter. Nous sommes en rupture avec une tendance qui a érodé la puissance de l'État.
Seconde rupture, nous assumons politiquement le fait de remembrer l'État. Pendant des années, la mode était à l'« agenciarisation » et à la régionalisation de l'action publique ; nous assumons fortement cette rupture. Le Premier ministre l'a assuré, nous tiendrons un CITP en juillet prochain, dont l'axe principal sera bien la poursuite de nos ambitions sur l'État départemental.
Le niveau départemental permet de constituer des équipes, de se connaître et d'avoir des leviers. Pour l'État, le but de ce remembrement - il fut assumé dans le discours du Président de la République le 8 avril dernier, et déjà dans son discours aux préfets en 2017 - est d'être cohérent. Il ne s'agit pas de placer tout le monde sous une autorité hiérarchique, mais, dans un certain nombre de situations, de clarifier la parole de l'État. À cet égard, nous voulons redonner au préfet son pouvoir d'arbitrage.
Dans notre organisation collective, la simplification de la décision est importante ; il convient de redonner des capacités de décision à ceux qui sont sur le terrain. On ne doit plus considérer les services départementaux comme des endroits où l'on reçoit des dossiers, où on les instruit, mais où on laisse le pouvoir de décision à l'échelon régional ou national. Notre réforme de la haute fonction publique vise à remettre des compétences de haut niveau dans les départements et les services opérationnels, avec des hommes et des femmes en capacité de décider.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Madame la ministre, votre réponse va dans le sens de ce nous appelons de nos voeux au Sénat.
J'ai pris volontairement cet exemple du préfet qui pourrait être délégué territorial de l'OFB. Pour nos élus et nos concitoyens, il faut de la clarté et de lisibilité.
Je souscris à vos propos : il convient de renforcer l'État départemental à la fois en termes de moyens, de compétences et de prérogatives. Il y a aujourd'hui dans notre pays un besoin de proximité qui ne cesse de s'exprimer, et il nous semblait que ce texte pouvait le prendre en compte.
J'ai également pris l'exemple de l'eau, avec une problématique qui va se poser dans la plupart de nos départements. L'idée de privilégier le préfet de département plutôt que celui de région permet de concilier agilité et proximité. Au niveau des commissions pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la plupart des élus réclament que l'eau soit un critère éligible au financement de l'État.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - La crise sanitaire a révélé que l'État devait avoir un chef d'orchestre pour harmoniser et décider sur les territoires. Au-delà de la crise, nous avons des exemples dans toutes les communes et les collectivités où les procédures, notamment sur les questions d'urbanisme, sont aujourd'hui très complexes. Les réglementations sont interprétées par des agents de l'État qui n'ont de comptes à rendre qu'à leur ministre et s'avèrent extrêmement zélés dans l'application d'un texte. Les élus frappent à différentes portes, et les réponses apportées sont parfois contradictoires.
Pour une meilleure cohérence, nous avions proposé dans la loi dite « Engagement et proximité » la création d'une conférence de dialogue entre l'Etat et les collectivités. Nous avons l'obsession de l'efficacité de l'action publique et, surtout, du soutien aux élus locaux qui sont comptables devant leurs concitoyens de cette efficacité ; l'État ne doit donc pas leur compliquer la vie, mais entretenir avec eux une relation partenariale.
M. François-Noël Buffet, président. - Le préfet, institution bicentenaire, est attendu avec impatience dans les départements. Pour les élus locaux, il est l'interlocuteur et l'incarnation de l'État.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je suis en phase avec les objectifs et j'essaie de trouver des manières concrètes de faire vivre des choses qui ont beaucoup de mal à se décréter par une circulaire ou un texte de loi.
Chaque agent public est rattaché à deux autorités : son territoire, son lieu de travail ; et son métier. Hiérarchiquement, il peut être rattaché à l'une de ces deux autorités. Comme il s'agit d'un impensé, il y a beaucoup d'agents publics à qui l'on n'a jamais expliqué ce double rattachement.
Vous dites que le préfet doit être le chef d'orchestre. Évidemment, il a ce rôle d'arbitrage, mais il est aussi un point d'entrée. Le démembrement de l'État donne aujourd'hui une impression de confusion ; pour y remédier, le préfet doit redevenir le point d'entrée.
Vous souhaitez des interlocuteurs uniques ; nous sommes en train de déployer des experts de haut niveau et des directeurs de projets dans l'ensemble du territoire. La démarche est la même que celle qui a été adoptée pour les sous-préfets lors de la relance. Après avoir examiné les résultats départementaux et observé, dans certains territoires, des dispositions qui ne fonctionnaient pas, les préfets nous ont fait part de leurs besoins : soit d'une politique publique, soit d'un grand projet. Le but de cette démarche, en coordination avec la réforme de la haute fonction publique, est de pouvoir redéployer dans les départements des postes de directeurs de projets ou d'experts de haut niveau.
Monsieur Darnaud, il faut de la clarté, de la lisibilité et aussi de la responsabilité. Nous devons être beaucoup plus clairs sur les responsabilités de chacun. La confiance et la responsabilité sont des mots qui peuvent paraître conceptuels, mais qui témoignent d'une réalité. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise que chaque citoyen peut demander des comptes aux décideurs publics ; mais celui-ci doit savoir qui décide pour pouvoir le faire effectivement.
Concernant les moyens, la méthode est aussi très importante. Nous avons aujourd'hui permis la différenciation budgétaire, en permettant notamment et dans une certaine mesure la fongibilité. Notre soutien doit aller aux départements qui en ont besoin, et nous menons ce travail avec l'ensemble des ministres.
Vous avez évoqué le sujet de l'eau. Le travail que mène actuellement Julien Denormandie avec le « Varenne de l'eau » s'appuie sur celui qui a été réalisé par un certain nombre de préfets à l'échelon départemental ; je pense notamment au travail très innovant mené par la préfète en Corrèze. L'objectif est de sortir de la vision procédurale pour établir également un diagnostic.
Les annonces prévues en juillet, à la suite de celles du mois février, concerneront tout ce qui ne relève pas du domaine de la loi. La véritable capacité à mettre en oeuvre dépend de la pratique et aussi de la nouvelle organisation de l'État concernant les administrations centrales.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous vous remercions de ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 25.