Jeudi 20 mai 2021
- Présidence de M. Pierre Ouzoulias, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
« Emploi étudiant, salariat, apprentissage» - Audition de M. Julien Berthaud, co-auteur de Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie (2019), Mme Vanessa Pinto, maître de conférence en sociologie à l'université de Reims-Champagne-Ardennes (URCA), auteure de À l'École du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots » (2015), MM. Aurélien Cadiou, président de l'Association nationale des apprentis de France (Anaf), Frédéric Sauvage, président de l'Association nationale pour l'apprentissage dans l'enseignement supérieur (Anasup), Mme Muriel Jougleux, vice-présidente « Partenariats et Professionnalisation » de l'université Gustave Eiffel - Marne la Vallée et France Vélazquez, vice-présidente déléguée à la formation professionnelle de l'université de Cergy (CY Cergy - Paris université)
M. Pierre Ouzoulias, président. - Mesdames, messieurs, chers collègues, je vous remercie de participer à cette nouvelle audition de notre mission d'information sur la vie étudiante.
Je rappelle que notre mission d'information, qui résulte d'une demande du groupe Union centriste du Sénat, a désigné comme rapporteur le président de la commission de la culture, M. Laurent Lafon. Elle a mené des auditions sur de nombreux thèmes, notamment la santé psychologique, le logement, la précarité, ou encore les problématiques très spécifiques des jeunes des outre-mer étudiant dans l'hexagone.
Nous souhaitions aborder avec vous la problématique primordiale de l'emploi étudiant, car nous savons qu'environ un étudiant sur deux occupe un travail. Pendant la période de pandémie, la disparition des « petits boulots » a été une des causes principales de la précarité étudiante. Des étudiants se sont retrouvés, en très peu de temps, sans aucun revenu.
Nous avons abordé ce point lors de notre réunion du 6 mai sur l'aide alimentaire. Au cours de cette audition, les associations caritatives nous ont expliqué à quel point cette précarité était difficile à vivre. Le président des Restos du coeur nous a ainsi signalé que son association n'était pas habituée à rencontrer des étudiants lors des maraudes. Que des étudiants soient sans domicile et aient besoin d'être secourus dans ce contexte inhabituel pour eux prouve que la situation est grave et inquiétante.
Parallèlement, nous avons souhaité vous entendre sur le sujet important de l'alternance. Le président de l'université de La Rochelle nous a expliqué combien son université avait travaillé dans ce domaine pour développer ces filières.
La première séquence de cette table ronde est centrée sur l'emploi étudiant. Je salue M. Julien Berthaud, co-auteur de l'ouvrage Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie, publié en 2019. Nous entendrons également sur cette thématique Mme Vanessa Pinto, maître de conférences en sociologie à l'université de Reims-Champagne-Ardennes (URCA) et auteure de l'ouvrage À l'École du salariat. Les étudiants et leurs «?petits boulots?», paru en 2015.
Pour notre seconde séquence qui concerne l'alternance, je donnerai successivement la parole à M. Aurélien Cadiou, président de l'Association nationale des apprentis de France (Anaf), M. Frédéric Sauvage, président de l'Association nationale pour l'apprentissage dans l'enseignement supérieur (Anasup), à Mme France Vélazquez, vice-présidente déléguée à la formation professionnelle de l'université de Cergy, puis à Mme Muriel Jougleux, vice-présidente «?Partenariats et Professionnalisation?» de l'université Gustave Eiffel - Marne-la-Vallée. Mesdames, messieurs, vous avez reçu en amont de cette table ronde un questionnaire précisant les attentes de la mission d'information. Je vous laisse organiser vos propos à votre guise pour y répondre. Nous allons aborder sans plus tarder la première séquence de cette table ronde.
M. Julien Berthaud, co-auteur de l'ouvrage Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie (2019). - Les éléments que je vais vous présenter sont issus de l'ouvrage Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie, co-écrit avec Jean-François Giret, Catherine Béduwé et Georges Solaux. Jean-François Giret, que vous aviez sollicité aussi, vous prie d'excuser son absence aujourd'hui.
L'objectif du travail mené dans le cadre de cet ouvrage était de disposer d'un regard longitudinal sur le salariat étudiant. En effet, la plupart des enquêtes - notamment de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE) - se focalisent sur une seule année. Notre objectif était de suivre les étudiants sur plusieurs années, en observant l'évolution de leur situation vis-à-vis du salariat tout au long de leur parcours.
Nous avons mené une enquête quantitative dans ce but. Nous nous sommes adressés aux étudiants ayant répondu à l'enquête de l'OVE en 2013, que nous avons réinterrogés pendant trois ans. Parmi les 1867 étudiants interrogés, un tiers concerne chacune des trois années de licence. La moitié de cet échantillon est composé d'étudiants salariés.
Parallèlement, nous avons mené environ dix entretiens par an, afin de cibler des populations particulières d'étudiants - notamment des étudiants ayant abandonné leurs études en raison de leurs activités rémunérées ou à cause de difficultés financières.
Lorsque nous raisonnons sur une année, nous savons qu'environ un étudiant sur deux travaille. En agrégeant les données sur quatre ans, nous avons constaté que plus de 60 % des étudiants avaient exercé une activité rémunérée pendant au moins une année et qu'un peu moins de 10 % des étudiants interrogés avaient travaillé de manière récurrente durant les quatre années.
Nous avons cherché à analyser les effets du salariat en termes de réussite étudiante. Nos résultats montrent globalement qu'il existe des effets plutôt négatifs. Plus le salariat est récurrent, plus les taux de réussite annuelle et de poursuite d'études sont faibles. En outre, on constate un allongement de la durée des études. Plus le salariat est récurrent, plus la part d'étudiants « à l'heure » à la fin de leurs études diminue.
Par ailleurs, nos travaux ont montré que plus le salariat est récurrent, plus la probabilité d'abandonner ses études avant l'obtention du niveau souhaité est élevée. En début de parcours, les étudiants justifient souvent l'abandon de leurs études par des ressources financières insuffisantes tandis qu'en fin de trajectoire, les étudiants salariés évoquent davantage leur manque de motivation à poursuivre des études. Notons que les étudiants salariés sont beaucoup plus nombreux à évoquer un manque de motivation que les étudiants non-salariés. Pour les étudiants salariés, on constate donc des tensions à la fois financières et vocationnelles, pouvant provoquer le basculement vers l'arrêt ou l'abandon des études.
En outre, les étudiants exerçant une activité salariée récurrente déclareront beaucoup plus souvent des changements dans leur manière d'étudier (davantage d'isolement, moins de présence à la bibliothèque universitaire et davantage de travail à des heures où ils sont fatigués). Ces étudiants seront également beaucoup plus nombreux à diminuer leur temps d'études et de loisirs à cause de leur travail.
Nous avons étudié d'autres caractéristiques pouvant influencer la réussite, l'abandon et les manières d'étudier. Lorsque la durée de 18 heures de travail par semaine est dépassée, nous avons pu remarquer un effet très négatif sur la réussite des étudiants salariés. Cependant, les effets sont plutôt neutres lorsque le temps de travail est inférieur à huit heures.
On observe également un effet très négatif sur la réussite lorsque les étudiants sont obligés de travailler durant la période de révision avant les examens. À l'inverse, quand les étudiants déclarent que leur activité rémunérée est en lien avec leurs études, les effets sont moins négatifs, voire favorables, en raison d'un effet de compensation.
Dans le même sens, lorsque des étudiants travaillent sur le campus, les effets du salariat sont moins négatifs ; ils peuvent même être neutres, car le temps de transport est réduit et la socialisation étudiante est accrue.
À la fin de notre étude, nous avons formulé quelques pistes de recommandation. Notre idée est d'inciter les étudiants à réduire le nombre d'heures travaillées et de compenser ces heures non travaillées, indispensables au budget étudiant.
S'agissant des universités, les initiatives concernant la gestion de l'emploi du temps devraient être généralisées, afin de faciliter les possibilités de cumul emploi-études. Une information devrait également être réalisée auprès des étudiants, de sorte qu'ils connaissent mieux les dispositifs mis en place. En outre, davantage d'emplois devraient être proposés sur le campus.
De plus, les employeurs devraient être encouragés à libérer les étudiants avant leurs périodes d'examen. Des solutions sont à trouver pour faciliter les stages ou les mobilités des étudiants salariés. Nous observons en effet qu'un tiers des étudiants interrogés n'ont pas pu réaliser un stage, car ils occupaient déjà un emploi.
Notons que le salariat n'a pas que des effets négatifs pour les étudiants. Dans nos enquêtes ainsi que dans les enquêtes « Génération » menées par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), on constate que les étudiants valorisent massivement les activités salariées exercées parallèlement à leurs études. On observe également que l'emploi permet aux étudiants de développer leur connaissance du milieu professionnel ainsi qu'un certain nombre de compétences.
En outre, les effets sur l'insertion sont positifs, mais seulement si les étudiants parviennent à obtenir leur diplôme parallèlement à leur emploi. Les effets seront d'autant plus positifs si l'emploi étudiant exercé est un emploi qualifié.
Mme Vanessa Pinto, maître de conférence en sociologie à l'université de Reims-Champagne-Ardennes (URCA), auteure de À l'École du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots » (2015). - Je vais aborder essentiellement les aspects les plus structurels. Si vous le souhaitez, je pourrais ensuite évoquer les effets de la crise sanitaire, qui a beaucoup frappé les étudiants étrangers ainsi que les étudiants les plus âgés.
Selon l'enquête de l'OVE, en 2016, 46 % des étudiants ont exercé une activité rémunérée pendant l'année. Parmi eux, 45 % ont effectué un stage, de l'alternance ou une activité liée aux études telle que l'internat en médecine, tandis que 36 % ont exercé une activité non liée aux études correspondant à moins d'un mi-temps et que 19 % ont eu, à mi-temps ou davantage, une activité non liée aux études.
Ces activités rémunérées sont très différenciées socialement. Parmi les enfants de cadres, les emplois occasionnels tels que le baby-sitting ou les cours particuliers prédominent dans les premières années d'études. Puis ils sont remplacés par les stages rémunérés et les activités liées aux études. À l'opposé, chez les enfants d'ouvriers prédominent les stages de premier cycle - peu rémunérés - et les activités non liées aux études - tels que vendeur ou caissier dans la grande distribution.
Ces inégalités se retrouvent au niveau des filières d'études. Dans les facultés de santé ou dans les grandes écoles d'ingénieurs ou de commerce, où les enfants de cadres sont surreprésentés, les activités les plus intégrées aux études dominent. À l'opposé, dans les facultés de lettres et de sciences humaines, au recrutement plus populaire, la part des activités non liées aux études est beaucoup plus élevée. De même, en section de technicien supérieur (STS), au recrutement également populaire, les activités sans liens avec les études sont majoritaires, même si elles sont moins fréquentes et moins intensives. Quant aux élèves des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), souvent issus des classes supérieures, ils exercent rarement une activité rémunérée en cours d'année.
En somme, tout au long de leurs études, les enfants de cadres, très souvent aidés financièrement par leurs parents, exercent des activités rémunérées, soit très occasionnelles, soit complémentaires de leurs études, voire susceptibles de leur faciliter l'accès ultérieur à des emplois qualifiés. À l'opposé, les emplois des enfants d'ouvriers, et notamment des filles, peuvent entraver leurs études. Nous savons en effet qu'une activité rémunérée peut d'autant plus nuire à la réussite des études qu'elle est éloignée de celles-ci et exercée intensivement.
Dans le but de comprendre les logiques selon lesquelles les étudiants exercent un emploi, j'ai mené plusieurs entretiens auprès d'étudiants, ce qui m'a permis de distinguer trois logiques.
La première est la logique du provisoire, où l'activité rémunérée est éloignée des études suivies, mais exercée de façon occasionnelle et relativement distanciée.
La deuxième est la logique de l'anticipation, lorsque l'emploi est perçu comme cohérent avec la filière suivie et comme préparatoire au métier projeté.
La troisième, la plus problématique, est la logique de l'« éternisation » et de l'enlisement dans l'emploi. Dans ce cas, l'emploi exercé provisoirement devient durable, au point de prendre peu à peu la place des études. Ces étudiants sont progressivement pris au jeu et au piège de leurs « petits boulots ». Cette logique est problématique, car ces étudiants réalisent souvent trop tard que les perspectives de promotion dans ce type d'emploi sont réduites. Ils découvrent amèrement que, sans diplôme du supérieur, ils sont voués durablement à des emplois instables et non qualifiés - ce qui est statistiquement vrai.
Les étudiants concernés par la logique de l'« éternisation » dans l'emploi sont souvent des étudiants d'origine populaire, provenant des séries technologiques ou professionnelles du secondaire et démunis scolairement au sein de l'institution universitaire. Ces étudiants se sentent en quelque sorte relégués. Nous ne pouvons même pas dire que ces étudiants décrochent, car en réalité ils n'ont jamais réellement accroché à leurs études.
Dans ce contexte, ces étudiants voient dans l'emploi une sorte de voie de salut alternative. En effet, leur emploi leur offre une sociabilité, voire une reconnaissance qu'ils ne trouvent pas à l'université. Plusieurs qualifient leurs collègues de « petite famille ». Ce travail se retrouve au centre de leurs occupations et de leurs préoccupations, au point d'exercer une sorte d'emprise sur eux.
Ces cas sont certes minoritaires sur un plan quantitatif, mais ils sont problématiques et montrent combien les emplois étudiants peuvent accentuer les inégalités.
Je vais examiner, à présent, sept des solutions habituellement préconisées en matière d'emploi étudiant.
Tout d'abord, les aménagements d'études, telles que les dispenses d'assiduité aux travaux dirigés (TD), censés permettre d'adapter la scolarité des étudiants salariés aux contraintes de leur emploi, constituent un vrai cadeau empoisonné. Les étudiants concernés ne peuvent pas acquérir des savoirs et savoir-faire fondamentaux puisqu'ils sont privés de TD. Ces aménagements d'études posent un problème de fond puisque les diplômes peuvent ainsi être délivrés sans que des savoirs et savoir-faire fondamentaux aient pu être acquis.
L'autre effet pervers des aménagements d'études ou d'un éventuel usage des Massive Open Online Courses (MOOCs) est qu'ils entraînent une démobilisation des étudiants salariés, en particulier des plus démunis scolairement. Ces derniers sont pris dans un cercle vicieux, cat ces dispositifs les privent d'intégrations universitaires, ce qui peut les amener à s'investir davantage dans leur emploi et donc à s'éloigner encore des enjeux universitaires.
Certains proposent d'attribuer aux étudiants salariés des crédits ETCS au titre de leur emploi, leur permettant de valider leur diplôme. Or on imagine mal un étudiant en histoire ou en sciences physiques obtenir son diplôme grâce à son emploi dans un fast-food... Cette solution semble aberrante d'un point de vue pédagogique, à moins d'exclure ce type d'emploi de la validation, rendant ainsi ce dispositif très inégalitaire.
Une autre solution, mise en oeuvre depuis quelques années, concerne les emplois étudiants sur les campus. Or ce dispositif a des limites. Le financement de ces emplois relève des établissements, dont les budgets sont souvent restreints. Les contraintes en termes d'horaires propres à ces emplois ne permettent pas toujours de suivre correctement les cours. De plus, il existe un risque de voir là encore des fonctions pérennes, qui relèveraient des services publics, confiées de manière courante à des personnels temporaires.
Plusieurs travaux montrent que l'entrepreneuriat étudiant, quant à lui, décuple les inégalités. Pour les étudiants issus de familles favorisées, il peut déboucher sur des expériences valorisantes. En revanche, il mène les étudiants des milieux populaires vers des positions précaires, dans le cadre par exemple du micro-entrepreneuriat.
L'extension des stages et de l'alternance est parfois évoquée comme une solution. Rappelons que les étudiants passent de plus en plus de temps en stage, le plus souvent non rémunéré, et que les stages comptent de plus en plus pour obtenir un diplôme. Or, cette extension est problématique, car les années d'études sont de moins en moins consacrées à l'acquisition de savoirs et davantage à des périodes en entreprise, dont l'apport en termes d'insertion est très aléatoire. Plus encore, la généralisation des stages et autres statuts temporaires tend à restreindre le volume des emplois stables et donc, paradoxalement, les perspectives d'insertion à l'issue des études.
Par ailleurs, plusieurs chercheurs ont montré que le système des prêts garantis par l'État, mis en place en Angleterre, s'est soldé par des résultats désastreux.
Une dernière solution permettrait, quant à elle, de résoudre les problèmes posés par l'emploi étudiant : l'amélioration réelle des aides publiques destinées aux étudiants avec, d'abord, dans l'immédiat, un élargissement des critères sociaux permettant d'accéder à une bourse ainsi qu'une élévation très nette de leur montant. Ces montants sont actuellement dérisoires au regard du coût de la vie. Plus de moyens doivent également être alloués aux logements, aux restaurants, aux services de santé et d'aide psychologique universitaire et à la vie étudiante.
Enfin, le meilleur moyen de lutter contre l'emprise exercée par certains emplois sur les étudiants et d'éviter l'abandon des études consiste à assurer un réel encadrement pédagogique, nécessitant la création de nombreux postes d'enseignants-chercheurs titulaires.
Le grand paradoxe est que les étudiants issus des milieux populaires, les plus démunis culturellement - soit ceux qui tireraient le plus profit d'un suivi pédagogique renforcé - sont voués aux filières où le nombre d'enseignants par étudiant est le plus faible.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Votre intervention montre l'utilité de la sociologie pour l'élaboration des politiques publiques.
J'aimerais que vous nous indiquiez les conséquences sur le statut des disciplines, notamment des sciences humaines.
Ensuite, je souhaite savoir si vous avez réalisé un travail équivalent pour d'autres établissements d'enseignement supérieur, comme les grandes écoles. Ces établissements peuvent mettre à disposition des étudiants des réseaux d'employeurs qui peuvent être valorisants pour leur cursus et leur permettre de trouver plus facilement des stages.
Par ailleurs, dans les statistiques que vous nous citez, quelle est la proportion d'étudiants boursiers devant impérativement recourir à des « petits boulots » ? Est-ce marginal ou, au contraire, de plus en plus courant ?
M. Julien Berthaud. - Je n'aurais pas forcément beaucoup d'éléments de réponse à apporter à vos questions.
Les filières de sciences sociales - typiquement en sociologie et en psychologie - comptent généralement davantage d'étudiants salariés. Le fait que le nombre d'heures de cours y soit moins important est peut-être un motif. Cette réalité tient aussi au profil social des étudiants. Ces filières comptent plutôt des étudiants d'origine modeste et issus de classe moyenne. Fatalement, ils sont plus souvent amenés à travailler.
Concernant les bourses, nous avons pu observer que beaucoup d'étudiants devenaient salariés car ils perdaient leur bourse. Les critères d'attribution des bourses sont peut-être à revoir. D'autres modes de ressources publiques pourraient être examinés pour permettre aux étudiants de compléter leurs revenus ou de percevoir un revenu au moins minimal.
Mme Vanessa Pinto. - Environ 38 % des étudiants sont boursiers sur critères sociaux dans l'enseignement supérieur. Le chiffre est un peu supérieur en STS et un peu inférieur en classe préparatoire aux grandes écoles.
Les bourses ne suffisent pas à compenser les inégalités sociales. Certes, les boursiers sont 38 % à être salariés contre 49 % pour les non-boursiers. Néanmoins, ce pourcentage est tout de même élevé puisque les bourses ont vocation à leur éviter d'être contraints de travailler pour des raisons financières.
En outre, les boursiers salariés accèdent moins souvent que les non-boursiers à des stages rémunérés et à des activités liées aux études.
Par ailleurs, les boursiers sont davantage confrontés à des difficultés financières que les non-boursiers. Cette réalité apparait notamment à partir des enquêtes de l'OVE.
Concernant les différences en fonction des études, quatre types de filières peuvent être distingués. D'abord, dans les filières de santé et dans les écoles d'ingénieurs et de commerce, les activités rémunérées sont plus nombreuses, mais ce sont surtout des stages, des alternances ou des activités liées aux études. À l'opposé, dans les filières lettres et sciences humaines, les activités non liées aux études sont nombreuses et exercées assez intensivement. Ensuite, dans le supérieur court, soit les STS et les instituts universitaires de technologie (IUT), les activités rémunérées sont moins nombreuses. Du côté des STS, les activités sont moins souvent liées aux études. Du côté des IUT, il s'agit plutôt de stages ou d'alternances. Enfin, dans les CPGE, les activités rémunérées sont rares, ou alors elles sont occasionnelles.
Dans les grandes écoles, de nombreuses activités sont intégrées aux études. Par ailleurs, des réseaux internes permettent aussi d'avoir accès à des emplois peut-être parfois moins pénibles que ceux auxquels accèdent les étudiants des filières universitaires de lettres et de sciences humaines et sociales.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Je vous remercie. Nous passons à la seconde thématique de cette table ronde : l'apprentissage et l'alternance.
M. Aurélien Cadiou, président de l'Association nationale des apprentis de France (Anaf). - Tout d'abord, les profils d'étudiants en alternance sont très divers. Notons que peu d'étudiants « infra-bac » sont en alternance ou en apprentissage et que peu d'élèves sortants de troisième se dirigent vers l'apprentissage. Un recul a eu lieu depuis la suppression du brevet d'études professionnelles (BEP).
Néanmoins, depuis quelques années, les formations de l'enseignement supérieur comptent de plus en plus d'apprentis. Cette augmentation est encore plus forte depuis la réforme de fin septembre 2018.
Par ailleurs, tous les types d'établissements, privés comme publics, sont concernés par l'apprentissage. En raison du fonctionnement de l'apprentissage avant la réforme, certains centres de formation d'apprentis (CFA) sont dépourvus de classes ; ils servent de structures administratives et délèguent l'intégralité de leurs cours à d'autres établissements de formation. Ils sont nombreux dans l'enseignement supérieur.
La crise sanitaire a impacté assez fortement les apprentis puisque ces derniers cumulent malheureusement les problématiques des jeunes travailleurs et celles des étudiants. Les apprentis ont été confrontés à ces problématiques du jour au lendemain. Nous avons rencontré des cas très difficiles à gérer. Il y a eu une multitude de situations en fonction de l'activité de l'entreprise et du centre de formation et les apprentis se sont souvent sentis perdus. Parfois, les jeunes ne recevaient pas de nouvelles de leur entreprise, celle-ci ayant fermé. D'autres fois, ils étaient sans nouvelles du CFA, qui tardait à s'organiser. Nous avons reçu cinq fois plus de sollicitations pendant le premier confinement car les apprentis ne savaient pas à qui s'adresser.
Toutefois, selon les derniers chiffres dont nous avons connaissance, les ruptures de contrats n'ont pas été plus nombreuses durant cette période qu'habituellement (elles s'élèvent en temps normal à 28 %, ce qui est assez élevé).
La situation a été plus souple lors des confinements suivants. La plupart des apprentis ont pu suivre leur formation - ou au moins les aspects pratiques, extrêmement importants pour l'obtention de leur diplôme - dans leur centre de formation. La plupart ont aussi pu retourner en entreprise. Hormis la période du premier confinement, la suite s'est plutôt bien déroulée, sans grande difficulté.
Concernant l'enseignement supérieur, on sait que l'apprentissage plaît beaucoup aux jeunes entrant dans l'enseignement supérieur. Il plait beaucoup aussi aux écoles. Des conseils régionaux freinaient auparavant les ouvertures de sections ou limitaient l'accès à l'apprentissage dans l'enseignement supérieur, afin de réserver l'apprentissage et l'alternance aux niveaux bac et « infra-bac ». On constatait déjà une augmentation du nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur avant la réforme, mais elle est plus importante aujourd'hui. En effet, avec la réforme, les conseils régionaux n'ont plus leur mot à dire. Les établissements sont autonomes dans l'ouverture des sections et choisissent le nombre d'élèves.
Cela explique l'augmentation extrêmement sensible du nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur en 2019. La demande a été forte de la part des jeunes mais aussi des écoles. L'école perçoit directement les crédits de l'opérateur de compétence pour chaque apprenti accueilli dans son établissement ; le mode de financement est clair, simple et sûr pour les écoles.
Cette augmentation très marquée est cependant problématique puisque la réforme n'est pas financée. Les dépenses liées à l'apprentissage sont en effet supérieures aux recettes. Cette réalité est en partie liée au succès de l'apprentissage dans le supérieur, où le coût y est souvent plus élevé. Cette question financière reste donc en suspens, retardée par le ministère du Travail qui entendait réduire le budget alloué pour chaque apprenti aux centres de formation, afin de rééquilibrer les dépenses et les recettes.
L'alternance est effectivement très appréciée des jeunes dans les formations bac+5. Nous pensons que l'image de l'apprentissage change et que celui-ci s'est élargi : les jeunes ne pensent plus que l'apprentissage est réservé aux métiers manuels ; nombre d'entre eux le perçoivent comme un moyen d'insertion dans le monde du travail.
L'alternance permet aussi à ces jeunes de financer leur formation. En effet, un apprenti est salarié d'une entreprise et n'a donc pas de frais de formation à payer. Ce système est ainsi attractif. Dans le cas des futurs ingénieurs par exemple, les entreprises sont, elles aussi, satisfaites de pouvoir préembaucher leurs futurs collaborateurs.
La réforme a beaucoup changé les aides à destination des apprentis. Auparavant, ces aides étaient délivrées par les conseils régionaux. Les opérateurs de compétences sont maintenant chargés de verser les aides aux centres de formation et non plus directement aux jeunes. Avant la réforme, les aides destinées à l'hébergement et à la restauration étaient versées directement aux jeunes. Désormais, l'opérateur de compétence n'attribue l'aide aux CFA que si celui-ci engage des dépenses pour l'hébergement ou la restauration. Or certains CFA ne proposent pas ces prestations, si bien que les apprentis devront s'héberger et se nourrir ailleurs, sans bénéficier d'une aide pour autant. Ces problématiques financières liées à la mobilité, l'hébergement et la restauration sont importantes pour la majorité, voire pour l'ensemble des apprentis.
Une autre problématique liée au financement concerne l'aide au premier équipement professionnel. Les opérateurs de compétences attribuent une aide aux centres de formation afin de financer cet équipement, qui appartient aux jeunes. Néanmoins, si le centre de formation ne souhaite pas gérer ce processus administratif d'achats, le jeune ne perçoit pas d'aide et doit payer lui-même son premier équipement.
Depuis la réforme, nous avons constaté que certaines écoles - plutôt bac+5 - n'ont pas compris la philosophie de l'apprentissage et font payer des frais d'inscription (voire des frais de formation) à leurs apprentis, ce qui est strictement interdit. S'emparer de ce sujet est nécessaire, afin d'éviter que des écoles perçoivent des sommes à la fois des opérateurs de compétence, des entreprises et des apprentis.
Quant à la problématique liée à la mobilité internationale des jeunes, elle est traitée par la ministre du travail avec plus d'un an de retard. Cette mobilité compte beaucoup dans l'enseignement supérieur. Une suspension du contrat de travail et d'apprentissage intervient si la durée de quatre semaines de mobilité est dépassée. Or cette durée de mobilité est obligatoire dans le cadre d'un diplôme d'ingénieur. Le contrat du jeune est donc suspendu et ce dernier n'a plus de droits sociaux ni de salaire. Nous avons peu observé cette situation car, en raison de la crise sanitaire, très peu de jeunes sont partis en mobilité internationale.
M. Pierre Ouzoulias, président. -Jean Arthuis, ancien ministre, nous a alertés sur ces sujets liés à la mobilité internationale des apprentis lors d'une table ronde organisée hier, mercredi 19 mai, par le groupe sénatorial d'études « Statut, rôle et place des Français établis hors de France ». Notre collègue Jacky Deromedi, présidente de ce groupe, a associé la mission d'information à cette réunion sur les mobilités internationales des jeunes Français, dans un contexte marqué par la crise sanitaire et le Brexit. Notre mission avait perçu toute l'ampleur de la problématique, particulièrement affectée par la pandémie.
M. Frédéric Sauvage, président de l'Association nationale pour l'apprentissage dans l'enseignement supérieur (Anasup). - Incontestablement, le nombre d'apprentis dans le supérieur connaît une dynamique de croissance forte, ininterrompue sur les dix dernières années. Le rythme de développement est de 5 % à 10 % par an.
Cette augmentation s'est d'abord opérée dans des filières professionnalisées, avec un lien très fort au tissu économique. Je pense notamment aux écoles de commerce privées ou publiques, aux instituts d'administration des entreprises (IAE), aux écoles d'ingénieurs et aux IUT. On constate aujourd'hui une extension progressive de l'ancrage et du développement de l'apprentissage dans tous les champs de l'enseignement supérieur.
Entre 30 % et 40 % d'apprentis étaient boursiers l'année précédant leur entrée en apprentissage. Ces chiffres sont issus d'enquêtes réalisées par un certain nombre de nos CFA. Évidemment, cette proportion est notamment liée à la sociologie des établissements de formation.
Une forte demande sociale d'enseignement supérieur existe. À travers l'apprentissage, on observe une diversification des profils sociocognitifs des jeunes. Pour eux, le choix de l'apprentissage s'inscrit très clairement dans une visée de réussite parce qu'ils ont besoin d'une mise en situation et d'une immersion dans le monde professionnel pour réussir.
Un autre aspect clé, notamment lié à la diversification des publics de l'enseignement supérieur, est l'existence de stratégies très volontaristes de la part des jeunes à travers l'apprentissage pour acquérir une expérience. La toile de fond est une difficulté à se projeter sur le marché du travail. L'idée des jeunes est à la fois d'acquérir une expérience, porteuse pour faciliter l'insertion, mais également de se mettre à l'épreuve par le biais d'une entreprise et d'un métier. La notion de métier n'est pas toujours parlante, a fortiori dans le supérieur. On parle plutôt de mission, de compétences techniques et de compétences sociales ou encore de soft skills. Cette dimension n'est pas anodine.
Par ailleurs, plus les jeunes approchent la fin de leurs études, plus l'idée d'aménager une transition intelligente avec la vie professionnelle à travers l'apprentissage relève d'un choix conscient.
Globalement, un tel essor de l'alternance est d'abord expliqué par la dimension culturelle. L'apprentissage dans l'enseignement supérieur existe depuis trente ans. Durant les dix premières années, l'apprentissage n'avait pas toujours bonne presse. L'attractivité de l'alternance nécessite une ingénierie et une culture dans le lien aux entreprises et dans le suivi et l'accompagnement des jeunes. La situation a progressé sur ce plan, facilitant l'accompagnement dans les parcours d'apprentis.
Culturellement toutefois, tous les verrous n'ont pas tous sauté. Dans notre pays, certains pourraient presque regretter le développement de l'apprentissage dans le supérieur, au motif que l'apprentissage et les financements dédiés seraient réservés à d'autres publics.
Pourtant, l'apprentissage est un formidable vecteur d'égalité des chances. En effet, les écoles et les universités aident les jeunes à chercher des contrats. En outre, les jeunes n'ont pas à choisir entre un « petit boulot » et des études.
Notons également qu'il existe une appétence très forte des entreprises pour l'apprentissage. Celles-ci font évoluer leurs pratiques de recrutement. L'apprentissage relève aujourd'hui de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Des employeurs souhaitent attirer les publics alternants et leur faire vivre une expérience positive de l'alternance. Une alliance implicite existe entre les universités, les grandes écoles et les entreprises afin de construire des parcours vecteurs d'une expérience fidélisant et attirant des ressources humaines de qualité.
Évidemment, l'essor de l'apprentissage résulte également d'une dérégulation de l'offre. Au départ, pour des raisons culturelles, les conseils régionaux ont peiné à lâcher prise concernant l'enseignement supérieur. Au fur et à mesure, ils en ont compris les bénéfices pour leur territoire. Aujourd'hui, la dérégulation issue de la loi de 2018 ouvre un pan, notamment sur les titres professionnels, concurrençant les diplômes universitaires.
L'apprentissage est source d'une pédagogie de l'expérience, permettant à des jeunes de réussir. Les responsables de formation, les présidents et les directeurs d'établissements de l'enseignement supérieur amplifient leur offre car ils mesurent cet enjeu.
Je serais toutefois prudent avant de dire que l'apprentissage est populaire chez les jeunes et qu'il fait l'objet d'une unanimité dans l'enseignement supérieur. Notons l'existence de pans entiers où il n'est pas si développé, tels que les filières des sciences humaines et sociales. Certes, l'apprentissage s'y ancre mais pas suffisamment, alors qu'amplifier l'alternance serait sans doute nécessaire au vu du profil de ces jeunes.
Pour que l'apprentissage soit véritablement populaire, il faut offrir aux jeunes des parcours de qualité, en sachant construire des rythmes d'alternance mais aussi des modalités pédagogiques attrayantes. L'enseignement magistral est peu adapté face à des publics d'apprentis à qui leur entreprise d'accueil confie des responsabilités. Les formations doivent savoir solliciter l'expérience des apprentis. L'université est parfois un des freins au développement de l'apprentissage ; en effet, les formations en apprentissage nécessitent un grand nombre d'enseignants car l'accompagnement, la personnalisation et le tutorat constituent une charge de travail conséquente. Des ressources non négligeables sont donc nécessaires pour accompagner les alternants.
L'alternance devient de plus en plus populaire lorsque le lien avec l'entreprise se développe de façon satisfaisante et que les jeunes parviennent à mettre en avant les responsabilités qui leur sont confiées. Lorsque nous parvenons à bien articuler le projet pédagogique avec les missions en entreprise, l'apprentissage est une réussite.
Le premier frein au développement de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur est lié à l'instabilité et au manque de visibilité des modèles économiques. On nous reproche presque de nous développer ! Il peut y avoir une concurrence des ressources, pour reprendre les termes de la ministre, entre l'« infra-bac » et l'enseignement supérieur. Cependant, notre pays doit donner de l'espoir à la jeunesse en mobilisant des moyens en faveur de l'alternance. L'instabilité du modèle économique de l'apprentissage doit être résolue, notamment parce que l'université manque souvent de moyens. Or l'alternance nécessite d'investir dans la durée, ce qui suppose une visibilité des modèles économiques. Depuis deux ans, nous changeons constamment de niveau de prise en charge.
Le second frein concerne la reconnaissance de l'investissement pédagogique des ressources humaines de l'université et des grandes écoles dans l'alternance.
Mme France Vélazquez, Vice-présidente déléguée à la formation professionnelle de l'université de Cergy (CY Cergy - Paris université). - Je vous livrerai un retour d'expérience puisque nous avons créé notre propre CFA, interne à l'université, pour porter quelques formations.
Je rejoins ce qui a été dit concernant le profil des étudiants, notamment sur la recherche d'autonomie et de sens. L'accent est vraiment mis sur l'exercice de responsabilités. Lorsque nous effectuons des visites en entreprise, les apprentis sont assez fiers de montrer leur mission, leur poste de travail et les éléments qui y sont associés. L'apprentissage revêt un sens spécifique pour les formations de master, qui constituent les derniers pas avant l'insertion professionnelle.
Concernant les profils en amont de la licence, nous repérons également que l'entrée dans l'apprentissage représente une forme de test. L'expérience est souvent très positive. Tester l'apprentissage, c'est l'adopter ! Nous ne connaissons pas d'apprentis n'ayant pas poursuivi leur apprentissage, ce qui constitue un bon signal.
Je tenais à vous signaler l'existence d'une enquête en cours, lancée par la conférence des présidents d'université, concernant les apprentis. Le nombre de répondants s'élève à 5 000. Je ne dispose pas encore des chiffres consolidés, mais sachez que la tendance corrobore bien les éléments donnés précédemment et confirme une véritable démocratisation dans l'accès aux études supérieures.
L'apprentissage permet d'aider des étudiants dont la trajectoire aurait été difficile sans ce dispositif. Il permet également de consolider le lien avec le monde professionnel.
Durant la crise sanitaire, nous avons dû prendre des mesures exceptionnelles. Nous avons notamment mis en place des aides pour les apprentis, sur la base des fonds de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), que les étudiants en alternance acquittent, afin de les accompagner dans les difficultés citées précédemment. Les éléments les plus fréquemment évoqués sont le transport et le logement. La seule rémunération de l'apprenti ne suffit pas forcément. D'autres difficultés, d'ordre plus social, peuvent parfois survenir. Tout l'intérêt de ce dispositif est aussi de recevoir un soutien des équipes pédagogiques et du CFA.
Il nous semble qu'au regard de la situation étudiante, les apprentis ont été, pour ainsi dire, préservés. Ils bénéficient d'un encadrement pédagogique, d'un encadrement social avec le CFA et d'un encadrement professionnel par les maîtres d'apprentissage. Finalement, cet ensemble de cadres a permis, dans le contexte de la crise actuelle, de préserver ces étudiants au regard de la situation étudiante en général.
Chez les différents acteurs de l'apprentissage, une solidarité très importante s'est créée. La preuve en est qu'afin d'aider ceux qui connaissaient des difficultés à trouver un contrat, l'université a embauché, en contrat d'apprentissage, davantage d'apprentis que d'habitude.
La crise a évidemment causé des difficultés. Nous avons essayé de trouver un certain nombre de solutions. Il y aurait encore fort à faire dans les domaines des transports et du logement, qui constituent des points très importants.
Concernant l'enseignement supérieur, nous avons tous repéré une dynamique très forte, davantage sur les masters que sur les licences. Pour les licences, les jeunes peuvent être tentés de reporter l'échéance de l'entrée dans la vie professionnelle. Un accompagnement plus soutenu doit être opéré pour les licences et doit être différencié en fonction des niveaux.
Des freins inhérents à chaque acteur existent. Tout d'abord, les employeurs doivent disposer de postes compatibles avec l'apprentissage et de maîtres d'apprentissage pouvant encadrer le jeune correctement. Toutes les activités professionnelles ne sont pas forcément adaptées à l'apprentissage. Néanmoins, ce point est peut-être à travailler.
Ensuite, chez certains jeunes, il existe une crainte réelle relative à l'entrée dans le monde du travail.
Par ailleurs, un intervenant a évoqué la nécessité d'embaucher davantage d'enseignants-chercheurs pour encadrer les apprentis. Il en va également de la reconnaissance même du statut d'enseignant-chercheur. Dans cette carrière, la valorisation et la reconnaissance sont surtout liées aux publications de travaux de recherche. Or un enseignant-chercheur est aussi enseignant ! Le fait de revaloriser la partie enseignement de sa mission pourrait aider à mobiliser les enseignants sur l'accompagnement des étudiants.
L'apprentissage est une modalité pédagogique qui unit le monde professionnel et celui de l'excellence académique. Au niveau des universités, le fait de bénéficier d'enseignants-chercheurs, la capacité à transférer ces savoirs dans le cadre de la formation et de les connecter aux besoins professionnels ainsi que la possibilité de faire intervenir des professionnels dans les formations constituent une plus-value au bénéfice des travailleurs de demain. Il nous semble essentiel de protéger et de développer ce dispositif, tout en clarifiant le modèle économique de l'alternance, pour le moment extrêmement vague.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Je suis d'accord, l'inventivité pédagogique des enseignants-chercheurs n'est pas toujours considérée à sa juste valeur.
Mme Muriel Jougleux, vice-présidente « Partenariats et Professionnalisation » de l'université Gustave Eiffel - Marne-la-Vallée. - Je vous apporterai pour ma part quelques éléments de témoignage sur l'université Gustave Eiffel, qui compléteront les propos de mes collègues, auxquels je souscris tout à fait. Cette université est née d'une fusion de plusieurs établissements, dont trois qui proposaient déjà de l'apprentissage depuis la fin des années 1990.
Aujourd'hui, nous comptons près de 4 000 apprentis, soit quasiment un quart de notre effectif étudiant du bac+1 au bac+5, dans tous les champs disciplinaires. 32 % des DUT, 70 % des licences professionnelles, presque 30 % des masters et 60 % des formations d'ingénieur sont aujourd'hui en apprentissage dans notre établissement.
L'université opère dans ses murs les trois quarts de ses formations. Un quart des formations sont donc déléguées en totalité ou partiellement à des CFA.
Je rejoins les propos des autres intervenants quant au profil des alternants. Nous ne constatons pas véritablement un profil type d'alternant, mais nous remarquons que les apprentis des formations opérées en direct par les CFA ont parfois un profil un peu moins académique et rencontrent parfois davantage de difficultés. Néanmoins, ils font l'objet de modalités d'accompagnement dans ces CFA et de dispositifs de remédiation leur permettant d'assurer la réussite à leur diplôme.
La crise sanitaire a doublement touché les étudiants en apprentissage, à la fois dans leur formation et en entreprise. Des situations très différentes ont pu survenir dans les entreprises, en fonction des secteurs d'activité et de la taille de ces entreprises. Certains apprentis étaient totalement en télétravail tandis que d'autres vivaient des situations mixtes. Un nombre réduit d'étudiants a continué à travailler normalement.
Selon l'étude réalisée par notre CFA, les étudiants apprentis, que l'on pourrait croire privilégiés, ont tout de même rencontré des difficultés. Ainsi, 38 % de nos apprentis étaient en télétravail complet. Seulement 56 % ont eu un contact régulier avec leur maître d'apprentissage, ce qui constitue une vraie préoccupation pour les autres. 20 % d'entre eux ont clairement exprimé un mal-être associé, par exemple, à une situation d'isolement, de surcharge de travail ou des problématiques liées à la santé physique et psychique. Cette réalité nous a encouragés à mettre en place des dispositifs d'accompagnement spécifiques pour ces apprentis. Cependant, les apprentis ont rencontré moins de difficultés économiques que les étudiants en formation initiale à temps plein.
Il existe plusieurs facteurs ayant contribué au développement de l'alternance au sein de notre université.
Le premier facteur est une conviction collective, portée par l'université. Nous pensons en effet que le développement de l'alternance est vraiment un moyen privilégié pour les jeunes diplômés d'accéder à un emploi qualifié. En trente ans, cette idée a globalement convaincu l'ensemble des équipes pédagogiques.
Le deuxième facteur est l'importance des relations avec les partenaires socio-économiques mais aussi d'une offre de formation adaptée à l'apprentissage, car elle est pensée d'emblée dans une perspective de professionnalisation des étudiants. Cela suppose de la formaliser sous forme de blocs de compétences, de penser aux périodes en entreprise ou encore de faire intervenir un certain nombre de professionnels dans les formations.
Le troisième facteur est une demande accrue des étudiants pour ce type de formation, à laquelle nous avons répondu en liaison avec les partenaires socio-économiques et le territoire.
Un dernier élément, plutôt interne au fonctionnement de l'université, est la politique de rémunération incitative auprès des responsables de formation et des secrétariats pédagogiques, mise en place afin de soutenir la charge de travail supplémentaire. Ce point était important dans le but d'assurer progressivement ce développement.
Ces formations sont appréciées par les étudiants car elles leur permettent de financer leurs études tout en réalisant des missions en totale adéquation avec leur projet professionnel et le contenu des formations qu'ils souhaitent suivre, avec des rythmes adaptés. Dans l'apprentissage, la tension entre l'emploi et les études est très largement aménagée par les contenus et les rythmes d'alternance. Sans l'apprentissage, une fraction très importante de nos apprentis n'aurait pas poursuivi d'études supérieures.
Cette formation offre également aux étudiants la possibilité de mettre en pratique leurs acquis académiques tout au long de leur cursus et de développer un certain nombre de soft skills. L'apprentissage les rassure sur leur employabilité mais aussi sur la pertinence du choix de leur formation. Enfin, il offre une garantie d'insertion professionnelle plus rapide, de meilleure qualité en termes de stabilité et de qualité de l'emploi, à des niveaux de rémunération un peu supérieurs à ceux des étudiants en formation initiale à temps plein. L'enquête du ministère, sortie aujourd'hui, confirme au niveau national les éléments que nous avons pu constater.
Pour les entreprises, le coût de ces salariés est évidemment un argument en faveur de l'apprentissage. Cependant, au-delà de cet élément, les entreprises constatent tout de même qu'elles embauchent des jeunes dotés de compétences importantes et désireux de les développer.
Je tiens à souligner que ces étudiants présentent de très beaux taux de réussite. L'emploi n'obère pas leurs capacités à obtenir leur diplôme.
Je distingue deux principaux obstacles au développement de l'apprentissage.
Le premier obstacle est le sous-encadrement chronique de nos établissements, alors que ces formations génèrent des surcharges de travail sur les plans pédagogique et administratif. La réforme de 2018 prévoyait une certaine forme de simplification. Force est de constater qu'elle n'est pas au rendez-vous sur les aspects administratifs. Pour les établissements qui opèrent directement la contractualisation de leurs apprentis, nous constatons au contraire une surcharge de travail dans les conventions, avec les opérateurs de compétence par exemple.
Un deuxième obstacle résulte du fait que l'apprentissage n'est pas toujours intégré d'emblée dans les nouvelles procédures ou les nouveaux cursus de l'enseignement supérieur et de la recherche. La réforme du bachelor universitaire de technologie (BUT) n'a pas prévenu un certain nombre de problématiques relatives à l'apprentissage. Nous avions déjà vécu cela pour Parcoursup.
Le dernier obstacle est lié aux incertitudes sur la rémunération correcte et juste de ces formations, freinant les perspectives de développement, voire nous incitant à nous interroger sur le maintien de ces formations dans notre offre.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Merci. Cette table ronde a vraiment amplifié notre intérêt pour l'apprentissage. Le rapport de la mission d'information en tiendra compte.
Je vous remercie sincèrement de votre participation. Nous sommes à votre disposition pour poursuivre ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 55.