Mardi 18 mai 2021
- Présidence de M. Jean-Marc Boyer, président -
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Enseignement supérieur agricole long - Audition de MM. Emmanuel Delmotte, doyen de l'inspection de l'enseignement agricole du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, Gilles Trystram, directeur général de AgroParisTech, et Christophe Fachon, directeur général délégué à Junia pour ISA Lille
M. Jean-Marc Boyer, président. - Bonjour à tous. Nous vous remercions pour votre présence et votre participation à notre table ronde sur l'enseignement agricole supérieur long.
En cette Semaine de l'agriculture française, qui verra jeudi la remise du Trophée international de l'enseignement agricole, nous poursuivons nos travaux en abordant aujourd'hui le sujet de l'enseignement agricole supérieur long.
Nous accueillons pour l'occasion M. Gilles Trystram, directeur général d'AgroParisTech, établissement supérieur « leader » dans les sciences du vivant, issu de la fusion de l'Institut national agronomique Paris Grignon, de l'École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires et de l'École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, désormais devenue une école interne. AgroParisTech, qui trouve ainsi ses racines les plus anciennes dans les écoles royales du XIXème siècle, est désormais un établissement-composante de l'Université de Paris-Saclay et membre du pôle Paris Tech. L'établissement devrait prochainement déménager sur le campus du plateau de Saclay, aux côtés de l'Inrae. Nous avons vu que le devenir du site de Grignon suscite des craintes.
Nous accueillons également M. Christophe Fachon, directeur général délégué à Junia pour ISA Lille, qui représente la fédération France Agro3. L'ISA Lille a été créée en 1963 à l'initiative des organisations professionnelles agricoles et a elle-même connu un processus de consolidation, avec le rapprochement de plusieurs structures au sein d'Yncréa puis Junia : l'ISA, HEI et l'ISEN-Lille. La fédération France Agro3 rassemble quant à elle quatre écoles supérieures agricoles privées, sous contrat avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et ayant mission de service public : Junia/ISA Lille ; l'école supérieure d'agricultures (ESA) Angers - Loire ; l'ISARA Lyon - Avignon et l'école d'ingénieurs EI Purpan.
Nous accueillons enfin M. Emmanuel Delmotte, nouveau doyen de l'Inspection de l'enseignement agricole. Il a jusqu'à récemment dirigé l'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (Ensfea) et présidé, dans ce cadre, le pôle Toulouse Agri Campus. L'Ensfea assure la formation initiale et continue des enseignants et des conseillers principaux d'éducation (CPE) de l'enseignement technique agricole. Elle conduit également des actions de recherche, d'innovation et d'ingénierie pour l'enseignement agricole. Le rôle particulier de cette école comme passerelle entre le monde de la recherche, l'enseignement supérieur et l'enseignement technique a été évoqué à plusieurs reprises, notamment lors d'un déplacement que nous avons effectué à Bordeaux, mais également par le président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et par la présidente du conseil d'administration de l'Ensfea.
Nous vous remercions pour votre participation à nos travaux et nous vous rappelons qu'en raison du contexte sanitaire, vous devrez conserver votre masque, y compris durant vos interventions.
Je vous rappelle également que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Avec mes 22 collègues membres de la mission d'information, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole est une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires.
Nous avons d'abord entendu les représentants des différentes fédérations d'établissements de l'enseignement technique agricole. À l'occasion d'un déplacement en Gironde, nous avons également abordé les liens entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur long, mais aussi ceux entre l'enseignement agricole et la recherche, que nous avons ensuite approfondis avec le PDG de l'Inrae, ainsi que la coopération européenne et internationale.
Messieurs, nous souhaitons connaître votre analyse sur notre modèle d'enseignement agricole, en particulier notre système d'enseignement supérieur long que vous représentez aujourd'hui, ainsi que votre éclairage sur le lien entre l'enseignement technique agricole, l'enseignement supérieur agricole long et la recherche.
Notre mission d'information souhaite évaluer la capacité de l'enseignement agricole à répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires, afin de leur permettre de relever les défis auxquels elles sont confrontées, non pas uniquement pour produire, mais également pour transformer et pour vendre.
Nos auditions nous ont notamment conduits à évoquer les compétences en matière de numérique, de comptabilité ou encore de ressources humaines, mais également les enjeux liés aux transitions agricoles et au développement de l'agroécologie.
Nous avons observé le mouvement de restructuration ou de réorganisation de l'enseignement agricole supérieur long qui s'est opéré ces dernières années. Vous nous indiquerez certainement si l'organisation à laquelle nous aboutissons aujourd'hui vous paraît pertinente.
Messieurs, je vous propose que vous puissiez nous présenter votre vision des enjeux, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure Nathalie Delattre, pendant une dizaine de minutes chacun. Je passerai ensuite la parole à Nathalie Delattre, afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions, puis à mes collègues qui le souhaitent.
Monsieur Gilles Trystram, je vous cède la parole.
M. Gilles Trystram, directeur général d'AgroParisTech. - Je commence par la vision des enjeux. La question est difficile, mais actuelle. Quand j'examine le titre de votre mission, « L'enseignement agricole, outil indispensable au coeur des filières agricoles et alimentaires », mon premier réflexe est de préciser que cet outil indispensable est en réalité au coeur de l'ensemble des filières. En effet, les enjeux relatifs au carbone renouvelable, au changement climatique, aux transitions en cours, trouveront leur réponse, d'une manière ou d'une autre, dans un lien avec l'agriculture et avec le monde situé en aval de l'agriculture. AgroParisTech défend cette position. L'enjeu est plus large que celui mentionné dans le titre de votre mission. Je pense, en l'occurrence, que cet enjeu est extrêmement présent dans un établissement comme celui que je dirige. Nous avons récemment établi la revue stratégique à 5 ans des départements qui composent l'établissement. L'ensemble des départements ont positionné la question des enjeux et des transitions en cours dans toutes leurs dimensions comme étant la position clé.
Dès lors, le fait que les sciences du vivant et les sciences des milieux soient au coeur de ces questions nous motive. Ce constat répond à une partie de votre question sur le lien à la recherche. Le domaine évoluant de manière significative du point de vue de la recherche, il existe un lien essentiel avec les activités de recherche, qui est structurel dans la construction d'AgroParisTech et de nombreux établissements.
Précisons les enjeux. Un établissement d'enseignement supérieur de recherche comme le nôtre doit former les cadres, selon deux finalités.
La première d'entre elles veut que les cadres soient immédiatement opérationnels. L'employabilité en sortie d'un établissement comme AgroParisTech s'inscrit au-delà de 98 %. Je pense que Christophe Fachon produira des chiffres similaires. Un certain nombre de cadres, de surcroît, suivent un double diplôme ou une continuité d'études. Il s'agit peut-être d'une dimension importante du secteur dans lequel nous évoluons. La première finalité concerne donc l'employabilité et la nécessité de servir l'ensemble du secteur qui nous concerne. Chez AgroParisTech, environ 60 % des élèves rejoignent le domaine agricole ou le monde situé en aval de l'agriculture, ainsi que les services associés. J'inclus le conseil, pour une part, dans ces fonctions.
Il existe par conséquent des enjeux de formation, de recherche et un enjeu aujourd'hui extrêmement présent et de plus en plus consubstantiel à un établissement d'enseignement supérieur, celui de l'innovation, qui est la seconde finalité. Les jeunes, en effet, ont changé. Ils ont le souhait d'agir et de marquer leurs responsabilités. Ils se trouvent ainsi en situation de demander d'autres formes d'enseignement et d'être rapidement impliqués dans la réalisation. J'y vois un élément essentiel de l'enseignement agricole. Il était déjà présent, car le lien entre théorie, méthode, concepts et terrain est extrêmement important dans la manière dont la formation est conduite aujourd'hui dans l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur agricole. Il s'est en revanche enrichi, au cours des dernières années, de la volonté et la désinhibition quant à la possibilité et au devoir d'agir. L'entreprenariat, l'innovation, des formes pédagogiques de plus en plus tournées vers la capacité à réaliser se concrétisent, en l'occurrence, par une personnalisation de plus en plus grande de la formation, rendue par conséquent complexe lorsqu'il est question de 400 élèves ingénieurs chaque année.
AgroParisTech présente en outre la caractéristique de porter plusieurs cursus. Le premier d'entre eux est le cursus d'ingénieur. Il s'agit du cursus de référence de l'établissement. Il s'étale sur 3 ans après une sélection relativement drastique pour entrer à l'école. Le cursus suivant est le cursus de Master. Il est réparti entre les différentes implantations universitaires de l'établissement. Dix campus sont en effet répartis sur le territoire, chacun ayant une spécialisation donnant lieu à des déclinaisons de Master spécifiques. Le cursus doctoral, de son côté, est essentiel, puisque nous formons des docteurs chaque année. Nous portons une grande attention au fait que le doctorat soit au meilleur niveau français et européen, comme les différentes évaluations le valident actuellement. L'enjeu est de rester au meilleur niveau. Nous formons, en l'occurrence, des cadres scientifiques à la fois pour les entreprises et pour la recherche publique. Enfin, le cursus de Masters spécialisés a une finalité extrêmement importante. Il s'agit d'une particularité chez AgroParisTech. Notre histoire réside effectivement dans la fusion des établissements qui ont fondé AgroParisTech. Nous avons ainsi comme finalité de former pour les politiques publiques. Nous formons notamment, avec l'École des Ponts, les ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (IPEF), l'un des corps de l'État. L'enjeu est de former pour les politiques publiques nationales et territoriales. Au travers des Masters spécialisés, de nombreux élèves rejoignent les collectivités territoriales, ces Masters étant fléchés sur quelques objets qui concernent ces collectivités (la forêt, l'eau, les territoires, etc.).
Enfin, traditionnellement, AgroParisTech est décrit par l'emploi des termes d'agriculture, d'alimentation et d'environnement. Désormais, le terme de santé doit y être ajouté. La question du lien à la santé se développe en effet dans les activités et dans les souhaits des enseignants-chercheurs et des cadres scientifiques qui composent l'établissement, mais également dans les demandes des étudiants, pour lesquels le sujet devient de plus en plus important. Nous gardons évidemment les dimensions de l'alimentation et de l'environnement, avec les thèmes de toxicologie, de l'écotoxicologie, de la nutrition, etc. Nous conservons en outre le point de vue de l'ingénieur sur la santé. Nous ne cherchons pas à former des médecins. En revanche, il existe un enjeu fort pour établir des liens avec les études de médecine et de pharmacie, auquel nous tentons de répondre notamment par le lien avec l'université Paris Saclay.
M. Christophe Fachon, directeur général délégué à Junia pour ISA Lille. - Pour poursuivre l'intervention de Gilles Trystram, avec laquelle j'ai de nombreux points de convergence, j'interviendrai sur le thème de France Agro3. France Agro3 est une fédération rassemblant quatre des six établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (EESPIG) qui travaillent dans le domaine agricole d'une manière générale, mais avec des métiers qui évoluent considérablement. Nous sommes désormais davantage tournés vers le défi de nourrir la planète et vers des métiers qui interviennent sur des filières dans leur totalité. Nous représentons 30 % des ingénieurs agronomes formés en France, l'autre partie étant formée par les écoles publiques.
Les grands défis à relever sont essentiels. La particularité de la France est que, lorsque nous réunissons les deux types de formations, nous représentons la totalité de l'enseignement supérieur long français. Nous avons les mêmes enjeux et les mêmes objectifs : préparer nos jeunes aux défis agricoles, alimentaires et environnementaux. Les objectifs communs de nos formations sont importants pour notre pays.
Les jeunes sont extrêmement sensibles à l'avenir. Ils sont très motivés pour nous rejoindre. Ils entrent dans nos écoles par choix. Ils veulent rejoindre le monde de l'agriculture, le secteur agroalimentaire et l'environnement. De notre côté, nous formons des généralistes qui, au fur et à mesure de leur formation, se spécialisent dans certains domaines. Il est important, en l'occurrence, qu'ils puissent conserver cette transversalité. Désormais, le modèle agricole et le futur de notre agriculture ne peuvent pas en effet porter sur un secteur unique, mais doivent obligatoirement se diversifier.
Les jeunes sont ainsi extrêmement motivés. Ils souhaitent relever leur part des défis. Dans cette population, de surcroît, la représentation des jeunes ingénieurs est importante. Au niveau de notre fédération, elle représente effectivement 58 % de nos ingénieurs. Les forces vives sont donc présentes à tous les niveaux. Elles sont extrêmement motivées pour les métiers d'avenir.
M. Emmanuel Delmotte, ancien directeur de l'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (ENSFEA), doyen de l'inspection de l'enseignement agricole du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. - En ce qui me concerne, j'aborderai le sujet de manière différente. En effet, l'établissement que j'ai dirigé ne formait ni des ingénieurs, ni des vétérinaires, mais des enseignants et des CPE. En tant qu'établissement de l'enseignement supérieur de l'enseignement agricole, cet établissement occupe une place à part, mais également privilégiée. L'enseignement agricole, en tant que composante du service public d'éducation, maîtrise en effet la totalité du recrutement et de la formation de ces personnels. Nous parlons de l'enseignement supérieur long, de l'enseignement technique et de la recherche. La formation des enseignants et des CPE, en l'occurrence, établit un lien entre l'ensemble de ces dimensions.
Je m'explique. Pour former les enseignants et les CPE, il est nécessaire de mobiliser la recherche à la fois dans le domaine des sciences de l'éducation et celui des sciences agronomiques. Nous avons besoin d'un aller-retour en termes de recherche pour obtenir les meilleurs professionnels possibles en tant qu'enseignants et CPE dans les lycées agricoles. Une recherche dans les domaines des sciences de l'éducation et des sciences agronomiques est par conséquent importante pour un établissement de l'enseignement supérieur agricole, en l'occurrence pour l'Ensfea.
Il est également nécessaire de disposer d'un appui à l'enseignement technique. Vous évoquiez, Monsieur le président, le lien entre enseignement technique et enseignement supérieur. L'Ensfea et d'autres établissements de l'enseignement supérieur établissent ce lien en appuyant les établissements de l'enseignement agricole dits techniques sur des actions comme l'accompagnement à la rénovation des référentiels de l'enseignement agricole ou d'autres types d'actions en formation continue. Ces éléments contribuent à un écosystème qui réunit les établissements de l'enseignement technique agricole et l'enseignement supérieur.
Enfin, l'enjeu de la formation initiale des enseignants et des CPE réside dans la transposition de la loi dite « Blanquer » à l'enseignement agricole. Nous ne formons pas en effet les enseignants et les CPE comme l'Éducation nationale. Il est important de réaliser une transposition dans l'enseignement agricole, en respectant ses spécificités pour développer une véritable culture de l'enseignement agricole. De la sorte, les enseignants présents dans les lycées agricoles publics et privés bénéficieront d'une culture commune correspondant aux valeurs de l'enseignement agricole.
J'ai peut-être répondu de côté, mais néanmoins en lien avec les grands enjeux existants. L'enseignement agricole est en effet un système complexe qui nécessite d'être considéré dans sa globalité d'enseignement technique, de recherche et d'enseignement supérieur, avec un lien entre ces différents domaines.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Avant de laisser la parole à notre rapporteure, Nathalie Delattre, je souhaite que vous reveniez sur la transposition de la « loi Blanquer ». Les auditions que nous avons menées jusqu'à présent ont en effet montré un parallélisme entre l'Éducation nationale et l'enseignement agricole. Il est question d'absorption, de concurrence, de complémentarité, etc. Comment s'applique la disposition de la « loi Blanquer » lorsque vous parlez de transposition ? Les directives de l'Éducation nationale sont-elles par exemple adaptées à l'enseignement agricole ? S'agit-il d'un « copié collé » ? Les spécificités de l'enseignement agricole sont-elles au contraire prises en compte ? Je pense que le propos nécessite des éclaircissements.
M. Emmanuel Delmotte. - Il existe des éléments communs, résultant du partage d'une même philosophie, celle de l'Éducation nationale. Enseigner est un métier qui s'apprend par le biais d'une formation dédiée dans des établissements dédiés. Il se trouve simplement que, dans l'enseignement agricole, il n'existe qu'un établissement dédié. Il est important de le rappeler. Le cadre de la formation est, en l'occurrence, le Master Métiers de l'éducation, de l'enseignement et de la formation (MEEF). Quand nous parlons de transposition de la « loi Blanquer » à l'enseignement agricole, le premier point concerne le fait que l'établissement soit accrédité à délivrer ce Master MEEF, mais avec des spécificités qui correspondent aux politiques publiques portées par le ministère de l'agriculture. Par exemple, une place importante est accordée à la transition agroécologique. Il s'agit de faire exister un tronc commun qui permette d'intégrer un certain nombre d'enseignements pour que l'ensemble des enseignants possèdent une culture commune. Il ne s'agit pas, par exemple pour un enseignant en mathématiques, de devenir un spécialiste en agroécologie. En revanche, lorsqu'il enseignera les mathématiques dans le lycée agricole, il pourra partager un certain nombre de références avec les élèves et ses collègues des autres disciplines. La communauté pédagogique et éducative sera ainsi constituée d'un groupe d'enseignants capables de travailler ensemble, afin de délivrer les formations générales, professionnelles ou technologiques les mieux adaptées à l'environnement de l'établissement.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Très bien. Je donne la parole à Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Merci. Vous évoquiez précédemment la chaîne de l'enseignement agricole. Les établissements ne sont cependant pas nécessairement rattachés au même ministère. Certains établissements sont rattachés au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. D'autres établissements sont rattachés à d'autres ministères. Cette situation vous choque-t-elle ? Attendez-vous un ministère plus cohérent dans la définition de l'enseignement supérieur agricole long ? La gouvernance est-elle complexe en l'état ? Est-elle justifiée ? Pouvez-vous nous détailler la manière dont vous fonctionnez les uns avec les autres ? Existe-t-il une complémentarité ? Recherchez-vous un autre type de gouvernance ?
Par ailleurs, concernant l'orientation, rencontrez-vous des difficultés de recrutement ? Il en existe en effet dans des établissements de l'enseignement technique. Rencontrez-vous des difficultés similaires ? Nous nous sommes rendus à Bordeaux Sciences Agro. Nous avons rencontré des jeunes qui se sont présentés comme des vétérinaires déchus ou déçus. Ils nous expliquaient qu'alors qu'ils étaient préparés à devenir vétérinaires, ils avaient entendu parler de la formation et étaient heureux d'avoir finalement rejoint Sciences Agro. En revanche, en terminale, ils n'avaient eu aucune connaissance de Sciences Agro. Ils auraient peut-être rejoint Sciences Agro, au sein duquel ils s'épanouissent totalement, immédiatement après le baccalauréat, sans se perdre dans un cursus qui ne leur était pas destiné. Il existe par conséquent une difficulté d'orientation et une difficulté de communication. Il est question d'une marque commune susceptible de faciliter le recrutement ou l'orientation. Quel est votre sentiment en la matière ?
M. Gilles Trystram. - Je vous réponds selon la vision de l'établissement AgroParisTech et selon ma vision de président des concours communs d'entrée aux écoles d'ingénieur. Selon ce second point de vue, il n'existe aucune différence entre des établissements rattachés au ministère de l'enseignement supérieur et des établissements rattachés au ministère de l'agriculture. Il s'agit de la même banque de concours. Nous raisonnons d'une manière identique. Nous définissons ensemble les orientations. Les jurys sont communs. Il n'existe donc pas de différence de fonctionnement au moment du recrutement. Je dirai ensuite un mot sur l'information des jeunes et sur la période qui précède les concours. L'ensemble de nos établissements fonctionnent effectivement avec des concours. Chacune des écoles possède pour autant des voies d'entrée particulières. Il existe quelques différences, de ce point de vue, entre le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri) et le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, ce dernier appliquant le code rural et de la pêche maritime par rapport à ses établissements, dans le respect de la définition de la loi.
Je ne distingue donc pas de différence majeure. Il n'en existe pas davantage lorsque nous sommes amenés à discuter. Il existe en effet des flux croisés entre nos établissements. Nous accueillons régulièrement des élèves en provenance de l'Ensfea, par exemple. Certains de nos élèves, de leur côté, se rendent parfois dans des écoles dépendant du Mesri. Il ne s'agit pas par conséquent d'un enjeu en tant que tel, chacune des écoles possédant, par ailleurs, dans le cadre de l'évolution de l'enseignement supérieur, son rattachement ou son lien universitaire régional, dans le respect de la politique de regroupements de l'enseignement supérieur en France. Il n'existe ainsi pas de difficulté en termes de gouvernance. Rappelons en particulier que nous dépendons d'une double tutelle depuis l'une des dernières lois relatives à l'enseignement supérieur, même si nous possédons une tutelle principale.
En revanche, vous avez raison sur un point, la méconnaissance par les jeunes lycéens des conditions d'exercice et de la diversité des métiers qui peuvent être réalisés sur le champ auquel nous formons. J'ouvre une parenthèse. Dans le questionnaire qui nous a été adressé, une question portait en effet sur l'évolution du baccalauréat. Il est certain qu'il existe une interrogation à ce niveau. Nous verrons les conséquences dans quelques années, lorsque les élèves rejoindront les écoles. Il existe pour le moment une inquiétude quant aux choix des deux majeures pour lesquels les élèves optent au niveau de la terminale. Si les choix sont moindres en sciences du vivant et en biologie, une interrogation se fait jour sur les connaissances, la culture et la construction de l'esprit des élèves. Je ne rejette pas les mathématiques et la physique. Je suis moi-même issu de ce domaine. En revanche, il est vrai qu'il existe une interrogation et un enjeu dans les explications à apporter. Nous avons donc construit et déposé des projets collectivement pour apporter de l'information sur les métiers existants aux jeunes dans le cycle de la seconde, de la première et de la terminale. Il s'agit d'un élément important.
Je ne sais pas répondre en revanche à votre question sur la possibilité qu'une marque commune facilite le recrutement ou les orientations. Aujourd'hui, en effet, au niveau des écoles vétérinaires et de l'ouverture post-bac, nous enregistrons, de mémoire, 6 000 candidats pour 160 places. La visibilité est donc réelle. Les marques sont en outre déjà également extrêmement présentes dans la « compétition » entre établissements de l'enseignement supérieur. Je me félicite en particulier de la réputation mondiale excellente dont jouit AgroParisTech. Depuis la création d'AgroParisTech, en 2007, nous n'avons pourtant pas travaillé dans ce sens. La réputation s'est progressivement installée. Il est évident qu'elle nous sert, comme le fait d'être membre de l'université Paris Saclay nous servira, puisqu'elle est située au 12ème rang mondial en agriculture dans le classement des universités de Shanghai. J'ignore si une marque plus large apporterait un plus. En revanche, une information aux jeunes expliquant les métiers, les aidant dans l'orientation, etc., constitue un élément essentiel. Les jeunes ne peuvent pas en effet se diriger vers un secteur qu'ils méconnaissent. Or le terreau est désormais extrêmement favorable. Le souhait de s'engager, de contribuer, d'agir, d'être un élément des évolutions en cours est en effet prégnant. Je crois que la chance de nos écoles est que les jeunes les rejoignent en possédant déjà cette vision. En revanche, ils ne connaissent pas la diversité des métiers, des emplois et des activités.
M. Christophe Fachon. - Du côté des établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (EESPIG), la gouvernance ne pose pas de difficulté. Les six EESPIG dépendent en effet du ministère de l'agriculture. Je souhaite rebondir sur les propos de Gilles Trystram. Nous organisons un certain nombre de réunions communes. Nous échangeons. La communication est réellement abondante. La situation est par conséquent extrêmement favorable.
S'agissant du recrutement, la particularité de nos écoles est de recruter en postbac. Les deux années de classe préparatoire sont intégrées. Nous accueillons par conséquent les élèves plus tôt. Nous ne rencontrons pas actuellement de difficultés de recrutement. Vous verrez dans les réponses écrites que nous vous apporterons que, sur une dizaine d'années, nous enregistrons une progression comprise entre 2 et 5 % chaque année, sachant que les étudiants rejoignent nos établissements par choix.
Il est vrai, en revanche, que les lycéens ne sont pas suffisamment informés de la diversité des métiers qu'offrent nos écoles. Ils nous rejoignent en étant motivés, mais souvent avec des stéréotypes qu'ils se sont construits avec les enseignants du secondaire, qui méconnaissent nos activités. Nous dépensons d'ailleurs beaucoup d'énergie à entrer en contact avec les enseignants, notamment les professeurs de SVT, qui ont une influence extrêmement importante sur nos futurs étudiants. La connaissance de la diversité de nos métiers par les professeurs de SVT constitue par conséquent une voie de progrès.
S'agissant du nouveau baccalauréat, nous avons de l'avance. Nous accueillons en effet les étudiants avec 2 ans d'avance. En revanche, nous ne constatons pas de bouleversement au niveau du choix des spécialisations. Les trois domaines scientifiques choisis en classe de 1ère et les deux domaines scientifiques choisis en terminale représentent ainsi 85 % des étudiants.
M. Emmanuel Delmotte. - En ce qui me concerne, la situation est particulière. J'ignore si elle entre dans le champ que vous souhaitez suivre. Les modalités du recrutement des enseignants et des CPE sont en effet différentes, avec l'organisation de concours. Les difficultés de recrutement, en l'occurrence, sont similaires à celles que rencontre l'Éducation nationale au niveau de l'orientation et du choix des personnes qui vont enseigner.
Concernant les collaborations, l'Ensfea, située à Toulouse, est voisine de l'École nationale supérieure agronomique. Le fait que les deux structures ne soient pas rattachées au même ministère présente certes quelques inconvénients. En revanche, nous surmontons aisément les difficultés qui peuvent se poser au niveau des relations de travail au quotidien, tant en termes de recherche que de mise en commun de moyens techniques. Finalement, même au sein du même ministère de l'agriculture, le travail avec les lycées agricoles apparaît parfois aussi compliqué que le travail avec un établissement d'un autre ministère.
Mme Marie-Pierre Monier. - Depuis le début de nos auditions, les difficultés d'orientation du collège au lycée et du lycée à l'enseignement supérieur sont systématiquement évoquées. Vous avez précédemment indiqué que vos élèves ne venaient pas nécessairement des lycées agricoles. Ce constat résulte-t-il de la formation des lycées agricoles, qui affichent une volonté de s'orienter vers l'innovation ? La relation entre les attentes et l'enseignement de vos écoles est-elle difficile ?
M. Gilles Trystram. - La question est complexe. Elle présente en effet plusieurs facettes. Il n'existe aucune rupture entre la dimension que le ministère de l'agriculture a baptisée Enseigner à produire autrement, avec le développement de l'agroécologie, etc., et les enseignements en école. Il existe des liens. Il n'existe donc de difficulté d'aucune sorte. L'une des revendications d'un certain nombre d'écoles d'ingénieur serait de disposer d'un accès post-bac (à l'exemple des écoles vétérinaires ou des écoles privées, qui ont ouvert un accès post-bac). Entre la sortie du baccalauréat et l'entrée en école, un certain nombre de filtres se sont en effet mis en place. Or, dans les écoles publiques, nous nous contentons de classer des sélections antérieures. Nous ne pouvons pas inventer la sélection et privilégier un certain nombre de voies parce que nous ne possédons pas le degré de liberté adéquat, la préparation ayant lieu en post-bac. Les écoles vétérinaires, de leur côté, ont su modifier le dispositif en ouvrant un certain nombre de places au niveau post-bac.
Le deuxième élément concerne le fait que, dans les mécanismes de sélection, BTS, BTSA et classes préparatoires post-BTS (baptisées classes ATS, constituant un des concours d'entrée dans les écoles d'ingénieur ou de vétérinaire) constituent des filtres favorisant les baccalauréats technologiques, notamment les baccalauréats « sciences et technologies de laboratoire » (STL), au détriment des baccalauréats « sciences et technologies de l'agronomie et du vivant » (STAV) portés par le ministère de l'agriculture. Je n'affirme pas que les STAV soient totalement absents. Nous en voyons dans certains concours. Je suis très fier, pour ma part, que 97 % des mentions bien et très bien entrent à AgroParisTech, les 3 % restants correspondant à des baccalauréats professionnels, à des baccalauréats L ou à d'autres baccalauréats particuliers. Nous les voyons nous rejoindre par des voies comme l'apprentissage et parvenir à la réussite sans difficulté. Il ne s'agit pas par conséquent d'un verrou en tant que tel. Nous devons certes apporter des adaptations. La situation dépend notamment de la période qui précède les écoles. Elle n'est, quoi qu'il en soit, pas irrémédiable.
M. Joël Labbé. - Vous ne pouvez pas être indifférents au renouvellement des générations. 50 % des agriculteurs actuels devront prochainement être remplacés. Schématiquement, il existe deux types d'agriculture, l'agriculture moderne, presque industrialisée, pour laquelle la main-d'oeuvre humaine sera de moins en moins nécessaire, et l'agriculture paysanne, très liée à l'agriculture biologique et aux territoires. Aujourd'hui, il semble manquer un grand plan stratégique de renouvellement des populations dans ces métiers. Comment avancer véritablement du point de vue sociétal pour recruter les futurs professionnels, tant dans une vision industrielle que pour répondre à la demande forte de paysans au sens noble du terme ?
M. Christophe Fachon. - Vous avez raison. Nous vivons une mutation. À cet égard, notre vision commune et notre volonté commune au niveau du développement de l'agriculture sont essentielles. Dans nos écoles, nous n'opposons pas les modèles. Nous sommes au contraire convaincus de la complémentarité des modèles. Indépendamment du fait que l'agriculture soit industrialisée, rurale, périurbaine ou urbaine, la complémentarité est importante. Il est important également, par conséquent, de permettre à nos jeunes de bénéficier d'une vision globale pour eux-mêmes s'adapter et trouver, en fonction des besoins locaux, l'agriculture qui sera la mieux appropriée au marché qui se présentera à eux. Nous affichons donc cette vision holistique de l'agriculture.
Il est important de noter également que l'agroécologie, la réduction des pesticides, la protection des sols, la biodiversité sont évidemment omniprésentes dans nos enseignements. Nous avons cependant besoin également de transitions. C'est pourquoi, au niveau de Junia, nous avons décidé de fusionner trois écoles en 2013, spécialisées respectivement en numérique, en robotique et en agronomie, car les transitions s'opèrent aux interfaces. La capacité à travailler aux interfaces et à préparer nos étudiants à travailler dans la transversalité nous permettront de relever les défis qui se posent à l'agriculture. Les agriculteurs de demain, en particulier, devront savoir traiter les données. Nous devons les accompagner et les préparer à travailler dans l'interdisciplinarité.
M. Gilles Trystram. - Je suis d'accord. AgroParisTech préférera parler de diversité plutôt que de complémentarité. L'idée est cependant la même. Il s'agit de préparer les jeunes à la diversité.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Pouvez-vous, par ailleurs, nous décrire votre environnement budgétaire ? Rencontrez-vous des problématiques budgétaires ? Quelles sont-elles ? Pouvons-nous, en outre, connaître votre sentiment sur le projet Hectar ?
M. Gilles Trystram. - Nous attendons davantage de moyens financiers et humains, aucun d'entre nous ne vous dira le contraire. Dans la structure budgétaire d'un établissement comme AgroParisTech, les salaires de fonctionnaires représentent un peu plus de la moitié du budget. Nous comptons 535 fonctionnaires et un total de 800 personnes, les montants restants étant pris sur le budget de l'établissement. Nous comptons 60 % de ressources propres hors salaires publics (résultant d'une ferme avec une activité productrice, de chambres en résidence étudiante, des frais d'inscription et de contrats partenariaux, de recherche, etc.). Notre capacité d'investissement, de prise de risques, ne repose en revanche que sur des financements externes, et non pas sur le budget de l'établissement (collectivités territoriales, acteurs privés, etc.), ce qui prend du temps. J'ai songé à créer un campus à l'étranger mais l'établissement AgroParisTech ne pouvait pas le faire à lui seul.
Le projet Hectar comporte de bonnes idées, notamment sur la nature des besoins en types de métiers pour l'agriculture. Nous pouvons nous interroger sur les raisons pour lesquelles elles ne sont pas reprises dans l'enseignement public. Si Hectar, comme d'autres acteurs, souhaite demain collaborer avec AgroParisTech, c'est ouvert et il peut y avoir des projets intéressants à mener. Il faut du temps et de l'énergie pour mener à bien des coopérations, comme l'a montré la mise en place du lien avec l'Université Paris-Saclay, sur lequel nous nous sommes concentrés et qui constitue une voie pour mieux accompagner la transition agroécologique de l'agriculture.
M. Emmanuel Delmotte. - Concernant l'environnement budgétaire, je peux reprendre les propos de Gilles Trystram à une échelle plus modeste. L'Ensfea emploie en effet 110 fonctionnaires et une quinzaine de contractuels. Du fait de son domaine d'activité, l'établissement présente en revanche une faiblesse en ressources propres. Nous dépendons en réalité presque entièrement de la dotation de l'État. Nous ne rencontrons donc pas de difficulté budgétaire. Simplement, dès lors que des partenariats sont nécessaires pour la rénovation des bâtiments, nous devons pouvoir trouver les partenaires adéquats.
M. Christophe Fachon. - De leur côté, les EESPIG sont tous des associations à but non lucratif. Ils passent un contrat annuel avec la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), comportant un certain nombre d'objectifs à réaliser. Pour vous donner des chiffres précis, une année de formation d'un ingénieur chez nous coûte 12 500 euros. 28 % sont apportés par le contrat avec la DGER. Nous demandons aux familles 58 % du coût. Nous complétons nous-mêmes les 14 % manquants par des projets, du don, du mécénat d'entreprise, etc. J'ajoute également que l'activité de recherche est financée sur notre budget.
M. Gilbert Favreau. - J'étais hier avec le directeur d'une importante fédération de maisons familiales rurales de l'Ouest de la France, comprenant 16 établissements. Le directeur m'a interrogé sur la possibilité de mettre en place des masters. Il m'a indiqué qu'il était aujourd'hui difficile de trouver, sur des masters spécialisés en agriculture, des maîtres de stage ou des enseignants. La loi exige en effet qu'ils possèdent des diplômes n'allant pas toujours de pair avec une expérience professionnelle sur le terrain. Il lui semblait, en l'occurrence, manquer une dimension dans l'enseignement des diplômés. Il se demandait par conséquent s'il était possible de permettre à des personnes expérimentées dans les domaines enseignés d'accéder à l'enseignement à ce niveau de formation.
M. Gilles Trystram. - La question est importante. Vous la placez au niveau des maisons familiales rurales et des masters. Je peux cependant vous citer, par analogie, une question similaire concernant l'enseignement de la forêt. Les maîtres de conférences et les professeurs possèdent une carrière scientifique, tandis qu'une partie des enseignants sont des ingénieurs en agriculture et en environnement, qui ont mené une partie de leur carrière dans le monde forestier. Lorsqu'ils partiront en retraite, la question de leur remplacement se posera. L'expertise et l'expérience de terrain constituent en effet un élément important dans la formation. Nous avons ainsi mis en place des mécanismes adéquats. Nous savons par exemple associer des professionnels à nos enseignements, soit sous des vacations, soit sous des statuts internes à nos établissements. De son côté, la validation des acquis de l'expérience s'opère sous conditions. En formation doctorale, il existe par exemple une validation des acquis de l'expérience pour être docteur. Régulièrement, des personnes accèdent au titre de docteur. Il s'agit d'un vrai accompagnement. Nous avons mis en place le dispositif avec la volonté de voir apparaître des personnes en activité professionnelle. Outre l'école doctorale, beaucoup de personnes nous demandent la caution d'AgroParisTech par la reconnaissance de leurs compétences pour exercer leurs métiers.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Précédemment, vous évoquiez les différentes orientations actuellement développées. Vous avez parlé de l'agriculture, de l'alimentation, de l'environnement et, depuis plus récemment, de la santé. De quelle manière établissez-vous un lien avec la santé, par exemple avec les études de médecine ? Pierre Louault a également une question.
M. Pierre Louault. - Ma question est quelque peu différente. J'ai la chance d'avoir des petits-enfants et des neveux qui poursuivent des études agricoles. Ils veulent devenir paysans ou agriculteurs. Dans l'enseignement agricole supérieur bac+5, il y a de l'innovation et une capacité à former les agriculteurs de demain, qui sauront prendre en compte les impératifs agricoles, la nécessité de nourrir la planète et les impératifs environnementaux. Je regrette pour ma part, même si le ministère apporte un « matelas de base » dans le financement de ces institutions, qu'une enveloppe ne soit pas réservée à l'innovation. Je pose la question au ministère. Je n'ai pas de réponse. Je dresse simplement un constat.
M. Emmanuel Delmotte. - Dans la formation des enseignants, nous nous attachons beaucoup à développer la réflexivité, c'est-à-dire la capacité des enseignants à analyser leurs pratiques et à développer l'enseignement le mieux adapté à leur public, en lien avec l'acquisition, chez les élèves, de compétences socio-comportementales, et non pas simplement de compétences techniques. En effet, les compétences socio-comportementales donneront par exemple aux étudiants le souhait de se rendre à l'étranger ou dans d'autres régions que leur région d'études, pour découvrir le monde et d'autres pratiques en vue de s'enrichir et d'achever leur formation. À l'issue de la formation initiale, il existe un besoin de formation continue. Or l'enseignement dans les lycées agricoles donne aux jeunes une capacité à raisonner, une capacité à se projeter et l'acquisition d'une autonomie leur permettant de devenir non seulement des citoyens éclairés, mais également des professionnels compétents et en phase avec leur environnement.
M. Gilles Trystram. - Je suis d'accord avec Emmanuel Delmotte. Nous mettons peut-être beaucoup en avant l'innovation dans les études bac+5. En réalité, dans le domaine agricole et dans le domaine de l'alimentation, beaucoup d'innovations viennent des lycées agricoles et des BTS. L'activité en la matière est significative.
Sur la question des études de santé, l'intérêt pour la nutrition et son impact sur la santé existe dans les écoles d'ingénieur depuis de nombreuses années. Il existe dans les unités de recherche. Le lien est par conséquent naturel. Il a été développé de surcroît, il y a quelques années, sur la partie négative de la nutrition, jusqu'à parvenir à la toxicologie. Il est naturel également de s'interroger dès lors, depuis quelques années, sur l'écotoxicologie. Nous avons en effet la capacité à observer, à mesurer, à nous rendre compte de l'existence d'un certain nombre de contaminants, avec un poids des citoyens qui, du côté de la société civile, mettent l'accent sur cette question. Pour un établissement d'enseignement supérieur agricole, il est naturel par conséquent de former les élèves ingénieurs, qui eux-mêmes portent un intérêt significatif à ces sujets. Nous ne formons pas pour autant des médecins. De même, en sciences animales, nous ne formons pas des vétérinaires. En revanche, il est intéressant de voir des médecins suivre nos cursus et de voir nos étudiants suivre des cursus de médecine. Chaque année, deux ou trois élèves d'AgroParisTech démarrent des études de médecine en 3ème année grâce aux passerelles existantes, sachant qu'en revanche, il n'existe que peu de passerelles dans le sens inverse.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Excusez-moi. En règle générale, la première année et la deuxième année de médecine sont les plus difficiles pour les étudiants. Ne voyez-vous pas dès lors dans les passerelles que vous évoquez une voie d'accès plus facile ?
M. Gilles Trystram. - Je ne sais pas vous répondre. Je sais en revanche qu'une réforme des études de médecine est en cours. Dans ce cadre, davantage de diversification et des passerelles mieux pensées pourraient apparaître. Il en va d'ailleurs de même en pharmacie. Il existe autant d'enjeux à former des ingénieurs pharmaciens et des pharmaciens ingénieurs.
M. Christophe Fachon. - J'ajoute que le pourcentage des étudiants intégrant une troisième année de médecine demeure extrêmement faible.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - J'ai trois questions supplémentaires à vous poser. Quel est le pourcentage de filles et de garçons dans vos écoles sur ces cursus ? Quelles sont les catégories socioprofessionnelles de vos élèves ? Enfin, sont-ils davantage ruraux qu'urbains ?
M. Gilles Trystram. - Nous comptons pour notre part 67 ou 68 % de filles, indépendamment du concours d'entrée. Dans le monde, dans les études supérieures du type sciences de la vie, les filles sont traditionnellement mieux représentées. AgroParisTech accueille majoritairement des enfants de parents catégories socioprofessionnelles CSP et CSP+. Enfin, 30 % des élèves sont issus d'Ile-de-France, les 70 % restants étant répartis sur tout le territoire national.
M. Christophe Fachon. - Nous comptons pour notre part 58 % de filles. Il s'agit également d'enfants de parents relevant des catégories CSP et CSP+. Malheureusement, les frais de scolarité autour de 6 500 euros ont une importance de ce point de vue, même si nous agissons pour aider les étudiants, selon trois facteurs : les bourses d'État (30 % des étudiants) ; les alternants, apprentis et personnes en contrat de professionnalisation (20 %) ; les bourses apportées par l'établissement. Entre 20 et 22 % des étudiants sont issus du monde agricole. Notre recrutement est plus régional, 60 % à 70 % des recrutements s'effectuant au niveau de la région.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Je souhaite vous poser une question complémentaire de ma collègue rapporteure concernant les relations que vous entretenez avec l'Inrae.
M. Gilles Trystram. - AgroParisTech représente 22 unités mixtes de recherche. 19 d'entre elles entretiennent un partenariat avec l'Inrae. Nous avons en outre un accord stratégique avec l'Inrae. Nous co-définissons des axes de recherche et d'orientation. Par ailleurs, un grand nombre de chercheurs de l'Inrae interviennent dans nos formations. Certains chercheurs sont même responsables de programmes de masters. Enfin, un certain nombre de chercheurs sont professeurs consultants AgroParisTech, selon un statut reconnu. Ils participent à ce titre à la définition des formations. La symbiose entre organismes de recherche et enseignement supérieur donne ainsi entière satisfaction.
M. Gilbert Favreau. - J'ai deux questions supplémentaires à vous poser. L'enseignement d'AgroParisTech porte à la fois sur l'agriculture et le secteur alimentaire, donc sur l'amont et l'aval. Quelles sont les proportions respectives de ces deux types de formations ? Par ailleurs, outre le projet Hectar, il existe un projet d'école vétérinaire privée, le projet UniLaSalle. Je souhaite connaître votre avis sur cette autre innovation.
M. Gilles Trystram. - La formation AgroParisTech comprend une première année générique suivie par l'ensemble des étudiants. Elle prévoit en outre quatre domaines d'approfondissement, portant respectivement sur la production primaire, sur la transformation, sur l'ingénierie environnementale et sur la santé, selon une répartition équilibrée, qui ne peut cependant se raisonner uniquement selon les dimensions de l'amont et de l'aval, l'ensemble des autres dimensions étant importantes.
S'agissant d'UniLaSalle, nous ne sommes pas concernés, puisque nous ne formons pas de vétérinaires.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Avez-vous d'autres questions ?
M. Pierre Louault. - Le fait que le financement de l'enseignement agricole s'opère par le biais du ministère de l'agriculture ne constitue-t-il pas un handicap ? Le ministère de l'agriculture possède-t-il en effet réellement les moyens nécessaires au financement de l'ensemble de l'enseignement agricole, tandis que, parallèlement, les enseignements universitaires sont déjà largement financés ?
M. Emmanuel Delmotte. - Je ne sais comment répondre. Chaque établissement aurait évidemment besoin de davantage de moyens. Simplement, des arbitrages sont opérés. Je ne peux guère en dire davantage sur le sujet.
M. Gilles Trystram. - Si le budget de l'État apportait davantage de moyens, nous nous en féliciterions. En revanche, je n'ai pas le sentiment que nous ayons été soumis à une forte pression financière au cours des années écoulées. Les moyens semblent plutôt avoir été préservés. En réalité, la question des moyens s'étudie par rapport aux objectifs et aux enjeux. Si les objectifs augmentent pour des raisons valables, les moyens doivent évidemment accompagner cette augmentation.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Je vous remercie, au nom de l'ensemble de mes collègues, pour votre présence, pour le temps que vous nous avez consacré et pour les réponses que vous avez apportées à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures 5.