Lundi 12 avril 2021

- Présidence de M. Pierre Ouzoulias, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Handicap et vie étudiante - Audition de M. Nicolas Oppenchaim, vice-président en charge de la santé, du handicap et de l'accompagnement social des étudiants, maître de conférences en sociologie, Mmes Émilie Arnault, directrice du service de santé universitaire de l'université de Tours, Servane Chauvel, déléguée générale, et Cannelle Garcia, cheffe de projet mentorat - formation et chargée de missions post-bac de l'association « Accompagner la réalisation des projets d'études de jeunes élèves et étudiants handicapés » (Arpejeh), MM. Fabien Gaulué, délégué général de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (Fédéeh), et Christian Grapin, directeur de l'Association « Tremplin - Études, handicap, entreprises »

M. Pierre Ouzoulias, président. - Mes chers collègues, mesdames, messieurs, notre mission d'information sur les conditions de la vie étudiante s'intéresse cet après-midi aux étudiants en situation de handicap.

Je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, qui sera disponible sans limitation de durée sur le site du Sénat. Elle est également diffusée sur Facebook.

Je remercie les intervenants, présents dans cette salle ou connectés à distance, de s'être libérés pour participer à cette table ronde. Je souhaite donc la bienvenue au Sénat à Mmes Servane Chauvel, déléguée générale de l'association Accompagner la réalisation des projets d'études de jeunes élèves et étudiants handicapés (Arpejeh), et Cannelle Garcia, cheffe de projet mentorat et formation de l'association Arpejeh ; M. Nicolas Oppenchaim, vice-président de l'Université de Tours en charge de la santé, du handicap et de l'accompagnement social des étudiants, maître de conférences en sociologie, et Mme Émilie Arnault, directrice du Service de santé universitaire, auquel la Mission handicap de l'université de Tours est rattachée ; M. Fabien Gaulué, délégué général de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (Fédé 100 % Handinamique), accompagné de M. Thomas Fauvel, premier vice-président ; et M. Christian Grapin, directeur de l'Association Tremplin - Études, handicap, entreprises.

Je rappelle que le Sénat a mis en place cette mission d'information à l'initiative du groupe de l'Union Centriste. M. Laurent Lafon, par ailleurs président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en est le rapporteur.

Notre objectif est triple : dresser un état des lieux de la situation actuelle du monde étudiant, indépendamment de la crise sanitaire ; établir un bilan des conséquences de la crise sanitaire sur les conditions de vie des étudiants et le déroulement des études ; et réfléchir aux mesures susceptibles d'être mises en oeuvre dans une perspective de plus long terme pour que la sortie de crise s'accompagne d'améliorations de la condition étudiante.

Mesdames, messieurs, Laurent Lafon, rapporteur, va vous exposer les attentes de la mission d'information, puis je vous donnerai la parole à chacun pour environ dix minutes. Nous aurons ensuite un temps d'échanges avec nos collègues.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Je synthétiserai brièvement nos questions.

Un premier groupe de questions vise à mieux comprendre la problématique du handicap dans l'enseignement supérieur. Quelle est la proportion d'étudiants en situation de handicap ? Les étudiants en situation de handicap sont-ils davantage présents dans certaines filières ? Quels sont les dispositifs d'accompagnement mis en oeuvre par les établissements d'enseignement supérieur ? Quel est le niveau d'accessibilité des bâtiments aux personnes à mobilité réduite ? Des outils numériques ou des supports pédagogiques adaptés sont-ils mis à disposition des étudiants dans certains établissements ? Avez-vous connaissance de dispositifs plus innovants que d'autres ? Quelles possibilités sont offertes aux étudiants en situation de handicap pour aménager leurs études, qu'il s'agisse des emplois du temps, des cours à distance et des examens ? Comment les établissements d'enseignement supérieur sont-ils soutenus en termes de personnel, de moyens et de diffusion de bonnes pratiques pour améliorer l'accessibilité et l'accompagnement des étudiants handicapés ?

Un deuxième groupe de question concerne la crise sanitaire. Quelles conséquences la crise sanitaire a-t-elle sur les étudiants handicapés ? Quels dispositifs ont été mis en place pour les accompagner depuis le début de la crise ? Quelles préconisations formuleriez-vous pour améliorer l'inclusion des personnes en situation de handicap dans l'enseignement supérieur ?

Mme Servane Chauvel, déléguée générale de l'association « Accompagner la réalisation des projets d'études de jeunes élèves et étudiants handicapés » (Arpejeh). - Notre regard sur la situation des jeunes en situation de handicap est certainement différent, mais complémentaire, étant entendu que le constat de l'association Arpejeh est à notre échelle, et donc très loin du constat des représentants d'université.

Arpejeh est une association de loi 1901. Elle a treize ans et a été créée par des entreprises s'engageant au service des jeunes pour les aider à construire leur projet professionnel. Les jeunes que nous accompagnons ont entre quinze et trente ans. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les étudiants, ils nous connaissent par le biais des Missions handicap des universités, des grandes écoles ou des centres de formation d'apprentis (CFA). D'autres jeunes, avant le covid-19, s'orientaient vers nous grâce aux salons et aux forums, mais ils étaient moins concernés par les typologies liées au handicap.

Nous proposons aux étudiants trois sortes d'accompagnement.

La première action est primordiale. Il s'agit d'aider les jeunes en situation de handicap à trouver des stages ou des contrats d'alternance. Pour ce faire, nous nous appuyons sur un réseau d'employeurs. Certains secteurs d'activité sont plus représentés que d'autres.

La deuxième action consiste à proposer des « coachings pro ». Cette action est très utilisée en période de confinement. L'idée est d'organiser des simulations d'entretien avec un responsable des ressources humaines, qui conseille le jeune sur la manière de mener un entretien, de présenter son CV et de rédiger sa lettre de motivation. Nos retours sont très positifs.

La troisième action consiste à proposer du mentorat. Nous avons tous entendu parler des dispositifs « un jeune, une solution » ou « un jeune, un mentor ». C'est un vrai sujet pour le Gouvernement. Nous sommes ravis de mettre également l'accent sur le mentorat, qui permet à un jeune d'avoir une marraine ou un parrain. Au-delà des enseignants et de la famille, il est important que le jeune puisse être en relation avec une personne directement implantée dans le marché de l'emploi.

Mme Cannelle Garcia, cheffe de projet mentorat - formation et chargée de missions post-bac de l'association « Accompagner la réalisation des projets d'études de jeunes élèves et étudiants handicapés » (Arpejeh). - Sur le terrain, en tant que chargée de missions, le coaching pro est effectivement l'action qui recueille aujourd'hui le plus de plébiscites de la part des étudiants. Ils sont toujours au rendez-vous et les retours sont positifs, surtout en cette période où ils ont du mal à se positionner. Idem en ce qui concerne le mentorat. De plus en plus de jeunes nous contactent pour bénéficier d'un accompagnement spécifique de la part d'un professionnel, mais aussi pour créer du lien. Les chargés de missions handicap dans les universités avec lesquelles nous travaillons établissent le même constat que nous. Nous touchons aujourd'hui des populations qui ne venaient pas nous voir auparavant, en particulier les jeunes n'ayant pas véritablement besoin d'un aménagement et d'un accompagnement spécifique.

L'Arpejeh enregistre une représentation plus importante au niveau des filières comptabilité, gestion et administration, à hauteur de 20 % environ de l'ensemble des candidatures pour les recherches de stage et d'alternance. Nous relevons également une augmentation des filières informatique, ressources humaines, management et marketing-communication, tous ces secteurs se situant aux alentours de 10 % pour le nombre de candidatures. Évidemment, ces chiffres ne concernent que notre association et il nous est difficile de dresser un constat plus général.

Mme Servane Chauvel. - Nous avons des préconisations à formuler, mais nous attendrons les questions pour vous faire part de nos suggestions.

M. Nicolas Oppenchaim, vice-président en charge de la santé, du handicap et de l'accompagnement social des étudiants, maître de conférences en sociologie de l'Université de Tours. - À Tours, comme dans les autres universités, le nombre d'étudiants en situation de handicap a considérablement augmenté ces dernières années. En 2009-2010, nous comptions un peu plus de 80 étudiants handicapés. Désormais, nous en accueillons plus de 600, soit huit fois plus en dix ans.

Ce chiffre représente environ 2 % de l'ensemble de nos étudiants, avec une répartition très différente selon les disciplines. Dans l'UFR Arts et Sciences humaines, qui comprend la sociologie et la psychologie, les étudiants en situation de handicap représentent 3,5 % des effectifs, contre 1 % en médecine et 0,7 % en pharmacie. Mais attention, ces chiffres incluent tous les étudiants qui connaissent une situation handicapante pour leur scolarité, ils prennent donc en compte non seulement les étudiants souffrant de problèmes psychologiques, mais aussi ceux qui se sont cassé le bras, par exemple, et ne peuvent plus prendre de notes en cours.

S'agissant des handicaps permanents, 23 % de ces étudiants souffrent de troubles du langage et de la parole, 12 % de troubles psychiques, 11 % de troubles moteurs, 9 % de troubles viscéraux, 4 % de troubles auditifs, 3 % de troubles visuels et 2 % de troubles autistiques. Il est à noter que 11 % des étudiants souffrent d'un polyhandicap. Ces chiffres sont à prendre avec précaution, car ils n'incluent pas les étudiants « hors radar », c'est-à-dire celles et ceux n'ayant pas été vus par le service de santé universitaire (SSU), dont Émilie Arnault assure la direction, et la Mission handicap.

Depuis 2016, l'Université de Tours a fait le choix d'intégrer la Mission handicap au service de santé universitaire, ce qui permet une prise en charge globale des étudiants. L'Université de Tours a également décidé de consacrer un euro par étudiant, dans le cadre de la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC), au handicap. Cette enveloppe n'est pas forcément à la hauteur des besoins, notamment en raison de la montée en puissance du nombre d'étudiants handicapés. Nous nous appuyons également sur l'aide ponctuelle d'entreprises - je pense à Malakoff Humanis, qui nous a aidés à financer une campagne de sensibilisation au handicap sur l'ensemble des sites de l'université.

L'action du SSU et de la Mission handicap se décompose en quatre grands axes. Premièrement, l'accueil et l'accompagnement des étudiants en situation de handicap. Deuxièmement, l'identification et la mise en place des moyens nécessaires au bon déroulement de leur cursus. Troisièmement, en lien avec la Maison de l'orientation et de l'insertion professionnelle, nous aidons les étudiants à s'insérer dans le monde du travail. Quatrièmement, nous diffusons une culture du handicap à l'intérieur de l'université, grâce à des actions de sensibilisation : repas à l'aveugle, soirées-débats, actions handisport, tests de fauteuils roulants par des personnes valides en bibliothèque universitaire, etc. Nous mettrons également en oeuvre dès la rentrée prochaine une formation pour tous les nouveaux maîtres de conférences afin de les sensibiliser à la problématique du handicap.

Mme Émilie Arnault, directrice du service de santé universitaire de l'Université de Tours. - En termes d'accompagnement, nous mettons en place des aides matérielles et humaines et nous proposons des aménagements du cursus universitaire. Nous recrutons des étudiants, encadrés par un contrat de travail, pour accompagner les étudiants qui en ont besoin dans différents types de missions : prise de notes ; secrétariat d'examen ; soutien ou tutorat méthodologique, notamment en visioconférence pendant la crise sanitaire ; aide à la mobilité ; aide sur le temps de cours. Pour des étudiants souffrant de troubles autistiques assez prononcés, nous recrutons des personnes avec des compétences particulières pour ce type de pathologie. Toutes ces modalités d'accompagnement, déterminées en début d'année, sont revues en cours d'année, en fonction des besoins de chacun.

Les aides techniques et matérielles concernent principalement le prêt d'ordinateurs, de logiciels spécifiques, de matériels adaptés. Nous avons également mis en place des crédits photocopie et équipé les bibliothèques universitaires avec des postes informatiques dédiés, comme les claviers à gros caractères. Certains dispositifs techniques facilitent l'accès aux oeuvres : télé-agrandisseur, synthèse vocale, loupe numérique, etc.

Nous proposons également des accompagnements spécifiques pour les modalités d'examens : temps majoré, organisation de l'examen en salle particulière, examen plutôt à l'oral qu'à l'écrit, aménagement de l'emploi du temps, possibilité de faire son année en deux ans.

L'objectif est que nos aides soient dégressives, dans la mesure du possible, car nous avons évidemment en tête l'insertion. Il est donc important que l'étudiant s'autonomise au fur et à mesure de son avancée dans le cursus. Les aides sont réadaptées a minima tous les ans.

Depuis un an, avec la crise du covid-19, les cours ont été assurés à distance grâce à des cours enregistrés. Les étudiants en situation de handicap n'ont pas ressenti plus de problèmes que d'habitude. Nous avons essayé de maintenir le lien avec eux en allant au-devant d'eux, sans attendre qu'ils nous sollicitent. Dans le cadre d'une enquête que nous sommes en train d'élaborer, nous avons diffusé un questionnaire à l'ensemble de nos étudiants sur leur santé en général et sur leur santé mentale en particulier. Il s'adresse également aux étudiants en situation de handicap. Cela nous permettra d'évaluer leur ressenti. Malgré tout, nous avons prêté moins de matériel durant cette période, vraisemblablement parce que les universités ont mis en place des aides numériques pendant la crise sanitaire, sous condition de ressources.

Pour nous, il reste beaucoup de chantiers à mettre en oeuvre. Le principal est d'améliorer l'accès aux enseignements, par différents canaux, comme la mise à disposition de capsules d'enseignement sous format numérique adapté. Cela a un coût ; à Tours, nous portons le projet PaRM (parcours de réussite modulaire), financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui a pour but de rendre les enseignements disponibles sous format numérique pour tous les étudiants, mais avec des dispositifs, comme le sous-titrage, qui permettent l'inclusion des étudiants en situation de handicap. Comme nous en sommes au démarrage, il y a encore très peu de cours accessibles. Il y a aussi la mise à disposition de supports écrits spécifiques par les enseignants, mais cela suppose une certaine adaptation pour les étudiants en situation de handicap - et il faut veiller, aussi, à protéger la propriété intellectuelle des enseignants, ce qui peut constituer un vrai frein.

M. Fabien Gaulué, délégué général de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap, dite « Fédé 100 % Handinamique » (Fédéeh). - Notre Fédération est née en 2010 de la conviction que les étudiants et les jeunes diplômés, handicapés ou non, constituent une ressource à la fois significative et insuffisamment mobilisée pour conforter le parcours de formation jusqu'à l'emploi des jeunes handicapés. Assez naturellement, nos valeurs fondatrices sont l'entraide et l'émulation entre jeunes, handicapés ou non, l'autonomie des jeunes handicapés en tant qu'acteurs de leur projet de vie, d'études et d'insertion professionnelle et, évidemment, l'engagement bénévole en faveur d'une société inclusive.

Majoritairement dirigée par de jeunes handicapés, notre fédération mobilise ses bénévoles dans le cadre de différents programmes. Nous organisons notamment des groupes d'entraide thématiques entre jeunes en situation de handicap. Il y a ainsi quatorze groupes qui se réunissent trois fois dans l'année, dans le cadre de nos rencontres nationales, qui mobilisent 200 à 300 jeunes bénévoles et bénéficiaires de notre réseau. Nous animons aussi des programmes de tutorat collectif d'élèves du secondaire en situation de handicap. Ainsi, plus de 300 élèves du secondaire sont tutorés, grâce à des partenariats avec une quarantaine d'établissements du secondaire ou du supérieur. Nous faisons enfin du parrainage individuel vers les études supérieures et l'emploi, avec une cinquantaine de parrains, dont une majorité sont eux-mêmes en situation de handicap - l'émulation par les pairs nous tient à coeur.

Nous menons également des actions de conseil, sur les espaces d'orientation ou les salons professionnels, et des actions de sensibilisation, sur les campus, notamment lors d'évènements étudiants, sportifs ou autres. Nous avons mis en place des bourses d'études : nous avons eu 120 lauréats l'an passé. Nous organisons des forums de recrutement sur les sites des établissements d'enseignement supérieur, au nombre d'une vingtaine l'an passé, avec 200 à 300 jeunes candidats par an. Enfin, nous encourageons la mobilisation dans le cadre des journées de stage d'immersion « Duoday », avec 130 duos constitués l'an passé.

Pour mener à bien tous ces projets auprès des quelque 1 200 jeunes handicapés qui bénéficient chaque année de nos actions (c'est une valeur moyenne), nous mobilisons à la fois un réseau d'entraide de plus de 500 jeunes en situation de handicap adhérents et un réseau de plus de 80 associations étudiantes, sur une cinquantaine de campus, et dans une vingtaine de fédérations étudiantes, soit nationales, par filières, soit territoriales, qui nous permettent de communiquer auprès de plus de 500 associations locales.

Lors du premier confinement, nous avons mis en place une plateforme d'entraide pour mettre en relation les jeunes handicapés qui ont des besoins d'aide en distanciel avec des bénévoles : soutien scolaire ou méthodologique, conseil d'orientation... Cela a mobilisé environ 250 bénévoles, dont les trois quarts disposaient déjà d'une connaissance, voire d'une expérience du handicap, et un quart étaient eux-mêmes des jeunes en situation de handicap. Le succès de l'opération a démontré son intérêt : elle nous a permis de venir en appui à des jeunes handicapés demeurant sur des territoires où nous n'étions pas présents physiquement. Nous avons donc décidé, en 2021, de pérenniser cette plateforme, qui est complémentaire de ce que nous pouvons apporter par ailleurs.

Le 1er avril, nous avons lancé, avec les principaux réseaux associatifs étudiants et les fédérations de filières des écoles d'ingénieurs et des écoles de commerce, un label associatif « 100 % handinamique », qui permet aux associations étudiantes de se fixer des objectifs en termes de mise en accessibilité de leur activité et d'inclusion sur les campus.

Nous sommes la seule organisation de jeunes à être membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), avec un point qui nous tient à coeur : nous y avons des représentants jeunes en situation de handicap dans sept des neuf commissions thématiques, et l'un d'eux est assesseur de la commission sur l'emploi.

L'une de nos actions est de nourrir un plaidoyer, par la rédaction d'un livre blanc élaboré dans la perspective des élections présidentielles et d'un rapport alternatif destiné à l'audition prochaine de la France devant le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU. Nous plaidons actuellement pour la création d'un « certificat culture inclusif », qui serait inspiré du certificat PSC1 (prévention et secours civiques de niveau 1) de formation aux premiers secours et qui matérialiserait la sensibilisation à l'inclusion des personnes en situation de handicap.

M. Thomas Fauvel, Premier vice-président de la Fédéeh. - On a observé, au cours des quinze dernières années, une forte progression du nombre de jeunes en situation de handicap au sein de l'enseignement supérieur. La répartition de ces jeunes entre les différentes filières montre qu'ils s'orientent plutôt vers les sciences humaines et sociales ou en instituts universitaires de technologie (IUT). S'agissant des sciences humaines et sociales, nous l'expliquons par le fait que ces disciplines sont réputées plus accessibles et, à l'inverse, par les difficultés que posent, en termes d'accessibilité, les classes préparatoires aux grandes écoles. En ce qui concerne les IUT, ce déséquilibre s'explique par le fait que ces filières permettent d'accéder plus facilement à des diplômes de niveau Bac plus 5.

Ce qui est proposé au sein des établissements d'enseignement supérieur en termes d'accessibilité, d'aide et d'accompagnement, vous a été présenté de manière exhaustive. Nous identifions toutefois, à l'échelle nationale, une certaine disparité des aides proposées en fonction des établissements. Les bases classiques sont présentes partout : secrétaires d'examen, tiers-temps, tutorat, preneurs de notes... Mais l'aménagement de cursus ou la fourniture de matériel spécialisé, qui requiert des financements locaux, ne sont pas toujours disponibles. Ainsi, certains étudiants, qui n'ont pas accès à de telles aides, demandent des bourses à notre structure pour acquérir des équipements spécifiques.

Sur l'accessibilité des locaux, nous avons noté une nette progression, mais pas assez rapide. Si tous les nouveaux locaux construits dans l'enseignement supérieur sont bien sûr accessibles, l'ancien l'est souvent difficilement, et avec des incohérences : on voit parfois la mise en accessibilité d'un bâtiment sur un campus qui n'est pas accessible...

Les universités sont engagées dans une transformation numérique. C'est un vecteur de progrès et d'accès à la connaissance pour les personnes en situation de handicap. Mais les outils utilisés ne respectent pas forcément, et même assez rarement, les normes d'accessibilité. Pour les déficients visuels ou les non-voyants, le tout numérique occasionne des difficultés accrues. Beaucoup d'étudiants en situation de handicap se sentent sans solution. Même si les Missions handicap font du bon travail, elles n'ont pas toujours pu accompagner tous les étudiants - d'où notre plateforme d'entraide. Les établissements, avec la crise sanitaire, sont devenus conscients des problèmes d'accessibilité numérique. Reste une question de temps et de budget : la mise en accessibilité a des coûts significatifs. Les progiciels ou les intranets que les étudiants utilisent pour échanger avec leurs enseignants sont prévus pour être fonctionnels pendant plusieurs années, et les universités n'ont pas forcément le budget pour les mettre en accessibilité quand il faudrait.

Notre réseau nous signale, enfin, un manque de formation et de sensibilisation au niveau des enseignants-chercheurs, qui sont en contact avec les élèves et les étudiants et sont amenés à les faire monter en compétences. Ils sont parfois démunis parce qu'ils n'ont pas été formés à l'accueil de jeunes en situation de handicap, et en particulier aux outils pédagogiques nécessaires. On travaille beaucoup sur la formation par les pairs dans l'enseignement supérieur, mais cela fonctionne mal pour les étudiants en situation de handicap, qui sont encore assez rares.

Beaucoup d'élèves ou d'étudiants nous disent que les enseignants-chercheurs se sentent peu accompagnés et peu formés sur le sujet. Au sein des établissements d'enseignement supérieur, le personnel n'est pas toujours sensibilisé aux questions de handicap et à l'accueil des jeunes en situation de handicap. Pourtant, c'est une politique globale de sensibilisation qu'il faut mettre en place pour arriver à une vraie inclusion au sein des établissements d'enseignement supérieur.

Dans les logements, les résidences et les restaurants universitaires, il y a un vrai progrès. Le problème est plutôt la distance entre les logements accessibles et les lieux de cours. Le trajet entre le lieu de cours et les lieux de vie quotidienne est souvent trop long pour être réalisable de manière aisée par les personnes à mobilité réduite, quel que soit leur type de pathologie.

L'accompagnement pédagogique des enseignants est crucial pour que les étudiants se sentent intégrés et suivent des cours comme tout un chacun au sein des établissements d'enseignement supérieur en France. Il est indispensable de sensibiliser tout le personnel des établissements d'enseignement supérieur, puisque l'inclusion se passe à tous les niveaux : elle concerne aussi bien l'université, qui doit faire une communication inclusive, que la personne qui accueille l'étudiant en situation de handicap pour entrer dans sa résidence universitaire. C'est vraiment à tous les niveaux qu'il faut faire cesser cet étonnement face au handicap et banaliser le fait qu'on ait des étudiants en situation de handicap au sein des établissements d'enseignement supérieur.

Il y a encore des enseignants qui refusent d'aménager leurs cours, en particulier dans les classes préparatoires aux grandes écoles, que nous trouvons très peu accessibles sur le plan physique comme en termes d'offre d'accompagnement, parce qu'elles ne sont pas intégrées dans une université, et ont donc moins de marges de manoeuvre. Ainsi, dans les établissements d'enseignement supérieur, les Missions handicap, ou les référents handicap, sont compétents et ont les moyens nécessaires. Dans un lycée, il n'y a pas tous ces outils. De plus, les classes préparatoires constituent un cadre très élitiste où, n'étant pas habitués à ce type de profil, les enseignants sont souvent très démunis et considèrent que ce n'est pas à eux d'aménager les cours, ce qui est un vrai problème dans la philosophie et l'approche de l'enseignement par rapport à l'élève : l'accessibilité des cours devrait être incontournable pour la qualité de l'enseignement en France.

M. Christian Grapin, directeur de l'association « Tremplin - Études, handicap, entreprises ». - Notre association existe depuis 29 ans. Fondée par des entreprises, elle s'appuie sur un réseau de 140 employeurs, privés ou publics. Notre action est principalement centrée sur les jeunes en situation de handicap. Outre les employeurs, notre écosystème comporte aussi les centres de formation, des lycées aux établissements d'enseignement supérieur de toute nature, en passant par les CFA et les familles. Nous avons redéfini notre projet stratégique associatif lors de notre assemblée générale d'avril 2019, et nous avons recentré notre action sociétale autour de deux enjeux, hélas encore trop prégnants.

Le premier est de contribuer à la réussite académique des jeunes en situation de handicap. Ils sont peu nombreux, proportionnellement, à accéder aux études supérieures. Surtout, ils arrivent sur le marché de l'emploi avec un niveau de qualification extrêmement bas, voire pas de qualification, ce qui génère un taux de chômage de près de 30 % des jeunes en situation de handicap. Il faut tout faire pour que ces jeunes puissent avancer dans leur parcours académique au moins jusqu'au bac, et ensuite leur permettre d'avancer dans les études supérieures. On sait très bien, en effet, qu'en France l'accès à l'emploi est fortement conditionné par le niveau d'études.

Nous avons quatre grands axes d'action. D'abord, nous accompagnons ces jeunes individuellement - nous les connaissons tous, nous les accueillons tous, individuellement et dans le temps, tout au long de leur parcours d'études, aussi long qu'il soit, jusqu'à leur entrée définitive dans le monde du travail. Pour cela, nous créons des liens entre eux et nos employeurs partenaires.

Depuis notre nouveau projet stratégique, nous avons développé deux autres axes. Le premier, c'est l'orientation. Handicap ou non, le poids des inégalités amplifie les biais : on ne propose pas la même chose à un jeune issu d'un milieu rural ou d'un milieu urbain, etc. Le rapport du Snaecso, en 2018, est assez flagrant en la matière. Nous avons recruté une psychologue de l'orientation pour faire les choses sérieusement, avec méthode, avec les outils appropriés. On ne peut pas s'amuser avec l'orientation des jeunes, qu'ils soient ou non en situation de handicap.

Le quatrième champ issu de notre projet stratégique est le développement, auprès de ces jeunes, des aptitudes en lien avec le monde professionnel. Il s'agit, par exemple, de les faire travailler sur la rédaction de leur CV ou d'une lettre de motivation, ou de les entraîner à leurs entretiens. Il s'agit aussi de perfectionner leur expression orale en anglais, car c'est une compétence exigée par de plus en plus d'entreprises, alors que la culture de l'enseignement en France porte davantage sur l'expression littéraire. Nous leur enseignons aussi des techniques pour répondre à une annonce d'offre d'emploi. Dans l'univers digital, nous leur montrons comment créer un profil sur LinkedIn, qui est un réseau professionnel très important. Le dernier axe de développement des compétences professionnelles concerne les fameuses soft skills, sur lesquelles les entreprises axent de plus en plus leur recrutement. Nous leur montrons comment mettre en évidence et valoriser ces compétences relationnelles et sociales à travers leurs différentes expériences professionnelles, personnelles, sportives, culturelles, sociales...

À travers cet accompagnement, tout au long de leur parcours, notre but est de développer leur autonomie. Ce n'est pas le jeune que nous mettons au centre de notre action, mais son projet. Notre but, c'est qu'il en soit le premier acteur : s'il ne participe pas à son propre projet, il nous est difficile de l'aider.

L'autre axe concerne nos employeurs. Ce n'est pas tout d'encourager les jeunes et de les aider à trouver un stage, un job d'été, des jobs étudiants ou de l'alternance. Encore faut-il que les employeurs leur ouvrent leurs portes et soient conscients que leurs exigences sont, pour eux, parfois excessives. Nous déployons donc un accompagnement de nos employeurs, que ce soit de grandes entreprises, des petites ou des moyennes, pour qu'ils s'ouvrent à ces jeunes. Il n'est pas évident d'accueillir en stage, en alternance ou en emploi, des personnes handicapées, et surtout des jeunes en situation de handicap. Tout au long de l'accueil d'un jeune, nous proposons un accompagnement.

Nous avons aussi mis en place des actions de coaching, surtout pendant le confinement : nous ne voulions pas que les jeunes que nous suivions restent isolés. Nous en avons profité pour mobiliser des collaborateurs et les collaboratrices de nos employeurs partenaires, et pas uniquement au sein des directions des ressources humaines, qui sont évidemment déjà sensibilisées : nous avons aussi souhaité atteindre les managers opérationnels, car ce sont eux qui recrutent pour leurs activités. Bref, nous avons cherché à toucher toutes les strates de l'entreprise, depuis le président-directeur général jusqu'aux ouvriers, en passant par les employés, les assistants, etc. Ce fut un fantastique outil de sensibilisation : chacune et chacun deviennent des « ambassadeurs du handicap ».

À chaque fois que nous menons des opérations vis-à-vis des jeunes, nous communiquons avec les centres de formation. C'est le cas des trois forums que nous organisons chaque année. Pour sensibiliser les étudiants au sujet du handicap, nous avons créé un grand concours vidéo appelé « Tous HanScène », qui en est à sa neuvième édition. Nous avons quatorze entreprises partenaires et recevons en moyenne 100 vidéos. Cette année, en plein confinement, nous en sommes déjà à 165 vidéos, et plus de 1 000 étudiants ont participé : toutes nos prévisions sont dépassées !

Nous menons aussi des actions de sensibilisation à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), même auprès des plus jeunes. Il est important de sensibiliser les plus jeunes et, à travers eux, leurs familles. Il arrive en effet que certains parents s'opposent à cette démarche de reconnaissance, ce qui complique énormément les choses pour les jeunes, notamment à l'entrée à l'université, lorsqu'ils doivent se rapprocher de la Mission handicap.

J'ai fait le point auprès de nos chargés d'accompagnement pour savoir ce qui était remonté de leurs échanges avec les jeunes. Sur les cours en distanciel, beaucoup apprécient la possibilité de faire des replays vidéo, ce qui laisse du temps pour la prise de notes et donne de la flexibilité sur l'emploi du temps - le tout dans un environnement connu, moins stressant. En ce qui concerne l'organisation des cours à distance, ces remontées font état de remarques sur les horaires, qui peuvent changer durant la journée, ce qui demande beaucoup d'adaptations. Les travaux en groupe, eux, sont plus difficiles à mener à distance. Pour les examens, il y a beaucoup plus de contrôle continu que les années passées. Cela met les étudiants, en situation de handicap ou non, sous davantage de pression. Et nos étudiants ne disposent pas toujours d'un tiers temps ou d'un temps complémentaire. De plus, selon ces témoignages, la relation avec les enseignants est plus compliquée à distance. Parfois, les échanges se font par e-mail, mais les réponses peuvent se faire attendre. En ce qui concerne la vie étudiante, certains sont retournés chez leurs parents dans ce contexte difficile et n'ont que peu de relations, voire plus de relations avec leurs camarades. Enfin, l'insertion professionnelle est plus difficile : tous les jeunes qui sont à la recherche de stages, d'alternance et d'emploi voient leur projet beaucoup moins souvent déboucher que les années précédentes.

Mme Sonia de La Provôté. - Avec la crise sanitaire et l'isolement des étudiants, le décrochage scolaire s'est accru. Les étudiants en situation de handicap sont-ils plus durement touchés ?

Trouver un stage est difficile. On observe des inégalités selon les milieux sociaux, les réseaux, l'accompagnement de l'université ou de l'école, etc. Quels aménagements proposez-vous pour aider les jeunes en situation de handicap ? Des stages leur sont-ils réservés ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Le nombre d'étudiants en situation de handicap a augmenté à l'université, à la fois avec l'accueil de nouveaux publics et l'amélioration du dépistage. Il a donc fallu recruter des aidants supplémentaires. Tous les besoins ont-ils été satisfaits dans toutes les régions, toutes les filières ? Les budgets pour rémunérer des aidants sont-ils suffisants ? Y a-t-il assez de candidats pour occuper ces postes ? Ensuite, avez-vous des chiffres sur les résultats scolaires, le niveau d'études atteint, l'accès au second cycle ou à un doctorat ?

Mme Victoire Jasmin. - J'ai été agréablement surprise en vous entendant décrire les initiatives dont vous témoignez ; certes il reste beaucoup à faire, mais je constate que des efforts réels ont été accomplis. Les étudiants sourds et malentendants peuvent utiliser des logiciels permettant de faire la traduction simultanée de l'oral à l'écrit, mais parfois ceux-ci ne reconnaissent pas les termes techniques employés dans les cours et cela peut nuire à la compréhension. L'enseignement en distanciel a ses limites, et elles sont encore plus fortes pour les sourds et malentendants. Certains étudiants bénéficient d'un accompagnement, d'autres pas : il faut aller plus loin en la matière. En tout cas, je tiens à saluer votre action. L'accès au stage, que vous favorisez, est un premier pas vers un emploi.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Dans le monde du travail, on sait que les personnes atteintes de handicap ne souhaitent pas toujours se déclarer. Est-ce le cas aussi dans l'enseignement supérieur ?

Vous n'avez pas mentionné les Crous. Pourquoi ?

Enfin, ma dernière question portera sur les aides. Celles-ci dépendent des établissements. Certaines ne posent pas de problèmes : tiers temps, assistance de preneurs de notes, etc. Pour d'autres aides, c'est plus difficile. Cela tient-il à la connaissance des dispositifs, à l'obtention des financements ?

Mme Cannelle Garcia. - Nous accompagnons les jeunes lorsqu'ils effectuent leur stage dans une des entreprises membres de notre réseau. Nous faisons le lien avec les chargés de mission handicap afin de s'assurer qu'ils reçoivent le meilleur accueil possible.

Les jeunes déclarent-ils leur handicap dans l'enseignement supérieur ? Nous constatons que nos actions dans les universités ou grandes écoles fonctionnent mieux lorsqu'elles sont anonymisées, si les jeunes ont juste à donner un pseudo ou à se connecter à distance ; elles ont moins de succès, en revanche, si l'on demande de s'identifier. On observe aussi une réelle demande des entreprises pour trouver des jeunes en situation de handicap afin d'occuper des postes en alternance. Nous avons communiqué auprès des jeunes susceptibles d'être intéressés pour qu'ils se fassent connaître.

La plupart des étudiants effectuent leur stage en distanciel. Cela n'est pas très bon, car ils ne rencontrent quasiment jamais leurs collègues de l'entreprise. Le présentiel concerne surtout les plus jeunes, les collégiens ou les lycéens dans leur stage de découverte.

Mme Émilie Arnault. - Les entreprises sont effectivement soucieuses d'accueillir d'étudiants bénéficiaires d'une RQTH ; or ils sont peu nombreux. Parmi ceux que nous accompagnons, certains, en effet, ne verront pas leur handicap reconnu par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), même si nous estimons qu'ils sont atteints d'une pathologie qui les affecte dans leurs études ; d'autres n'ont pas fait les démarches pour obtenir la RQTH. Nous essayons de les aider, avec une assistante sociale, à le faire, mais beaucoup hésitent de peur d'être stigmatisés.

En ce qui concerne les aides humaines pour accompagner les étudiants en situation de handicap, la difficulté n'est pas, pour nous, une question de budget, mais bien le manque de ressources humaines. Nous recrutons des étudiants pour faire de la prise de notes : cela marche bien dans certaines filières, mais on manque de candidats dans d'autres. On essaie alors de récupérer les cours des enseignants, mais, outre les problèmes liés à la propriété intellectuelle, tous ne rédigent pas leurs cours. De plus, pour pouvoir recruter un étudiant capable d'en aider un autre en situation de handicap, nous devons attendre les affectations et la constitution des groupes de travaux dirigés avant de pouvoir faire un appel à candidatures et rédiger un contrat de travail. Il y a nécessairement un délai d'au moins un mois après la rentrée - autant de temps de perdu qui pénalise les étudiants handicapés. Pour anticiper, nous travaillons avec les établissements du secondaire afin de demander aux futurs étudiants concernés de se faire connaître et de prévoir les besoins à l'avance. En outre, certains étudiants ne se manifestent qu'en cours d'année ; il est alors alors difficile d'agir.

M. Nicolas Oppenchaim. - Sur la réussite, je ne peux que vous renvoyer à la thèse d'Antoine Vérétout - Les étudiants en situation de handicap entre l'amont et l'aval : parcours d'accès, expériences et perspectives professionnelles (thèse soutenue en 2019). Il explique que les jeunes en situation de handicap rentabilisent moins leurs diplômes, ce qui renvoie à la question de l'insertion professionnelle. Il ne faut pas non plus oublier les inégalités sociales : la proportion d'étudiants atteints d'un handicap est corrélée à la composition sociale des filières et les étudiants issus des catégories populaires sont proportionnellement plus nombreux parmi les étudiants en situation de handicap.

Il faut sensibiliser davantage les professeurs à ces questions et faire en sorte que les étudiants concernés participent davantage au fonctionnement des institutions universitaires.

Enfin, il est difficile d'appréhender l'impact spécifique de la crise sur les étudiants handicapés. L'accès aux stages pour cette génération est très difficile. De même, les taux de réussite semblent moins élevés, notamment lors des années diplômantes de L3 ou M2. Nous manquons toutefois de données scientifiques pour savoir si les étudiants atteints de handicap sont davantage touchés par ces phénomènes avec la crise. Je n'ai pas de chiffres non plus sur l'impact du confinement sur la situation mentale de ces étudiants.

M. Fabien Gaulué. - Pour vous répondre, je ne peux qu'employer un terme à la mode, celui d'« intersectionnalité » : les étudiants en situation de handicap vont mécaniquement être plus touchés par un obstacle imprévu, car ils sont déjà en difficulté. Il faut aussi tenir compte de l'implication des familles. Notre association s'efforce de les atteindre, mais n'y parvient pas toujours. Les étudiants en situation de précarité, irrégulière ou en fin de droit auront le plus de difficultés.

En ce qui concerne la poursuite des études, on n'observe pas de décalage significatif entre les taux de scolarisation dans le secondaire et le supérieur ; en revanche, les étudiants en situation de handicap seront plus nombreux dans les universités que dans les grandes écoles, car la sélectivité y est moindre, même s'il faut aussi souligner que l'accessibilité des locaux dans les classes préparatoires ou les grandes écoles est moindre qu'à l'université. De plus, les enseignants des classes préparatoires n'ont pas le réflexe d'adapter leur enseignement, élitiste, à ces publics. Il n'est dès lors pas étonnant que 90 % des étudiants en situation de handicap soient à l'université, contre 70 % pour les étudiants en général. Leur surreprésentation dans les filières scientifiques et dans les IUT traduit une réponse par défaut aux difficultés d'accès aux grandes écoles et correspond aussi à une sorte d'autocensure.

Les universités sont aussi dotées de Missions handicap et doivent élaborer un schéma directeur triennal qui tient compte du handicap. Les Missions handicap permettent de porter leur voix auprès des enseignants et de l'institution, ce qui n'est pas toujours le cas dans les lycées ou les classes préparatoires aux grandes écoles. Les chances de réussite pour les étudiants en situation de handicap sont d'ailleurs plus importantes lorsqu'il existe une Mission handicap.

Je veux attirer votre attention sur un dispositif exemplaire existant à l'université de Poitiers, avec l'association « HandiSup Centre-Ouest ». Celle-ci est adossée étroitement à la Mission handicap de l'université, qui est délégataire du service public de l'accompagnement des étudiants et lui confie des missions sur la socialisation des étudiants ou l'accompagnement d'étudiants atteints de certains handicaps - cécité ou autisme par exemple. Ce dispositif fonctionne bien et pourrait inspirer d'autres structures.

Enfin, l'enseignement en distanciel a des effets très différents selon les handicaps : un étudiant atteint de troubles anxieux sera plutôt rassuré, mais il est difficile d'évaluer les effets à long terme, car cet âge est aussi crucial pour l'insertion dans les relations sociales.

M. Thomas Fauvel. - Il existe des aides techniques spécifiques : lecteur d'écran avec synthèse vocale ou afficheur braille pour les non-voyants, boucle magnétique ou sous-titrage automatique pour les malentendants, etc., mais ils sont onéreux, et les étudiants ont aussi besoin d'autonomie : si l'université peut équiper une salle avec des boucles magnétiques, elle n'aura pas forcément les moyens de financer des dispositifs individuels. Il en va de même pour le handicap visuel : chaque ordinateur doit être configuré par un professionnel en fonction du handicap. Autant de coûts difficiles à planifier pour les missions handicap, car ils dépendent du nombre d'étudiants et de leurs pathologies.

M. Christian Grapin. - Nous nous appuyons beaucoup sur les Crous et leur expertise, notamment pour trouver des solutions de logement.

Nous essayons de sensibiliser les étudiants avant la rentrée à l'intérêt d'accomplir la démarche pour obtenir une RQTH, qui est plus ou moins simple selon les départements. Mais on se heurte parfois aux réticences des familles ou des médecins, qui peuvent dissuader les jeunes pour leur éviter une stigmatisation.

Il est aussi important d'agir en amont pour éclairer les lycéens sur les différentes filières, lutter contre l'autocensure, leur donner envie d'intégrer certains cursus auxquels ils n'auraient pas osé postuler, mais, là encore, l'autocensure des jeunes ou des familles est parfois forte. Il faut également veiller à l'accessibilité des lieux de concours et des épreuves.

En ce qui concerne les stages, l'un des principaux obstacles est le niveau d'exigence des employeurs : les entreprises recherchent des jeunes en situation de handicap à condition qu'ils aient un Bac + 5 ou soient en Master ; mais peu de jeunes atteignent ce niveau. Nous essayons de les convaincre de donner leur chance à des jeunes en cours de scolarité ou d'un niveau moins élevé, afin de leur permettre de poursuivre leur cursus. Il ne s'agit pas de leur demander de revoir leurs exigences, mais de voir quels postes pourraient être occupés par des étudiants en BTS ou en licence professionnelle. L'enjeu est d'autant plus important que la majorité des étudiants en situation de handicap sont inscrits dans des filières professionnelles où le stage est obligatoire pour valider l'année, faute de quoi on redouble et l'on risque d'arriver sur le marché de l'emploi sans diplôme. Il est donc crucial de s'intéresser à tous les jeunes en filière professionnelle. Le BTS est souvent la première entrée dans l'enseignement supérieur et permet d'accéder, le cas échéant, à des études supérieures, voire de rejoindre une école d'ingénieurs. Il faut donc le faire savoir aux élèves et à leurs parents.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 10.

Jeudi 15 avril 2021

- Présidence de M. Pierre Ouzoulias, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Audition de M. Maël Disa, délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer

M. Pierre Ouzoulias, président. - Avant d'entendre M. Maël Disa, délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer, je remercie vivement la délégation sénatoriale aux outre-mer et son président, Stéphane Artano, pour leur participation active à cette audition. Grâce à la délégation aux outre-mer, nous disposons d'une revue de presse et de documents très complets sur la situation des étudiants ultramarins dans l'Hexagone : ce travail de recherche nourrira notre réflexion. Merci, chers collègues.

Notre mission d'information a rapidement identifié les problèmes spécifiques rencontrés par les étudiants ultramarins, grâce en particulier aux alertes de nos collègues ultramarins Gérard Poadja et Victoire Jasmin, et nous souhaitons accorder une grande place à cette problématique dans nos travaux. Nous avons d'ailleurs entendu, le 22 mars, la présidente de l'Association Sciences Ô, qui représente les outre-mer à Sciences Po ; nous avons pu percevoir les difficultés propres à cette communauté étudiante.

Notre mission d'information poursuit trois objectifs principaux : comprendre comment les étudiants ont vécu les conditions très particulières d'enseignement qui leur ont été imposées avec la crise sanitaire ; parvenir à une compréhension plus globale des problèmes de la vie étudiante et à une vision prospective de ses enjeux ; faire des propositions pour améliorer la condition étudiante et, en particulier, la situation des étudiants ultramarins qui rencontrent des problèmes spécifiques dans l'Hexagone. J'ai découvert certaines de ces difficultés grâce à nos travaux - je pense en particulier à la couverture sociale des étudiants venus du Pacifique, qui n'y accèdent pas faute de numéro de Sécurité sociale.

Je vous remercie, monsieur Disa, de vous être rendu disponible pour nous ce matin. Je précise que vous avez été nommé Délégué interministériel le 15 janvier 2020 - je cite votre lettre de mission - pour « promouvoir et valoriser les Outre-mer français sur l'ensemble du territoire national et à l'étranger dans les domaines économique, social, culturel et sportif ; prévenir les difficultés spécifiques que rencontrent, dans le territoire métropolitain, les Français d'outre-mer et faciliter leur relation avec leur collectivité d'origine » : nous sommes vraiment au coeur de la problématique de notre mission d'information. Je donne sans plus tarder la parole à Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, que je remercie une nouvelle fois d'avoir accepté cette réunion commune. Puis, après l'intervention de notre rapporteur, Laurent Lafon, par ailleurs président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui vous posera quelques questions, je vous donnerai la parole, monsieur le délégué interministériel, Nous aurons ensuite un temps d'échanges. Cher Stéphane Artano, vous avez la parole.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Au nom de la délégation aux outre-mer, j'adresse nos sincères remerciements à la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante, et en particulier à son président Pierre Ouzoulias et à son rapporteur Laurent Lafon, pour cette invitation qui me tient particulièrement à coeur.

La situation actuelle des étudiants ultramarins a toute sa place dans vos travaux du Sénat, non pas au nom d'un « réflexe outre-mer » passé dans le langage courant de façon un peu incantatoire, mais bien en raison de difficultés profondes et spécifiques que la crise sanitaire a encore accentuées. Nous sommes convaincus que votre mission peut aider à une prise de conscience des problèmes et des enjeux que cette situation soulève. Il en va en effet non seulement de l'intégration dans l'Hexagone, mais aussi de l'avenir de nos territoires qui ne pourront se développer sans les forces vives qui la composent et la qualité de leur formation.

Je ne souhaite pas empiéter sur les sujets qui seront abordés sans aucun doute par le délégué interministériel, M. Maël Disa, à qui j'adresse mes très cordiales salutations. Notre délégation a eu l'opportunité de l'auditionner il y a tout juste un mois sur la représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public. Cette table ronde a été largement reprise dans les médias et a fait l'objet d'engagements précis de la part de France Télévisions, ce qui montre l'utilité de telles réunions.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la délégation tient à votre disposition un dossier d'information - que je crois en effet assez complet -, composé à la fois d'articles de presse mais également de témoignages précis, en provenance des antennes des collectivités ultramarines à Paris dont je veux saluer la mobilisation face aux cas les plus dramatiques, en particulier pour le soutien psychologique et la distribution de colis alimentaires. Nous pourrons bien entendu compléter ce dossier si besoin.

Je me permettrai juste de souligner quelques points - à nos yeux majeurs - sur lesquels mes collègues Gérard Poadja, Victoire Jasmin, Victorin Lurel notamment - ont appelé notre attention lors de nos récents travaux.

Plus que d'autres peut-être, les étudiants ultramarins sont confrontés à des défis qui tiennent : d'abord, à la mobilité et au coût élevé des billets d'avion, notamment pour les destinations éloignées du Pacifique et de l'océan Indien ; ensuite, à la précarité financière avec la complexité du système des bourses, l'accès limité aux emplois étudiants et aux stages mais également parfois aussi à une méconnaissance des aides mises en place par leurs propres collectivités ; l'accès à la santé est encore aléatoire du fait en particulier de mutuelles étudiantes qui ne sont pas identiques dans l'Hexagone...

Mais le point sur lequel je voudrais insister est la question du logement : faute de places en résidences universitaires, les étudiants et leurs familles se tournent vers le privé avec les difficultés inhérentes pour le choix et les visites d'appartements, les réticences des agences et propriétaires liées à la domiciliation bancaire en outre-mer - et ceci malgré la garantie Visale mise en place par l'État -, ou encore la production de justificatifs de revenus ; il faut noter aussi des délais d'instruction trop longs pour le bénéfice des aides au logement et ensuite, en cas de retour, la nécessité souvent de continuer à régler un loyer pour ne pas se retrouver à la rue à leur retour ...

La crise sanitaire et les périodes de confinement ont mis en avant les conditions d'exiguïté, d'inconfort et d'isolement des logements de nos jeunes, qu'ils soient ultramarins ou hexagonaux d'ailleurs. Face ce qui s'apparente à un véritable « parcours du combattant », notre collègue Gérard Poadja a proposé la mise en place d'une véritable cellule sociale d'accompagnement et nous aimerions connaître l'avis du délégué sur cette suggestion. L'ensemble des services publics fonctionne désormais via des plateformes qui prennent en compte des situations-types mais rarement les spécificités outre-mer, sans compter le problème des frais et équipements numériques qui a une incidence y compris pour le suivi des cours.

Le second problème, de plus en plus sensible au fur et à mesure que s'élève le niveau de formation, est celui des débouchés : on le sait, l'accès aux grandes écoles reste encore trop rare pour les ultramarins et les préparations locales aux concours de la fonction publique trop peu développées. Espérons que la création du futur Institut du service public soit l'occasion de réfléchir à ces sujets. Il y a aussi la frustration de ne pas accéder aux emplois qualifiés sur leur territoire d'origine malgré les diplômes obtenus, et c'est un problème qui mérite une attention particulière.

Sachez, monsieur le président, combien nous nous félicitions ce matin que vous preniez ces problématiques « à bras le corps » et que vous pourrez compter sur notre plein soutien pour relayer vos travaux.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Merci de votre propos, il montre bien la cohérence de nos travaux respectifs.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Monsieur le délégué, je commencerai par poser des questions sur le diagnostic que l'on peut établir à l'issue d'une année de crise sanitaire : quel état des lieux dressez-vous de la situation des étudiants ultramarins, en métropole et en outre-mer ? Quelles difficultés spécifiques rencontrent-ils - en particulier pour le logement, le soutien financier, la couverture santé, le numérique et la vie sociale ? Nous savons que la crise a amplifié des problèmes qui pouvaient se poser auparavant. Comment faire en sorte que ces difficultés n'existent plus après la crise ? Nous voulons pouvoir mieux cibler les étudiants ultramarins qui rencontrent les plus grandes difficultés.

Nous nous interrogeons, ensuite, sur l'efficacité des mesures prises par le Gouvernement face à la crise, en particulier l'aide de 150 euros pour les étudiants boursiers et l'aide spécifique de 200 euros pour les ultramarins : combien en ont bénéficié ? Le Gouvernement envisage-t-il d'autres mesures ? Des collectivités territoriales ont complété cette aide : dans quelle proportion ? Quel bilan faites-vous de la plateforme « Outre-mer Solidaires », lancée pendant le premier confinement ? Un tel outil règle-t-il le problème d'accès à l'information, qui se pose à bien des jeunes sortant du cocon familial et se trouvant souvent isolés - pensez-vous qu'il doive perdurer ? Les réseaux de solidarité ultramarine sont actifs, en particulier via les associations d'étudiants ultramarins : les associez-vous à votre action ?

Enfin, il y a la question du retour dans leur territoire des étudiants qui le souhaitent : quelles perspectives ont-ils en matière d'insertion et d'orientation professionnelles ?

M. Maël Disa, délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer. - Je vous remercie tout d'abord pour votre invitation. Le sujet qui nous réunit est primordial. La délégation interministérielle, que j'ai l'honneur de conduire depuis le 15 janvier 2020, fait de la jeunesse des outre-mer sa priorité, en particulier les jeunes ultramarins en mobilité éducative dans l'Hexagone.

Nous travaillons spécifiquement sur la formation et l'accompagnement en amont du départ en mobilité, qui constitue pour nous un enjeu majeur, de même que l'accueil et l'intégration dans le territoire hexagonal, avec une attention toute particulière sur le logement ; nous travaillons également sur l'accès aux stages et à l'emploi, sur le suivi de ces jeunes pendant leur cursus, notamment par le coaching et le mentorat. Nous attachons également beaucoup d'intérêt aux différentes formes d'engagement citoyen, comme par exemple le service civique. Nous nous préoccupons aussi d'accompagner le retour dans les territoires.

Nous allons lancer un guichet unique où seront réservés quelque 4 000 logements aux étudiants ultramarins. La crise a révélé l'intensité des difficultés liées à ce que nous appelons l'hyper éloignement structurel, c'est-à-dire le côté systémique des difficultés lorsqu'on étudie loin de chez soi et qu'on ne peut y retourner comme on voudrait. Ces difficultés se font sentir tout au long des études et sont particulièrement aiguës en première année, quand on arrive en métropole.

Quelques chiffres : les étudiants sont considérés comme ultramarins lorsqu'ils ont obtenu leur baccalauréat outre-mer, soit environ 100 000 étudiants. Parmi eux, 40 % étudient dans l'Hexagone : ce sont ces 40 000 étudiants que nous visons plus particulièrement. Neuf sur dix vivent dans neuf agglomérations, par ordre d'importance : Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon, Montpellier, Rennes, Strasbourg, Lille et Nantes. Chaque année, 8 000 étudiants ultramarins arrivent en métropole, dont 6 000 viennent tout juste d'avoir le bac et 2 000 sont en cours de cursus. Nous avons surtout travaillé sur les primo-arrivants, plus fragilisés du fait de la crise. Celle-ci a aggravé leurs difficultés, mais certains étaient précarisés en amont et ces difficultés étaient bien antérieures. La crise sanitaire a eu des effets dévastateurs en particulier pour les étudiants ultramarins qui n'avaient pas été intégrés dans les mesures prises par le Gouvernement via les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) et qui n'ont pas pu rentrer dans leurs familles : le Président de la République en a parlé dès le premier confinement.

La plateforme « Outre-mer solidaires » a été lancée, c'est le choix d'un outil mis à disposition des associations qui sont généralement les plus efficaces pour agir rapidement, nous y avons lancé un appel à projets pour financer celles qui pourraient aider les étudiants : 16 associations ont été soutenues, dont 15 associations étudiantes, avec l'objectif qu'elles accompagnent tous les étudiants ultramarins, au-delà de leur seul ancrage territorial, dans un esprit de solidarité entre les outre-mer. Ces associations, il faut le souligner, font un travail formidable. La plateforme est toujours en activité, elle a vocation à continuer dans la durée.

L'aide de 150 euros a été versée à 53 000 étudiants boursiers ultramarins, dont 23 000 étudient dans l'Hexagone ; l'aide spécifique de 200 euros a été versée à 24 000 étudiants restés dans l'Hexagone pendant la crise sanitaire - nous ne savons pas combien d'étudiants ultramarins sont rentrés, mais nous avons cette indication qu'un peu plus d'un sur deux a touché l'aide spécifique.

Le réseau associatif des étudiants ultramarins est présent dans l'Hexagone, mais dispersé, on le dit souvent ; la plateforme que nous avons mise en place est un outil utile pour que les étudiants repèrent facilement où s'adresser pour recevoir de l'aide. La crise a permis d'accélérer le lien entre ces étudiants et les associations.

S'agissant des perspectives, nous savons que les problèmes structurels vont continuer, mais aussi que la crise sanitaire, en les faisant apparaître au grand jour - la presse nationale en a parlé - favorise leur prise en compte. Ces difficultés ne sont plus un sujet confidentiel. Nous avons également vu des étudiants étrangers se tourner vers nous, en se disant que les étudiants ultramarins connaissaient des problèmes proches des leurs, et nous avons pu en inclure dans nos dispositifs d'accompagnement. Ceux-ci ont été perçus comme un moyen pour eux de se rapprocher du dispositif national d'aide aux étudiants.

M. Gérard Poadja. - Merci pour ces travaux et d'avoir convié à cette audition les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Les difficultés des étudiants calédoniens sont bien plus anciennes que la crise sanitaire : elles sont liées à l'éloignement bien sûr, mais aussi à des discriminations dans la société et à la complexité de certaines démarches administratives. La Maison de la Nouvelle-Calédonie apporte une aide précieuse, mais les difficultés demeurent. L'une d'elle, en particulier, tient à ce que les Calédoniens n'ont pas de numéro Insee avant d'en faire la demande, et que tant qu'ils ne l'ont pas obtenu, ce qui prend du temps, leur accès aux services est souvent très compliqué. L'absence de numéro a des effets sur le versement d'aides et de bourses. Ces étudiants ont le sentiment d'être des étrangers et, faute d'aide, ils sont parfois contraints de retourner dans leur famille. Il faut impérativement simplifier les procédures et accélérer l'attribution des aides.

Les étudiants calédoniens, ensuite, se voient trop souvent refuser un logement du fait que leur garant n'est pas dans l'Hexagone, alors que les banques sont les mêmes en Nouvelle-Calédonie, par exemple la Société générale ou BNP-Paribas, et que la garantie Visale offre, gratuitement, une caution et une garantie : pourquoi ces refus, qui, en réalité, contrarient la bonne application de la loi ?

Enfin, des Calédoniens, faute d'équipement informatique adéquat, ont dû suivre les cours à distance sur leur téléphone : peut-on envisager une aide pour un équipement informatique adapté ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Merci pour ces travaux et pour votre invitation à cette séquence commune. Je tiens à saluer aussi le président Artano qui une fois de plus permet à la délégation aux outre-mer de traiter des vraies difficultés. Depuis le début de la crise sanitaire, l'équipe de la délégation interministérielle est très présente. Nous avons eu à la solliciter plusieurs fois et nous avons toujours été entendus - je pense en particulier à un étudiant mahorais bloqué en Martinique, pour lequel, après votre intervention, monsieur le délégué, une solution a été trouvée.

Quel bilan faites-vous après un an de crise sanitaire ? Votre délégation a-t-elle disposé des moyens de coordination ? Quelles préconisations feriez-vous pour l'après-crise ? Des étudiants se heurtent à l'exigence d'un motif impérieux pour être autorisés à se déplacer entre Mayotte et La Réunion : vous saisissent-ils ? Quelles solutions vous paraissent possibles ? Il est déjà difficile d'obtenir un stage depuis Mayotte, alors si l'on est empêché de se déplacer, c'est très handicapant.

J'aimerais également évoquer les perspectives de retour pour les étudiants diplômés. Certains de nos territoires souffrent d'un manque d'ingénierie. La solution passe par le retour d'étudiants formés : comment pensez-vous qu'il faille agir ? Chaque année, l'examen de la loi de finances est l'occasion de rappeler que les crédits sont sous-consommés dans les outre-mer, faute d'ingénierie pour monter des projets : votre délégation réfléchit-elle aux façons de faire mieux ? Quelles sont les pistes ? Comment avancer ? Quelles recommandations pourrions-nous formuler ?

M. Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer. - Il existe des dispositifs de coordination entre les régimes de sécurité sociale, qui diffèrent d'un territoire à l'autre : cette coordination peut-elle être étendue pour éviter des ruptures de prise en charge lors de l'arrivée en métropole ? Par ailleurs, la crise sanitaire a souligné les difficultés psychologiques rencontrées par les étudiants ultramarins : avez-vous un dispositif dédié, une prise en charge psychologique renforcée ?

Mme Micheline Jacques. - Je veux souligner le cas des élèves qui, après le collège, sont envoyés en métropole pour les années de lycée faute d'établissement sur place et sont hébergés chez des parents ou amis de la famille. Ayant passé le bac dans l'Hexagone, ils ne sont donc pas considérés ensuite comme des étudiants ultramarins. Je pense aussi à deux mineurs qui n'ont pas pu rentrer à Saint-Barthélemy : ils sont restés bloqués à l'aéroport du fait de ce qui a été considéré comme un défaut de motif impérieux, ce qui a généré beaucoup d'angoisse pour les familles, avant qu'une solution ne soit trouvée. Il y aurait une soixantaine d'étudiants mineurs, les suivez-vous de plus près ?

S'agissant du manque d'ingénierie, ensuite, nous nous interrogeons sur la représentativité des ultramarins dans les services de l'État outre-mer : on y voit beaucoup d'agents venus de l'Hexagone, peu d'ultramarins : pourquoi ne pas les intégrer davantage comme stagiaires et les former, ce qui les inciterait davantage à revenir après leurs études ?

Mme Vivette Lopez. - Merci pour cette réunion importante. Le Gouvernement a pris l'initiative du dispositif « un jeune, une solution » : les ultramarins y ont-ils une place particulière ? La crise sanitaire a privé bien des étudiants des revenus qu'ils tiraient de « petits boulots », qui sont souvent une nécessité pour les étudiants ultramarins : cette crise ne va-t-elle pas décourager des étudiants de venir faire leurs études dans l'Hexagone ?

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Une question sur les étudiants qui décrochent, un phénomène toujours difficilement vécu : savez-vous combien d'étudiants ultramarins ont été concernés l'an passé ? Les chiffres sont difficiles à obtenir sur le plan national. Quelles relations avez-vous, ensuite, avec les grands opérateurs comme le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) et l'Assurance maladie ? Y avez-vous des interlocuteurs dédiés aux étudiants ultramarins, qui seraient une ressource vers laquelle se tourner ?

M. Pierre Ouzoulias, président. - Vous dites que des étudiants étrangers sont venus vers vous. Nos collègues ultramarins ont en effet un rôle essentiel dans la présence française dans le monde ; pourrions-nous organiser une relation entre les étudiants ultramarins et ces étudiants étrangers, pour conforter une dimension essentielle de notre rayonnement dans le monde et de la diffusion d'un mode de pensée auquel nous sommes très attachés ?

M. Maël Disa. - Les problèmes liés au défaut d'immatriculation des étudiants venus des collectivités d'outre-mer (la question ne se pose pas pour les départements) existent effectivement depuis longtemps. Nous avons trouvé une solution avec la Polynésie française, ce qui devrait faciliter l'issue des difficultés que nous rencontrons avec les autres collectivités concernées. Avec la Nouvelle-Calédonie, le problème technique est lié aux interfaces numériques. J'espère qu'il sera réglé bientôt. Dans l'intervalle, nous sommes en lien avec l'Assurance maladie, nous trouvons des solutions.

Le logement est un réel problème ; pour y avoir été confronté personnellement il y a dix ans comme étudiant ultramarin, je sais qu'il ne date pas d'aujourd'hui et qu'il est structurel. Nous butons sur le fait que dans un marché tendu, le propriétaire choisit son locataire et qu'il est toujours difficile d'établir s'il y a discrimination. Les enquêtes d'opinion montrent que pour les parents, l'accès au logement est le premier frein à la mobilité des étudiants. C'est très important, parce que faute de pouvoir se loger en métropole, des étudiants choisissent une filière locale par défaut. Ils sont donc conduits à s'orienter non pas en raison de leurs aspirations, mais pour rester sur place, ce qui limite vraiment leur choix.

Avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministère du logement, nous allons lancer dès juin une plateforme regroupant l'offre de logements universitaires, privés, et sociaux, en lien avec le Cnous et le Crous de Paris. Actuellement, les étudiants ultramarins peuvent demander via Parcoursup un logement au Crous mais faute d'établissement sur place, seuls 4 400 en obtiennent, soit un étudiant ultramarin sur dix présents en métropole. Les autres se logent dans le parc classique. Nous avons négocié avec des bailleurs pour attribuer 4 000 réservations de logements en priorité aux étudiants ultramarins dans les neufs villes que je vous ai citées. Nous souhaitons cibler ces réservations sur les primo-arrivants. Cette plateforme a vocation à s'étendre, pour que l'hébergement ne soit plus un problème. Notre objectif est que ces étudiants aient signé leur bail avant leur départ pour la métropole.

L'équipement informatique est une difficulté réelle, en particulier pour suivre les cours. S'il n'y a pas d'aide spécifique dans ce domaine pour les étudiants ultramarins, l'ensemble des aides sociales du Crous leur est accessible pour l'achat de biens informatiques.

L'exigence d'un motif impérieux pour retourner dans sa famille, en place depuis le deuxième confinement, laisse une marge d'appréciation à la police de l'aéroport, ce qui a posé des problèmes épineux. La difficulté a été réglée, grâce à l'intervention du ministre des outre-mer Sébastien Lecornu : le retour dans le territoire d'origine, notamment pour effectuer un stage, a été validé comme motif impérieux. Nous avons été sollicités, il a parfois été question de défaut de justificatifs, mais la doctrine semble désormais bien établie.

Le retour des diplômés dans les territoires ultramarins est un vrai sujet. Cependant, vaut-il mieux un retour juste après le diplôme, ou est-il préférable qu'il ait lieu plus tard ? Je crois qu'il y a deux batailles : le retour des forces vives que sont les jeunes diplômés, et celui des forces vives plus établies, donc des professionnels qui ont déjà une bonne expérience. S'il fallait définir une priorité, je pense qu'il vaudrait mieux commencer par les diplômés plus confirmés, et laisser les plus jeunes consolider leur expérience et enrichir leur CV dans l'Hexagone ou à l'étranger. Nous pouvons accompagner le mouvement par un suivi personnalisé, qui prépare un retour, y compris dans une perspective de long terme, lorsque la personne a acquis suffisamment d'expérience. Nous allons collaborer avec les centres d'information jeunesse pour faciliter l'accès à un coach, un mentor, qui puisse suivre l'étudiant pendant son cursus et accompagne son projet de retour dans la durée. Ce qui compte surtout, c'est que le retour ne se fasse pas par défaut, d'autant que la situation de l'emploi n'est pas toujours bonne dans les outre-mer. J'attire votre attention sur le fait qu'un projet de retour se construit dès le choix de la filière, qui détermine la possibilité de retour - pour prendre mon exemple personnel, je me suis formé comme ingénieur chimiste, donc j'avais la quasi-certitude que je n'exercerais pas mes compétences en Guadeloupe. C'est pourquoi il faut informer les jeunes sur les débouchés des filières et sur les perspectives d'embauche locale. J'ai constaté, au vu du nombre d'emplois non pourvus outre-mer, que l'offre et la demande d'emplois sont mal corrélées. Il faut donc y travailler.

La souffrance psychologique des étudiants ultramarins est importante. On dit qu'un étudiant ultramarin sur deux arrête son cursus en première année : c'est un chiffre qui circule quoiqu'il n'ait pas été vérifié - il indique que l'accueil, l'intégration, l'accompagnement et l'aide des associations sont déterminants, il faut les renforcer. C'est le but de la plateforme « Outre-mer solidaires » que nous avons mise en place pour fournir un cadre d'entraide.

Il faut prendre le problème des étudiants ultramarins à la source, dès l'orientation et le choix de la filière, puis dès l'arrivée de ces étudiants en métropole les mettre en relation, par exemple, avec les référents du Crous et avec le réseau associatif de l'Hexagone, mais aussi encourager le mentorat. Le dispositif du « chèque psy» est également un recours.

Les étudiants mineurs ne sont pas comptabilisés dans l'enseignement supérieur. Nous avons organisé le retour de mineurs ultramarins qui étaient restés dans l'Hexagone, avec la « quatorzaine » dans les territoires. D'autres jeunes ne sont pas rentrés dans leurs familles, parfois en vertu d'un choix solidaire tenant à la volonté d'éviter de contaminer leurs proches. Il est difficile de préciser combien ont été concernés, mais il y a bien un sujet particulier : 14 ou 15 ans, c'est bien jeune pour être privé de rentrer dans sa famille.

Le décrochage est une réalité, des actions sont mises en place ; 13 universités franciliennes, en lien avec les rectorats concernés, ont déposé un projet dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) pour améliorer l'accueil des étudiants ultramarins et leur permettre, quand ils ne poursuivent pas leur cursus, de rentrer tout en suivant un diplôme universitaire (DU) pour faciliter leur insertion sur le marché local du travail. Avec cette formule, l'étudiant qui rentre peut capitaliser son séjour en métropole même s'il n'a duré qu'une année ; c'est une expérimentation à étendre sur tout le territoire.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Comment fonctionnera la plateforme pour la réservation de logements aux étudiants ultramarins ? La réservation et la caution seront-elles effectives ?

M. Maël Disa. - Actuellement, les étudiants ultramarins peuvent faire une demande de logement au Crous sur Parcoursup - il y a 4 400 affectations pour 10 000 demandes. Notre but, avec la plateforme, c'est que les étudiants ultramarins puissent aussi accéder à une offre de logements réservés dans le parc des Crous, dans le parc social et dans le parc privé. Nous avons négocié avec des bailleurs pour réserver quelque 4 000 logements, où la garantie Visale sera systématiquement activée. Cela sécurisera les transactions et le problème de caution sera réglé en amont. Nous suivrons bien mieux la situation des étudiants. Cette plateforme permettra d'améliorer la communication avec eux ; ce sera un progrès par rapport à la situation actuelle. Nous voulons d'ailleurs monter en capacité : pourquoi ne pas ouvrir cette plateforme à d'autres publics ? Elle pourrait ainsi tenir lieu d'expérimentation pilote. Un tel outil pourrait être utile, par exemple, aux étudiants de province confrontés à la difficulté de se loger en Île-de-France.

M. Gérard Poadja. - Quelle est la prise en charge des étudiants de Nouvelle-Calédonie sur le plan social ? Je ne comprends pas quel est le problème qui se pose concrètement pour la Nouvelle-Calédonie alors que ces difficultés ont été réglées pour les étudiants polynésiens: merci de préciser votre réponse.

M. Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer. - Y a-t-il un dispositif dédié aux étudiants ultramarins sur le plan psychologique ?

M. Maël Disa. - Le point de blocage en Nouvelle-Calédonie se situe autour du partage de données de l'immatriculation à la naissance sur le territoire calédonien. Je propose de vous apporter une réponse technique et précise.

M. Gérard Poadja. - Nous connaissons les données du problème, je ne comprends pas pourquoi nous en sommes encore à ce stade, après tant d'années !

M. Maël Disa. - Je vous répondrai le plus précisément possible. Je vous propose d'organiser une réunion de travail sur ce sujet lorsque vous serez à Paris.

S'agissant du soutien psychologique, les étudiants ultramarins ont accès au « chèque psy», ainsi qu'aux ressources du réseau associatif.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Le « retour au pays » concerne également les jeunes des territoires ruraux. Nous avons eu un échange très éclairant sur ce sujet avec une association qui se pose des questions similaires sur l'apport à leur territoire des diplômés qu'ils accompagnent.

M. Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer. - J'espère que cette initiative, dont je remercie une nouvelle fois la mission d'information, en annonce d'autres, car les problèmes ultramarins appellent une approche transversale...

M. Pierre Ouzoulias, président. - Merci à tous.

La réunion est close à 10 h 20

- Présidence de M. Pierre Ouzoulias, président -

La réunion est ouverte à 11 heures.

Thématiques territoriales - Audition de Mme Catherine Vautrin, présidente de l'Association des villes universitaires (AVUF) et M. François Rio, délégué général, Mme Solange Berlier, vice-présidente de la Loire, et M. Alexandre Grenot, vice-président du département de la Charente-Maritime, représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF), MM. Sébastien Ragot, maire de Givry (Saône et Loire), vice-président en charge de l'enseignement supérieur du Grand Chalon, représentant de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), Paul Hermelin, auteur du rapport « Rééquilibrer le développement de nos territoires » (Institut Montaigne) et Mickaël Vaillant, conseiller chargé de l'enseignement supérieur, Régions de France

M. Pierre Ouzoulias, président. - Bonjour. Notre audition, consacrée aux thématiques territoriales est ouverte à nos collègues appartenant à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Pour rappel, notre mission d'information, mise en place à l'initiative du groupe Union centriste au Sénat, a désigné comme rapporteur M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture.

Cette mission d'information poursuit plusieurs objectifs : réaliser un bilan des conditions de la vie étudiante pendant la crise pandémique, proposer pour l'avenir des dispositifs permettant de mieux faire face à des crises similaires, et enfin conduire une réflexion prospective sur les conditions de la vie étudiante. Cette réflexion doit s'articuler avec les problématiques de l'aménagement du territoire notamment. Il nous a semblé pertinent d'entendre des représentants des collectivités territoriales sur ce sujet, afin de comprendre précisément l'investissement des collectivités en la matière et de faire le point sur les mesures mises en oeuvre pour aider les étudiants. Comme en témoigne notre propre expérience, la relation entre les élus et les étudiants qui habitent leur commune n'est pas toujours aisée. Il importe donc que nous puissions travailler sur cet aspect.

Nous avons réuni pour cette table ronde l'Association des villes universitaires de France (AVUF), représentée par sa présidente, Mme Catherine Vautrin, et son délégué général M. François Rio ; l'Association des départements de France (ADF), représentée par Mme Solange Berlier, vice-présidente du département de la Loire et M. Alexandre Grenot, vice-président du département de la Charente-Maritime ; l'Association des communautés de France (AdCF), représentée par M. Sébastien Ragot, maire de Givry en Saône-et-Loire et vice-président en charge de l'enseignement supérieur du Grand Chalon ; et Régions de France, représentée par M. Mickaël Vaillant, conseiller chargé de l'enseignement supérieur. Enfin, M. Paul Hermelin nous présentera le rapport « Rééquilibrer le développement de nos territoires », qu'il a réalisé dans le cadre de l'Institut Montaigne.

Au cours de toutes nos précédentes auditions, il nous est apparu qu'une thématique avait été délaissée en dépit des différentes réformes de l'enseignement supérieur : le rôle des établissements universitaires dans l'aménagement du territoire et la façon dont les collectivités peuvent travailler avec eux dans cette optique. Les débats politiques portent principalement la place de nos universités dans la concurrence internationale, au détriment des problématiques relatives à l'aménagement du territoire, auxquelles les universités peuvent pourtant largement contribuer.

Le rapporteur va vous poser un certain nombre de questions, auxquelles vous serez invités à répondre.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Merci, monsieur le président. Le président a souligné la difficulté, pour les collectivités territoriales, de connaître la population étudiante présente sur leur territoire : nombre, études suivies, problématiques, etc. Comment abordez-vous cette question ?

Pouvez-vous par ailleurs nous fournir quelques indications sur les dispositifs qui existaient avant la crise en matière d'aides directes, de services proposés aux étudiants ou de soutien aux associations étudiantes ou initiatives citoyennes ? Que représente votre action à destination des étudiants post-baccalauréat en termes budgétaires ?

En réaction à la crise, l'État s'est beaucoup tourné vers les collectivités, notamment pour accompagner les étudiants. Pourriez-vous nous présenter un retour d'expérience sur cette année écoulée, en détaillant les initiatives que vous avez prises et les difficultés que vous avez rencontrées pour répondre aux besoins des étudiants, plus particulièrement d'un point de vue budgétaire ? Ces difficultés peuvent être relatives, par exemple, à l'imbrication et la coordination d'acteurs avec lesquels vous n'êtes pas toujours en relation sur une base régulière. Je pense notamment aux Crous. Avez-vous perçu une fluidité dans ces relations au cours de cette période ?

S'agissant de l'impact, en termes d'aménagement du territoire, de l'implantation des établissements d'enseignement supérieur, on parle moins de ce lien aujourd'hui qu'il y a quelques années. J'ai été très marqué, au début des années 2000, par le plan Université 2000 qui avait été un véritable outil d'aménagement du territoire. Les collectivités s'étaient alors saisies de cette problématique. Quelle vision avez-vous de l'apport des établissements d'enseignement supérieur à leur territoire sur les plans économique et social? Jusqu'où pourriez-vous aller pour relancer cette réflexion, afin de garantir notamment une meilleure répartition de ces établissements sur l'ensemble du territoire national ?

Mme Catherine Vautrin, présidente de l'Association des villes universitaires de France. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de me donner la parole. L'Association des villes universitaires de France regroupe 99 collectivités, dont des villes universitaires de très grande taille (à commencer par Paris) et des villes de plus petite taille.

En ce qui concerne la capacité des collectivités locales de connaître la population étudiante présente sur le territoire, nous pouvons nous appuyer sur certains outils, comme les schémas locaux d'enseignement supérieur et de recherche ou de développement universitaire. Certaines universités ont réalisé des diagnostics qui permettent d'alimenter les observatoires locaux. La loi Fioraso1(*) n'a cependant assigné aux établissements ou regroupements qu'une une simple obligation de consultation des collectivités. Il aurait été souhaitable d'aller plus loin. L'article L. 718-4 du code de l'éducation2(*) pourrait servir de support à une concertation approfondie entre les collectivités et les établissements d'enseignement supérieur. Malheureusement, les commissions territoriales ne sont pratiquement jamais réunies. Beaucoup de collectivités ont néanmoins mis en place des services de vie étudiante et créé des postes de chargés de mission qui permettent d'avoir une connaissance plus ou moins empirique de la population étudiante sur leur territoire.

Indépendamment du covid et avant la crise sanitaire, nos collectivités ont mis en place des dispositifs pour les étudiants installés sur leur territoire. Peu de communes ont déployé des aides directes dédiées spécifiquement aux étudiants, ces dernières étant destinées à la jeunesse dans sa globalité. La ville de Dunkerque, par exemple, a mis en place un revenu minimum étudiant ainsi que le dispositif « Parcours de réussite - aide aux études », dont l'objectif est d'aider les jeunes de moins de 30 ans habitant la commune depuis au moins deux ans dans la réussite de leurs études supérieures ou d'études spécifiques, via une aide de 450 euros par an. La commune de Valence a quant à elle élaboré un contrat municipal étudiant, au terme duquel les étudiants perçoivent une aide financière de la municipalité et s'engagent, en contrepartie, à être assidus aux cours et participer à une ou plusieurs missions au sein de la ville, de l'agglomération ou d'une association. En 2019, 184 étudiants ont bénéficié de ce contrat et perçu 1 360 euros en moyenne. Un accompagnement est également proposé aux étudiants de troisième cycle, sous forme d'allocation doctorale ou de bourse de recherche. Nous accueillons également des doctorants en convention CIFRE3(*)Malheureusement, nos collectivités peuvent rarement titulariser les jeunes docteurs formés au sein de leurs effectifs, puisqu'elles ne bénéficient pas de l'aide du crédit impôt recherche, qui est réservé au secteur privé.

En ce qui concerne les services proposés à titre gratuit ou à tarif réduit, et plus particulièrement de la réduction des tarifs de transports en commun, une enquête de 2018 menée par l'AVUF a révélé que nos établissements publics de coopération intercommunaux (EPCI) consacraient un budget significatif à la prise en charge de réductions sur les abonnements mensuels. Ces réductions varient de 16 à 80 % selon les villes, avec une moyenne de 50 %. D'autres communes ont instauré des tarifs plus sociaux pour certains publics, comme ceux qui bénéficient de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou qui sont éligibles aux échelons les plus élevés des bourses sur critères sociaux. En matière de santé, l'AVUF vient de lancer une démarche d'observation territoriale, à la fois sur l'état de santé des étudiants et sur toutes les actions mises en oeuvre par les collectivités pour faciliter l'accès au soin et lutter contre les comportements à risque et conduites addictives. Un premier webinaire s'est tenu le 26 mars sur le sujet et nous travaillons à l'élaboration d'un projet territorial de santé mentale. S'agissant de l'insertion professionnelle, nous soutenons la professionnalisation des étudiants en facilitant l'accès aux stages.

Depuis le début de la crise, nous avons mis en place dans certaines villes des actions spécifiques. Nos missions locales reçoivent en outre un grand nombre d'étudiants décrocheurs. Bien qu'ils aient souvent un statut d'étudiant jusqu'à la fin de l'année, ils ne se considèrent plus comme tels. Nos missions locales les aident à se projeter dans un avenir professionnel.

En ce qui concerne l'alimentation, je souhaiterais souligner la différence entre les villes universitaires de grande taille et celles qui comptent moins de 3?000 étudiants. Dans ces dernières, les Crous considèrent qu'il n'est pas possible d'installer de restaurant universitaire. Les communes mettent alors en place différents types d'approches, avec des conventionnements, restaurants municipaux, cantines d'établissement d'enseignement secondaire, etc. Nos collectivités sont également très engagées dans le soutien à la vie associative et aux initiatives citoyennes, avec la mise à disposition de locaux et l'organisation d'événements. L'AVUF mène ainsi avec plus de 25 villes l'initiative « Nuit de l'étudiant du monde, » une manifestation d'hospitalité à l'attention particulière des étudiants internationaux qui ont choisi la France pour étudier. Je souhaite également citer l'initiative de concertation menée par la ville de Toulouse, qui a créé un Conseil toulousain de la Vie étudiante, réunissant 60 étudiants volontaires pour s'investir sur des thématiques en lien avec la vie étudiante.

D'autres dispositifs sont destinés à améliorer les conditions de vie des étudiants. En matière de logement, la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU) vous a présenté il y a deux semaines une démarche commune d'observatoires territoriaux du logement étudiant. Je souhaite rappeler le rôle majeur des collectivités en matière de logement étudiant, qu'il s'agisse des démarches que les villes peuvent mener vis-à-vis de leurs offices, de garanties d'emprunt qui peuvent être accordées pour la construction de résidences étudiantes, ou encore des plans locaux d'urbanisme.

Je souhaite vous parler de notre récente initiative, le label « qualité » pour les ?résidences étudiantes?, qui a pour objectif de différencier aux yeux des étudiants et de leur famille les résidences qui font le plus d'efforts de qualité dans les logements et la vie sociale. L'objectif est de cibler les résidences étudiantes privées et conventionnées ouvertes à tous. À la différence des résidences du Crous et des grandes écoles, qui font l'objet d'une attribution administrée, la majorité de ces résidences étudiantes dans nos villes sont réservées à distance par les étudiants et leurs parents, uniquement au regard de critères comme le prix ou la localisation approximative. Ces derniers font ainsi parfois face à de grandes déconvenues lors de leur arrivée sur les lieux. Ce travail permet également aux villes universitaires concernées de travailler sur la qualité de l'offre. Ce label national est décliné localement, sur chaque agglomération volontaire.

Vous souhaitiez également savoir comment les étudiants sont informés des aides et services dans nos villes. Dans l'immense majorité des cas, nos services de communication ont mis en place une communication digitale sur les réseaux sociaux.

S'agissant du budget moyen consacré à la vie étudiante par les collectivités que nous représentons, notre étude de 2012 faisait apparaître un budget de 0,17 à 3,55 euros par étudiant. Ceci ne prend pas en compte les moyens humains, les bonifications sur les transports en commun et les déficits de recettes sur les infrastructures sportives et culturelles.

Sur une collectivité comme la mienne, le budget de fonctionnement s'établit à 1 million d'euros par an et le budget investissement repose sur des plans pluriannuels qui dépassent chaque année 7 à 8 millions d'euros.

En matière d'aménagement du territoire, je souhaite insister sur deux idées qui nous tiennent particulièrement à coeur. L'enseignement supérieur n'est pas un outil d'aménagement du territoire mais il y participe, a fortiori parce qu'il s'agit d'un outil d'égalité des chances. Dans certains départements, c'est la présence sur place d'un IUT qui permet aux jeunes d'avoir accès à l'enseignement supérieur. Il s'agit donc pour nous d'un enjeu majeur. C'est la raison pour laquelle nous demeurons très vigilants face au phénomène récent de concentration de l'enseignement supérieur français dans e grandes métropoles. Pour certaines villes comme Lyon ou Toulouse, la concentration de la population étudiante pose des difficultés en termes de transport ou de logement ; en parallèle, le lien avec d'autres territoires de proximité permet d'offrir une meilleure qualité d'accueil. Enfin, je vous conseille la lecture d'une étude datant de mars 2021 réalisée par l'université de Reims-Champagne-Ardennes : «?Quel impact socioéconomique pour le territoire ??».

Mme Solange Berlier, vice-présidente du département de la Loire, Association des départements de France. - Le département a vocation à s'occuper des tout petits jusqu'aux jeunes de 18 ans. La politique jeunesse des départements est essentiellement axée sur les collégiens. Nous nous occupons également des apprentis.

Alors que les départements n'avaient jusqu'à présent qu'une connaissance restreinte du monde étudiant, la crise sanitaire a fait émerger les problématiques relatives à la vie étudiante. Je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions, mais souhaiterais cependant vous parler de ce que nous avons mis en place depuis le début de la crise.

Nous avons ainsi travaillé de concert avec les villes, le Crous et de nombreux partenaires qui nous ont permis de mieux appréhender les réalités du monde étudiant. Très tôt, nous nous sommes rapprochés des associations caritatives pour garantir le maintien du soutien alimentaire et favoriser l'achat de produits d'hygiène. Le département de la Loire compte de nombreuses associations caritatives. Il a particulièrement soutenu celles qui étaient tournées vers le public étudiant. Nous nous sommes ainsi rapprochés de la Fédération des associations Saint-Etienne Étudiants et avons notamment attribué une subvention de 10?000 euros à une épicerie solidaire. Pour les budgets 2021, nous avons doublé le montant destiné aux associations caritatives.

La Loire a souhaité mettre l'accent sur trois grands enjeux : l'isolement des étudiants dans une période d'enseignement majoritairement conduit à distance, la fracture numérique et l'itinérance.

S'agissant de l'isolement des étudiants, il s'agit de repérer les situations les plus fragiles. Le département est plutôt pauvre ; nous avons connaissance de nombreuses difficultés concernant le logement, avec notamment des étudiants contraints de vivre chez d'autres jeunes, car ils ne disposent pas de leur propre logement. Dans ce contexte, nous avons créé un groupe de pairs composé de 15 volontaires formés pour travailler dans la prévention des conduites à risque, la santé mentale et la connaissance des acteurs de terrain et des bailleurs sociaux. Ces étudiants ont été recrutés dans le cadre du service civique sur les territoires de Saint-Etienne, Roanne et Firminy par l'association Unicité, chargée de l'emploi, du suivi et de la formation. Nous nous appuyons également sur de nombreuses associations spécialisées dans la prévention du suicide et proposant des écoutes téléphoniques, ainsi que sur des institutions de santé et d'accueil ou encore la Maison des Adolescents, avec laquelle nous travaillons régulièrement.

Pour faire face au deuxième enjeu, celui de la fracture numérique, nous avons cherché à faciliter l'accès des étudiants à un ordinateur portable. Une enveloppe de 55?000 euros a été attribuée à cette fin à l'association d'insertion Envie pour financer l'acquisition de 150 à 200 ordinateurs portables. Un travail de collaboration et de repérage a par la suite été conduit entre les services civiques et cette association pour garantir la bonne orientation des étudiants.

Enfin, l'itinérance est un enjeu essentiel. La situation actuelle a démontré la nécessité de formules itinérantes dans la distribution des denrées alimentaires et produits de première nécessité. Il s'agit une fois encore d'aller vers les étudiants, a fortiori dans le milieu rural. Dans cet esprit, nous étudions actuellement la question du financement d'un véhicule mutualisé entre différentes associations.

Les associations caritatives ont donc été placées au coeur du dispositif, dans une logique de coopération avec le département. Le rôle du bénévolat s'est par ailleurs révélé essentiel. Lors du premier confinement, la fréquentation des associations caritatives par la population étudiante a été multipliée par 6 dans la Loire. Elle s'est depuis stabilisée. Certaines associations se sont en outre portées volontaires pour accompagner les étudiants dans leur projet d'orientation.

Il nous semble très important de nouer des partenariats avec l'université et l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur présents sur notre territoire. D'un point de vue pratique, nous avons accompagné le déménagement de sites universitaires majeurs comme la faculté de médecine et la faculté des sciences. Ces opérations sont stratégiques pour le département, tant leur impact sur la vie de la cité est important. Nous créons ainsi de nouveaux lieux de vie, renouvelons des territoires, transformons un quartier avec des répercussions sur les logements, les commerces et les transports. De plus, le département de la Loire a souhaité depuis de nombreuses années accompagner les principaux projets immobiliers universitaires.

M. Sébastien Ragot, maire de Givry (Saône et Loire), vice-président en charge de l'enseignement supérieur du Grand Chalon, représentant de l'Assemblée des communautés de France (AdCF). - Je suis très heureux, au nom de l'AdCF et de son président, Sébastien Martin, d'avoir l'occasion de m'exprimer sur les sujets de la vie étudiante et de l'enseignement supérieur qui sont au coeur des préoccupations de nos agglomérations.

Je suis maire de Givry, une commune de 3?500 habitants située en deuxième couronne de l'agglomération du Grand Chalon, qui compte 120?000 habitants. Nous accueillons, sur notre territoire, une population de 2?300 étudiants répartis sur 19 établissements d''enseignement supérieur, qui délivrent une cinquantaine de formations. Les questions relatives à l'enseignement supérieur et à la vie étudiante sont depuis longtemps au coeur de nos préoccupations, comme en atteste l'existence d'une délégation de notre association consacrée spécifiquement à ce sujet. Nous conduisons en outre un certain nombre d'actions de façon permanente, dont l'importance et les enjeux ont été soulignés par le contexte covid.

D'un point de vue juridique, la compétence vie étudiante n'est une compétence obligatoire que pour les métropoles, chargées d'apporter une «?aide aux établissements d'enseignement supérieur?». Pour toutes les autres agglomérations, il s'agit d'une compétence facultative ; elles s'en saisissent de façon variable, en fonction de leurs orientations.

S'agissant de l'agglomération du Grand Chalon, nous nous sommes saisis de cette compétence, pour laquelle nous avons une délégation. Les questions générales relatives à l'enseignement supérieur ne sont pas abordées de manière indépendante. Nous les considérons comme des éléments de développement du territoire, intégrés au développement économique, à l'attractivité et au lien social dans le territoire. C'est dans ce cadre que nous avons l'habitude de mettre en place des lieux de rencontre entre tous les acteurs de l'enseignement supérieur. Nous avons pour habitude de réunir périodiquement une conférence des chefs d'établissement et travaillons de façon continue avec des acteurs tels que le Crous. L'agglomération se considère comme un carrefour de l'ensemble de ces problématiques d'enseignement et un relais entre les différents acteurs, c'est-à-dire les établissements d'enseignement, les institutions accompagnant les étudiants et la population étudiante elle-même.

Cette position de carrefour est apparue, dans le contexte sanitaire, comme absolument capitale. Nous sommes ainsi l'interlocuteur naturel pour faire redescendre les informations et remonter les besoins des étudiants. Cela s'est manifesté de manière immédiate au début de la crise pour de nombreuses agglomérations. La ville de La Rochelle a mis en place des aides ponctuelles à destination des étudiants. Les agglomérations ont immédiatement identifié un besoin de distribution de masques et ont les efforts en ce sens. Un besoin important lié à la fracture numérique est également apparu, avec de plus grandes difficultés de nos étudiants en termes d'équipements. Les agglomérations ont ainsi été amenées à déployer des dispositifs pour réduire cette fracture numérique. Par exemple, la métropole de Lyon a débloqué une enveloppe de 500?000 euros pour lutter contre la précarité numérique. Au niveau du Grand Chalon, nous avons identifié cette difficulté et avons pu entrer en contact avec des associations caritatives pour qu'elles mettent à disposition des étudiants, par notre entremise, des dispositifs informatiques.

Ce rôle de carrefour entre les acteurs et de relais pour l'expression des besoins nous a également amenés à mobiliser nos propres compétences, en réponse aux demandes qui étaient manifestées. L'agglomération a ainsi pu mettre à disposition des étudiants une épicerie sociale, qui a bien fonctionné et a permis d'intégrer des étudiants en difficulté dans le dispositif. La question des mobilités a quant à elle a conduit les métropoles à intervenir. Celle de Rennes a ainsi mis en place des baisses de tarification, tandis que la métropole de Bordeaux a organisé des prêts de vélos. Dans notre cas, nous avons continué à mobiliser les dispositifs d'abonnement récurrents préexistants à la crise. Nous avons en outre pu nous tourner vers des partenaires, comme les associations caritatives, afin de les mettre en lien avec les étudiants. Ainsi, dans le domaine alimentaire, nous avons travaillé avec les Restos du coeur pour mettre à disposition des repas. Plus récemment, nous avons également créé un dispositif visant à récupérer les invendus au profit des étudiants. Malheureusement, toutes ces mesures répondent à un besoin des étudiants. Enfin, l'ouverture des repas à 1 euro du Crous a été particulièrement bienvenue. Ceux-ci rencontrent un succès considérable. Nous distribuons autant de repas à 1 euro dans le contexte de la crise sanitaire que dans le fonctionnement normal.

En ce qui concerne la vie étudiante, nous avons une population importante d'étudiants dans les métropoles, à Lyon, Dijon et Paris, mais aussi ailleurs sur le territoire. Leur situation est donc très différenciée. Mme Vautrin évoquait les difficultés rencontrées par les étudiants dans les grandes métropoles. En tant que maire d'une petite commune, je m'aperçois que ces étudiants se trouvent très éloignés de leur centre d'enseignement, puisqu'ils sont soit très isolés dans les grandes métropoles, soit de retour chez leurs parents. Nous observons des phénomènes importants de décrochage d'étudiants de première année qui sont totalement isolés. La situation est très différente pour les étudiants sur le territoire, où une proximité géographique et une intégration dans le maillage familial et dans les dispositifs existants ont permis une moindre distanciation, donc une moindre perte de repères. À l'avenir, il doit s'agir d'un axe de réflexion dans le déploiement de nos actions. Nous nous apercevons en effet que certains de nos étudiants peuvent être perdus et en demande de visibilité. Tel est le sens de ce que nous essayons de déployer sur le Grand Chalon, en intégrant la politique de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante à l'aménagement du territoire et au développement économique, pour offrir des palettes de formations en lien avec l'emploi et le tissu économique. Nous travaillons également sur l'ouverture des infrastructures, qu'elles soient culturelles ou sportives, à nos étudiants. Ce maillage et cette proximité participent des réponses que nous pouvons apporter à nos étudiants, qui sont très perturbés par ce contexte.

M. Mickaël Vaillant, conseiller chargé de l'enseignement supérieur, Régions de France. - Bonjour. Merci monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs de me permettre de me saisir de ce sujet, à l'évidence très important, qui doit nous mobiliser tous.

S'agissant d'abord de l'impact de la crise, le constat est largement partagé. La difficulté est celle des statistiques. Nous ne sommes pas suffisamment capables d'objectiver par des statistiques et des enquêtes précises l'impact de cette crise pour adapter au mieux nos actions et nos outils. En effet, nous ne disposons pas de suivi social des étudiants ou des doctorants, et percevons le désarroi d'étudiants dispersés aux quatre coins du pays. La précarité économique et sociale et la détresse psychologique des étudiants, qui touchent tous les milieux sociaux, sont appréhendées mais pas suffisamment mesurées. Nous disposons de quelques grands chiffres, notamment en matière d'insertion. Fin février, nous savions par exemple que nous manquions de 40?000 places d'apprentissage, dont la moitié en Ile-de-France, soit 10 % des apprentis. Nous avons absolument besoin de données sur le décrochage, la progression de la pauvreté, etc. On annonce une augmentation d'un million du nombre de personnes tombées sous le seuil de pauvreté en France, dont un certain nombre d'étudiants certainement. Pour éviter le catastrophisme et adapter au mieux notre action, nous devrons être en mesure d'objectiver ces éléments. Nous aurons également besoin de chiffres sur le taux d'insertion post-crise. Les régions, à l'occasion de la remise à plat de leur schéma régional de l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, travaillent également de concert avec les Crous, afin d'objectiver ces éléments.

En ce qui concerne la mobilisation, parmi les collectivités territoriales, les régions sont les premiers soutiens aux acteurs et aux écosystèmes de la recherche et de l'innovation. En 2019, nous consacrions plus d'un milliard d'euros à l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, soit plus de trois quarts du montant global consacré par les collectivités. Une approche transverse est nécessaire pour apprécier l'effort des régions sur la vie étudiante. Cette intervention en faveur de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation touche aux transferts technologiques, à l'aide immobilière et à l'aide aux chercheurs, dont les bourses doctorales, le soutien à l'innovation et la recherche, ou encore la promotion de la culture scientifique, technique et industrielle4(*) (CSPI). Sur la période 2008-2019, cet effort a été en progression constante, de l'ordre de 34 %. Je rappelle la revendication portée par Régions de France depuis plusieurs années, et que nous avons eu l'occasion de réitérer dans des débats récents : les dépenses et financements en faveur du monde étudiant, des universités et de la recherche sont de réelles dépenses d'investissement, et doivent être considérées comme telles si nous revenions à des règles telles que celles des pactes de Cahors. Sur la question du soutien à la vie étudiante, au titre de l'effort d'un milliard d'euros que j'évoquais, les crédits liés à l'innovation représentent 645 millions d'euros. Les régions consacrent donc environ 400 millions d'euros par an aux opérations immobilières (54 %), à l'aide aux étudiants (30 %), à l'aide au fonctionnement (12 %) et à l'équipement des locaux (5 %).

En termes de cadre stratégique, notre intervention en faveur du monde étudiant et des universités est balisée par plusieurs schémas prévus par le législateur et la loi NOTRe, qui permettent aux régions d'exercer le rôle de chef de file en matière de développement économique, qui est plutôt de facto que de jure en matière de soutien à la recherche et à l'innovation. Ces schémas sont le schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SDREII), le schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (SRESRI) ainsi que les stratégies de spécialisation. Depuis une dizaine d'années, à l'initiative de la Commission européenne, ces dernières ont permis aux régions de réfléchir à leurs atouts et aux secteurs et filières sur lesquels elles ont un véritable potentiel de développement de la recherche, de développement économique et d'emploi. En ce qui concerne les outils financiers, il s'agit des dispositifs de droit commun, des contrats de projet État-région (qui consacrent, à parité, un peu plus de 3 milliards d'euros au soutien à l'enseignement supérieur, à la recherche et à l'innovation), ou encore du plan d'investissement dans les compétences (PIC), doté de 14 milliards d'euros et lancé dans le cadre du grand plan d'investissement. Celui-ci se décline en programmes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC). 52 % des crédits du PIC sont déclinés dans les programmes et seront articulés avec les crédits des plans régionaux de développement de l'information et de l'orientation professionnelle. Ce levier essentiel est aujourd'hui mobilisé par les régions pour intervenir en soutien des étudiants dans leur insertion professionnelle.

S'agissant des mesures d'urgence mises en oeuvre dans le contexte de la crise sanitaire, nous avons réalisé un dossier complet que nous pourrons vous transmettre. Ces mesures, qu'elles prennent la forme d'aides directes ou qu'elles soient mises en oeuvre de concert avec les universités et les Crous, couvrent toutes les thématiques qui ont déjà été évoquées : l'aide alimentaire, le soutien aux loyers, la santé, la fracture numérique, l'insertion professionnelle, les enjeux de mobilité ou encore la prolongation des contrats doctoraux, en concertation avec le ministère de la recherche. Par exemple, la région Bourgogne-France-Comté a porté à 500?000 euros le fonds d'urgence de soutien aux étudiants avec le Crous. Hors crise, la région consacre plus de 2 millions d'euros à l'aide aux établissements pour l'acquisition de matériel numérique, l'amélioration de la qualité de vie étudiante et le soutien aux initiatives étudiantes. La Bretagne a quant à elle mobilisé une enveloppe de plus d'un million d'euros, en complément du soutien annuel au Crous, pour soutenir les étudiants précaires à travers l'aide alimentaire, la santé mentale, le soutien à l'aide psychologique, etc. La région Ile-de-France a mis en place un dispositif de soutien psychologique, avec 40?000 consultations gratuites et la mobilisation de 150 psychologues. La région a également annoncé la garantie de 15?000 prêts étudiants d'ici le deuxième trimestre 2021. Le ministère de la recherche a en outre lancé un dispositif de soutien psychologique. Il y a en l'occurrence matière à travailler sur une meilleure coordination, lorsqu'il est pertinent de venir en appui de dispositifs antérieurs, tout en assurant la visibilité de l'action de l'ensemble des acteurs publics.

En termes de perspectives, la crise laissera des traces. Pour les étudiants, l'enjeu principal réside dans la poursuite des études et la réussite professionnelle. Il nous faudra également travailler sur l'amélioration significative de l'efficacité des offres sociales dans tous les aspects de la vie étudiante (accès au logement, santé, mobilités, formation, orientation, accès au droit, lutte contre l'isolement). Les Crous sont quant à eux des partenaires essentiels, qui ont consenti de véritables efforts pour s'adapter. Il nous semble néanmoins que les conclusions du rapport de 2015 de la Cour des Comptes sur la réorganisation des Crous pourraient inspirer un certain nombre de nos réflexions. La Cour évoquait deux pistes : la décentralisation et le transfert des Crous aux régions. Nous n'y sommes pas favorables. En revanche, la piste d'un rapprochement des Crous avec les établissements universitaires nous semble intéressante. L'intégration des oeuvres sociales universitaires dans les établissements universitaires, en maintenant le portage par un établissement public national ou les Crous d'un certain nombre d'actions difficilement portables par les universitaires, améliorerait l'efficacité des dispositifs existants en garantissant davantage de proximité et de réactivité, ainsi qu'une meilleure connaissance des publics. Il s'agirait en outre de clarifier le rôle des différents acteurs. La Cour des comptes soulignait en effet un enchevêtrement des compétences qui reste préjudiciable à l'efficacité de notre action collective. Enfin, sur la question de l'insertion professionnelle, il s'agit de favoriser l'accès aux stages, de travailler avec les universités sur les offres de formation initiale et d'accélérer « l'universitarisation » des formations paramédicales.

La rentrée universitaire 2021 sera un défi et devra être bien préparée.

M. Alexandre Grenot, vice-président du département de la Charente-Maritime, représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF). - Je souhaite vous proposer de faire le point sur le plan d'aide du département de la Charente-Maritime à destination des étudiants. Nous étions sur le terrain avec plusieurs élus, le 24 décembre, pour offrir des repas chauds à des étudiants en détresse à La Rochelle. Nous avons transmis nos coordonnées à ces étudiants, mais n'avons reçu aucun appel, ce que l'on peut imputer à une forme de pudeur.

Nous comptons sur notre territoire 14?000 étudiants, dont 4?700 boursiers. Nous avons décidé de travailler rapidement sur un dispositif que nous avons présenté à l'assemblée départementale fin février et qui a été approuvé à l'unanimité. Ce plan de 750?000 euros prévoit des aides financières directes pour l'achat d'ordinateurs et de connexions internet, des aides de maintien dans le logement, ainsi qu'un travail de partenariat avec le Crous. Nous avons pu recruter une assistante sociale supplémentaire, qui se déplacera sur l'ensemble du département. Nous avons en outre travaillé avec l'association Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë (APESA), une structure du tribunal de commerce qui apporte une aide psychologique aux chefs d'entreprise en difficulté. Nous avons décliné cette aide pour les jeunes en difficulté : nous avons formé des sentinelles pour mieux les détecter et avons créé un numéro vert afin que des psychologues écoutent ces jeunes. Grâce à notre appui financier, cinq séances leur seront offertes. Nous avons également oeuvré pour ouvrir des postes de stage dans nos collectivités, et encouragé les EPCI à faire de même. 120 étudiants supplémentaires ont ainsi intégré nos services pour finir leur année. Enfin, nous avons lancé un appel à projets au niveau des associations d'étudiants pour recréer des liens sociaux. Dans une crise sanitaire comme celle-ci, il s'agit d'être humbles et de reconnaître que nous sommes en quelque sorte des amateurs. De ce fait des dispositifs peuvent effectivement se chevaucher, mais nous devons apprendre à travailler encore davantage ensemble.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Je vous remercie. Notre mission d'information entendra prochainement le président de l'université de La Rochelle, qui a effectivement mis en place des dispositifs très intéressants.

M. Paul Hermelin, auteur du rapport « Rééquilibrer le développement de nos territoires » (Institut Montaigne). - J'ai été président-directeur général de Capgemini pendant quatre ans. J'ai une passion pour les territoires et suis très actif dans ma ville d'Albi. Je préside le pôle French Tech et ai eu beaucoup de mal à me faire entendre de l'industrie et de l'État sur la capacité d'une ville moyenne à développer une stratégie dans les nouvelles technologies. Ceci m'a amené à présider un groupe de travail avec l'Institut Montaigne sur le problème du déséquilibre entre les territoires. Nous avons ainsi mis en exergue le caractère abusif de la « métropolisation » de l'activité économique en France. En effet, les 15 métropoles régionales vivent aux dépens du reste du territoire. 80 % de l'enrichissement du pays se réalise dans des métropoles regroupant moins de 30 % de la population active. Or il ne s'agit pas d'une fatalité du monde moderne : le pourcentage équivalent de l'OCDE est de 50 % ! En effet, tout a été conçu en France pour les grandes villes : les TGV et les autoroutes relient les métropoles, le classement de Shanghai n'a récompensé que les très grandes universités, la 5G est destinée aux gros bassins d'emploi, etc. En Allemagne, le produit des redevances des opérateurs de télécommunications est supérieur à la France ; mais contrairement à notre pays, l'État fédéral en a rendu 60 % pour couvrir les zones non métropolitaines.

Dans le cadre du rapport de l'Institut Montaigne, nous avons étudié deux contre-exemples d'un développement non métropolitain : l'Allemagne et l'Italie du Nord. Nous avons également analysé quelques contre-exemples français, comme l'université d'Albi, qui est en synergie avec celle de Toulouse.

Les universités font office d'aspirateurs de talents, notamment technologiques, dans les villes moyennes. Il serait nécessaire de réfléchir à une carte universitaire différente. Maintenir une université autonome est naïf et sans espoir ; il s'agirait en revanche de coordonner des centres universitaires de villes moyennes avec des grandes villes.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Je vous remercie. Nous avons lu avec un grand intérêt votre rapport. Par ailleurs, nous avons retenu l'expérience de l'Institut universitaire d'Albi. Nous partageons la problématique, telle que vous la développez, et sommes conscients du risque que peut faire peser sur les villes moyennes une « hypermétropolisation » de certains lieux. On a vu se répandre, à partir du IVe siècle de notre ère, une forme de développement économique en «?peau de léopard?», caractérisé par un immense écart entre les différents pôles. Je me demande si l'on n'assisterait pas à un phénomène de ce type actuellement !

M. Christian Redon-Sarrazy. - Pour reprendre les propos de M. Hermelin, l'accès à l'enseignement supérieur en dehors des grandes métropoles, et plus particulièrement dans les territoires ruraux, est un véritable problème. Le taux de poursuite des études en enseignement supérieur est nettement inférieur dans ces territoires. Nous devons avoir conscience des vertus de la proximité. Il ne s'agit pas de nuire à l'excellence ; nous nous sommes cependant peut-être trop focalisés sur ce dernier objectif, sans prendre suffisamment en compte le puissant moteur que peuvent représenter des formations de second cycle sur les territoires. Je ne pense pas que les étudiants qui suivent ces formations soient pénalisés par rapport à ceux qui sont scolarisés dans de grands centres universitaires. La proximité peut cependant poser quelques difficultés, et notamment la question de la capacité des étudiants à bénéficier d'expériences internationales.

M. Hussein Bourgi. - J'ai pris beaucoup de plaisir à vous écouter au cours de cette audition. Vous avez prouvé la capacité de chaque type de collectivité à être dans l'innovation face à l'urgence. Les exemples que vous avez cités ont démontré, dans chacune des collectivités, l'existence d'innovation, de souplesse, de réactivité et d'efficacité. Je siège pour l'heure au Conseil d'administration du Crous, où se retrouvent uniquement les représentants de la région et de la ville-préfecture. Il se réunit trimestriellement. Les relations entre les collectivités et le Crous sont toujours assez formatées et cadrées, et permettent d'évoquer les lieux d'enseignement, l'immobilier, la recherche, voire les bourses à la mobilité internationale ou les allocations. La crise sanitaire a quant à elle permis aux collectivités d'apporter leurs savoir-faire. Dans ma région, le département de l'Hérault a été rapidement mobilisé pour la mise à disposition de masques et de gel hydroalcoolique fabriqués par les sapeurs-pompiers. Le Conseil départemental de la Lozère a fait le choix, via sa présidente, de suppléer l'absence de Crous, qui ne permettait donc pas de mettre en place de repas à 1 euro, en mobilisant les services de la jeunesse et de l'insertion pour venir en aide aux étudiants. Ces exemples sont multiples. Cette crise doit nous conduire à imaginer une autre forme de relation avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et ses représentants sur nos territoires. Nous gagnerions à unifier nos modes de communication avec les étudiants et à associer toutes les collectivités, en ne considérant plus que seules la ville-préfecture et la région ont un rôle à jouer.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Merci à tous pour vos interventions. S'agissant de l'organisation territoriale de l'enseignement supérieur, pour irriguer de manière équitable le territoire, la dimension d'aménagement du territoire doit être abordée en tenant compte de plusieurs dimensions. En ce qui concerne la question de la vie étudiante, l'objectif est d'accompagner l'étudiant dans son parcours universitaire par un certain nombre de services et prestations : logement, vie sociale, restauration, etc. La crise covid a mis en exergue l'action des collectivités locales, mais comme vous l'avez souligné, dans les textes, notamment le code général des collectivités territoriales, ces compétences ne sont pas précisées. Par ailleurs, l'organisation des cycles d'études a beaucoup d'importance. Plus nous spécialisons tôt des étudiants, plus la couverture du territoire, via les établissements des villes moyennes comme les grands pôles métropolitains, est difficile. Un étudiant devant intégrer un cursus de spécialité en post-bac a de fortes chances d'être contraint de s'éloigner géographiquement.

S'agissant des outils existants en matière d'aménagement du territoire, je souhaiterais avoir votre opinion sur les contrats de plan État-région (CPER), dont nous parlons moins aujourd'hui. Jouent-ils toujours leur rôle ? Les SRESRI assurent-ils quant à eux leur rôle de programmation et de planification, ou jouent-ils un rôle d'aménagement du territoire ?

Mme Catherine Vautrin. - Sur la question de l'emploi, nous avons pu obtenir, pendant la crise sanitaire, la prolongation de la période de stage de six mois après le diplôme, qui a permis aux étudiants qui n'avaient pas d'emploi de suivre un stage complémentaire. S'agissant des stages, de nombreux territoires ont mis en place des dispositifs de financement, comme la région Grand-Est, mais aussi Montpellier et d'autres villes. Ceux-ci permettent aux étudiants d'avoir accès au stage. Je partage en outre le constat de M. Hermelin. Au début de l'audition, j'ai mentionné les universités de proximité qui permettent à un certain nombre de jeunes d'avoir accès à l'enseignement supérieur. La question de la qualité de la main d'oeuvre d'un bassin d'emploi doit en parallèle être posée. Sur un certain nombre de territoires, les difficultés à accéder à une formation supérieure se traduisent par un manque de salariés pour un certain nombre d'entreprises, et constituent donc un frein au développement économique. Je vous remercie de nous permettre de réfléchir avec vous, car je partage le constat du représentant des régions sur le manque de coordination. S'agissant des CPER, je considère que les collectivités sont invitées à assumer une compétence qui est celle de l'État. Les schémas régionaux correspondent quant à eux à une idée très louable : ils gagneraient donc à être déclinés sur chacun des territoires. Tel n'est cependant pas encore le cas aujourd'hui.

M. Alexandre Grenot. - Notre territoire est long de 200 kilomètres. La faculté se situe à La Rochelle. Nous souhaitons prendre en compte les étudiants de l'ensemble du territoire. Nous parlions précédemment des restaurants universitaires : 5?000 de nos étudiants ne pouvaient en bénéficier. Nous avons donc créé une aide à destination du Crous, afin que tous les étudiants puissent se nourrir convenablement.

Mme Solange Berlier, vice-présidente du département de la Loire, Association des départements de France. - Nous avons une université très centralisée à Saint-Etienne et une université décentralisée à Roanne. Nous devons aborder la question du prix des transports. La Loire étant un département très étiré, se pose un problème de transport et d'accès à l'université entre le nord et le sud du département. Au niveau alimentaire, nous n'avons pas attribué de financement mais travaillons en lien avec les associations caritatives, en particulier celles qui organisent des repas à destination des étudiants, avec l'appui de la Banque alimentaire, du Secours populaire, du Secours catholique et d'autres associations.

M. Mickaël Vaillant. - J'ai été très sensible à ce qui a été dit sur le nécessaire équilibre entre les métropoles et les villes moyennes. En tant que maire d'une petite commune de 3?500 habitants, sur une agglomération relativement proche des métropoles et qui accueille des étudiants sur son territoire, j'observe une très forte différenciation de la situation des étudiants. En métropole, ils sont plus perdus que ceux qui sont présents sur le territoire. Nous nous apercevons que nous donnons la possibilité à des publics de suivre des études supérieures alors qu'ils ne le feraient pas nécessairement en métropole. Il est en outre possible d'offrir des palettes de formation directement connectées aux besoins du tissu économique. Ce besoin d'équilibrage et d'écoute nous semble très important.

Concernant les CPER, la signification et la dimension structurelle qui leur sont attribuées constituent une véritable question. L'effort s'est trouvé renouvelé sur la période 2021-2026, mais le CPER se trouve marginalisé, alors qu'il permet une vision pluriannuelle des engagements sur certains sujets. La tentation de recourir à des outils hors budget (appels à projets ou manifestation d'intérêts, investissements d'avenir)) concourt à cette marginalisation. Dans ce contexte, les régions s'interrogent sur le sens accordé aux CPER. La nouvelle génération des CPER a été lancée dans l'idée qu'il n'existerait plus de maquette nationale mais qu'il conviendrait de travailler sur des convergences stratégiques remontant des territoires, à partir d'un travail de diagnostic et de concertation, confié par l'État aux préfets. Or, nous avons constaté la difficulté de cette approche bottom-up, puisque la vision est plutôt descendante. Le CPER a la vertu de concerner toutes les collectivités.

S'agissant des SRESRI, les premiers n'ont pas été élaborés avec le même investissement selon les régions. Les nouveaux SRESRI affichent la volonté de devenir un véritable outil d'articulation renforcée entre les schémas de développement économique, les enjeux de formation et les enjeux d'aménagement du territoire. Ils devront également permettre de préciser le positionnement de la région dans ses ambitions, son rôle et son action, en coordination avec tous les niveaux de collectivités.

Le recours, depuis le premier programme des investissements d'avenir en 2010, à la débudgétisation des crédits dans une logique d'appels à projets a pour conséquence de réduire le contrôle de la représentation nationale sur ces crédits. Il s'agit pour nous d'un motif d'inquiétude.

M. Paul Hermelin. - La remarque de M. Redon-Sarrazy est juste. Un pôle universitaire de taille moyenne comme celui d'Avignon a besoin de quelques tâches d'excellence l'amenant à recruter des élèves hors de l'aire territoriale avignonnaise. Un équilibre doit cependant être trouvé pour inventer, sans entamer la respectabilité des centres universitaires secondaires, un système de réseaux organisés comme en Allemagne ou en Italie. Il s'agirait alors de travailler sur des complémentarités territoriales entre des universités de villes moyennes et de grandes métropoles régionales.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Je vous remercie pour votre contribution déterminante à cette réunion, sur une problématique fondamentale pour notre mission d'information.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 heures.

« Les enjeux du numérique pour l'enseignement supérieur » - Audition de MM. Guy Mélançon, vice-président en charge du numérique à l'université de Bordeaux, vice-président de VPNum (association des vice-présidents en charge du numérique dans l'enseignement supérieur), Jean-Christophe Burie, vice-président « Campus numérique-système d'information » à l'université de La Rochelle, Ollivier Haemmerlé, professeur à l'université de Toulouse, président de l'association « L'Université numérique », Mmes Emmanuelle Villiot-Leclerq, responsable du digital learning center de l'École de management de Grenoble, et Cora Beck, directrice des pédagogies digitales et de l'innovation du pôle universitaire Léonard de Vinci

M. Pierre Ouzoulias, président. - Mesdames, messieurs, chers collègues, je vous remercie de participer à cette nouvelle audition de notre mission d'information sur la vie étudiante. Cette mission d'information, qui résulte d'une demande du groupe Union centriste au Sénat, a désigné comme rapporteur le président de la commission de la culture, M. Laurent Lafon.

L'objectif de cette mission d'information est de faire le point sur la façon dont vous avez pu faire face aux conditions très particulières de la vie étudiante, d'identifier des mesures qui permettraient de mieux répondre, à l'avenir, à des crises équivalentes, et enfin de porter une réflexion prospective plus vaste pour améliorer les conditions de la vie étudiante et offrir de meilleurs services aux étudiants.

Dès le début de nos travaux, les problématiques numériques sont apparues comme déterminantes pour un certain nombre de raisons. D'abord, l'empêchement pour les étudiants de rejoindre physiquement leur campus et les lieux de cours a obligé en très peu de temps les enseignants comme les étudiants à adopter de nouvelles pratiques par le biais du numérique. Nous aimerions savoir comment vous l'avez vécu et comment vous trouvé des solutions pour faire face à ce défi. Une question n'a pas souvent été évoquée : les réseaux gérés par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ont-ils pu vous procurer suffisamment de débit pour faire face à une utilisation nettement accrue des outils numériques ? N'est-il pas temps de réfléchir à une structuration de l'offre de haut débit permettant de faire face à une évolution forte des moyens informatiques ?

Monsieur Jean-Christophe Burie, vous représentez l'université de La Rochelle, que nous évoquons très régulièrement. Nous rencontrerons votre président dans quelque temps. Vous êtes accompagné de M. Guy Mélançon pour l'association VPNum, association de vice-présidents d'université chargés du numérique, M. Ollivier Haemmerlé, professeur à l'université de Toulouse et président de l'association l'Université numérique, Mme Emmanuelle Villiot-Leclercq, responsable du digital learning center de l'École de management de Grenoble, et Mme Cora Beck, directrice des pédagogies digitales et de l'innovation du Pôle universitaire Léonard de Vinci, installé à La Défense. Je vous remercie vivement de participer à cette audition. Je donnerai d'abord la parole au rapporteur, qui vous posera une première série de questions, auxquelles il vous sera proposé de répondre. Je donnerai ensuite la parole à mes collègues sénatrices et sénateurs pour une seconde série de questions.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Merci, monsieur le président.

Mesdames, Messieurs, vous avez reçu un questionnaire récapitulant les sujets que nous souhaiterions aborder avec vous. Vous vivez depuis plus d'un an une expérimentation à grande échelle de l'enseignement par voie numérique : nous cherchons à savoir quel bilan vous en tirez et quelles sont selon vous les perspectives d'avenir. Quels accompagnements ont été mis en place par le ministère ou les collectivités territoriales, notamment par la mise à disposition de matériel ? Quelles adaptations ont été nécessaires sur le plan pédagogique ? Cet enseignement à distance est-il plus ou moins adapté en fonction des matières et des niveaux d'étude ? Quelles leçons tirez-vous de ces expériences au regard de l'épineuse question de la fracture numérique, du point de vue de la couverture du territoire ou du dimensionnement des réseaux de télécommunication ainsi que du matériel dont disposent les étudiants ?

Enfin, en termes de perspectives à plus long terme, certaines matières sont-elles selon vous plus adaptées à l'enseignement par voie numérique ? Par ailleurs, avez-vous pu identifier des conséquences du développement du numérique sur l'organisation des lieux d'enseignement, entre métropoles, villes moyennes et établissement à l'implantation plus disséminée, ou sur la configuration des locaux d'enseignement ?

M. Guy Mélançon, vice-président de VPNum. - Je vous remercie de nous donner la parole. Nous apprécions de pouvoir exprimer notre point de vue et vous partager notre ressenti de cette expérience, dont le choc se fait encore ressentir aujourd'hui. La dimension sociale est très importante dans la formation de nos étudiants, et le fait de vider nos campus nous en a privés. Le numérique a ainsi été appelé à se substituer à cette dimension, sans en avoir nécessairement les capacités. Il me semble important de reconnaître que certains événements qui se déroulent sur les campus sont indispensables à la formation de nos jeunes.

Les vice-présidents d'universités en charge du numérique, mais aussi les vice-présidents responsables de la vie étudiante, ont eu pour première préoccupation la fracture numérique dès le début de la crise. Il s'agissait de vérifier que tous nos étudiants puissent, de manière équitable, se mettre en relation avec leurs enseignants par les réseaux. Nos établissements ont été assez réactifs en la matière. Vous nous posiez la question de l'autonomie des établissements comparativement aux dispositifs déployés par le ministère. Les établissements, en l'occurrence, ont pris en main l'évaluation de la situation de leurs étudiants face à la fracture numérique par différents canaux.

Nous nous sommes d'abord posé la question de l'équipement des étudiants. Une partie d'entre eux a rencontré des difficultés, en particulier en termes de connexion. Vous avez donc raison de poser la question du débit insuffisant. Au-delà des réseaux de l'enseignement supérieur, nos étudiants et enseignants n'étaient pas tous présents sur les campus pendant la crise sanitaire, et la question porte donc sur les réseaux de manière générale.

S'agissant de l'adaptation des enseignements en interne, les établissements ont adopté la visioconférence de manière massive. Il s'agissait de permettre aux enseignants de réagir très rapidement pour assurer la continuité pédagogique. Le recours à la visio-conférence a ainsi permis de continuer à assurer les cours pendant les premiers mois de la crise, non sans difficulté ! Il est difficile en effet d'assurer un contact avec les étudiants quand on est habitué à des dimensions très humaines dans ces relations. Je salue mes collègues enseignants, qui en dépit de ces difficultés tiennent encore bon. Nous devons reconnaître cette solidarité très forte des étudiants et du corps enseignant.

Au terme d'une année passée à pallier les contraintes imposées par cette crise, nous constatons que le passage au tout numérique a été très brutal. Il est aujourd'hui nécessaire de prendre le temps de la réflexion, ce qui soulève notamment la question de la transformation pédagogique. Celle-ci n'a pas été abordée en mars dernier en raison de l'urgence de la situation. Le vice-président en charge du numérique de l'université d'Avignon faisait valoir qu'il était regrettable de « gaspiller » du temps de présentiel avec les étudiants en cours magistral. Le temps de présence, en effet, est précieux, et il serait utile de repenser la façon de mettre à profit ces moments avec les étudiants d'une autre façon qu'en cours magistral. Ce mouvement a été initié dans nos établissements, via des cellules d'innovation pédagogique. Il est désormais nécessaire d'associer l'ensemble des enseignants à cette réflexion. L'objectif est de placer l'étudiant au centre de la réflexion et de la démarche d'apprentissage, de le rendre davantage responsable de la certification de ses compétences. En parallèle, il faut aider nos collègues enseignants à passer à un rôle d'accompagnateurs, plutôt que de transmetteurs de savoirs.

Si les enjeux numériques sont pris en compte depuis plusieurs années par les établissements d'enseignement supérieur, la crise nous conduit inévitablement à accélérer le mouvement.

M. Jean-Christophe Burie, vice-président « Campus numérique-système d'information » à l'université de La Rochelle - La majorité des enseignants a décidé d'enseigner à distance en reproduisant le schéma préexistant. Ils se sont donc placés devant leur écran et ont dispensé leur cours comme ils l'auraient fait au sein d'un amphithéâtre, sans tenir compte de la spécificité que nécessite la formation à distance. Celle-ci suppose en effet de scénariser les cours et de prévoir des séquences d'apprentissage, ce qui n'a pas été fait. Chaque enseignant, au sein de l'établissement, pensant l'étudiant seul chez lui, a ainsi cherché à l'occuper et lui a fourni davantage de travail.

Les étudiants ont par conséquent ressenti pendant cette période une surcharge d'activité qui a généré des soucis de santé, du stress et des angoisses. Si la formation à distance fait donc actuellement l'objet d'un certain un rejet de la part des étudiants comme des enseignants, c'est parce qu'elle doit davantage être préparée en amont. Les enseignants, qui n'ont pas cette capacité actuellement, par manque de temps ou de moyens, doivent être accompagnés dans cette démarche.

S'agissant de la fracture numérique, toutes les universités ne sont pas dans la même situation en termes de réseau. L'université de La Rochelle finance sa propre connexion au Réseau national de télécommunications pour la technologie, l'enseignement et la recherche (Renater), dont la qualité se révèle cependant relativement faible, en raison de moyens limités. Ainsi, tandis qu'en mars dernier les réseaux privés ont pris le relais en raison du confinement, au cours de la deuxième partie de l'année, une partie des enseignants était présente sur place, ce qui a engendré certains soucis de connexion. Nous ressentons donc la fracture numérique dans certains établissements.

M. Ollivier Hammerlé, président de l'association « L'Université numérique ». - Bonjour à tous, merci de nous donner l'occasion de nous exprimer dans le cadre de cette mission d'information.

Je suis président de l'association « L'Université numérique », qui existe depuis quatre ans et regroupe les Universités numériques thématiques (UNT) qui ont été créées il y a 15 ans environ. Chaque université numérique thématique s'adresse à un large champ disciplinaire. Je suis personnellement directeur de l'UNT «?Université ouverte des humanités?», qui concerne les disciplines des sciences humaines sociales, lettres, langues et arts et cultures. Chaque UNT constitue un réseau d'universités ; à titre d'exemple, l'UNT que je représente regroupe une trentaine d'universités françaises ; l'université numérique en santé et sport (ou UNESS) compte outre la composante sport la quasi-totalité des universités de médecine.

Ces UNT coproduisent avec les universités partenaires des ressources pédagogiques numériques. Nous avons aujourd'hui 28?000 ressources, qui ont été soit coproduites, soit labellisées a posteriori. Lorsque la crise est survenue, nous disposions donc de ce capital de ressources. L'un de nos crédos demeure la mutualisation. Ainsi, les financements ne sont attribués aux établissements qui créent des ressources que si ces dernières sont coproduites par plusieurs universités. Nous travaillons en outre de plus en plus à l'accompagnement des établissements en vue de l'utilisation de ces ressources et de l'hybridation des contenus. En revanche, les réseaux sont du ressort des établissements et de structures telles que Renater.

Lors de la survenue de la crise et du premier confinement, nous disposions donc déjà d'un capital de ressources pédagogiques ainsi que de guides d'utilisation de ces ressources. Le premier confinement a été annoncé un vendredi ; dès le lundi, nous avons mis en place une lettre d'information quotidienne adressée aux établissements, dont l'objectif était de faciliter la continuité pédagogique et de faire en sorte que les collègues ne se sentent pas seuls face à la crise. Nous avons également mis en ligne sur notre site une page reprenant les informations essentielles de la lettre, indiquant aux collègues les ressources qu'ils pouvaient mobiliser pour hybrider leurs cours. Nous avons également proposé des webinaires, qui ont permis aux professeurs d'assister à des cours, par exemple sur l'enseignement à distance ou la thématique du bien-être des étudiants et des équipes. 400 personnes se sont connectées à ce dernier webinaire, qui a ensuite été mis à disposition de tous les collègues. La lettre quotidienne est progressivement devenue hebdomadaire : nous avons donc rempli notre rôle d'accompagnement au moment de la crise.

Considérant que les enseignants ne savaient pas nécessairement comment s'emparer de toutes les ressources à leur disposition, nous nous sommes tournés vers le Comité numérique de la Conférence des présidents d'université (CPU) et vers les vice-présidents en charge du numérique, dans le but de proposer un outil répondant aux attentes du corps enseignant. Nous avons ainsi travaillé, dès le printemps, à la mise en place de parcours types pour une quarantaine de diplômes, essentiellement de licence et de spécialités de DUT. Ces parcours types étaient décomposés en unités d'enseignement pour lesquelles nous avons précisé les ressources existantes en les catégorisant. Nous les avons développés en coopération avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, puis nous les avons mis en ligne en collaboration avec Canal-U et FUN5(*)-Mooc. . Au milieu de l'été, ces parcours types ainsi que des ressources transversales, pour l'apprentissage des langues étrangères, le perfectionnement en expression écrite du français ou des formations aux compétences numériques ont ainsi été mis à disposition des enseignants. Une dizaine de milliers de visiteurs uniques se sont rendus sur notre site, FUN-Ressources. Nous avons en outre créé cet été un Learning management system (LMS) qui reprend peu à peu les ressources pédagogiques intégrées dans ces parcours types, afin que les collègues puissent se les approprier et les intégrer à leur propre environnement numérique dans les établissements.

Nous avons donc essayé d'accompagner les enseignants, mais tous n'ont pas le même niveau d'acculturation vis-à-vis du numérique. Celui-ci dépend fortement des disciplines. De plus, les moyens alloués aux étudiants ne sont pas les mêmes. De plus, les publics diffèrent. Par exemple, les publics des facultés de lettres sont en plus grande difficulté sociale et n'ont pas le même niveau d'équipement personnel. Les enseignants de sciences humaines et sociales ont en outre parfois plus de difficultés à s'adapter aux outils numériques que les enseignants d'informatique ou de disciplines scientifiques. Pour accompagner les enseignants, des moyens humains doivent donc être déployés, par exemple au travers d'ingénieurs pédagogiques.

Mme Emmanuelle Villiot-Leclerq, responsable du digital learning center de l'École de management de Grenoble. - Bonjour. Merci de nous recevoir et de nous proposer ce temps d'échange. Je suis enseignant-chercheur en pédagogie universitaire, spécialisée dans les environnements numériques, et j'ai la responsabilité de la cellule de soutien à la transformation pédagogique et digitale de l'École de management de Grenoble. À ce titre, je travaille avec la direction pour déployer les environnements en ligne et comodaux.

Nos étudiants ont repris partiellement leurs cours en présentiel, dans des salles équipées de type comodal. Nous avons porté une attention particulière au confort sonore et visuel de ces salles, pour permettre une sensation d'immersion et de présence à distance, qui fait souvent défaut. Nous avons en outre travaillé sur la simplicité de branchement. Les étudiants ont ainsi le choix entre suivre un module en présentiel ou en distanciel. Ils bénéficient d'un emploi du temps adapté pour limiter les temps dits synchrones. Nous avons plus tôt évoqué la surcharge mentale et le temps passé par les étudiants devant les visioconférences lors du premier confinement. Dès le mois de juin, ils nous ont effectivement fait part de cette surcharge très forte, qui a engendré des problèmes de concentration et de fatigue. Nous avons donc réfléchi à la structuration des emplois du temps afin de limiter le synchrone et de répartir sur la semaine les temps de visioconférence. Nous avons également travaillé avec les enseignants pour que la scénarisation de leurs cours intègre beaucoup plus de contenus asynchrones.

Les étudiants passent, en outre, tous leurs examens en ligne ; depuis le printemps, aucun examen ne s'est tenu en présentiel. Pour cela, nous avons dû renforcer nos infrastructures et le lien avec nos environnements numériques. Par exemple, la plateforme soutenant tous nos examens devait être connectée avec nos systèmes d'administration.

En termes de soutien et d'encadrement, les étudiants bénéficient d'un encadrement humain renforcé. Nous avons en effet été confrontés à des étudiants isolés ou qui rencontraient des difficultés de connexion ou des problèmes liés à leur matériel. Un e-center est à leur disposition pour proposer des dépannages, prêter des clés 4G, etc. Nous avons en outre renforcé nos outils et ressources pour aider les étudiants à apprendre en ligne et développer de bonnes pratiques. Très récemment, nous avons mis en place une cellule d'appui pédagogique et académique, composée d'enseignants qui prennent en charge des questionnements liés à l'enseignement en ligne. Nous renforçons par ailleurs dans nos dispositifs en ligne la question de l'accessibilité. Il est en effet apparu que les étudiants en situation de handicap devaient suivre des enseignements sur des interfaces qui n'étaient pas adaptées.

Nos étudiants sont restés intégralement en distanciel jusqu'au 8 février. Certains disent apprécier l'enseignement en ligne, parce qu'il leur permet d'étudier à leur rythme et leur offre plus de liberté et de flexibilité ; il s'agit notamment des étudiants des programmes internationaux, des étudiants en alternance, en troisième année et des personnes en formation continue. En revanche, les publics de première année ont été en difficulté, bien que nous arrivions aujourd'hui à une situation plus stabilisée. Ils ont fait part de leur soulagement de pouvoir revenir partiellement en présentiel.

L'expérience étudiante manque toujours de lien social, d'échanges et de la présence de l'autre, étudiant comme enseignant. Il est donc nécessaire de réintégrer cette dimension humaine, les cours ayant toujours lieu essentiellement à distance, bien que nos campus aient rouvert au printemps.

S'agissant des activités online, nous avons conduit une enquête au printemps. Nos étudiants ont plébiscité les travaux individuels, les lectures de préparation ainsi que les séances à distance, avec la salle divisée en groupes. Une diversification des activités est donc nécessaire.

Du point de vue de l'expérience des enseignants, ceux-ci sont soit online, soit en comodal, c'est-à-dire à la fois en présence d'étudiants et à distance. Ils passent parfois de l'un à l'autre au cours de la journée. Depuis mars 2020, nous avons mis en place des sessions de formation en présentiel, des parcours d'autoformation, des communautés au sein du corps professoral pour échanger sur des pratiques liées au digital et le déploiement de ressources en ligne dédiées. Nous avons également utilisé les ressources de FUN-Mooc. Des webinaires étaient en outre proposés par d'autres universités. L'accompagnement a donc été renforcé.

Nous n'avons pas rencontré de problématique importante liée au matériel. La cellule d'encadrement était présente, et les cellules d'innovation et de transformation pédagogique étaient bien dotées, passant de neuf à quatorze personnes. S'agissant de l'enseignement en ligne, dès mars 2020, 123 sessions de formation ont été dispensées. L'accélération et la mobilisation des enseignants ont donc été extrêmement fortes. Nous avons en outre dû recalibrer nos serveurs et choisir certains outils. Nous avons choisi de nous centrer sur Moodle et Teams, et avons amélioré leur interopérabilité pour rendre leur usage plus fluide, pour les enseignants comme pour les étudiants

Après avoir traversé une phase d'urgence au printemps 2020, puis une phase d'ajustement et de montée en qualité à la rentrée 2020, nous en sommes aujourd'hui à une phase d'appropriation, voire d'innovation, en termes de pratiques enseignantes.

Mme Cora Beck, directrice des pédagogies digitales et de l'innovation du Pôle universitaire Léonard de Vinci. -Le pôle universitaire Léonard de Vinci n'a pas connu de rupture dans la continuité pédagogique du fait de la crise, puisqu'il était déjà équipé en visioconférence, LMS et suite collaborative Office. Dès le confinement, nous avons pu poursuivre les enseignements à distance. Nous avions en effet initié le processus à l'occasion des grandes grèves parisiennes de décembre 2019 en digitalisant une partie de nos cours magistraux. Le niveau d'acculturation de notre communauté enseignante était donc déjà important avant le confinement, ce qui nous a permis d'être très réactifs au mois dès le mois de mars 2020.De notre point de vue, ces contenus n'ont pas vocation à être maintenus en présentiel, du fait de leur format.

En revanche, nous avons rencontré une problématique concernant le passage des contenus des cours prévus pour le présentiel vers le distanciel. Nous avons donc, dès les mois de mai et juin, mis en place des formations à la scénarisation et à l'animation des cours en ligne. Ces sessions de formation ont été dispensées selon plusieurs modalités, afin de s'adapter au profil des enseignants ou à leurs contraintes géographiques et temporelles. Nous avons progressivement constitué sur notre plateforme LMS un catalogue de formations en ligne auxquelles les enseignants avaient accès quand ils le souhaitaient. Nous avons également proposé des formations synchrones aux professeurs : socles de maîtrise technique des outils (LMS, visioconférence, outil de suivi du niveau de compréhension des étudiants), pédagogie digitale. Un effort important a donc été consenti à la fois par les enseignants et par le département Innovation et pédagogie digitale, puisque 800 actions de formation ont été conduites, soit 1?600 heures de formation de la communauté enseignante.

Le pôle Léonard de Vinci connaît par ailleurs une problématique spécifique liée au nombre important d'enseignants vacataires. Ceux-ci doivent en effet gérer un écosystème différent en fonction de chaque institution pour laquelle ils travaillent. Nous avons donc fait un effort particulier pour accompagner la montée en compétence de ces professeurs, ce qui a nécessité une forte collaboration avec les responsables de services informatiques, avec les ressources humaines pour la mise en place de formations, et avec le service juridique en ce qui concerne les contrats des enseignants. Ces nouvelles modalités supposent en effet la diffusion et la rediffusion d'images enregistrées.

Tous les établissements avaient probablement amorcé une transformation digitale. Notre pôle universitaire est connu pour son innovation et, s'il a souffert du passage au 100 % distanciel, les retours des délégués et des étudiants sont globalement très positifs quant au maintien de la continuité pédagogique et à la qualité des enseignements.

S'agissant de l'augmentation des connexions, nos serveurs n'ont pas connu de dysfonctionnements. Un certain nombre de licences avaient déjà été acquises ; il nous a donc seulement fallu nous en procurer davantage. Les serveurs de ces outils sont gérés par le prestataire lui-même. En revanche, l'automatisation de certains services sur le portail étudiant a été très appréciée, par exemple l'accès aux cours sur Zoom et la mise à disposition de l'ensemble des replay des cours sur le portail. Cette nouveauté a été extrêmement bien accueillie par les étudiants et les enseignants.

En dépit de notre préparation technologique et de notre niveau d'acculturation, la problématique du passage au 100 % distanciel de contenus prévus pour le présentiel a été réelle. Toutes les matières scientifiques ou nécessitant une manipulation, ce qui est le cas par exemple pour les travaux pratiques de physique, de mécanique ou de thermodynamique, n'ont plus eu accès à des salles de cours. Par ailleurs, certains cours utilisent des logiciels puissants, notamment en web, en design, en création ou en jeux vidéo. Nous avons dû créer des Cloud dans lesquels les étudiants ont pu utiliser ces logiciels. S'agissant des manipulations, nous réfléchissons actuellement à des simulations virtuelles, via des partenariats avec d'autres écoles ingénieurs, ainsi qu'à la mise en place de jumeaux numériques, c'est-à-dire la création virtuelle d'un outil qui puisse être manipulé à distance. Ces mesures représentent cependant des budgets importants.

En ce qui concerne l'enseignement en mathématiques, qui suppose notamment l'écriture de formules, les enseignants qui n'avaient pas l'habitude d'utiliser les tablettes graphiques ou les tableaux blancs numériques ont été confrontés à des difficultés. Nous avons donc dû les équiper et les former à l'utilisation de ces nouveaux outils. De la même manière, s'agissant des langues étrangères, les éléments paraverbaux, les intonations et la pédagogie active sont plus complexes à mettre en place en distanciel quand les enseignants n'y sont pas formés. Un certain nombre de filières sont donc complexes à retranscrire à distance. Si nous trouvons progressivement des solutions, le processus demeure long et onéreux. Nous constatons, en outre, un manque de méthodologie pour l'apprentissage en autonomie chez les étudiants.

Pour accompagner les enseignants, nous avons lancé une campagne d'observation des replay des cours, dans le cadre d'une démarche qualité, afin de proposer aux enseignants des formations individualisées et des axes d'amélioration, notamment en scénarisation et en animation des cours. S'agissant des étudiants, un certain nombre de formations ont été mises en place : outils digitaux, bases de données, méthodologie de travail en autonomie. Nous réfléchissons également au déploiement de campagnes d'évaluation sur certaines compétences numériques nécessaires à l'entrée à l'université, via un partenariat avec la start-up Pix.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Merci pour ces échanges extrêmement intéressants. Avec le recul dont nous disposons, nous pouvons considérer que la crise que nous traversons a provoqué une accélération des transformations en cours., notamment en matière d'enseignement supérieur L'enseignement à distance nous a permis de redécouvrir l'importance et la valeur ajoutée de l'échange humain. Par ailleurs, la connexion internet ou la disponibilité du matériel sont autant d'éléments qui entreront désormais davantage en compte dans la réussite étudiante. Dans quelle mesure, selon vous, le changement réside-t-il dans l'acceptation de nouveaux modes de transmission des savoirs ? D'autres questions se posent, par exemple du point de vue de l'éthique, s'agissant de la gestion des données relatives aux étudiants.

Ces évolutions sont en outre similaires à celles qui se sont manifestées dans le monde du travail. Ne pourrions-nous pas réfléchir davantage à la manière dont les évolutions numériques seront mobilisées dans la vie professionnelle, avec peut-être une hybridation pérenne entre le distanciel et le présentiel ?

Concernant la contribution vie étudiante et de campus (CVEC), nous savons qu'elle a été largement mobilisée, notamment pour l'achat de matériel informatique. Pouvez-vous indiquer dans quelle mesure ? La CVEC s'est par ailleurs révélée très utile pour répondre à des problématiques de santé. À l'avenir, l'enjeu sera peut-être de mobiliser ces aides afin d'accompagner la transformation de locaux. La Présidente de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE) soulignait l'intérêt de travailler sur des living places ou workplaces dans ce cadre.

Mme Sonia de La Provôté. - Les événements de cette dernière année ont-ils vocation à faire évoluer l'enseignement supérieur, en fonction des matières ? Souhaitez-vous institutionnaliser les modes hybrides dont vous avez parlé ? Les compétences acquises par les enseignants, mais aussi les étudiants, sont en effet utiles pour l'avenir.

S'agissant des étudiants eux-mêmes, avez-vous fait face à des situations de grande difficulté ou d'échec ? Des étudiants ont-ils été dans l'incapacité de s'habituer à ce mode d'enseignement ? Je pense surtout aux primo-étudiants, qui se retrouvent dans une situation inédite et particulièrement difficile, parce que les compétences qu'ils acquièrent en ce moment seront indispensables pour l'avenir. Des modules spécifiques sont-ils prévus pour accompagner des étudiants auxquels l'usage des outils numériques pose des difficultés ?

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Merci à tous pour les réponses que vous avez déjà apportées. Je souhaiterais aborder la question des examens. Le fait de les passer en distanciel a-t-il eu des conséquences, notamment sur le degré de bienveillance dont ont pu faire preuve les enseignants? Comment lutter contre les phénomènes de triche en distanciel ? D'après vous, la valeur des diplômes s'en trouve-t-elle impactée ?

S'agissant de la cybersécurité, vous avez utilisé différents outils, dont nous savons pour certains qu'ils ne sont pas suffisamment sécurisés. Ces considérations ont-elles été prises en compte ? Avez-vous reçu des directives de la part des universités ou eu des contacts avec des organismes comme l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) avant de décider d'utiliser un outil ? Enfin, s'agissant de la suite, quelles modalités d'enseignement entendez-vous mettre en place en septembre, si les cours peuvent reprendre en présentiel ?

M. Pierre Ouzoulias, président. - Merci, monsieur le rapporteur. Je souhaite insister sur les problématiques de souveraineté numérique, auxquelles le Sénat se montre particulièrement attentif. Nous avons le sentiment que face à l'urgence, nous avons eu largement recours à des logiciels dont nous savions pourtant qu'il serait préférable de les abandonner pour des solutions libres ou nationales.

M. Guy Mélançon. - Les questions que vous posez font écho à des propos qui ont été tenus. J'insistais moi-même sur le fait que cette crise a engendré une transformation de nos méthodes. Celle-ci était déjà engagée ; néanmoins, la crise a mis en exergue la nécessité d'en accélérer le rythme et le déploiement à plus large échelle. Certains enseignants se sont posés en pionniers, se sont tournés vers les outils numériques de façon spontanée et ont su s'en emparer. D'autres demeurent plus éloignés de ce monde, et doivent être accompagnés.

Nous parlons souvent de la transformation numérique des universités ; il me semble plus utile de réinventer les universités et l'enseignement dans un monde devenu digital. Il ne s'agit pas de déployer des outils et des solutions de toute part, mais de réfléchir à nos méthodes à présent que le numérique fait partie du monde : opter pour le présentiel ou le distanciel en fonction des besoins, consacrer le temps en présentiel à un accompagnement des étudiants plutôt que de se placer en transmetteur de connaissances dans une salle, etc. Les schémas de pensée doivent donc évoluer. Ce travail est déjà engagé, comme je peux le constater sur le terrain. Une transformation telle que l'a décrite Mme Cora Beck demande cependant du temps.

La continuité entre le monde académique et professionnel a en outre été soulignée. Cette dimension me semble très intéressante. Le numérique peut ainsi permettre que l'étudiant, dès son arrivée dans le monde universitaire ou les études supérieures, soit en lien avec le monde professionnel. Au-delà des méthodes d'apprentissage, la transformation doit porter sur les cursus et la personnalisation des parcours. Les étudiants doivent être en mesure d'interroger très tôt les professionnels sur les métiers, les compétences exigées et les cours nécessaires pour s'orienter ultérieurement.

Concernant la CVEC, je trouve intéressant que vous évoquiez la possibilité d'une mobilisation en faveur de la transformation des locaux. Si nous considérons que les temps de présence avec les étudiants sont précieux, les espaces le sont tout autant. Les étudiants doivent pouvoir s'emparer de ces lieux pour travailler en groupe, avec des dispositifs numériques. La mobilisation de la CVEC dans le cadre de cette transformation serait tout à fait souhaitable.

En ce qui concerne la cybersécurité, nous pouvons féliciter le travail de nos directions des systèmes informations (DSI), que le manque de moyens rend parfois difficile. Il me semble nécessaire de se préoccuper de ce risque, qui est devenu réel dans nos établissements. Des investissements conséquents sont indispensables pour avancer sur ces sujets. Les DSI en sont conscientes. Le choix des solutions a tenu compte de ces risques, mais aussi des besoins en termes de nombre de connexions. En effet, certaines des solutions déjà adoptées par les universités ne permettaient pas le passage à une échelle supérieure. C'est pourquoi nous souhaiterions que des acteurs européens ou français puissent se positionner sur le Cloud. Nous pouvons effectivement nous demander pourquoi, en dépit des laboratoires de recherche dont nous disposons, notamment en informatique, nous ne pouvons pas développer de solutions alternatives à celles de nos concurrents américains, notamment pour ce qui est des outils de visioconférence.

M. Jean-Christophe Burie. - Sur la cybersécurité, je souhaite souligner le rôle des responsables de la sécurité des systèmes d'information et des délégués à la protection des données. Des recommandations ont été émises lors du passage à l'enseignement à distance. Néanmoins, certains enseignants, confrontés à la difficulté à passer à une échelle supérieure en la manière, ont eu recours à des solutions gratuites qu'ils ont eux-mêmes choisies et qui ne permettent pas de maîtriser la sécurité des données.

Concernant les examens, si nous souhaitons évaluer le degré de connaissance, il va de soi qu'un contrôle assez strict est nécessaire, puisque les étudiants à distance peuvent communiquer entre eux. Des outils permettent par exemple, pour un questionnaire à choix multiples, d'envoyer des questions différentes aux étudiants. Une autre méthode consiste cependant à évaluer non pas les connaissances mais les compétences, en confrontant les étudiants à un problème concret et en sollicitant leur esprit d'analyse. La triche s'en trouve considérablement complexifiée. Les diplômes ont quant à eux conservé la même valeur.

S'agissant des situations de difficulté ou d'échec, nous avons constaté des abandons de la part d'étudiants relativement isolés, notamment parce qu'ils se situaient en zone blanche. Tous les étudiants, par ailleurs, n'ont pas eu la faculté d'utiliser le numérique dans leur apprentissage et de gérer leur temps. Il serait dès lors nécessaire de former les étudiants aux méthodes d'apprentissage mobilisant les outils numériques.

Au sujet du présentiel, je pense que la formation d'un citoyen se fait aussi par les interactions, les activités culturelles, le sport, et toute forme d'échange. En nous concentrant exclusivement sur la scénarisation des cours, nous risquons de manquer ces aspects. Au sein de l'université de La Rochelle, nous assurons des activités culturelles à distance. L'événement «?Les étudiants à l'affiche?», par exemple, propose différents spectacles. L'objectif était de maintenir ce contact et ce lien. Le présentiel est donc important, au-delà de l'enseignement.

M. Ollivier Hammerlé. - La crise est effectivement un facteur d'accélération de la transformation pédagogique. À l'occasion d'un blocage étudiant particulièrement soutenu, l'université Toulouse Jean-Jaurès avait, bien avant la pandémie, créé sa plateforme pédagogique pour mettre en ligne les supports pédagogiques.

En ce qui concerne l'institutionnalisation de l'évolution de l'enseignement, les cours magistraux pourraient tendre à disparaître ou du moins à s'amenuiser par rapport aux autres enseignements. Certains collègues les qualifient d'« activités pédagogiques de faible niveau cognitif ». Ils pourraient être remplacés en partie par des supports numériques, parallèlement à un renforcement des volumes horaires de tutorat et de travaux dirigés, pendant lesquels les enseignants s'assureraient que les cours magistraux qu'ils n'ont pas dispensés ont bien été suivis et compris par les étudiants. Ce tutorat devrait être assuré par des enseignants de bon niveau. Le coût de cette transformation pédagogique serait en l'occurrence supérieur au coût de l'enseignement traditionnel. Les économies d'échelle espérées par la généralisation de la pédagogie numérique sont donc un leurre !

S'agissant de la CVEC, un rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche relatif aux universités numériques thématiques, suggérait que chaque étudiant acquitte une somme modique - l'équivalent de deux cafés - sur ses frais d'inscription, afin de pérenniser la production de ressources pédagogiques ainsi que leur diffusion libre. Nous pourrions imaginer qu'une partie de la CVEC soit consacrée à la production de ressources pédagogiques.

Pour ce qui est des étudiants en difficulté, nous avons effectivement constaté des abandons et décrochages. Lorsque nous dispensons les cours en visioconférence, certains étudiants gardent leur caméra éteinte, ce qui est tout à fait légitime mais engendre des difficultés. Avant la crise sanitaire, nous avons mis en place, en collaboration avec la fédération interuniversitaire de l'enseignement à distance, un dispositif de préparation à l'entrée dans les études à distance ou «?Passeport EAD?». Celui-ci est utilisé dans quelques universités françaises et consiste en une formation à l'enseignement à distance, à destination des étudiants.

Concernant la problématique des examens, je me suis aperçu que les étudiants s'étaient très bien adaptés au travail collaboratif à distance : lors des examens, nous retrouvons ainsi des copies similaires ! La valeur des diplômes peut s'en trouver abaissée, dans le cadre d'une évaluation standard. Ce constat doit néanmoins entraîner une évolution de nos modes d'évaluation.

Mme Emmanuelle Villiot-Leclerq. - En ce qui concerne la transformation en cours et le développement de l'enseignement à distance, nous constatons tous qu'un cap a été franchi dans nos méthodes de travail quotidiennes, tant au sein de nos institutions que dans nos méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Ces transformations ont un impact sur notre rapport aux autres, au temps et aux locaux. Notre mission est aussi de préparer nos étudiants à vivre dans le monde professionnel en les accompagnant dans ces nouvelles façons de travailler, marquées par la flexibilité et le décloisonnement entre les différents espaces de travail. Nous devons les aider à être à l'aise à distance pour développer des compétences, travailler en équipe, gérer les conflits, etc. Cela influe sur la façon dont nous organisons nos enseignements et programmes, mais aussi dont nous les accompagnons.

Nous nous sommes en outre aperçus de l'importance du lien social et de la vie de campus. Dans nos écoles, les associations sont très actives. Or les étudiants ne bénéficient plus de ces interactions à l'heure actuelle. Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur la nature des liens qui pourront se développer entre les étudiants dans les mois à venir. En effet, cette vie de campus construit, elle aussi, nos étudiants et les citoyens de demain.

S'agissant de l'hybridation, en tant qu'institution et corps professoral, nous avons la responsabilité de vivre de façon presque synchrone des situations distancielles ou alliant distance et présence. Une part de l'enseignement à distance demeurera certainement. Dans notre cas, les programmes internationaux pourraient conserver quelques modules à distance. Nous pourrions également organiser différemment le cursus pour les alternants, par exemple en les accueillant à différents moments de l'année et en utilisant les dispositifs comodaux pour les accompagner lorsqu'ils sont en entreprise. Nous allons donc conserver la flexibilité que nous avons expérimentée. L'objectif est malgré tout de permettre aux étudiants de vivre cette vie de campus et ce rapport à l'autre. Le présentiel occupera donc une part plus importante qu'actuellement.

S'agissant des étudiants en grande difficulté, je rejoins les propos tenus sur la difficulté à les identifier. Nous nous référons à des indicateurs tels que l'absence de participation, de nombreux étudiants conservant leur caméra éteinte pendant les cours. Nous observons également des phénomènes de décrochage lors du rendu des travaux. Nous avons toutefois de grandes difficultés à identifier ces étudiants. Dans ce contexte, les enseignants ont été mis à contribution ; en parallèle, nous avons mis en place davantage de temps d'interactions, avec un encadrement humain, car nous avons considéré que ces étudiants souffrent souvent de l'isolement ou d'un grand inconfort face au numérique.

Concernant les examens, nos collègues enseignants ont quelque peu transformé la façon d'évaluer les étudiants, en favorisant des examens à haut niveau cognitif, autour de cas et projets. Nous avons en outre renforcé le contrôle continu. Nous avons donc adapté notre mode d'évaluation des étudiants, mais le niveau d'exigence reste le même.

Au sujet de la transformation de nos institutions et de nos locaux, il est possible que la salle de classe évolue dans les prochains mois et années. Nous travaillons en effet davantage par projet et le collaboratif se développe considérablement, même dans un contexte distanciel. Nous souhaitons donc adapter nos locaux à ce type de pédagogie, pour en faire des tiers lieux plus ouverts sur le territoire et le monde professionnel. Cela n'empêchera pas le développement de campus virtuels jumeaux. Nous pourrons donc proposer tout un panel de situations d'enseignement, en fonction du profil des étudiants.

Mme Cora Beck. - S'agissant de l'évolution des modes d'enseignement, je pense qu'aucun retour en arrière n'est possible. Nous avons franchi un cap, avec une montée en compétence considérable des enseignants et des étudiants. Si le retour en présentiel s'avère nécessaire pour tout ce qui a trait à la socialisation, au fonctionnement des associations et à la vie étudiante, certains contenus perdureront à distance, comme les cours magistraux ou les enseignements théoriques et dépourvus d'interactions. Ces derniers pourraient être transformés en module e-learning, en vue de libérer du temps de classe au profit d'activités plus qualitatives, d'échanges, de gestion de projet ou de cas pratiques. Nous nous orienterons donc certainement vers un enseignement multimodal et un maintien du cours hybride en comodal.

Nous avons interrogé nos étudiants sur leur souhait de revenir sur le campus. Une partie d'entre eux serait favorable à la persistance d'une partie de l'enseignement à distance, notamment les alternants, qui ont pris l'habitude de télétravailler pour leur entreprise et ont développé des compétences de gestion de projet et de collaboration en ligne. Ils ne perçoivent pas nécessairement l'intérêt de revenir en présentiel sur les campus.

Cette multimodalité prendra nécessairement le pas dans les années à venir, du fait de sa flexibilité, de sa capacité à s'adapter aux profils d'apprentissage et des réponses qu'elle apporte aux nouveaux besoins de l'apprenant d'aujourd'hui. Elle suppose néanmoins de repenser les syllabus, de granulariser les enseignements, de réduire la charge cognitive des séances en synchrone, de déporter les enseignements théoriques en modules e-learning et d'organiser en présentiel les enseignements pratiques. L'objectif est de proposer des apprentissages adaptés et individualisés, fondés sur une approche par compétence et orientés sur le savoir-faire plutôt que sur le savoir, en cohérence avec les exigences du monde du travail. Nous avons néanmoins besoin, pour cela, d'une reconnaissance par l'ensemble des acteurs de la formation en ligne. Il serait ainsi nécessaire de repenser les normes d'accréditation et de reconnaissance des diplômes pour les cours en ligne ou multimodaux. Aujourd'hui, les accréditations sont fondées sur des heures de face à face, et 50 % des enseignements doivent être réalisés par des enseignants permanents. Or il est possible de digitaliser des contenus, soit en les concevant en interne, soit en louant des contenus sur des plateformes d'enseignement à distance.

S'agissant des étudiants en grande difficulté, il est indispensable d'adapter les modes d'enseignement et de leur permettre de choisir d'assister en présence ou à distance aux cours hybrides. Cet apprentissage à la carte, plus flexible, pourra s'adapter aux besoins de chacun, en libérant du temps pour continuer de se former ou travailler par ailleurs.

L'accompagnement pédagogique doit également être repensé. Nous avons mis en place, au niveau de la CVEC, des projets d'accompagnement pédagogique. Nous avons ainsi proposé des parcours gamifiés, individualisés et en ligne, avant les amphithéâtres de rentrée. Cette démarche a été très bien accueillie par les étudiants. Nous avons également mis en place de nouvelles modalités d'accompagnement pédagogique en ligne, en démultipliant les réunions individuelles synchrones avec les étudiants et en assurant l'accompagnement pédagogique et asynchrone sur des forums. Ces projets ont tous été pris en charge par la CVEC.

Le numérique peut en outre s'accompagner de fractures dans l'apprentissage et l'acquisition de savoirs, en raison de la localisation géographique ou du niveau d'équipement matériel. Nous pourrions imaginer l'instauration d'une gratuité de l'accès internet à haut débit pour tous les étudiants, ainsi que la mise à disposition de bons d'achat pour leur permettre de s'équiper de façon correcte.

L'enseignement à distance soulève également des enjeux de santé publique. Des mesures pourraient donc être imaginées en termes d'éducation aux écrans ou de sobriété numérique.

S'agissant des modalités d'évaluation, nous avons fait le choix de proposer les examens finaux de l'école de management en présentiel, sur des outils en ligne. En parallèle, les contrôles continus sont maintenus sur la plateforme. L'école d'ingénieur, pour sa part, organise des examens en présentiel sur papier. Une problématique se pose dès lors en termes de cybersécurité. Les DSI nous accompagnent dans le choix des outils que nous mettons en place.

En ce qui concerne les campus, nous considérons qu'ils ne seront pas supprimés. Ceux-ci constituent en effet un lieu de socialisation des différentes parties prenantes, qu'il s'agisse des enseignants, des étudiants, des entreprises ou des administratifs. Ces lieux structurent les interactions sociales et facilitent les échanges qui se poursuivent ensuite en virtuel. Nous verrons donc cohabiter des mondes virtuels et des campus physiques, avec des bâtiments de plus en plus connectés, ce qui pose la question du réseau et de l'accessibilité des connexions. L'enjeu est celui d'une réorganisation des locaux des campus, avec la disparition des grands hémicycles dédiés aux cours magistraux, au profit de petites salles modulables qui pourront se transformer en fonction de la modalité pédagogique mise en place, mais aussi de salles de créativité, de fab-lab ou encore de learning centers pour permettre aux étudiants en situation de fracture numérique d'étudier dans un environnement calme et bien équipé. Le campus pourrait également s'ouvrir davantage vers l'extérieur ; à titre d'exemple, l'École 42, à Paris, propose des expositions au sein de son campus.

Mme Marie Mercier. - Merci pour ces échanges extrêmement riches. Je souhaiterais revenir sur les effets secondaires des visioconférences. Au-delà des troubles oculaires, les troubles psychologiques à venir doivent être selon moi appréhendés dès aujourd'hui. Nos étudiants s'habitueront probablement à une forme de solitude, alors que le lien social est l'essence même de la vie étudiante.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Vous avez évoqué la différence d'appétence pour le numérique chez les enseignants de sciences humaines et sociales et les enseignants de sciences de l'ingénieur, du numérique ou de l'informatique. N'existe-t-il pas également une inégalité en fonction des contenus ? Tous les étudiants des matières scientifiques et techniques n'ont-ils pas perdu une partie de leurs travaux pratiques ? Par ailleurs, sommes-nous en capacité d'atteindre la massification pour les premiers cycles ?

M. Guy Mélançon. - Je ne peux vous répondre sur les aspects de santé, mais je souhaiterais réagir à l'observation selon laquelle les étudiants ne seraient pas demandeurs d'un retour sur les campus. En réalité, s'ils ne souhaitent pas revenir en cours sur les campus, ils sont favorables à un retour de la vie de campus. Les étudiants apprentis trouvent pour leur part sur leur lieu de travail les relations sociales qui manquent en revanche aux autres étudiants.

S'agissant des différences entre disciplines, il me semble difficile de distinguer les sciences humaines et sociales (SHS) des sciences de l'ingénieur. Dans les faits, certains de nos collègues ont été très créatifs pour simuler les travaux pratiques, par exemple.

La massification est quant à elle une de nos préoccupations. Les établissements ont donné la priorité aux les primo-entrants. L'arrivée à l'université peut en effet être un choc. Nous travaillons fortement sur l'autonomie de nos étudiants et cherchons les rendre responsables de leur formation plutôt que de les amener à subir les injonctions des enseignants ou à suivre un parcours préconçu. Nous souhaitons donc qu'ils réalisent des choix, y compris dans leur façon d'apprendre.

M. Ollivier Hammerlé. - Concernant la dichotomie entre SHS et sciences de l'ingénieur, j'évoquais essentiellement une habitude des outils, mais je connais des exemples de ressources pédagogiques produites par des collègues de SHS. Nous trouvons donc des pionniers dans chacune des disciplines. Les étudiants de SHS, d'art, de lettres et de langues sont quant à eux souvent issus de milieux moins favorisés et disposent moins facilement d'outils adaptés. Ils sont donc moins habitués à les utiliser. La certification Pix a été évoquée ; de nombreuses universités de SHS mettent en oeuvre une formation à la culture numérique et une préparation à la certification Pix, afin de permettre une acculturation rapide des étudiants, dès leur première ou deuxième année de licence. Cette fracture se réduit donc progressivement.

M. Pierre Ouzoulias, président. - Je vous remercie vivement pour la qualité de cette audition et nous vous remercions d'avoir permis une réflexion prospective, qui nous inspirera dans nos travaux futurs.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.


* 1 LOI n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

* 2 « Art. L. 718-4. - L'établissement d'enseignement supérieur chargé d'organiser la coordination territoriale dans les conditions fixées par l'article  L. 718-3 élabore avec le réseau des oeuvres universitaires et scolaires un projet d'amélioration de la qualité de la vie étudiante et de promotion sociale sur le territoire, en associant l'ensemble des établissements partenaires. Ce projet présente une vision consolidée des besoins des établissements d'enseignement supérieur implantés sur le territoire en matière de logement étudiant, de transport, de politique sociale et de santé et d'activités culturelles, sportives, sociales et associatives. Il est transmis à l'Etat et aux collectivités territoriales concernées, préalablement à la conclusion du contrat pluriannuel d'établissement mentionné à l'article  L. 711-1»

* 3 Convention industrielle de formation par la recherche. « Le dispositif CIFRE permet aux entreprises de bénéficier d'une aide financière pour recruter de jeunes doctorants dont les projets de recherche, menés en liaison avec un laboratoire extérieur, conduiront à la soutenance d'une thèse ». Source : Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (enseignementsup-recherche.gouv.fr)

* 4 Depuis 2008, le ministère en charge de la recherche décerne le label Science & Culture, Innovation, gage de qualité, à des structures locales ayant des activités de culture scientifique, technique et industrielle réparties sur le territoire national, en métropole comme dans les collectivités territoriales situées outre-mer (Source : ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche).

* 5 FUN : France Université Numérique.