Jeudi 15 avril 2021
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de Mme Dominique Joseph, co-rapporteure de l'avis du CESE : Crise sanitaire et inégalités de genre
Mme Annick Billon, présidente. - Madame la rapporteure du Conseil économique, social et environnemental, chers collègues, je remercie Dominique Joseph d'avoir répondu à l'invitation de notre délégation pour présenter l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont elle était co-rapporteure, avec Olga Trostiansky, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité du CESE. Malheureusement, Mme Trostiansky n'a finalement pas pu se joindre à nous ce matin. Cet avis, adopté en séance plénière le 24 mars dernier, s'intitule Crise sanitaire et inégalités de genre. C'est l'un des derniers avis adoptés par le CESE avant la fin de sa mandature intervenue le 31 mars. Le renouvellement des membres du Conseil est prévu pour le début du mois de mai.
Cet avis, voté à une large majorité par le CESE en mars 2021, par 163 voix sur 207 votants, est le fruit d'un travail approfondi mené pendant plusieurs mois, depuis l'automne 2020, par les deux rapporteures de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité du Conseil.
Il part notamment du constat que les femmes et les hommes n'ont pas été affectés de la même manière par la pandémie de Covid-19 et que cette crise sanitaire, mais aussi économique et sociale, a contribué à exacerber les inégalités existantes.
Cet avis analyse ainsi les effets « genrés » de la crise sur quatre plans : le bien-être et la santé, l'articulation des temps de vie, la situation économique et sociale, et enfin la gouvernance. Dans ces quatre domaines, nous vous demanderons, Madame la rapporteure, de bien vouloir nous faire part de vos principaux constats après plus d'un an de crise sanitaire et de nous livrer votre analyse des effets délétères de la crise sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
Nous nous intéressons notamment aux questions suivantes : quels sont, selon vous, les exemples les plus emblématiques d'accroissement des inégalités de genre liées à la pandémie de Covid-19 ? Comment le confinement a-t-il exacerbé les rôles sociaux de sexe traditionnels ? Quelles sont les répercussions de la crise sanitaire sur l'égalité professionnelle ? À quel point les dégâts de la crise sur les trajectoires professionnelles des femmes seront-ils durables ? Aux États-Unis par exemple, certains spécialistes estiment qu'en l'espace d'une année, trente ans de progrès en termes d'égalité professionnelle ont été effacés ! Quelles ont été, en termes de gouvernance, les conséquences de l'absence de femmes dans les instances d'aide à la prise de décision publique ?
Comme vous, nous avons constaté, au cours de nos récents travaux, que la pandémie a entraîné un véritable recul des droits des femmes et que l'égalité de genre, pourtant déclarée grande cause du quinquennat, a été reléguée au second plan dans le traitement par les pouvoirs publics de l'urgence sanitaire, économique et sociale.
Parmi nos récents travaux ayant porté sur les conséquences de la crise sur les droits des femmes, je citerai notamment notre rapport d'information du 7 juillet 2020 intitulé Violences envers les femmes et les enfants : un confinement sans fin sur le bilan de la lutte contre les violences intrafamiliales pendant le premier confinement de mars 2020. En outre, notre rapport d'information du 9 juillet 2020 intitulé Femmes et médias audiovisuels : il suffira d'une crise... s'interroge sur la place des femmes dans les médias audiovisuels et notamment leur place dans le traitement médiatique de la crise qui a révélé combien les progrès constatés récemment dans ce domaine pouvaient être fragiles et réversibles.
Après les constats, nous vous demanderons de nous présenter les principales recommandations et propositions concrètes de votre avis dans les quatre domaines que vous avez étudiés. Parmi ces propositions, quelles sont celles que vous estimez devoir être reprises de façon urgente par la représentation nationale ? Estimez-vous que les conséquences de la crise sur les inégalités de genre constituent un angle mort du plan de relance gouvernemental ? Comment pourrions-nous mettre en oeuvre le principe d'éga-conditionnalité des aides publiques dans le cadre de ce plan ?
Je précise, à toutes fins utiles, que nos travaux ce matin font l'objet d'une diffusion vidéo en direct sur le site Internet du Sénat.
Madame la rapporteure, je vous cède sans plus tarder la parole, et vous remercie d'être avec nous ce matin.
Mme Dominique Joseph, rapporteure de l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le thème : Crise sanitaire et inégalités de genre. - Merci Madame la présidente. Merci Mesdames et Messieurs les sénateurs de nous avoir proposé cette audition, en ma voix, mais aussi en celle d'Olga Trostiansky, et de tous les membres de la DDFE. Tant les travaux que vous avez menés durant le confinement que les nôtres et ceux d'autres organisations telles que le Haut Conseil à l'égalité (HCE) et la Fondation des Femmes, convergent sur leurs constats et propositions. Ils peuvent nous donner un souffle d'optimisme si nous réussissons à nous organiser et à créer un collectif pour porter vos propositions et les nôtres.
Je vais répondre à votre trame de questions dans l'ordre. Vous nous demandez de mettre en avant les exemples les plus emblématiques d'accroissement des inégalités de genre liées à la pandémie de Covid-19. Si je ne peux pas les citer dans leur intégralité, j'en ai sélectionné plusieurs qui sont, selon moi, significatifs, dont celui du renoncement aux soins médicaux. 64 % des femmes ont renoncé à des soins durant le premier confinement, contre 53 % des hommes. Il ne s'agit pas d'une volonté de la part des femmes, mais d'une réalité qui leur a été imposée en raison des fermetures des centres ayant eu lieu à cette période, notamment. Nous avons constaté au cours des auditions que bon nombre de femmes avaient, comme elles le font peut-être trop souvent, relégué la prise en compte de leur santé, car les priorités étaient autres, du moins l'ont-elles considéré ainsi. Dans le domaine des soins et de la santé, l'accès aux droits sexuels et reproductifs a été fragilisé, là aussi en raison des fermetures des structures et de la loi d'urgence sanitaire ayant modifié un certain nombre de dispositifs. Une augmentation de 320 % des signalements des difficultés d'accès à l'IVG et à la contraception a été observée pendant le premier confinement. Cette période a été très difficile pour les femmes, ainsi que l'ont constaté les associations disposant de plateformes téléphoniques comme le Planning familial. Dans le domaine familial, le premier confinement a induit une augmentation de 42 % des interventions des forces de l'ordre à domicile à la suite de violences intrafamiliales. Toutes les forces de l'ordre ainsi que la Justice ont été fortement mobilisées sur ce risque. Lorsqu'il y a de la mobilisation, de l'écoute et des attentes, le nombre d'interventions est nécessairement plus élevé. Même si le nombre de féminicides n'a pas augmenté significativement durant les périodes confinement - cela s'explique par le fait que les féminicides sont souvent commis quand la femme quitte le logement. Or elles ne pouvaient pas quitter leur domicile pendant les confinements. Nous devons prendre toutes les données en compte et les synthétiser pour anticiper la phase suivante.
La santé mentale des femmes est plus affectée que celle des hommes, la prévalence d'anxiété s'élevant à 25,6 % chez les femmes, contre 19,4 % chez les hommes, même si, bien entendu, tous ont été affectés par la crise. Nous observons toutefois des différences et une inégalité d'impact. Ces données devraient être affinées en considérant les classes d'âge, les différences de métiers exercés ou les cursus scolaires des jeunes hommes et des jeunes femmes.
Le déséquilibre concernant la répartition des tâches domestiques et parentales s'est amplifié. Les femmes réalisent 72 % des tâches domestiques.
Des enquêtes et auditions ont montré que le télétravail est bien moins favorable aux femmes qu'aux hommes. Seules 19 % des répondantes considéraient leurs conditions de télétravail très bonnes durant le premier confinement, contre 33 % chez leurs homologues masculins.
Évoquons également la très faible représentation des femmes au sein des instances de gestion de crise. La composition initiale du premier conseil scientifique ne comptait par exemple que 27 % de femmes. C'est une réalité, malgré les progrès intervenus ensuite. Dans les médias, nous n'avons compté que 20 % de femmes à la Une des journaux. Certaines Unes nous ont choquées, parmi lesquelles celle du Parisien du 5 avril 2020 intitulée Ils racontent le monde d'après, qui ne montrait que quatre hommes et aucune femme.
Ces exemples sont l'illustration d'un système. C'est pour cette raison que nous avons choisi les quatre axes que vous avez repris. Nous constatons que les inégalités persistantes avant la crise ont progressé et que les vulnérabilités, elles aussi existantes, ont été exacerbées. C'est un défi pour notre contrat social. Nous insistons sur ce point, que nous devons prendre en compte.
Vous m'interrogiez sur l'exacerbation des rôles sociaux de sexe traditionnels pendant le confinement. Je vous citais tout à l'heure un taux de 72 % de tâches domestiques dévolues aux femmes. Ce chiffre est connu depuis une étude de l'INSEE en 2010. De légères améliorations ont été observées, mais le confinement a mis en évidence un déséquilibre plus que jamais d'actualité, comme l'a prouvé une étude Harris Interactive réalisée à la demande du secrétariat d'État aux droits des femmes. 58 % des femmes interrogées ont estimé passer plus de temps que leur conjoint à s'occuper des tâches domestiques. Cette donnée est accentuée au sein des couples avec enfants. Parmi les signaux faibles que nous devons néanmoins prendre en compte figure ce que nous ont rapporté les représentants de la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE). Ils ont mis en place un numéro vert Allo parents en crise dès le premier confinement. Ils nous ont rapporté une majorité d'appels émanant de femmes. Cette association nous a fortement alertés sur les familles monoparentales, représentant 40 % des appelants, et sur les appels provenant du milieu rural. Je tenais à mettre ce point en exergue devant vous qui êtes les représentants des territoires. La question de l'isolement a elle aussi été très marquante depuis le premier confinement. Une enquête transversale a été menée par l'INED sur ces questions.
J'insiste sur le télétravail, puisque nous devons préparer l'avenir sur ce sujet. 25 % des femmes interrogées ont indiqué disposer d'un lieu dédié, contre 39 % des hommes. Elles doivent partager leur lieu de travail avec les enfants, en assurant parfois l'école à la maison, et avec les autres membres du foyer. Nous devons en outre prendre en compte les familles dont plusieurs générations vivent sous le même toit.
Nous avons également des remontées d'informations et d'études sur ces rôles sociaux. Nous pouvons essayer d'analyser les impacts de la crise. Brigitte Grésy, sociologue reconnue, a toujours affirmé que le fait de quitter le domicile pour travailler avait constitué historiquement un facteur de libération pour les femmes. Le confinement a entraîné une réduction des libertés et a donc représenté un facteur de régression. Il a abouti à des arbitrages pas toujours simples dans les couples pour savoir comment répartir la charge. Bien souvent, les tâches domestiques, l'école à la maison ou l'aide aux aidants ont été réparties de manière très genrée. Les femmes ont ainsi récupéré l'essentiel des nouvelles tâches.
Jean-Daniel Levy nous rapporte dans l'enquête Harris Interactive un décalage entre les représentations que nous avons pu avoir ces dernières années, au sein des générations sensibilisées à l'égalité entre les femmes et les hommes, et la réalité dans le cadre du confinement. Nous devons accompagner et prendre en compte certaines questions dans nos propositions. Je ne dresserai pas ce matin la liste des dix-huit propositions que nous avons formulées mais je me tiens à votre disposition pour échanger à ce sujet. Elles s'appuient sur la réalité qui prévalait avant le confinement puis durant la période de crise, mais aussi ensuite. Nous proposons d'étendre l'octroi de la prestation de libre choix des modes de garde jusqu'aux dix ans de l'enfant. Elle peut aujourd'hui être versée sur demande, si les conditions sont requises, jusqu'aux six ans de l'enfant. Cette proposition rejoint les éléments que nous avons mis en avant concernant les femmes isolées ou en milieu rural. Une marge de progression nous semble ici possible.
A ce stade, au vu de nos constats, des réalités et des révélations, nous estimons dans notre avis et nos préconisations que nous devons remettre en avant la sensibilisation et la communication sur ces représentations et ces inégalités. Nous préconisons de renforcer l'éducation à l'égalité dans toutes ses dimensions et de mener une campagne de sensibilisation nationale à l'égalité femmes-hommes. En sortie de crise, cette action nous semble d'actualité.
Je n'entrerai pas dans les détails de ce qui est prévu par la loi, mais les dispositions prévues par le code de l'éducation ne sont pas totalement mises en oeuvre dans les écoles, collèges et lycées. Nous avons émis un ensemble de préconisations dans ce domaine qui, avant la crise, n'étaient pas totalement appliquées. Je pense toutefois que les priorités à la reprise ne viseront toujours pas ce sujet.
Vous souhaitez entendre nos conclusions concernant l'égalité professionnelle. Nous ne disposons pas d'une étude globale. Nous avons tout de même identifié, au gré des auditions et de la participation des conseillères et conseillers du CESE représentant des organisations patronales, syndicales, associatives ou autres, quelques remontées et données chiffrées sur le sujet, parmi lesquelles les moins bonnes conditions de télétravail, du moins pour les emplois qui y étaient éligibles. Je reviendrai ensuite sur les emplois non télétravaillables, mettant en avant le fait que nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur le télétravail. Comme je l'indiquais plus tôt, des priorités de vie ont conduit les femmes à arrêter de travailler ; d'autres, en recherche d'emploi, ont abandonné leurs démarches. Celles qui participaient à des conférences et des colloques ont suspendu leurs interventions. La majorité des publications scientifiques, très nombreuses entre le début du confinement et aujourd'hui, ont été signées par des hommes. Des chercheuses nous ont indiqué avoir mis leurs travaux en attente. Leurs priorités n'ont pas été orientées vers la publication. Les femmes ont de plus été incitées à quitter le marché du travail pour prendre en charge l'école à la maison, l'organisation des vacances scolaires et la garde des enfants à la maison. L'assurance maladie a rapporté le fait qu'elles ont été majoritaires à recourir au congé enfant malade prévu à cette période. Elles ont aussi recouru plus que les hommes aux réductions d'activité et activité partielle. Ces chiffres nous inquiètent.
Je me permets d'insister sur le cas des 1,5 million de personnes ayant des enfants, mais ne pouvant pas télétravailler. Elles ont été dépourvues de solution de garde. Aussi, certaines de ces femmes ont-elles arrêté leur travail. Or elles étaient déjà souvent en situation très précaire. Elles ont dû renoncer aux ressources que leur procurait leur travail pour garder leurs enfants. Il nous faudra trouver des réponses aux conséquences très profondes que cette période va engendrer. Parmi tous les salariés contraints à une activité partielle ou à temps partiel, les femmes représentent 43 % des demandes et les hommes 32 %.
Nous préconisons une forte sensibilisation à la prise en compte de l'égalité professionnelle au sein des entreprises, alors que cela n'a pas constitué une priorité dans la période de confinement ni d'ailleurs lors des discussions sur la mise en place du télétravail. Aussi recommandons-nous une étude d'impact genrée avant toute organisation du télétravail dans une entreprise.
L'entreprenariat au féminin a le vent en poupe. Or on constate à l'issue de deux mois de confinement que les femmes ayant créé leur entreprise récemment les ont plus rapidement fermées que les hommes lorsqu'elles avaient des enfants ou des personnes à charge, ou encore si elles étaient aidantes.
Une étude démontre que nous avons perdu trente ans de progrès en matière d'égalité entre les femmes et les hommes en un an de crise sanitaire. Nous ne disposons pas encore de toutes les données sur le sujet. Nous avons simplement une référence, qui est l'étude de l'INED relative aux hommes et aux femmes disposant d'un emploi entre le début de la crise et début mai 2020. 33 % de femmes ont perdu leur emploi à cette période, contre 25 % d'hommes. Nous constatons ici que les femmes ont été plus impactées par la perte d'emploi lors de cette première période de confinement. Il nous faudra suivre et étudier cette réalité dans le temps.
Certaines de nos préconisations s'orientent vers une prise en compte de cette réalité genrée et du besoin de préparer des plans de reconversion et de formation l'intégrant, afin de réorienter des suppressions d'emploi. Le remplacement des hôtesses de caisse par des caisses automatiques s'est accéléré pendant la période de confinement. Comment réorienter l'emploi de ces femmes dans le monde du travail sur les métiers du numérique ou de la transition écologique ? Ces derniers métiers demeurent très masculins. Nous devons réfléchir à une manière de réorienter les femmes et de nous donner les moyens de les former à ces métiers dits de la transition, mis en exergue durant cette crise. Je pourrais enchaîner avec tous les métiers à dominante féminine, dont les métiers du care, du soin, de l'accompagnement. Si on y compte aussi des hommes, y compris chez les infirmiers, ils sont majoritairement occupés par des femmes. Si les besoins sont réels dans ces métiers, dont nous souhaiterions que les postes y soient partagés équitablement, nous devons tout de même nous interroger : comment les femmes perdant leurs emplois aujourd'hui peuvent-elles être accompagnées et formées pour répondre aux besoins de service ? Nous préconisons la mise en place d'une conférence salariale pour valoriser ces métiers en prenant en compte une notion de salaire égal à travail de valeur égale, au-delà des augmentations prévues dans le cadre du Ségur de la santé. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de revalorisations ou de reconnaissances ponctuelles durant le seul temps de la crise. Pour organiser le recrutement et faire de ces métiers des emplois de longue durée, sans précarité ni coûts de transports supérieurs à la rémunération, comme c'est aujourd'hui le cas, nous devons revaloriser la filière pour la rendre attractive et faire en sorte que les hommes la choisissent afin d'aboutir à une égalité partagée entre les femmes et les hommes dans ce domaine.
Vous m'interrogiez sur les trajectoires des hommes et des femmes. Il existe à nos yeux un réel manque d'anticipation. Un observatoire des métiers fait aujourd'hui défaut. Au-delà de ce qui existe, nous connaissons plus ou moins le nombre de métiers amenés à disparaître dans telle filière, et créés dans telle autre. Nous manquons en revanche de données genrées sur le sujet. Si elles existent, nous nous interrogeons sur leur utilisation. J'y reviendrai dans le cadre du plan de relance. Nous préconisons donc la création d'un observatoire national de l'évolution des emplois pour les femmes pour mesurer la réalité avant de préparer la formation.
Nous regrettons l'absence de fléchage genré dans le plan de relance. Dans ce plan, le mot « femmes » n'existe pas. Nous partons du principe que ce qui n'est pas dit est invisible. De fait, c'est une réalité. Il est à nos yeux encore temps de décider d'un fléchage vers les emplois féminins. Nous ne sommes pas les seuls à le souhaiter. Le HCE et la Fondation des Femmes, ayant publié leur rapport respectivement en fin d'année 2020 et il y a quelques semaines, le mentionnent également. Nous préconisons cette orientation au niveau national, mais également européen, le plan de relance européen devant se mettre en place.
Mon dernier point portera sur la gouvernance de la crise. Avec ma co-rapporteure et les membres du CESE ayant travaillé sur cet avis, nous n'avons pas souhaité faire de « politique-fiction ». Nous ne pouvons pas affirmer qu'une proportion plus importante de femmes au sein des instances de décision, du conseil de défense ou des différents conseils scientifiques, aurait nécessairement entraîné des décisions différentes. Nous ne le savons pas, et restons donc mesurés sur ce point. Pour autant, même si les décisions avaient été les mêmes, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un taux de présence des femmes ne s'élevant qu'à 27 % dans le conseil scientifique Covid-19. Cette faible représentation des femmes n'est pas cohérente au sein d'une société dans laquelle une équité des représentations devrait être de mise. Nous faisons de nos préconisations sur ce point et sur le plan de relance un enjeu démocratique. Nous insistons sur cet aspect, car nous sommes un pays démocratique. Il nous semble que lors d'un moment de crise ou de tension, la vigilance doit être d'autant plus marquée. Le fait de ne pas participer au collectif d'échanges et de décision nous interroge sur l'aspect démocratique. La réalité doit évoluer pour associer les actrices et les acteurs de terrain.
Il nous faut diffuser les préconisations du CESE dans les territoires. C'est ensemble que nous pourrons faire évoluer la situation.
J'ai dit que l'égalité n'était pas un luxe en temps de crise. C'est un gage d'une réponse plus pertinente. La réduction des inégalités de genre représente un réel enjeu de démocratie.
Parmi nos préconisations, je n'ai pas cité le plan national de retour au soin, ni le plan national de prévention se concentrant sur les soins pédiatriques et la santé mentale. Ils sont aujourd'hui mis en exergue et nous semblent importants. Je n'ai pas évoqué non plus nos propositions pour les femmes éloignées des soins, en situation de handicap, ou les personnes précaires, notamment les migrantes. Nous les intégrons dans notre préconisation. Nous émettons également une recommandation dans le domaine du logement. Nous avons constaté que, pour la première fois, 27 % des femmes seules ou des familles monoparentales ont rencontré des difficultés pour payer leur loyer dans cette situation de crise. Il nous semble que la mise en place d'un fond mutualisé de garantie locative pour les plus vulnérables et les plus précaires devrait être étudiée pour prendre en charge les femmes dans ces situations, mais aussi les hommes, et ainsi leur permettre d'accéder à un logement. Ce fonds pourrait prendre en charge le dépôt de garantie et le cautionnement locatif, véritables freins à l'accès au logement. Même si des places sont réservées par des bailleurs sociaux, ce sujet représente une inquiétude. Il me semble bénéfique pour toutes les parties de nous interroger sur la solvabilisation du dépôt de garantie locative.
Vous l'avez compris, nous souhaitons aussi généraliser le recours aux données et aux outils d'aide à la décision genrés, non pris en compte dans le plan de relance. Nous proposons également un renforcement du contrôle du CSA dans la médiatisation et la visibilité des femmes dans les médias. Nous avons en outre évoqué la question de l'éga-conditionnalité, qui nous semble devoir être intégrée dans la décision de versement de fonds publics ou d'accompagnement public, en sachant éventuellement l'adapter au domaine de travail. Nous devons en tout cas l'intégrer dans toutes les propositions émises aujourd'hui, dont celles du plan de relance.
Mme Annick Billon, présidente. - Vous avez été particulièrement précise, à la fois sur le diagnostic et sur les propositions. Je vous remercie de cette présentation. Vous avez dressé un état des lieux exhaustif, et avez balayé les dix-huit propositions de l'avis sur l'économie, la santé, la formation, l'éducation, la prévention, émises à l'issue de ce travail mené en tant que co-rapporteure.
Je vais demander à mes collègues présents dans la salle ou en visioconférence s'ils souhaitent intervenir. Commençons par Mesdames Poncet Monge et Monier.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Merci de me donner la parole. Votre constat part du fait que toutes les inégalités et vulnérabilités antérieures ont été démultipliées par l'effet de la crise. Avez-vous pu, dans certains cas, les croiser avec les inégalités et vulnérabilités liées à la pauvreté et à la précarité ? Vous avez évoqué l'emploi et les démultiplications en matière d'emploi. S'y ajoutent les caractéristiques liées à l'emploi féminin en termes de précarité, CDD, temps partiel contraint, ou à l'emploi des jeunes. Il serait judicieux de croiser les conditions socio-économiques avec la question de l'âge. L'offre de « petits boulots », de CDD et d'emplois précaires s'est effondrée. Les femmes ont été davantage touchées. Il en va de même pour la pauvreté. La Fondation Abbé-Pierre a bien pointé le fait que les arbitrages en matière de logement se faisaient par le biais d'un renoncement aux soins, entre autres.
Avez-vous pu analyser ces démultiplicateurs de la crise sur les femmes ?
L'accord national interprofessionnel sur le télétravail, signé en décembre 2020, a-t-il pris en compte une analyse genrée ?
Vos propos concernant le plan de relance sont un peu étonnants. En effet, alors qu'une loi sur le développement international, à destination des pays dits les moins avancés, comprend une réflexion genrée développée, qui s'interroge sur les inégalités de genre, il semble paradoxal qu'un plan de relance interne ne prenne pas en considération les inégalités de genre.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci chère collègue. Je vous laisse répondre.
Mme Dominique Joseph. - Vous évoquez un croisement des différents facteurs ou sources d'inégalité et de pauvreté en partant des constats de terrain et d'associations. Nous avons essayé de le faire, bien que nous ne les ayons pas chiffrés. Quinze mois après le début de la crise, nous ne disposons pas nécessairement des moyens de mener ces études. Nous y avons toutefois été sensibilisés dans nos auditions d'associations. Nous avons croisé les inégalités cumulatives que sont les origines, le milieu social et la précarité. Sur les emplois non télétravaillables, je vous invite à vous interroger sur les personnes employées par les sociétés de service de nettoyage, par exemple. La réalité des inégalités peut être croisée. Nous ne disposons pas encore de données statistiques, sauf à reprendre ce que nous indiquent les associations telles que la Fondation Abbé-Pierre ou les Petits Frères des Pauvres. Marie-Aleth Grard, conseillère au CESE jusqu'au 31 mars, et présidente d'ATD Quart Monde, nous a indiqué lors d'une audition que les conditions de précarité augmentaient dramatiquement. Je n'illustrerai mon propos que d'un exemple, celui de La Maison des Femmes ouverte par le Docteur Ghada Hatem en Seine-Saint-Denis. Elle avait normalement pour rôle d'apporter une réponse aux femmes les plus éloignées des soins, de l'IVG, de la contraception, mais elle a finalement dû répondre à des urgences alimentaires.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Madame la rapporteure. Je passe la parole à Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Merci pour vos propos et pour votre travail sur le sujet. Il est désespérant d'entendre qu'un an de crise a suffi à mettre à mal trente ans d'amélioration de la condition des femmes.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le manque de données genrées dans différents domaines. Une volonté nationale me semble nécessaire pour y remédier.
Nous menons en ce moment une mission concernant les femmes et la ruralité. En effet, les inégalités apparaissent encore plus accrues dans ces zones géographiques.
Vous avez commencé par mentionner les exemples les plus prégnants, dont la santé et le renoncement aux soins ayant touché davantage de femmes en temps de pandémie. Avez-vous identifié les soins médicaux les plus concernés par ce renoncement ? Vous avez aussi évoqué des risques accrus en termes de santé mentale. Quelles sont vos recommandations sur le sujet ? Vous avez parlé d'un plan. Que pouvons-nous faire pour rendre plus accessibles les soins dans ce domaine ?
Des mesures ont été prises à titre provisoire dans le cadre de l'urgence sanitaire, parmi lesquelles l'extension du délai de l'IVG médicamenteuse à domicile de cinq à sept semaines de grossesse, la possibilité de prescrire une IVG médicamenteuse par télémédecine ou la possibilité de se procurer la pilule contraceptive même en cas de non-renouvellement de l'ordonnance. Les patientes et les praticiens s'en sont-ils suffisamment saisis ?
Vous avez parlé de l'éducation à la sexualité, levier important pour promouvoir l'égalité de genre et pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Nous sommes nombreuses au Sénat à alerter sur l'application effective de cette loi. Au cours d'un dernier texte sur la loi confortant le respect des principes de la République, Marlène Schiappa a reconnu qu'elle n'avait pas lieu de façon régulière. J'aimerais que vous reveniez sur le sujet.
Enfin, vos propos ont mis en exergue le fait que la prise en charge du travail domestique et familial a été dévolue aux femmes. Quelles sont vos recommandations visant à impliquer davantage les pères et conjoints dans ce domaine ?
Mme Annick Billon, présidente. - Merci chère collègue. Madame Joseph, je vous laisse répondre.
Mme Dominique Joseph. - Pour répondre à la première intervention de Mme Poncet Monge, je ne sais pas si l'analyse d'impact genrée est intégrée dans l'accord national interprofessionnel. Il me semble que ce n'est pas le cas, mais je n'en suis pas certaine. Notre préconisation est en tout cas orientée dans ce sens.
Madame Monier, tous les secteurs de soins médicaux ont été concernés. Lors du premier confinement, des services ont été fermés pour donner la priorité aux patients Covid-19. Tous les domaines médicaux ont donc été affectés. Ensuite, à leur réouverture, des enquêtes ont démontré que les femmes avaient estimé que leurs affections n'étaient pas graves et qu'elles pouvaient décaler un examen de prévention pour ne pas déranger les professionnels déjà très occupés. Il s'agit de ressenti et de vécu.
Concernant la santé mentale, la prise en charge de dix séances de consultation psychologique pour les jeunes a récemment été annoncée par le Gouvernement. De notre côté, nous préconisons une reconnaissance médicale et une prise en charge pour toutes et tous des consultations de psychologie par les pouvoirs publics, l'assurance maladie et les mutuelles complémentaires. Celles-ci l'ont déjà anticipé, puisqu'elles se sont engagées à rembourser des séances même en l'absence de cotation.
S'agissant de l'IVG, la contraception et l'allongement des dispositifs pris en compte dans la loi d'urgence, nous préconisons leur prolongement. Cette préconisation fait d'ailleurs toujours débat au sein du CESE. La formation des professionnels sur la prise en charge des violences faites aux jeunes femmes ou aux personnes LGBTQIA+ fait l'objet de notre sixième préconisation. La dix-huitième porte sur une campagne nationale de communication et de prévention. Nous reprenons de plus l'exécution d'une loi existante, et les moyens à mettre en place pour la permettre dans tous les lieux scolaires.
Notre premier axe, concernant la santé et le recours aux soins, comprend six préconisations.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Je laisse la parole à notre collègue Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. - Merci pour tous les éléments que vous nous avez apportés. Vos propos ont mis en exergue un gros problème vis-à-vis de l'éducation à l'égalité, de la crèche à l'université. Les comportements décelés, que nous connaissons parfaitement, tels que les femmes jugeant plus important de s'occuper de leur conjoint ou de leurs enfants que de leur santé, apparaissent dans les stéréotypes et schémas qui nous sont inculqués dès la naissance. Soutenez-vous l'éducation à la sexualité de la crèche à l'université ?
Nous sommes en 2021. Depuis très longtemps, les féministes se battent pour cette notion : « à travail égal salaire égal ». Nous sommes toujours loin du compte. La situation s'aggrave d'ailleurs en période de crise. Je suis frappée par le fait que la France, qui devait normalement ratifier l'OIT depuis début mars, avec un engagement répété de la ministre du travail Élisabeth Borne, ne le fasse toujours pas. Le CESE a-t-il été alerté sur cette question ? En fait-il une de ses recommandations ?
Mme Dominique Joseph. - Pour répondre à votre dernière question, notre préconisation numéro 3 porte sur la déconstruction des stéréotypes de genre et vise à pousser les garçons et les hommes à s'impliquer davantage. Nous espérons qu'elle sera portée dès la crèche et les lieux d'accueil, jusque dans les lieux de travail et les milieux politiques. Notre dix-huitième préconisation vise quant à elle à reprendre une campagne nationale de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous nous concentrons également sur l'augmentation des violences conjugales sur les jeunes femmes. La proportion de jeunes femmes de moins de vingt ans subissant des violences de la part de leur compagnon est en augmentation. Les lieux de sensibilisation et d'accueil des personnes subissant des violences ont été fermés durant la première période de confinement. Les pouvoirs publics ont très rapidement ouvert des lieux d'accueil dans les centres commerciaux. Ces lieux ont reçu un nombre non négligeable de jeunes femmes venant y faire part de leur vécu. Nous préconisons d'ailleurs que ces espaces restent ouverts en complément de ceux qui existaient déjà.
Nous avons émis des préconisations. Nous devons lutter pour déconstruire les stéréotypes de genre. Notre société est encore trop patriarcale. Nous citons toutes et tous le syndrome de la bonne élève. Nous voulons absolument bien faire. Ces modèles reviennent et se révèlent en période de crise.
Mme Annick Billon, présidente. - Madame la rapporteure, je vous remercie de nous avoir présenté ce rapport co-écrit avec votre collègue Olga Trostiansky. Il sera disponible prochainement avec ses dix-huit préconisations. Il est toujours intéressant de bénéficier d'un état des lieux. C'est encore mieux de disposer de propositions concrètes balayant l'ensemble des domaines, tels que le recours aux soins, les femmes en situation de handicap ou seules, de plus en plus nombreuses. Sur les droits sexuels et reproductifs, vous avez parlé de propositions ayant fait débat dans la société, mais aussi au Parlement et dans nos assemblées, avec l'allongement du délai de l'IVG et notamment de l'IVG médicamenteuse. S'y ajoutent la délivrance d'une pilule contraceptive sans ordonnance et la suppression de la clause de conscience. Tout cela nous évoque des sujets dont nous avons déjà débattu. N'oublions pas l'accessibilité aux soins et la santé mentale. Vous l'avez signalé, les femmes sont davantage touchées. Comment leur permettre un accès privilégié aux soins pour la santé mentale ?
S'agissant des violences, nous avons dès le premier confinement largement discuté de la réactivité du Gouvernement ayant immédiatement pris la mesure de la situation en proposant des points d'accueil dans les centres commerciaux et les pharmacies. Évidemment, nous en souhaitons la pérennisation, qui devra nécessairement passer par une augmentation de moyens pour les associations.
Je laisse la parole à Bruno Belin.
M. Bruno Belin, rapporteur. - Il est vrai que des consignes ordinales ont été données aux pharmacies pour délivrer la pilule contraceptive sans ordonnance. Quelques confrères s'y sont refusés, mais la grande majorité des officines répondent aujourd'hui à ce besoin. Il n'y a pas de barrage de la profession, au contraire, les professionnels ont bien joué le jeu. S'il faut modifier la loi en ce sens, ayons le courage de le faire.
Mme Annick Billon, présidente. - Il est toujours intéressant de vous entendre. Des réactions et propositions ont vu le jour durant le premier confinement. Pour qu'elles perdurent, les associations doivent disposer des moyens financiers et humains pour les déployer sur tout le territoire.
J'aimerais revenir sur le télétravail. La délégation aux entreprises du Sénat mène actuellement un travail avec plusieurs rapporteurs des différents groupes politiques sur le télétravail pendant le confinement, et les nouveaux modes de travail et de management. Je pense que nous prendrons connaissance de leurs résultats avec grand intérêt.
Nous pouvons affirmer qu'il y a eu une forte dégradation durant cette crise, depuis un an. Ce constat illustre une réalité dont nous nous doutions déjà, à savoir que dès qu'une difficulté survient, les sujets d'égalité passent au second plan.
Nous avons probablement un travail législatif et réglementaire à mener sur la garde d'enfants. Vous avez émis une proposition portant sur l'extension du complément de libre choix jusqu'aux dix ans de l'enfant. Celle-ci me semble intéressante. Nous aurions pu imaginer que le Ségur de la santé apporterait une réponse concernant la revalorisation des métiers du care. Cette réponse n'a été que partielle. Enfin, une de vos propositions porte sur l'instauration d'une parité obligatoire au sein de tous les organes de décision.
Vous évoquiez la formation et la prévention. Nous avons organisé la semaine dernière une table ronde sur le bilan de l'application de la loi sur la prostitution. À la demande de certains collègues, dont Laurence Cohen, nous y avons inclus un volet sur la prostitution des mineurs. Nous voyons bien que la relation entre les hommes et les femmes se construit davantage sur des modèles inspirés de la pornographie et modèles découverts sur Internet par les jeunes que sur de la véritable éducation à laquelle ils devraient avoir droit dans leur parcours scolaire, ce qui engendre les violences mentionnées précédemment.
Je vous remercie, Madame la rapporteure.
Mme Dominique Joseph. - Nous vous enverrons l'avis dès qu'il sera édité. Nous restons bien entendu à votre disposition.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cette audition. Bonne journée à tous.