Mercredi 30 mars 2021
- Présidence de M. Pierre Cuypers -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de représentants d'organisations syndicales agricoles - Audition de MM. Olivier Dauger, administrateur en charge des questions climatiques de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Christophe Chatet, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs, Georges Baroni, responsable de la commission énergie de la Confédération paysanne, et Alain Sambourg, représentant de la Coordination rurale
M. Pierre Cuypers, président. - Mes chers collègues, notre mission d'information inscrit ses travaux au coeur de plusieurs enjeux très importants : l'environnement et la gestion des déchets, la politique énergétique, ainsi que l'avenir de notre agriculture. Et comme je l'ai fait précédemment, je vais m'attacher à vous présenter, très brièvement, où nous en sommes, par rapport au fil conducteur de nos travaux.
Dans le cadre de nos réunions plénières, nous avons déjà auditionné, à l'occasion de deux précédentes tables rondes, les professionnels des énergies renouvelables, d'une part, les industriels du secteur gazier, d'autre part. Nos échanges de vues, à bien des égards passionnants, ont été très suivis, tant sur le site Internet du Sénat, que sur les réseaux sociaux. J'ajoute que les comptes rendus de ces auditions sont disponibles et je vous invite à les consulter.
Nous nous retrouvons aujourd'hui, pour une troisième table ronde, avec les responsables des syndicats agricoles.
Nous accueillons ainsi :
- M. Olivier Dauger, administrateur en charge des questions climatiques de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ;
- M. Christophe Chatet, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs ;
- M. Georges Baroni, responsable de la commission énergie de la Confédération paysanne ;
- et M. Alain Sambourg, représentant de la Coordination rurale.
Je vous rappelle également qu'une quatrième table ronde est programmée le mardi 6 avril à 16 heures 30, avec des scientifiques et des experts en recherche agronomique. Enfin, nous auditionnerons conjointement, les ministres de la transition énergétique et de l'agriculture, sous réserve naturellement d'une confirmation que nous ne manquerons pas de vous fournir. Cette audition devrait avoir lieu le mercredi 12 mai prochain, à 16 heures 30.
Parallèlement, notre rapporteur Daniel Salmon a déjà mené au moins quatorze auditions. À la fin de cette semaine, nous en serons à seize. Il s'agit d'un très bon rythme, puisque nous sommes en passe d'avoir rencontré la quasi-totalité des personnalités que nous voulions voir initialement ! Dès lors, nous travaillons à monter une seconde série d'auditions complémentaires pour le mois d'avril. Notre rapporteur, Daniel Salmon, vous fournira dans quelques instants davantage de précisions à ce sujet.
Ces auditions du rapporteur ont lieu par vidéoconférence. Elles sont, je le rappelle, ouvertes aux 23 sénateurs de la mission d'information, votre participation est donc bienvenue.
En ce qui concerne notre table ronde plénière d'aujourd'hui avec les syndicats agricoles, je vous précise que la durée prévisionnelle de nos échanges de vues pourrait être d'environ 2 heures. Notre réunion est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Je cède désormais la parole à notre rapporteur, Daniel Salmon, et je rappelle que le port du masque est obligatoire.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci monsieur le président, merci Pierre.
Mes chers collègues, mesdames et messieurs, permettez-moi, au préalable, de vous donner quelques informations sur la seconde série d'auditions du rapporteur, en cours de préparation pour le mois d'avril.
Sans pouvoir à ce stade être totalement exhaustif, je souhaiterais - a minima - que nous puissions nous entretenir avec :
- la préfecture du Finistère, au titre de la gestion de l'accident survenu l'an passé à Châteaulin ;
- la préfecture de Seine-et-Marne, à la suite de l'accident qui s'est produit à Ussy-sur-Marne il y a une dizaine de jours ;
- l'Association des Régions de France ;
- la PME française Nenufar, qui construit des méthaniseurs ;
- France Agrimer ;
- l'entreprise de croissance (ou « start up ») Sublime ;
- l'Association d'initiatives locales pour l'énergie et l'environnement (AILE) ;
- et la société Tryon environnement.
Par ailleurs, trois auditions supplémentaires pourraient être organisées, pour faire suite aux demandes de plusieurs sénateurs de notre mission d'information :
- l'Observatoire de la méthanisation, dans le Lot, sur une suggestion de notre collègue Angèle Préville ;
- le « cluster », ou grappe d'entreprises, Biogaz Vallée, dans l'Aube, comme nous l'a proposé Vanina Paoli-Gagin ;
- ainsi que les méthaniseurs des exploitants de poulet de Loué, dans la Sarthe, une idée avancée par Thierry Cozic.
J'en viens maintenant à notre table ronde d'aujourd'hui.
En accord avec le président Cuypers, je vous propose que nous organisions notre réunion, d'une durée de 2 heures maximum, en trois séquences d'égales durées, selon le schéma suivant :
- d'abord, environ 40 minutes de libres avant-propos, à raison de 10 minutes pour chacun de nos quatre invités ;
- ensuite, environ 40 minutes pour les réponses aux questions du président et du rapporteur ;
- et enfin, 40 minutes pour les questions des autres sénateurs, de façon que chacun puisse s'exprimer et obtenir les réponses les plus précises possibles.
Plus précisément et d'une façon générale, nous souhaiterions que nos échanges de vues s'articulent, autant que possible, autour des trois grands thèmes suivants :
- premièrement, un mini-débat sur la problématique générale du sujet. Nous pourrions ainsi le libeller : « entre avantages et inconvénients, existe-t-il, selon vous, une voie intermédiaire pour un développement raisonné de la méthanisation dans notre pays ? Et quels sont à vos yeux ses contours ? »
- deuxièmement, un point sur les risques environnementaux et sur leur prévention ;
- troisièmement, une réflexion sur les différents schémas de méthanisation et leur impact en termes de pratiques agricoles.
Je « rebondirai » sur vos propos, par un jeu de questions spontanées, à l'instar du président Pierre Cuypers et de mes collègues sénateurs, qui se livreront, eux aussi, à ce dialogue dynamique.
Puisqu'il nous faut, pour des raisons pratiques, définir un ordre de passage, je propose que prennent successivement la parole, pour à chaque fois 10 minutes de propos introductif :
- M. Olivier Dauger, administrateur en charge des questions climatiques de la FNSEA ;
- M. Christophe Chatet, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs ;
- M. Georges Baroni, responsable de la commission énergie de la Confédération paysanne ;
- et M. Alain Sambourg, représentant de la Coordination rurale.
J'ajoute que nous avons adressé, à chacun d'entre vous, avant cette table ronde, un questionnaire écrit détaillé. Nous vous serions donc reconnaissants de bien vouloir nous adresser tous les éléments écrits que vous jugerez utiles, pour compléter notre information, à la suite des échanges que nous aurons cet après-midi.
Pour conclure ce bref propos introductif, permettez-moi d'attirer votre attention sur deux questions précises :
- « quels sont déjà les impacts du réchauffement climatique sur vos cultures et vos pratiques agricoles, quels seront-ils demain ? » ;
- « dans cette configuration, qu'en est-il du bilan énergétique du processus de méthanisation, comment le voyez-vous ? »
Avec mes 21 collègues de la mission d'information, nous cherchons collectivement à établir un travail solide, étayé sur des éléments rationnels et scientifiques. Nous avons constaté que ces auditions étaient très suivies. La méthanisation est un sujet d'intérêt, dont s'empare le monde agricole, mais aussi le monde rural et par extension les énergéticiens et pratiquement toute la société qui voit « fleurir » les méthaniseurs. Cela pose de nombreuses questions et tout l'intérêt de cette mission d'information, consiste à apporter l'éclairage le plus objectif et rationnel possible sur ces problématiques.
J'observe enfin que l'une de vos organisations syndicales a pris une position tranchée sur le sujet : il s'agit de la Confédération paysanne, qui s'est prononcée en faveur d'un moratoire sur le développement de la méthanisation. Vous nous indiquerez les raisons de cette prise de position et chacun pourra s'exprimer sur cette idée du moratoire.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci Monsieur le rapporteur. Tous les membres de la mission d'information sont des esprits ouverts, ayant à coeur d'écouter et d'analyser les éléments avancés par les différents intervenants.
M. Olivier Dauger, administrateur en charge des questions climatiques de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). - Merci monsieur le président, je vous remercie d'avoir créé une mission d'information sur la méthanisation. C'est une filière nouvelle et comme toute filière nouvelle, il est nécessaire de définir un certain nombre d'éléments, notamment de présenter ses objectifs et d'en débattre. Vous avez déjà reçu plusieurs personnes lors de vos précédentes auditions et vous disposez de nombreuses informations. Je vais m'efforcer d'apporter un regard un peu différent.
J'observerai tout d'abord que si nous ne répondions pas à vos trois questions principales, nous ne pourrions pas envisager le développement de la méthanisation dans de bonnes conditions.
Le réchauffement climatique a évidemment un impact sur l'agriculture, d'abord en termes de dates de récolte, mais surtout, depuis cinq ou six ans, en termes d'impact économique, avec plusieurs accidents climatiques, comme des inondations, des gels tardifs ou des périodes de sécheresse.
Je m'occupe des questions de climat et d'énergie, pour la FNSEA ainsi que pour l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), depuis maintenant six ans. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ces questions, le climat avait un peu changé, les vendanges avaient lieu plus tôt, mais il n'y avait pas encore d'accidents climatiques. Ces accidents pèsent sur l'équilibre économique des exploitations et nourrissent une réflexion sur la transition agricole, que certains appellent agroécologie, sur les systèmes, sur les sols, les apports aux sols, la vie des sols. Nos systèmes agricoles ne pourront sans doute jamais être complètement protégés par rapport au climat, mais nous pourrons les rendre plus résilients en termes d'érosion, d'eau ou d'utilisation de produits.
Le bilan énergétique doit bien entendu être réalisé, mais je rappelle que la transition énergétique résulte des dispositions de l'Accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015, dont la première décision pratique consiste à sortir des énergies fossiles. Cette transition doit se faire avec une vision globale, prenant en compte ses impacts positifs comme ses impacts négatifs. En outre, le gaz vert n'est pas qu'un prix. Il touche à l'économie circulaire et présente des intérêts au niveau agronomique, parmi d'autres externalités positives. Or, nous n'avons pas encore de vision globale sur ce que peut apporter cette nouvelle filière. Notre attention se focalise trop sur le prix du gaz.
Les agriculteurs s'intéressent autant à la transition énergétique parce que son potentiel se situe en grande partie dans les territoires agricoles. Il est donc logique que ce potentiel soit exploité au niveau de la profession agricole. Or en économie, l'exploitation d'un potentiel ne bénéficie pas toujours à ceux qui le détiennent. Cette question fait également partie du débat sur la diminution à venir des tarifs d'achat du biométhane : je pense qu'un tarif qui a tendance à baisser permet d'éviter certains effets d'aubaine. Je vais préciser ma pensée.
Avant l'ère du pétrole, l'agriculture fournissait l'énergie, les vêtements, les isolants : en résumé, elle fournissait tout. Avec l'arrivée du pétrole, du charbon et du gaz, l'agriculture s'est ensuite focalisée sur l'alimentation. Aujourd'hui, si nous supprimons à plus ou moins brève échéance ces énergies fossiles et en particulier si nous renonçons à la moitié des 400 térawattheures fournis par le gaz, il faudra bien trouver des solutions pour produire les 200 térawattheures manquant. Je rappelle que le biogaz représente aujourd'hui 2 à 3 térawattheures, avec un potentiel de développement de 10 à 15 térawattheures. Nous ne ferons pas que de la méthanisation, il existe d'autres technologies comme la méthanation, le power-to-gas ou l'hydrogène. L'agriculture est active sur ces énergies, car elles représentent un moyen de redynamiser les territoires et de développer l'économie circulaire.
Toute nouvelle énergie ou filière nécessite des « calages », c'est-à-dire des ajustements. La méthanisation constitue une filière récente, notamment en injection, moins en cogénération. C'était une filière de niche, qui aujourd'hui se développe. Ce développement crée des effets d'aubaine et des déséquilibres par rapport aux intrants. Pour l'agriculteur qui dispose d'une vision globale de son exploitation, de ses systèmes agricoles, de ses sols et de son élevage, le méthaniseur représente une vraie plus-value. D'une façon générale, je pense que notre filière doit se développer de cette manière, tout en restant attentive à prévenir certains effets d'aubaine.
Je précise que je suis également le coprésident de France Gaz Renouvelables. Nous avons accepté la baisse, annoncée par les pouvoirs publics, de 2 % par an du tarif d'achat du biométhane aux unités de méthanisation. En effet, nous nous sommes rendu compte de l'existence de tels phénomènes d'effet d'aubaine. Par exemple, certains exploitants sont prêts à acheter du maïs en le payant trois fois le prix normal. D'autres avaient prévu une méthanisation avec de l'irrigation. Je suis convaincu qu'un projet de méthanisation fondé sur de telles bases ne serait pas un projet durable. Et si nous avons besoin au niveau national de produire 100 ou 200 térawattheures, beaucoup d'hectares risqueraient alors de devoir être irrigués, pour alimenter ce type de développement. Or, nous aurons précisément besoin de l'irrigation pour l'alimentation, si le réchauffement climatique se poursuit.
Un troisième exemple d'ajustement à intervenir porte sur la sécurité. Nous travaillons aujourd'hui avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) sur les installations classées protection de l'environnement (ICPE) et avec la Direction générale de l'alimentation (DGAL) sur le socle commun du retour à la terre, c'est-à-dire sur ce que l'on peut épandre. Cela nécessite un gros travail. Les premiers textes de la DGPR sur les ICPE étaient particulièrement rigides. Nous sommes donc « montés au créneau » pour que les normes soient efficaces, qu'elles répondent aux risques mais qu'elles n'empêchent pas, par leur complexité, les agriculteurs de rentabiliser leurs investissements.
D'une façon générale, nous avons des normes élevées, ce qui est très bien, mais il faut également que le prix de vente « paye la norme ». En agriculture, vous aurez résolu 95 % des problèmes, le jour où les agriculteurs seront payés au juste prix de leurs produits.
Le gaz doit lui aussi être payé à son juste prix. Or la baisse proposée, de 30 % au total par rapport aux tarifs actuels, conduit dans les faits à un moratoire sur les nouveaux projets après 2023. Les changements brutaux ne sont pas dans l'intérêt de la filière, car ils conduisent à des projets développés à la hâte pour entrer en service avant le changement de tarifs, alors qu'ils n'ont pas été suffisamment travaillés. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre. Le véritable enjeu consiste à conserver dans notre pays une méthanisation territoriale, sur une base agricole, tout en refusant le système allemand. Je me réjouis enfin d'avoir participé à la création, il y a trois ans, de France Gaz Renouvelables qui permet des échanges réguliers entre le secteur du gaz, celui des réseaux et le secteur agricole.
Si le prix du gaz est trop faible, tous les projets de méthanisation seront de gros projets industriels, portés par Engie ou par Total, et la dimension développement durable de la filière aura disparu. Par ailleurs, il faut cesser de comparer le gaz renouvelable au gaz naturel. Plus précisément, le prix du gaz renouvelable doit faire l'objet d'une comparaison, non pas avec le prix d'une énergie fossile, qui va être abandonnée, mais avec celui du mix énergétique qui sera en vigueur en 2030 ou en 2040. L'estimation tourne autour de 50 à 60 euros par térawattheure à l'horizon 2040/2050 (au lieu de 90 euros actuellement), à comparer avec les 20 euros que coûte aujourd'hui le gaz naturel. Il faut donc trouver un équilibre et leur donner aux agriculteurs des perspectives de tarifs raisonnables.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci, nous reviendrons sur les enjeux que vous avez évoqués au moment des questions.
M. Christophe Chatet, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs. - Je suis agriculteur dans l'Allier, moi-même non-méthaniseur, et j'ai la charge du suivi des questions d'environnement et de climat au sein des Jeunes Agriculteurs.
Nous ne sommes pas contre la méthanisation, sous réserve qu'elle s'inscrive dans un projet global, comme pour l'installation en agriculture. D'une façon générale, si le projet n'est pas pensé dans la globalité de l'exploitation, il ne sera ni viable ni durable. Les ressources qui vont alimenter le méthaniseur doivent être clairement définies et évaluées à l'origine du projet, pour éviter des dérives, comme l'achat de maïs évoqué précédemment par Olivier Dauger. L'analyse du cycle de vie doit être prise en compte attentivement : c'est l'indicateur qui permet de mesurer la durabilité de la méthanisation. Celle-ci ne doit pas prendre le pas sur la fonction nourricière de l'agriculture. Elle doit rester une activité agricole, menée en parallèle de la production alimentaire, en valorisant les déchets et non les cultures, pensée dans le cadre d'un projet agronomique structuré, travaillé sur plusieurs années.
Enfin, les méthaniseurs doivent rester de taille agricole et non industrielle. La filière doit absolument éviter de construire des méthaniseurs gigantesques, qui échapperaient à l'agriculture. Un projet dans l'Allier a suscité de nombreuses oppositions, notamment parce qu'il aurait nécessité d'importantes ressources.
M. Georges Baroni, responsable de la commission énergie de la Confédération paysanne. - Je suis depuis 30 ans viticulteur dans le Var. Je m'occupe de l'énergie et du climat au sein de la Confédération paysanne, depuis la Conférence de Copenhague de 2009 sur les changements climatiques.
Dans votre introduction, monsieur le rapporteur, vous avez rappelé que la Confédération paysanne avait demandé un moratoire. Ce moratoire a pour objectif de mener à bien un examen de tous les aspects, positifs et négatifs, de la méthanisation. Le débat organisé par le Sénat constitue une excellente initiative, qui nous permet de nous rencontrer et de partager des points de vue différents.
Vous avez cité la question du changement climatique. Les médias associent agriculture et émission de gaz à effet de serre (GES), en insistant sur l'importance non négligeable de leur niveau, juste après les transports. Si certaines activités agricoles, notamment celles qui sont liées aux engrais ammonitrates, émettent des GES, la méthanisation n'est pas la bonne réponse. Elle consiste à prendre le carbone dans les plantes, à le transformer en carbone énergétique et à le brûler. Or, ce mécanisme produit des GES, sous la forme de CO2. Je ne vois donc pas de bilan positif de la méthanisation sur la réduction des GES agissant sur le changement climatique.
Si nous allons plus loin dans l'analyse des cycles de vie, nous constatons que la méthanisation est loin d'avoir un cycle de vie vertueux au niveau des émissions de GES. Par ailleurs, la mise en oeuvre d'un projet de méthanisation implique l'utilisation d'intrants d'origine agricole et d'origine extra-agricole, notamment les boues des stations de traitement des eaux. Nous nous sommes inquiétés de la pollution engendrée par ces boues qui n'auraient pas été stérilisées ou débarrassées d'un certain nombre de polluants. En dehors des intrants, nous estimons que l'usage des digestats ne permettra pas de conserver la biodiversité et la fertilité des sols. Au moment où ils sont épandus dans les sols, les digestats émettent de l'ammoniac et, même si l'on respecte les profondeurs d'enfouissement, ils ne restituent que deux carbones sur les sept qui existaient à l'origine dans la plante. Il y a donc une perte de carbone : il est dans le biogaz et se transformera en GES.
La Confédération paysanne est favorable aux petits méthaniseurs dans les fermes, répondant aux besoins de l'exploitation agricole et non aux méthaniseurs qui regroupent plusieurs agriculteurs ou des entités extérieures, comme des industries agroalimentaires.
En outre, la graisse dispose d'un pouvoir méthaniseur nettement plus important que le fumier de vache. Celui-ci représente entre 20 et 25 normos mètre cube (Nm3) de méthane par tonne de matière sèche, le maïs ensilé 85 et les matières grasses entre 100 et 110. Pour conclure cet avant-propos, la Confédération paysanne n'est pas complètement opposée à la méthanisation, mais elle est complètement opposée à la méthanisation de type industrielle. Cette dernière ne fait que dégrader les qualités des cultures qui constituent la base de l'agriculture paysanne, laquelle produit une alimentation de qualité et sait protéger son environnement.
M. Alain Sambourg, représentant de la Coordination rurale. - J'ai aujourd'hui une pensée pour ceux qui ont investi dans la méthanisation. En France, 70 % des méthaniseurs sont en cogénération et environ 10 % en injection. Pour cette dernière technologie, les investissements requis sont très importants. J'ai entendu précédemment des propos sur l'évolution de la méthanisation mais, pour ma part, je m'interroge sur les moyens de soutenir les méthaniseurs qui sont déjà installés. Je rejoins ici M. Baroni sur la nécessité d'étudier les revenus que les agriculteurs tirent de l'injection avant de définir une politique sur les méthaniseurs de demain. Je conseille également au rapporteur de recevoir des exploitants allemands, en particulier ceux qui continuent la méthanisation en injection et ceux qui l'ont arrêtée, après des changements de réglementation intervenus dans leur pays.
La Coordination rurale suit de gros projets de méthanisation, surtout en Île-de-France, qui souffrent d'un manque de rentabilité, à la suite de l'évolution du cadre juridique applicable. S'y ajoutent le problème de l'acceptabilité sociale, car l'odeur du digestat pose aussi des difficultés avec les riverains, ainsi que la question des rejets dans l'atmosphère. À terme, on évoque la méthanation, consistant à incorporer de l'hydrogène au CO2 pour faire du CH4, mais cette technique n'est pas encore bien maîtrisée. Si la question d'investissements obligatoires en méthanation devait se poser, la rentabilité des projets s'en trouverait affectée.
Protégeons les méthaniseurs en activité, qui craignent de ne pas pouvoir rembourser leurs emprunts avec le chiffre d'affaires généré par le gaz ! En Seine-et-Marne, certains méthaniseurs ont investi 6 à 7 millions d'euros et il est indispensable de les « épauler ». Par ailleurs, la méthanisation joue un rôle sur le prix des terres. Un méthaniseur de 250 kWh nécessite environ 600 hectares. En l'absence de regroupement, les agriculteurs vont chercher de la surface agricole et paient les terres entre 15 000 à 20 000 euros par hectare, en versant 5 000 euros aux cédants et en mettant les 15 000 euros restant dans le méthaniseur, assortis de 5 % de rémunération, tout en s'endettant auprès de leur banquier. La Coordination rurale appelle à soutenir ceux qui ont beaucoup investi, afin éviter des faillites et des suicides.
Les cultures de maïs présentent également un impact sur l'apport de matière sèche aux méthaniseurs, tandis que les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) nécessitent un arrosage. Si l'irrigation était remise en cause demain dans l'alimentation des méthaniseurs, elle doit se limiter aux futurs méthaniseurs et épargner ceux qui sont déjà en fonctionnement.
Pour les futurs méthaniseurs, il faut prendre le temps d'étudier l'action du digestat dans les sols. Le carbone du digestat, qui revient dans les sols, c'est du charbon. Il n'y a donc aucun intérêt à utiliser le digestat dans les sols, sauf pour assurer leur équilibre minéral. Le digestat minéral va remplacer la plante extraite du sol. Si celle-ci était restée dans le sol, elle aurait été dégradée par les micro-organismes et le carbone serait toujours dans le sol. La méthanation permet de récupérer le carbone pour produire du CH4 mais il présente un impact sur la fertilité des sols. J'invite la mission d'information du Sénat à entendre des agronomes pour approfondir cette question.
L'ancien ministre de l'agriculture, M. Séphane Le Foll, avait défendu l'objectif d'accroître de 0,4 % par an la séquestration du carbone dans les sols, afin d'arrêter la tendance à l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère, mais la méthanisation retarde l'atteinte de cet objectif. Certains observateurs estiment que les racines vont compenser le carbone issu de la méthanisation, mais ils oublient que si vous n'irriguez pas vos CIVEs, vous n'aurez pas de racines dans les sols. Il est important que toutes ces questions soient débattues et de ne pas mettre les agriculteurs devant le fait accompli. On entend dire qu'un méthaniseur dégagerait un chiffre d'affaires de 7 000 euros par jour, soit 210 000 euros par mois : si l'interdiction de l'irrigation ne permet plus de l'alimenter, la perte sera colossale pour les exploitants.
Il faut donc sauver ceux qui ont investi dans la méthanisation en injection ! Les responsables politiques doivent prendre conscience des difficultés auxquelles ils sont confrontés, au niveau de l'eau, du soufre et du CO2. Gaz Réseau Distribution France (GRDF) est un partenaire exigeant pour les agriculteurs : avant de l'accepter dans le réseau, le gaz issu de la méthanisation est analysé. S'il ne respecte pas les normes, il est brûlé par l'exploitant et le méthane est perdu. L'agriculteur est seul responsable de la qualité de son gaz.
M. Pierre Cuypers, président. - Nous sommes ici pour évaluer l'ensemble du sujet, afin de publier un rapport prospectif. J'invite nos collègues qui doivent se rendre en séance publique à poser dès à présent leurs questions.
Mme Angèle Préville, sénatrice. - Les propos de M. Sambourg sur les agriculteurs qui sont seuls responsables de la qualité de leur gaz m'ont marquée. Quelle est l'ampleur du problème que vous avez mis en avant, où l'exploitant se trouve obligé de brûler son gaz ? Quelle proposition pourrait faire le Sénat pour résoudre cette question ?
M. Jean Bacci, sénateur. - Quels sont les éléments qui expliquent que le gaz soit de mauvaise qualité ?
M. Thierry Cozic, sénateur. - GRDF dispose d'un monopole pour la réinjection du gaz dans le réseau. Les contraintes réglementaires sur la qualité du gaz doivent-elles être repensées ?
M. Alain Sambourg. - Certains méthaniseurs rencontrent des problèmes de qualité de gaz dus essentiellement au soufre. Pour limiter la teneur en soufre, il convient d'éviter d'introduire dans le méthaniseur de la moutarde et du colza. De son côté, l'industrie agroalimentaire broie des déchets alimentaires avec du plastique et du polystyrène, parce qu'elle n'a pas le courage d'enlever les emballages de ses produits. Or le plastique et le polystyrène dégagent du soufre dans les méthaniseurs. Enfin, il n'y a pas de traçabilité des boues, qui contiennent souvent de l'hydrogène sulfuré. Quand la norme de teneur en soufre de 0,005 % est dépassée, GRDF oblige à brûler le gaz en torchère. Les méthaniseurs sont équipés de filtres onéreux - d'une valeur de 7 000 euros - pour retenir le soufre, mais s'ils sont alimentés avec des boues de stations d'épuration ou des déchets agroalimentaires, ces filtres doivent être changés tous les 3, 4 ou 5 jours. Si l'on n'est pas capable de l'obtenir, une disposition législative devrait imposer de connaître la nature de tous les produits introduits dans les méthaniseurs, afin de maîtriser cette teneur en soufre.
M. Olivier Dauger. - La méthanisation est une filière très industrielle, avec la technicité de l'énergie. D'une façon générale, les agriculteurs connaissent les méthaniseurs, qui fonctionnent comme une panse de vache et sont capables de mettre en oeuvre ces équipements, même s'ils ne maîtrisent pas tous les aspects de la partie aval de la méthanisation. Le gaz doit effectivement respecter des normes de pureté et celles-ci dépendent des intrants, du suivi et du professionnalisme des opérateurs. C'est loin d'être un métier anodin.
La question des CIVEs d'été a été abordée. Elles doivent être bien choisies. Certains agriculteurs travaillent ainsi sur des CIVEs d'hiver ou sur du sorgho, qui présentent l'avantage de consommer très peu d'eau.
Comme la méthanisation est une filière nouvelle, il faut faire travailler la recherche sur la question du carbone dans les sols. Nous manquons encore sans doute de recul. Mais les premiers résultats des études réalisées par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ne sont pas alarmants. La méthanisation permet que les sols soient couverts toute l'année, ce qui favorise la biodiversité : l'agroécologie est sans doute une voie d'avenir pour l'agriculture. La méthanisation implique de produire plus de biomasse. Or, pour produire plus de biomasse et pour capter plus de carbone, il faut augmenter la matière organique.
Sur l'hydrogène et le CO2, je veux vous rassurer. Le problème aujourd'hui, réside dans le fait que nous ne sommes pas capables de produire de « l'hydrogène vert » : nous utilisons donc de « l'hydrogène bleu », c'est-à-dire du gaz fossile pour le produire. L'objectif pour demain consisterait à utiliser le CO2 issu entre autres de la méthanisation pour obtenir, le cas échéant, de l'hydrogène. C'est une énergie particulièrement complémentaire de l'énergie électrique, car elle est stockable. Si le biogaz est de qualité, il peut être mélangé à du gaz fossile. Les recherches ont également montré qu'il était possible de mettre une petite part d'hydrogène dans les tuyaux, voire d'utiliser ces derniers pour mettre de l'hydrogène à la place du gaz. Nous pourrons donc disposer d'une énergie stockable, permettant de produire de l'électricité ou de l'hydrogène pendant les périodes sans soleil, sans vent et de grand froid. Toute la consommation de gaz ne pourra bien sûr pas être remplacée par le biogaz, mais c'est l'une des « briques » de l'édifice de la transition énergétique, avec, en outre, une garantie de stockage de l'énergie permettant de stocker trois quarts d'une année complète de consommation, ce qui représenterait un véritable atout sur le plan économique.
M. Georges Baroni. - J'ai entendu quelques « erreurs ». Aujourd'hui, l'acceptabilité de l'hydrogène dans les pipelines de gaz ne dépasse pas 3 %. En effet, l'hydrogène fuit à travers les joints des tuyaux, ce qui nécessite une métallurgie spécifique. Ne commençons pas à dire que l'hydrogène vert sera demain fabriqué à partir de nos productions agricoles ! Je rappelle également une règle physique : produire de l'hydrogène consomme exactement la même quantité d'énergie qui a été produite.
La présence de sulfure d'hydrogène (H2S) dans le biogaz est liée à la mauvaise qualité des systèmes de purification actuellement mis sur le marché : ils sont même très mauvais. Les pouvoirs publics ont accepté le principe que dans le gaz mis à l'atmosphère lors de la purification, on accepte 3 % de méthane du volume de biogaz traité. C'est aberrant de mettre à l'atmosphère du méthane qui a un pouvoir de GES 24 fois plus important que le CO2.
La problématique de la pureté du biogaz produit injecté dans le réseau rejoint celle de la conduite et de la gestion d'un méthaniseur. La Confédération paysanne a toujours fait valoir que les paysans ne sont pas des spécialistes de conduite d'une unité physico-chimique relativement complexe. Nous le constatons à travers les incidents, les accidents, mais aussi avec l'impureté du gaz. Il est certain que Gaz Réseau Distribution France n'acceptera pas de gaz ayant une teneur en H2S supérieure à la norme du gaz naturel arrivant dans votre cuisinière. Par ailleurs, le taux d'H2S et de soufre dans le méthaniseur va poser, dans les années à venir, un énorme problème. En effet, la corrosion produite par les composés sulfureux à quelque endroit que ce soit dans le processus de méthanisation entraîne une dégradation des ciments, des plastiques, des caoutchoucs et des métaux, qui ne sont pas d'origine prévus pour résister à ces composés sulfureux.
J'invite donc mon collègue de la FNSEA, qui connaît bien ces problèmes techniques et qui affirme que l'énergie pourra être stockée grâce au gaz, à revoir ses calculs.
M. Olivier Rietmann, sénateur. - Un jeune éleveur qui veut s'installer a pour obligation de prévoir une capacité de stockage de ses effluents d'élevage de six à sept mois. Cette obligation entraîne des investissements importants. Une instance syndicale de Haute-Saône m'a récemment soufflé l'idée de proposer à ce jeune éleveur de signer un contrat d'apport de ses effluents à une exploitation dotée d'un méthaniseur. Si ce contrat était signé avant l'installation, le jeune éleveur verrait ses obligations d'investissement dans le stockage de ses effluents diminuer et son installation serait ainsi facilitée.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Avant d'évoquer tout ce que la méthanisation rejette, il me semble essentiel de nous interroger sur les raisons qui nous conduisent à faire de la méthanisation. Elle a été mise en avant pour contribuer à la sortie des énergies fossiles. Pour sortir des énergies fossiles, nous avons deux solutions : ou bien créer de l'énergie renouvelable non fossile avec les barrages, les éoliennes, le photovoltaïque ou la méthanisation ; ou bien encore revenir à la force tractée que nos ancêtres ont connue, c'est-à-dire utiliser des animaux capables de tirer une charrue ou une charrette. Un tiers de la production fourragère française était utilisé dans la force de traction il y a encore quelques décennies. Quand j'entends que le méthane a un pouvoir de GES 24 fois supérieur à celui du CO2, je rappelle qu'un animal qui mange du fourrage ne produit pas de CO2 mais du méthane. Quand ce même fourrage alimente un méthaniseur pour produire du gaz qui permet d'avoir une compensation par rapport à la force de traction que pourrait apporter un animal, c'est un bien pour la planète, c'est une voie de sortie des énergies fossiles. Il faut regarder les choses avec objectivité.
Je suis d'accord, comme l'ont indiqué les quatre intervenants conviés à cette table ronde, pour que la méthanisation demeure proportionnée à la taille des exploitations agricoles. Je souhaite que les capitaux investis proviennent des agriculteurs, pour éviter toute méthanisation incontrôlée, très capitalistique, où les agriculteurs deviendraient de simples fournisseurs de manières premières, sans bénéficier réellement des fruits de leur travail.
Sur les CIVEs et sur les colzas, il y a en France une règle qui n'existe pas en Allemagne. Quand 15 % de la culture principale peuvent être utilisés dans le méthaniseur, certains agriculteurs ne sont-ils pas incités à produire des CIVEs qui passent par du maïs irrigué ? Une limite aussi importante crée des inconvénients. Peut-être serait-il préférable d'avoir un hectare de maïs en culture principale, plutôt que d'avoir du maïs irrigué pour le faire passer en culture dérobée ? Ce débat doit être ouvert, comme celui sur la culture du chanvre, utilisé comme matériau d'isolation, qui n'est pas une culture alimentaire.
M. Alain Sambourg. - Adopter le maïs en monoculture comme en Allemagne ne serait pas une bonne idée : les Allemands ont détruit leurs sols et avec un recul de dix ans on a constaté que le maïs semé à côté des méthaniseurs ne poussait plus.
La question de l'agroécologie ne doit pas être traitée dans le cadre de la méthanisation : il faut éviter une confusion préjudiciable aux agriculteurs.
Enfin, la méthanisation bénéficie de l'aide des régions et de l'État et les agriculteurs devront en quelque sorte « rendre des comptes », notamment en termes d'obligations environnementales.
M. Georges Baroni. - Je voudrais répondre au sénateur Duplomb qui a fait valoir que l'objectif consiste à sortir des énergies fossiles. Je pense qu'il faut surtout lutter contre le changement climatique. Et pour lutter contre le changement climatique, il faut sortir des énergies fossiles qui émettent des GES. Cependant, les méthaniseurs émettent les mêmes GES et l'environnement n'a rien gagné. C'est même pire, puisque le carbone qui a été stocké dans les cultures pendant 6/8 mois, est envoyé dans l'atmosphère au moment où le méthane est brûlé. Faucher les prairies pour mettre de l'herbe dans un méthaniseur, c'est rejeter dans l'atmosphère le carbone accumulé pendant plusieurs années. La question fondamentale pour l'agriculture est le changement climatique. Il faut bien sûr se prémunir des aléas climatiques, mais aussi lutter contre le changement climatique par des actions positives.
Sur le maïs, je rejoins mon collègue de la Coordination rurale. Les Allemands ont compris que les méthaniseurs les conduisaient à acheter du maïs en Ukraine, qu'ils ne faisaient plus du tout de culture et qu'ils étaient devenus producteurs d'énergie. Nous devons nous prémunir de ce risque.
Enfin, pourquoi inciter de jeunes éleveurs à recourir à l'élevage dans des bâtiments, alors que l'élevage à l'herbe répond aux problématiques du climat, de la protection des sols et même des revenus des agriculteurs ? Nous savons, par des études de l'INRA, que l'élevage à l'herbe est plus profitable que de nourrir les vaches avec des protéines importées d'Amérique du Sud.
M. Christophe Chatet. - Chaque méthaniseur doit s'inscrire dans un projet. L'agriculture de conservation des sols n'est pas incompatible avec un méthaniseur, c'est une question de gestion agronomique. Par ailleurs, il me semble difficile qu'un jeune exploitant puisse maîtriser, avant même son installation, toutes les données liées à la méthanisation. Il aura besoin de disposer d'un peu de recul sur son exploitation avant de se lancer dans ce type de projet.
Je ne suis pas sûr non plus qu'il soit pertinent de remplacer du CO2 par du méthane, qui a un effet 24 fois plus important en termes de GES. Le méthane n'a pas la même durée de vie que le CO2. Une molécule de méthane se dégrade grosso modo en un an dans l'atmosphère, alors qu'une molécule de CO2 mettra un siècle. Il faudrait quatre siècles pour dégrader tout le CO2 présent dans l'atmosphère, contre quatre à dix ans pour le méthane. La quantité de méthane est stable et la priorité est bien de limiter les émissions de CO2. Même si l'élevage est décrié, la suppression des vaches ne résoudra pas les problèmes des émissions de CO2. Enfin, la captation du carbone par les prairies est essentielle.
M. Olivier Dauger. - La méthanisation ne va pas à l'encontre des systèmes des sols. Il n'y a pas d'opposition entre les systèmes agricoles, aucun système n'est parfait, comme il n'existe pas d'énergie parfaite. La méthanisation peut être un atout pour les systèmes de simplification des sols, si elle est abordée dans un contexte global. Quand la limite (fixant à 15 % le seuil maximum d'approvisionnement en cultures alimentaires dans les méthaniseurs) a été instaurée en France, l'exemple allemand était dans tous les esprits, car nos voisins ont payé très cher l'absence de règle. Par ailleurs, nous ne connaissions pas le potentiel des CIVEs et il était nécessaire de laisser aux agriculteurs une marge de manoeuvre. Aujourd'hui, toutes les études montrent que les méthaniseurs n'utilisent qu'entre 6 et 7 % de ce quota. La question d'une baisse progressive de ce taux pourrait être posée.
Sur les énergies, la sortie des énergies fossiles est actée. La question consiste donc à définir les moyens qui permettront de se passer de ces énergies. Nous allons moins consommer. L'énergie électrique dispose d'atouts, mais elle a aussi des limites, comme toute activité humaine. Le gaz issu de la méthanisation est un appoint important. Sa production peut bien entendu être améliorée pour être encore plus verte.
La maîtrise capitalistique est un élément essentiel pour la FNSEA. Elle évite que les agriculteurs ne deviennent des fournisseurs de matières premières et des « exutoires » pour le déversement des digestats dans leurs champs. L'ensemble de la filière est aligné sur cette position, même si certains industriels veulent disposer de leurs propres méthaniseurs.
Enfin, une participation territoriale aux projets, sous forme par exemple de financement participatif (ou crowdfunding en langue anglaise), pourrait représenter une façon de valoriser le travail de l'agriculteur et de mettre en avant l'économie circulaire.
Nous devons également travailler à l'acceptation sociale des projets. Dans ma région des Hauts-de-France, les habitants ne veulent pas d'éoliennes, ni de panneaux photovoltaïques et sont de plus en plus réservés sur la méthanisation. Dans ce contexte, je m'interroge sur le moyen de produire de l'énergie sans énergies fossiles. Nous aurons besoin d'une nouvelle énergie, qui ne sera pas parfaite, toute activité humaine ayant un impact sur l'environnement.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Je vous remercie pour vos apports qui soulignent l'existence d'un vrai débat sur la méthanisation. Je voulais vous interroger sur la soutenabilité des objectifs de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), mais j'ai constaté que vos avis étaient très divergents.
En vous écoutant, j'ai compris qu'il y avait beaucoup de technicité dans la filière, qui nécessite de la maintenance régulière. Je m'interroge sur la durabilité des méthaniseurs. La méthanisation présente-t-elle un risque d'éviction des paysans ? Est-elle compatible avec une agriculture paysanne et familiale ? Se dirige-t-elle vers une industrialisation, liée à la technicité de l'exploitation et aux capitaux importants à mobiliser ?
M. Alain Sambourg. - Je n'ai pas compris votre question sur la PPE.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - La PPE prévoit une augmentation à hauteur de 28 térawattheures à l'horizon 2030. Cet objectif est-il atteignable ?
M. Alain Sambourg. - Avant de vous répondre, je m'interroge sur la protection du biogaz français. En effet, nous avons des méthaniseurs qui produisent du gaz dans les pipelines de consommation et une partie du biogaz qui part dans les pipelines d'exportation, mélangée avec du méthane venant par exemple d'Algérie ou de Russie. Qu'en est-il également des importations de biogaz produit à l'intérieur de l'Union européenne ? Dans quelle mesure notre objectif national de 28 térawattheures serait-il atteint dans de telles conditions ?
Sur la maintenance et la durabilité des méthaniseurs, nous sommes confrontés à des problèmes de maîtrise d'oeuvre. À l'intérieur des installations, le pH est compris entre 6 et 7, ce qui use les parois et les sols. En Allemagne, le béton des méthaniseurs a été refait après 15 ou 20 ans de fonctionnement. En France, il existe des normes d'infiltration d'eau. Il faut couvrir trois hectares avec du bitume et du ciment pour étanchéifier le sol. Les services de l'État contrôlent régulièrement l'absence d'infiltration d'eau dans les sols et peuvent décider une mise à l'arrêt de l'équipement si les normes ne sont pas respectées. Enfin, s'agissant de la dégradation des mélangeurs liée à la corrosion, quand les hélices des installations sont en panne, elles tombent dans le méthaniseur et il est nécessaire de le vider pour les changer.
L'exploitant doit également contrôler la qualité du gaz. Pour cela, il loue, pour 70 000 euros par an, un « local » à GRDF. Le méthane arrive dans ce local et il est analysé par un dispositif qui décide s'il peut être injecté ou non dans le réseau. L'agriculteur ne dispose pas des données qui conduisent aux choix de GRDF et doit souvent investir dans son propre système d'analyse pour les comprendre.
Enfin, le projet doit être construit en lien avec les enfants des agriculteurs, pour éviter tout problème de succession.
M. Olivier Dauger. - La PPE est potentiellement atteignable, d'autant plus que son objectif de 28 TWH en 2030 est inférieur à celui fixé par le législateur. Les travaux de l'ADEME prévoient un potentiel de 80 à 85 TWH pour la méthanisation agricole et situé entre 120 et 140 pour la méthanisation globale.
Sur le plan de la technicité, nous avons rencontré au démarrage de la filière des problèmes de maintenance. Nous utilisions une technique française, mais avec du matériel étranger, puisque nous n'avions pas de filière. Or, ce matériel était adapté à l'utilisation de maïs ou de betteraves et pas aux produits utilisés en France, qui n'ont pas les mêmes effets sur le moteur ou sur la corrosion. Depuis, la France a développé sa propre filière pour permettre une baisse du prix du gaz. Cette filière pourrait même exporter son savoir-faire, de nombreux pays s'intéressant à la méthanisation.
La formation est un élément essentiel sur lequel les chambres d'agriculture travaillent beaucoup. La méthanisation est un métier à part entière, industriel, mais à la portée des agriculteurs. L'agriculture va de plus en plus se spécialiser, pour l'élevage comme pour la culture sous serres et nécessiter une solide formation en agronomie. L'appui technique est également important, en veillant toutefois à ce que les industriels ne s'approprient pas le système.
Enfin, le biogaz est produit sur le sol français, ce qui permet d'assurer une maîtrise et un contrôle de son caractère vert. Le gaz produit en Europe peut bénéficier de la norme européenne, sans être produit comme la France le souhaite. La filière doit définir un cahier des charges et s'assurer qu'il est reconnu et respecté sur le marché.
M. Georges Baroni. - La PPE prévoit 7 % de biogaz en 2028, c'est-à-dire 31 térawatts par an. Si nous prenons comme hypothèse qu'un méthaniseur moyen produit 12 gigawatts par an, la France aurait besoin de 2 500 méthaniseurs, soit un méthaniseur tous les 10 kilomètres de superficie agricole utilisée (SAU). Dans ces conditions, l'objectif me semble assez difficile à atteindre.
M. Olivier Dauger. - Je ne suis pas d'accord. La PPE prévoit qu'il s'agit de 7 % de la consommation estimée finale du gaz.
M. Pierre Cuypers, président. - Nous n'allons pas organiser aujourd'hui un débat entre vous sur la PPE. Je vous invite à nous communiquer vos chiffres à l'issue de cette table ronde.
M. Georges Baroni. - Sur le plan de la technicité et en ma qualité de participant, depuis l'origine, au groupe de travail méthanisation, je dois dire que les dernières réunions organisées par le ministère de la transition écologique nous ont semblé particulièrement satisfaisantes. Le gouvernement a enfin compris la nécessité de faire appel à des techniciens sur le plan de la sécurité, de l'analyse, du contrôle, de la protection contre les infiltrations, des risques d'incendie ou d'explosion. Les nouveaux règlements prévoient des distances plus grandes pour les zones soumises à la réglementation relative aux atmosphères explosives (Atex). Les prochains méthaniseurs seront plus sûrs et plus respectueux de l'environnement.
Sur la formation, j'ai fait état, dès les premières réunions du groupe de travail sur la méthanisation, de la nécessité d'organiser la formation des agriculteurs. J'ai le sentiment d'avoir été entendu par la BPI, qui accorde les crédits nécessaires aux études des projets, sous réserve que les porteurs suivent une formation. Lors des travaux sur la nouvelle réglementation, il a été enfin décidé que le personnel d'un méthaniseur serait formé par des spécialistes.
Sur la technicité, nos premiers méthaniseurs, en particulier ceux de cogénération d'origine allemande, étaient fragiles et leurs moteurs étaient détruits par l'acidité du biogaz après seulement un an de fonctionnement. Des industriels ont alors développé des équipements correspondant à l'utilisation des lisiers, du fumier, des plantes et de certains produits issus des industries agroalimentaires.
M. Christophe Chatet. - Pour la durabilité des projets, il est essentiel qu'ils soient adaptés à la taille des exploitations pour que les agriculteurs puissent les maîtriser sans difficultés.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - La méthanisation est-elle compatible avec une agriculture familiale et paysanne ? En effet, elle nécessite des capitaux importants, ce qui peut faire naître des difficultés au moment des successions.
Notre mission d'information cherche à savoir quel type de méthanisation est possible au regard de l'objectif de durabilité. J'ai l'impression que vous n'avez pas tous en tête la même typologie de méthaniseur. Je m'attends à ce que vos réponses varient en fonction de la localisation des exploitations ou des modèles agricoles, mais quelle méthanisation vous semble soutenable, voire idéale ?
M. Christophe Chatet. - J'ai connaissance d'un projet qui regroupe une quarantaine d'agriculteurs. Ils ont fait intervenir un ingénieur agronome pour étudier toutes les dimensions du projet et réduire les risques. Certains sont producteurs d'oignons et veulent utiliser leurs déchets pour la méthanisation. Un autre projet regroupe seulement trois éleveurs. Chaque projet doit être dimensionné en fonction des exploitations, il n'y a pas de taille standard de méthaniseur.
M. Georges Baroni. - Puisque la Confédération paysanne est porteuse d'un idéal d'agriculture paysanne, à nos yeux, un méthaniseur compatible avec cette idée doit être mûrement réfléchi. Nous avons ainsi travaillé, avec un groupe d'agriculteurs et l'école d'agriculture de Toulouse, sur la possibilité de construire des microméthaniseurs, c'est-à-dire des méthaniseurs d'une puissance de 10 kilowatts. Ils pourraient répondre à une demande existant dans certaines fermes, par exemple celles ayant un élevage, une petite production de polycultures ou fabriquant du fromage. Le méthane pourrait être utilisé pour la fromagerie, pour chauffer une serre ou pour faire du séchage de luzerne. Dans ces conditions, le méthaniseur peut faire partie intégrante de la ferme paysanne.
Quelques agriculteurs d'une même zone d'exploitation, quatre, cinq ou six par exemple, peuvent également se regrouper. Au-delà, la taille du méthaniseur nécessaire à l'absorption de tous les intrants sera si importante qu'elle nécessitera une structure de pilotage dédiée, faisant appel à des services extérieurs. En effet, la nouvelle réglementation impose une surveillance continue, 24 heures sur 24, des installations. Il y a quelques années, l'association des méthaniseurs de France s'était émue que ses membres soient conduits à faire de nombreuses heures supplémentaires ou à embaucher plus de personnel que prévu, ce qui pesait sur la rentabilité des installations.
Il est essentiel que le projet soit réfléchi, pour éviter des faillites d'agriculteurs. En 2015, la Confédération paysanne a étudié les bilans financiers d'une trentaine de méthaniseurs en cogénération et une vingtaine étaient à la limite du dépôt de bilan. La méthanisation agricole doit donc être limitée en taille.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Je vous remercie pour votre réponse.
M. Olivier Dauger. - Il y a autant de types de méthanisation que de systèmes d'exploitation. La microméthanisation se développe, elle doit être bien adaptée à l'exploitation mais sa mise en oeuvre n'est pas facile, techniquement et économiquement. Je me souviens que le Président de la République, M. Emmanuel Macron, est venu dans ma région, en Thiérache, pour annoncer un plan de développement, passant notamment par la méthanisation. Or, dans les exploitations qui disposent d'un microméthaniseur, les vaches ne sortent plus à l'herbe, ce que le préfet a découvert juste avant la visite du Président de la République. Il n'y a donc pas de système parfait.
Il existe également des méthaniseurs de taille moyenne, qui regroupent quelques agriculteurs, et de gros méthaniseurs, qui posent des problèmes de gouvernance entre plusieurs dizaines de chefs d'entreprise.
Les successions doivent être anticipées pour éviter toute tension. Quant à la surveillance 24 heures sur 24, c'est une contrainte à laquelle sont déjà soumis les éleveurs.
La méthanisation peut donc se pratiquer dans le cadre des exploitations familiales, peut-être en lien avec les exploitations voisines, certaines apportant les intrants, d'autres utilisant le méthane et le digestat. Elle peut aussi favoriser l'équilibre des sols et offrir à l'agriculteur un revenu complémentaire. C'est ce que l'on souhaite.
Enfin, je n'oppose jamais un microméthaniseur à une installation de cogénération.
M. Alain Sambourg. - Je confirme que la méthanisation avec injection de gaz dans un pipeline implique une surveillance 24 heures sur 24. L'exploitant doit également disposer de sondes de réserve et être prêt à les changer en cas de panne, à n'importe quelle heure. Un méthaniseur est plus exigeant qu'un robot de traite chez les éleveurs ! Par ailleurs, l'embauche de salariés absorbe tous les bénéfices et n'est donc pas viable, comme l'ont souligné des travaux de l'ADEME ou de FranceAgriMer. Pour les agriculteurs, c'est donc une sujétion de chaque instant, qui peut avoir des conséquences sur la vie familiale.
Quant à la construction des méthaniseurs, elle repose largement sur des importations, aussi bien pour les activités électroniques que pour les pièces mécaniques, qui viennent notamment d'Allemagne. Cette situation conduit les exploitants à constituer des stocks de pièces détachées pour éviter toute rupture de production.
Enfin, l'association de plusieurs agriculteurs dans la construction d'un méthaniseur nécessite une bonne entente pour éviter tout conflit.
M. Pierre Cuypers, président. - Je vous remercie pour vos contributions respectives à la réalisation de cet état des lieux de la méthanisation.
Je tire de vos interventions quelques conclusions. Nous devons bien différencier la méthanisation des boues urbaines, celle du monde végétal et celle qui combinerait boues urbaines et végétales. Vous avez aussi rappelé qu'un méthaniseur était un estomac, qui n'acceptait pas n'importe quel intrant !
Nous devons également tenir compte des progrès dans les technologies et dans les matériaux qui sont utilisés, la corrosion pouvant par exemple être évitée. Les méthaniseurs de 2021 sont différents des installations construites il y a vingt ans.
Nous tiendrons compte de vos différentes interventions et vous pouvez compléter votre contribution, en répondant aux questions qui vous ont été posées par écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.