- Mardi 16 mars 2021
- Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Examen du rapport pour avis
- Conférences interparlementaires sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévues à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) du 11 au 13 octobre 2020 et des 22 et 23 février 2021 - Compte rendu
- Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
- Mercredi 17 mars 2021
- Audition de Mme Florence Peybernes, candidate proposée par le président de la République aux fonctions de présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président de la République, de Mme Florence Peybernes aux fonctions de présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes
Mardi 16 mars 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Je laisse la parole à Albéric de Montgolfier pour nous présenter son avis sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Nous examinons cet après-midi quatre articles de ce projet de loi, dont l'examen au fond revient à la commission des lois. La commission de la culture s'est également saisie pour avis, avec une délégation au fond sur les articles qui touchent à l'éducation.
Je précise que notre commission ne s'est pas saisie pour avis de l'ensemble du texte, mais bien des seules dispositions qui relevaient de son champ de compétence, soit les articles 10, 11, 12 et 46, qui traitent de la matière fiscale. Vous remarquerez bien vite que ces dispositions n'ont qu'un lien très ténu avec la lutte contre les séparatismes. Je considère que leur inscription dans ce projet de loi revêt un caractère quelque peu opportuniste.
Les articles 10 à 12 du projet de loi concernent l'encadrement des avantages fiscaux attribués aux associations. Vous le savez, les associations, fondations ou fonds de dotation peuvent bénéficier du régime du mécénat. Ce régime permet aux contribuables de bénéficier d'une réduction d'impôt au titre de leurs dons et versements. Pour les particuliers, c'est d'une réduction d'impôt sur le revenu ou sur la fortune immobilière ; pour les entreprises, c'est une réduction d'impôt sur les sociétés ou sur le revenu.
Pour bénéficier de ce régime du mécénat, les organismes bénéficiaires de dons et de versements doivent d'abord être d'intérêt général. Cela signifie qu'ils doivent respecter trois critères cumulatifs : avoir une gestion désintéressée ; ne pas agir pour un cercle restreint de bénéficiaires ; ne pas avoir une activité lucrative, qui entre en concurrence avec les entreprises du secteur privé.
Toutefois, être d'intérêt général ne suffit pas. Il faut en plus que l'organisme exerce son activité dans l'un des domaines cités aux articles 200, 238 bis ou 978 du code général des impôts, selon la réduction d'impôt concernée. Par exemple, un don à une association cultuelle permet à un contribuable particulier de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu, mais pas d'une réduction d'impôt sur la fortune immobilière. Les domaines comprennent notamment les activités présentant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique.
Tout organisme qui estime être éligible au régime du mécénat délivre des reçus fiscaux aux donateurs, pour qu'ils bénéficient des réductions d'impôt. Il n'y a pas de système d'agrément préalable. En cas de doute, l'organisme peut toutefois demander un rescrit mécénat, c'est-à-dire demander à l'administration fiscale s'il a bien le droit de bénéficier de ce régime. Il y a eu 6 500 demandes de rescrits en 2019, pour 70 % d'avis positifs. Ce nombre reste limité comparé aux 1,5 million d'associations recensées en France en 2017.
En l'état actuel du droit, le seul contrôle que l'administration fiscale peut exercer, hors cas spécifique de la vérification de comptabilité, c'est un contrôle de concordance. L'administration fiscale vérifie très simplement que les montants inscrits sur les reçus fiscaux délivrés par l'organisme correspondent bien aux montants perçus.
Les contrôles sont donc plus que limités, alors que la dépense fiscale au titre du régime du mécénat est, vous le savez, importante. Pour l'impôt sur le revenu, c'est 1,5 milliard d'euros, pour 5,5 millions de foyers bénéficiaires. Pour le mécénat d'entreprise, c'est 0,8 milliard d'euros, pour 77 000 entreprises.
L'article 10 du projet de loi modifie donc le livre des procédures fiscales pour instaurer une nouvelle procédure de contrôle, celle du contrôle de l'éligibilité de l'organisme au régime du mécénat. Le contrôle sur place par l'administration fiscale ne pourra excéder six mois. L'article 10 prévoit également des garanties pour les organismes contrôlés. Je me suis attaché à vérifier que ces garanties soient bien similaires à celles prévues pour les autres contrôles, ce qui est le cas. Si cette nouvelle procédure de contrôle est nécessaire, elle ne doit pas pour autant faire peser de contraintes trop lourdes sur les associations, en particulier les plus petites d'entre elles. C'est un point d'équilibre qui m'a constamment guidé dans l'examen de ces dispositions.
C'est pour cette raison que je vous proposerai d'adopter un amendement visant à reporter l'entrée en vigueur de l'article 10 au 1er janvier 2022. Nous pourrions ainsi concilier ces deux objectifs : d'une part, mieux contrôler cette dépense fiscale et sanctionner les abus ; d'autre part laisser un délai supplémentaire aux associations et à l'administration fiscale.
En effet, les organismes sans but lucratif, pour se prémunir de toute sanction lors d'un éventuel contrôle, pourraient vouloir demander plus fréquemment des rescrits mécénat à l'administration fiscale. Le recours au rescrit pourrait être d'autant plus massif que, comme la Cour des comptes l'a souligné dans son référé sur la fiscalité des dons en faveur des associations, la doctrine fiscale relative aux conditions d'éligibilité d'un organisme au régime du mécénat n'est pas encore totalement stabilisée. Je vous proposerai donc de laisser ce délai supplémentaire aux associations, mais aussi à l'administration fiscale, pour affiner sa doctrine et traiter les rescrits mécénat.
L'article 11 créé ainsi une obligation, pour les organismes sans but lucratif bénéficiaires du régime du mécénat, de déclarer chaque année à l'administration fiscale le montant global des dons et versements dont ils ont bénéficié. Cette nouvelle déclaration vise à renforcer le pilotage de la dépense et les capacités de contrôle de l'administration fiscale. Ces données permettront de renforcer les outils dont dispose l'administration pour mieux cibler les contrôles et ainsi davantage veiller à la régularité des avantages fiscaux octroyés.
Il me semble néanmoins que cette obligation comporte un risque d'alourdissement administratif concernant l'ensemble des organismes bénéficiant du mécénat. Il convient à cet égard de rappeler que la plupart de ces organismes, notamment les associations, sont de petites structures et qu'une charge administrative trop importante pourrait les pénaliser fortement.
Il sera donc important que cette déclaration puisse être faite par le biais d'une plateforme numérique et de manière simple, afin de faciliter la procédure pour les associations et son traitement par l'administration fiscale, tout en conservant la possibilité de l'effectuer par voie postale. La direction générale des finances publiques (DGFiP) a indiqué qu'un tel portail serait mis en place progressivement, ce qui me paraît particulièrement préoccupant. Je préférerais que ce soit tout de suite. En conséquence, je propose de repousser d'un an, du 1er janvier 2021 au 1er janvier 2022, la date à partir de laquelle les dons et versements seront soumis à cette nouvelle obligation, afin de permettre à la DGFiP de mettre en service ce portail numérique dès les premières déclarations.
L'article 12 élargit la liste des infractions susceptibles d'entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons, versements et legs en cas de condamnation pénale définitive d'un organisme sans but lucratif. En l'état actuel du droit, la suspension des avantages fiscaux accordés aux contribuables versant des dons à des organismes sans but lucratif définitivement condamnés n'est prévue qu'en cas de condamnation pour abus de confiance ou escroquerie. Les nouvelles infractions concernées comprennent à la fois des infractions faisant peser une menace grave sur la société, comme le terrorisme ou l'usage de menaces à l'égard d'un agent public, et des infractions de nature économique, comme le blanchiment d'argent ou le recel.
L'Assemblée nationale a également adopté un amendement ajoutant le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse à cette liste. Toutefois, cette dernière ne comportant que des manquements de nature économique ou faisant peser une menace grave sur la société, je propose, comme les rapporteurs de la commission des lois, la suppression de cette infraction de cette liste.
En outre, la condamnation doit concerner la personne morale et non les dirigeants de l'organisme. Les organismes sans but lucratif dont l'objet est de contester le droit à l'avortement et qui se rendraient coupables de ce délit ne sont de toute manière pas éligibles au régime fiscal du mécénat puisque leur activité ne répond à aucune des finalités prévues par la loi. La présence de cette infraction dans cette liste n'est donc pas utile.
De manière générale, l'effectivité de cet article devrait rester limitée. Ce dispositif est vraisemblablement peu connu, et son application passe par une information adéquate de l'administration fiscale par les magistrats.
Le nombre de condamnations pour l'ensemble des crimes et délits qui seront mentionnés à cette liste est inférieur à 100 chaque année. Au vu du faible enjeu et de la rareté des condamnations, la mise en place d'une coordination efficace me paraît peu probable.
J'en terminerai avec l'article 46, qui concerne le droit d'opposition de Tracfin. Là-encore, l'extension du pouvoir d'opposition prévue par cet article va au-delà de la lutte contre les séparatismes, mais concerne l'ensemble des infractions soumises à la surveillance du service de renseignement « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins » (Tracfin).
Lorsqu'un professionnel assujetti aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme signale à Tracfin une opération douteuse, Tracfin peut exercer son pouvoir d'opposition et demander à ce que l'opération soit bloquée pendant 10 jours. Ce délai doit permettre à l'autorité judiciaire de bloquer les fonds. Les obligations de confidentialité sont très fortes, toute révélation de l'exercice du droit d'opposition par un professionnel assujetti constituant désormais, hors exceptions prévues par la loi, une infraction pénale punie de 22 500 euros d'amende.
Cette prérogative, Tracfin l'utilise avec parcimonie. D'après son rapport d'activité pour l'année 2019, le service a usé de son droit d'opposition à 93 reprises entre 2013 et 2019, dont sept fois en 2018 et 11 fois en 2019. La hausse marquée de l'exercice du droit d'opposition en 2020, avec 50 occurrences, s'explique par la mobilisation de Tracfin dans la lutte contre la fraude au dispositif du chômage partiel mis en place pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire et économique. En 2019, 95 732 déclarations de soupçon ont été adressées par les professionnels assujettis, pour 11 exercices du droit d'opposition et 3 738 notes de transmissions judiciaires, administratives et en renseignement envoyées. Le droit d'opposition n'est donc activé qu'en cas de risque imminent d'évasion des fonds et des capitaux, notamment vers l'étranger, ou de risque de dissipation des fonds.
En l'état du droit, Tracfin ne peut exercer son droit d'opposition que sur une seule opération, après une déclaration de soupçon. Cette limitation entraine avec elle deux écueils : la somme visée par l'opération signalée peut être inférieure au montant total des fonds pour lesquels il existe un soupçon d'origine frauduleuse ; la personne dont l'opération a été reportée du fait de l'exercice du droit d'opposition pourrait tenter de procéder de manière différente pour disposer des fonds.
Pour renforcer son efficacité, l'article 46 propose d'étendre par anticipation l'opposition aux opérations liées à l'opération sur laquelle il existe un doute, sans que les assujettis n'aient besoin de faire un nouveau signalement. Cette extension présente trois avantages : alléger les contraintes pesant sur Tracfin ; sécuriser les saisies pénales ; simplifier la conduite à tenir pour les assujettis professionnels.
Deux modifications ont été adoptées à l'Assemblée nationale. La première ne pose pas de difficulté : elle vise à délier les assujettis de leur obligation de confidentialité dans un cas bien précis, celui de signaler à l'autorité judiciaire, lorsqu'une action en responsabilité est intentée contre eux pour une opération non exécutée, qu'ils ont reçu une demande d'opposition de Tracfin.
La seconde modification pose davantage de difficulté et je vous proposerai un amendement pour la supprimer, amendement identique à celui proposé par les rapporteurs de la commission des lois. Les députés ont souhaité ajouter que les assujettis ne pouvaient bloquer l'opération que sous la réserve que cela leur soit possible, dans des conditions définies par décret. Or, comme l'a rappelé la directrice de Tracfin, cette précaution n'existait pas auparavant et cela n'a jamais posé aucune difficulté. Je considère que l'élargissement du droit d'opposition de Tracfin, pour lutter contre l'évasion ou la dissipation de fonds douteux, ne doit pas s'accompagner de son affaiblissement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'apprécie l'approche d'Albéric de Montgolfier qui consiste à être posé et pragmatique, à analyser chacun des dispositifs et à circonscrire les débats. Notre rôle est de conserver une forme de mesure lorsqu'on aborde ces sujets de fond. Je souscris donc aux amendements portant sur la nécessité de prévoir un délai minimum d'adaptation, afin de trouver des solutions tout en évitant la confrontation.
M. Claude Raynal, président. - En l'absence d'autre intervention, je propose de passer à l'examen des amendements.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Le premier amendement vise à reporter l'entrée en vigueur de l'article 10 au 1er janvier 2022 afin de permettre aux associations de se préparer à ce nouveau contrôle et à la direction générale des finances publiques (DGFiP) d'affiner sa doctrine sur les critères d'éligibilité des organismes au régime du mécénat. La notion d'association recouvre des réalités très différentes. Toutes ne disposent pas des mêmes moyens, certaines associations sont de taille très limitée. Elles doivent donc pouvoir bénéficier d'une période d'adaptation. En outre, je doute que la DGFiP ait la capacité de répondre à un afflux massif de demandes de rescrit. Je rappelle qu'il y a environ 6 500 demandes par an, mais 1,5 million d'associations en France.
M. Philippe Dallier. - Pourquoi ne pas avoir envisagé de mettre en place un seuil ? Seules les associations d'une certaine taille auraient pu être concernées par l'article 10.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - La Cour des comptes s'est prononcée sur le sujet de l'éligibilité des organismes bénéficiaires de dons et de versements au régime du mécénat par l'intermédiaire d'un référé sur la fiscalité des dons en faveur des associations. La DGFiP est selon moi dans l'incapacité complète de traiter le nombre potentiel de rescrits qui découleraient de la mise en place de l'article 10, même en retenant des seuils. Actuellement, les demandes de rescrits sont traitées au niveau départemental, par le correspondant « association » de la DGFiP. Pour les associations les plus importantes ou pour les sujets les plus complexes, ces demandes sont traitées au niveau national.
L'amendement COM-406 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Le deuxième amendement repousse au 1?er? janvier 2022 la date de prise en compte des premiers dons et versements soumis à la nouvelle obligation annuelle de déclaration pour les associations. Il permettra également à la DGFiP de préparer la mise en oeuvre de l'article 11, en instaurant un portail numérique simplifié pour les déclarations des organismes bénéficiaires de dons et de versements.
L'amendement COM-407 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Le troisième amendement est identique à celui déposé par la commission des lois. Il propose la suppression du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse de la liste des infractions susceptibles d'entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons, versements et legs en cas de condamnation pénale définitive d'une association.
L'amendement COM-408 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Le dernier amendement est un amendement portant sur le droit d'opposition de Tracfin. Il vise à revenir à la rédaction antérieure de l'alinéa 4 de l'article 46.
L'amendement COM-409 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 10, 11, 12 et 46 du projet de loi confortant le respect des principes de la République sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Conférences interparlementaires sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévues à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) du 11 au 13 octobre 2020 et des 22 et 23 février 2021 - Compte rendu
M. Claude Raynal, président. - Avec le rapporteur général, nous avons assisté aux deux dernières réunions de la conférence interparlementaire semestrielle, appelée « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union européenne. En raison des restrictions sanitaires, elles se sont tenues par visioconférence et non à Berlin et à Bruxelles comme cela aurait dû être le cas.
Pour mémoire, ces conférences visent à permettre aux parlements nationaux d'exercer un contrôle sur l'application des règles de gouvernance budgétaire et financière de l'Union européenne. Elles réunissent des délégations de parlementaires de l'ensemble des États membres, des députés européens, ainsi que des représentants des institutions européennes.
Je laisse tout d'abord la parole au rapporteur général pour vous présenter celle du 12 octobre dernier, à laquelle il a assisté ainsi que notre collègue Christine Lavarde, et j'interviendrai ensuite pour évoquer celle du mois de février, et pour présenter quelques enseignements que nous en tirons.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'ordre du jour de la session d'octobre était construit autour de trois temps d'échanges. La matinée était dédiée à l'articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Les deux conférences de l'après-midi traitaient respectivement des règles budgétaires européennes et de la relance européenne dans un contexte de crise.
Dans son allocation de bienvenue, le Président du Bundestag allemand, Wolfgang Schäuble, a insisté sur la nécessité d'utiliser la crise actuelle comme un vecteur de changement. En effet, il a d'abord fait le constat d'une perte de confiance des citoyens dans la capacité des institutions européennes à résoudre leurs difficultés. Il a estimé que la résolution de la crise passerait par une plus grande implication de l'Union européenne dans les domaines dans lesquels elle peut être la plus utile, en distinguant mieux ce qui relève de sa compétence de ce qui doit être traité par les États membres. S'agissant de la politique budgétaire, il a souligné que la difficulté de toute politique expansionniste était d'identifier le bon moment pour pouvoir ralentir le rythme du soutien à l'économie, au risque de la fragiliser en phase de reprise. Si ces propos ont été tenus il y a déjà cinq mois maintenant, il est évident que la question de la sortie des dispositifs de soutien à l'économie se posera toujours avec une acuité particulière, dès lors que la situation sanitaire nous aura permis d'aller de l'avant.
Ensuite, la première session dédiée à l'articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire au sein de l'Union européenne a été marquée par l'intervention d'Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE. Elle a rappelé que la politique monétaire ne pouvait pas déployer tout son potentiel sans une politique budgétaire ambitieuse, les deux étant complémentaires. En effet, une politique budgétaire expansionniste, visant à soutenir la demande et la production, ne peut produire ses effets en cas de hausse des taux d'intérêt, ce qui justifie la conduite d'une politique monétaire expansionniste. À l'inverse, la politique budgétaire renforce la portée de la politique monétaire dès lors qu'elle permet de résoudre les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro.
Certains parlementaires, notamment italiens, n'ont pas manqué de rappeler que la crise de la covid-19 nous prouvait, une fois de plus, à quel point les économies européennes étaient dépendantes les unes des autres, et que la simple coordination des politiques budgétaires nationales ne suffisait plus. Cette intervention faisait évidemment écho aux espoirs placés par l'Italie dans le plan de relance européen, âprement négocié entre les États membres.
La session suivante, dédiée à l'avenir des règles budgétaires européennes, a constitué l'occasion, pour certains parlementaires nationaux, d'exposer leurs inquiétudes quant à une éventuelle « fuite en avant » pour les finances publiques des États membres. Alors que la Commission européenne avait lancé une consultation sur la réforme de ces règles budgétaires, la crise sanitaire a éclipsé ce débat, au profit de l'activation de la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance.
Paolo Gentiloni, commissaire européen à l'économie, et Klaus Regling, directeur général du mécanisme européen de stabilité, se sont tous les deux accordés pour dire que la suppression totale des règles budgétaires n'était pas à l'étude. Certes, si ces règles ont vécu, elles avaient, d'après Paolo Gentiloni, quand même eu le mérite de pouvoir s'adapter à une crise d'une ampleur inédite. Il a néanmoins poursuivi en indiquant que la relance économique européenne devra être articulée avec les ambitions européennes en matière de transition énergétique, ce qui nécessitera des investissements publics coûteux et de long terme, et imposera la révision de ce cadre budgétaire européen.
Enfin, la dernière session portait sur les prochaines étapes de la relance économique. Le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, a surtout insisté sur la mise en oeuvre de l'instrument de relance européen « Next Generation EU», tout en concédant qu'un accord entre le Parlement et le Conseil était alors difficile à conclure. Depuis ce débat, ces divergences ont été surmontées, et nous avons pu examiner en janvier dernier le projet de loi autorisant l'approbation de la décision « ressources propres ».
M. Claude Raynal, président. - S'agissant de la dernière réunion de la conférence interparlementaire, le 22 février dernier, la séance plénière d'ouverture était dédiée aux priorités politiques des investissements à réaliser pour relancer l'économie. Les différentes interventions ont relayé des constats déjà avancés lors de la conférence du mois d'octobre.
Le président du Parlement européen, David Maria Sassoli a introduit les échanges en rappelant que les citoyens européens n'étaient pas tous égaux face à la crise de la covid-19. Il a déclaré que l'accord sur le plan de relance européen était historique car, pour la première fois, des transferts budgétaires massifs allaient être mis en oeuvre entre les États membres.
Par la suite, le président du Parlement portugais, Eduardo Ferro Rodrigues, a estimé que si l'accord sur la mise en oeuvre du plan de relance européen constituait en effet un premier pas, l'introduction de nouvelles ressources propres, l'évolution du pacte de stabilité et de croissance et l'achèvement de l'union bancaire étaient indispensables pour surmonter la crise actuelle. Il a appelé à éviter l'austérité qui pourrait entraîner un effet contracyclique préjudiciable à la reprise, et a souligné, comme tous les intervenants, le caractère crucial des investissements publics et de la recherche et développement pour renouer avec la croissance potentielle.
Plusieurs intervenants ont particulièrement insisté sur les conséquences sociales de la crise sanitaire. Ainsi, le secrétaire général des nations unies, Antonio Guterres, est brièvement intervenu pour rappeler que la crise sanitaire avait accentué les inégalités à travers le monde. Face à ce constat, il a estimé que l'instrument de relance européen constituait une réponse intéressante. De son côté, le président du Conseil européen, Charles Michel, a considéré que la crise constituait une opportunité pour changer de modèle économique et social, et a appelé les parlementaires nationaux à veiller à ce que chaque euro national et européen serve à relancer l'économie et la cohésion sociale. Enfin, la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyen, après avoir longuement détaillé des exemples de financements pouvant être apportés par l'instrument de relance, a rappelé que l'objectif de la commission était de soutenir une croissance plus inclusive. Après avoir estimé que le moment d'apporter une dimension sociale à la relance était venu, elle a annoncé la présentation du plan d'action pour la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux.
Enfin, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a réaffirmé que la BCE continuerait à soutenir les économies européennes, tout en soulignant que la capacité politique de l'Union européenne à répondre à la crise dépendait aussi de l'articulation des politiques nationales.
J'ai ensuite assisté aux débats de la commission des budgets du Parlement européen, dont le thème était celui de l'implication des parlements nationaux et du Parlement européen dans la relance économique et la mobilisation du budget européen.
Le président de la commission, Johan Van Overtveldt, a rappelé l'importance du dialogue entre le Parlement européen et les parlements nationaux dans la réponse à la crise, en estimant qu'il fallait éviter qu'une carence de celui-ci n'alimente les dissensions entre les États membres.
Dans son propos liminaire, le commissaire européen au budget, Johannes Hahn, a présenté les prochaines étapes de la mise en oeuvre de l'instrument de relance. Une fois la décision « ressources propres » ratifiée par l'ensemble des États membres, la Commission européenne pourra lever les ressources nécessaires sur les marchés financiers. En parallèle, la Commission a déjà entamé un dialogue avec les États membres sur leur plan national de relance et de résilience, qu'ils doivent formellement transmettre avant fin avril. L'objectif de la Commission est de pouvoir émettre 150 à 200 milliards d'euros d'obligations sur les marchés d'ici à la fin de l'année, ce qui nécessitera une ingénierie financière et opérationnelle considérable.
Plusieurs parlementaires européens et nationaux ont exprimé une vive inquiétude quant au calendrier de la mise en oeuvre du plan de relance européen. Ainsi, les députés européens Jan Olbrycht et Pierre Larrouturou ont rappelé que tout retard dans la ratification de la décision « ressources propres » augmenterait le délai pour engager les fonds dédiés à la relance et que l'introduction de nouvelles ressources propres ouvrait la perspective d'alléger le coût de la relance pour les budgets nationaux.
Enfin, plusieurs interventions, dont celle du rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin, ont déploré le manque d'association et d'information des parlements nationaux, mais également des autorités locales, sur la mise en oeuvre du plan de relance européen. Un parlementaire allemand a appelé de ses voeux une meilleure prise en compte de l'échelon régional dans la mise en oeuvre du plan de relance européen, en particulier pour les enjeux frontaliers.
En conclusion, mes chers collègues, je dirais que sur le fond, ces échanges ont été utiles en ce qu'ils ont permis de « prendre le pouls » de la conjoncture européenne à la fin de l'année 2020 et en ce début d'année 2021, et de mieux cerner les difficultés rencontrées par nos homologues européens dans ce contexte de crise sanitaire.
Sur la forme, comme c'est le cas malheureusement dans la plupart des conférences internationales, la portée des échanges a cependant été limitée par la succession d'interventions en « silo », et les aléas de la traduction. L'organisation en visioconférence de ce type d'évènement ne contribue pas à l'améliorer. En particulier, il est regrettable que certaines interventions entières n'aient pas été traduites, en raison de la qualité médiocre du son.
Ces conférences sont pourtant une opportunité unique pour les parlementaires nationaux d'échanger sur les enjeux budgétaires et financiers de l'Union européenne. Nous pouvons également nous réjouir que cette conférence soit devenue, au fil des ans et malgré ses défauts, un rendez-vous incontournable.
Le Président du Sénat a récemment saisi les présidents des commissions permanentes en vue de l'organisation du volet parlementaire, et notamment sénatorial, de la présidence française de l'Union européenne, qui se déroulera au premier semestre 2022. Une réunion se tiendra tout à l'heure sur ce sujet. Je lui ai d'ores et déjà indiqué que la conférence de l'article 13 qui aura lieu en février 2022 devrait être le cadre pour échanger sur les sujets au coeur des compétences de la commission des finances, et que pourrait notamment y être abordée la réforme des règles budgétaires européennes, compte tenu de l'importance de ce débat pour la sortie de crise économique ; l'introduction de nouvelles ressources propres permettant de soulager les budgets nationaux face au remboursement du plan de relance européen ainsi qu'un premier bilan de la mise en oeuvre du plan de relance européen. Nous devons également nous saisir de cette opportunité pour apporter des améliorations techniques à cette conférence, afin de favoriser les débats.
M. Jean-François Rapin. - Pour avoir déjà participé à la « conférence de l'article 13 », je sais qu'elle peut être difficile à suivre, même en présentiel. Parmi les sujets que vous avez évoqués, deux me semblent particulièrement importants. Le premier concerne la relation entre les institutions européennes et les parlements nationaux, un thème que l'on retrouve chez tous les parlementaires nationaux et qui est de plus en plus prégnant - nous l'avons vu ici lors de la discussion de la décision ressources propres.
Le deuxième point que je souhaite souligner concerne les questions liées aux règles budgétaires européennes, et donc au Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce point va devenir de plus en plus pressant et qui relève pleinement du champ de compétences de la commission des finances. On sait d'ores et déjà que le PSC sera un sujet ouvert après l'échéance de 2022 et la fin de la suspension de ses règles.
La position française, qui tendrait à donner encore un an ou deux pour assouplir les règles budgétaires, n'est pas forcément partagée par tous, et je pense ici aux Allemands. Or, si on veut que le plan de relance européen soit complètement opérationnel au plan national, on aura sans doute besoin de cet ajustement des règles budgétaires européennes. Certains pays ont certes une marge de manoeuvre budgétaire sur d'autres, mais le débat est loin d'être terminé et la position française loin d'être la position retenue.
M. Claude Raynal, président. - Pour l'organisation de la conférence de l'article 13 en 2022, il nous reviendra de produire un peu plus de travail en amont pour produire des travaux de synthèse, pour sortir de la logique des « silos » et pour mieux lier les interventions entre elles.
M. Jean-François Rapin. - Il faut effectivement opérer ce travail en amont de la « conférence de l'article 13 » et je suis tout à fait prêt à y apporter l'aide et le soutien de la commission des affaires européennes.
M. Albéric de Montgolfier. - L'amélioration des modalités de la « conférence de l'article 13 » me semble en effet primordiale. Je pense par exemple aux décalages dans les traductions : la perte en ligne est considérable, avec des traductions décalées ou indirectes, par l'intermédiaire de l'anglais. Ces soucis techniques nuisent à la qualité des échanges, malgré l'importance des sujets abordés.
Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à se saisir pour avis de la proposition de loi n° 389 (2020-2021) tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, dont les articles 12 à 16 lui ont été délégués pour examen au fond par la commission des affaires économiques. Elle désigne Mme Christine Lavarde rapporteur pour avis.
La réunion est close à 17 h 25.
Mercredi 17 mars 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de Mme Florence Peybernes, candidate proposée par le président de la République aux fonctions de présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons aujourd'hui, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, Mme Florence Peybernes, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes, également désigné sous l'acronyme H3C. La présidence de ce Conseil n'entrant dans le champ de la procédure de l'article 13 que depuis la loi organique relative aux autorités administratives indépendantes du 10 janvier 2017, vous êtes la première candidate à ce poste à être auditionnée par notre commission. Le président du Haut conseil est nommé par décret du Président de la République pour une durée de six ans.
Le H3C a été créé en 2003 et constitue l'autorité de régulation des commissaires aux comptes, à distinguer de l'organisation représentant la profession, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC). En tant que régulateur de la profession, le H3C est garant de la bonne application des normes d'audit et de la déontologie des commissaires aux comptes. Ce rôle est indispensable pour assurer la confiance des parties prenantes dans la fiabilité de l'information financière des entreprises. Le H3C est également l'un des principaux acteurs de l'évolution et de l'adaptation des normes nationales d'audit. Il représente la France dans les principaux forums tant au niveau européen qu'international. Le collège constitue l'organe décisionnel du Haut conseil et sa composition est définie à l'article L 821-2 du Code de commerce. La présidence doit être occupée par un membre de la Cour de cassation, condition que vous remplissez, madame, depuis 2017.
Au cours des cinq dernières années, le H3C, qui dispose d'une cinquantaine d'agents pour accomplir les différentes missions que j'ai mentionnées, a dû faire face à un double défi. D'une part, il a été chargé d'accompagner la profession dans la réforme européenne de l'audit, qui renforce notamment les exigences d'indépendance des commissaires aux comptes. D'autre part, il a dû accompagner la mise en oeuvre de la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui réduit de manière importante le périmètre des personnes et des entités dont les comptes doivent être certifiés par un commissaire aux comptes. Selon le CNCC, l'application de cette loi pourrait entraîner la disparition de 153 000 mandats, soit 70 % de l'activité. Il s'agit d'une petite révolution pour la profession, qui ne peut plus s'appuyer que partiellement sur l'obligation légale et doit parvenir à convaincre les clients pour leur vendre ses services.
Le H3C accompagne ce changement de modèle, tout en veillant à la préservation de l'indépendance des commissaires aux comptes. L'équilibre est sans doute difficile à trouver ; vous nous indiquerez votre position sur le sujet. La crise que nous connaissons posera sans doute de nouveaux défis pour les commissaires aux comptes et pour le H3C. Vous nous indiquerez quelles devront être, selon vous, les priorités du H3C dans le contexte actuel.
Cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Les membres de la commission qui ne sont pas physiquement présents peuvent participer à la réunion par téléconférence. Toutefois, les délégations de vote ne sont pas autorisées et seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote, qui aura lieu à l'issue de cette audition. Le dépouillement aura lieu à l'issue du scrutin, Mme Peybernes ayant été entendue plus tôt ce matin par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nos collègues Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires du bureau, m'assisteront pour le dépouillement comme scrutateurs.
Mme Florence Peybernes, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes. - Avant de vous présenter mes compétences et mes projets, je voudrais d'abord, en ma qualité de magistrat du siège, vous saluer très respectueusement comme étant, avec l'Assemblée nationale, ceux qui votent les lois que, depuis 35 ans, j'essaye d'appliquer auprès des justiciables.
Le H3C est une autorité administrative publique indépendante, placée auprès du garde des Sceaux. Elle a évidemment la personnalité morale et des ressources propres, qui sont les cotisations levées sous forme d'un pourcentage des chiffres d'affaires réalisés par les commissaires aux comptes dans leur mission d'audit des entreprises, qu'il s'agisse d'entités d'intérêt public (EIP) ou non. Le code de commerce impose que son président soit un conseiller à la Cour de cassation. C'est mon cas depuis le décret du président de la République du 16 novembre 2017, et je suis Première présidente de la cour d'appel d'Orléans. Bien sûr, je ne siège pas à la Cour de cassation : c'est mon statut qui veut que j'y sois conseiller. En réalité, j'administre une cour d'appel, ce qui est l'essentiel des fonctions d'un Premier président - même s'il a également des attributions juridictionnelles. Je suis ordonnateur secondaire, avec le Procureur général, de la cour d'appel d'Orléans. Vous connaissez sans doute cette particularité de nos institutions judiciaires, qui impose une dyarchie : il y a deux ordonnateurs secondaires pour piloter chaque cour d'appel.
La cour d'appel d'Orléans est d'importance moyenne : par l'importance de son activité juridictionnelle, elle se classe vingtième sur les 36 cours de France. Elle compte 149 magistrats du siège et du parquet et 421 fonctionnaires, ainsi que de nombreux agents non titulaires, totalisant 63 ETP et dont j'ai supervisé le recrutement. Son budget annuel de fonctionnement est de 5,34 millions d'euros - hors titre 2 - et le budget annuel de ses frais de justice - programme 101 - s'élève à 4,95 millions d'euros. Voilà plus de douze années que ma carrière de magistrat m'a conduite à présider des institutions judiciaires. J'ai d'abord présidé le tribunal de grande instance de Rodez, puis celui de Valenciennes, avant d'arriver dans cette cour d'appel. Je pense donc avoir des compétences de gestionnaire de fonds publics.
En outre, de nombreuses missions du H3C ont des points communs avec les sujets traités par un Premier président. Les questions de déontologie, vous le savez, sont au coeur des fonctions du magistrat. Pour un Premier président, elles sont presque quotidiennes. Il dispose d'un pouvoir de sanction contre les magistrats du siège de sa cour. Il peut délivrer des avertissements, selon des procédures très normées, et il a la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour des manquements déontologiques. Au cours de mon mandat de trois ans et demi, j'ai déjà prononcé trois avertissements contre des magistrats du siège de la cour d'appel. J'ai saisi l'Inspection générale de la justice à deux reprises en vue d'une saisine du Conseil supérieur de la magistrature, pour des manquements déontologiques. Le Premier président jouit aussi d'un pouvoir de mise en garde contre les conseillers prud'hommes et de saisine de l'autorité disciplinaire rattachée à la chambre sociale de la Cour de cassation. J'ai eu à exercer ce pouvoir à deux reprises depuis ma prise de fonction. J'ai été amenée à statuer sur les recours formés contre les décisions disciplinaires prises par les ordres des avocats, des huissiers de justice ou des notaires. Je statue aussi - et c'est une des compétences du H3C en ce qui concerne les commissaires aux comptes - sur les recours formés contre les contestations d'honoraires d'avocats. À ce jour, j'ai rendu plus de 200 décisions sur des contestations d'honoraires d'avocat.
Le code de l'organisation judiciaire confie au Premier président et au Procureur général une mission d'inspection des juridictions de leur ressort. Ils doivent s'assurer de la bonne administration des juridictions et de l'expédition normale des affaires. J'ai exercé cette mission de contrôle de fonctionnement, notamment pour le tribunal de grande instance de Montargis et les quatre tribunaux pour enfants du ressort. Et je programme pour cette année - sauf si vous décidez de suivre la proposition du président de la République - le contrôle de fonctionnement des pôles sociaux, à la suite d'une réforme dont il est nécessaire de comprendre et de connaître les effets. L'idée est de s'assurer de l'efficience des organisations, du respect des règles de fonctionnement des tribunaux, de l'état des stocks. J'établis un rapport dans lequel j'édicte des recommandations, et que le transmets à l'Inspection générale de la justice pour la bonne information du garde des Sceaux
Plus généralement, j'entretiens des liens très étroits avec la profession, réglementée, d'avocat. Il s'agit d'échanger, au cours de relations régulières, de réunions, d'échanges de correspondance, pour passer en revue les pratiques professionnelles réciproques, assurer la bonne mise en oeuvre des réformes, comme la fusion des juridictions, la réforme du droit des peines, ou la réforme à venir du Code de justice pénale des mineurs. J'ai une longue habitude du dialogue avec cette profession, qui porte souvent un regard critique sur les réformes dont elle peut penser qu'elles vont fragiliser son exercice professionnel. Je vous parlerai plus tard des rapports du H3C avec la CNCC, qui n'ont pas toujours été très sereins.
Enfin, mes fonctions de Première présidente m'ont conduit à incarner une institution dans un territoire et à dialoguer avec les institutions et les élus - je pense notamment aux conseils régionaux et aux conseils départementaux.
La loi fixe dix missions au H3C. La première est de procéder à l'inscription des commissaires sur la liste. Ils sont 18 000 à être inscrits en France, mais seulement 12 000 cotisent réellement, car environ 6 000 n'ont pas de mandat. Ils sont souvent aussi à la fois commissaires aux comptes et experts-comptables. Avant la réforme européenne de l'audit, la liste était tenue par une commission établie au sein de chaque cour d'appel. Depuis, la compétence a été transférée au H3C, qui avait toutefois la possibilité de la déléguer à la CNCC. La Cour des comptes a rédigé en 2019 un rapport, qui n'a pas été publié. Sa préconisation était de reprendre ces attributions, puisque cela coûterait moins cher au H3C de le faire directement plutôt que de déléguer à la compagnie et de régler les factures. La décision a été prise fin 2020, dans l'espoir de ne dépenser plus que 600 000 euros pour cette activité au lieu des 1,3 million d'euros qu'elle a coûtés au H3C en 2019.
La mission consistant à adapter les normes d'exercice professionnel (NEP) est nettement plus importante, et essentielle pour le H3C. C'est un collège de quatorze personnalités qui édicte les NEP, qui sont les règles de déontologie du commissaire aux comptes. Ces NEP sont homologuées ensuite par le garde des Sceaux et elles sont intégrées au code de commerce. Ces trois dernières années, le travail normatif a surtout consisté à établir des NEP pour la mise en oeuvre de la loi Pacte. Ces normes guident et sécurisent les diligences professionnelles des commissaires aux comptes, dans le but de renforcer l'homogénéité et la qualité de l'audit français. Elles font l'objet d'un processus d'adoption paritaire, dans lequel les commissaires aux comptes jouent un rôle très actif. C'est la violation de ces NEP qui a été reprochée dans une décision qui vient d'être rendue sur l'affaire Agripole, donnant lieu à des sanctions de nature disciplinaire.
Une mission moins forte, mais comportant d'importants enjeux, à cause de la loi Pacte, est celle qui consiste à définir les orientations générales de la formation continue des commissaires aux comptes. La plupart du temps, ce sont la CNCC et les compagnies régionales qui dispensent les formations. Mais c'est le H3C qui en définit les orientations générales et qui contrôle la bonne exécution par les commissaires aux comptes de leur obligation de formation. Le taux de suivi des formations est plutôt bon, puisqu'il varie entre 80 % et 85 % des commissaires aux comptes. Les sujets les plus suivis portent sur les compétences techniques nécessaires à la certification des comptes et aux autres missions du commissaire aux comptes. Je note avec regret que sont moins suivies les formations relatives aux systèmes d'information, à la cybersécurité, au blanchiment, aux fraudes et à la corruption. Le H3C doit peut-être s'engager dans une réflexion plus ou plus volontariste d'adhésion des commissaires aux comptes à ce type de formation continue.
Une petite mission, un peu perdue de vue, est d'autoriser la prolongation des mandats des commissaires aux comptes ou le dépassement du plafond des honoraires. Les commissaires aux comptes sont tenus à la rotation des mandats, dans le but de préserver leur indépendance par rapport aux sociétés auditées. La loi autorise dans certaines conditions qu'un commissaire puisse solliciter une prolongation. Les commissaires aux comptes ne se sont pas emparés de cette possibilité, puisque le H3C est très peu saisi en la matière. Il faut peut-être aussi s'intéresser à cette question.
Beaucoup plus importante est la mission de définir le cadre et les orientations des contrôles des commissaires aux comptes, de superviser leur réalisation et d'émettre des recommandations. Dans la structure actuelle des rapports entre le H3C et la compagnie, ce dernier effectue les contrôles d'audits des EIP, et la compagnie nationale se réserve le contrôle des autres entités. Les deux instances ont défini entre elles une base d'analyse des risques, qui porte à la fois sur le cabinet de commissaires aux comptes et sur l'entité auditée. Naturellement, le H3C se réserve aussi la possibilité de faire des contrôles sur des sociétés qui ne sont pas des EIP, lorsqu'elles revêtent une certaine importance.
À la sortie du contrôle, les cas problématiques sont soumis à la formation du collège qui statue sur les cas individuels, dite FCI. C'est elle qui décide soit de ne pas prendre de décision, soit d'adresser des recommandations aux cabinets d'audit, soit de transférer le dossier au rapporteur général pour le déclenchement d'une enquête, lorsque l'on soupçonne l'existence de manquements déontologiques importants. La FCI a examiné 26 cabinets exerçant des mandats EIP en 2019. Elle a transmis six dossiers au rapporteur général. Dans dix-sept cas, elle a émis des recommandations sollicitant du commissaire aux comptes la mise en oeuvre d'actions correctrices dans les douze mois. En 2019, la FCI a examiné 55 cabinets exerçant sur des mandats non EIP. Dans douze cas, elle a demandé l'ouverture d'une enquête sur saisine du rapporteur général.
Le H3C a décidé de s'engager, dans son plan triennal stratégique publié le 14 janvier 2021, dans la rénovation des contrôles. Il souhaite moduler le contrôle en fonction du niveau de risque que présente le cabinet de commissaires aux comptes. Cela suppose une analyse préalable des risques selon une échelle que le H3C est en train de construire et qui serait revue périodiquement par le collège.
Une autre mission emblématique du H3C est la mission d'enquête et de sanction. Il s'agit de mettre en place un système efficient d'enquêtes et de sanction pour détecter les manquements déontologiques et l'exécution inadéquate du contrôle légal des comptes. C'est une exigence essentielle, requise évidemment par le droit européen. La réforme de l'audit a renforcé les pouvoirs du H3C en la matière. Celui-ci est désormais le seul, à l'exclusion des organes de la profession, à pouvoir prononcer des sanctions et la réforme de l'audit lui a permis de prononcer des sanctions pécuniaires, ce qu'il n'avait pas le droit de faire auparavant. Pour exercer cette mission, le H3C et son rapporteur général disposent de onze agents, qui travaillent actuellement sur 139 dossiers, dont 39 concernent des EIP. Depuis sa création, le service a reçu 298 dossiers ; 58 % proviennent des suites des contrôles effectués par le H3C ou par la compagnie nationale, et 42 % proviennent de plaintes émises par des tiers ou la compagnie régionale.
L'enjeu, pour le H3C, est la sécurité et la fiabilité des systèmes comptables et financiers, qui déterminent la confiance du public dans les entreprises, et garantissent le bon fonctionnement et la stabilité du système financier. Cela ne concerne pas seulement les parties prenantes, c'est-à-dire le commissaire aux comptes et son client, mais intéresse aussi les investisseurs, les prêteurs, les co-contractants divers des entreprises soumis à la certification de leurs comptes. Nous avons vu récemment chez nos voisins européens, en Allemagne avec le scandale Wirecard, ou en Grande-Bretagne, qu'à plusieurs reprises les homologues du H3C ou de l'Autorité des marchés financiers ont été mis en cause à cause de leur défaillance dans la mission de contrôle et de régulateur. Même, de mauvaises pratiques institutionnelles ont été dénoncées en leur sein. Le H3C doit se tenir à l'écart de ces scandales.
Pour cela, il dispose des atouts suivants. D'abord, la qualité du système normatif légal, réglementaire, déontologique. Puis, la qualité de la formation des professionnels, celle des contrôles de la formation, et celle de la politique de sanctions. Le rapport de la Cour des comptes de 2019, qui n'a pas été rendu public, pointe l'insuffisance du H3C en indiquant que le nombre de mandats audités et le nombre d'EIP concernées ne sont pas suffisants pour lui donner une vision suffisamment précise et à peu près exhaustive du niveau de qualité de l'audit en France. Mais le H3C est en proie à des difficultés financières. Son modèle économique actuel semble assez fragile.
Sur la qualité de la politique de sanctions, il y a deux points de vue. D'une part, la sanction est une réponse à une faute individuelle et, à ce titre, la qualité des enquêtes et de la procédure interne au H3C est jugée irréprochable par la Cour des comptes, tant au niveau des poursuites que de sa formation de jugement, ainsi que des sanctions prononcées, lesquelles doivent être adaptées, proportionnées et motivées. Mais d'autre part, la sanction a une dimension de police économique, c'est-à-dire un effet de signal auprès des professionnels et du public. Parmi les différents choix possibles de sanctions, il faut éviter les deux extrêmes que serait une impunité générale trop forte, qui conduirait à affaiblir la confiance dans l'économie, ou une sévérité trop systématique, qui paralyserait l'activité des professionnels. Je trouve, à ce titre, assez emblématique la décision qui vient d'être rendue par le H3C dans l'affaire Agripole, le 19 février 2021. Cette décision était très soigneusement motivée et concernait des cabinets de tailles très différentes, y compris les Big Five, si on ajoute aux Big Four le cabinet Mazars. Elle a appelé à mettre en évidence la nature des manquements déontologiques qui pourraient être reprochés, et à mesurer les sanctions de manière à les rendre proportionnées. La radiation définitive de la liste des commissaires aux comptes en est un exemple, comme aussi des sanctions pécuniaires allant jusqu'à 400 000 euros.
Une mission très importante, que le H3C s'est beaucoup appropriée, est la coopération internationale. Il est très présent dans les institutions internationales qui concernent l'audit, et notamment dans le Committee of European Auditing Oversight Bodies, l'institution européenne qui regroupe les sociétés d'audits. Cette institution, qui conseille la Commission européenne, est présidée par M. Patrick Parent, dont le mandat de quatre ans a commencé en 2020. Le H3C est aussi très présent au sein de l'IFA (International Federation of Accountants), une institution internationale qui regroupe 53 États. L'un du membre du collège du H3C, M. di Cicco, présente sa candidature pour devenir le vice-président de cette institution. S'il était élu, il en serait le président dans quatre ans. C'est l'occasion pour la France de faire valoir la qualité de son audit, et surtout du corpus normatif qu'elle a construit en matière de déontologie, de réglementations et d'indépendance des commissaires aux comptes par rapport à leurs clients.
Le H3C doit aussi suivre l'évolution du marché des missions de contrôle. La loi Pacte a suscité la crainte, dans la profession, de voir ses effectifs réduits. Les commissaires aux comptes sont 18 000 inscrits sur la liste, et ils ne sont que 12 000 à exercer véritablement des mandats. Le marché français n'est pas aussi concentré que celui de nos voisins européens. Chez certains d'entre eux, la classe des Big Four est écrasante. Ainsi, au Royaume-Uni, ceux-ci exercent 82 % des mandats EIP. Aux Pays-Bas, cette proportion atteint même 84 %. En Allemagne, elle est de 72 %. En France, elle tombe à 55 %. La concentration du marché français est moins nette encore sur le marché total, quand on additionne aux mandats EIP les autres : les cinq principaux auditeurs ne réunissent en fait que 26,8 % des mandats. Si nous souhaitons préserver ce niveau de concentration du marché sans accentuer la place des Big Five, il faudrait peut-être renforcer la constitution de binômes entre Big et non Big dans les situations où un co-commissariat aux comptes doit être créé, c'est-à-dire pour les sociétés qui ont l'obligation de consolider leurs comptes. Je souhaite travailler sur cette solution avec la compagnie nationale, en accord avec le collège. Cela ferait monter en puissance les cabinets d'importance moyenne, et leur permettrait d'acquérir des moyens supplémentaires, avec de nouvelles compétences, pour accéder eux aussi aux mandats EIP.
L'équilibre budgétaire du H3C est un sujet épineux - mais je suis devant la commission des finances ! La situation est inquiétante puisque, en 2019, le H3C a affiché un déficit de 1,55 million d'euros, et qu'il prévoyait pour 2020 un déficit de 1,7 million d'euros.
Ses ressources sont, depuis 2018, constituées par une contribution forfaitaire des contrôleurs des pays tiers qui sollicitent leur inscription sur la liste française et, surtout, par une cotisation des commissaires aux comptes assise sur le montant total des honoraires qu'ils ont facturés au cours de l'année précédente. Une autre cotisation est assise sur le montant des honoraires facturés au cours de l'année aux EIP dont ils certifient les comptes. C'est le H3C qui se charge, depuis 2020, à la demande de la Cour des comptes, de procéder au recouvrement de ces recettes. La mission de les collecter avait été déléguée à la compagnie nationale, pour un coût refacturé au H3C plus important que ce que cela lui coûterait de procéder lui-même à cette collecte. Surtout, après le vote de la loi Pacte, par mesure de représailles, la compagnie a effectué la rétention des cotisations, elle ne les a pas restituées au H3C. Il était donc nécessaire que le H3C reprenne son indépendance en la matière. Il s'en est donné les moyens en recrutant un comptable public, et la convention a été modifiée en 2020. Nous verrons au cours de l'exercice 2021 si ce choix se traduit par une réduction des dépenses de collecte. Les cotisations versées par les commissaires aux comptes s'élèvent à 15,2 millions d'euros par an.
Les dépenses du H3C sont constituées pour moitié par des dépenses de personnel - il emploie une soixantaine d'agents - et pour un tiers par les refacturations par la CNCC des missions de contrôle que le H3C lui a confiées pour le contrôle des autres structures que les EIP. Là aussi, des incompréhensions peuvent exister sur les factures émises par la compagnie nationale, et un contrôle plus fin par le H3C s'impose.
Malgré le déficit de 1,55 million d'euros que j'ai mentionné, la Cour des comptes a reproché au H3C de ne pas avoir fait suffisamment de contrôles. Nous sommes pris en ciseaux : la Cour des comptes nous demande de travailler davantage, mais nos ressources ne nous le permettent pas... Je devrai me pencher sur cet enjeu, en dialogue avec la compagnie nationale. Pour réaliser des économies, une piste très modeste est actuellement à l'étude : il s'agirait de procéder à une sous-location immobilière. On peut aussi réinterroger les conventions de délégation avec la compagnie. Les refacturations sont en effet passées de 750 000 euros en 2017 à 1,1 million d'euros en 2019 : il y a des questions à se poser... Nous pourrions enfin relever les cotisations des commissaires aux comptes. Cela ne dépend pas du H3C mais du garde des Sceaux. La fourchette actuelle est fixée par un arrêté, qui la place entre 0,5 et 0,7 % du chiffre d'affaires. Le taux appliqué est de 0,5 %. Le garde des Sceaux a la faculté de le faire passer à 0,7 % par décret. Ou alors, nous pourrions élargir l'assiette des cotisations sur les nouvelles missions confiées par la loi Pacte aux commissaires aux comptes, mais il n'y a pas de texte réglementaire le permettant. Merci de m'avoir écoutée si longuement !
M. Claude Raynal, président. - Merci. Il est intéressant pour nous d'entendre parler d'institutions dont nous apprenons beaucoup à l'occasion de telles auditions. Nous avons compris que la question financière est devant vous, et qu'il est trop tôt pour vous demander des pistes concrètes - même si on imagine bien qu'elles passeront soit par une diminution des dépenses, soit par une hausse des recettes ! La Cour des comptes a indiqué que les mandats étaient trop limités. Quelle serait la bonne règle ? Nous avons auditionné avant vous une structure de même nature, l'Autorité des normes comptables, pour laquelle les questions internationales étaient très importantes. Il y a des discussions internationales sur la qualité de l'audit, sur les contenus, etc. Or la mission de commissaire aux comptes semble assez franco-française. Est-il nécessaire d'avoir des mandats de commissaire aux comptes de même nature partout dans le monde ? Autrement dit, une vision franco-française du métier de commissaire aux comptes pèserait-elle sur les entreprises françaises, ou européennes ? Parmi les contrôleurs légaux de pays tiers, vous avez ceux du Royaume-Uni. Quel est l'effet du Brexit sur vos relations avec eux ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour cet état des lieux. La situation que vous décrivez pose question, s'agissant de ceux qu'on appelle les professionnels du chiffre !
La loi Pacte a réduit le nombre d'entreprises ayant recours aux commissaires aux comptes. Cela implique une perte partielle de chiffre d'affaires et la possibilité pour les commissaires aux comptes de développer une nouvelle offre. Comment voyez-vous ce que doit être demain le commissariat aux comptes - et ce qu'il ne doit pas être ? Si l'on se dirige vers un modèle comportant davantage de prestations de services aux entreprises, on pourrait craindre une perte d'indépendance dans la mission originelle et originale des commissaires aux comptes. Quel serait le bon point d'équilibre entre ces évolutions ?
Dans le rapport de la mission « Justice économique » dirigé par Georges Richelme, il est question de renforcer encore les missions hors certification des commissaires aux comptes et il est même recommandé d'étendre leur rôle en matière de prévention et d'alerte auprès du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, en pérennisant notamment la procédure d'alerte introduite par l'ordonnance du 20 mai dernier. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Je mène actuellement une mission de contrôle sur la sortie des prêts garantis par l'État, et notamment l'accompagnement des entreprises qui sera nécessaire en sortie de crise. Les commissaires aux comptes doivent-ils participer à cet accompagnement en exerçant un rôle d'alerte et de prévention ? Si oui, selon quelles modalités ? En début d'année, j'ai assisté à la rentrée d'un tribunal de commerce et ce sujet de la sortie des PGE a été abordé comme constituant une nécessité, et même une urgence, pour les tribunaux de commerce.
Mme Florence Peybernes. - Sur les mandats EIP, la Cour des comptes a fait des remontrances au H3C, en disant qu'il en faisait trop. Pourtant, le H3C vérifie moins de 3 % des mandats, ce qui est insuffisant pour en avoir une bonne lecture. Quand bien même il doublerait cette proportion, ce serait toujours insuffisant. En fait, il faut une étude des risques, c'est-à-dire une cartographie préalable. Après des années d'expérience, le H3C sait quels risques pèsent sur certains types de mandats ou certains types de cabinets. C'est par l'étude des risques qu'il acquerra une cartographie des contrôles approchant d'une bonne connaissance de la qualité de l'audit en France, davantage que par des contrôles exhaustifs qui sont impossibles à réaliser.
Sur les questions internationales, je souhaite souligner la grande différence entre les ISA (International Standard on Auditing), qui sont les normes d'exercice professionnel anglo-saxonnes, et les NEP. Elles sont très différentes dans leur structure : les NEP sont beaucoup plus courtes, concises et précises que les ISA, ce qui fait gagner en qualité et surtout en compréhension entre l'organe régulateur et la profession qui comprend mieux ce qui est attendu d'elle. Si la France a un rôle à jouer dans les instances internationales, c'est dans cette direction-là. Une autre particularité française est le co-commissariat aux comptes. C'est une des garanties françaises qui existent pour éviter les catastrophes. Certes, nous avons eu l'affaire William Saurin - mais pas Wirecard ! Avec un véritable co-commissariat aux comptes, il est plus difficile de ne pas voir que les comptes ne reflètent pas la réalité. Quant aux conséquences du Brexit, je n'ai pas d'information.
C'est encore un peu tôt après la promulgation de la loi Pacte pour avoir des certitudes. Nous savons qu'il y a, forcément, une perte de chiffre d'affaires, puisque les seuils ont été relevés, et que moins de sociétés sont contraintes de recourir au commissariat aux comptes. Toutefois, les règles d'entrée en vigueur de la loi, étalée sur six années, retardent la perte du mandat. Les pertes de chiffre d'affaires ne seront donc pas immédiates. Puis, on commence à constater que même parmi les entités qui n'ont plus l'obligation de recourir à leur commissaire aux comptes, plusieurs continuent à le faire. La certification des comptes accroît la qualité de leurs échanges avec les prêteurs ou les investisseurs, voire même les interlocuteurs commerciaux, qu'il s'agisse des fournisseurs ou des gros clients. On peut donc penser que bon nombre d'entre elles conserveront les services du commissaire aux comptes. Il appartient à ces derniers - et c'est un virage qui n'a pas encore été pris - de s'approprier les nouvelles possibilités que la loi Pacte leur ouvre pour offrir davantage de services à de plus petites structures. Je pense par exemple au conseil dans la conduite de leur activité, dans la réorientation ou dans le rééquilibrage de leurs comptes. Garder leur indépendance par rapport aux experts-comptables permettra d'asseoir la qualité de leurs conseils en la matière.
Le rapport Richelme est né à Orléans, monsieur le rapporteur général, lorsque le garde des Sceaux est venu et s'est intéressé à la manière dont les tribunaux de commerce s'étaient emparés de la prévention pour les petites structures. Ce marché est d'ailleurs surtout celui des experts comptables. Les structures agricoles sont plutôt entre les mains de la Mutualité sociale agricole, ou de la Fédération départementale des agriculteurs, qui est leur syndicat professionnel. Pour les commissaires aux comptes, ce rapport ne me paraît pas une source d'information ou d'idées particulièrement développée. J'ai regretté que M. Richelme n'ait pas pensé à solliciter l'avis du H3C. Il n'a sollicité que celui de la compagnie. Une lettre lui a été adressée sur ce point.
Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour votre exposé, très intéressant. Vous avez évoqué les réflexions et les recommandations du H3C sur les NEP. Le H3C intègre-t-il à ses réflexions les conséquences de la crise sanitaire et du soutien massif de l'État aux entreprises ? Dans le cadre d'un audit, un commissaire aux comptes constate des dettes classiques - emprunts, dettes aux fournisseurs, etc. - mais il y a désormais aussi les PGE et les reports de charges sociales, qu'on peut considérer comme des dettes moins certaines. Puisqu'il s'agit de certifier la sincérité, la régularité des comptes, le H3C envisage-t-il de distinguer la comptabilisation de ces dettes, qui ne sont pas les mêmes que les autres ? Ainsi, les investisseurs ou les prêteurs se feraient une meilleure idée de ce qu'est l'entreprise. Vu la masse de ces concours financiers, la question est d'importance.
M. Marc Laménie. - Merci pour cette présentation détaillée et fidèle, et pour l'exposé de votre parcours antérieur au ministère de la justice et dans les tribunaux de grande instance. Même nous, nous ne connaissons pas forcément toutes les autorités administratives indépendantes - que dire du grand public ! Les experts-comptables et commissaires aux comptes ont pourtant un rôle majeur auprès des entreprises de toutes tailles. Vous avez beaucoup insisté sur la notion de déontologie et sur les moyens humains : une soixantaine de personnes, c'est peu, étant donnés les enjeux. Comment allez-vous résorber le déficit budgétaire que vous avez signalé ? Comment mieux communiquer compte tenu des difficultés que les commissaires aux comptes vivent au quotidien avec la crise sanitaire, et vu la complexité des dossiers ? Comment mieux coordonner ces derniers, et mieux les aider à développer une bonne communication ?
M. Michel Canevet. - Votre exposé a été particulièrement clair et montre que vous connaissez bien le sujet. Les conséquences de la loi Pacte dans le secteur sont extrêmement importantes : nous avions estimé que, sur les 260 000 entreprises relevant du commissariat aux comptes, seules 120 000 étaient au-dessus des seuils réglementaires. Cela augurait d'une baisse significative du nombre de commissaires aux comptes. La situation financière du H3C ne peut que nous inquiéter, puisque cette évolution implique qu'il y aura dans les prochaines années beaucoup moins que 18 250 inscrits au tableau des commissaires aux comptes. Avez-vous déjà des idées sur les mesures qu'il va falloir prendre, notamment en termes de personnel ? Il y a une cinquantaine de personnes pour une masse salariale de 7,5 millions d'euros, et des efforts de rationalisation pourront sans doute être effectués : l'activité diminuant, il convient d'adapter le niveau des moyens du H3C.
Avec la loi Pacte, les quelques grands cabinets d'audit vont concentrer encore davantage les missions d'audit entre leurs mains. Il n'y a qu'un cabinet français, Mazars, parmi les sept principaux. Ces grands cabinets ne risquent-ils pas de prendre de plus en plus de place, au détriment des petits, qui n'arriveront pas à survivre à la réforme ?
M. Vincent Segouin. - Le H3C réfléchit-il à l'évolution des sociétés qui entrent dans les tribunaux du commerce ? On nous a dit la semaine dernière que 30 % des dossiers allaient en redressement judiciaire, et que 2 % seulement allaient jusqu'au bout du plan et repartaient dans l'économie.
Mme Florence Peybernes. - Je n'ai pas la réponse à toutes vos questions...
M. Claude Raynal, président. - Votre sincérité sur ce point vous honore !
Mme Florence Peybernes. - La première question est pertinente, mais relève d'une autre institution, l'Autorité des normes comptables, avec laquelle j'estime nécessaire que le H3C développe ses liens car, à l'occasion des contrôles et des audits, il se rend compte que les normes comptables ne sont parfois pas bien comprises par les commissaires aux comptes, ou sont sujettes à des interprétations différentes.
Pour résorber le déficit budgétaire, il faut surtout reprendre le dialogue avec la CNCC. Sur 18 000 commissaires aux comptes inscrits, seuls 12 000 cotisent : nous devons vérifier nos rapports économiques avec la compagnie nationale. Reprendre certaines de nos missions, comme l'inscription sur la liste, devrait être une source d'économie, aussi. Enfin, nous devons réinterroger nos échanges en matière de délégation des mandats EIP : les sommes demandées par la compagnie sont peut-être à remettre en cause.
Vous évoquez la communication : il y a souvent des articles dans la presse économique spécialisée. Le H3C publie un rapport annuel, sans doute un peu épais : nous en produirons une synthèse destinée aux corps institutionnels. Son site Internet a été rénové, et le Congrès annuel des commissaires aux comptes est aussi une plateforme de visibilité.
La loi Pacte induira-t-elle une baisse du nombre des commissaires aux comptes ? C'est trop tôt pour le dire. Le H3C va le vérifier. En réduisant, par la réforme de l'audit, le nombre d'EIP, puis en relevant les seuils au-delà desquels le recours aux commissaires aux comptes est nécessaire, la réforme devait logiquement aboutir à ce résultat. Pourquoi, dès lors, le H3C devrait-il s'inquiéter en particulier de cette évolution ? En France, les seuils étaient quasiment les plus bas d'Europe, et l'objectif de la loi était justement de redonner de la liberté et du souffle aux entreprises, en leur retirant cette charge.
Non, je ne m'en prendrai pas aux salariés du H3C, dont je pense qu'ils ne sont pas en nombre suffisant - et c'est aussi l'avis de la Cour des comptes. Le H3C ne fait pas assez de contrôles pour avoir une vision claire de la qualité de l'audit en France. Ce n'est pas en réduisant le personnel que j'atteindrai cet objectif, que fixe la Cour des comptes. Nous travaillerons sans doute sur des contrôles différenciés, selon la nature des mandats ou du commissaire aux comptes contrôlé. Dans l'affaire Agripole, par exemple, la même obligation déontologique, rappelée tous les ans au même commissaire aux comptes, n'avait toujours pas été suivie cinq ou six ans plus tard. C'est le signe, pour le H3C, que ce commissaire aux comptes est en risque, et qu'il faut intensifier les contrôles sur lui.
Enfin, le H3C n'est pas chargé du suivi des sociétés en difficulté économique qui ont un plan de redressement.
M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la Première présidente, pour la clarté et l'honnêteté de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président de la République, de Mme Florence Peybernes aux fonctions de présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes
La commission procède au vote sur la proposition de nomination de Mme Florence Peybernes aux fonctions de présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes.
La réunion est close à 12 h 20.
À l'issue du vote de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la commission des finances du Sénat procède au dépouillement, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, en présence de M. Claude Raynal, président, et MM. Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires, en leur qualité de scrutateurs.
Le résultat du vote, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est le suivant :
Nombre de votants : 22 ; Blancs : 3 ; Pour : 19 ; Contre : 0.