Jeudi 4 mars 2021
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La séance est ouverte à 9 heures.
Table ronde sur les : « Difficultés des TPE et PME dans la crise : comment franchir le cap du 1er semestre 2021 ? »
M. Serge Babary, président. - Bonjour à toutes et à tous. Cette réunion se déroulera pour partie en présentiel et pour partie à distance, un certain nombre de sénateurs étant en visioconférence ainsi que nos intervenants.
Pour commencer, je rappelle que travail intervient dans le cadre de notre mission sur les difficultés des TPE et PME dans la crise actuelle. Comment franchir le cap du premier semestre 2021 ? Nous craignons tous que ce soit un peu plus long et que les difficultés s'accroissent d'autant.
La Banque de France a confirmé la chute de 39 % du volume de défaillances d'entreprises en 2020. Ceci s'explique par les mesures de soutien de l'État aux entreprises prises dans la tourmente de la crise économique et sanitaire, ainsi que par le ralentissement de l'activité judiciaire et une réforme des règles des procédures collectives à titre temporaire.
Mais quid après la perfusion, au demeurant nécessaire, de notre tissu économique ? On parle beaucoup de relance mais c'est aussi de survie dont il est question, et donc également d'emploi.
Le 21 janvier dernier, la Délégation aux entreprises du Sénat a organisé une première table ronde sur « les difficultés des PME et TPE dans la crise, comment franchir le cap du 1er semestre 2021 », en présence de représentants des présidents tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires, banques ainsi que de représentants des entreprises pour réagir aux propos tenus par les premiers.
La table ronde de ce jour vise également à réfléchir à la situation des entreprises en difficulté sous l'angle du droit, des outils à la disposition des acteurs ayant à recourir à ce droit, ainsi que de la méthode et des mesures nécessaires pour appréhender au mieux les six mois ou l'année à venir.
Il est indispensable d'éviter que la période « d'hibernation des défaillances d'entreprise », pour reprendre l'expression du Conseil d'analyse économique (CAE), ne se transforme en un phénomène de faillites en cascade qui emporterait les entreprises les plus vertueuses ayant, en temps normal, de bons fondamentaux.
Depuis notre table ronde du 21 janvier, la mission « justice économique », sous la direction M. Georges Richelme, ancien président de la Conférence générale des juges consulaires de France, a rendu son rapport et a formulé des propositions pour améliorer la détection, la prévention et l'accompagnement des entreprises en difficulté. Au-delà de l'état des lieux, il serait intéressant d'entendre vos réactions à ces propositions, ainsi que vos propres analyses et suggestions.
Je précise que nos travaux pourront aussi être utiles à la mission lancée par la commission des Lois du Sénat sur la prévention et le traitement des difficultés des entreprises.
Je donne maintenant la parole aux intervenants invités ce matin :
- Christian Nibourel, président de l'AGS (régime de Garantie des Salaires) ;
- Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) ;
- Jacques Maureau, vice-président en charge du secteur valorisation et adaptation des compétences du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables ;
- Patrice Duceau, vice-président du Groupement de prévention agréé (GPA) du Val-de-Loire.
Chacun dans votre domaine et avec votre expérience de terrain, je vous remercie de nous éclairer sur les perspectives et de formuler des propositions.
Vous avez reçu un questionnaire indicatif qui vous donne une idée des interrogations qui sont les nôtres, et nous sommes bien entendu à votre écoute pour évoquer tout autre aspect qui complèterait ces sujets.
Nous aurons ensuite un échange avec les sénateurs présents, au Sénat ou en ligne. Je rappelle en effet que notre réunion est mixte, avec certains des sénateurs membres de la Délégation aux entreprises présents à mes côtés, et d'autres en visioconférence.
Cette audition sera diffusée en direct sur notre site internet puis disponible en vidéo à la demande.
Je vous remercie et vous cède la parole en vous demandant de respecter votre temps de parole, soit 10 minutes chacun au maximum, afin de laisser le temps au débat avec les sénateurs de la Délégation.
M. Christian Nibourel, président de l'AGS (régime de Garantie des Salaires). - Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, d'avoir invité l'AGS pour éclairer les débats et les préconisations que vous serez amenés à faire à l'issue de vos travaux.
Je me livrerai tout d'abord à une petite introduction sur l'AGS et la situation actuelle. Vous connaissez les chiffres, monsieur le président vous les avez rappelés. Nous, acteurs de ce secteur, les confirmons. 60 000 défaillances d'entreprises avaient été constatées en 2008, pour 30 000 en 2020. C'est donc un nombre moindre que pendant la crise de 2008. Si l'on compare 2020 par rapport à 2019, il y a eu également moins de défaillances d'entreprises. L'intervention de l'AGS est en baisse de 34 % sur les dossiers traités et de 20 % sur les sommes que nous avons versées, entre 2019 et 2020. Par conséquent clairement, l'économie est clairement sous perfusion du fait du dispositif de soutien à l'économie qu'il fallait mettre en place pendant cette période compliquée de la crise de la COVID 19. Tels sont les chiffres.
Le soutien de l'AGS s'est élevé à 1,2 milliard d'euros en 2020, le paiement des salaires concernant environ 140 000 personnes. Par conséquent, l'AGS joue un rôle extrêmement important d'amortisseur social au cours de la période, et d'aide aux salariés, au bénéfice desquels elle intervient exclusivement. Il est intéressant de préciser que 86 % des dossiers concernent des entreprises de moins de dix personnes, dont 50 % d'entreprises d'un à deux salariés. C'est important pour vos travaux, au regard des mesures à mettre en place pour atténuer la sortie de crise.
Un autre point important tient au fait que 68 % des dossiers entrent directement en liquidation judiciaire sans passer par le redressement judiciaire, la prévention ou l'amiable. Cela en dit long sur la confiance que peuvent avoir les patrons de PME et TPE dans la façon dont fonctionne le système actuellement. Nous pourrons en reparler.
En définitive, les chiffres vont clairement dans le sens d'une diminution. Nous partageons donc vos prévisions pour 2021, monsieur le président. En 2021 en revanche, nous anticipons une augmentation des défaillances d'entreprises, mais probablement pas au premier trimestre. Nos chiffres de janvier confirment la tendance de 2020, c'est-à-dire une baisse du nombre de défaillances d'entreprises en janvier 2021 par rapport à janvier 2019, c'est-à-dire toujours la même tendance à la baisse de 30 %. Je ne dispose pas des chiffres de fin février, mais vraisemblablement la tendance sera similaire. Par conséquent, l'augmentation du nombre de défaillances d'entreprises sera liée à la sortie du Prêt Garanti par l'Etat (PGE) et du chômage partiel, ainsi qu'à la fin du décalage de paiement des différentes taxes.
Selon les prévisions effectuées par quatre acteurs - l'AGS, l'Unedic, Rexecode et Advolis - les paiements effectués par l'AGS devraient s'élever à 2,5 milliards d'euros après les échéances précitées (à mettre au regard du montant d'1,2 milliard d'euros payé en 2020) c'est-à-dire une très forte augmentation. Comme cela l'a été indiqué dans la presse, ces anticipations ont conduit l'AGS, à souscrire un emprunt d'1 à 2 milliards d'euros de droit à tirage, en fonction des besoins. Par conséquent, l'AGS s'est mise en position d'absorber l'augmentation des défaillances d'entreprises, que nous prévoyons à partir du deuxième trimestre 2021 et peut-être jusqu'au premier trimestre 2022.
Le régime AGS a été conçu en 1973 à la suite de l'affaire Lipp. Les salariés ne pouvaient plus être payés en raison de l'absence de trésorerie dans l'entreprise. Ce fut un drame, car les salariés n'étant pas payés tout en appartenant à l'entreprise, ils ne pouvaient pas toucher le chômage puisqu'ils n'étaient pas licenciés. Par conséquent, le législateur a décidé de mettre en place un outil très simple permettant de payer l'AGS. Cet outil est à destination des salariés, et uniquement de ceux-ci. Nous répondrons tout à l'heure à votre question 6 sur les ordonnances actuelles. L'AGS ne paie pas les frais de justice. L'équilibre du régime est basé sur deux éléments : les cotisations des entreprises et les récupérations effectuées sur les avances consenties aux salariés. Ce point est très important à comprendre. Ce régime ne coûte absolument rien à l'Etat. Il est équilibré grâce aux cotisations et récupérations, et ne pèse pas non plus sur les salariés puisqu'il est basé sur les cotisations patronales.
En définitive, ce régime extrêmement efficace et généreux est unique en Europe. Cette efficacité provient notamment du fait que nous payons les salaires dès que l'administrateur le sollicite, entre J+1 et J+5 alors que la loi nous y oblige entre J+5 et J+8. Notre indicateur de réactivité est donc très élevé, dans l'intérêt même des salariés. De plus, l'AGS verse jusqu'à 80 000 euros par salarié alors que les systèmes européens, quand ils existent, n'excèdent pas des versements de 30 000 euros. Enfin, le système de l'AGS est très vertueux puisqu'il n'entraîne aucune charge pour l'Etat. Il est nécessaire de le protéger car il rend service et joue un rôle essentiel d'amortisseur social. Il faudra compter sur l'AGS en 2021 et 2022, au moment où la sortie de crise risque d'occasionner des difficultés.
Le fonctionnement du système est simple. A l'occasion d'une procédure collective, lorsque les salariés ne peuvent être payés du fait de l'absence de trésorerie disponible, l'AGS intervient immédiatement. Ce faisant, elle se substitue à l'entreprise et prend la créance du salarié. En France, les salariés disposent d'un superprivilège, ce qui signifie qu'ils sont payés avant tous les autres créanciers de l'entreprise. En d'autres termes, l'AGS prend le rang des salariés dans l'ordre des créances et récupère les avances qui ont été faites. En moyenne, nous récupérons 47 % des avances sur 1,5 milliard d'euros, l'équilibre étant constitué de 700 à 800 millions d'euros de cotisations. Tel est l'équilibre du système dont nous pouvons collectivement être fiers, et qu'il convient de conserver.
Je dirai à présent quelques mots sur les ordonnances, au sujet desquelles vous m'avez interrogé, et qui changent la donne par rapport au système actuel. Ces textes entendent faire passer les frais de justice avant l'AGS, ce qui financièrement peut nous amener à une perte de l'ordre de 200 à 300 millions d'euros. Au regard de l'équilibre du régime et de l'emprunt que nous avons contracté, cette somme est très importante. Sur trois ans, elle représente 900 millions d'euros, soit le montant de la tranche de l'emprunt que nous rembourserons en 2023. La vraie question est de savoir si l'on veut faire passer les frais de justice, non contrôlés et en augmentation croissante, avant l'AGS donc avant les salariés. Il faut donc revenir aux fondamentaux. Politiquement, que veut-on faire avec le régime ? A-t-il vocation ou non à payer les frais de justice ? Bien sûr, la réponse est négative aujourd'hui. Pour changer, il sera nécessaire de modifier la façon dont est équilibré le régime.
Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai pris un peu plus de dix minutes. Je répondrai à vos questions.
M. Serge Babary, président. - Merci Monsieur le président d'avoir mis en exergue cette difficulté nouvelle qui déséquilibre le système que vous nous avez décrit.
Je passe donne la parole à M.Yannick Ollivier.
M. Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. - Merci de nous donner aussi la parole sur ce sujet effectivement très important pour nous. Je m'exprime à double titre, en tant que président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et en tant que dirigeant d'un cCabinet d'expertise comptable de région couvrant de 25 000 à 30 000 entreprises, notamment des TPE et PME de territoires. Dans cette dynamique, j'ai à la fois le regard des cCommissaires aux comptes et leurs remontées de terrain, et mes propres constats sur les difficultés des entreprises dans les territoires.
J'ai été membre de la Commission présidée par Georges Richelme. J'ai eu, à cette occasion, la possibilité d'exprimer un certain nombre de messages. L'enjeu est très clair. Les entreprises sont aujourd'hui sous perfusion, et tout cessera progressivement. Selon nous, une problématique très concrète du terrain doit être résolue. Nous pensons que le sujet n'est pas de réformer et transformer les dispositifs existants, judiciaires ou non-judiciaires, parce qu'ils fonctionneraient moins bien. Nous avons la chance, dans notre pays, d'avoir ces dispositifs qui ont du sens et accompagnent les entreprises pour sortir de leurs difficultés, même s'ils sont perfectibles. Selon nous, le problème se situe davantage en amont. Nous nous trouvons face à des dirigeants entrepreneurs, pour lesquels il conviendra d'identifier le plus tôt possible la situation dans laquelle ils sortiront de la crise, pour les orienter rapidement vers les bons dispositifs et les amener à prendre les bonnes décisions. Certains entrepreneurs ont totalement pris la mesure du problème, d'autres sont dans le déni. Parfois, ces dirigeants sont tellement choqués par les évènements qu'ils ont subis (arrêts d'activité, situation dégradée au cours des mois...) qu'il n'est pas simple pour eux de se remettre dans une perspective d'avenir. C'est pourquoi nous sommes intimement convaincus de l'enjeu d'accompagner ces entrepreneurs le plus rapidement possible sur les actions à mettre en place.
Un autre effort important devra consister à assainir le système. Toutes les entreprises ne pourront pas être sauvées, de sorte que nous devrons en tirer les conséquences rapidement pour ne pas qu'elles « vivotent » pendant des mois. Il convient en effet d'éviter de provoquer des effets négatifs pour les entreprises qui ont encore de vraies chances de redémarrer, même si elles ont été fortement impactées par la crise de la COVID. Par conséquent, nous devrons flécher les entrepreneurs vers les bonnes décisions pour faciliter la reprise, et dans le même temps donner à voir leur situation réelle à celles qui n'ont plus aucune chance d'accéder à cette reprise. Dans cette optique, les experts-comptables ont un rôle de présence sur le terrain pour sensibiliser et conseiller les entreprises. Notre rôle de cCommissaire aux comptes est quelque peu différent, à la frontière du droit et de l'économie. Il consiste, pour assainir les situations, à créer une sorte de point de passage permettant le bon fléchage des entreprises. A l'occasion des nombreuses auditions que nous avons eues dans le cadre de la Commission Richelme, nous avons compris que les dispositifs autour des « signaux faibles » avaient du sens. Nous disposons les outils pour déceler que telle entreprise est plus ou moins concernée par les difficultés. Néanmoins, il faut déterminer qui sur le terrain, fait le lien, la courroie de transmission entre l'ensemble de ces outils. C'est pourquoi nous avons estimé nécessaire, dans la période d'urgence des mois à venir, avec des enjeux de solidarité, d'enclencher une dynamique de sensibilisation, d'orientation et d'information. Cette dynamique a d'ailleurs été portée par William Nahum, avec la coopération pleine et entière de la CNCC et par les experts-comptables. Nous pensons en outre que l'enjeu de la reprise et l'enjeu de la prévention sont intimement liés. Les entreprises doivent en effet pouvoir rassurer leur environnement. Un fournisseur n'augmentera pas ses encours s'il n'a pas été ré-assuré sur la santé financière de son client. Les entreprises devront par conséquent pouvoir démontrer qu'elles ont mis en place les bons dispositifs pour redémarrer. Ce faisant, elles rassureront leurs financeurs et pourront bénéficier d'accompagnements sur mesure. Nous commençons à l'heure actuelle à négocier avec les banquiers et nos clients les modalités de sortie et d'amortissement du PGE.
Il y a un vrai débat de fond entre les entreprises et les banques pour gérer la transition, celle-ci n'ayant de sens que si l'entreprise a une chance de s'en sortir. Forts de notre devoir d'alerte de cCommissaire aux comptes, nous avons considéré pouvoir intervenir, peu important la taille de l'entreprise dès lors que celle-ci souhaite s'appuyer sur une mission de cCommissaireriat aux comptes pour démontrer à son environnement sa bonne santé financière ou, à tout le moins, qu'elle a mis en place des dispositifs appropriés. Il est en effet important que cet environnement (banque, bailleur...) ait des repères. En définitive, nous avons couplé cette mission concrète d'une mission de prévention des difficultés, pour faire une information auprès des acteurs compétents et mettre en place le plus vite possible les dispositifs vers les bonnes solutions. L'important est d'aller vite. Cette dimension temporelle doit permettre de se tourner vers les professionnels de terrain proches des entrepreneurs, pour orienter et assainir le système économique. Il s'agit d'un réel enjeu.
Je pense que nous devrons avoir l'honnêteté et la lucidité d'accepter que nous pourrons sauver un certain nombre d'entreprises en agissant tôt. D'autres ne pourront en revanche pas être sauvées, et il nous appartiendra de ne pas les laisser vivoter.
Un autre élément entre dans cette réflexion des mois à venir : l'arrêté des comptes 2020 des entreprises. Nous savons déjà que ces comptes seront mauvais, ce qui représentera une double peine. En effet, nombre d'entreprises ont subi des pertes d'activité et de rentabilité, donc des déficits, de sorte qu'elles présenteront une situation financière dégradée. A cela s'ajoutera le fait que lae COVID a créé de l'incertitude ayant joué sur la présentation bilancielle de certaines entités. Je pense notamment à certaines valorisations de fonds de commerce. Nous ne parlons pas ici des grandes entreprises, mais évoquons l'enjeu des TPE et PME. La double peine serait d'avoir connu une année difficile et de devoir redémarrer, dans un contexte où les financeurs ne les suivraient pas en raison de leurs comptes dégradés. Ici encore, une réflexion doit être menée sur la façon dont les professionnels du chiffre et du droit pourraient aider les entreprises à communiquer au-delà de leurs comptes 2020, sur leur situation actuelle, sur des éléments de carnets de commandes, de ratios financiers et sur des éléments de dispositifs mis en place pour rassurer leurs partenaires. La confiance des acteurs sera en effet l'un des piliers essentiels de cette période de reprise économique.
Selon nous, une solidarité et la mise en place d'une réflexion commune autour de la sensibilisation des entrepreneurs sur leurs enjeux devra se mettre en place. Je donnerai un exemple très concret. En tant qu'expert-comptable, notre cCabinet a envoyé il y a quelques semaines une note d'information à nos clients, leur offrant la possibilité de faire un premier diagnostic gratuit. L'objectif était de les avertir de la prochaine fin de la période de perfusion, et d'échanger avec eux sur leur stratégie de sortie. Les statistiques de retour sur cette démarche sont assez inquiétantes, ce qui démontre que nos clients ne se situent pas encore dans la phase de redémarrage. Ils ont encore dans la phase de gestion de l'urgence et d'inquiétude. L'essentiel de nos interventions actuelles consiste à faire du soutien psychologique et à les rassurer, à les orienter vers les bonnes aides. Nos clients sont très en demande d'informations sur le renouvellement de leur PGE et sur leur avenir. Nous possédons une partie des éléments de réponse, mais pas la totalité. C'est pourquoi nous les accompagnons dans cette phase d'inquiétude, pour les aider à entrer dans une phase où ils pourront se projeter. Cette dynamique de redémarrage constitue un enjeu important, pour donner les moyens aux entrepreneurs d'être dans de bonnes dispositions. Pour ce faire, la coordination la plus pertinente possible doit s'engager entre les acteurs de terrain, experts-comptables, avocats et commissaires aux comptes des entreprises. Il est important que nous jouions ce rôle d'accompagnement, mais aussi de « tamis ». Nous, commissaires aux comptes, avons cette expérience qui n'est pas toujours facile, mais qui correspond à notre mission d'intérêt général. Il nous appartient de faire un diagnostic de la situation des entreprises qui, s'il est positif, leur permettra de s'en prévaloir vis-à-vis des tiers et de redémarrer. Si le diagnostic est négatif, nous avons le devoir de favoriser le bon fonctionnement de notre système de sécurisation et d'assainissement en orientant les entrepreneurs, de manière plus ou moins contraignante, vers les bons dispositifs, notamment judiciaires. C'est très important. Nous avons beaucoup travaillé et mis l'accent sur cette zone des mois à venir. Pour répondre directement à votre question sur ce qui va se passer, c'est précisément l'orientation, l'information des entreprises et l'assainissement de notre système au service d'une reprise économique durable que nous mettrons en oeuvre. Nous éviterons aussi l'accumulation du crédit inter-entreprises, qui nous inquiète beaucoup car il génèrera des impayés. Nous devons absolument éviter de laisser les entreprises vivoter trop longtemps, retardant en cela la bonne dynamique et augmentant les passifs, pour finalement faire intervenir les AGS.
M. Jacques Maureau, vice-président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables. - Nous sommes très heureux de pouvoir participer à cette table ronde. L'Ordre des experts-comptables compte 21 000 professionnels, experts-comptables inscrits au tableau de l'Ordre ainsi que 6 000 experts-comptables stagiaires, futurs professionnels prochainement diplômés, 130 000 collaborateurs et surtout 2 500 000 entreprises accompagnées au quotidien.
Mes propos, nécessairement, se rapprocheront de ceux du président Ollivier puisque nous travaillons sur la même matière : les entreprises. Indéniablement, la fonction de l'expert-comptable est plus élargie large parce que, par nature, nous intervenons aussi auprès de très petites entreprises qui n'ont pas l'obligation de recourir à un commissaire aux comptes. Nous ne sommes pas liés à nos clients par une mission légale mais contractuelle, qui nous lie aux dirigeants d'entreprises. Dans le cadre de cette mission, nous avons un devoir de conseil, notamment quand l'entreprise rencontre des difficultés. Ce devoir existe depuis toujours. Nous avons toujours assisté des entreprises en difficulté, ce qui explique que les experts-comptables aient constamment veillé à entretenir des liens serrés avec les tribunaux de commerce et leurs greffiers, afin de tout mettre en oeuvre pour aboutir à des solutions de préservation de l'entreprise et de l'économie. Nous participons d'ailleurs à ce titre, de manière active, aux centres d'information et de prévention - qui se rapprochent sans concurrence aucune des Groupements de prévention agréés (GPA) - - dont le but est d'informer et d'accompagner de manière lae plus anonyme possible des dirigeants en difficulté.
Notre métier au quotidien réside dans l'accompagnement des chefs d'entreprise, j'insiste sur ce point. Cet accompagnement a pris toute son ampleur avec la crise sanitaire. Dès la phase 1, la plupart des entreprises se sont tournées vers nous afin d'avoir des réponses sur leur avenir. Il faut saluer à ce titre les mesures de soutien à l'économie prises, qui, de l'avis unanime, ont joué un rôle de « parapluie » au-dessus des entreprises, mais leur ont permis avant tout de passer une première phase catastrophique. Pour les experts-comptables, la tâche a été lourde car même si les mesures étaient bonnes, elles n'ont pas été faciles à déployer. On le conçoit aisément, mes propos ne sont pas une remise en cause. Nous avons dû collaborer de manière extrêmement étroite avec les différents services de l'Etat pour le déploiement du fFonds de solidarité et du chômage partiel. Cette période de première phase de crise sanitaire a sincèrement changé nos relations avec nos clients, qui ont trouvé une ressource supplémentaire dans les services offerts par les cabinets d'expertise-comptable. Ce résultat est dû d'une part aux experts-comptables et à l'engagement de leur personnel, mais également à la très bonne collaboration qui s'est installée avec la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la Direction générale des entreprises (DGE) et les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), dans le seul but de sauver un maximum d'entreprises.
La première phase, de mars à avril 2020, a été une phase de sidération. Les entreprises, comme l'ensemble de la population, ont été mises devant le fait accompli sans maîtriser totalement la situation. A la rentrée 2020 et à partir de la deuxième phase de confinement, la situation a changé. Les entrepreneurs ont ainsi réalisé, de manière imminente, les risques de remise en cause de la pérennité de leurs entreprises. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une troisième phase, qui consiste à faire l'état de la dette des entreprises. Celles-ci commencent à envisager de rembourser les PGE et les dettes accumulées. Les dirigeants d'entreprise ont pris conscience de leur situation réelle. Notre fonction primordiale sera d'accompagner les entreprises pour mettre en place des plans prévisionnels de sortie de crise en matière d'économie, mais aussi en termes de désendettement. Nous sommes particulièrement sensibles à cette période délicate, démoralisante et parfois décourageante pour certains, qui jusqu'alors avaient tenu grâce à une sorte de déni. Notre profession s'est bien entendu engagée, et a participé de manière active à la mission confiée à M. Richelme, en portant des propositions tant économiques que juridiques. Ces propositions seront selon nous, des moyens de favoriser la sortie de crise la plus favorable possible.
Avant toute chose, nous avons posé le constat selon lequel les entreprises accompagnées franchiraient mieux cette période difficile. Pour cette raison, nous tenons à appuyer toutes les mesures incitatives pour permettre aux entreprises de recourir à un expert-comptable. On pourrait y voir une position de préservation de la profession ou de volonté de développement de notre clientèle, mais tel est loin d'être le cas. Pour que le tissu économique local se maintienne et retrouve rapidement son dynamisme, il est nécessaire d'éviter un effet de dominos par lequel un grand nombre d'entreprises s'écrouleraient, en entraînant beaucoup d'autres dans leur sillage. C'est pourquoi au même titre que les commissaires aux comptes, nous sommes demandeurs d'un retour sur les signaux faibles, qui nous permettraient de déceler des situations de fragilité et de difficultés immédiates chez nos clients. De plus, nous avons proposé d'exercer un rôle d'accompagnement de nos clients dans des phases préliminaires aux procédures collectives, notamment dans certains cas - sans aucune concurrence avec les administrateurs judiciaires - dans le cadre de missions ad hoc de conciliation. Nous bénéficions en effet de connaissances acquises sur le dossier, qui permettent une plus grande réactivité.
Le point essentiel, sur lequel la profession d'expert-comptable souhaite insister, est cette mission contractuelle qui nous lie à nos clients, de devoir de conseil et d'accompagnement. Tout doit être fait pour inciter les chefs d'entreprise à avoir recours à nos conseils, tout en ayant conscience que les commissaires aux comptes et d'autres acteurs ont des missions légales de prévention. Nous souhaitons insister sur le rôle actif que la profession peut jouer aux côtés de l'économie et de la gestion sociale des entreprises. Par le tissu relationnel que nous avons su créer avec les différents partenaires territoriaux et de l'entreprise, nous estimons exercer un rôle premier aux côtés de nos clients, les dirigeants.
J'insisterai en outre sur le fait qu'à l'heure actuelle, nos clients nous sollicitent avec des plans de remboursement des PGE. C'est la première prise de réalité sur la dette accumulée pendant la période de soutien à l'activité, et c'est la première fois qu'ils doivent envisager un plan de sortie au sens large. Nos clients nous sollicitent par conséquent pour travailler avec eux sur des mécanismes de relance de leur activité et de sortie de crise, dont nous ne connaissons pas malheureusement le calendrier pour le moment. Cette prise de conscience due à l'obligation de se positionner sur les remboursements de PGE sera la première phase à gérer avec nos clients.
M. Patrice Duceau, vice-président du Groupement de prévention agréé (GPA) Centre-Val-de-Loire. - Merci Messieurs Ollivier et Maureau de m'avoir ouvert un boulevard pour notre GPA, car nous sommes les derniers dans la hiérarchie et sur le terrain. Je remercie également Christian Nibourel d'avoir resitué à leur juste place les AGS, qui jouent en effet un rôle social très important.
Les GPA ont été développés à partir de 2017 dans la région Centre. Même si nous avons été un petit laboratoire d'expériences - et Serge Babary a fait partie des personnes qui nous ont aidés sur le terrain - la crise de la COVID a permis de mettre en place à l'échelon national l'ensemble des GPA. Onze régions sont couvertes aujourd'hui grâce à « l'armée de réserve des entreprises » (selon le terme de Bernard Hibert), composée en grande partie d'anciens experts-comptables, commissaires aux comptes, banquiers et représentants des institutions professionnelles, venus nous rejoindre dans cette période exceptionnelle pour aider les autres.
Je reviendrai sur quelques chiffres que vous avez donnés en partie, relativement à l'état des lieux. La France compte 3,2 millions d'entreprises, dont 90 % de TPE et PME. 50 % sont des entreprises de moins de dix salariés, tandis que le reste est constitué d'entreprises de moins de vingt salariés. 650 000 entreprises ont reçu un PGE, dont 88 % étaient aussi des entreprises de moins de dix salariés. M. Nibourel a communiqué le nombre d'entreprises défaillantes, sujet que je connais puisque j'ai eu la chance d'être juge au tribunal de commerce de mon département. Suivant les années, ont été concernées entre 55 000 et 65 000 entreprises par an, dont 70 % vont en liquidation immédiate. Sur les 30 % restantes, 50 % auront droit à un pPlan (soit 15 % du total). Finalement, seules 2 % iront au bout de leur plan. Par conséquent, nous avons un sentiment de gâchis au sein de la CPME et du GPA. Nous estimons qu'il est inutile de créer des milliers de micro-entreprises si 55 000 d'entre elles font défaut à terme. Les sommes communiquées par M. Nibourel pour payer ensuite les salariés suite à ces défaillances sont colossales pour la France.
Chacun des intervenants suivants a insisté sur l'importance de l'anticipation, constat que je partage entièrement. C'est notre coeur de métier. Les chefs d'entreprise possédant une certaine expérience peuvent certes avoir une capacité de réflexion et d'analyse, mais nous avons aussi décidé de proposer des outils supplémentaires, dont les premiers sont les GPA. A ce jour, environ 800 entreprises ont été traitées en deux ans dans notre région. Pendant la période COVID, nous avons reçu plus de 1 000 appels. Notre légitimité est acquise grâce à la compétence de l'ensemble de nos experts et la confidentialité dont nous faisons preuve. Nous possédons également l'avantage de proposer un accompagnement gratuit, car les frais de fonctionnement des GPA sont financés par les régions. De surcroît, nous sommes en mesure de pratiquer une anticipation grâce à nos lanceurs d'alerte. Les signaux faibles ont été évoqués, mais aujourd'hui comment avoir l'information ? Tel est le vrai problème. Alors que l'expert-comptable est le premier allié de l'entreprise, il n'est malheureusement pas toujours informé des difficultés rencontrées par son client car la détresse du chef d'entreprise le conduit parfois à se renfermer sur ses difficultés. C'est pourquoi nous avons décidé d'inviter toutes les parties autour de la table, à commencer par l`Urssaf et le Régime des indépendants, mais aussi la DGFiP, la DIRECCTE, la Banque de France et le terrain, c'est-à-dire les élus locaux et régionaux. Nos premiers partenaires sont les experts-comptables, les banques et aussi les branches, car il appartient avant tout aux chefs d'entreprise de trouver des solutions pour leurs pairs.
Les GPA sont composés d'une quinzaine de personnes. Dans notre région, environ 90 chefs d'entreprise et acteurs de vos professions sont présents sur le terrain au quotidien. Si un grand nombre de structures ont la capacité de donner des avis et un conseil, nous allons plus loin car nous exerçons une mission globale. La cellule d'écoute du tribunal a le mérite d'exister, mais elle signifie aussi que les entreprises concernées ne sont déjà pas loin des ennuis majeurs, surtout si l'on sait que 70 % d'entre elles seront liquidées.
En ce qui nous concerne, nous entendons traiter les causes et non les conséquences. Pour ce faire, il est nécessaire de trouver des moyens financiers, accompagner les entreprises et évaluer l'état de la dette avec pragmatisme. Nous aidons les experts-comptables sur le sujet car nous avons levé des fonds conséquents. Aujourd'hui, nous constatons l'existence d'un paradoxe. Il y a un an et demi, toutes les entreprises avaient un carnet de commandes, tandis que la situation de l'emploi était en amélioration. Il était donc relativement aisé d'obtenir le soutien des banques pour investir. Aujourd'hui, les carnets de commandes sont affectés, l'emploi se détériore mais la disponibilité des fonds foisonne dans les régions et l'Etat, avec peu de personnes en capacité de les investir. Le paradoxe est donc grand pour les chefs d'entreprise. De plus, s'agissant du PGE, nul n'a expliqué aux chefs d'entreprise la différence entre une caution simple et une caution solidaire. C'est pourquoi nombre de chefs d'entreprise pensaient qu'en cas de défaillance de leur part, l'Etat se substituerait à eux dans le remboursement du prêt. Or en réalité, l'Etat ne cautionne les entreprises qu'à la condition que les banques aient activé tous les procédés de recouvrement des créances. En d'autres termes, si l'entreprise est défaillante pour rembourser son PGE, les leviers classiques des procédures collectives seront actionnés. Cette réalité n'a pas été mise en évidence à l'occasion de la communication politique sur le terrain.
Dans notre région, nous avons levé des fonds auprès des assurances, et sommes aujourd'hui en capacité de prêter à nos entreprises entre 2 et 4 millions d'euros à taux zéro sur huit ans, avec un différé d'un an sans garantie sur du besoin en fonds de roulement (BFR). Par conséquent, nous travaillons sur la mutation économique avec des entreprises qui ont un modèle économique et un carnet de commandes. Ce travail s'effectue en coopération avec les banques et les fonds de la revitalisation. J'attire l'attention des experts-comptables et des commissaires aux comptes sur le fait que nous aurons des fonds très conséquents à notre disposition pour revitaliser les territoires, après qu'un nombre très élevé de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) seront constatés. De ce fait, nous aurons les moyens d'aider les entreprises qui le nécessiteront.
Nous avons construit un outil global pour écouter, accompagner et financer les entreprises. Nous travaillons avec tous les acteurs du territoire, en particulier les institutionnels de l'Etat. Nous travaillons sur les causes et non sur les conséquences, et avons acquis une grande expérience en la matière.
Mme Martine Berthet, sénatrice. - Bonjour à toutes et tous. J'avais plusieurs questions mais M. Duceau a répondu à un certain nombre d'entre elles concernant le GPA.
Un grand nombre d'entreprises avaient souscrit un petit PGE, puis se sont rendus compte au moment de la deuxième vague qu'ils auraient besoin de davantage de fonds lorsque les bilans ont commencé à être élaborés concernant avec les prévisions pour 2021. Finalement, les banques ont cessé de consentir des prêts. Je souhaiterais connaître les liens que vous, experts-comptables, entretenez avec les organismes bancaires dans le cadre de cette crise. Ce lien est-il fort ? Les entreprises risquent en effet de se trouver en difficulté du fait de prêts antérieurs à la crise auxquels s'ajouteront ceux cumulés tout au long de la crise.
En deuxième lieu, vous avez évoqué les retours nécessaires sur les signaux faibles, en particulier comptables. Je pensais qu'un expert-comptable avait connaissance de ces signaux faibles. Par conséquent, quels dispositifs vous manquent-ils pour avoir une meilleure appréciation de ces signaux ? Sont-ce des liens plus forts avec les Urssaf ?
Enfin, nous entendons parler d'entreprises qui se seraient créées spécifiquement en 2020 dans l'optique de bénéficier des aides mises en place, ce qui viendrait engorger considérablement le système de soutien aux entreprises. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une réalité ?
M. Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. - Les liens avec les banques sont très forts. Nous avons été à leur rencontre car nous étions très inquiets. Vous avez évoqué le renouvellement du PGE, mais les banques sont également amenées à demander aux entrepreneurs les modalités d'amortissement de ce prêt, dans une période même où ils se trouvent encore dans l'incertitude. Par conséquent, il est très complexe de donner des réponses aux banques, qui constatent que nous arrivons à la fin de la première année (même s'il y a une année de franchise).
Les experts-comptables, pour accompagner au mieux leurs clients entrepreneurs, ont entendu interrogéer les banques sur leurs besoins exacts, leurs exigences et leurs points de blocage. Nous sommes en pleine phase de travaux sur ce sujet. Avec certains groupements bancaires, nous avons mis en place des groupes de travail communs afin d'adopter ensemble les bons dispositifs et ratios. Par conséquent, nous entendons renforcer nos liens déjà très forts avec les banques.
Concernant les signaux faibles, le problème n'est pas uniquement de les identifier, mais surtout d'adopter les bonnes solutions dès l'information connue. Le vrai sujet est de déterminer le bon interlocuteur pour générer une action. Bercy a pu nous expliquer que seules les entreprises de plus de dix salariés pouvaient être concernées, et qu'il y avait également un sujet de confidentialité. Le ministère a fini par nous renvoyer vers les services de l'Etat, dans les territoires. Nous considérons pour notre part que c'est quelque peu dommageable, car il serait utile de clarifier les bons interlocuteurs.
Par conséquent, l'enjeu est de pouvoir décider vers qui diriger l'information une fois les signaux faibles décelés, étant rappelé que nous, experts-comptables, sommes uniquement les conseils de nos clients.
Enfin, sur l'éventualité d'abus, je n'y ai pas été confronté personnellement. Les 11 500 commissaires aux comptes sont davantage au en contact avec des entreprises de taille plus importante.
M. Jacques Maureau, vice-président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables. - En complément des propos qui viennent d'être tenus, je rappelle que le PGE était un contrat en deux temps. Le déblocage des fonds au printemps 2020 s'est plutôt bien déroulé pour les entreprises les plus à l'aise et les plus solides, notamment dans leurs relations avec leur banque. Néanmoins, ce contrat prévoyait qu'au terme de dix mois suivant le déblocage des fonds, l'entreprise devait se positionner sur un plan de remboursement immédiat ou échelonné sur une période d'un à cinq ans. La principale bonne mesure a été l'option possible de choisir un différé supplémentaire d'un an, c'est-à-dire le démarrage du remboursement effectif de la dette PGE à l'issue de vingt-quatre mois. Cependant, la contrainte complémentaire tient à l'obligation d'un remboursement en quatre ans. Or dans la mesure où le montant du PGE représente jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires, les niveaux de remboursement peuvent poser des difficultés dans une économie au redémarrage incertain à l'issue de la crise. Comme le précisait M. Duceau, dans l'esprit de certains chefs d'entreprise, la possibilité que cette dette s'éteigne ou s'échelonne sur des délais plus longs a sans doute pu germer. Bien entendu, la profession n'a en aucun cas colporté ou conforté de telles rumeurs car nous savions que l'engagement était contractuel.
En définitive, le début du remboursement du PGE doit donner lieu, dans les années à venir, à la possibilité de transformer cette dette exigible par des prêts participatifs ou des échelonnements sur des durées plus longues. Pour toute la dette COVID, nous avons un souci majeur. La dette, une fois constatée en comptabilité, a pour effet immédiat de dégrader la cotation de l'entreprise. A ce titre, nous souhaiterions que la dette COVID soit clairement identifiée dans les comptes de l'entreprise, et qu'elle soit extraite de l'endettement récurrent. En effet, le taux d'endettement est supérieur à la normale, ce qui entraîne des effets néfastes pour les entreprises. Nous partageons le souci des organisations patronales de prise en compte de cette problématique.
En tout état de cause, l'expert-comptable a certes un rôle d'accompagnement de l'entreprise, mais est aussi tenu par une contrainte liée à la capacité contributive de ses clients. En d'autres termes, notre budget d'honoraires suppose que notre mission soit proportionnelle au budget engagé. Par conséquent, nous ne sommes pas au quotidien dans l'entreprise. La relation ne fonctionne qu'à la condition d'une parfaite relation de confiance entre l'expert-comptable, son équipe et le client chef d'entreprise. Je ne sais pas si ce point est propre à la culture française ou latine, mais faire face à des difficultés dans son entreprise équivaut, dans la perception du dirigeant, à se mettre en situation d'échec. Toutes les cellules d'accompagnement oeuvrent par conséquent pour éviter toute situation de déni, de honte ou d'évitement de la confrontation avec la réalité de son entreprise. Nous avons d'ailleurs mené ce débat avant même la crise COVID, avec notamment l'accompagnement par les professionnels de l'expertise-comptable de leurs clients en difficulté, grâce à des mesures de prévention. Les chefs d'entreprise en difficulté, généralement, se referment sur eux-mêmes et se coupent des conseils des professionnels, par peur d'être mis dans une position désagréable. Si un dirigeant perd sa source de rémunération et parfois même son patrimoine, que devient-il ? Nous connaissions ce sujet avant la crise COVID, et je crains qu'ils ne deviennent encore plus prégnants aujourd'hui.
Les signaux faibles, dans l'hypothèse où une comptabilité est tenue parfaitement à jour au quotidien, nous reviennent naturellement. Pour autant, nos missions varient entre accompagnement et assistance périodique. C'est pourquoi nous avons proposé de remonter un certain nombre de signaux faibles, essentiellement les incidents de paiement avec certaines administrations et les inscriptions de privilèges directement liées. L'Ordre des experts-comptables a ainsi signé une convention de partenariat avec les greffiers des tribunaux de commerce, afin d'échanger ce type d'informations dans un cadre légal. Lors de la mission sur la justice économique, nous avons présenté des propositions de mesures incitatives au recours à un expert-comptable en phase d'activité classique, mais également dans les cas où l'entreprise rencontrerait des difficultés. Le renforcement de l'assurance des difficultés des entreprises, notamment, permettrait d'assurer un budget de fonctionnement aux experts-comptables, aux côtés des entreprises qui ne seraient plus en mesure d'acquitter leurs honoraires.
M. Patrice Duceau, vice-président du GPA Val-de-Loire. - Quand l'expert-comptable n'est pas payé, il est en effet difficile de lui demander d'être le meilleur ami de l'entreprise en difficulté. Les choses sont claires. Madame Berthet, puisque vous avez la chance de rencontrer le ministre tout à l'heure, dites-lui les difficultés d'un expert-comptable pour être au courant des difficultés au quotidien de l'ensemble de ses clients. C'est impossible. Cette situation est différente de celle du banquier, qui constate tous les matins devant son écran la dégradation des découverts autorisés ou non. C'est pour cette raison que nous avons décidé, en tant que chefs d'entreprise retraités, de prendre les choses en main. Nous devons agir collectivement entre le territoire, les élus, le développement économique des territoires et tous les acteurs qui bordent l'entreprise, pour créer un lien de confiance avec le chef d'entreprise. Lorsque celui-ci commence à avoir des doutes sur la pérennité de son entreprise, il ne les partage pas et par nature, se renferme. Par conséquent, notre mission est de gagner la confiance de tous les acteurs du territoire pour sauver un maximum d'entreprises, ce qui facilitera grandement la tâche des autres acteurs, dont font partie les experts-comptables. Lorsqu'une entreprise arrive au tribunal avec une créance de 20 000 euros de charges sociales, il est possible qu'elle en reparte avec une créance de 30 000 euros en raison des frais de justice. Par conséquent, la valeur ajoutée est de trouver la solution en amont pour éviter cette situation. Nous avons passé des accords avec les Urssaf pour que l'ensemble des sommes inférieures à une somme de 10 à 20 000 euros ne fassent pas l'objet d'un recours à l'huissier de justice. Ces créances nous sont envoyées en amont afin que nous trouvions une solution, tandis que l'Urssaf adresse dans le même temps une lettre demandant au débiteur de nous contacter. Si la créance n'est pas directement remboursable et que la cotation Banque de France se dégrade, l'éventualité pour l'entreprise de devoir aller au tribunal ne pourra être évitée. Il est néanmoins intéressant de constater qu'à l'heure actuelle, les Urssaf sont dans une démarche de sauver les entreprises qui peuvent l'être, plutôt que de recouvrer leurs créances en première intention. C'est un vrai changement car les Urssaf deviennent par là même des fournisseurs des entreprises. Par conséquent, nous sommes en mesure de sauver les petites entreprises dès lors que leurs petites créances ont pu être anticipées. Il s'agit donc de pouvoir les accompagner, les former et trouver des solutions financières. Ce sauvetage en amont permet d'ouvrir à nouveau la porte au banquier pour financer des investissements, ainsi qu'à d'autres financeurs tels que les réseaux Initiative (qui financent le haut de bilan) ou les GPA (qui financent le BFRbesoin en fonds de roulement). L'ensemble de ce dispositif collectif a du sens.
M. Bernard Hibert, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). - A la CPME, nous préférons évoquer le traitement de la vulnérabilité plutôt que la prévention. Vous avez entendu la conviction et l'expertise de Patrice Duceau, qui a répondu à certaines questions, notamment celles de la sénatrice Martine Berthet. Je souhaite ajouter quelques points.
Pourquoi le traitement de la vulnérabilité des entreprises, inscrit dans la cCode de commerce depuis 1984, n'a-t-il pas été présenté ? Cependant cette crise que nous traversons a permis de reconnaître aux initiatives, notamment celle de Patrice Duceau en région Centre Val-de-Loire - et avant cela, à la CPME - ainsi que celles des branches.
S'agissant des signaux faibles, comme le disait le président Yannick Ollivier, le problème est en amont. Traiter de la vulnérabilité, c'est sortir le dirigeant d'une TPE ou d'une PME de la solitude dans laquelle il s'enferme. La façon de sortir de cet isolement est de lui permettre de rencontrer l'un de ses homologues. Tous les outils précédemment évoqués ont leur utilité, mais les Groupements de prévention ont précisément pour caractéristique de faire se rencontrer un entrepreneur et un ancien homologue. Par conséquent, c'est le rôle du bénévolat économique de jeunes retraités qui ont réussi leur vie professionnelle, et qui souhaitent rendre quelque chose aux entrepreneurs de leur territoire. Les GPA ont pleinement réussi cette mission, et j'insiste sur cette dimension. Nous-mêmes, dans les organisations professionnelles et interprofessionnelles, n'avions pas conscience de ce rôle d'écoute des difficultés des entreprises. Au début de la crise sanitaire, je disais que si nous étions en capacité de mettre la réserve sanitaire au chevet de nos services hospitaliers, nous devrions être capables de faire de même au service de l'économie pour faire face aux difficultés grandissantes.
Aujourd'hui, la CPME met en place sur l'ensemble du territoire les groupements de prévention, composés de 1 500 bénévoles dans la France entière. Ces bénévoles interviennent au chevet des entreprises le plus en amont possible. Traiter de la vulnérabilité, c'est aussi traiter la mutation à laquelle font face les entreprises. La CPME a diligenté une enquête entre le 8 et le 20 janvier dernier. Il en ressort que plus de la moitié des chefs d'entreprise disent ne pas connaître le plan de relance et les conditions dans lesquelles ils pourraient y recourir. L'isolement est aussi constitué de l'absence de visibilité sur les dispositifs et conseils auxquels les entreprises auraient droit, pour leur permettre un rebond.
Il a été question du PGE. La CPME milite pour que nous puissions obtenir de Bercy la mise en place d'un prêt de consolidation. Au-delà des mesures très utiles mises en place au fil de l'eau depuis de nombreux mois, il faudra comprendre que la plupart des entreprises ne seront pas en capacité d'amortir le PGE. Il faut en avoir conscience, et par conséquent prévoir un aménagement plus proche du modèle allemand, avec des remboursements de moyen terme à huit ans. Par conséquent il est nécessaire de desserrer l'étau et d'éviter cette perception du mur de la dette qu'ont de nombreuses entreprises - essentiellement des TPE et PME - ayant recouru au PGE.
M. Vincent Segouin, sénateur. - Le PGE a été contracté à hauteur de 25 % du chiffre d'affaires par les entreprises. Or ce prêt doit être remboursé en cinq ans, sachant que la rentabilité moyenne des entreprises est de l'ordre de 2 à 3 %. J'ai posé la question au ministre, avec lequel nous rencontrions hier la Fédération française des banques. Je souhaitais attirer leur attention sur le fait que tout est écrit pour conduire l'entreprise à la catastrophe, puisqu'un remboursement sur cinq ans nécessitera 5 % de rentabilité, tandis qu'un remboursement sur quatre ans en nécessitera 6,5 %. Je suis surpris que ce sujet ne soit adressé que maintenant. La Fédération française des banques indiquait hier que les secteurs très touchés par la crise venaient seulement d'être identifiés. Sont concernés l'hôtellerie, les restaurants et l'évènementiel, tandis que les autres entreprises ont bien traversé l'année 2020.
Sur quels critères allez-vous définir la survie des entreprises qui sont aujourd'hui condamnées ? Nous avons posé cette question à la FFB, et attendons des réponses très précises.
En second lieu, vous évoquez une grande disponibilité de l'argent public. Je trouve donc dommageable qu'aucun fléchage ne soit fait en direction de ces entreprises en grande difficulté. Les financements d'investissements au bénéfice d'entreprises non touchées par la crise font-ils l'objet d'un business plan étudié ? Des contreparties sont-elles demandées aux entreprises ? Si les règles ne sont pas respectées, l'argent public pourra-t-il être récupéré ? Je suis sidéré de constater que nous n'avons pas de réserves. Nous avons l'impression que la France est riche, mais elle ne l'est en réalité que par la dette qu'elle contracte. Nous, chefs d'entreprise, devrons donc être conscients que comme les ménages, nous devrons rembourser cette dette. Par conséquent, la clairvoyance sera-t-elle un jour de mise pour créer de la valeur ajoutée à bon escient ? Rendons des comptes sur ce point, car aujourd'hui je n'ai pas le sentiment que tel soit le cas.
M. Patrick Duceau, vice-président du GPA Centre-Val-de-Loire. - En France, entre 20 et 22 % des entreprises ont eu droit à des PGE, soit environ 650 000. Sur celles-ci, près de 50 % ont conservé leur PGE en réserve. Sur les 50 % restants, la moitié des entreprises ont commencé à consommer leur PGE, tandis que le dernier quart (environ 150 000 entreprises) en a tiré l'intégralité. Nous rencontrons régulièrement les experts-comptables de ces entreprises ayant consommé leur PGE en totalité, qui s'interrogent sur le moyen de trouver avec les banques, dans une période dégradée de cotation, une solution de remboursement. Or dans une période incertaine, il ne sera pas possible de procéder à un remboursement. Les banques ont l'obligation de faire rentrer des fonds à un moment donné, et d'un autre coté les entreprises n'auront pas une rentabilité suffisante pour honorer leurs échéances de prêt. C'est pourquoi une action sera émise par la banque pour appeler la caution simple de l'Etat. Dans ce cas, l'Etat répondra qu'il couvrira la créance de l'entreprise concernée dès que la banque aura rapporté la preuve qu'elle a actionné tous les leviers possibles pour recouvrer cette créance. En un mot, la seule solution sera celle de l'action devant les tribunaux de commerce.
Par conséquent, une entreprise du secteur de la restauration, de l'hôtellerie ou de la culture n'aura pas d'autre solution que de déposer le bilan au tribunal, puis de muter très rapidement. De plus, l'Etat a consenti un sacrifice en ne voulant pas discriminer des entreprises déjà en difficulté avant la crise COVID, mais il est évident que ces entreprises vont trouver dans des difficultés encore plus grandes aujourd'hui, sans modèle économique suffisant pour rembourser leur prêt. Ces entreprises seront sacrifiées car il n'existe pas d'autre solution.
M. Serge Babary, président. - L'Etat a évalué le montant de sa garantie non remboursée sur les PGE. Cette somme annoncée par Bercy, qui se situe entre 450 et 600 millions d'euros, viendra en diminution de celles mobilisées pour la relance.
M. Michel Canevet, sénateur. - Finalement, cette crise ne serait-elle pas salutaire pour l'assainissement du tissu économique ?
Vous avez listé quelques secteurs d'activité en grande difficulté : l'hôtellerie, la restauration, l'évènementiel et la culture. Y a-t-il d'autres filières qui se trouvent relativement en difficulté ?
Pensez-vous que les entreprises ont aujourd'hui pris conscience de l'importance du numérique dans l'ensemble du process, et pas uniquement administratif ? Le numérique est en effet important aussi dans la production.
M. Bernard Hibert, président de la CPME. - Nous n'avons pas encore évoqué les 117 branches qui adhèrent à la CPME. La sous-traitance industrielle de l'aéronautique, de l'automobile et plus généralement de toutes les industries qui se trouvent dans une obligation de réarmer leur dispositif, est concernée. Les plus grosses entreprises aéronautiques et de l'automobile sont accompagnées par l'Etat, mais il y a un vrai sujet pour leurs sous-traitants et ce, dans toutes les régions. Par conséquent, les activités dans ces secteurs économiques nécessitent de gagner du temps. Nous avons pu préserver les ressources humaines des entreprises jusqu'à présent, mais nous devrons désormais les accompagner en formation.
En définitive, nous avons un double sujet : les modèles économiques et la dimension RH, qu'il ne faut pas négliger dans les 1 300 000 entreprises du secteur artisanal.
Sur la question de savoir si la crise serait un facteur d'assainissement de l'économie, je rappelle que les tribunaux de commerce interviennent précisément pour jouer ce rôle d'assainissement. Il n'est donc pas question de prétendre qu'un assainissement additionnel interviendrait dans le contexte de crise actuel. Un grand nombre d'entreprises sont contraintes d'imaginer leur avenir, et nous devons gagner du temps pour leur permettre de le faire. C'est pourquoi il convient de prévoir des dispositifs d'amortissement à plus long terme du PGE, au regard des rentabilités actuelles à 3 %.
M. Serge Babary, président. - Nous sommes sensibles au besoin de numérisation des entreprises, que nous avons constaté dans le domaine commercial mais qui est également prégnant dans les autres domaines. Nous avons une volonté de faciliter l'aspect fiscal de la numérisation.
M. Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. - Les experts-comptables sont des acteurs participant à la transformation digitale des entreprises, et ce à plusieurs niveaux. Ce travail de sensibilisation et d'accompagnement doit être mené. Nous faisons comprendre aux entreprises que le sujet du digital n'est pas réservé aux plus grandes entreprises, et qu'il les concerne toutes. C'est un travail de longue haleine pour faire comprendre la nature de la transformation digitale, qui est quelque peu technique. Les entrepreneurs, qui sont pragmatiques, ont besoin de percevoir la réalité accolée à ce terme, dans le fonctionnement de leur entreprise. Nous sommes des relais importants d'explication, de mise en oeuvre et de démonstration de la partie concrète de la digitalisation d'une entreprise. Pour ce faire, nous pouvons les aider à mettre en place un site internet de vente à distance. Cependant, l'accompagnement de nos clients à la digitalisation prendra du temps, d'autant plus dans un contexte de crise économique, quand nos clients s'interrogent sur la pérennité de leur activité. Nous leur expliquons que l'un n'empêche pas l'autre, et que la digitalisation est peut-être la solution au service de leur croissance. Ici encore, le conseil de proximité apporté par l'expert-comptable interviendra.
M. Jacques Maureau, vice-président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables. - La digitalisation des entreprises passe par deux aspects. La crise COVID aura certainement incité au développement des outils commerciaux basés sur le numérique. De plus, nombre d'entreprises ont consenti des efforts importants en matière de travail, ce qui supposait de transformer le fonctionnement de leurs ressources humaines. Pour nous experts-comptables et commissaires aux comptes, la numérisation passe aussi par le déploiement d'outils de gestion, qui facilitent la connaissance plus rapide des indicateurs de l'entreprise. La phase actuelle de numérisation générale des fonctions comptables des entreprises, devrait conduire à une information de gestion plus rapide. La profession est en pointe des outils internes mis à la disposition de nos clients. Nous avons d'ailleurs changé nos modes de relation avec nos clients, qui interviennent de plus en plus via des outils collaboratifs permettant de mutualiser l'information.
M. Fabien Gay, sénateur. - Je sens une sorte de pudeur. Tout le monde sent arriver la catastrophe mais n'ose pas poser les mots. Les PGE sont une bombe à retardement. Je ne parle pas de ceux consentis aux très grands groupes industriels, qui ont été signés directement par Bercy. Je parle des PGE qui nous intéressent. Serge Babary a donné un chiffre que je ne connaissais pas, de l'estimation de 450 à 600 millions d'euros de PGE non remboursés. J'ai le sentiment que ce chiffre est totalement sous-évalué. Je viens du monde de l'évènementiel, et suis en contact avec beaucoup de chefs d'entreprise. Il est vrai que les banques ont favorisé les PGE dans un deuxième temps, mais aujourd'hui elles ne jouent plus leur rôle en ne consentant plus aucun prêt ni remise. La moitié des entreprises ont conservé le PGE en réserve, tandis que les autres l'ont consommé. Je ne vois pas comment elles pourront le rembourser, sachant que toutes les échéances vont arriver en même temps. La relance de l'activité dans le monde de l'évènementiel prendra un à deux ans. Alors que le report des charges et des loyers sera encore nécessaire, les faillites se produiront. Le chiffre de 600 millions d'euros me semble beaucoup trop optimiste, et je crains malheureusement qu'il ne s'agisse de milliards d'euros non recouvrés par l'Etat.
Nous portons plusieurs propositions, présentées dès le début de la crise. Je pense que la question de la transformation en fonds propres se posera avec force, de même que celle des prêts participatifs.
Concernant la réforme de l'AGS, je vous ai sentis prendre des pincettes, ce qui est normal. Pourtant, vous seriez en droit d'être plus affirmatifs. Pour la première fois depuis des années, le MEDEF et les syndicats sont d'accord pour considérer que cette réforme va dans le mauvais sens. La loi Pacte, dans sa transposition d'une directive européenne, risque de déstabiliser profondément les AGS. Le système actuel, qui est un cercle vertueux géré par le patronat uniquement, avec cotisations et remboursement sur les avances, fonctionne très bien. Or dans la mesure où Bercy ne peut y exercer aucun contrôle, il préfère mettre le système en péril. Telle est la réalité. Malheureusement, les salariés seront les victimes de cette réforme. Alors que les AGS intervenaient en troisième position, elles n'occuperont plus que la sixième et les banques pourront se rembourser par la saisie des biens immobiliers. L'entier système sera entièrement déstabilisé, de sorte que les AGS auront totalement disparu d'ici deux ou trois ans. A cela, s'ajoutera la deuxième étape de l'allocation chômage. Les plans sociaux vont se succéder, avec des milliers d'emplois détruits. Franchement, je n'aimerais pas être un salarié en 2021 et 2022, sans recours aux AGS, avec une allocation chômage au rabais et un marché de l'emploi totalement bouché. Nous nous dirigeons vers une crise sociale de plus en plus aigüe.
Je pense que vous devriez hausser le ton sur ce sujet, d'autant que tout le monde est d'accord pour refuser cette situation. Toutes les familles politiques devraient s'opposer à cela. Si M. Dupont-Moretti va au bout de la réforme, il provoquera la fin du système des AGS.
M. Christian Nibourel, président de l'AGS (régime de Garantie des Salaires). - L'intervention du sénateur est extrêmement claire, et nous ne pouvons qu'y souscrire. Nous n'y allons pas avec des pincettes. Vous avez raison de souligner que l'ensemble des acteurs sociaux sont opposés à l'ordonnance. C'est pourquoi je demande vraiment aux sénateurs de nous soutenir dans notre démarche. Cette ordonnance ne saurait passer. Si malgré tout elle était promulguée, vous avez raison sur le fait qu'à terme, le régime pourrait être mis en danger. De toute façon, une augmentation structurelle (et non conjoncturelle) des cotisations des entreprises s'avèrera nécessaire. La conjoncture nous amènera à verser 2,3 milliards d'euros à 2,5 milliards d'euros dans les prochaines années. Ce n'est pas l'argent de l'Etat, puisque cela ne lui coûte rien. Pourquoi dans une période de crise économique, remettre en cause un système très généreux et fonctionnant parfaitement ? C'est inadmissible. Aujourd'hui, on n'adresse pas les bons problèmes. Je suis d'accord avec vous, Monsieur le sénateur, sur le fait que nous soyons à fleuret moucheté sur certains sujets, faute de poser les bonnes questions. La vraie question est de savoir si nous voulons payer les salariés après les frais de justice. Pour nous, la réponse est négative car ce n'est pas l'origine du système : l'AGS représente les salariés, et non les frais de justice.
Le deuxième point est de savoir si les frais de justice, tant décriés en raison de leur absence de contrôle et de leur constante augmentation - de l'avis même de la Cour des Comptes et des diverses commissions d'enquête parlementaires - doivent primer. Il ne sert à rien de prétendre que la réforme ne changera rien, et que les salariés seront nécessairement payés. Ici, nous parlons d'une somme de 2,5 milliards d'euros en provenance des AGS, et qui ne coûtent rien à personne. J'ai été dans le monde patronal pendant longtemps, mais je ne connaissais pas le détail de ce mécanisme. C'est pourquoi il est vrai que nous devrons faire front violemment contre l'ordonnance.
Les patrons ont-ils confiance dans la justice commerciale ? La réponse est négative, même si tout le monde joue parfaitement son rôle. Les patrons craignent littéralement de voir leur entreprise « pillée » dès lors qu'ils confieront son avenir à cette justice commerciale. Bien sûr, il ne faut pas être caricatural. Pour retrouver la confiance des patrons, il convient de faire preuve de transparence sur les honoraires et sur l'ensemble des frais, y compris dans les procédures amiables.
Par ailleurs, je milite pour revoir le système actuel dans son ensemble, dans l'optique de retrouver la confiance des chefs d'entreprise. 68 % des entreprises entrent directement en liquidation judiciaire, ce qui est loin d'être satisfaisant. De plus, une quantité infinitésimale d'entreprises entrées en redressement, retournent à une situation saine. Ce n'est pas acceptable. Je suis prêt à mener immédiatement cette réflexion de fond, sans passer ces petits raccords initiés par Bruxelles. Un médiateur est en passe d'être nommé, mais j'imagine mal son domaine d'intervention.
En conclusion, il faut refuser l'ordonnance et enclencher sans tarder une réflexion de fond et ce dans l'intérêt de chacune des parties prenantes, administrateurs, mandataires, salariés et patrons. Il n'est pas normal qu'un patron se trouve spolié de son entreprise lorsqu'il est en difficulté. J'insiste sur l'aberration consistant, en période de crise, à réformer un système qui a fait ses preuves. Nous devons en outre être transparents sur le mode de calcul des frais de justice et sur leur contrôle. En tout état de cause, quels sont les moyens des tribunaux de commerce pour éviter la liquidation directe des entreprises et les amener au redressement ? Le tribunal de commerce de Lyon dispose d'un budget de fonctionnement de 24 000 euros. Que peut-il faire avec ce budget ? Je connais les taux horaires et journaliers. A 800 euros de l'heure, il n'y a plus de budget en trente jours.
Je récuse l'idée selon laquelle les honoraires seraient contrôlés. Ils le sont jusqu'à 100 000 euros dans des cas bien précis, mais lorsque parfois ces honoraires dépassent 900 000 euros, comment est justifiée cette différence de 800 000 euros ? Ce sont des honoraires à l'acte. Qui les contrôle ? Ce sont les magistrats en théorie, alors qu'ils n'ont pas les moyens de ce contrôle. Je ne prétends pas que le travail ne mérite pas 900 000 euros d'honoraires. Je suggère simplement la plus grande transparence afin de pouvoir mesurer si ce travail a été effectif, s'il a rendu service à l'entreprise et s'il n'a pas été surestimé. La fausse valeur ajoutée doit être condamnée. Plus les frais de justice sont élevés et plus la créance de l'AGS est dégradée, alors qu'elle devrait intervenir en premier rang. Les autres créances voient également leur rang baisser, et finalement le patron qui a perdu l'intégralité de son capital souffre. L'absence de transparence est inadmissible.
J'espère que le Sénat prendra à coeur ce sujet et fera en sorte de faire cesser cette ineptie. Quelle que soit la position de Bruxelles, nous ne devons pas porter atteinte au seul système qui fonctionne en Europe.
Enfin en écoutant Patrice Duceau, je pense que l'AGS pourrait également intervenir conventionnellement, y compris pour procéder à un abandon de créance. Je rappelle que nous ne récupérons en effet que 47 à 50 % des sommes. L'AGS va d'ailleurs au-delà de ses prérogatives. Cette année, le cConseil d'administration a décidé de payer les salariés au chômage partiel lorsque leur entreprise était en redressement judiciaire. Nous n'étions pas tenus de le faire, mais nous avons eu à coeur l'intérêt des salariés. Notre seul objectif est d'aider les entreprises à améliorer leur situation et peut-être, d'intervenir en prévention. Ce sujet reste à discuter.
M. Serge Babary, président. - Nous sommes sensibles à votre passion, et comprenons bien le combat sera mené. Nous aurons certainement une part à y tenir. Comme vous l'aurez compris, nous sommes dans notre ensemble, tout à fait mobilisés sur le sujet.
Je conclurai notre réunion en remerciant chacun des intervenants de leur expertise, mais aussi de la passion qu'ils mettent dans leurs propos pour la défense de nos entreprises, en cette période très difficile.
J'indique à mes collègues que le président Georges Richelme sera entendu par la commission des Llois à propos de son rapport Justice Economique. Nous avions eu le plaisir de l'accueillir ici en tant que président de la Conférence des présidents de tribunaux de commerce. Je demande à la commission des Llois que des membres de notre délégation puissent assister à cette audition, puisque nous avons à plusieurs reprises cité ses propos.
Merci à tous. Nous aurons l'occasion de reparler de la situation de nos entreprises dans les prochains mois.
La séance est levée à 11 heures.