Jeudi 17 décembre 2020
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Examen du rapport sur les difficultés des entreprises françaises à l'étranger, présenté par Mme Jacky Deromedi
M. Serge Babary, président. - Mes chers collègues,
Le bureau de notre délégation a décidé, le 29 octobre dernier, de confier à notre collègue Jacky Deromedi une « mission flash » sur les difficultés des entreprises françaises à l'étranger, les « EFE ».
Tous les sénateurs représentant nos compatriotes expatriés ont en effet été alertés sur les conséquences, parfois dramatiques sur le plan humain et personnel, de la crise économique due à la crise sanitaire. Nous avons pu en mesurer aussi le grave impact économique, direct et indirect, sur notre pays, en termes de flux commerciaux, d'emploi, de retombées à plus long terme.
Les dépôts de bilan de nos compatriotes implantés à l'étranger se multiplient et plus encore sont à prévoir début 2021, comme pour les entreprises de l'hexagone. D'après une enquête effectuée en avril 2020 par le Comité national des conseillers du Commerce extérieur de la France (CNCCEF), 87 % des EFE, qui ont un statut de droit local, ne perçoivent aucune aide publique de la part de leur pays d'implantation.
J'ai ainsi été frappé, comme vous sans doute, par des témoignages poignants qui ont pris des risques économiques en s'expatriant et se sentent abandonnés. Ainsi, par exemple, ce témoignage de deux Conseillers des Français de l'étranger en Inde : « Aujourd'hui, Caroline, Thierry, Pierre, Monique, Alexandre et les autres sont sur le point de tirer le rideau après avoir constitué pendant des dizaines d'années la force et la fierté de notre présence. Ils ont convaincu des dizaines de milliers d'indiens par exemple à venir en France. Combien ces entrepreneurs ont-ils rapporté à la France ? Quelques millions ? Quelques milliards sans doute et ce même si leurs entreprises ne paient pas d'impôts en France. Est-ce que nos ambassadeurs pourront les remplacer ? La réponse est évidente : NON. Certains, aux abois, ont demandé l'aide sociale "exceptionnelle" proposée par le gouvernement (en moyenne 50 euros dans nos pays), d'autres, choqués par le montant, l'ont refusée. Plusieurs sont en train de vendre ce qu'ils possèdent pour rembourser leurs dettes et préparer un retour en France ... pour s'inscrire au RSA. »
De fait, une partie d'entre eux sont déjà revenus.
Je dois dire que si, de prime abord, certains peuvent s'interroger sur le principe même d'un soutien à des Français ayant fait le choix de s'expatrier et qui, maintenant en difficulté dans un contexte tout à fait exceptionnel, se tournent vers la France, nos travaux nous ont permis de mieux identifier la réalité et les différents aspects de la situation, et de prendre conscience de la nécessité de dépasser cette tentation d'un premier jugement hâtif, eu égard à la création de richesse et de valeur ajoutée de ces entreprises au bénéfice de la France.
Je vais maintenant donner la parole à notre rapporteur, Jacky Deromedi, que je remercie d'avoir conduit cette mission si rapidement, en un mois. D'où cette notion de rapport « flash ». Concrètement, nous avons organisé deux tables-rondes :
La première, le 19 novembre, avec les représentants de CCI France International, du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France, de la Caisse des Français de l'étranger et de l'Union des Français de l'étranger (UFE Monde) ainsi que des Conseillers du commerce extérieur de la France. La seconde, le 26 novembre, sur les réponses des acteurs de la politique publique d'aide aux entreprises à l'étranger, avec PROPARCO, filiale de l'AFD, la Direction générale du Trésor (DGT), Business France et Bpifrance.
Il résulte de ces échanges qu'aucun recensement de ces entreprises n'existe alors même qu'elles jouent un rôle important pour nos échanges commerciaux et qu'elles participent au rayonnement des produits français dans le monde.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Mes chers collègues, si l'épidémie de COVID est mondiale et frappe sans distinction, les réponses apportées ont été nationales et très fortement inégales selon les pays.
La France a déployé un soutien appuyé à ses entreprises de métropole et d'outre-mer. Le plan de soutien a contribué à la bonne résistance de l'économie française au choc du confinement. Les entreprises conservent à leur bilan une part importante des pertes liées au premier confinement mais peuvent étaler dans le temps le coût de la crise grâce aux prêts garantis et aux facilités de trésorerie. Cependant, comme la commission des Finances l'a démontré, la somme de « 100 milliards » annoncée doit être relativisée.
Il n'en reste pas moins que ce plan de soutien exceptionnel à nos entreprises déroge à de nombreuses règles, à commencer par nos engagements européens de rigueur budgétaire. Toutefois, les aides sont apportées dans un cadre strictement national, sur le plan territorial, aux entreprises implantées en France, quelle que soit leur nationalité. Les entreprises européennes implantées en France en bénéficient naturellement conformément au principe de non-discrimination économique. Les entreprises françaises qui ont des filiales à l'étranger pourront également faire bénéficier ces dernières des mesures de soutien, de façon indirecte. Ainsi, le prêt garanti par l'État pourra être utilisé pour des investissements effectués par des filiales à l'étranger.
En revanche, des entreprises de droit étranger, implantées hors du territoire national, n'ont accès à aucun des dispositifs d'aide élaborés par le Gouvernement. Le critère de territorialisation domine, quand bien même il doit être relativisé dans une économie fortement ouverte à la mondialisation comme l'est la France. De grandes entreprises du CAC 40 ont leur siège social hors de notre pays mais sont considérées et se considèrent comme françaises. D'autres le sont de moins en moins, et on le voit dans leur stratégie. Les chaînes de valeur ne s'arrêtent toutefois plus aux frontières étatiques. Pas plus qu'il n'existe de définition juridique de « l'entreprise », il n'existe pas de définition économique de « l'entreprise française ». Ainsi, les flux économiques générés par les « entreprises françaises à l'étranger » ne sont pas appréhendés correctement alors qu'elles contribuent positivement à notre balance commerciale et donc, à l'emploi en France. Un boulanger français établi au Vietnam qui commande sa farine en France fait vivre la filière minotière française et exporte un savoir-faire, un savoir-vivre, une image et une culture qui contribuent à l'influence de notre pays dans le monde, à notre « soft power ». Cela n'est pas assez reconnu.
Le rapport préconise donc que s'organise une réflexion pour une meilleure connaissance de l'impact de ces entreprises sur notre économie. Le Conseil national de l'information statistique (CNIS), qui assure la concertation entre les producteurs et les utilisateurs de la statistique publique et doit ainsi « mettre en lumière les nouveaux besoins, dans une démarche prospective », pourrait en être chargé, avec le soutien de l'INSEE. On peut relever, dans une logique très différente, la lutte contre la corruption, qu'une directive 2015/849/UE du 20 mai 2015 considère un « bénéficiaire effectif », comme la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent, directement ou indirectement, une entreprise, sans s'arrêter à sa nationalité ou son dirigeant juridique.
Ensuite, l'identification de chaque entreprise doit être délocalisée et assurée par un comité d'identification des entreprises françaises à l'étranger, qui pourrait être placé sous la direction des services économiques de nos ambassades et en associant toutes les parties prenantes, principalement le réseau des Chambres de commerce à l'international (CCI-FI), la Team France Export sur le terrain, les conseillers du commerce extérieur, et, bien évidemment, les conseillers des Français de l'étranger.
Enfin, il faut organiser une veille permanente de l'action de nos principaux partenaires commerciaux, lesquels, au demeurant, sont assez peu proactifs en direction de leurs entrepreneurs expatriés.
Dans un second temps, un dispositif d'aide en direction des entrepreneurs doit bénéficier en priorité aux PME et TPE et aux auto-entrepreneurs. Ces derniers n'ont en général pas de lien capitalistique avec des entreprises françaises et donc ne bénéficient, même indirectement, d'aucune aide.
Il faut distinguer l'aide à l'entrepreneur de l'aide à l'entreprise.
La première catégorie concerne les secours occasionnels d'urgence qui peuvent concerner les expatriés entrepreneurs, mais aussi d'autres ressortissants français comme les touristes français. Face à la crise et à ses conséquences sociales pour les Français de l'étranger, un dispositif de soutien d'un montant de 50 millions d'euros a été décidé le 30 avril 2020 pour abonder les crédits de l'aide sociale, et les crédits octroyés aux OLES ont été portés de 477 860 à 632 000 euros par redéploiement de crédits.
Cette aide sociale d'urgence est très modeste : attribution ponctuelle d'une aide allant de 47 à 150 euros par ménage et d'un supplément par enfant à charge de 100 euros. Elle en outre été peu utilisée jusqu'à présent, en raison de critères opaques et de la lourdeur des démarches administratives pour l'obtenir.
Il conviendrait de rendre permanente une telle « caisse de secours » d'urgence. C'est la proposition faite par le Sénat qui a adopté, le 30 juin 2020, une proposition de loi de Ronan Le Gleut portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger, victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs, dont le dispositif est destiné à répondre à une telle préoccupation, car tous les Français ont droit à la solidarité nationale qui s'exprime sans condition d'assujettissement fiscal ou social.
S'agissant de l'aide à l'entreprise ensuite, un engagement a été pris par le Gouvernement le 1er juillet dernier, lorsqu'en réponse à ma question d'actualité, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Baptiste Lemoyne, avait annoncé un « volet complémentaire, à destination des entrepreneurs, dont certains ne bénéficient pas d'aides locales ». Toutefois, ni la 4ème loi de finances rectificative de juillet dernier, ni l'actuelle loi de finances pour 2021 ne contiennent un tel volet. Cet engagement pris devant le Sénat serait-il caduc ?
La doctrine actuelle du Gouvernement est qu'il « demeure attentif aux difficultés rencontrées par nos compatriotes entrepreneurs à l'étranger face à la crise sanitaire et met tout en oeuvre pour leur venir en aide dans le cadre des dispositifs existants », selon l'une de ses réponses à une question écrite d'un de nos collègues sénateurs. Vous avouerez, chers collègues, que c'est un peu court. Pour la délégation aux entreprises, si elle me suit dans mes propositions, ce volet complémentaire devrait comporter les éléments suivants :
Un soutien au réseau CCI-FI, car il faut aider ceux qui aident les entrepreneurs expatriés. Leurs sources de revenus sont constituées des cotisations de leurs membres, de ressources liées à l'événementiel, ou à la mise à disposition de locaux dans des centres d'affaires et la fourniture de services d'appui aux entreprises françaises. Le ralentissement de l'activité économique entraîne de facto le ralentissement des activités de ce réseau et donc de leurs recettes.
Ce soutien de notre réseau d'appui économique aux entreprises doit également rendre plus accessibles, notamment aux TPE et auto-entrepreneurs, les aides nationales en direction des entreprises françaises à l'étranger et les aides existantes, le cas échéant dans les pays étrangers.
Les outils existants devraient être reformatés pour être mobilisés en faveur des PME, TPE et auto-entrepreneurs :
- ARIZ, garantie en perte finale proposée par l'Agence française de développement (AFD) aux institutions financières pour couvrir 50 % à 75 % d'un prêt individuel ou un portefeuille de prêts aux PME et aux institutions de microfinance, devrait aller au-delà des limites actuellement fixées ;
- la garantie publique sur le crédit-fournisseur devrait être rendue temporairement accessible aux TPE françaises à l'étranger, dès lors qu'un lien économique, et non pas juridique, existe avec la France ;
- ce qui a été fait en faveur des PME et TPE africaines, avec le dispositif Garantie Choose Africa Resilience, inspirée du PGE français, pour mobiliser jusqu'à 65 % de la garantie de l'État, pour inciter des banques locales à prêter aux TPE et PME africaines (en particulier 160 millions d'euros de prêts garantis pour une dizaine de pays), doit être étendu à d'autres continents ;
- afin de permettre aux EFE d'avoir accès au dispositif de volontariat international en entreprises, il convient d'encourager la constitution d'une société de droit français, qui serve d'interface juridique avec des PME françaises à l'étranger ;
- enfin, pour aider à la reconstitution de trésorerie d'entreprises françaises à l'étranger, impactées directement par la crise sanitaire, il faut permettre à Bpifrance d'apporter une contre-garantie aux banques locales.
Ce sont des pistes, des orientations générales, qu'il conviendra au Gouvernement de détailler. Nous attendons l'audition du ministre Franck Riester avec impatience et espérons qu'il se rendra disponible en janvier pour lui présenter nos propositions. Ces propositions montrent le souci constant du Sénat, qui assure la représentation des Français hors de France, d'intégrer la dimension économique et entrepreneuriale de nos compatriotes expatriés. Ils concourent activement à la promotion de la marque France, aux flux économiques entre notre pays et l'étranger, et la crise a révélé leur fragilité, qui appelle un soutien pragmatique mais solide à leurs côtés.
La résilience des entreprises françaises à l'étranger est en effet la condition et le préalable de la reconquête de marchés extérieurs. C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'elles sont parties prenantes de la Team France Export, même si cette dernière peine quelque peu à le reconnaître.
Je remercie le président de la Délégation aux entreprises de m'avoir permis d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur cette catégorie d'entreprises en faveur de laquelle j'ai plaidé en adressant un courrier, à ce jour sans réponse, au Président de la République. J'espère que mes collègues représentants des Français de l'étranger de l'Assemblée nationale se feront également entendre sur ce sujet, bien que nous ne soyons pas entrés en période électorale.
M. Alain Chatillon. - Quelle est la vraie question qui se pose ? Est-ce le fait que cette catégorie d'entreprise ne paye pas d'impôts en France, est-ce le fait qu'elle ne vende pas que des produits français ? Je suis membre du conseil d'administration de Business France et du Comité de surveillance des investissements d'avenir. Pour accompagner les entreprises à l'étranger, la règle est qu'elles aient un rattachement français. Pour une entreprise française à l'étranger, son dirigeant doit certes être français, mais encore faut-il que son entreprise porte un nom français, produise des biens d'une marque française, promotionne les produits français. Il y a là une contrainte que les systèmes mis en place peuvent difficilement contourner. Je pense qu'il faut identifier la porte d'entrée qui permettrait à ces entreprises de bénéficier des aides nationales. Avoir un chef d'entreprise français est nécessaire, mais peut-être faudrait-il ajouter une nouvelle condition et exiger une dualité de rattachement de l'entreprise, franco-allemande ou franco-chinoise par exemple, de façon à sécuriser à la fois la fiscalité française et ces Français qui se sont expatriés pour produire ou vendre des produits français à l'international.
M. Serge Babary. - Notre démarche a été bien accueillie par Bpifrance et Business France qui s'inquiètent aussi du sujet. Aucun recensement de ces entreprises n'a été effectué alors que le réseau des CCI ne vit que grâce à l'adhésion des entreprises. Le premier point est donc leur identification par le réseau des CCI qui permet de repérer cette présence d'entrepreneurs français. Il faut donc d'abord faire un travail de recensement, car pour l'instant nous n'avons même pas de base.
Le second point, sera d'établir des critères objectifs. Effectivement, ce sont souvent des TPE et PME d'accompagnement de services à l'exportation de produits français. De nombreuses PME françaises ne peuvent pas se projeter à l'étranger, contrairement aux grands groupes. Elles bénéficient néanmoins de cette présence commerciale française à l'international, constituée par ces Français commerçants, ingénieurs-conseils, commerciaux, etc., basés à l'étranger. La particularité de ces entreprises est qu'elles ont été créées à l'initiative d'un citoyen français sous la forme juridique d'une entreprise de droit local. C'est ce critère qui bloque l'administration jusqu'à présent. Au-delà de la nationalité juridique de ces entreprises, on peut s'appuyer sur la part de leur chiffre d'affaires effectuée avec la vente de produits ou de services français, ce qui ne devrait pas être trop compliqué à déterminer. Encore faut-il que ce suivi statistique soit réalisé par quelqu'un. L'objectif est la prise en compte de cette réalité, avec ces entreprises qui participent grandement à l'exportation des produits français et au commerce extérieur, en particulier pour les PME.
M. Alain Chatillon. - Je pense que Business France est le meilleur interlocuteur. Ils ont déjà l'expérience des milliers de VIE qui accompagnent les entreprises sur le terrain. J'ai pour ma part créé mon entreprise et ouvert des filiales à l'international et il est vrai que sans lien avec l'État français, il est difficile d'avoir droit à des aides. Il faut définir un lien de rattachement et garantir à l'État que ces entreprises sont vraiment d'origine française, vendent des produits français et qu'elles permettent à la France de se développer à l'international.
M. Serge Babary. - Les services institutionnels, et notamment Business France, sont intéressés par notre démarche et c'est sur eux que nous souhaitons nous appuyer pour déterminer ce point d'entrée, mettre en place une caractérisation de ces entreprises et un suivi. Sur la question des VIE, l'entreprise française à l'étranger de droit local ne peut pas, pour l'heure en bénéficier : une initiative visant à contourner ce problème par le biais des chambres de commerce à l'étranger est en discussion. D'ailleurs, aujourd'hui, ces entreprises de droit local jouent le rôle de facilitatrices dans le cadre des VIE, car elles sont les interlocutrices traditionnelles des filiales de groupes français qui peuvent faire venir des volontaires ; elles connaissent parfaitement le terrain et elles ont des liens avec ces jeunes. Malgré cela, ces entreprises ne peuvent pas embaucher de VIE car elles ne sont pas considérées comme françaises. L'une des propositions du rapport est qu'une société de droit français soit créée autour du Conseil national des conseillers du commerce extérieur et du réseau CCI France international afin de gérer le rattachement administratif des VIE, y compris leurs rémunérations, et de permettre ainsi qu'ils soient employés par des PME à l'étranger même si elles sont de droit local, dès lors qu'elles correspondent aux critères qui auront été définis.
Mme Jacky Deromedi. - Je suis d'accord avec Alain Chatillon mais Business France accompagne principalement les entreprises françaises à l'exportation. On ne parle pas de la même chose. Il s'agit dans notre cas d'entreprises de droit local, ce qui est très différent. Ce sont des sociétés créées par des Français établis à l'étranger, et qui sont obligés de créer des entités juridiques de droit local. Ce n'est pas possible d'avoir un statut entrepreneurial français à l'étranger en dehors des filiales des entreprises françaises. Business France et Bpifrance n'accompagnent pas ces entreprises de droit local. Les plus petites d'entre elles, les PME-TPE, comme un boulanger installé à l'étranger, qui produit la baguette française et achète sa farine en France, ne peuvent pas se constituer en filiale. Ces entreprises peuvent être, par ailleurs, très bien identifiées par le poste diplomatique et les services économiques des ambassades, les CCE, les CCI et les élus consulaires. Il me semble tout à fait possible d'aider des sociétés qui n'ont pas nécessairement un lien direct avec la France. De même, quand on parle d'une agence de voyage à l'étranger qui vend la destination France, lesquelles sont aujourd'hui en grande difficulté, ce sont des français qui commercialisent des séjours en France mais ne sont toutefois pas soutenus, alors même qu'ils apportent du tourisme dans notre pays.
On souhaiterait par ailleurs connaitre le chiffre à l'exportation des sociétés françaises, basées en France, qui vendent à ces sociétés détenues par des Français, basées à l'étranger, mais Bercy ne veut pas les communiquer. On pense que c'est de l'ordre de 30 % de notre commerce extérieur. Ces entreprises françaises basées en France vont souffrir du fait qu'un nombre important de leurs revendeurs à l'étranger vont disparaître et donc ne plus acheter leurs produits. Évidemment le sujet est complexe, c'est la raison de notre rapport.
Ce sont des petites entreprises qui font connaître la France, qui vendent des produits français, du tourisme français ou du savoir-faire français. Il semblerait qu'aujourd'hui, 30 % de ces petits entrepreneurs partis à l'étranger soient rentrés en France. S'ils sont démunis, ils vont venir grossir les chiffres du chômage en France.
M. Serge Babary. - Jacky Deromedi fait bien de rappeler qu'il s'agit d'une myriade de petits entrepreneurs qui ont pris des initiatives et qui participent au rayonnement et au commerce de la France. Nous essayons de caractériser cette situation, que la crise a permis de révéler. En dehors des grands groupes et des filiales, ce sont ces entrepreneurs qui constituent le réseau de CCI France International, et ce sont des relais inestimables pour nos entreprises en France.
M. Alain Duffourg. - Quelle est la fiscalité applicable aux entreprises françaises qui possèdent des filiales à l'étranger ?
Mme Jacky Deromedi. - Les entreprises françaises de droit local paient des impôts sur leurs bénéfices dans leur pays d'implantation et ne paient pas d'impôt en France. En revanche, elles contribuent au chiffre de l'export de la France, et l'entreprise exportatrice en France paiera des impôts sur ses bénéfices réalisés grâce à ces entreprises françaises à l'étranger.
M. Serge Babary. - Les filiales sont soumises à la fiscalité locale et la maison-mère à la fiscalité française, dès lors que celle-ci a son siège en France. C'est le lieu d'implantation, où l'on constate la création de richesse, qui détermine l'assiette de l'imposition. La valeur ajoutée de ces entreprises basées à l'étranger est de faciliter l'exportation des PME françaises, mais il n'y a pas de lien, à part un lien commercial, entre le donneur d'ordre français - l'entreprise qui exporte - et l'entreprise basée à l'étranger, créée et gérée par un Français, qui vend ces produits à l'étranger.
M. Alain Chatillon. - Un lien avec la France, qui remonte directement à cette entreprise, est nécessaire. Comment voulez-vous que l'État français aille investir dans une société qui n'a aucune remontée fiscale, sociale ou autre vers la France ? Aucun pays ne le fait. L'intention est bonne, mais il faut un lien historique, un apport intellectuel, social, d'investissement, etc. pour constater une remontée de la valeur ajoutée vers la France.
M. Serge Babary. - Nous sommes d'accord, il faut définir des critères. Cela dit, quand on parle par exemple d'une agence de tourisme en Inde qui ne commercialise que des voyages vers la France, qui y envoie beaucoup de touristes, cela profite forcément à la France. Pensons à la classe moyenne indienne émergente qui souhaite voyager dans notre pays. Cette entreprise de voyage participe à l'enrichissement de la France. On peut prendre en considération cette activité, valorisante pour l'hexagone. De même, une boutique de vins et spiritueux tenue par un Français, qui ne vend que des produits français de nos différentes régions, créée un lien économique que l'on peut prendre en considération. Les institutions sont prêtes à prendre en considération ces critères pour l'avenir, car la crise a révélé cet angle mort de notre politique commerciale. Jusqu'à maintenant, s'appliquait en effet la règle selon laquelle il n'y avait pas solidarité sans fiscalité en retour.
M. Alain Chatillon. - J'en conviens, mais je comprends la réponse actuelle des institutions publiques, car il est difficile de créer des relations avec ces entreprises sans que ces dernières ne créent de holding, pour justifier l'existence d'une aide nationale.
M. Serge Babary. - Nous ne parlons pas exactement du même type d'entreprise. Il s'agit ici de TPE, d'entrepreneurs individuels. Il y a aussi de grands succès, je pense par exemple à des initiatives comme la Brioche Dorée, un boulanger parti à New-York, avec deux valises, et qui a réussi au-delà de ses espérances. Ce type d'initiatives met en avant le savoir-faire français, on les retrouve un peu partout dans le monde, et ces entrepreneurs font vivre aussi les réseaux consulaires. En retour, l'administration, jusqu'à maintenant, et c'était normal, ne voyait pas la nécessité d'intervenir en leur faveur. Aujourd'hui, avec la crise, ces entreprises risquent de disparaitre, 30 % seraient déjà rentrés dans l'hexagone, sans revenus, d'après certaines estimations. Cela fragilise notre réseau commercial international et ferme des débouchés à l'exportation de nos entreprises. Il faut qu'assez rapidement analyser économiquement cette présence et cette action.
M. Alain Chatillon. - Je pense que le directeur général de Business France est le mieux placé pour les y aider.
Mme Jacky Deromedi. - On sait que cela est possible, car nous avons l'exemple du programme Choose Africa, voulu par le président de la République. 2,5 milliards d'euros de fonds français en Afrique, pour accompagner 10 000 sociétés africaines de droit local, lesquelles ne payent pas d'impôts en France. Quand on veut, on peut. Pourquoi ne pas pouvoir débloquer des fonds pour ces Français de l'étranger ?
Mme Martine Berthet. - L'aide de l'État à ces entreprises devra être conditionnée au fait qu'un certain pourcentage de commandes de matières premières est français, qu'une certaine part de leur chiffre d'affaires vienne de la vente de produits fabriqués en France. Il faut objectiver leur contribution au commerce extérieur. Pour ce qui est des prestations intellectuelles, cela devient plus compliqué et plus difficile à mesurer.
M. Serge Babary. - L'intérêt est de susciter le questionnement, car il y aura d'autres crises. L'idée de mettre en place un fonds d'urgence pour les ressortissants à l'étranger, quelle que soit leur activité d'ailleurs, proposée par notre collègue Le Gleut, me paraît être une heureuse initiative. Si on sait aider des entreprises africaines sans lien avec la France, on doit pouvoir aider les entreprises de nos ressortissants dans cette période de crise.
M. Dominique Théophile. - Félicitations pour ce rapport qui présente nos forces et nos faiblesses. Dans cette période difficile, cela nous permettra de jauger et de juger de nos capacités à engranger des résultats. Il faut distinguer les entrepreneurs français à l'étranger et les entreprises françaises à l'étranger. L'entrepreneur qui s'engage et qui coupe toute relation avec la France pour lancer son affaire à l'étranger, mais qui reste français, est à distinguer de l'entreprise qui a un lien avec le national. Ne devrait-on pas créer ou muscler un observatoire des entrepreneurs français à l'étranger, pour mieux évaluer ce phénomène et le travail de nos ressortissants à l'extérieur ? Il est très inquiétant de voir le nombre de nos ressortissants qui vont rentrer dans l'hexagone pour toucher le RSA le cas échéant, cela interroge nos forces et nos faiblesses. Pour dépasser le cas des entreprises déjà installées, comment aider les entreprises qui décident de s'installer dans le contexte actuel et ont encore plus de difficultés qu'à l'accoutumée pour exporter, notamment depuis les outre-mer ? Outre-mer, l'éloignement et l'insularité brident le développement commercial des entreprises pour lesquelles la prospection est encore plus difficile, même dans le bassin régional. Je suis régulièrement contacté par des entrepreneurs qui peinent à exporter et cherchent le bon interlocuteur institutionnel. Comment mieux les orienter dans les années à venir et les préparer, en plus de l'installation, aux éventuelles difficultés, comme celles liées actuellement à la situation sanitaire.
Mme Jacky Deromedi. - Cette dimension de l'exportation est plus facile. Pour aider les entreprises qui veulent exporter, beaucoup d'aides existent, venant des CCI et surtout de Business France, qui est très bien équipé pour accompagner les entreprises. Bpifrance a également des outils qui aident, comme par exemple l'assurance prospection qui couvre une partie des frais de recherche de marchés, sous forme d'un prêt lequel, en cas d'échec de la prospection, peut ne pas être remboursé. La panoplie des aides à l'exportation est très complète.
M. Serge Babary. - Je dois vous demander votre validation à la publication du rapport. Je ne constate aucune opposition, le rapport est donc adopté au nom de la Délégation.
Questions diverses
M. Serge Babary. - Je vous indique que nous nous retrouverons dès les jeudi 14 et 21 janvier prochains pour entamer une nouvelle mission d'information sur les nouvelles formes de management et de travail (télétravail, automatisation, plateformes ...) et leurs conséquences avec nos trois rapporteurs, Mme Martine Berthet et MM. Michel Canévet et Fabien Gay. Ces auditions des rapporteurs prévues mi-janvier sont ouvertes à tous les membres de la Délégation.
M. Alain Chatillon. - Après avoir fait plusieurs rapports récemment dans le cadre de la commission des Affaires économiques, en particulier sur des sujets touchant à l'industrie, ne pensez-vous que compte-tenu du montant significatif des aides attribuées aux entreprises pour leur permettre de surmonter la pandémie de coronavirus, il serait bon de créer une commission d'enquête, une fois les bilans des sociétés sortis au mois d'avril, pour évaluer le bon emploi par ces entreprises des aides publiques pour l'exercice 2020. N'y aurait-il pas eu d'aides trop importantes pour certains secteurs et des aides extrêmement faibles pour d'autres ? Un rééquilibrage serait sans doute souhaitable. Je pense à l'hôtellerie-restauration, secteur qui aurait besoin de 1,5 milliard d'euros pour se relever. Je pense que le gouvernement a investi fortement dans d'autres secteurs qui apparaissent en définitive beaucoup moins contraints qu'on ne nous le disait.
M. Serge Babary. - Nous échangerons là-dessus avec la commission des Finances en début d'année prochaine.
La réunion est close à 9 h 50.