- Mardi 8 décembre 2020
- Mercredi 9 décembre 2020
- Mission d'information sur l'avenir du transport de marchandises face aux impératifs environnementaux - Avenir du fret ferroviaire - Audition de MM. Franck Agogué-Escaré, adjoint au directeur des services de transports - direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (ministère de la transition écologique), Frédéric Delorme, président du pôle TFMM - Fret SNCF, membre de l'Alliance 4F, Raphaël Doutrebente, directeur général d'Europorte, membre de l'Alliance 4F, et Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau
- Désignation des membres du groupe de travail « Enjeux internationaux - Climat - environnement-développement »
Mardi 8 décembre 2020
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français - Examen des amendements de séance
M. Jean-François Longeot, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen des dix-neuf amendements de séance sur le texte adopté par notre commission, en première lecture, sur la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français présentée par MM. Michel Vaspart, Hervé Maurey et plusieurs de leurs collègues des groupes Les Républicains et Union centriste. Notre rapporteur donnera un avis sur chacun des amendements. Ceux-ci seront présentés et défendus par leurs auteurs au cours du débat qui aura lieu cet après-midi en séance publique.
Article 2
La commission demande le retrait de l'amendement n° 7 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Didier Mandelli, rapporteur. - L'amendement n° 18 est satisfait. Demande de retrait sinon avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 18 et, à défaut, y sera défavorable.
La commission demande le retrait des amendements nos 3 rectifié bis, 6 et 4 rectifié bis et, à défaut, y sera défavorable.
Article 4
La commission demande le retrait des amendements nos 17 et 19 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Didier Mandelli, rapporteur. - Les avis sont partagés sur l'article 6. Les régions ne sont pas unanimes. Comme l'intention des auteurs de la proposition de loi était avant tout de lancer le débat, je donne un avis de sagesse aux amendements de suppression nos 1 rectifié bis, 8, 14 et 15. L'amendement n° 2 rectifié est un amendement de repli : demande de retrait sinon avis défavorable.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur les amendements nos 1 rectifié bis, 8, 14 et 15. La commission demande le retrait de l'amendement n° 2 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
Article 7
La commission demande le retrait des amendements nos 9 et 5 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 8
La commission demande le retrait des amendements nos 10 et 16 et, à défaut, y sera défavorable.
Articles additionnels après l'article 15
La commission demande le retrait des amendements nos 11 et 12 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 15 bis
La commission demande le retrait de l'amendement n° 13 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Jean-François Longeot, président. - Nous aurons le débat en séance sur les amendements. Je vous rappelle, avant de conclure, que la mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux tiendra sa première réunion cet après-midi. Seuls les membres de la mission d'information sont invités à y prendre part.
La réunion est close à 9 h 10.
Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :
Mercredi 9 décembre 2020
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Mission d'information sur l'avenir du transport de marchandises face aux impératifs environnementaux - Avenir du fret ferroviaire - Audition de MM. Franck Agogué-Escaré, adjoint au directeur des services de transports - direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (ministère de la transition écologique), Frédéric Delorme, président du pôle TFMM - Fret SNCF, membre de l'Alliance 4F, Raphaël Doutrebente, directeur général d'Europorte, membre de l'Alliance 4F, et Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau
M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes réunis afin de lancer le début des travaux de la mission d'information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, dont la première réunion de cadrage s'est tenue hier.
Il nous a semblé important de commencer ces travaux en prévoyant un premier temps d'échanges, en réunion plénière, autour de l'avenir du fret ferroviaire. Nous sommes très heureux d'accueillir M. Franck Agogué, adjoint au directeur des services de transport à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ; M. Frédéric Delorme, président du pôle transport ferroviaire et multimodal de marchandises au sein de Fret SNCF, et membre de l'Alliance 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur) ; M. Raphaël Doutrebente, directeur général d'Europorte, et également membre de l'Alliance 4F, ainsi que Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau.
Nous aimerions d'abord vous entendre à propos de la situation actuelle et des obstacles qui pèsent sur le développement du fret ferroviaire. Ce dernier constitue l'une des réponses à la problématique de verdissement du transport de marchandises, ses émissions de CO2 étant environ neuf fois inférieures à celles du transport routier. Pour autant, malgré la volonté partagée d'augmenter sa part modale et les nombreux plans de relance du fret menés par les gouvernements successifs, cette part atteint seulement 9 % en France. Comment chacun d'entre vous, et notamment les opérateurs de fret, expliquez-vous cette situation alors que d'autres pays, comme la Suisse et l'Autriche, ont réussi à atteindre des parts modales de l'ordre de 30 à 35 % ? En ce qui concerne plus spécifiquement les problématiques liées au réseau, en matière d'accès mais aussi de tarification, pourriez-vous nous expliquer, Mme Delon, quels en sont les grands déterminants et quelles sont les éventuelles difficultés rencontrées par SNCF Réseau pour articuler les circulations dédiées au fret avec les autres activités (voyageurs, travaux, etc.) ?
Après avoir évoqué le présent, pourriez-vous nous dire comment vous imaginez l'avenir du fret ferroviaire ? La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, prévue par la loi d'orientation des mobilités, devra bientôt nous être présentée. Pourriez-vous, M. Agogué, nous en dire plus sur la manière dont elle a été définie et nous détailler ses différents axes ? Vous pourrez également nous exposer les mesures annoncées à l'issue du premier comité interministériel de la logistique (CILOG) qui s'est tenu hier, et de quelles façons ces mesures vont, directement ou indirectement, bénéficier au fret ferroviaire ?
Enfin, en lien avec le point précédent, nous avons suivi avec beaucoup d'attention la création de l'Alliance 4F et la remise de son plan d'actions en juin dernier. Cette alliance est inédite puisqu'elle regroupe à la fois Fret SNCF et les autres opérateurs présents sur le marché. Pourriez-vous nous rappeler les raisons qui ont présidé à sa création et ses principales propositions ?
Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau. - Vous avez évoqué l'importance du réseau pour permettre le développement du fret ferroviaire, dans ses conditions d'accès et dans son modèle de tarification. Tout d'abord, il ne peut y avoir de développement du fret ferroviaire sans un réseau performant.
Durant la période du premier confinement dans le cadre de la crise sanitaire, nous avons, avec les opérateurs, mobilisé tous nos efforts afin de maintenir le maximum de trafic de fret ferroviaire. Cette période, compliquée pour l'économie française, a aussi démontré tout l'intérêt stratégique que représente le fret ferroviaire et l'importance de le développer. Sa part de marché est aujourd'hui faible - vous avez rappelé qu'elle s'élève à 9 % - mais elle est stable, depuis une dizaine d'années environ. L'objectif est maintenant de pouvoir la redévelopper.
Je souhaitais également souligner les enjeux environnementaux du développement du fret ferroviaire en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre mais aussi tous ses bénéfices sur la réduction de la congestion, du bruit et de l'accidentologie. Ces bénéfices sont trop peu valorisés aujourd'hui dans la stratégie autour du développement du fret ferroviaire.
SNCF Réseau est convaincu que le fret ferroviaire possède des atouts très importants et nous savons que nous devons définir une stratégie spécifique pour accompagner son développement dans les prochaines années.
SNCF Réseau finalise actuellement un nouveau projet stratégique - il sera partagé avec son conseil d'administration dans les jours qui viennent - articulé autour de différents axes, déclinés de façon spécifique pour le fret. Le premier est l'orientation clients, et l'accompagnement des clients dans la réalisation de leurs projets. Le deuxième est la qualité de service et la qualité de la production : il existe un réel enjeu, côté réseau, pour améliorer la qualité et la stabilité de la production proposée à nos clients. Le troisième axe est l'amélioration du réseau ferroviaire et de sa performance : pas de développement sans réseau performant, notamment le réseau structurant, qui est utilisé par tous les trafics. Tout ce qui pourra être fait pour améliorer et soutenir la performance du réseau sera bon pour le développement du fret ferroviaire. Le quatrième axe concerne le rétablissement de l'équilibre financier de SNCF Réseau, qui est inscrit dans la loi du pacte ferroviaire. L'objectif d'équilibre doit être atteint en 2024 et est aussi une condition indispensable à la réalisation d'un développement « rentable ». Selon moi, ces quatre premiers enjeux sont vraiment nécessaires au développement des trafics, avec les clients.
Aujourd'hui, la tarification appliquée pour les entreprises de fret ferroviaire se résume à la redevance de circulation. Les entreprises de fret ferroviaire s'acquittent d'une partie de cette redevance qui permet de couvrir les coûts de circulation propres à ce trafic. Cette partie est compensée par l'État via un « mécanisme de compensation fret ». Globalement, cela représente environ 140 millions d'euros de chiffre d'affaires, versés par les entreprises ferroviaires, et environ 80 millions d'euros versés au travers de la compensation fret. Aujourd'hui, ce qu'on pourrait considérer comme le chiffre d'affaires de SNCF Réseau pour le fret s'élève donc à environ 220 millions d'euros. Le chiffre d'affaires global de SNCF Réseau, quant à lui, s'élève à 6 milliards d'euros en 2019.
Concernant l'économie du système relatif au fret ferroviaire pour SNCF Réseau, le point d'attention est que cette activité de fret ne couvre en réalité que 30 % du coût complet représenté par la circulation de ces trains. Il y a donc un vrai enjeu d'accompagnement du développement du fret ferroviaire sur le plan économique. Dans d'autres pays européens, l'accompagnement par des financements publics du développement ferroviaire est déjà souvent très présent.
Aujourd'hui, 23 entreprises de fret ferroviaire circulent sur le réseau ; 15 opérateurs de transport combiné et toute une série de grands industriels utilisent ce service ferroviaire.
Le plan d'action de SNCF Réseau pour accompagner le développement du fret ferroviaire repose d'abord sur l'accompagnement de la qualité de services. Nous devons accompagner nos opérateurs ferroviaires et les opérateurs de transport combiné en leur proposant des sillons de qualité, sur un réseau qui a besoin d'être renouvelé. Il y a, dans le développement du fret, un enjeu d'investissement très important, qui est fortement relayé par le plan de relance proposé par le Gouvernement, qui couvre aujourd'hui partiellement les besoins d'investissements côté réseau afin de pouvoir répondre véritablement à un développement très fort du fret ferroviaire.
La particularité du réseau est qu'il peut proposer des perspectives de croissance importantes mais il a de forts besoins de renouvellement. Vous l'avez évoqué, un grand volume de travaux est réalisé sur le réseau. Ces travaux sont indispensables pour maintenir et améliorer la performance du réseau, lequel a absolument besoin d'être rajeuni dans ses composants principaux (voies, caténaires, signalisation) pour répondre aux enjeux de qualité de services de l'ensemble des opérateurs. Soutenir ce modèle économique et permettre ces investissements sur le réseau structurant est absolument indispensable pour développer l'ensemble des trafics et, bien sûr, leur qualité. Le fret ferroviaire est bien évidemment largement concerné.
Il me semble que, parmi les actions engagées par SNCF Réseau sur la qualité de services, l'enjeu principal est l'engagement de faire de la qualité le premier objectif, avant le développement. Tant que la qualité, appelée très fortement par l'ensemble des opérateurs, ne sera pas au rendez-vous, il sera difficile de faire beaucoup plus de quantité. Pour améliorer la qualité, il est essentiel de travailler conjointement sur des objectifs de standardisation et d'industrialisation des trafics, donc d'être à mi-chemin entre des besoins qui sont souvent du « sur-mesure » et en allant vers une offre plutôt de type « prêt-à-porter ».
Ce point est important puisque nous avons, en parallèle, des besoins de développement du fret ferroviaire et beaucoup d'expressions de besoins de développement des trafics voyageurs (nationaux, internationaux ou régionaux). Ces trafics empruntent évidemment le même réseau. Afin d'amplifier le développement et d'améliorer la qualité de services, il est vraiment essentiel que le fret ferroviaire puisse s'intégrer dans cette logique de standardisation. Il est également indispensable que le fret ferroviaire puisse anticiper ses besoins pour qu'ils soient pris en compte en même temps que ceux des opérateurs voyageurs. Cet élément est primordial dans la stratégie autour de la qualité et de la réponse plus fiable et performante que SNCF Réseau peut apporter aux opérateurs de fret.
J'aimerais souligner l'effort important réalisé par l'État en faveur du développement du fret ferroviaire, avec un plan de soutien massif et, à ma connaissance, inégalé pour la filière. Ce plan de soutien s'adresse à la fois aux opérateurs et au réseau, car l'investissement sur ce dernier sert aux opérateurs de fret. Il permet, par exemple, de renouveler des lignes capillaires fret et d'améliorer la connexion avec les ports, lesquels ont besoin d'une desserte ferroviaire performante et de travailler sur l'amélioration des terminaux combinés rail-route.
J'insiste aussi sur la nécessité d'un accompagnement par les collectivités territoriales. Ces dernières peuvent, dans le cadre des contrats de plan État-Région, apporter un vrai soutien dans les investissements propres au ferroviaire. Je pense encore une fois à la desserte des ports. SNCF Réseau travaille avec les ports de façon significative pour améliorer les connexions.
Nous nous engageons, avec les opérateurs et le soutien de l'État, dans différentes actions permettant de mettre en oeuvre les propositions faites au travers du plan de soutien au fret ferroviaire. Nous avons un dialogue régulier avec les opérateurs afin d'en définir les modalités précises.
M. Frédéric Delorme, président de Transport ferroviaire et multimodal de marchandises - Fret SNCF. - Je me présente à vous comme Président de Fret SNCF mais également en tant que membre de l'Alliance 4F, dont fait aussi partie Raphaël Doutrebente.
Fret SNCF est le premier opérateur en France, avec 55 % de parts de marché. En termes de trafic, le groupe SNCF, au sens large, est le deuxième opérateur de fret ferroviaire en Europe, derrière la Deutsche Bahn. Je pourrais donc faire référence à des activités que nous avons en Allemagne, en Espagne ou en Italie, s'il est utile de comparer les situations.
Je vous remercie tout d'abord d'avoir choisi ce sujet, qui arrive à un moment crucial post-crise de la Covid-19. Ce moment a fait émerger, de manière vitale pour notre pays, les questions de souveraineté industrielle et économique, en même temps qu'apparaît un besoin d'engagement écologique et de santé pour nos concitoyens.
Pour une même tonne transportée, par rapport à la route, le fret ferroviaire consomme six fois moins d'énergie (quel que soit le type d'énergie), émet huit fois moins de particules nocives et émet neuf fois moins de tonnes de CO2. Je tiens tout de même à préciser d'emblée que les deux modes de transport ne peuvent être opposés et que l'avenir du fret passe par la route. Ces deux modes doivent être complémentaires. Néanmoins, pour permettre une transformation radicale du bilan écologique du transport de marchandises, un effort significatif doit être mené sur le transport ferroviaire.
Nos territoires seront d'autant plus attractifs qu'ils seront industriellement performants. La logistique entre les industries est déterminante pour l'attractivité des territoires et leurs connexions en France et en Europe. Aujourd'hui, il existe un vrai risque de décrochage, de ce point de vue, puisque la part de marché du fret ferroviaire est de 9 % en France tandis que la moyenne de l'Union européenne est de 18 % et qu'elle a pour ambition de porter cette moyenne à 30 %. Afin d'être dans la course pour nos territoires et nos industries, la génération qui vient devrait voir la part du ferroviaire quasiment tripler. Un premier jalon fixé par le Gouvernement est d'atteindre 18 % de parts de marché pour le ferroviaire en 2030. Cela signifierait simplement revenir dans la moyenne européenne. Pour y parvenir, il faut tripler le transport combiné en dix ans et presque doubler le transport conventionnel. Le transport conventionnel concerne à la fois des trains complets mais aussi le système du « wagon isolé », dont Fret SNCF est le principal opérateur et qui consiste à faire rouler des trains mutualisés entre plusieurs industriels sur un système maillé en France.
Monsieur le Président, j'aimerais vous remercier d'avoir eu l'initiative de lancer cette mission d'information. Je m'exprime au nom de tous les membres de l'Alliance 4F en disant que nous sommes très satisfaits du plan de relance engagé par le Gouvernement. Tout d'abord, la méthode a changé. En février, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), au nom de l'État, a fait appel au secteur, ce qui est nouveau : le secteur a formulé les propositions pour constituer ce plan de relance.
Ces propositions ont débouché sur un rapport 4F, remis au ministre des Transports à la fin du mois de juin. Ce rapport se divise en trois volets : la survie, la sauvegarde et le développement. Le premier axe est celui de la survie, car l'année 2020 a été rude pour tous les opérateurs de fret : avec une baisse d'activité très forte qui a pesé sur notre économie. Nous considérons que la sauvegarde est le plan acquis à ce stade. La question du développement est sûrement un point de débat que nous devrons avoir.
Ce plan est donc inédit car 170 millions d'euros par an d'aides d'État concernent l'exploitation. À court terme, un milliard d'euros concerne le réseau, spécialement pour le fret (voies de service, triages, lignes capillaires, amélioration des terminaux). Notons aussi l'existence de 210 millions d'euros afin d'accepter un surcoût des travaux d'investissements sur le réseau pour permettre de libérer des sillons de qualité, donc de faire de la place aux trains de fret. Les plans précédents étaient généralement très orientés vers les infrastructures. Ce plan contient d'autres dimensions même s'il s'agit d'une amorce pour rejoindre la Belgique, la Suisse, l'Autriche et l'Allemagne, qui investit très franchement sur le fret ferroviaire.
Afin d'ouvrir le débat avec vous, j'aimerais évoquer les trois conditions de réussite à explorer.
La première porte sur l'inscription dans la durée. Le plan concerne les toutes prochaines années. Néanmoins, concernant le ferroviaire, il faut s'inscrire dans un temps long. La question de la pérennité des aides annuelles se pose : si ces aides n'existent qu'un an, l'impact sera faible ; si elles sont récurrentes, l'impact sera réel. Dans son rapport, 4F avait proposé des investissements sur l'infrastructure pour la période 2025-2030. Nous devons quasiment décider dès maintenant d'étudier, d'amorcer ou d'aller chercher des financements européens pour 13 milliards d'euros. En effet, si nous souhaitons écouler le trafic dans les dix prochaines années - d'autant plus avec la cohabitation des voyageurs -, d'importants travaux seront à faire sur le réseau. Quinze plateformes multimodales supplémentaires seront nécessaires, de même faudra-t-il désaturer les noeuds de Lille, Lyon et Paris, améliorer l'accès aux ports, faire du gabarit et organiser des trains longs et plus performants.
La deuxième condition de réussite concerne la question suivante : comment prendre en compte, dans une économie moderne, l'évaluation des co-bénéfices représentés par la baisse des émissions de tonnes de CO2, qui sont valorisables aujourd'hui, ou l'amélioration de la lutte contre la pollution, la réductions des morts prématurées et la décongestion des routes ? Cela a une valeur sociétale. Comment l'intégrer dans l'économie moderne ? L'Alliance 4F a remis un rapport, commandé à Altermind, que nous vous adresserons après notre audition. Ce rapport peut engager le débat sur la façon de concilier concrètement économie et écologie d'un point de vue financier.
La troisième condition de réussite est la nécessité d'embarquer tout l'écosystème. Ce processus ne peut pas être juste une relation entre les opérateurs et l'État, mais est beaucoup plus large que ça. En plus des opérateurs qui doivent délivrer un service de qualité, toute une industrie ferroviaire a un gisement énorme d'innovations sur le fret ferroviaire, avec tous les emplois qui vont avec. SNCF Réseau doit être capable d'offrir des sillons dans le marché pour améliorer la qualité et la productivité du fret ferroviaire. Les chargeurs comptent également, car il leur revient de choisir entre la route, le rail ou le fluvial. Je peux également évoquer les ports, ainsi que les transporteurs routiers, indispensables au transport combiné. Le routier est le client du ferroviaire, c'est son étalon. Nous devons nous demander quelles mesures incitatives complémentaires pourraient venir favoriser cette mutation vers un transport propre, lequel serait l'épine dorsale d'une logistique plus performante.
Un autre point important concerne les territoires, qui doivent être associés à l'évaluation des besoins. L'Europe, c'est le Green Deal. L'État, c'est le plan de relance. Je crois que le débat concerne la façon dont sont perçus les besoins des territoires, la manière dont ils remontent et comment nous concilions les trois besoins (territoires, État, Europe) dans un pays où les territoires sont très divers. En effet, ces territoires sont agricoles, portuaires, industriels, urbains ou alpins et ils n'ont pas exactement les mêmes besoins. Une vision planifiée associant toutes les parties prenantes sera dès lors nécessaire.
Enfin, le ferroviaire est d'autant plus performant que le réseau est densifié. Je parle là à la fois du réseau ferré national et de notre réseau d'exploitants. Plus il y a de wagons dans les trains, plus les trains sont denses et plus le rendement est croissant d'un point de vue économique. Nous avons tous une partie de la carte à jouer pour ça.
M. Raphaël Doutrebente, directeur général d'Europorte. - Je ne vais pas répéter les points importants soulignés par Frédéric Delorme. J'aimerais simplement préciser le cadre de mon intervention.
Europorte est le plus grand des petits opérateurs, et SNCF Fret l'opérateur le plus important sur le réseau. Rien n'empêche, cependant, une concurrence saine dans un marché ayant de vrais besoins, d'autant qu'Europorte emploie 900 salariés et représente 250 circulations par semaine.
Pour ma part, je m'inscris dans l'après du plan 4F qui a été initié. La Bretagne, où j'habite, a été désenclavée au siècle dernier, grâce à l'action des politiques. Le fret ferroviaire doit l'être aussi. Le fret ferroviaire est peu connu, souvent corrélé à la SNCF, alors qu'il existe un certain nombre d'opérateurs sur le réseau. De plus, de grands industriels sont présents en région et possèdent des sites peu ou mal raccordés au réseau, en dépit des efforts des régions. J'ai en tête l'exemple d'un industriel important dans l'Ouest, qui a du mal à développer son activité pour couvrir le Grand Paris car son site est mal raccordé. La région fait évidemment ce qu'elle peut mais ne dispose que d'un million d'euros, une somme importante mais insuffisante.
Par ailleurs, pour doubler le fret ferroviaire, il faudra que la route et le rail soient complémentaires. Les régions doivent pouvoir attirer de nouvelles industries. Les projets de plateformes importantes évoquent rarement le fret mais plutôt l'accès à la route. Pourtant, il est nécessaire d'établir une vraie politique ferroviaire afin d'assurer la circulation des matières et des biens. Frédéric Delorme a dit qu'un grand changement a eu lieu, qui est satisfaisant. Je m'exprime au nom d'Europorte, également en tant que Président de la commission de l'Association Française du Rail (AFRA), ainsi qu'au nom de l'Association Française des détenteurs de wagons (AFWP) et des Opérateurs Ferroviaires de Proximité (OFP). À ce titre, je tiens à saluer les efforts faits par SNCF Réseau.
Mme Delon a indiqué que pendant la crise sanitaire, des points ont eu lieu chaque semaine avec les équipes, dans une situation inimaginable au cours de laquelle nos trains ont continué à circuler. Beaucoup de personnes étaient absentes mais nous avons pu maintenir une activité économique. Cette activité a été valorisée, bien qu'assez peu relayée par la presse. Elle montre que grâce à l'attelage entre réseau et entreprises ferroviaires, nous parvenons à bien travailler ensemble.
J'insiste néanmoins sur le fait que nous aurions besoin d'un vrai plan, quinquennal par exemple. Un temps long est nécessaire, car les contrats avec des opérateurs ne se concluent pas seulement pour une année ou six mois. Lancer des trains implique qu'une étude de sillons soit menée avec SNCF Réseau. Des investissements en locomotives et en wagons sont également nécessaires. Cet ensemble crée de l'emploi. Grâce à Europorte, nous sommes présents partout, dans toute la France - un peu moins en Bretagne - mais nous allons également vers la Belgique et l'Allemagne. Nous créons des emplois qualifiés en France puisque la formation d'un conducteur s'élève à presque 50 000 euros, que nous prenons à notre charge.
Les industriels nous disent qu'ils pourront bénéficier d'une réduction sur les péages en 2021, mais nous devons envisager les cinq à dix années qui viennent. En effet, un industriel ne s'engagera pas pour un an et nous ne pourrons pas lui proposer une ristourne sur une année. Ce point est important. Nous avons besoin de pragmatisme de la part de l'État, et de votre soutien, afin que les industriels soient confiants quant au développement du ferroviaire. Encore une fois, le ferroviaire ne peut être opposé au routier, uniquement sur des questions de pollution. Notre territoire se développe. Les investisseurs, à l'étranger et en France, doivent être confiants pour développer des sites industriels. J'insiste sur ce point.
L'idée n'est pas de toujours demander de l'aide à l'État. Nous devons correctement gérer nos entreprises pour leur assurer un avenir. Je tiens à ce point important car j'ai personnellement participé au redressement d'Europorte. Nous pouvons parvenir à être performants dans ce domaine.
Concernant le Green Deal européen, les régions doivent disposer de plus de moyens. Néanmoins, il est important de connaître les ordres de grandeur. Au niveau européen, le Green Deal représente 672 milliards d'euros. L'aide se décompose en 312 milliards d'euros de subventions et 360 milliards d'euros en prêts. En ce qui concerne l'État français, sur les dossiers qui ont été ouverts avec 4F, nous devrons aller chercher, avec l'aide de la DGITM, 23 milliards d'euros en 2021 et 2022 et 14 milliards d'euros en 2023.
Les autres pays européens ont déjà monté les dossiers et tentent de récupérer cet argent. Le temps file et nous devrons accélérer le processus avant le mois d'avril, avec le ministère, pour pouvoir bénéficie de ces fonds. Nous en aurons besoin pour le fret ferroviaire. Nous devrons passer à une nouvelle étape.
M. Franck Agogué, adjoint au directeur des services de transport à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (ministère de la transition écologique) - Le Gouvernement est convaincu de l'avenir du fret ferroviaire, d'abord pour des raisons liées au verdissement de son économie. L'autre aspect est l'économie, à travers son industrie, l'activité nucléaire ou la chimie. Durant la crise de la Covid-19, nous avons constaté que toute l'action du fret ferroviaire s'est poursuivie ; elle a été particulièrement bénéfique et nécessaire. Nous devons donc offrir des perspectives au fret ferroviaire.
Des premières réponses ont effectivement été apportées, notamment en termes d'exploitation des services de fret ferroviaire, ce qui est assez novateur. Aujourd'hui, dans le projet de loi de finances, un premier volet de soutien, hors plan de relance, de 170 millions d'euros avait été annoncé par le ministre. Ce volet vise à améliorer la compétitivité du rail mais également le développement de la part modale du fret ferroviaire. Pour 2020 et 2021, la moitié des redevances de circulation nettes est prise en charge par l'État dans son budget. Ces redevances devaient être facturées aux opérateurs et représentent 65 millions d'euros. Une aide à l'exploitation des services de wagons isolés a également été mise en place, qui s'élève à 70 millions d'euros. Par ailleurs, l'aide aux services de transport combiné et le financement d'aides au démarrage de nouveaux services seront accentués.
Enfin, un peu plus classiquement, des mesures d'investissements en faveur du fret ferroviaire ont été décidées. Le volet ferroviaire du plan de relance s'élève à 4,750 milliards d'euros. Cette somme n'est pas négligeable. Si nous ajoutons les 250 millions du plan de relance aux 250 millions de la trajectoire déjà enregistrée à travers la loi d'orientation des mobilités, avec les co-financements qui sont attendus (Union européenne, collectivités), ce plan de relance mobilise un milliard d'euros à court terme, en matière d'investissements sur le fret ferroviaire.
J'insiste également sur les quelques 210 millions d'euros destinés à financer les surcoûts liés à une meilleure prise en compte, par SNCF Réseau, des circulations fret lors des travaux menés sur le réseau ferré. Cette mesure est primordiale pour améliorer la qualité du service de SNCF Réseau, condition essentielle pour le développement du fret ferroviaire.
Les grandes masses des financements sont destinées aux installations terminales, telles que les terminaux de transport combiné, cours de marchandises, accessibilité ferroviaire des ports intérieurs et installations terminales embranchées. Une part sera utilisée pour améliorer le réseau, notamment emprunté par les autoroutes ferroviaires. Nous parlons ici de gabarits et de trains longs. Par ailleurs, la régénération du réseau capillaire fret - qui n'est généralement pas mise en avant - et celles des voies de service et des voies de triage sont également prévues.
La mécanique de ce plan de relance doit se réaliser concrètement, notamment durant les années 2021 et 2022. Je confirme notre volonté de travailler avec les acteurs, notamment 4F et SNCF Réseau. Ces travaux ont bien sûr été initiés dès l'été. Il existe aussi des échanges au niveau régional, certains projets étant parfaitement locaux. L'idée est d'aboutir à un programme complet de ce plan de relance d'ici janvier 2021.
Ces décisions ont été reprises lors du premier Comité Interministériel de la Logistique (CILOG) : l'une des seize mesures concerne le fret ferroviaire. Par ailleurs, le CILOG a évoqué le fluvial et la nécessaire action vis-à-vis des ports.
Notre ambition est de doubler la part modale du fret ferroviaire. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire est prévue par la loi d'orientation des mobilités. Nous y travaillons. La loi indique qu'il faut travailler sur les mécanismes d'aide ou de soutien au transfert modal, le développement du transport combiné, la question de la logistique d'approvisionnement des agglomérations, la modernisation et mutualisation des infrastructures territoriales (voies capillaires, voies de service, installations terminales embranchées, terminaux de marchandises), le développement d'infrastructures de pôles d'échanges de fret multimodaux, le renforcement de la desserte des grands ports maritimes et leur hinterland, le développement et renforcement des corridors de fret ferroviaire transnationaux.
Le vote de la loi a eu lieu il y a bientôt un an. Comme tout le monde, nous avons été quelque peu bousculés pour organiser la concertation et la façon d'établir cette stratégie.
Je tiens à souligner que nous avons bénéficié du rapport de 4F, évoqué à l'instant, et publié en juin 2020.
Dans le but d'établir une stratégie cohérente qui permette un consensus, nous avons également échangé avec l'Union des Transports Publics et Ferroviaires (UTP), avec des régions de France, des grands ports maritimes, des associations de chargeurs mais aussi France Logistique ou des acteurs de l'innovation. Sur 24 entités sollicitées, nous avons déjà reçu vingt réponses.
Nous arrivons au bout de ce processus. À court terme, nous devons encore préciser des points avec nos partenaires. Nous pensons pouvoir produire un document qui puisse être discuté avec tous, en janvier prochain.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d'information - Ma première question est assez prospective. Les travaux de la mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes ont souligné que le commerce européen et mondial connaît de profondes mutations, accélérées par la crise sanitaire de la Covid-19. Quelles seraient, selon vous, les conséquences de ces évolutions sur le développement du fret ferroviaire en France ? Prévoyez-vous des évolutions du trafic de marchandises des différents axes ferroviaires français ? Comment le fret ferroviaire intègre-t-il les problématiques de développement de la logistique urbaine, et de prise en charge du dernier kilomètre ?
Ma deuxième question concerne l'articulation entre le fret ferroviaire et le transport fluvial. La combinaison de ces modes de transport est attractive par la complémentarité et la faible empreinte environnementale de ces deux modes de transport. Selon vous, quels sont les principaux obstacles techniques et financiers qui empêchent le développement de ce transport multimodal ? Que pouvez-vous nous dire de plus sur la réflexion pour le report modal qui a été engagée par Voies navigables de France (VNF) et SNCF Réseau ?
Enfin, je souhaite aborder le fret ferroviaire sous l'angle des politiques européennes. La Cour des comptes européenne porte sur le fret ferroviaire européen un diagnostic similaire à celui que nous portons sur le secteur en France. Elle alertait, en 2016, sur le fait que le transport ferroviaire de marchandises de l'Union européenne n'est toujours pas sur la bonne voie. Quelles sont vos attentes au niveau européen pour réussir à inverser la dynamique dans le secteur ?
M. Rémy Pointereau, rapporteur de la mission d'information - Ma première question porte sur le verdissement de la flotte ferroviaire française. Nous savons que le fret ferroviaire est plus économe en énergie et moins émetteur de gaz à effet de serre que d'autres modes de transport. Le fret ferroviaire comporte, bien évidemment, de nombreux atouts environnementaux. Néanmoins, d'importants progrès restent à faire. À titre d'exemple, actuellement un quart du matériel roulant fonctionnerait avec des moteurs diesel. S'agit-il d'un sujet de préoccupation pour vous ? Pouvez-vous quantifier les investissements nécessaires à ce verdissement ? Vous avez parlé de plan de relance ; ce dernier vous a peut-être donné davantage de moyens pour investir. Quelles sont les pistes technologiques envisagées par la filière industrielle ?
Je souhaite également vous interroger sur les différentes retombées économiques de l'activité du fret ferroviaire. Ce sujet me paraît important. Disposez-vous d'estimations des effets économiques directs et indirects qui seraient induits par un accroissement de l'activité du fret ferroviaire ? Êtes-vous en mesure de les comparer à ceux observés pour les autres modes de transport de marchandises ?
M. Raphaël Doutrebente. - Je peux répondre à la question sur la partie investissements et sur l'aspect écologique. N'imaginons pas que nos locomotives fonctionneront à l'hydrogène dès demain. L'hydrogène est souvent évoqué comme une piste d'avenir, mais plus de 99 % de son origine est actuellement fossile. Beaucoup de progrès techniques restent donc à faire. Nous avons évidemment beaucoup de locomotives diesel mais également de nombreuses locomotives électriques. Dans mon entreprise, 80 % des trafics sont sous caténaires, ce qui signifie que nous avons la possibilité, avec nos locomotives, de capter l'électricité.
Par ailleurs, des pistes existent, que nous étudions en ce moment. Nous travaillons avec des industriels, notamment avec le groupe Avril, qui a aussi travaillé avec le groupe SNCF. Nous souhaitons faire rouler nos locomotives puisque les moteurs, aux normes Euro 6, permettent de lancer ce type d'expérimentations. La crise nous oblige aussi à accélérer et cela fait partie de nos projets d'avenir.
Vous soulevez également un problème important, qui est l'investissement futur. Avec le développement du fret ferroviaire, l'association française en charge de l'industrie ferroviaire - notamment les grands opérateurs et grands constructeurs de locomotives tels Alstom - a aussi besoin d'investir.
De nombreux effets d'annonces sont faits au sujet de l'hydrogène. Ils sont évidemment importants puisqu'ils permettront de développer cette technologie. Cependant, l'hydrogène doit être vert et nous ne disposerons pas d'hydrogène dès demain ni de locomotives susceptibles de fonctionner à l'hydrogène. La construction de nouveau matériel devra utiliser des nouvelles technologies, ce dont nous devons tenir compte.
Des technologies hybrides existent aussi mais elles en sont encore à leurs prémices et nous n'avons pas encore choisi d'investir dans ce domaine. L'entreprise que je dirige a beaucoup investi dans de nouvelles locomotives. L'hybride est peut-être une solution mais elle n'a de sens que si vous êtes à 90 % en électrique et à 10 % pour le last mile en diesel, pour l'arrivée sur les sites. Ces locomotives coûtent environ 5 millions d'euros pièce. Là aussi, il est nécessaire que les opérateurs européens (notamment les groupes Stadler et Alstom) puissent bénéficier d'une volonté de l'État et des régions de développer cette activité.
Mme Isabelle Delon. - Globalement, l'ensemble du trafic ferroviaire génère dix fois moins de CO2 que le trafic routier. Il faut évidemment prendre en compte le fait qu'une grande partie du trafic ferroviaire fonctionne sur un mode électrique. Les possibilités de développement concernent aussi ces axes où existe la disponibilité d'une infrastructure permettant l'usage d'un mode électrique pour développer le ferroviaire. Par ailleurs, un train de marchandises permet de remplacer quarante poids lourds. En outre, un train de fret entraîne huit fois moins de pollution de l'air, comparé au trafic routier. Ces chiffres sont peu connus. Il existe un enjeu de sensibilisation de l'ensemble des citoyens. Je crois d'ailleurs que la convention citoyenne a fortement encouragé, par ses propositions, un développement plus important des modes durables.
Nous avons également une responsabilité. Je ferai le lien avec le projet de convention que nous allons signer avec VNF sur le développement des modes durables. Nous avons justement inclus dans ce projet des actions de sensibilisation communes des logisticiens d'aujourd'hui et des logisticiens de demain. Cela signifie à la fois mener des actions de plus en plus coordonnées entre nous vis-à-vis des grands industriels qui réfléchissent à la logistique de demain et qui ont des enjeux de verdissement de leur côté. Ces investissements se préparent souvent dans le long terme. Nous pourrions alors tenter d'influer sur le choix d'une logistique plus ferroviaire ou fluvial que routière et, avec l'ensemble des acteurs (collectivités, État, Europe), sur le positionnement de certaines plateformes multimodales.
J'évoquais le logisticien d'aujourd'hui qui doit construire la logistique de demain. Dans l'action que nous menons avec VNF, nous avons aussi prévu des sensibilisations dans les formations, pour que dans la logistique et dans les formations logistiques, le mode ferroviaire ou fluvial soit aussi davantage pensé à l'intérieur de la chaîne de logistique globale.
Concernant la convention que nous allons signer prochainement avec VNF, SNCF Réseau s'est fortement impliqué pour travailler avec l'alliance 4F et apporter toutes les impulsions ou suggestions de travail en commun auprès des opérateurs ferroviaires, des opérateurs transport combiné et des chargeurs.
Nous avons aussi souhaité travailler avec VNF en tant que gestionnaire d'infrastructures. Dans ce cas, il s'agit donc plutôt de l'alliance des gestionnaires d'infrastructures, pour partager ensemble plusieurs actions. Ces actions sont assez modestes pour le démarrage. Néanmoins, nous avons vraiment cette ambition de faire peser davantage le choix d'un mode durable pour le développement des marchandises.
Les actions envisagées sont finalement assez simples, comme des listes de marché communes et des analyses des opportunités de complémentarité renforcée entre nos deux modes. Il peut aussi s'agir parfois du partage d'informations sur les travaux nécessaires sur nos infrastructures pour assurer leur renouvellement. Nous pouvons ainsi nous assurer que nous n'allons pas faire des travaux au même moment sur le même axe, et donc gêner nos clients communs en ne leur offrant pas de possibilités d'alternatives. Nous serons ainsi en mesure de mieux nous coordonner et donc permettre des alternatives qui ne sont pas forcément utilisées ou imaginées aujourd'hui. Nous pourrons enfin aller, pourquoi pas, vers un principe d'offre multimodale ferroviaire-fluvial.
J'aimerais aussi insister sur le fait que cette alliance entre VNF et SNCF Réseau est partie des territoires et notamment de l'axe Seine (la Normandie et l'Île-de-France). L'axe Seine avait bien identifié des enjeux de complémentarité entre le fluvial - je pourrais même dire les ports - et le ferroviaire. Des investissements ferroviaires importants existent cependant sur cet axe avec la modernisation de Serqueux-Gisors, comme un nouvel axe alternatif pour le trafic ferroviaire. Nous avons vraiment identifié des leviers d'action communs. Le contrat que nous signerons prochainement porte à la fois sur les enjeux territoriaux et nationaux, afin de développer la part modale des modes durables et massifiés.
M. Frédéric Delorme. - Dans la vision du développement, il y a les grands axes, les noeuds du réseau et la capillarité pour drainer les trafics, par la route ou par le rail, vers ces grands axes, ayant eux-mêmes des noeuds.
Nous travaillons avec SNCF Réseau sur la question des grands corridors français qui écoulent beaucoup de trafic, en lien avec tout type d'opérateurs, et qui permettent d'accéder au réseau européen. Il se trouve qu'en France, un des points faibles est la saturation des noeuds comme Lyon ou l'Île-de-France. La Bretagne sait bien que l'envoi de marchandises ferroviaires depuis la Bretagne se joue à Paris. D'autres zones, telles que Lille, sont saturées et le seront de plus en plus.
Par rapport à l'Europe, nous avons intérêt à défendre cette particularité française. Il est inutile d'investir sur le European Rail Traffic Management System (ERTMS), le nouveau système de signalisation sur le réseau, si les noeuds sont saturés. Nous avons un vrai problème en France, afin de parvenir à désaturer les noeuds du réseau européen.
Par ailleurs, concernant les autres types de noeuds, qui sont multimodaux, vous avez eu tout à fait raison d'évoquer les ports et le fluvial. Tout d'abord, 4F est très proche de VNF et de Thierry Guimbaud, son directeur général, avec lesquels nous travaillons. Nous nous appellerons peut-être 5F un jour. Cela a été évoqué. Pour le moment, il s'agit de coopération volontaire. Dans l'évolution de la conception logistique, nous devons pouvoir passer facilement de la barge du bateau au train. Or il existe souvent des ruptures de charges. C'est compliqué lorsque nous voulons avoir les faisceaux. Il s'agit donc d'un point de progrès. Par ailleurs, il y a les automatismes. À Duisbourg en Allemagne, la plateforme multimodale est hyper performante et très automatisée. La question du soutien à l'investissement sera donc importante pour ces plateformes.
Ensuite, concernant le développement du transport combiné, les noeuds représentent aussi quinze plateformes supplémentaires. Ces plateformes terrestres seront, d'ici dix ans, implantées en France. Dans l'idéal, certaines d'entre elles devraient être connectées au fluvial, afin d'être complètement multimodales.
J'en viens à la capillarité, qui est importante.
40 % des trafics ferroviaires passent par des lignes capillaires. Il ne
faut pas oublier les petites lignes car ce sont les petits ruisseaux qui
forment les grandes rivières sur les grands corridors. Pour cela, la
politique devrait être de favoriser la réouverture des
installations terminales embranchées qui dorment, d'améliorer
celles qui existent et de penser aux plateformes routières qui sont
à proximité
- car nous pouvons drainer par la route vers des
hubs du ferroviaire. En ce sens, le transport routier est un vrai
complément.
De mon point de vue, le dernier kilomètre est fondamental dans le travail collaboratif avec la route. Il ne s'agit pas d'un seul dernier kilomètre à proprement parler mais de dizaines voire d'une centaine de kilomètres. Si le transport routier draine du trafic dans nos régions vers le transport ferroviaire, cela crée de l'emploi en France. L'incitation du tracteur routier à être compatible avec le développement durable (électrique, hydrogène ou gaz) permettra de créer une économie décarbonée et davantage d'emplois en France.
Depuis vingt ans, c'est le transport de pavillons routiers étrangers qui a bénéficié de l'accroissement du trafic de marchandises. Il a été multiplié par onze tandis que celui qui était sous pavillon français était multiplié par deux et demi et le fret ferroviaire divisé par deux. Il faut donc rééquilibrer les parties routières et ferroviaires nationales, créer des emplois en France et travailler la complémentarité. De ce point de vue, le Groupement national des transports combinés (GNTC), qui fait partie de 4F, est très actif avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), pour faire avancer cette idée que le combiné est l'avenir du routier et du ferroviaire en France.
J'aimerais évoquer une solution qui ne coûterait pas cher pour favoriser cette connexion avec davantage de marchandises qui passeraient par la route puis le rail. Elle consiste à favoriser l'utilisation de transports routiers jusqu'à 46 tonnes en dérogation (contre 44 tonnes aujourd'hui) uniquement pour les camions qui amèneraient des marchandises à mettre sur du transport propre, ferroviaire ou fluvial. La dérogation des 44 tonnes avait été initialement envisagée pour permettre ce transfert modal vers le rail. Finalement, elle est devenue généralisée sur tout le territoire. Elle n'a donc pas eu d'impact sur le transfert modal ferroviaire. Cette fois-ci, la proposition est de passer de 44 à 46 tonnes et d'autoriser cette circulation exceptionnelle quand les camions viennent faire quelques dizaines de kilomètres pour amener de la marchandise au rail.
M. Frédéric Marchand. -Hasard du calendrier ou pas, l'Institut du développement durable et des relations internationales ainsi que l'Université Gustave Eiffel produisent cette semaine une note qui s'inscrit parfaitement dans le thème de notre mission d'information et de notre table ronde. Cette note vient compléter les travaux qui ont été menés tout au long de l'année 2020. La note s'intitule Comment la Stratégie de développement du fret ferroviaire peut renforcer l'ambition du secteur en France ?
Nous savons que le fret ferroviaire possède des atouts incontestables pour jouer un rôle important dans la transition vers une économie neutre en carbone en 2050. La stratégie de développement du fret ferroviaire doit définir un objectif de la part modale du fret ferroviaire à l'horizon 2050, avec des étapes intérimaires (2030 et 2040) cohérentes avec une France neutre en carbone. Les dernières stratégies sectorielles récentes, de 2009, 2012, 2013 et 2016, ont toutes proposé des mesures de développement des infrastructures et d'amélioration de la compétitivité du rail. Ne pensez-vous pas que cette stratégie doit appréhender comment évoluera le contexte d'ensemble : les types de marchandises, avec des évolutions macroéconomiques et sociales importantes et qui se poursuivront, l'organisation des chaînes logistiques, les attentes vis-à-vis des services de transport et les offres alternatives ? Ne pensez-vous pas qu'elle devrait ensuite détailler quelles infrastructures ferroviaires devraient être développées ou non, et sont cohérentes avec les évolutions de son contexte logistique ? Et enfin, ne pensez-vous pas qu'elle doit établir la gouvernance de sa mise en oeuvre logistique et son adaptation dans le temps ?
M. Philippe Tabarot. -Vous avez, pour la plupart d'entre vous, participé à notre avis budgétaire. Vous avez été très disponibles et nous avons entendu un certain nombre de remarques pertinentes que nous avons essayé de traduire dans notre rapport pour avis sur le projet de loi de finances.
Mme Delon, je salue la réorganisation actuelle de SNCF Réseau, au niveau national et territorial. À l'heure où nous parlons, vos équipes travaillent sur l'ensemble du territoire national. J'ai une pensée pour celles qui interviennent en ce moment dans la Vallée de la Roya, dans des conditions très difficiles. Elles travaillent sous la neige, dans un chantier particulièrement périlleux. Je peux m'apercevoir que, dans les périodes compliquées, Réseau a des compétences et est particulièrement efficace sur ces chantiers, ô combien difficiles.
Vous aurez véritablement besoin de cette réorganisation de Réseau. Vous avez-vous-même dit, Mme Delon, que le réseau et les infrastructures ont un rôle capital. Il s'agit de la base de toute réussite dans le cadre des ambitions de la politique, au niveau du fret ou au niveau du ferroviaire en général, que nous pouvons avoir dans notre pays. Tout passe par les infrastructures et par le gestionnaire de ces infrastructures.
Je rappelle ce que disait le président Farandou : le réseau est en mauvais état, deux fois moins bien entretenu - ou qui mettra, en tout cas, deux fois plus de temps à être régénéré - que le réseau allemand. Le train serait ralenti sur 5 600 kilomètres de voies ferrées, faute d'entretien. La nécessité de faire des investissements sur les lignes capillaires et les lignes de dessertes fines du territoire s'impose donc forcément.
Les budgets annoncés sur le plan de relance semblent rassurants, même si nous aurions aimé encore plus de moyens. Dans cette commission, nous avions proposé un amendement sur les petites lignes ferroviaires. Nous reviendrons nécessairement à la charge sur ce sujet. Nous espérons pouvoir sauver ces petites lignes dans notre pays, car elles sont importantes pour le transport de voyageurs mais pour le fret également.
Je me demande tout simplement comment vous allez faire. Des travaux conséquents seront menés, puisque des millions d'euros sont annoncés, et même un milliard pour le fret, dans les années à venir. Nombre de lignes dans notre pays seront concernées. Vous devrez tenir les engagements que vous avez pris devant les membres de 4F. Vous avez notamment dit que Réseau est prêt à participer pour doubler la place du fret ferroviaire dans notre pays en 2030 et pour passer de 9 % à 18 %.
Dans le cadre des transports de voyageurs, vous devez trouver des sillons supplémentaires pour les services librement organisés (SLO) afin que l'ouverture puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Bien sûr, il ne faudra pas réserver les meilleurs sillons pour SNCF Voyageurs et transférer les sillons dont personne ne veut aux concurrents.
Vous devez également proposer des sillons aux régions dans le cadre des transports conventionnés. En outre, les régions ont besoin d'une vision à long terme, à cinq ou dix ans, tout comme les opérateurs qui interviendront pour ces régions.
Enfin, l'État s'est redécouvert une passion pour le train de nuit, et c'est tant mieux Dans le plan de relance, des sommes lui sont consacrées et certaines lignes sont fléchées telles que Paris-Tarbes ou Paris-Nice. Je lisais ce matin, dans le Figaro, que des évolutions se feraient également au niveau européen sur les trains de nuit. Une ligne entre Vienne, Munich et Paris est ainsi annoncée, de même qu'une ligne entre Berlin et Paris dans les années futures.
Je me pose tout simplement une question, par rapport à ces projets et aux moyens qui semblent se dégager notamment de l'État et des différentes collectivités territoriales de l'Europe. SNCF Réseau ne risque-t-il pas d'être le maillon faible des ambitions ferroviaires de notre pays ?
M. Guillaume Chevrollier. - Le développement du fret est une priorité face aux enjeux environnementaux. Dans la région des Pays de la Loire, nous sommes mobilisés dans le cadre du plan de relance. Une étude a été initiée, avec vos services d'ailleurs, pour relancer le fret ferroviaire. En France, le niveau de fret a été divisé par deux en trente ans. Aujourd'hui, nous prenons le chemin inverse. Cette politique de l'essuie-glace est d'ailleurs assez fréquente.
Je souhaite vous interroger sur le travail que vous menez en lien avec les transporteurs routiers, les grands acteurs du secteur mais aussi les petites et moyennes entreprises (PME), qui sont nombreuses dans mon territoire. Comment articuler ce changement d'orientation stratégique ? S'il y a une montée en puissance du fret ferroviaire, cela aura des incidences sociales très fortes. Quel travail mener avec ces entreprises de transport routier ?
Ma deuxième question portera sur les petites lignes du territoire. Vous avez évoqué le réseau capillaire fret. Le réseau des petites lignes pour les voyageurs est également beaucoup cité. Pour le fret, quelle est votre vision sur ces petites lignes et notamment celles qui pourraient être en impasse sur une trentaine de kilomètres ? Comment voyez-vous leur pérennité dans le temps ? Ont-elles une viabilité ? Quel est leur lien possible avec le transport routier ?
Mme Isabelle Delon. - Merci de vos questions et de l'hommage rendu aux équipes de SNCF Réseau. Je pense effectivement que les équipes sont, avec les acteurs territoriaux, très mobilisées pour essayer de rétablir un trafic normal sur cette ligne. Cette ligne a d'ailleurs démontré tout son intérêt territorial et de desserte locale dans un territoire dont il faut reconnaître qu'il est quelque peu difficile d'accès. En raison du contexte, les accès routiers sont aussi extrêmement perturbés. Merci de cet hommage à l'engagement des cheminots.
Je me réjouis de vous entendre être l'avocat du gestionnaire d'infrastructures, en mettant en lumière tous les défis qui sont les nôtres dans les prochaines années. C'est d'abord le signe qu'il s'agit d'une véritable demande ferroviaire, pour les trafics voyageurs, longue distance, régionaux ou de très grande proximité, comme nous pouvons essayer de les développer avec les collectivités territoriales sur les grandes métropoles. Je pense qu'il s'agit d'un élément très porteur.
Cela représente aussi un défi pour nous car le réseau est unique. Le principe du transport guidé, où on ne se double pas comme sur une autoroute, régule le système avec un certain nombre de principes de fonctionnement. Ce système exige une espèce de règle du jeu partagée. Il exige même une « discipline collective » afin de bien utiliser le réseau dans toutes ses possibilités et potentialités. Il est également important que chacun trouve des réponses dans son utilisation du réseau tout en faisant en sorte qu'il existe un équilibre entre les besoins du fret, des trains de nuit, du transport régional ou quotidien.
Comment allons-nous faire ? Nous ne pouvons formuler une réponse immédiate. J'aimerais cependant rappeler quelques éléments sur le contexte.
Le plan de relance de plus de 4 milliards d'euros permet à SNCF Réseau de maintenir, en 2021, les 2,9 milliards d'euros d'investissements prévus pour la régénération du réseau. Ces 2,9 milliards d'euros étaient prévus mais ils étaient menacés avec la crise de la Covid-19. Cette année, SNCF Réseau a perdu environ un milliard d'euros de recettes. Notons que les recettes de SNCF sont entièrement dédiées aux investissements de régénération du réseau. Grâce au plan de performance, on peut maintenir ce niveau d'investissements en 2021 pour générer et renouveler le réseau. Cela bénéficie à tous les opérateurs qui circulent et, évidemment, à toutes leurs parties prenantes.
Néanmoins, ce niveau d'investissements n'est pas suffisant pour entretenir les presque 30 000 kilomètres de lignes du réseau. Une expertise indépendante avait évalué qu'il fallait environ 3,7 milliards d'euros d'investissements chaque année pour remettre à niveau l'ensemble du réseau dans toutes ses composantes. Aujourd'hui, nous dédions principalement les investissements dont nous disposons au réseau structurant, utilisé par tous.
Au-delà de l'enjeu financier, il existe aussi un enjeu technique. Cet enjeu concerne la bonne exploitation du système ferroviaire, la bonne articulation des demandes des différents opérateurs de transports et la bonne exploitation des noeuds ferroviaires et des axes structurants. Ces axes structurants sont extrêmement sollicités par tous les demandeurs opérateurs ferroviaires mais aussi par les travaux, compte tenu de ce besoin très important de renouvellement.
Cet exercice demande de l'anticipation. Plus nous pouvons anticiper les besoins futurs et plus nous pourrons préparer les conditions de la réalisation de ces nouveaux services. Cela peut parfois être la difficulté du transporteur de fret ferroviaire puisqu'il ne dispose pas forcément de cette capacité à anticiper ses besoins futurs à trois ou cinq ans. Cela fait partie des éléments sur lesquels nous avons envie de travailler ensemble. Le gestionnaire d'infrastructures a aussi le rôle de projeter les futurs besoins ferroviaires sur le réseau pour essayer de faire de la place pour les opérateurs ferroviaires.
C'est également un défi humain. En effet, il faut développer les bonnes compétences au sein des équipes pour pouvoir répondre à l'ensemble des demandes. Il s'agit aussi d'un changement culturel puisque vous avez évoqué l'arrivée de nouveaux opérateurs, ayant des pratiques parfois différentes de celles que nous connaissons. Il s'agit aussi d'être capable d'écouter leurs attentes, de les accompagner et, tout cela, avec la nécessité de neutralité, d'indépendance et de confidentialité. Ces dernières font partie des obligations de SNCF Réseau.
Je serai assez modeste sur la réponse à la question de M. Tabarot. Je pense néanmoins que le projet stratégique que je rappelais tout à l'heure, dans ses grandes ambitions, vise, à partir de 2021, à répondre de façon progressive à cet enjeu de qualité. La qualité est en effet la première attente des opérateurs mais aussi de leurs clients (industriels dans le domaine du fret ou voyageurs utilisant les services au quotidien). Je dirais que notre ambition est de progresser ensemble, petit à petit, avec les différentes parties prenantes, sur le chemin de la qualité et du développement.
M. Frédéric Delorme. - J'aimerais revenir sur la question des PME. Il est vrai que le tissu des entreprises est constitué, pour beaucoup, d'entreprises de type PME dans le domaine routier. Il en existe aussi dans le domaine ferroviaire, que l'on appelle les organismes ferroviaires de proximité.
Nous qui sommes pourtant l'opérateur numéro un en France, ressentons des potentiels de partenariats et de modèles différents qui peuvent cohabiter, et notamment sur les petites lignes. Sur ces petites lignes, des entreprises, plus agiles que des grands opérateurs, peuvent être le bon complément pour faire à la fois de la gestion de maintenance d'infrastructures, exploiter le dernier kilomètre, procéder à de la collecte-distribution chez plusieurs chargeurs n'ayant pas beaucoup de marchandises mais qui, ensemble, peuvent finir par former un train entier. Ce modèle doit se développer dans les territoires. Il existe de nouvelles opportunités pour le faire.
Je vais plutôt parler du domaine routier, au nom du GNTC. Ce dernier est très à la manoeuvre pour échanger avec la FNTR. Le tissu routier est fait de PME. Tout d'abord, il faut savoir que la route est le client du rail. Ensuite, il faut considérer que la route est notre référence en termes de qualité et de services. Le premier effort est déjà de satisfaire les routiers quand ils sont clients du rail, afin de donner envie aux routiers de s'intéresser au rail. Cela nous appartient.
Par ailleurs, il est nécessaire d'éduquer pour passer du mode routier classique à un mode routier qui fait du combiné en complément du rail ou du fluvial. Ce n'est pas la même logistique ni la même organisation. Ce ne sont pas forcément, non plus, tout à fait les mêmes compétences. J'ai moi-même pu assister à des échanges entre la FNTR et le GNTC qui montrent que le GNTC est prêt à former les PME afin de démystifier le transport combiné. En effet, faire de la relativement courte distance et du « point à point » sur la longue distance sont deux métiers différents. Pour eux, la question de l'investissement se posera également. Il existe peut-être aussi des opportunités avec ce qu'appelle le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4). Ce programme peut entrer dans ces financements pour faire la mutation d'un camion adapté à un transport routier longue distance classique à un camion qui tire un conteneur pour rejoindre un hub ferroviaire. Tous ces leviers sont encore à activer mais ils sont extrêmement puissants pour développer le transport multimodal, et notamment la partie décarbonée qu'est le rail.
M. Raphaël Doutrebente. - Par rapport à votre point concernant le réseau capillaire et le développement au niveau de ces réseaux, je crois que les OFP ont un rôle important à jouer. Néanmoins, les opérateurs ferroviaires - que ce soit Fret SNCF ou nous - sont confrontés à un écueil. Cet écueil concerne notamment les céréales, dans le Grand Ouest, le Centre et l'Est : les infrastructures et les accès aux silos sont extrêmement dangereux, avec soit des restrictions de vitesse soit des fortes chaleurs, souvent déclenchées à partir de vingt degrés. Les photographies sont assez impressionnantes. Il n'est plus possible de faire passer un train sur des voies déformées par la chaleur. Lorsqu'il y a 1 600 tonnes à tirer sur une voie capillaire en mauvais état, vous êtes obligé d'arrêter. Je pense qu'il s'agit en effet d'un grand défi pour SNCF Réseau. Mais ce constat est aussi le résultat de nombreuses années porteuses de promesses non concrétisées.
Nous avons besoin d'une vraie volonté avec un plan quinquennal. Ne m'en voulez pas d'évoquer un plan quinquennal, n'y voyez aucune connotation politique de ma part. J'insiste sur le fait que nous pourrions enfin avoir un dossier d'avenir, comme nous avons désormais un Haut-Commissaire au plan. Nous avons vraiment besoin de nous mettre autour de la table et de nous donner les moyens. Chez Europorte, nous réalisons de la gestion d'infrastructures déléguée par Réseau, ce que nous faisons tout à fait correctement, me semble-t-il. Il s'agit d'une responsabilité importante. Néanmoins, nous le faisons et nous savons le faire car SNCF Réseau nous l'a délégué.
Sur les travaux, un important travail doit être mené, sinon de plus en plus d'industriels ne verront pas la régénération de ces voies. Ces industriels iront chercher des camions, et pas forcément avec des emplois en France. Ils iront chercher des camions très loin parce qu'évidemment, avec la crise, ils sont en grande difficulté pour certains, avec une sorte de volonté de casser un peu les prix. Ils pourraient être tentés de ne pas aller dans le sens de l'Histoire, en matière d'empreinte environnementale et, surtout, d'avenir pour notre industrie.
J'insiste sur le fait que les céréaliers sont très importants pour nous tous, et jouent un rôle clé sur notre chiffres d'affaires mais aussi sur les emplois qu'ils créent. Beaucoup de tonnes de céréales doivent être amenées vers les ports, ce que nous faisons. Pour alimenter les grands corridors, nous avons vraiment besoin des voies dans un état adéquat.
M. Franck Agogué. - J'aimerais juste apporter une réponse complémentaire à la question qui a été posée à SNCF Réseau. Lorsque j'entends que le fret ferroviaire fait 250 millions d'euros de chiffre d'affaires sur un chiffre total de six milliards, je me dis que l'incitation n'est peut-être pas si importante que ça. Je me demande s'il ne faudrait pas réfléchir collectivement à des leviers d'amélioration de cette incitation. Ces incitations seraient évidemment positives. Cela fait partie des sujets dont j'aimerais qu'ils soient développés.
Par ailleurs, les questions un peu plus générales de prospectives économiques me donnent l'occasion d'indiquer qu'en parallèle, nous travaillons sur une stratégie nationale portuaire. J'espère que cette stratégie sera prochainement présentée et publiée. J'espère qu'il y aura un comité interministériel à la mer. Tout ce qui sera positif pour la compétitivité, la fiabilité et la fluidité des ports, ne pourra l'être qu'en améliorant tout ce qui peut l'être sur la connexion au réseau ferroviaire français. Ces éléments sont dans la stratégie nationale portuaire et doivent être dans celle du fret ferroviaire.
Mme Martine Filleul. - Vos interventions sont extrêmement positives, marquées par une prise de conscience forte de la nécessité de privilégier le transport de marchandises par des modes générant moins de CO2. Vous avez - et c'est bien - l'ambition de reconquérir des parts de marché. D'un autre côté, vous semblez avoir maintenant les moyens de remplir ces objectifs, donc tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
J'aimerais simplement mentionner deux points de vigilance, plus ou moins déjà évoqués par mes collègues.
Le premier point concerne l'humain. Vous avez beaucoup parlé d'économie mais assez peu de la pâte humaine, sauf pour faire état de l'excellence des équipes de SNCF Réseau. La forte diminution des personnels, depuis de nombreuses années et en particulier chez SNCF Réseau, a été peu évoquée. Dans ma région, si je prends l'exemple de la gare de triage de Somain, ses effectifs se sont réduits comme peau de chagrin au fil des années. Je me demande donc comment vous allez parvenir à construire des compétences et des spécialités tellement importantes dans le domaine du fret ferroviaire.
Le deuxième point de vigilance sur lequel je veux appeler votre attention est la nécessité d'une véritable analyse systémique. Je suis toujours inquiète de notre tendance naturelle française à travailler par tuyaux d'orgue. Nous devons vraiment changer notre logiciel, travailler en articulant de manière privilégiée le fluvial et le ferroviaire, en particulier au niveau des ports. Toujours dans le même état d'esprit, nous devons avoir une vision de l'aménagement du territoire, dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui. Avec les moyens dont nous disposons, quels axes seront privilégiés ? Comment allez-vous organiser des chaînes logistiques cohérentes qui nous permettront d'améliorer de manière juste l'ensemble du territoire français ?
M. Étienne Blanc. - À plusieurs reprises, vous avez abordé la question des noeuds ferroviaires et notamment du noeud ferroviaire lyonnais. Aujourd'hui, entre les ports d'Europe du Nord et les ports du Sud de la France, tout passe par le couloir rhodanien puis traverse Lyon et la gare de la Part-Dieu. Le trafic qui provient de la péninsule ibérique en direction de l'Europe de l'Est passe aussi par la gare de la Part-Dieu. Cela pose un véritable problème, à la fois pour le fret et pour les TER.
L'Europe a justement décidé de financer massivement le projet Lyon-Turin, qui est en réalité un projet européen. Ce projet permettra de mieux relier la péninsule ibérique à l'Europe de l'Est. L'Europe augmente ses participations sur le tunnel de base. Elle a aussi récemment annoncé qu'elle était prête à financer les voies d'accès au Lyon-Turin. Pour être clair, cela signifie que l'Europe serait en mesure de financer une partie du contournement Est de l'agglomération lyonnaise, au même titre qu'elle pourrait financer une grande partie de l'accès à ce réseau ferroviaire nouveau (depuis Grenoble, Chambéry et le sillon alpin).
Ma question est donc simple. Aujourd'hui, du fait de ces financements européens, SNCF Réseau considérera-t-il que les investissements sur ce secteur sont devenus prioritaires et que, du fait des financements européens, le contournement de Lyon est aujourd'hui possible ? Je rappelle que les collectivités territoriales ont accepté d'y apporter une part à hauteur d'un milliard d'euros.
M. Stéphane Demilly. - Nous avons tous constaté que le transport par rail concerne 9,9 % des marchandises. Le deuxième constat, plus alarmant, est que la part modale du transport ferroviaire n'a cessé de diminuer ces dernières années. À titre d'exemple, en 1974, 46 % des marchandises étaient transportées par rail contre 30 % dix ans plus tard. Ce chiffre est aujourd'hui supérieur à 9 %, comme je viens de le dire. C'est beaucoup moins que nos voisins, avec des taux de 35 % pour la Suisse, 32 % pour l'Autriche et 18 % pour l'Allemagne.
Durant ces dernières années, les
différents gouvernements successifs ont pris de nombreuses initiatives
pour relancer le fret, sans succès. Plusieurs raisons sont
avancées pour expliquer l'échec des précédents
plans de relance. On a parlé de désindustrialisation, de crise
économique, d'ouverture à la concurrence et de perturbations
liées aux mouvements sociaux. Une raison est peu évoquée,
celle de la confiance perdue des acteurs économiques et
-
permettez-moi d'utiliser un terme trivial - de la confiance perdue des clients.
Si mon dernier point constitue une réalité, quelle
stratégie avez-vous enclenchée pour reconquérir les
clients, qui sont le point de départ du projet
économique ?
Par ailleurs, j'aimerais vous poser une question ayant trait à l'environnement. M. Delorme a rappelé les vertus environnementales du fret ferroviaire. À la tonne-kilomètre transportée, le rail émet effectivement huit fois moins de particules nocives que la route, consomme six fois moins d'énergie et émet neuf fois moins de CO2. En conséquence, le doublement de la part du fret ferroviaire sur dix ans représenterait huit millions de tonnes de CO2 émises en moins en 2030.
En juillet dernier, le Premier ministre Jean Castex a détaillé des mesures d'un plan de reconquête ferroviaire. Le ministre Jean-Baptiste Djebbari a annoncé à plusieurs reprises que l'État serait au rendez-vous budgétaire. M. Delorme, j'ai entendu votre satisfaction devant le plan de relance. J'ai également entendu les trois conditions de réussite que vous avez évoquées : la synergie pour développer et optimiser le combiné, l'éco-bénéfice qui devrait être intégrée dans la rentabilité sociétale et la réflexion sur le temps long. J'ai cru entendre le chiffre de treize milliards d'investissements. Comme mon collègue M. Tabarot, je souhaite connaître la stratégie financière envisagée pour absorber la totalité de ces investissements.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci. Je compléterai la question. Comment reconquérir la confiance des clients ? Il me semble que cette question est très importante pour que le fret puisse fonctionner.
Mme Isabelle Delon. - Concernant les moyens, un plan de relance significatif est mis en oeuvre par le Gouvernement. Ce plan de relance permet de maintenir un certain nombre d'efforts d'investissements sur le réseau. Pour autant, si nous voulons vraiment améliorer durablement le réseau pour développer la qualité, regagner la confiance et reconquérir les clients, un investissement financier plus important doit être engagé dans la durée. Il manque aujourd'hui un milliard d'euros par rapport au besoin d'investissements sur la totalité du réseau, y compris les lignes capillaires évoquées. Aujourd'hui, ce milliard d'euros n'est pas là.
Par ailleurs, j'ai évoqué la dimension humaine sous l'angle des compétences. Je n'ai pas évoqué l'humain sous un autre angle, celui de l'adaptation nécessaire de la façon dont nous réalisons le service ferroviaire, en tout cas pour SNCF Réseau. Ce service ferroviaire nécessite à la fois d'apporter plus d'efficacité et de s'appuyer sur des solutions plus modernes. Il s'agit aussi de moderniser un certain nombre de nos installations. Vous savez qu'à SNCF Réseau, nous avons la chance d'avoir à la fois des installations du XIXe siècle et du XXIe siècle. Nous avons un enjeu important de modernisation de nos installations. Cela se fait progressivement en fonction de nos possibilités financières. Pour continuer, il nous faut engager des actions, notamment en matière de digitalisation, par exemple des postes d'aiguillage. Nous devons donc développer les compétences qui nous permettront de mieux utiliser ces installations modernes.
Pour SNCF Réseau, nous avons également un enjeu d'amélioration de sa performance, avec un effort de performance que nous réalisons également dans le cadre de notre trajectoire stratégique. En outre, cet effort de performance est fixé dans le cadre du contrat de performance avec l'État. Il s'élève à 1,6 milliard d'euros sur dix ans, d'ici à 2026. Ces éléments permettent de vous donner quelques points de repère sur les besoins d'investissements et sur les efforts qui sont réalisés par SNCF Réseau.
Nous partageons par ailleurs ce besoin qui a été évoqué de désaturation des grands noeuds. Le noeud ferroviaire de Lyon en est un bon exemple. Des études ont été engagées. Il y a eu un avancement en termes de vision du schéma d'ensemble. En revanche, la décision n'est pas celle de SNCF Réseau mais plutôt des parties prenantes pour réaliser l'ensemble de ces opérations. L'aide de l'Europe est évidemment bienvenue. Je pense qu'il faut, comme cela a été rappelé tout à l'heure, aller solliciter les possibilités du plan de relance européen pour accompagner la réalisation de ces grands projets. Néanmoins, je ne pense pas que les aides européennes permettront de finaliser l'ensemble du tour de table financier qui est nécessaire pour ces grands investissements. Il est donc vraiment important de continuer à travailler ensemble sur les conditions de réalisation de ces grands investissements.
J'aimerais ajouter un dernier mot sur la reconquête des clients et de la confiance. Pour Réseau, le premier sujet est vraiment la performance du réseau et la qualité des sillons, des horaires qui pourront être proposés. Cette qualité et cette reconquête se construisent vraiment à plusieurs. J'ai apprécié que Mme Filleul souligne que nous ne pouvions pas y arriver seuls, si chacun reste dans son tuyau d'orgue. C'est ensemble que nous y arriverons, notamment en considérant aussi les contraintes de chacun. Les conditions de réalisation d'une bonne qualité de services sont à réunir. Je pense aux clients ayant des besoins de transport de marchandises puisqu'ils s'engagent, eux aussi, sur des schémas logistiques à long terme. Comment pouvons-nous, avec eux, nous projeter sur un principe de logistique, ferroviaire autant que possible, avec des enjeux d'efficacité que nous pouvons construire ensemble afin de les concrétiser en parts de marché d'ici quelques années ?
M. Frédéric Delorme. - J'aimerais revenir sur l'humain. Vous avez eu tout à fait raison d'insister sur ce point. Nos activités concernent des investissements mais elles concernent également beaucoup le capital humain. Force est de constater qu'avec un recul de moitié du trafic ferroviaire, les effectifs dans nos entreprises se sont adaptés à ce niveau de trafic, y compris chez les opérateurs privés. La question sera tout d'abord de passer le cap de la période actuelle, qui est rude. Nous faisons force de pédagogie en interne sur le fait que, malgré un plan de relance qui est une bonne nouvelle pour préparer l'avenir, l'économie est ralentie à court terme. Pour vous donner un ordre d'idées, le trafic est diminué de 20 % pour Fret SNCF, par rapport à une année normale. Très clairement, nous pourrions en faire plus. Le problème est que nos clients sont en difficulté. Nous comptons donc beaucoup sur la reprise économique et sur le plan de relance économique qui accompagnera le plan de relance du fret ferroviaire.
Nous avons tous des machines de formation que nous savons mettre en oeuvre pour récupérer des compétences et les développer. Nous avons parlé des OFP. Un nouveau type de compétence peut apparaître, celui de l'opérateur un peu polyvalent, qui peut faire la petite maintenance de l'infrastructure mais aussi exploiter les trains. Je pense que les petites PME locales peuvent inventer un nouveau modèle social, complémentaire et adapté aux lignes capillaires. Ces lignes nécessitent des modèles plus frugaux ou, en tout cas, plus adaptés que des modèles plus nationaux. Cette cohabitation entre différents modèles sociaux me semble possible dans le monde ferroviaire.
Ensuite, je vous rejoins complètement sur la question de l'analyse systémique. Je l'ai citée, en préambule, parmi les trois conditions de réussite. Nous devons vraiment travailler à plat. C'est ce que nous avons fait dans 4F et il s'agissait déjà d'une nouveauté. Cela ne suffit pas car tous les ministères n'étaient pas tous représentés au sein de 4F. La DGITM était présente mais il faudra que soient aussi présents Bercy, le ministère de la cohésion des territoires et le ministère de la transition écologique. Pour travailler à plat, il faudrait également que les chargeurs et les ports soient nos partenaires. Il est donc complexe de faire fonctionner un écosystème. Nous n'y parviendrons effectivement durablement que si les gouvernances respectent ce côté pluriel, au niveau local et national.
La confiance des clients a été abordée. Le premier devoir est la qualité de services. Il est vrai que l'étalon est la route. Nous devons faire notre part dans ce plan de relance. Cela peut nous aider, notamment sur la question des investissements informatiques, numériques. Certaines de ces questions sont très attendues, comme la connaissance précise de l'heure d'arrivée des marchandises, la réservation de capacités et la logique commerciale prix/volume. Évidemment, plus le volume est important et plus nous sommes capables de faire des prix compétitifs. Les cheminots de toutes les entreprises ferroviaires ayant montré pendant la crise du premier confinement que le fret était stratégique, il existe aujourd'hui une reprise de confiance et d'exigence des chargeurs, s'agissant de l'importance stratégique du fret. Pendant cette période, les meilleurs défenseurs du système de wagons isolés ont été les chargeurs. Un rapport a été rédigé par huit sociétés, avec l'Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), qui exploite le wagon isolé. Ils ont été les meilleurs défenseurs du plan de relance du transport ferroviaire.
Je terminerai sur la question de l'écologie et des 13 milliards d'euros, dont un seul est acquis à court terme. Il s'agit du milliard d'euros attribué à Réseau pour effectuer des travaux de sauvegarde du réseau (voies de service, triage, amélioration de certains accès à des installations ferroviaires, installations terminales embranchées, lignes capillaires) dans les deux ou trois années à venir. Cela ne permettra pas d'écouler un doublement du trafic. Parvenir à un doublement du trafic rejoint le contournement de Lyon, de Lille, c'est-à-dire les trains longs pour lesquels il faut modifier l'infrastructure plus en profondeur et changer les gabarits des tunnels.
Le rapport Altermind a démontré que ces 13 milliards d'euros dépensés en dix ans, qui concernent essentiellement le réseau, génèrent des co-bénéfices évalués à 25 milliards d'euros sur la période 2020-2040. Cette analyse est celle du professeur d'économie Patrice Geoffron (Paris Dauphine). Il a démontré qu'en valorisant le coût des émissions de CO2, de la congestion et des morts prématurées évitées, les 13 milliards d'euros investis dans le fret ferroviaire génèrent 25 milliards d'euros de co-bénéfices pour la société. Le nombre des morts prématurées est sous-estimé dans notre pays. 50 000 morts prématurées sont causées par la pollution tous les ans. Un rapport du Trésor indique que cela représente plusieurs dizaines de milliards d'euros. Ce n'est donc pas uniquement un drame humain mais aussi un drame économique. Les leviers nous manquent pour concrétiser financièrement ce sujet. Nous savons que la valorisation bénéficie à la société mais une réorientation vers un système vertueux est nécessaire. Ce travail reste à faire. Vous trouverez un certain nombre de propositions dans le rapport d'Altermind.
M. Jean-François Longeot, président. - Vous pouvez compter sur nous pour travailler à vos côtés.
M. Raphaël Doutrebente. - Je reviendrai sur les clients parce qu'il me semble qu'ils sont évidemment le point principal. Je pense que tout le monde doit avoir à l'esprit que l'ouverture à la concurrence a permis de stabiliser la part modale sur les dix dernières années. Nous avons des clients parfois communs mais, comme le disait Frédéric Delorme, nous sommes évidemment concurrents. Je pense qu'il est important pour nous tous que cette concurrence soit saine. J'insiste sur ce point. Cette concurrence ne doit pas concerner uniquement le prix. Si c'est le cas, en définitive, cette concurrence sera au détriment de l'emploi. Europorte est une petite entité mais nous faisons tout de même 130 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous appartenons au groupe Eurotunnel qui génère un milliard d'euros. Nous avons la chance que le président Jacques Gounon soit aussi très impliqué dans le Lyon-Turin.
Cela me permet d'aborder le sujet de l'emploi. Nous avons pu stabiliser et nous augmentons régulièrement nos effectifs. Il s'agit d'un investissement car la formation de conducteur coûte assez cher. Néanmoins, nous formons des personnels à la conduite de trains parce que cette activité est très technique. Le degré de performance, de dextérité et de respect de la sécurité nécessaires à cette pratique est peu connu. En effet, le réseau est assez dense et le conducteur doit savoir bien piloter sa locomotive. Nous avons notre propre centre de formation des conducteurs au niveau du groupe. Cette formation est très exigeante.
En augmentant l'offre aux clients, nous pouvons continuer à augmenter nos effectifs, mais également permettre la croissance du fret. La concurrence saine que nous vivons en France doit continuer. J'insiste sur les termes de concurrence saine.
Concernant les investissements européens dont vous avez parlé pour Lyon, je suis d'accord avec vous pour dire que, sur les quais, c'est un peu dangereux. Je me suis permis de citer les éléments du Green Deal au début de mon intervention. Je pense qu'au niveau de l'État, ces milliards d'euros - qui peuvent finir par donner le tournis - doivent devenir une réalité et être mis rapidement dans le programme des dépenses pour permettre à SNCF Réseau de pouvoir répondre aux besoins. Je remercie Mme Delon de répondre aux questions. Néanmoins, l'étape d'après concerne les questions quand et comment. 23 milliards d'euros devront être trouvés avant le mois d'avril. Les dossiers doivent être montés car ces sommes existent.
Si ce qui a été inscrit dans le plan 4F n'est pas engagé et si toutes ces sommes ne sont pas recherchées, les entreprises ferroviaires auront peut-être disparu dans quelques années. Surtout, nous n'aurons pas permis à notre pays de pouvoir se développer, malgré son grand potentiel. Des gens compétents sont présents dans les régions. D'autres peuvent être formés. Des plateformes peuvent être ouvertes avec un accès au fret. Ce n'est pas du tout illusoire. Dans notre entreprise, nous avons lancé un nouveau trafic de combinés. Aujourd'hui, le combiné est souvent divisé entre les acteurs présents. Ce cannibalisme ne crée pas un cercle vertueux. Nous avons relancé un nouveau trafic pour un nouvel opérateur. Il faut donc de la volonté et nous en sommes dotés. Il faut également que SNCF Réseau soit aidé pour que les travaux soient réalisés avec un vrai plan, afin de rassurer nos clients.
M. Franck Agogué. - Concernant le soutien à SNCF Réseau, je rappelle la reprise de la dette de 35 milliards d'euros, décidée par le Gouvernement. Elle permet de maintenir un volume d'importants travaux de régénération, de l'ordre de 2 ou 3 milliards d'euros par an. Nous ne parlons donc pas d'un milliard d'euros du plan de relance puis de plus rien. Un soutien existe. Est-ce suffisant ? J'entends cette question mais il y a quand même une perspective.
M. Éric Gold. - Le Gouvernement a consenti à un effort réel avec des dépenses importantes prévues dans les mobilités vertes, notamment pour le domaine ferroviaire. Appréhender la déclinaison de cette bonne intention est parfois compliqué, que ce soit dans la réfection des réseaux ou la mise en service des nouveaux matériels. Je voudrais notamment aborder la filière hydrogène renouvelable bas carbone, qui constitue une priorité du plan de relance de l'économie pour accélérer la conversion écologique de l'industrie française. J'ai cru comprendre que cette piste était jugée irréaliste par Monsieur le directeur d'Europorte. Or la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné, présentée dernièrement, vise une accélération massive avec un engagement de crédits dans le cadre du plan de relance. Ces crédits sont en partie fléchés sur le développement des mobilités lourdes à l'hydrogène.
En matière d'hydrogène, avons-nous une stratégie complète de développement dans le domaine du fret ferroviaire ? Restons-nous sur des actions isolées comme dans certaines régions françaises ? Si vous partagez la vision de M. Doutrebente, que pensez-vous de la chaîne de traction Alstom à Tarbes, qui travaille aujourd'hui sur ce type de matériel ? Le ministre Djebbari en a parlé devant cette commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, lors de sa dernière audition.
Mme Angèle Préville. - Je vous poserai une question très concrète concernant la préoccupation des industriels, en région, qui sont mal desservis. Ces industriels sont des potentiels clients mais ils sont mal raccordés. Existe-t-il un travail sur ce sujet pour s'organiser et recenser toutes les entreprises qui se trouvent dans ce cas ? Je pense aux entreprises situées sur des petites lignes, et plus précisément à une grosse entreprise de l'industrie alimentaire qui se trouve dans ma commune. Nous sommes sur la petite ligne Brive-Aurillac. Existe-t-il une planification pour rationaliser tout ça ? Y a-t-il des appels à se manifester ? Allez-vous créer des priorités et des offres ciblées pour ces grosses entreprises ?
Je rebondis par ailleurs sur ce qu'a dit mon collègue. J'avais cru comprendre, par l'audition de M. Farandou la semaine dernière, que la SNCF prévoyait de se lancer dans la production d'hydrogène vert sur les sites.
Quelque chose sera-t-il mis en place, comme des plateformes, pour le maintien des entreprises dans les territoires ruraux ? Des plateformes permettraient que les entreprises des territoires très enclavés puissent être prises en compte.
M. Jean-François Longeot, président. - Il est important de ne pas oublier nos territoires ruraux.
M. Olivier Jacquin. - L'intermodalité a été évoquée, notamment par Martine Filleul et par la co-rapporteure de la mission d'information Nicole Bonnefoy. Thierry Guimbaud avait parlé cet été d'une alliance 5F. 5F suffira-t-il en matière d'intermodalité ? Ne faut-il pas rajouter un M pour les ports maritimes et un R pour le routier ? Je souligne la vraie volonté manifestée par le président Delorme en matière de fret. Je dois dire que le président m'a rassuré. Cette année, j'imaginais Fret SNCF en faillite assez rapidement. Or, je sens qu'il y a une vraie détermination du président Farandou et des équipes.
Je relève néanmoins un paradoxe. Nous savons la difficulté de recruter et former des conducteurs, cela a été dit. Pourtant, vous avez un plan de suppression de près de 110 ou de 150 postes de conducteurs au moment où un plan de relance du fret est annoncé. Cela m'interroge.
J'ai également une question pour la DGITM. Je ne peux pas entendre parler d'un plan de relance. C'est véritablement d'un plan d'équilibre dont il s'agit. Il y a eu des tentatives de plan de relance dans le domaine de l'aérien et de l'automobile. Cependant, concernant le fret, nous avons fait la démonstration pendant le budget que les sommes véritablement nouvelles sont plutôt limitées. Sur les 4,7 milliards d'euros, les sommes nouvelles ne représentent que quelques centaines de millions d'euros seulement. Je dis seulement car j'ai apprécié le rapport du Réseau action climat qui s'appelle Transport ferroviaire : sommes-nous sur les rails ? Ce rapport a chiffré, de manière sérieuse me semble-t-il, les sommes à mettre en jeu si nous voulons être en cohérence avec nos objectifs, notamment carbone et climatique. Ces sommes n'ont rien de comparable avec celles que nous évoquons ici.
Par ailleurs, Monsieur le représentant de la DGITM, je souhaite vous interroger sur les injonctions paradoxales envers SNCF Réseau. Il est en effet paradoxal de demander la gratuité des sillons pour le fret - ce qui est une bonne chose - mais, en même temps, de ne pas produire le contrat de performance qui nous indique la véritable trajectoire financière de Réseau pour les trois prochaines années. Il est également paradoxal de demander d'effectuer plus de travaux et de supprimer des postes dans le même temps.
Ma dernière question s'adresse à l'ensemble des intervenants, qui ont été assez mesurés et consensuels sur le besoin d'augmenter la part du fret. Cela fait vingt ans, et depuis l'effondrement du fret, que nous entendons ces discours. M. Delorme a évoqué la prise en compte nécessaire des externalités positives du rail. Le défaut de notre système est bien que nous ne parvenons pas à mettre en place un système pollueur-payeur. Pour ma part, je suis persuadé que nous ne pourrons pas financer le report modal sans un système de prélèvements sur le routier, avec un principe d'écotaxe. J'aimerais que les uns et les autres se positionnent sur ce principe d'écotaxe. La DGITM sait-elle si le commissaire au plan travaille sur ces questions importantes ?
Par ailleurs, le Paquet Mobilité déterminé par la Commission européenne doit être traduit pour 2023. Quelles en sont les orientations ?
Enfin, je m'interroge sur la nécessité de réguler le prix du dernier kilomètre qui vient asphyxier la demande de transports et qui empêche sa massification.
M. Gérard Lahellec. - Je viens des Côtes-d'Armor en Bretagne. Il est vrai que nous n'avons jamais fini de désenclaver notre région. Nous en avons beaucoup parlé au cours du Second Empire et, plus près de nous, avec l'arrivée du TGV. Je dis tout cela pour signifier le désenclavement ne sera jamais fini si nous souhaitons être dans notre temps et pour être de notre temps.
Je pense également que nous gagnerions beaucoup à rapporter nos stratégies à la vie des territoires et à leurs besoins. Nous avons aujourd'hui tendance à raisonner en segments de marché, en macro-économie. Nous le faisons à telle enseigne que la petite région d'où je viens, avec ses 2 700 kilomètres de côtes, n'aurait plus de port. C'est bizarre. Pourtant, nos trois ports décentralisés peuvent constituer un atout, pour peu que nous nous en occupions.
Je viens de ce petit territoire de 3,1 millions d'habitants, avec une croissance démographique annuelle de 25 000 habitants. Des besoins nouveaux existent donc. Ce petit territoire était, jusque-là, la cinquième région de production de France. Nous avons donc besoin de soutenir et de conforter une économie de production durable, et non pas une économie productiviste. Pour cela, le levier qui se trouve à notre disposition est celui du ferroviaire. Il permet en effet l'optimisation de la logistique, en relation avec les ports notamment.
La performance logistique et l'apport particulier du ferroviaire sont des atouts. Je ne voudrais pas réveiller des souvenirs encore douloureux, à savoir l'épisode des bonnets rouges. Les bonnets rouges portaient ces bonnets en référence à 1532 et à la révolte contre le papier timbré. Nous voyons donc bien qu'il n'existe pas de solution miracle. Le financement d'un mode alternatif à la route appelle tout de même à ce que nous soyons conséquents dans la définition des moyens que nous devons mobiliser pour rendre l'évolution acceptable. La route et le ferroviaire ne doivent pas être opposés. Il faut au contraire voir comment trouver ces financements admis par tout le monde. Je souhaite limiter mon propos en disant simplement que nous avons besoin de dépasser ce qui relèverait de la spontanéité automatique du marché, sinon nous allons laisser des territoires sur le bord de la route. Je pense qu'il s'agit d'un élément important. Mark Twain disait : « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ». Nous devons nous inspirer de Mark Twain. Nous avons une très petite illustration chez nous avec la logistique maritime représentée par la Brittany Ferries. Cette entreprise a malheureusement été victime du Brexit ou de la crise de la Covid-19. Jusque-là, elle assurait des autoroutes de la mer entre Roscoff, Plymouth et Santander, tout en battant pavillon français, ce qui n'est pas neutre. Par ailleurs, l'entreprise était à l'équilibre, sans financements publics. Il s'agit bien de la preuve que notre petit territoire a besoin de cette optimisation logistique. De ce point de vue, il me semble que nous n'en sortirons qu'en nouant des partenariats d'ambition publique entre l'autorité publique, l'État et les territoires (collectivités territoriales, départements, régions).
M. Hervé Gillé. -Vous avez mentionné un milliard d'euros dans le cadre du plan de relance, 13 milliards d'euros à engager et 23 milliards d'euros qu'il faudrait mobiliser dans des conjectures d'opportunité qui ont été citées. Au-delà des annonces financières, nous manquons de lisibilité sur la stratégie, les contractualisations et les réalisations concrètes. Un document-cadre stratégique des investissements pluriannuels est-il disponible ou réalisable ? Il permettrait d'avoir des clés de lecture sur la capacité à mettre en oeuvre et à faire. C'est une des interrogations très importantes concernant le plan de relance. Ce document-cadre pourrait-il être communiqué, discuté et pourrait-il permettre d'effectuer des évaluations régulières sur ces sujets ? À quel niveau sont partagées les orientations de ce document-cadre ? Notamment, à quel niveau de gouvernance sont-elles partagées ? Quelles stratégies, en termes de contractualisation, sont débattues et posées sur la table ? Mon collègue évoquait ce point avec les collectivités territoriales, plus particulièrement les régions qui sont directement concernées sur ces sujets. Où en sommes-nous ? Quelle est la stratégie en la matière ?
En ce qui nous concerne, nous n'avons aucune visibilité s'agissant de l'établissement des contrats de plan État-Région. Nous ne savons pas comment l'État fixe sa stratégie et essaie de négocier avec les régions sur une partie des objectifs qui ont pu être évoqués. Cette mise en lisibilité me semble fondamentale lorsque nous voulons évoquer ces sujets aujourd'hui. J'aimerais entendre vos réflexions et vos remarques. Quelles propositions pourrions-nous faire, ensemble, pour essayer d'améliorer ce cadre stratégique et sa mise en lisibilité ? Quelles seraient les propositions quant aux initiatives pouvant être prises afin d'améliorer les contractualisations et faire en sorte que l'intermodalité se développe sur des options de financement à mettre en perspective ?
Mme Christine Herzog. - Je souhaite disposer de quelques chiffres concernant l'activité depuis 2010 de la gare de triage de Woippy, en Moselle, l'une des plus importantes de France. Quels financements et investissements sont prévus dans le cadre de la coalition 4F pour cette gare ?
Mme Évelyne Perrot. - Ce n'est pas une question, c'est un espoir. Si j'ai bien compris, le plan 4F devrait moderniser les installations, booster l'existant et permettre, éventuellement, l'électrification des lignes. Mon département de l'Aube n'a que la ligne 4. Nous attendons l'électrification depuis presque quarante ans. Nous devions l'avoir, enfin, jusqu'à la ville de Troyes en 2022 mais la presse locale a annoncé que cette échéance pourrait ne pas intervenir avant 2028 cette semaine. Je vous parle de ce sujet car nous avons dans notre département l'énorme société agroalimentaire Soufflet. Cette société envoie des milliers de camions sur les routes. Elle attend, comme nous tous, le canal à grand gabarit. Nous aimerions avoir enfin une solution concernant notre ligne 4. Lors d'un voyage sur cette ligne, nous sommes parfois arrêtés pendant dix minutes ou un quart d'heure afin de laisser passer un train de marchandises. C'est quelque chose qui, pour nous, fait partie du mirage. Vous avoir entendu ce matin a donc été un réel bonheur pour moi.
M. Jean-François Longeot, président. - Après toutes ces questions, je voudrais, pour ma part, évoquer les externalités, positives ou négatives, que peuvent avoir les différents modes de transport de marchandises. Ces diverses externalités, de nature environnementale ou économique, jouent un rôle clé dans le choix de chaque mode de transport et de l'articulation optimale entre ces derniers. Cependant, la diversité de ces effets externes ainsi que leur caractère indirect rendent leur comparaison et leur comptabilité complexes. À ce jour, existe-t-il une méthodologie établie et reconnue par l'ensemble des acteurs du système permettant de quantifier ces externalités ?
M. Raphaël Doutrebente. - Je vais commencer par répondre à l'intervention de Mme Perrot. Vous devez voir beaucoup de locomotives Europorte et j'en suis très fier. C'est vrai qu'il y a plus de souplesse pour les conducteurs de train. Un sillon peut être à trois heures près. Il n'est, heureusement, pas possible d'avoir une telle souplesse dans le transport passager. Soufflet, qui est l'un de nos principaux clients, met beaucoup de trains sur les rails, grâce à la qualité de services que nous sommes capables d'apporter.
M. Lahellec a parlé de Brittany Ferries. J'ai été un des dirigeants de cette entreprise pendant quatre ans. J'ai participé, modestement, à l'exonération des charges pour le pavillon français. Nous parlions d'emplois. Avec la crise de la Covid-19, la planche à billets a été fortement activée. Je voudrais que nous lancions un défi demain. Si nous voulons que le fret ferroviaire continue, si nous voulons éviter que certains emplois des entreprises comme Fret SNCF soient en jeu dans les années à venir, l'exonération des charges est un sujet important. Cette exonération a sauvé le pavillon français et Brittany Ferries. Certes, la crise conjoncturelle est réelle. Néanmoins, la stabilité, l'augmentation des emplois et, surtout, la formation des marins ont permis que l'entreprise soit performante. Si nous voulons aller plus loin avec notre plan 4F, je lance le défi que nous allions sur le dossier des charges patronales. Ce n'est pas un sujet tabou. Cela permettrait d'avoir un pavillon français et, peut-être demain, un fret ferroviaire qui continue de se développer.
L'autre sujet qui a été évoqué est l'aspect technologique. Je ne pense pas que le sujet de l'hydrogène soit irréaliste. Néanmoins, je dis que la manière dont il est fabriqué et la technologie d'aujourd'hui fonctionnent avec plus de 95 % de carburants. Demain, l'hydrogène sera propre mais l'évolution prendra du temps. Je souscris à votre remarque sur le fait que lancer des nouvelles locomotives prend des années. Si nous partons vers de l'hydrogène propre, je suis évidemment preneur. Nous ne devons pas imaginer disposer demain de l'hydrogène à plus de 95 % de carburants. Ces données sont souvent oubliées dans la presse. Tout le monde est en train de rêver à l'hydrogène. Nous devons faire attention à ce que ces défis technologiques aient une réalité.
Je tiens à dire que nous sommes très novateurs dans nos entreprises de fret. J'ai moi-même lancé une chaire de recherche avec l'École polytechnique, en matière prédictive, avec Éric Moulines, un des pontes du machine learning. Nous nous plaçons dans l'avenir. Nous le faisons avec nos propres moyens, ce qui est très bien car cela nous responsabilise. Il y a des défis technologiques mais il y a aussi des éléments réels comme la rénovation des voies ou le développement de l'électrification. À un moment, cela doit prendre corps. Nous ne devons pas nous leurrer dans des projets trop technologiques. Déjà, nous devons remettre un réseau en état. SNCF Réseau a une certaine pression. C'est ensemble que nous devons pouvoir l'améliorer. Ce pavillon français pour le fret ferroviaire, fortement soutenu par le Sénat à l'époque, est un sujet important qui ne doit pas être oublié après notre audition.
M. Frédéric Delorme. - J'ai parlé de ce contexte de court terme avec une baisse d'activité de 20 % sur le trafic de Fret SNCF. Cette baisse d'activité nécessite l'adaptation de nos moyens de production, en espérant que cette baisse ne soit que temporaire. Nous augmenterons évidemment le volume de moyens en cas d'augmentation du trafic. Les 110 conducteurs évoqués précédemment feront l'objet d'une mobilité interne puisque 600 conducteurs sont recrutés chaque année par SNCF Voyageurs. Ils rejoindront donc Voyageurs et ne quitteront pas la SNCF. Cette mobilité vaudra d'ailleurs dans les deux sens.
Concernant la gare de triage de Woippy, je n'ai pas les chiffres exacts mais Isabelle Delon pourra peut-être répondre. Les quatre triages principaux (Woippy, Sibelin, Le Bourget et Miramas) font bien partie du plan d'un milliard qui est programmé. Il est aussi possible d'avoir des contributions des collectivités locales. Les quatre triages sont en tout cas ciblés comme étant des triages à gravité. Ce sont les triages principaux de notre réseau français. Ils bénéficient d'un soutien de notre part pour obtenir des investissements sur les infrastructures.
Concernant la gouvernance, quelque chose est à construire. Nous ressentons aussi le manque de lisibilité que vous avez cité sur les investissements pluriannuels. Les investisseurs les chargeurs et les politiques ont besoin de cette confiance. Nous devons travailler avec la DGITM pour déterminer comment le plan de relance d'un milliard qui est sur la table est partagé avec tout le monde, en sachant que ce plan n'est sécurisé qu'à hauteur de 500 millions d'euros. Le reste est composé de compléments.
J'ai également parlé du plan 2025-2030. Ce sont des investissements où nous pouvons aller chercher des fonds dans les milliards d'euros disponibles en Europe. Cela concerne beaucoup les grands corridors européens. La visibilité sur 2025-2030 au niveau national, dans une logique européenne, est absolument nécessaire. Nous devons construire quelque chose faisant l'objet d'un échange permanent totalement transparent. Par contre, ce ne sera pas suffisant. Il faut préserver et repenser l'approche territoriale par une approche locale.
Par ailleurs, je mettrais la gouvernance en débat mais plusieurs acteurs semblent concernés : SNCF Réseau, les opérateurs, les chargeurs, la région, les métropoles ou encore le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser). Cette gouvernance locale pourrait permettre que la vision planifiée du territorial et une vision nationale et européenne se rejoignent à un moment donné. Je pense que si nous arrivions à construire une gouvernance efficace et fluide entre ces trois niveaux, nous progresserions tous.
Je terminerai par une réflexion sur l'écotaxe. L'alliance 4F ne soutient pas l'écotaxe au niveau national car elle serait contre-productive. Il faut encourager le transport routier de proximité et favoriser la reconstruction d'emplois pour le routier français dans nos territoires. Le combiné en fait partie. Taxer les routiers qui font du transport combiné sera contre-productif. Au contraire, comment pouvons-nous les inciter ? Cela pourrait passer par de l'aide à l'investissement ou de l'aide fiscale. Il y a des choses à inventer.
À l'inverse, j'émets un avis personnel favorable sur l'incitation plus différenciée. En Europe, où il y a des très grands corridors européens ferroviaires, nous pourrions avoir des autoroutes ferroviaires avec des semi-remorques qui montent sur les trains. Un certain nombre de transporteurs routiers en sont très satisfaits. Pour financer cette option, peut-être pourrions-nous, de manière ciblée et chirurgicale, inciter les routiers sur les très longues distances de plus de mille kilomètres. Il y a matière à inciter les routiers à abandonner le trafic routier pour une offre alternative ferroviaire permettant de transporter le semi-remorque. L'écotaxe généralisée n'apparaît pas aux membres de 4F comme une solution positive. Quelque chose de plus différencié mériterait une étude réfléchie et raisonnée.
Mme Isabelle Delon. - J'apporterai une précision sur les investissements pour les installations de service. Avant le plan de relance, et depuis plus d'un an, SNCF Réseau avait engagé un plan d'amélioration de ces installations de services. Ce plan est de cent millions d'euros sur cinq ans. Il est élaboré en concertation avec les clients pour évaluer les besoins d'améliorations prioritaires. Il se concrétisera en 2021 par une enveloppe d'investissements d'amélioration de l'ensemble des services Fret et Voyageurs. L'enveloppe est de 24 millions d'euros dans le budget de SNCF Réseau. Sur ces 24 millions d'euros, 8 seront consacrés aux quatre triages évoqués par Frédéric Delorme. 1,5 million sera consacré à la gare de triage de Woippy. Cela concerne principalement des améliorations des voies de service et des appareils de voie qui permettent d'utiliser au mieux ces installations.
Effectivement, le plan de relance d'un milliard d'euros peut permettre d'aller au-delà de ce premier plan de financements, lancé par SNCF Réseau sur ses fonds propres. L'important est de répondre aux besoins des utilisateurs, ainsi que d'accompagner les besoins d'exploitation en qualité et en quantité. Répondre aux besoins est l'ancrage que nous avons choisi. Dès lors que nous aurons des éléments permettant d'évaluer le besoin de développement, nous pourrons aller plus loin en accord avec les parties prenantes. Ainsi, nous pourrons utiliser, le cas échéant, les possibilités du plan de relance au niveau national et territorial.
J'apporterai un petit complément sur le trafic global fret cette année. Nous avons, à ce jour, constaté une baisse de 15 % du fret ferroviaire sur le réseau français. Pour 2021, nous envisageons une augmentation de 13 %, sur la base du trafic réel constaté. Aujourd'hui, nous n'avons pas vraiment fixé d'objectifs pluriannuels, mais notre ambition est de nous inscrire dans une logique d'accompagnement des besoins des clients industriels et des clients opérateurs.
Mme Angèle Préville. - Si je puis me permettre, vous n'avez pas exactement répondu à ma question. Avez-vous fait le recensement des entreprises intéressées ? Avez-vous rédigé une liste ? Est-elle en cours ?
Mme Isabelle Delon. - Non, nous n'avons pas encore fait cette démarche de façon si précise. Nous avons un portefeuille de clients importants avec lesquels nous échangeons régulièrement sur leurs perspectives de développement ou de renforcement de la logistique ferroviaire. Un certain nombre de grands industriels ont des stratégies de développement du ferroviaire dans leur logistique. À ce jour, nous n'avons pas encore fait un recensement complet des opportunités. Notre démarche est à la fois pragmatique et fonction de nos moyens. Des actions et des ressources seront nécessaires pour engager ce plan. Cela est prévu, mais nous n'avons pas encore engagé la démarche à ce jour.
M. Franck Agogué. -Concernant la décarbonation hydrogène, nous pensons qu'une stratégie à court, moyen et long terme doit être définie. Cette stratégie doit porter sur le carburant vert, les locomotives hybrides, les batteries, caténaires légers etc. Le fret ferroviaire n'est pas le seul concerné. Nous devons y travailler, y croire et accompagner les expérimentations qui existent.
Le plan de relance porte bien son nom. Il vise à rétablir une situation qui était dégradée. Je ne vais pas vous dire le contraire, il pourrait être plus important. Il a été dit tout à l'heure qu'il y avait quelque chose en dehors du plan de relance, avec la trajectoire de la LOM.
Je voulais préciser que je n'avais pas parlé de la gratuité des péages des entreprises de fret ferroviaire : j'ai dit que c'est l'État qui prenait en charge la moitié de ces péages.
Concernant l'écotaxe, je suppose que vous y reviendrez au cours d'autres auditions.
Monsieur le Président, vous avez parlé des externalités. Je ne suis pas un spécialiste du sujet mais nous avons des services assez compétents, notamment au ministère et au commissariat général au développement durable (CGDD). Des études ont été menées sur les externalités dans le domaine des transports. Je pourrais vous transmettre les publications et les coordonnées des personnes en question.
M. Jean-François Longeot, président. - Madame, Messieurs, mes chers collègues, je vous remercie.
Des moyens financiers importants doivent nous permettre d'être performants et d'afficher une véritable ambition pour développer le fret. Je suis heureux de découvrir votre envie de desserte et d'irrigation de l'ensemble de nos territoires. C'est important pour le maintien et le développement de nos activités économiques. Je crois que nous avons bien fait de créer une mission d'information centrée sur le sujet du transport de marchandises. Cette première audition en témoigne.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 55.
Désignation des membres du groupe de travail « Enjeux internationaux - Climat - environnement-développement »
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je souhaiterais procéder, au titre des questions diverses, à la désignation des membres du groupe de travail « Enjeux internationaux - Climat - Environnement-développement », que nous avons décidé de reconstituer en l'élargissant à deux membres de la commission des affaires étrangères afin d'en renforcer la dimension internationale. Pour les mêmes raisons, deux membres seront également membres de la commission des affaires européennes.
J'ai reçu les candidatures de MM. Jean Bacci, Joël Bigot, François Calvet, Guillaume Chevrollier, Ronan Dantec, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Éric Gold, Pascal Martin, Mme Laurence Muller-Bronn, M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, M. Frédéric Marchand, Mme Marie-Claude Varaillas, M. Pierre Verzelen et Mme Denise Saint-Pé pour notre commission. J'ai également reçu la candidature de Mme Marta de Cidrac et de M. Gilbert-Luc Devinaz qui sont à la fois membres de notre commission et membres de la commission des affaires européennes. En outre, je vous informe que Mme Hélène Conway-Mouret et M. Hugues Saury participeront également au groupe de travail en tant que membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Ce groupe de travail aura vocation à suivre les aspects internationaux des sujets climatiques, environnementaux et de développement. Il suivra en particulier les négociations climatiques et environnementales internationales, les objectifs de développement durable (ODD) ou encore la stratégie climatique européenne.
La réunion est close à 12 h 55.