- Mercredi 9 décembre 2020
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la République française et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) relatif à l'octroi du statut diplomatique aux fonctionnaires de l'OMS de grade P5 et supérieur du bureau de l'OMS - Examen du rapport et du texte de la commission
- Bilan et perspectives de l'opération Barkhane - Audition, depuis Njaména, du général de brigade Marc Conruyt, commandant de l'opération Barkhane (Comanfor)
- Bilan et perspectives de l'opération Barkhane - Audition de M. Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali
- Situation du Venezuela - Audition de S.E. M. Hector Michel Mujica Ricardo, ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela auprès de la République française et des Principautés de Monaco et Andorre
Mercredi 9 décembre 2020
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
M. Pascal Allizard, président. - Je commence par excuser l'absence du président Cambon, retenu pour encore quelques instants à un petit-déjeuner organisé par le Président Larcher autour du ministre des affaires étrangères d'Arménie.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la République française et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) relatif à l'octroi du statut diplomatique aux fonctionnaires de l'OMS de grade P5 et supérieur du bureau de l'OMS - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Nous examinons un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) relatif à l'octroi du statut diplomatique aux fonctionnaires de l'OMS de grade P5 et supérieur du bureau de l'OMS de Lyon.
Cet accord, signé en décembre 2018 sous la forme d'un échange de lettres, fait suite à une demande de l'OMS exprimée en mai 2017. Il amende l'accord d'établissement du bureau de l'OMS de Lyon conclu entre la France et l'OMS en juin 2010 pour accorder le statut diplomatique aux fonctionnaires de grade P5 et supérieur du bureau de l'OMS de Lyon - donc un statut plus favorable. Ces fonctionnaires bénéficieraient ainsi des mêmes privilèges et immunités que leurs homologues du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), autre agence de l'OMS basée à Lyon depuis 1965.
Cette extension de privilèges et immunités vise à accroître l'attractivité du bureau de Lyon. Cette fois-ci, la France a donné son accord - une demande analogue formulée en 2008 par l'OMS n'avait pas abouti - car l'OMS en a clairement fait une condition pour opérer le recentrage stratégique du bureau de Lyon sur la gestion des laboratoires pour les crises sanitaires et pour son projet d'implantation, à Lyon, de l'Académie de l'OMS, qui a vocation à devenir un centre d'excellence mondial de formation continue pour tous les professionnels de santé, les cadres et les dirigeants, de l'OMS ou non.
Tout d'abord, il faut savoir que les fonctionnaires de grade P5 et supérieur visés par cet accord sont des administrateurs recrutés au niveau international qui disposent d'un niveau de compétence ou d'expertise élevé grâce à une grande expérience dans des domaines variés : gestion et appui aux opérations, développement économique et social, affaires politiques, paix et sécurité, informatique, affaires juridiques, communication, etc.
Ce nouvel accord va leur permettre de bénéficier du même traitement que les agents diplomatiques au sens de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, soit une inviolabilité et une immunité de juridiction totales pour les actes accomplis dans leurs fonctions, mais aussi pour tous les actes de leur vie privée. Ils bénéficieront également de privilèges fiscaux les exemptant de tous impôts et taxes, et ils seront notamment autorisés à acquérir un véhicule automobile en suspension de droits de douane et de taxe au moment de la prise de fonction. Une réserve, classique dans ce type d'accord, prévoit cependant que les fonctionnaires de grade P5 et supérieur de nationalité française ne bénéficieront de l'immunité de juridiction et de l'inviolabilité que pour les actes officiels accomplis dans l'exercice de leur fonction.
Les trois administrateurs de grade P5 et supérieur actuellement employés au bureau de l'OMS de Lyon sont de nationalité française et ne pourront donc pas bénéficier de cette extension des privilèges et immunités.
Le bureau de l'OMS de Lyon a été inauguré en 2001, après la conclusion d'une convention quinquennale en 2000 - constamment renouvelée depuis -, entre l'OMS et le Gouvernement français, les collectivités territoriales et la Fondation Mérieux. Il fait partie du département « Capacités mondiales, alerte et action » chargé de la coordination du Règlement sanitaire international. Sa mission est d'aider les pays à renforcer leurs systèmes nationaux de surveillance des maladies et de riposte, afin de renforcer, à terme, la sécurité en matière de santé publique à l'échelle internationale. L'OMS est actuellement engagée dans une réflexion visant à lui confier la gestion des laboratoires pour les crises sanitaires, ainsi que les voyages et contrôles au point d'entrée, ce qui revêt une importance toute particulière en pleine pandémie de covid 19. Ce recentrage stratégique s'accompagnerait du recrutement de sept agents supplémentaires au bureau de l'OMS de Lyon, qui passerait ainsi de 23 à 30 agents, conformément à l'engagement pris par l'OMS lors de sa dernière réunion bilatérale avec la France de novembre 2019.
S'agissant du projet d'implantation de l'Académie de l'OMS à Lyon, une déclaration d'intention a été signée par le Président de la République et le directeur général de l'OMS en juin 2019, et la France s'est engagée à soutenir le projet via des contributions de l'État, des collectivités territoriales et du secteur privé, pour un montant total de 90 millions d'euros.
L'Académie prévoit de former 60 000 personnes par an en présentiel et jusqu'à 10 millions d'apprenants par voie numérique à partir de 2023. Le recrutement du personnel de direction est en cours, et les cursus des quatorze cours dits de première génération ont été sélectionnés, avec l'objectif de proposer une centaine de cours d'ici 2023. Un nouveau bâtiment, dont la construction devrait débuter au printemps 2021, abritera l'Académie et le bureau de l'OMS. À terme, une centaine d'agents permanents internationaux et de haut niveau travailleront sur le site de l'Académie, générant des retombées économiques significatives.
Si l'on peut espérer que Lyon devienne le deuxième pôle international en santé mondiale après Genève, l'on peut aussi s'interroger sur l'avenir de l'OMS, qui avait déjà bien du mal, avant la crise de la covid 19, à régler ses difficultés de financement, son déficit de crédibilité et la concurrence de nombreux acteurs dans le domaine de la santé, dans un contexte de remise en cause du multilatéralisme et des tensions entre les États-Unis et la Chine.
Pendant la pandémie de covid 19, la France, qui défend le multilatéralisme, a choisi d'apporter un soutien politique fort à l'OMS, qu'elle considère comme la seule organisation de référence pour gérer les crises sanitaires au plan international. La France a aussi largement augmenté la part de ses contributions volontaires, avec un financement de 50 millions d'euros supplémentaires pour l'organisation en 2020 et 2021.
La résolution sur la covid 19 adoptée par l'Assemblée mondiale de la santé en mai 2020 prévoit une évaluation indépendante de la riposte à la covid 19 coordonnée par l'OMS, à travers le Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie (GIPR). Sur la base du rapport final, qui sera remis en mai 2021, une réforme en profondeur de l'OMS pourrait alors être envisagée.
En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi, car cet accord favorise les deux échéances prochaines que sont le renforcement par l'OMS des activités du bureau de Lyon et l'implantation de l'Académie mondiale de formation continue de l'OMS à Lyon, dont on peut attendre, outre des retombées économiques, un plus grand rayonnement de la France. La France a fait de l'accueil des organisations internationales sur son territoire une priorité. À ce jour, l'OMS n'a pas encore notifié son approbation du présent accord. L'examen en séance publique est prévu le mercredi 16 décembre 2020, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous avons tout intérêt à soutenir ce type d'initiative, car l'implantation de telles institutions a toujours des effets positifs. Là, c'est Lyon qui en bénéficiera. D'une manière générale, la France devrait être plus militante en la matière.
M. Pascal Allizard, président. - Tout à fait d'accord ! Votons.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que le projet de loi.
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
Bilan et perspectives de l'opération Barkhane - Audition, depuis Njaména, du général de brigade Marc Conruyt, commandant de l'opération Barkhane (Comanfor)
M. Christian Cambon, président. - Mon général, merci d'avoir accepté cette audition en direct du PC de la force Barkhane à Ndjamena - dans de bonnes conditions de transmission. Je rappelle que vous commandez Barkhane depuis juillet dernier, à la suite du général Pascal Facon, que nous avions auditionné le 9 juillet, quelques jours avant la fin de son mandat.
Avant toute chose je souhaite, au nom de tous les membres de notre commission, rendre hommage aux 5 100 soldats qui combattent sous vos ordres, avec une pensée particulière pour ceux qui ont perdu la vie pour les très nombreux blessés. Nous sommes conscients du courage et de l'abnégation qui vous sont demandés, à vous-même ainsi qu'à vos hommes, pour mener à bien cette mission extrêmement difficile qui consiste à accompagner nos partenaires sahéliens dans leur combat contre le terrorisme. Nous avons suivi avec fierté les succès importants et significatifs de Barkhane depuis le sommet de Pau et, en particulier, depuis la fin de l'été, avec l'opération Bourrasque et ses suites.
La première question que nous nous posons est celle de l'état de la coordination avec les forces armées maliennes (FAMa), la force du G5 Sahel et, plus généralement, les armées des autres pays du Sahel. C'est en effet l'élément-clef pour l'avenir, puisque l'objectif est d'accompagner ces forces vers l'autonomie : la France n'a pas vocation à rester éternellement au Mali ! Quelle appréciation portez-vous désormais sur la qualité et les capacités de ces forces ? L'objectif de réinstaller l'armée malienne sur le terrain, en particulier dans les postes frontières du Liptako et du Gourma, est-il en passe d'être atteint ? Nous souhaiterions également avoir votre retour sur la force Takuba, devenue opérationnelle depuis l'audition de votre prédécesseur, avec l'intégration des Estoniens puis des Tchèques et bientôt l'arrivée des Suédois.
Pourriez-vous, dans un second temps, revenir sur les opérations militaires menées depuis septembre ? Quel bilan faites-vous de l'opération Bourrasque, qui a précisément permis de tester la coopération avec les FAMa, l'armée nigérienne, les alliés, Takuba, avec également la présence d'une Unité légère de reconnaissance et d'intervention (URLI) malienne ? Quel bilan pour les opérations menées ensuite en novembre avec l'élimination de Bah Ag Moussa, chef militaire du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), le 10 novembre, et la neutralisation de plusieurs dizaines de djihadistes ?
Au total, peut-on dire que les Groupes armés terroristes (GAT) ont été durablement affaiblis ? En un mot, les derniers mois ont-ils permis, comme le souhaitait le général Facon, de « mettre les GAT à la portée des forces partenaires et de la force conjointe » ? Je rappelle à cet égard que le commandant de la force conjointe vient justement de juger risquée une réduction de l'effectif de Barkhane. Pensez-vous que vous serez en mesure, si une telle réduction a lieu et compte tenu de l'apport certes utile, mais limité de Takuba et de nos partenaires européens - sans parler de la réduction possible de la participation américaine - de continuer à progresser, ou au moins à maintenir la situation ?
Le général Facon nous avait par ailleurs affirmé que la situation politique à Bamako n'avait pas d'incidence sur le plan opérationnel. Est-ce toujours vrai après le coup d'État ? Avez-vous ressenti un affaiblissement de la volonté politique malienne de combattre le djihadisme ?
Enfin, de manière plus générale et pour prendre un peu de recul, qu'a appris l'armée française à travers l'opération Barkhane ? Comment a-t-elle évolué à la suite des difficultés rencontrées sur le terrain et des nouveaux moyens qu'elle a employés ? Je pense en particulier aux drones armés : un tel retour d'expérience intéresserait beaucoup notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je précise enfin que cette audition n'est pas filmée : la parole est libre.
Général Marc Conruyt, commandant de l'opération Barkhane. - Merci de votre invitation. J'aurai tout à l'heure le plaisir d'accueillir le sénateur Cadic, qui nous rejoindra au Tchad ce soir. J'ai pris mes fonctions cet été, comme vous l'avez indiqué. Je tiens avant tout à saluer la mémoire de nos soldats qui sont tombés au Sahel depuis cette date. Ils sont quatre, autant de témoins de la dureté de notre engagement. Vous avez été, au sein même de votre commission, il y a tout juste un an, les témoins du deuil qui touche nos familles quand l'un d'entre nous tombe pour la France.
Le sommet de Pau, le 13 janvier dernier, a permis un sursaut. Sursaut militaire d'abord, avec le renforcement de Barkhane en effectifs ; sursaut politique ensuite, dans la mesure où le lancement de la Coalition pour le Sahel a donné le cadre intégré et international qui répond à l'effort consenti par notre pays et aux ambitions qu'il compte déployer dans ce voisinage géographiquement si proche et stratégiquement si important. Presque un an après ce sommet, quel bilan pouvons-nous faire de notre engagement ?
Notre stratégie est cohérente, et les objectifs importants ont été atteints. Le surge a produit les effets attendus. Mais l'opération Barkhane continue à évoluer profondément. Il n'y a pas deux mandats similaires. La raison en est simple : l'ennemi a sa propre volonté, il aspire à un projet politique et dispose d'une stratégie pour le mettre en oeuvre. Si nous oeuvrons aux côtés de nos partenaires pour le bénéfice de leur sécurité et de la nôtre, c'est d'abord contre un ennemi que l'on se bat. Nier ou relativiser cette volonté adverse n'est pas seulement une erreur, ce serait à mon sens une faute.
Comme vous le savez, nous faisons face au Sahel à un enchevêtrement de crises et de conflits, dont on souligne à juste titre les racines complexes, tout en exigeant parfois une réponse simple et rapide. Or, la situation reste soumise aux circonstances, à l'art opératif, aux jeux politiques, et à la détermination et aux moyens que nous y consacrons. C'est cette tension entre une nécessaire patience et l'impératif des contingences que je souhaite vous décrire.
Depuis mon arrivée, je fais d'abord le constat de l'évolution permanente de notre ennemi. Depuis le sommet de Pau, et au terme des opérations récentes, l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) a été affaibli dans le Liptako - même s'il convient de garder une forme de prudence sur l'évaluation que nous en faisons. Si cet ennemi conserve une capacité de nuisance et de régénération, il semble aujourd'hui davantage à la portée des forces partenaires sahéliennes. Ses capacités actuelles ne lui permettent plus d'envisager des actions d'envergure comme en 2019. Face à nous, il met en oeuvre une stratégie d'évitement. Mais en notre absence, il vise les cadres de l'État ou les chefs locaux pour assurer sa mainmise sur les populations.
Le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans (RVIM), nébuleuse de plusieurs groupes liés à Al-Qaïda, étend son influence, consolide son organisation et gagne en confiance. C'est aujourd'hui l'ennemi le plus dangereux pour Barkhane, pour les forces internationales et pour le Mali. Non seulement il déstabilise les périphéries du nord du Mali, mais il propage aussi la guerre au Centre, qui est le coeur économique et le bassin de population du pays. À partir de là, il cherche à progresser vers les pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest. Il n'y a pas d'ambiguïté : cet ennemi nous cible au Sahel, et c'est lui qui nous a visés encore récemment à Kidal, Ménaka et Gao. Il le ferait probablement en France s'il en avait l'occasion. Il dispose de compétences critiques, d'un commandement bien structuré et d'une expérience acquise sur le long cours. Prospérant sur la misère, l'endoctrinement, l'absence d'alternatives sociales ou économiques, et de manière plus intelligente et patiente que l'EIGS, il cherche à établir son propre mode de gouvernement, son propre système éducatif, sa propre justice. Il s'appuie pour cela sur les tensions communautaires existantes et attire à lui les exclus, les relégués, les menacés, bref tous ceux à qui l'État n'offre pas d'alternative. Il sait aussi jouer de la corde sensible de la négociation pour masquer ses objectifs et tromper les plus naïfs.
Face à cet ennemi, nos alliés sahéliens doivent encore poursuivre et amplifier leurs progrès militaires, mais aussi consentir un effort supplémentaire, avec le soutien de la communauté internationale, en termes de sécurité intérieure, de retour de l'État et de développement économique. C'est à ces conditions qu'un autre destin pour les populations se dessinera, offrant alors d'autres opportunités à ceux qui sont tentés par les offres de recrutement des mouvements terroristes.
Mon second constat porte sur l'évolution du contexte, tout aussi rapide.
Cinq éléments ont influencé notre environnement ces derniers mois. Tout d'abord, l'attaque de Kouré, au Niger, où six de nos ressortissants ont été assassinés. Cette attaque, que l'on attribue à un groupe lié à l'EIGS, a eu un double impact. D'abord, auprès de notre opinion publique en France, où elle a suscité un débat légitime sur notre engagement. Ensuite, au Niger, où elle a obscurci les efforts que les autorités ont conduits et les résultats qu'elles ont obtenus depuis une année. Le deuxième événement est évidemment la transition en cours au Mali, qui doit conduire à des élections générales début 2022. Ces élections sont désormais l'horizon temporel, qui concentre toutes les énergies de la nouvelle haute hiérarchie militaire malienne, avec laquelle nous avons d'excellentes relations, et qui montre chaque jour sa détermination dans la lutte contre les groupes armés terroristes.
Le troisième événement est la libération de près de 200 prisonniers djihadistes, qui a suscité elle aussi des interrogations dans notre pays. Les déclarations du niveau stratégique et du niveau politique ont répondu à celles, limitées, au sein de Barkhane et des familles de nos soldats. En ce qui me concerne, j'ai bien entendu un point d'attention tout particulier sur les conséquences sécuritaires, qui restent à ce stade encore à évaluer. Autre élément de contexte important pour Barkhane : la succession d'élections dans la sous-région. Celles-ci se sont bien déroulées au Burkina Faso et en Côte-d'Ivoire. Cela n'a pas diverti nos moyens, mais la plus grande vigilance est de mise, car la sécurité de nos compatriotes peut être en jeu. Enfin, le débat sur l'islamisme en France, avec ses répercussions à l'étranger, n'est pas neutre pour une opération française qui se déroule dans des pays de religion et de culture musulmanes.
Face à ces évolutions, quelle est la feuille de route de la force Barkhane ? Nos actions visent simultanément à réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes et à renforcer les capacités des forces partenaires, afin de mettre les premiers à la portée des secondes. Nous devons donc d'abord mettre en échec l'ennemi en contrant sa stratégie. Pour cela, il faut comprendre qui il est, quels sont ses objectifs et ses modes opératoires, afin de désarticuler ses différentes composantes et de les traiter par les outils appropriés. Notre manoeuvre militaire combine de multiples effets : neutraliser les cadres et les combattants ; perturber la coordination entre les katibat, qui se renforcent par échanges d'hommes, d'informations et d'équipements ; empêcher les bascules entre espace saharien et sahélien, voire côtier. Cette manoeuvre s'applique à combiner le plus efficacement possible les moyens mis à ma disposition, et tous nos succès opérationnels récents reposent sur l'intégration des effets que chaque composante, chaque expertise de la force, est capable de produire.
Mais ces actions directes ou indirectes sur l'ennemi n'ont de finalité que si elles contribuent au partenariat avec les forces africaines militaires, de gendarmerie et de police, qui sont les seules à pouvoir apporter une solution durable à la question sécuritaire. L'action de toutes les organisations et forces militaires en appui direct à la montée en puissance de ces armées africaines, et en premier lieu des FAMa, est à ce titre essentielle.
Je souhaiterais donc explorer trois dimensions qui démontrent que Barkhane est un élément moteur d'un ensemble stratégique et diplomatique plus vaste.
Tout d'abord, la sahélisation, dont l'objectif est à la fois de donner à nos partenaires une part croissante, quantitativement et qualitativement, dans l'effort militaire global, et d'améliorer la coordination entre eux, puisque le défi du terrorisme est transfrontalier.
L'opération Bourrasque en est un exemple, et elle constitue un jalon important vers une victoire collective contre l'EIGS. En engageant près de 3 000 soldats, pour moitié français et pour moitié issus des forces sahéliennes, avec notamment plus de 1 000 soldats nigériens, nous avons mis en oeuvre une opération intégrée jusqu'aux plus bas échelons. Nous avons planifié et conduit Bourrasque à partir d'un PC interallié à Niamey, où des officiers français, nigériens, maliens, américains et de la force conjointe du G5 Sahel travaillaient côte à côte.
Je souhaite souligner ici la contribution américaine, peut-être moins connue, mais significative, et dont l'intégration a encore franchi un cap par rapport à ce qui existait il y a quelques mois. À titre d'exemple, la semaine dernière, plus de 40 % de l'effort en renseignements 3D dans les opérations que nous avons conduites a été fourni par notre partenaire américain.
Sur la voie de la sahélisation, l'opération Bourrasque a montré toute la complémentarité des avantages entre partenaires, en combinant nos capacités cinétiques et technologiques avec la mobilité et la connaissance du terrain des armées sahéliennes. Nos soldats ont pu vérifier sur le terrain que le partenariat de combat était loin d'être à sens unique. Cette opération a aussi apporté un surcroît de force morale et de confiance chez les forces partenaires, en particulier nigériennes, ouvrant la voie à une réponse nationale, autonome et pérenne. Il nous faut désormais reproduire de telles dynamiques avec les autres partenaires. Ce sera l'objet des opérations futures que nous mènerons.
Nous devons aussi poursuivre notre effort d'harmonisation des plans de campagne de chacun des pays du G5 Sahel. Le Mali est un bon exemple de ce défi, puisqu'il réunit cinq forces : les FAMa, Barkhane, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), la force conjointe du G5 et la Mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM). C'est une fonction importante et souvent méconnue de Barkhane que d'entraîner les autres acteurs et de mettre en cohérence leurs actions. Pour ce faire, nous nous appuyons sur notre réseau partenarial, composé d'éléments insérés dans les états-majors ou dans les unités de nos alliés, et que nous venons encore de densifier. Cette intégration nous est facilitée par une relation ancienne et de confiance avec des partenaires qui reconnaissent notre compétence et notre fidélité.
Les efforts pour appuyer la montée en puissance de la force conjointe du G5 ne sont pas encore achevés. Celle-ci est une remarquable réalisation politique et stratégique, mais elle doit encore gagner en autonomie et en capacité à contester le terrain à l'adversaire. Cela nécessite notamment une amélioration de son soutien logistique. Le général Oumarou Namata Gazama a parfaitement souligné l'exemplaire complémentarité des forces et l'importance de Barkhane pour les unités qu'il commande. Nous entretenons avec lui des relations très étroites pour planifier et conduire ensemble les opérations dans la zone des trois frontières. La perspective de la présidence tchadienne, qui débutera début 2021, doit permettre de maintenir cette dynamique.
La deuxième dimension de notre action est l'européanisation, qui est en quelque sorte le levier qui permet de démultiplier les effets produits, et le témoignage du partage croissant du fardeau de la sécurité au Sahel.
En voici trois exemples.
Le premier est un groupe de Takuba composé de Français et d'Estoniens, et jumelé avec une unité malienne, qui conduit encore aujourd'hui des opérations dans des zones difficiles du Liptako. Il a donné entière satisfaction lors de Bourrasque, et préfigure le modèle qui sera suivi au début de l'année prochaine par les contingents tchèques, suédois et italiens. Ceux-ci donneront à Takuba son volume critique. Mais nous aurons toujours besoin d'un ou deux Task groups, ainsi que de l'autonomie de Takuba en capacités rares.
L'EUTM est un autre exemple qui, par ses actions de conseil, de formation et d'entraînement, participe à la montée en puissance des armées sahéliennes et de la force conjointe du G5. Parce que les FAMa restent le centre de gravité de toute la campagne au Sahel, l'EUTM doit leur consacrer l'essentiel de ses efforts, et je vois régulièrement le général tchèque Frantiek Ridzák, avec qui nous conduisons des projets en étroite coordination, tant nous sommes convaincus que la victoire ne sera que collective. Il a relancé l'action de l'EUTM avec détermination, en l'engageant pleinement envers les FAMa.
Je pourrais enfin citer l'apport essentiel des hélicoptères danois, qui malheureusement nous quittent à la fin du mois, des Chinooks britanniques et du détachement estonien qui est intégré à Barkhane à Gao.
La troisième dimension est l'approche intégrée. Nous savons que la crise sahélienne nécessite d'agir sur trois lignes d'opération : rétablir la sécurité, restaurer une bonne gouvernance et développer l'économie. Nous ne sommes que concourants dans les dimensions de stabilisation et de développement. Mais la recherche de complémentarité est permanente, car nécessaire. C'est le principe même de la coalition pour le Sahel lancée au printemps. Il reste beaucoup à faire, mais je tire un bilan très positif du travail en commun que nous menons avec l'ensemble des acteurs français, et notamment nos ambassades, les antennes locales de l'Agence française de développement (AFD), le service de coopération et les acteurs internationaux.
Notre campagne militaire est cohérente, et nous allons continuer à frapper tous les groupes terroristes tout en renforçant notre partenariat de combat avec les armées sahéliennes à travers une intégration croissante. Mes moyens pour cela sont suffisants, mais il n'y a rien de superflu, et ma marge de manoeuvre est ténue.
Je souhaite revenir sur l'engagement des Européens. Ce qui est fait est fait de manière excellente, mais c'est encore trop peu. À titre d'exemple, une section de soldats estoniens, chargée de la Force protection à Gao, cela peut paraître peu à l'échelle d'un pays européen mais, cela me permet de libérer un pion de manoeuvre français supplémentaire sur le terrain pour accompagner nos partenaires. Je perdrai deux hélicoptères Merlin danois fin décembre, puisque leur mandat n'est pas renouvelé et que nous n'avons pas de successeurs. C'est 20 % de ma capacité d'héliportage que je vais perdre, alors que celle-ci était à peine suffisante. Beaucoup d'Européens pourraient faire davantage, même avec de petites contributions, en soutien direct à Barkhane : ce serait d'une grande utilité.
Posons-nous enfin la question de ce que serait le Sahel sans l'engagement français. Barkhane n'apporte qu'une partie de la réponse au défi de la région. Mais c'est une partie incontournable car, à ce stade, elle est la seule force capable de contraindre le projet politique de nos ennemis. Notre action autorise les autres acteurs - les pays du Sahel en premier lieu - à mettre en oeuvre les processus et les actions structurelles qui conditionnent une solution durable. Notre contribution permet aussi que d'autres, issus d'Europe ou d'ailleurs, interviennent en supplément ou en complément de nos efforts. Si la voie de sortie est, d'abord et avant tout, politique, il faut sans doute s'inscrire dans la perspective de la fin de la transition au Mali, début 2022, qui est l'horizon possible d'une issue positive. Enfin, je reste convaincu que, sans Barkhane, la question de la stabilité régionale serait posée à très court terme.
Monsieur le président, après ce propos liminaire, permettez-moi de répondre aux questions que vous m'avez posées en introduction.
La coordination avec l'ensemble des forces partenaires, qu'elles soient nationales sahéliennes - des cinq pays du G5 - ou multinationales, à travers la force conjointe du G5, ou qu'elles relèvent plus largement d'autres acteurs sécuritaires qui oeuvrent au Sahel, est assez exemplaire et fonctionne très bien. Nous avons des relations quotidiennes avec l'ensemble de ces acteurs, qui nous donnent une appréciation très précise de la situation générale, ce qui nous aide à planifier et à conduire nos opérations ensemble. Sur le plan de la coordination, nous avons atteint un degré de maturité assez remarquable.
Toutes les forces nationales sont pleinement engagées dans un processus de montée en puissance afin de lutter plus efficacement contre les groupes armés terroristes. Bien entendu, s'il s'agit toujours de groupes armés terroristes, le degré de menace diffère d'un pays à un autre.
Les forces armées nigériennes sont peut-être celles qui ont fait les progrès les plus considérables depuis 2019, en termes de capacité, d'organisation et de structuration. L'opération Bourrasque nous a montré des forces armées nigériennes capables d'opérer avec nous à des niveaux d'intégration quasiment jamais atteints. Ainsi, des bataillons ont travaillé ensemble, des compagnies ont travaillé ensemble, des sections ont été détachées au sein de compagnies partenaires, voire même des soldats nigériens au sein de groupes français.
Les forces armées maliennes partent de plus loin. Elles n'ont pas la même histoire militaire récente. Elles font face à une menace plus conséquente. Pour autant, elles sont sur une dynamique positive, à plusieurs égards : capacité à augmenter leurs forces combattantes, c'est-à-dire à créer de la masse de manoeuvre ; capacité à réorganiser, de façon générale, un cycle opérationnel qui leur permet d'alterner formation, opérations et repos, ce qui est nécessaire pour pouvoir combattre efficacement dans la durée ; progrès, enfin, dans la manière de combattre, dans l'utilisation des moyens aériens ou des moyens de renseignement, et dans la manoeuvre tactique de façon générale. J'ai donc bon espoir que, si elles accélèrent leur assise organique, les forces armées maliennes atteignent le niveau de leurs homologues nigériennes dans l'année qui vient.
Les forces armées burkinabées sont aussi dans une dynamique positive. Elles ont dû se réorganiser de fond en comble face à une menace nouvelle pour elles.
Concernant Takuba, pour l'instant, le Task Group franco-estonien a atteint tous les objectifs qui lui avaient été fixés. Il doit servir de modèle pour la constitution, l'organisation, la préparation et l'engagement des futurs Task Groups. Nous avons pris un peu de retard sur la montée en puissance de Takuba. J'espère que, dès le début de l'année 2021, nous pourrons engager davantage de moyens dans le Liptako.
Vous me demandez quel est le bilan de Bourrasque. J'en retire deux enseignements majeurs. D'abord et de façon générale, les résultats obtenus sont dus à une manoeuvre tactique très dynamique, qui a conjugué les effets de tous les moyens dont nous disposons, et qui a mis en difficulté les GAT : manoeuvre tactique au sol et dans la troisième dimension, opérations de renseignement, opérations de déception, opérations cyber... Toute la panoplie des moyens a été déployée, avec une concentration des efforts dans une zone particulière pendant plusieurs semaines, ce qui nous a permis d'asphyxier les groupes qui y étaient.
Deuxième enseignement de Bourrasque : l'attitude remarquable des forces armées sahéliennes, nigériennes et maliennes, qui nous ont accompagnés et qui se sont excellemment comportées. Elles ont été très offensives à nos côtés, dans toutes les opérations. L'Unité Légère de Reconnaissance et d'Intervention a donné elle-aussi toute satisfaction. Bien sûr, il y a des choses à améliorer, et nous avons tiré le retour d'expérience pour les prochaines opérations que nous allons conduire, dès le début de l'année prochaine. Je n'en fais pas un modèle, mais une forme de référence que je voudrais répliquer, notamment avec les forces armées maliennes et burkinabées dans les mois prochains.
Vous m'interrogez sur la perspective de la fin du surge. Pour l'instant, aucune décision n'a été prise à ce sujet, et les travaux sont en cours. Clairement, je ne pourrai pas faire plus avec moins. Le surge nous a permis d'obtenir des résultats dans le Liptako contre l'EIGS. Cela a fait baisser la pression, de sorte que nous pouvons engager Takuba dans le Liptako. Je vous confirme d'ailleurs que Takuba est bien sous les ordres de Barkhane. Pouvoir divertir des moyens franco-français du Liptako, parce que Takuba prend la relève, me permettra de basculer davantage mon effort, en partenariat avec les FAMa, dans le Gourma contre le RVIM, qui est certainement l'ennemi le plus dangereux.
Sur l'avenir du soutien américain, je ne sais pas quelles seront les décisions de la nouvelle administration américaine, mais ce que nous avons fait, ce que nous sommes en train de faire avec les partenaires militaires américains et ce que nous prévoyons de faire dans les mois qui viennent me laisse plutôt optimiste sur la qualité et la densité du soutien américain lors de nos prochaines opérations.
Vous évoquez la volonté de lutte des politiques maliens. À chaque fois que je les rencontre, ils me réaffirment leurs pleines et entières volonté et disponibilité pour continuer le combat contre les GAT, quels qu'ils soient. Pour l'instant, je n'ai donc pas de raison de douter de leur volonté dans ce domaine. Quant à la nouvelle hiérarchie militaire malienne, que je rencontre beaucoup plus souvent et avec laquelle je travaille très régulièrement, elle n'a aucun doute : elle s'efforce de réorganiser les FAMa afin de lutter efficacement contre les GAT.
Les drones nous ont apporté une capacité supplémentaire, que nous utilisons pleinement. L'essentiel est surtout que nous l'utilisions en parfaite coordination avec les autres composantes. Il s'agit de faire bouger l'ennemi, de créer de l'incertitude, de comprendre ce qu'il fait, et donc d'avoir le renseignement nécessaire. Cette manoeuvre nous permet de lui porter des coups à l'exemple de ceux de ces dernières semaines. Le drone armé est donc un moyen supplémentaire considérable et un facteur d'efficacité qui accroit la capacité de la force Barkhane. Nous attendons d'ailleurs le drone Block 5, qui nous permettra d'accroitre encore nos capacités dans ce domaine
M. Christian Cambon, président. - Merci pour toutes ces précisions, qui vont alimenter notre réflexion dans la perspective du débat que le Sénat va organiser, vraisemblablement en février, sur Barkhane.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Dans les échanges que nous pouvons avoir avec nos amis maliens - je parle de la population - on observe que la grande majorité respecte ce que nous faisons et est tout à fait consciente de nos sacrifices. Vous avez rappelé les nombreux succès tactiques, qui restent néanmoins insuffisants pour empêcher les organisations ennemies de s'étendre et de se diversifier. Aux raids terrestres se sont ajoutés des frappes aériennes, avec l'utilisation des drones. Est-ce là un changement tactique ? Va-t-il être amplifié ? Pouvons-nous envisager une réduction des forces terrestres ? Diversifier nos actions nous aiderait à mieux combattre les organisations terroristes. À quand la possibilité de combattre au sein des forces locales ?
M. Richard Yung. - Merci pour votre exposé très complet. Takuba permet d'intégrer des forces de différents pays : France, Estonie, puis Italie, etc. Pourquoi est-elle distincte de la force Barkhane ? Cela ne pose-t-il pas des problèmes de hiérarchie et de commandement ? A-t-elle une certaine autonomie ? C'est Takuba qui porte les nouvelles orientations que sont l'utilisation des drones et de forces spéciales. Al-Qaïda a une vision très politique des choses, alors que l'EIGS est plus local et revendique surtout davantage d'autonomie pour l'Azawad. Est-ce une chance pour nous qu'il y ait des divergences fortes entre Al-Qaïda et l'EIGS, sans parler des autres groupes ? Pouvez-vous en profiter sur le plan militaire ? Les négociations avec les GAT sont un problème épineux pour vous, puisque vos hommes sont frappés. Le nouveau Premier ministre malien, tout comme le chef de l'opposition, qui a été libéré, revendiquent l'ouverture d'un dialogue avec certains des groupes. Qu'en pensez-vous ?
M. Gilbert Roger. - Avec mon collège Cédric Perrin, nous avions commis le rapport ayant permis la décision d'armer les drones ; ce que vous venez de nous confirmer à ce sujet, mon général, renforce notre analyse. Concernant la situation en Libye, avec l'intrusion désormais forte de la Turquie et l'apport des mercenaires venant de Syrie, aurait-on besoin d'un renfort de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ? Ma deuxième question concerne l'Algérie. Avec l'adoption de la nouvelle Constitution, les politiques que nous sommes doivent-ils aider à clarifier l'aide apportée par ce pays ?
M. Olivier Cigolotti. - Mon général, comme vous l'avez rappelé, quatre opérations de haute intensité ont été menées ces dernières semaines, avec d'importants moyens matériels et humains, notamment dans la zone des trois frontières, où se trouvent près de 3 000 soldats - nos forces alliées bien sûr, mais également des Nigériens et des Maliens. Les résultats obtenus ont permis de communiquer, de façon plus large, sur l'opération Barkhane. Ces opérations ont-elles également démontré aux autorités maliennes qu'il n'était pas forcément utile de négocier ?
Par ailleurs, mon général, avons-nous encore affaire à un djihadisme endogène ou bien des éléments extérieurs viennent-ils se rajouter aux combattants des GAT ?
M. Pascal Allizard. - Mon général, il se dit que vous êtes de plus en plus confrontés à des enfants soldats manipulés par nos ennemis. Est-ce une réalité ?
Mme Vivette Lopez. - Je tiens tout d'abord, mon général, à vous dire mon respect et mon admiration. Ces derniers temps, nous avons pu constater la montée en puissance de l'utilisation des drones Reaper au Sahel. Celle-ci est-elle, selon vous, de nature à faire évoluer la configuration des déploiements sur place ?
M. Ronan Le Gleut. - Le 13 janvier dernier, lors du G5 Sahel à Pau, il a été décidé de concentrer nos efforts contre l'EIGS dans le Liptako et la région des trois frontières. Or, depuis février, nous constatons des affrontements entre l'EIGS et le GSIM, que l'on appelle souvent RVIM, lui-même né d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), d'Ansar Dine et des Katibat Macina et Al-Mourabitoun. Ces affrontements, ayant débuté après le sommet de Pau, remettent-ils en cause la priorité fixée alors ? Ne devrions-nous pas, désormais, viser le GSIM ?
M. Hugues Saury. - Fin novembre, plusieurs attaques terroristes revendiquées par Al-Qaïda ont visé, simultanément et en plusieurs points, la force Barkhane dans le nord du Mali. Heureusement, aucune victime n'est à déplorer, et il n'y a que quelques dégâts matériels, notamment à Kidal, à la suite de tirs de roquettes et d'obus. Comment expliquer cette coordination offensive nouvelle et comment y faire face ? Les terroristes sont-ils mieux équipés et, surtout, mieux organisés ? Cela fait-il évoluer notre stratégie sur place ?
Général Marc Conruyt. - Madame Conway-Mouret, vous avez parlé d'éventuels changements tactiques. Il serait illusoire de croire, comme certains, que l'on pourrait neutraliser les GAT uniquement en se reposant sur l'action de forces spéciales et les frappes aériennes. C'est la combinaison durable de tous les moyens à notre disposition - forces terrestres, forces aériennes, moyens de renseignements, etc. - qui nous rend efficaces. Sans cela, nous ne serions pas capables de lutter contre la tactique principale des GAT : se camoufler et se fondre dans la population. Les troupes terrestres sont essentielles pour leur contester le milieu, les contraindre dans leurs déplacements, pour fouiller et détruire leurs zones refuges, leurs camps d'entraînement. Nos résultats tactiques sur le terrain ont toujours été le fruit de la meilleure articulation entre nos différents moyens. De ce point de vue, nous avons acquis une grande maturité tactique, face à un ennemi qui évolue sans cesse.
Avec l'opération Bourrasque, nous avons déjà combattu aux côtés de forces sahéliennes. Il y a trois semaines, notre groupement commando a mené avec une section malienne des combats dans le Gourma. Nous avons combattu ensemble à 50/50, et demain, ce sera peut-être 25/75, avec un quart de forces françaises et trois quarts de forces sahéliennes ; nous n'en sommes pas encore là, mais nous avons progressé dans ce domaine.
Monsieur Yung, en termes de commandement, la Task Force Takuba est directement sous mes ordres, sans aucune ambiguïté possible.
Vous avez également évoqué les divergences entre AQMI et l'EI. Ces deux franchises, depuis plusieurs mois, ne cessent de se combattre. Bien entendu, tout ce qui permet d'affaiblir les deux groupes, ensemble ou séparément, nous intéresse, et nous cherchons à l'exploiter.
Concernant la délicate question des négociations, la position de notre pays a été fixée par le Président de la République. Il n'est pas question de négocier avec les groupes terroristes. À mon niveau, elle a été rappelée de façon très claire par le chef d'état-major des armées. Nous regardons la situation de près, car cela peut avoir des conséquences sur Barkhane. Lors de la libération des prisonniers djihadistes en plein milieu de l'opération Bourrasque, la question s'est posée de l'impact sur le moral des soldats, de la réaction des familles. Le chef d'état-major des armées, très rapidement, a donné notre position sur le sujet, ce qui a permis de clarifier les choses. Nos soldats savent pourquoi ils sont là ; ils connaissent le sens de leur mission, aux côtés de leurs camarades sahéliens.
Monsieur Roger, la Libye ne fait pas partie de ma zone d'opération, mais nous surveillons la situation, qui peut avoir un impact au Sahel. Quant à l'implication de l'OTAN, très honnêtement, je ne peux pas vous répondre.
L'implication de l'Algérie reste fondamentale dans la résolution de la crise sahélienne. Une relation plus approfondie, plus directe entre militaires français et militaires algériens serait sans doute utile, afin d'expliquer les objectifs poursuivis par Barkhane et de répondre à certains préjugés concernant l'action militaire française au Sahel.
Monsieur Cigolotti, nos dernières opérations n'ont pas de rapport avec la question des négociations. Les opérations conduites, notamment dans le Gourma contre le RVIM, sont fondées essentiellement sur du renseignement ; d'autres opérations ont été menées parce que nous nous sommes retrouvés face au RVIM dans nos zones d'opérations. Je n'ai jamais reçu la moindre directive pour lier mes opérations à la dynamique des négociations ou à un exercice de communication particulier.
Monsieur Allizard, depuis ma prise de commandement, dans toutes les opérations menées, je n'ai pas été le témoin de la présence d'enfants soldats. Je sais que la question a été soulevée l'été dernier ; nous restons très attentifs à ce sujet.
Madame Lopez, je vous le confirme, l'utilisation du drone Reaper, doté de fonctions de renseignement et de frappe, est de première importance. Les drones Reaper armés viennent s'ajouter aux autres moyens de frappe, avec une possibilité d'observation d'une durée bien supérieure. Nous attendons la nouvelle version, qui nous permettra d'être encore plus précis et plus efficaces.
Monsieur Le Gleut, sachez que les deux groupes terroristes font l'objet, de notre part, de la même attention. Certes, lors du sommet de Pau, il nous avait été demandé de nous concentrer sur l'EIGS, mais nous n'avons jamais négligé le RVIM. Un certain nombre des emprises de Barkhane, à Gossi, Gao ou Tombouctou, se trouvent dans la zone d'action du RVIM. Et ce n'est pas parce que nous venons de frapper le RVIM assez durement dans le Gourma que nous allons relâcher notre effort contre l'EIGS dans le Liptako, où nous poursuivons en parallèle nos opérations. L'EIGS ne doit pas relever la tête après tous les efforts accomplis depuis le sommet de Pau ; et nous devons continuer d'affaiblir le RVIM.
Enfin, monsieur Saury, les attaques indirectes que nous avons subies, par des mortiers et des roquettes, sont un sujet de préoccupation permanent. Nous avons été attaqués simultanément, sur des emprises différentes, mais ce n'est pas la première fois que nous devons faire face à de telles attaques. Le RVIM, au regard des pertes que nous lui avons infligées, a besoin de réagir sur le plan de la communication et Barkhane, symboliquement, représente une cible opportune. À cela s'ajoute l'arrivée d'un nouvel émir, successeur d'Abdelmalek Droukdel à la tête d'AQMI, qui souhaite probablement marquer son territoire.
Nous réfléchissons en permanence à la manière de contrer cette menace. Ce n'est pas facile, nos ennemis agissent la nuit, ils se mettent en position de tir en quelques minutes, envoient deux ou trois roquettes et disparaissent. Heureusement, lors de l'attaque, tous nos moyens de prévention ont fonctionné et permis de mettre nos soldats à l'abri.
Nos ennemis sont-ils mieux équipés ? Non, les mois précédents, à Gossi ou Tombouctou, ils nous avaient frappés avec les mêmes moyens qui restent rudimentaires.
M. Christian Cambon, président. - Merci, mon général, pour tous ces renseignements, qui vont nourrir notre réflexion en vue du débat prévu au début de l'année 2021. Le Parlement - et singulièrement la commission des affaires étrangères et de la défense - est en charge d'exercer un contrôle sur l'ensemble de ces actions, qui coûtent 2 millions d'euros par jour. La signification première de ce débat sera, d'une part, de renouveler notre soutien aux 5 100 soldats et, d'autre part, de demander au Gouvernement de préciser ses intentions afin de transformer en stabilité politique les succès militaires enregistrés. Comme le rappelait le général Castres dans une communication qui avait marqué notre commission, de telles opérations sont comme des autoroutes avec des bretelles de sortie, et il faut savoir laquelle choisir pour déboucher sur un paysage donné. Le Gouvernement devra donc préciser, dans les mois et les années à venir, comment il entend organiser cette transition vers un pouvoir politique transformant la situation actuelle, alors même que les précédentes autorités maliennes n'ont pas exprimé de volonté forte de réconciliation.
Mon général, au nom de la commission, je vous renouvelle notre soutien, notre admiration et notre totale confiance. Notre collègue Olivier Cadic est parmi vous. J'espère que nous aurons l'occasion à notre tour, très prochainement, de venir vous porter ce témoignage de confiance et de nous rendre compte de la situation sur place. Je retire, de mes deux précédentes visites, beaucoup d'enseignements ; sur le terrain, on se rend compte à la fois de la difficulté de la tâche et de l'enthousiasme des soldats qui vous entourent, avec ce sentiment très fort de défendre, loin des frontières de notre pays, notre sécurité et nos valeurs.
Bilan et perspectives de l'opération Barkhane - Audition de M. Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali
M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie de participer à ce cycle d'auditions consacrées à la crise malienne afin de préparer le débat que nous aurons début 2021 sur l'opération Barkhane.
Nous allons aborder avec vous le volet politique de la crise malienne. C'est l'absence d'engagement politique au Mali pour la paix qui empêche de transformer en stabilité politique les succès militaires qu'a enregistré Barkhane ces dernières semaines.
Avec 5 100 hommes sur le terrain, 50 d'entre eux ayant laissé leur vie au Sahel, et un coût de cette opération de plus de 2 millions d'euros par jour pour le contribuable, nous sommes donc concernés au premier plan par ce qui se passe à Bamako.
Nous aimerions avoir votre analyse sur la situation politique malienne qui a beaucoup évolué depuis que nous avons entamé ce cycle d'auditions, avec l'arrivée au pouvoir à Bamako d'un gouvernement militaire ayant renversé le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK).
Après une sorte d'état de grâce qui n'aura duré que quelques mois et pendant lequel la junte, le « comité national pour le salut du peuple » (CNSP) a donné des gages de sa volonté d'avancer vers une régularisation démocratique, les critiques se sont récemment multipliées. C'est en tout cas le sentiment que nous ressentons à Paris. On observe notamment une rupture entre le CNSP et les partis, qui ont vivement protesté contre les modalités de désignations du Conseil national de transition (CNT), dont les membres ont été nommés samedi dernier. L'Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), premier syndicat du pays, a appelé à la grève. Pourriez-vous tout d'abord faire le point sur cette situation politique en évolution rapide : quelles sont les prochaines étapes et est-ce que nous nous acheminons toujours vers un retour à davantage de démocratie ? Par ailleurs, peut-on espérer que celle-ci fonctionne mieux qu'auparavant, ce qui supposerait le renouvellement d'une classe politique qui a perdu une partie de son crédit auprès de la population ?
Le deuxième aspect qui nous intéresse ce matin est la question de la lutte contre le djihadisme et le développement du processus de paix. Où en sont le processus de désarmement-démobilisation-réintégration (DDR) et la poursuite des réformes institutionnelles prévues par l'accord d'Alger ? Est-ce que la population, notamment à Bamako, comprend bien les enjeux de la lutte contre le terrorisme et comment perçoit-elle actuellement la présence de la France ? C'est très important car nous avions eu plusieurs témoignages de campagnes anti-françaises.
Ceci nous amène naturellement à la question de l'attitude des autorités vis-à-vis des djihadistes : existe-t-il sur ce point un écart entre la position française et la position malienne ? La presse a fait état d'écarts. Cela nous interpelle. Par ailleurs, en savons-nous davantage sur la libération des 200 prisonniers en échange des otages ? Nous nous réjouissons bien entendu de la libération des otages, mais nous avons aussi eu l'occasion d'exprimer notre perplexité et notre préoccupation sur la contrepartie de cette opération.
M. Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali. - Je vous remercie de votre invitation et du soutien du Sénat dans cette région sahélienne, où la diplomatie parlementaire est souvent présente et dont les messages, notamment au Mali, sont entendus par les autorités.
A quelques jours près, c'est l'anniversaire de la mort de 13 de nos soldats, dont je salue la mémoire.
La traduction politique de l'opération Barkhane, notamment à travers le retour de l'État malien dans les territoires sécurisés, est une vraie question en cette période de transition. Nous avons pour objectif le retour de l'Etat et de l'administration pendant cette période de transition. L'enjeu global est de faire de la nouvelle situation politique qui s'est imposée, une opportunité pour le pays.
L'impasse de l'été dernier a débouché sur une intervention des militaires le 18 août, un coup d'État, unanimement condamné par la communauté internationale. Mais nous avons dû prendre acte de la nouvelle donne politique dès lors que l'ancien Président IBK a reconnu formellement avoir démissionné devant les observateurs de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (Cédéao). Une phase de transition militaro-politique s'est installée. La démocratie malienne a été mise entre parenthèse. La Cédéao a été très réactive et a joué un rôle salutaire. Sa médiation est parvenue à un double objectif : obtenir que cette période de transition soit la plus courte possible et qu'à son issue soient organisées des élections générales pour rétablir la normalité constitutionnelle et disposer d'un président et d'un gouvernement légitimes.
Je voudrais préciser que, même si la méthode est condamnable, nous ne sommes pas dans le même contexte, ni avec les mêmes acteurs que lors du précédent coup d'État en 2012, qui a été brutal et a précipité la ruine du pays. La grande différence est que la majorité de la population malienne n'a pas mal accueilli cette intervention militaire, voire l'a accueillie avec un certain soulagement. Mais la période de grâce s'amenuise, même si les nouvelles autorités de la transition bénéficient toujours d'un certain capital sympathie.
Je répète que, si la méthode est condamnable, dès lors que des engagements ont été pris par les nouvelles autorités vis-à-vis de la Cédéao, il n'y a pas d'autres choix que d'accompagner cette transition. Le défi auquel est confronté le Mali dépasse les enjeux de gouvernance à Bamako. Il s'agit de la menace terroriste, des conflits entre communautés, du développement durable du pays, du retour des services sur l'ensemble du territoire national, de la mise en oeuvre de l'accord de paix, sans oublier la crise sanitaire qui a lourdement grevé le budget de l'État et pénalisé l'économie malienne. Il faut faire en sorte que cette transition réussisse pour le Mali et pour la stabilité de la région. Le chaos intérieur profiterait à ceux qui veulent déstabiliser toute la région.
Mais accompagner la transition ne veut pas dire « signer un chèque en blanc ». Les autorités ont pris des engagements envers leur propres populations et plus elles seront déterminées dans l'exécution de leurs engagements, et plus elles seront soutenues par la communauté internationale. C'est notre message principal.
Une nouvelle architecture institutionnelle a été mise en place : établissement d'un exécutif avec à sa tête un civil, constitution d'un Parlement de transition (Conseil national de la transition : CNT) qui doit entraîner la dissolution du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec à sa tête un militaire de l'ancienne junte, en accord avec la Cédéao. De plus a été créé un poste de Vice-président de la transition, avec des compétences limitées aux sujets de sécurité et de défense. Sur le fond, les autorités de la transition ont adopté le 1er octobre dernier une charte de la transition et le Premier ministre a préparé un plan d'action regroupant les principaux engagements et les réformes envisagées :
Comme convenu le CNT a été mis en place même s'il s'est constitué dans la douleur. Il y a eu en effet un bras de fer entre les autorités de la transition et la classe politique traditionnelle qui ne voulait pas se laisser évincer. Beaucoup de cadres de ces partis politiques se sont toutefois inscrits à titre individuel pour faire partie du CNT.
Le deuxième engagement porte sur la durée de la transition. Le temps file et il reste 16 mois. C'est très bref et il faut aller vite.
Le troisième engagement concerne le rétablissement de la sécurité. A cet égard, il faut le souligner, on constate que la lutte contre le terrorisme, menée par les autorités maliennes avec les forces partenaires dont Barkhane en particulier, n'a pas faibli. Au contraire, elle s'est renforcée. Et je relève que les relations entre l'état-major malien et les forces partenaires de Barkhane sont de plus en plus fluides. Autre preuve de la détermination des autorités maliennes à combattre le terrorisme, les deux procès qui viennent de se tenir à Bamako contre les auteurs d'attentats, qui ont été condamnés à des peines de détention à vie.
En revanche, si l'on regarde le retour de la sécurité dans le centre du pays, force est de constater que le défi reste entier tant la situation est complexe. En effet, la violence tire son origine, à la fois, du terrorisme pur, des frustrations sociales et économiques et des tensions entre communautés exacerbées par la pression foncière et les changements climatiques. C'est une région qui doit être privilégiée et il ne pourra y avoir une stabilité durable tant que l'État ne se sera pas réapproprié le territoire, à la fois militairement et par le retour des services à la population avec une bonne administration.
Je vous rappelle que l'adhésion de la population est essentielle. Dans certains endroits, elle a parfois préféré être sous le joug d'une idéologie fanatique plutôt que soumise à une administration perçue comme prédatrice !
Un autre engagement de la transition consiste dans le lancement de chantiers de réformes politiques et institutionnelles, notamment la réforme du processus électoral avec la révision du fichier électoral, des scrutins crédibles, la lutte contre la fraude et la révision du code électoral. Une fois que le CNT aura validé le plan d'action, le gouvernement va proposer les différentes étapes pour faire aboutir cette réforme qui doit permettre un retour au système démocratique, avec en premier lieu des élections crédibles, transparentes et incontestables. C'est un objectif répété par les autorités.
La promotion de la bonne gouvernance est un autre engagement. C'est là aussi un vaste chantier associant tous les membres de la société malienne jusqu'à la justice qui doit faire pleinement son travail. Les travaux de l'Office national de lutte contre l'enrichissement illicite ont été valorisés. Des dossiers ont été transmis à la justice. Au-delà de procès emblématiques, il faut maintenant des actes concrets de prévention, de pédagogie, de contrôle et de sanctions au sein même de l'administration, car la bonne gouvernance ne concerne pas seulement les politiques de haut niveau mais aussi les fonctionnaires qui abusent des situations de rente.
Un autre engagement essentiel concerne la lutte contre l'impunité. Après les exactions commises par des milices et aussi par des forces militaires de sécurité, des juges d'instruction ont mené des enquêtes, avec l'aide dans certains cas d'officiers de police judiciaire français. Mais aujourd'hui, on doit organiser les procès. Des tribunaux militaires ont également été saisis. C'est un vrai progrès à mettre au crédit des nouvelles autorités. Mais les délits les plus graves n'ont pas encore été jugés.
Enfin, la mise en oeuvre de l'accord de paix et de réconciliation dans le nord, dit accord d'Alger, est le dernier grand engagement, mais non le moindre. Le comité de suivi de cet accord vient de se réunir le 16 novembre dernier et ses résultats sont prometteurs quant à la reprise de la réintégration des ex-rebelles dans l'armée malienne, à l'accélération du processus de décentralisation et au rattrapage en matière de développement des régions septentrionales. Le dialogue a repris et est facilité par la présence au sein du gouvernement de représentants des régions du Nord.
Même s'il y a du retard, cette transition est porteuse d'espoir, elle a déjà obtenu des acquis en matière de lutte contre le terrorisme et de reprise du dialogue sur l'accord de paix. Mais d'autres engagements en sont encore au stade des déclarations d'intention. Il y a trois écueils importants : le temps, un front social qui grogne et des calculs politiques et une classe politique qui refuse d'être écartée. Il faut maintenant que ces autorités, qui ont encore un capital sympathie, favorisent l'inclusivité, un consensus vers la paix sociale et une union sacrée pour le pays. Elles doivent faire plus de pédagogie et de communication sur leurs intentions.
Je dois préciser que les nouvelles autorités souhaitent poursuivre un partenariat stratégique avec la France pour des raisons historiques, humaines, culturelles, sécuritaires et économiques. Dans ce contexte, et même au plus fort de la crise à ses débuts, nous avons maintenu notre coopération. Parce que, je l'ai dit, les enjeux et défis sont considérables dans ce pays. Mais nous le faisons tout en rappelant les attentes et les engagements pris de la part des autorités pour réaliser les réformes nécessaires. Nous la poursuivons en nous adaptant en fonction des réalités, en la renforçant dans certains secteurs, notamment le social et la justice. Notre détermination à accompagner le Mali s'est traduite par la visite du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le 26 octobre dernier, avec l'octroi de prêts et de subventions d'un montant total de 150 millions d'euros, pour la réalisation de projets qui doivent améliorer le quotidien des maliens, l'accès à l'énergie, à l'eau potable, à l'éducation et à l'emploi des filles, à des services sociaux pour les plus démunis, et à un système bancaire qui finance davantage l'économie malienne. Nous avons également accordé une aide budgétaire exceptionnelle de 10 millions d'euros pour soulager l'État d'une partie de ses dépenses de santé publique et pour aider les familles touchées par la crise de la Covid-19.
Notre partenariat sécuritaire avec les autorités de transition pour combattre de terrorisme ne cesse de monter en puissance, avec davantage d'opérations conjointes et de nombreux succès. De nouvelles opérations sont planifiées pour début 2021. Les Maliens sont aussi au rendez-vous avec cette nouvelle force européenne, Takuba, sous l'égide de Barkhane, qui vise à former les troupes maliennes au combat. Enfin, il s'agit d'accompagner les Forces armées maliennes (FAMA) dans leur propre adaptation, en mettant en place une nouvelle stratégie plus mobile et offensive avec des moyens adaptés (véhicules légers, motos). Cela nécessite un changement de mentalités et des moyens.
Une autre étape indispensable passe par la modernisation de la gestion des effectifs de l'armée malienne. Le second objectif est le retour des services publics sur le territoire. Une bonne administration doit pouvoir répondre aux besoins fondamentaux de la population. C'est pourquoi l'AFD va intervenir dans les régions les plus fragiles, notamment du centre et du nord du pays, afin de permettre un accès et une distribution de l'électricité, de l'eau potable, et l'assainissement des eaux usées. L'AFD renforce également son partenariat pour faciliter les capacités de maîtrise d'ouvrage des collectivités locales, pour des projets de proximité. Enfin, elle appuie la déconcentration et la décentralisation.
Nous soutenons l'accélération de la mise en oeuvre de l''accord de paix d'Alger, dans tous ses volets (DDR, décentralisation, développement local). Nous avons décidé d'apporter cette année un soutien de 2 millions d'euros au fonds de développement durable créé pour permettre, notamment, un rattrapage des régions du nord.
Notre appui à cette transition passe également par la justice, la lutte contre l'impunité, la participation à un programme de renforcement de la chaîne pénale, la lutte contre la corruption et l'amélioration des conditions de détention des prisonniers.
Nous apportons également une aide à l'Office national de lutte contre l'enrichissement illicite, à travers des formations, des bourses, des stages.
Notre appui se portera enfin sur la préparation du processus électoral, avec un certain nombre de partenaires qui disposent d'une expertise en la matière. Nous allons nous concentrer sur la formation des observateurs locaux pour favoriser la neutralité et la transparence des élections.
Voilà l'état des lieux et la présentation de notre soutien pour que la transition réussisse. Il faut toutefois rester vigilant alors que les attentes sont importantes.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour cette présentation et ces éclaircissements sur la situation politique.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous avez très bien résumé la situation politique et le rôle que joue la France dans l'accompagnement de cette transition. Quels sont les autres pays présents qui accompagnent activement cette transition ? Pourriez-vous nous parler aussi de l'impact de la crise sanitaire et sécuritaire sur notre présence ? On nous rapporte une flambée de l'épidémie avec des hôpitaux saturés et un manque d'oxygène. Y a-t-il un impact sur le lycée, l'institut français et nos entreprises ?
M. Philippe Folliot. - Concernant l'anniversaire de la mort de 13 de nos soldats, je pense à notre ex-collègue, Jean-Marie Bockel, particulièrement touché.
La situation sécuritaire dépend aussi d'éléments relatifs à la situation économique. Quand il y a un terreau de misère, quand une partie de la population n'a pas accès à l'éducation, cela favorise l'insécurité et les desseins des organisations terroristes. Je souhaite vous interroger sur la situation économique du Mali qui est un des rares pays au monde qui a un PIB/habitant inférieur à 1 000 $ par an. Ce pays se caractérise par une très forte dépendance en matière de ressources, l'exportation du coton à l'état brut et de l'or. Le pays doit faire face à une corruption endémique et à des infrastructures défaillantes. La croissance va être quasi nulle cette année. Par contre, la croissance démographique continue. Pouvez-vous nous dresser l'état des perspectives économiques globales maliennes ? Et y a-t-il des éléments de différenciation entre les régions ?
M. François Bonneau. - Qu'en est-il des dernières discussions des autorités en place avec l'émir du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), Iyad Ag-Ghali ?
M. Yannick Vaugrenard. - Vous nous avez parlé de transition porteuse d'espoir. Je souhaite parler aussi d'une partie de la transition porteuse d'inquiétudes. La guerre dure et les responsables maliens n'excluent plus d'engager des négociations avec ceux pour lequel le Mali avait appelé la France à intervenir. Le Premier ministre de transition a parlé d'engager une discussion avec les terroristes, ce qui est partagé avec une partie de l'opinion malienne démoralisée par ces années de guerre. L'imam Dicko est très influent au Mali et fut l'un des premiers à défendre le dialogue avec les djihadistes. Des appuis extérieurs, l'Algérie, la Mauritanie, le Secrétaire général de l'ONU lui-même, sont venus soutenir cette position de dialogue avec certains groupes extrémistes. La France ne risque-t-elle pas de se retrouver isolée ? La coordination et la coopération avec les forces partenaires est actuellement exemplaire. Du coup, n'y a-t-il pas un risque d'affaiblissement de ce soutien compte tenu des discussions qui pourraient s'engager avec les forces djihadistes?
M. Olivier Cigolotti. - Après avoir clairement rappelé les clefs de la réussite de cette transition malienne, pensez-vous que les autorités de transition soient en capacité d'édicter de nouvelles règles de coopération ou faudra-t-il attendre le déroulement des élections générales début 2022 ? Dans ses propos, le Premier ministre de transition va assez loin, en disant qu'il est possible de s'entendre avec « les enfants du pays », parlant de certains groupes armés terroristes. Y a-t-il une prise de conscience de la nécessité d'un accord global qui prenne en compte les dysfonctionnements économiques, sociaux ou termes de gouvernance ?
M. Richard Yung. - J'ai une question sur le protocole d'Alger. Pendant les deux mandats d'IBK, il ne s'est rien passé pour la mise en place du protocole. Les choses ont l'air de s'améliorer et des discussions ont repris sur la décentralisation de la région Nord du Mali. Compte tenu de la situation actuelle, y a-t-il des chances que ces discussions progressent, Alger ayant été le moteur principal, avec la France, de ces accords ?
M. Guillaume Gontard. - Je vous remercie de cette présentation des conditions politiques au Mali et de cette période de transition. L'État malien est en proie à de nombreuses sources d'instabilité. L'opération Barkhane tente de juguler les opérations terroristes. Mais n'est-il pas temps de rééquilibrer la balance en faveur de l'aide publique au développement et de l'augmenter ?
M. Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali. - Pour répondre à vos différentes questions : Nous ne sommes effectivement pas seuls à vouloir accompagner la transition et le Mali. Depuis le sommet de Pau en janvier 2020, cet effort collectif s'est accru avec le lancement de la Coalition internationale pour le Sahel. Nous avons entrepris un plaidoyer auprès des partenaires pour faire valoir que les défis que connaissait le Mali étaient des défis pour toute la communauté internationale. Cela s'est notamment traduit sur le plan sécuritaire par la constitution de la force Takuba, soutenue par de nombreux pays notamment l'Estonie, la République tchèque, et bientôt la Suède, l'Italie, le Danemark... Sur le plan du développement économique, et notamment à travers l'Alliance Sahel, l'aide internationale se concentre sur les régions les plus fragiles. En dehors de la France, les principaux partenaires sont l'Union européenne, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne. La Banque mondiale et les banques régionales de développement (BAD, BOAD...) n'ont pas faibli dans leur appui en cette période cruciale pour le pays. Cela passe aussi par un dialogue plus exigeant en matière de réformes. Un certain nombre d'indicateurs devront être atteints !
S'agissant de l'impact de la Covid, nous sommes aussi dans une deuxième vague. La première vague a relativement épargné le Mali en nombre de victimes. Actuellement nous sommes assez inquiets car il y a beaucoup de cas asymptomatiques. Les gens se font dépister de manière fortuite lors de voyages aériens. Le virus se diffuse rapidement. Nous avons appuyé le ministère de la santé dans son plan de risposte, avec des financements de l'AFD, pour des équipements d'hôpitaux et des tests de dépistage. Nous (ministère de l'Europe et des affaires étrangères) avons contribué à de l'aide alimentaire à hauteur de trois millions d'euros alors que les circuits de distribution ont été perturbés.
La lutte contre le terrorisme passe aussi par la bonne gouvernance et le développement et la présence de l'Etat sur tout le territoire national, ce qui empêchera les terroristes d'exploiter le désarroi des populations qui peuvent se sentir abandonnés de l'Etat. Mais il faut un bon Etat, présent mais aussi qui ne soit pas prédateur. Il y a 15 ans déjà, dans certaines régions périphériques, la présence de l'État n'était que symbolique.
Nous avons décidé de soutenir le développement local. Avec de petits projets, c'est aussi une manière de favoriser la décentralisation et les compétences des collectivités. Cela s'accompagne de financements et de conseils pour la mise en oeuvre de ces projets et le choix des opérateurs.
Nous sommes également présents dans des expériences de retour de l'État dans les zones en cours de sécurisation, dans la région du Liptako Gourma notamment, et à Menaka. La première condition est que les FAMa se soient réinstallées dans ces zones qui sont aussi des lieux de passage et de trafic avec le Niger et le Burkina Faso. Les forces de sécurité intérieures doivent ensuite revenir, ce qui doit permettre aux services publics de se réinstaller progressivement dans ces zones fragiles afin d'apporter les services de base à la population (état civil, santé, services vétérinaires...). Nous favorisons ce retour périodique de certains services de l'administration. C'est une solution transitoire en attendant une stabilisation permanente dans ces territoires. A Menaka, c'est le cas où l'action, avec le soutien de Barkhane, de l'ensemble des services de l'ambassade et des opérateurs français a contribué au retour à une vie publique et économique presque normale dans la ville.
Pour revenir à la crise sanitaire, oui la Covid a eu des conséquences sur l'économie malienne. Les restrictions de circulation infra-régionales, ont eu un impact sur les déplacements de la population et les échanges commerciaux. Même si l'or est une principale ressource d'exportation, les prévisions de croissance qui tournaient autour de 5% ont été revues à la baisse cette année, une année qui est également mauvaise pour le coton.
Mais le Mali n'est pas en défaut de remboursement de ses dettes, du paiement des salaires de ses fonctionnaires et des militaires et du fonctionnement de son administration et de sa sécurité. Il n'a pas de problème d'émission de ses bons du Trésor sur la place régionale. Il y a une certaine confiance dans l'économie malienne. L'État malien a encore une bonne signature, confortée par l'appui des bailleurs qui financent les grands projets d'infrastructures. Enfin, la Covid et les aléas politiques n'ont pas causé l'effondrement du système bancaire comme en 2012. Ce n'est pas un Etat failli.
Pour répondre à votre question s'agissant de la question du dialogue avec les djihadistes, je tiens d'abord à rappeler que la discussion sur la libération de détenus djihadistes en échange de la libération de Soumaïla Cissé, avait été initiée par les précédentes autorités maliennes, sous la présidence de l'ancien chef de l'Etat. L'ancien président était marqué d'ailleurs par les reproches de la classe politique de ne pas en faire assez pour libérer son opposant. Les nouvelles autorités de la transition ont hérité de cette discussion en cours. Je note surtout que la lutte contre le terrorisme sur le terrain n'a jamais été aussi déterminée. Et des procès ont été tenus contre les auteurs d'attentats sanglants.
La question du dialogue est délicate. Les autorités maliennes ont bien conscience que le dialogue avec les terroristes qui ne renoncent pas à la violence, serait un marché de dupes. À l'automne dernier, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avait dit que le dialogue serait possible si les forces étrangères quittaient le Mali. Les Maliens ne sont pas dupes, ils savent bien que si ces forces partent AQMI ou l'EIGS en profiteraient pour accroitre leur emprise sur le territoire malien. Dans l'esprit des autorités maliennes, on peut distinguer les terroristes qui ne renoncent pas à la violence et manifestement se refusent à entrer dans un processus de concertation et les autres. Effectivement Il y a des individus qui se sont engagés dans des groupes « franchisés » par AQMI pour des raisons de frustration sociale, économique ou communautaire. Dans le centre du pays en particulier, des médiations peuvent être tentées pour essayer de décrocher ceux qui se sont engagés dans une radicalité pour des raisons autres qu'idéologiques. C'est dans cette direction que les autorités maliennes pensent aller. Mais négocier avec des chefs qui veulent imposer leurs vues par la violence, leur volonté de détruire l'Etat malien, c'est une ligne rouge. Et répondre à leur demande de départ des forces internationales serait suicidaire et les autorités maliennes en ont bien conscience. S'agissant de l'imam Dicko que vous évoquez, il est une personnalité pour laquelle nombre de maliens ont de la considération. On ne peut pas l'ignorer. Il est une figure religieuse rassurante pour beaucoup, qui s'attache à des valeurs traditionnelles Il a toujours estimé qu'on peut tenter une médiation avec certains groupes de terroristes, avec l'objectif affiché de les faire renoncer à la violence. Pour notre part, je l'ai dit plus haut, nous considérons qu'il faut être plus que prudent et qu'il y a des lignes rouges qu'on ne peut franchir, comme négocier coûte que coûte avec les chefs comme Koufa ou Iyad.
Sur l'accord d'Alger, beaucoup de choses ont avancé. Le dispositif normatif sur la décentralisation est prêt à être mis en oeuvre. Sur la question de la réintégration d'ex-rebelles dans l'armée, les forces de sécurité ou l'administration, le dispositif est également prêt. Il y a même eu une opération de réintégration accélérée qui a concerné 1 200 ex-rebelles dans l'armée malienne en vue de redéploiements et d'opérations de sécurisation dans certaines villes du Nord. Il faut continuer le processus d'intégration, qui concerne encore environ 1 000 personnes à court terme. Sur l'aspect « développement » de l'accord, il faut que les choses aillent plus vite. Le fonds de développement durable mis en place pour le rattrapage économique et le développement des régions du Nord est soutenu par la France à hauteur de deux millions d'euros. Les entreprises maliennes y contribuent à travers une taxe sur leur chiffre d'affaires. Ce fonds doit désormais concrètement financer des projets dont la liste a déjà été dressée.
Il faut franchir le pas pour concrétiser pleinement ces efforts, et parfois contre une certaine mauvaise volonté politique qui redoute de donner une plus grande autonomie au Nord du Mali. Il y avait aussi chez certains militaires maliens une réticence à réintégrer dans leurs rangs des déserteurs. Les barrières sont à la fois politiques et psychologiques. Ce qui manque pour la mise en oeuvre complète de l'accord d'Alger, c'est aussi de la pédagogie et de la communication sur les avantages de cet accord. Et cela, il appartient d'abord aux autorités maliennes de le faire. Cela n'a pas été suffisamment fait par le passé. Il faut que les autorités soient pédagogues, fassent comprendre que l'accord d'Alger bénéficiera à la population malienne dans son ensemble et que l'unité du territoire malien n'est pas mise en cause.
Tout est prêt sur le plan normatif. Ce qui me rend optimiste, c'est que les représentants des ex-mouvements rebelles, signataires de l'accord, ont aujourd'hui intégré le gouvernement national. Au quotidien, ils se côtoient et peuvent se parler, mieux s'expliquer.
Concernant l'Algérie, je vous rappelle que l'accord a été signé à Alger et que l'Algérie est présidente du Comité de suivi garant de la mise en oeuvre de l'accord. Comme nous, l'Algérie promeut la stabilité du Mali, c'est son intérêt alors qu'elle est son voisin immédiat. Par conséquent, elle pèse activement pour que chaque partie signataire de l'accord s'engage pleinement et joue le jeu.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, pour les précisions et analyses que vous venez de nous apporter. Nous pouvons en effet regarder la situation comme un verre à moitié vide ou à moitié plein. Nous allons essayer de le voir comme vous, à moitié plein. Si en cas d'échec, on offre un avenir à l'imam Dicko à la tête du Mali, ce serait la consternation pour mes collègues qui suivent l'engagement de nos forces depuis des années !
Si je vous ai posé la question de la libération des otages, c'est parce que nous avons vu circuler des images de fêtes en l'honneur de prisonniers libérés dont certains avaient organisé des attentats contre des Maliens, mais aussi contre des Français. Nous sommes très vigilants et attentifs à la situation. L'Algérie aussi avait été très sévère sur la libération des prisonniers.
Nous sommes favorables à une transition démocratique. Nous n'oublions pas la présence de nos 5 000 soldats, dont certains de leurs camarades ont payé le prix du sacrifice suprême. Nous veillons à ce que cette présence française soit respectée, tout en respectant l'autonomie des forces politiques maliennes. Nous sommes présents pour assurer leur propre sécurité et nous sommes à vos côtés pour soutenir les efforts que vous déployez au milieu de toutes ces difficultés. Nous vous renouvelons notre confiance en espérant avoir l'occasion de venir vous rencontrer. Je rappelle que le Mali a l'intention d'instituer une seconde chambre, un « Sénat », que je considère comme une chambre de la réconciliation qui peut accueillir des gens qui sont associés à l'effort de paix. Nous allons suivre ces efforts avec beaucoup d'attention.
M. Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali. - La diplomatie parlementaire française aura en effet certainement toute sa place pour accompagner la future nouvelle configuration constitutionnelle et institutionnelle malienne qui est programmée, avec la création d'une seconde chambre.
La réunion est close à 12 h 30.
Situation du Venezuela - Audition de S.E. M. Hector Michel Mujica Ricardo, ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela auprès de la République française et des Principautés de Monaco et Andorre
M. Christian Cambon, président. - Nous recevons aujourd'hui l'ambassadeur Hector Michel Mujica Ricardo, une semaine après avoir entendu M. Juan Guaidó, qui est reconnu par de nombreux États, et notamment par la France, comme « président de transition, en charge de mettre en oeuvre un processus électoral ». Nous sommes, monsieur l'ambassadeur, au lendemain des élections législatives qui ont renouvelé dans votre pays l'Assemblée élue en 2015, élections auxquelles une partie de l'opposition - rassemblée autour de M. Guaidó - a refusé de participer, et qui ont été remportées, sans grande surprise, par la coalition soutenant le président Maduro.
Je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de notre commission, qui est ouverte au débat et au dialogue. En effet, lorsque des confrontations émergent, nous essayons d'entendre l'ensemble des parties afin de nous faire une idée, même - et surtout - lorsque les points de vue divergent. Nous avons ainsi reçu la semaine dernière l'ambassadrice d'Arménie et l'ambassadeur d'Azerbaïdjan, pour les entendre sur la question du Haut-Karabagh.
Comme vous le savez, les États-Unis, l'Union européenne et de très nombreux pays sud-américains ont rejeté lundi les résultats des élections législatives au Venezuela. Le chef de la diplomatie américaine, M. Mike Pompeo, a jugé que le scrutin de dimanche était « une farce politique », et il a indiqué que les États-Unis allaient « continuer à reconnaître » l'opposant Juan Guaidó comme « président par intérim » du Venezuela. De plus, le chef de la diplomatie européenne, M. Josep Borell, a fait cette déclaration : « Le manque de respect du pluralisme politique, la disqualification et la poursuite des dirigeants de l'opposition ne permettent pas à l'Union européenne de reconnaître ce processus électoral comme crédible, inclusif ou transparent, et ses résultats comme représentatifs de la volonté du peuple vénézuélien ». Pour le Royaume-Uni, ces élections sont « profondément entachées d'irrégularités ». Quant au groupe de Lima - alliance de seize pays, dont le Canada, le Brésil, la Colombie, le Chili et le Pérou -, il a appelé à « soutenir les efforts pour le rétablissement de la démocratie au Venezuela », critiquant le manque de « transparence » et l'absence « d'observateurs internationaux ».
Le prononcé de ces prises de position n'est sans doute pas très agréable pour vous mais, une fois encore, nous sommes là pour vous entendre et pour dialoguer. Le Venezuela est un grand pays, avec lequel nous avons des liens profonds, mais il est frappé par une crise économique et sociale dramatique, 80 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, et n'ayant plus accès aux biens et services essentiels. Quel peut être l'impact de ces élections sur la situation de votre pays, et que vont-elles changer au quotidien des Vénézuéliens ?
Par ailleurs, comment interprétez-vous l'abstention massive - 69 % - des électeurs à cette occasion ? Comment le pouvoir du président Maduro entend-il réagir face à la consultation populaire menée à partir d'aujourd'hui par l'opposition « non-officielle » emmenée par Juan Guaidó ?
Les rapports du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme font aussi le constat de graves violations des droits économiques, sociaux, civils, politiques et culturels dans votre pays. Le président Guaidó a chiffré ici même à 382 le nombre de prisonniers politiques ; le gouvernement du président Maduro se porte-t-il garant de la sécurité de celles et ceux qui ne sont plus parlementaires, ayant refusé de participer à ces élections, et qui ne seront plus protégés par leur immunité ? Quel statut a été donné à l'opposition ? J'insiste sur ce point, monsieur l'ambassadeur, car, à chaque fois que des parlementaires sont poursuivis, quels que soient le pays et le camp concernés, nous sommes très attentifs. Les parlementaires ont un droit sacré et cela vaut aussi pour ceux qui ne le sont plus. S'en prendre à eux est pour nous quelque chose de parfaitement insupportable.
Le président Maduro a affirmé vouloir rétablir « un dialogue décent et suivi » avec la nouvelle administration américaine, qui prendra ses fonctions le 20 janvier prochain. Qu'attend-il précisément de ce dialogue ? Qu'est-il prêt à faire pour le faciliter ? Des contacts ont-ils déjà été établis avec la nouvelle administration ?
Je vous cède la parole pour une quinzaine de minutes, et mes collègues vous poseront ensuite quelques questions. Je suis conscient que l'exercice n'est pas simple, mais nous mettons un point d'honneur à donner la possibilité à chacun de s'exprimer. Je précise enfin qu'avec votre accord, cette audition est filmée et retransmise en direct sur le site du Sénat.
M. Hector Michel Mujica Ricardo, ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela auprès de la République française et des Principautés de Monaco et Andorre. - Merci de m'accueillir dans cette enceinte prestigieuse, et de me donner la possibilité de partager avec vous mon analyse sur la situation de mon pays au lendemain des élections. Je suis d'autant plus sensible à votre invitation que les occasions sont rares de pouvoir s'exprimer, notamment en France. Pourtant, la crise vénézuélienne est complexe, s'explique par une multitude de facteurs, internes et externes, et il me semble que l'on doit d'abord rappeler les faits pour procéder à une analyse sérieuse et rigoureuse.
Tout d'abord, pour mieux comprendre les enjeux de cette élection, je tiens à préciser qu'il s'agit du 25ème scrutin organisé par notre pays depuis le début de la révolution bolivarienne ; rares sont les pays du monde à avoir organisé autant d'élections depuis vingt ans. Par ailleurs, je rappelle qu'à deux reprises au moins, l'exécutif s'est incliné devant le vote populaire : une première fois en 2007, lorsque le peuple vénézuélien a rejeté par referendum une réforme constitutionnelle, et une seconde fois en 2015, lors des précédentes législatives, au cours desquelles l'opposition est devenue majoritaire au Parlement.
Le Venezuela est une démocratie multipartite, dont le président est élu au suffrage universel, pour un mandat de six ans renouvelable. Son élection s'effectue lors d'un scrutin uninominal majoritaire à un tour et, en 2018, Nicolás Maduro a été réélu avec 67,8 % des voix. Différents candidats s'étaient présentés et son principal adversaire, Henri Falcón, a obtenu 20 % des voix. De nombreux observateurs internationaux - parmi lesquels l'ancien président du Sénat Jean-Pierre Bel ou l'ancien président du gouvernement espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero -, ainsi que la plupart des gouvernements étrangers ont reconnu la régularité de ce processus électoral. Je rappelle aussi que la Constitution vénézuélienne prévoit un contrôle du processus électoral, exercé par un Conseil national électoral, indépendant de l'exécutif. Pour mémoire, selon la Fondation Carter, le processus électoral vénézuélien est l'un des meilleurs au monde.
Après la prise de fonctions officielle de Nicolás Maduro pour son deuxième mandat, en janvier 2019, le député Juan Guaidó est devenu président de l'Assemblée nationale, puis s'est déclaré président de la République par intérim le 23 janvier 2019, comme s'il y avait une quelconque vacance du pouvoir. Cette crise a provoqué manifestations et conflits.
M. Guaidó a immédiatement été reconnu par l'Assemblée nationale vénézuélienne, contrôlée par l'opposition, et par les États-Unis. En effet, la Maison-Blanche avait soutenu et financé sa campagne, avec des moyens considérables. Dans le sillage des États-Unis, un certain nombre de pays ont à leur tour reconnu M. Guaidó, dont la France et quelques pays de l'Union européenne. Cependant, l'immense majorité des pays d'Afrique, d'Asie, du Proche-Orient, la Russie, la Chine, l'Iran, l'Inde et la moitié des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, soit la majorité de la communauté internationale, représentée par l'Organisation des Nations unies (ONU) fondée sur le respect du droit international public, et par la voix de son Secrétaire général António Guterres, ne reconnaissent que le gouvernement légitime et légal du président Nicolás Maduro.
Je souhaiterais à ce stade compléter vos informations sur la personnalité et la trajectoire de Juan Guaidó, que votre commission a entendu la semaine dernière. Depuis bientôt deux ans, il multiplie les coups de force médiatiques et les opérations factieuses, qui n'ont cependant abouti à rien de concret face au gouvernement vénézuélien, malgré le soutien massif de l'administration Trump. M. Guaidó s'est autoproclamé président sur la base de deux articles de notre Constitution. En effet, il n'avait ni les pouvoirs, ni les moyens, ni la légitimité pour exercer de telles fonctions. Il a prétendu « libérer le pays » via un prétendu corridor humanitaire à la frontière de la Colombie en février 2019, ce qui devait être le prélude de sa prise de pouvoir. Par ailleurs, il souhaitait une intervention militaire états-unienne, sous couvert d'une prétendue crise humanitaire, et l'administration Trump avait indiqué que toutes les options étaient sur la table, sous-entendant la possibilité d'une solution militaire. Rien de tout cela ne s'est produit malgré les prédictions de Juan Guaidó.
De février à mars 2019, accompagné par un sous-secrétaire d'État de l'administration Trump, Juan Guaidó a effectué une tournée en Amérique latine. Il n'a jamais expliqué ni justifié l'origine des fonds considérables qui ont été nécessaires à l'organisation de ses 91 voyages hors du territoire national. Il a également été à l'origine d'une tentative de soulèvement militaire le 30 avril 2019, qui s'est soldée par un nouvel échec et sa convocation par la justice vénézuélienne, pour des accusations de tentative de putsch et tentative d'assassinat contre le président Maduro. En janvier 2020, il a essayé de se faire réélire à la tête de l'Assemblée nationale, mais son concurrent Luis Parra est devenu président à sa place. De plus, M. Guaidó a été associé à une tentative avortée de débarquement de mercenaires américains sur les côtes vénézuéliennes en mai 2020, tentative soutenue par la CIA, dans le but d'assassiner le président Maduro et ses principaux collaborateurs. Selon certaines preuves, cette opération a été réalisée sur la base d'un contrat, signé par Juan Guaidó, ordonnant l'invasion du Venezuela par la mer, dans le cadre d'une opération appelée « Gedeon ». Par ailleurs, la tête de Nicolás Maduro, principale cible de cette opération, a été mise à prix par Washington pour un montant de 15 millions de dollars. Enfin, Juan Guaidó est visé pour diverses affaires de corruption. Neuf députés de l'opposition font aussi l'objet de poursuites judiciaires, visés par une enquête du Parquet vénézuélien pour sabotage, à la suite d'une panne électrique dont le pays a été victime. Il a également été vu en compagnie d'un groupe de narcotrafiquants et de paramilitaires colombiens, comme vous pouvez le voir sur ces images (M. l'ambassadeur fait projeter des photographies.) L'homme qui accompagne ici M. Guaidó contrôle le trafic de cocaïne au nord de Santander, en Colombie.
Les États-Unis s'appuient sur une petite frange de l'opposition représentée par Juan Guaidó. Contestant le suffrage universel, ces opposants extrémistes n'essaieront jamais de conquérir le pouvoir par les urnes. Mais ce qui est vraiment en jeu, c'est la profonde volonté d'indépendance du peuple vénézuélien, qui rejette la doctrine Monroe de 1823, réécrite sous la présidence de Donald Trump. Néanmoins, le Venezuela attire les convoitises, en raison de ses réserves pétrolières, supérieures à celles de l'Arabie saoudite.
Sous les administrations Bush, Obama et Trump, les agressions contre notre pays ont été multiformes. Des sanctions ont été prises, notamment contre la compagnie nationale Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), sachant que les revenus de l'État et du peuple vénézuéliens proviennent à 90 % de cette compagnie. D'ailleurs, le Trésor américain a interdit à PDVSA de commercer avec des entités américaines, et a gelé ses avoirs à l'étranger. Surtout, les raffineries de Citgo, filière de PDVSA aux États-Unis qui alimente la plupart des stations-service de ce pays depuis une trentaine d'années, ont été volées. Enfin, plus de 1,7 milliard de dollars sont bloqués au Portugal par la Novo Banco, contrôlée par des capitaux financiers américains. Il s'agit d'une prise de contrôle progressive et ordonnée des actifs du Venezuela, en tant qu'État indépendant. C'est le cas pour le pétrole, mais aussi pour une partie des réserves en or détenues par la banque d'Angleterre.
L'organisation des élections de dimanche dernier a fait l'objet d'un dialogue national, associant les partis soutenant le Gouvernement et une bonne partie de l'opposition qui accepte le jeu démocratique. Ce dialogue a notamment permis d'introduire une part de proportionnelle, et de faire passer de 167 à 277 le nombre de sièges à pourvoir. De très nombreux partis politiques étaient représentés, à travers plus de 14 000 candidats, et des machines à voter ont été utilisées. Ce scrutin s'est déroulé en présence de nombreux observateurs internationaux, venus de tous les pays. Notre système électoral est impeccable, et il est contrôlé par le Conseil national électoral, dans lequel siègent deux membres de l'opposition, trois membres soutenant le Gouvernement, et dont la présidente est indépendante.
J'ignore comment on peut accuser mon pays d'être une dictature. Comment on peut accuser le président Nicolás Maduro, un homme qui a toujours été prêt au dialogue, d'être un terrible dictateur. Quelles seraient les conséquences si un homme politique s'autoproclamait président par intérim dans un pays de l'Union européenne ? Cette action n'a aucune légitimité. Cependant, le dialogue et la communication sont essentiels. Comme l'a rappelé le président Cambon, nous avons des idéologies opposées, mais cela ne doit pas nous empêcher de communiquer. Et, dans les moments les plus difficiles, la politique et la diplomatie doivent nous permettre de discuter et de trouver des solutions. Et, à ce titre, la déclaration du chef de la diplomatie européenne, qui tente à tout prix de rendre le dialogue impossible, me semble abominable. Dans n'importe quel pays, des actions telles que celles qu'a menées Juan Guaidó auraient conduit leur auteur en prison depuis bien longtemps.
J'étais petit en 1964, quand le président de Gaulle est venu au Venezuela, mais j'en garde encore l'image. Mon père était francophile, je suis né en France en 1949, mon père était communiste et gaulliste à la fois, écrivain, directeur et fondateur de l'école de journalisme du Venezuela. Dans son bureau, il avait affiché deux grands posters : un de Lénine, et un de Charles de Gaulle. Les camarades lui demandaient tous comment c'était possible, mais c'est en fait assez simple. Charles de Gaulle était un grand patriote. Lors de votre audition de la semaine dernière, vous avez fait référence à cette célèbre tournée du général de Gaulle en Amérique latine. Et vous avez noté que le Venezuela de 2020 n'est plus celui de 1964. Vous avez raison, mais permettez-moi de vous dire que la France de 2020 n'est plus celle de 1964. Lors de cette magnifique tournée de trois semaines, le général de Gaulle a prononcé de très beaux discours, que j'ai relus, et dans lesquels il définissait les grands principes de la politique française en Amérique latine : défense inébranlable des indépendances nationales, respect des souverainetés nationales, non-ingérence dans les affaires intérieures, refus de la double hégémonie des États-Unis et de l'Union soviétique. C'est un fait : la France de 2020 n'est plus celle de 1964. Et si je devais comparer une personnalité vénézuélienne au général de Gaulle, puisque l'un de vos sénateurs s'est avancé sur ce terrain lors de votre précédente audition, le choix du commandant Hugo Chávez me semblerait le plus pertinent. Militaires tous les deux, officiers rebelles avant d'accéder au pouvoir, fondateurs des Cinquièmes Républiques française et vénézuélienne, catholiques fervents, adeptes des liens directs avec le peuple et partisans du referendum, sans être toujours suivis. Je vous remercie pour votre accueil et suis prêt à répondre à vos questions.
M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur l'ambassadeur, du courage dont vous faites preuve en exposant vos positions. Je vous rassure, toutes les sensibilités sont présentes autour de cette table, la commission n'ayant pas d'orientation particulière et représentant les diverses sensibilités de cette maison, ce qui nous honore. Je souhaiterais commencer par vous poser une courte question : des pourparlers ont eu lieu, à Oslo d'abord, puis aux Antilles ; y a-t-il encore des discussions en cours entre les deux parties ?
M. Mujica Ricardo. - Le dialogue continue, et pas seulement à Oslo ou en Martinique. Nous essayons même de discuter avec certaines personnalités de l'administration Trump. Le dialogue est primordial, car nous sommes sous la pression continue des États-Unis qui, en détruisant l'économie vénézuélienne, souhaitent avant tout détériorer au maximum les conditions de vie de la population. L'ancien ambassadeur des États-Unis au Venezuela, William Brownfield, a déclaré qu'il fallait anéantir l'économie vénézuélienne par tous les moyens et, quand le journaliste qui l'interviewait lui a fait remarquer que ces propos étaient un peu durs pour la population, l'ambassadeur a répondu qu'il fallait éradiquer le chavisme à tout prix.
Il ne faut pas réduire le chavisme au président Maduro ou à Diosdado Cabello, car il est avant tout l'expression d'une manifestation populaire, de valeurs républicaines, de la pensée de Simon Bolivar, et d'un imaginaire populaire internalisé par Hugo Chavez. C'est le peuple démuni, le même peuple que le peuple argentin rassemblé autour de Juan Perón, que le peuple péruvien rassemblé autour du général Alvarado, le peuple chilien autour de Salvador Allende. Et on ne peut pas anéantir un peuple.
Mme Vivette Lopez. - Monsieur l'ambassadeur, merci pour vos explications. Je voudrais vous parler des Vénézuéliens, qui sont 5 millions à avoir quitté leur pays depuis 2013. Parmi eux, 80 % ont été accueillis dans les pays voisins d'Amérique latine et dans les Caraïbes, dont 1,8 million en Colombie et 1 million au Pérou. Or, la crise de la covid a bouleversé les équilibres économiques déjà fragiles de ces pays. Les difficultés sanitaires et la crise économique qui en résulte ont généré des réactions hostiles vis-à-vis de migrants. Alors que les frontières étaient fermées, des couloirs humanitaires ont été mis en place pour les Vénézuéliens ayant les moyens de s'offrir le trajet de retour vers leur pays, via les postes-frontières de Cúcuta et d'Arauca. Quelle est l'ampleur de ce phénomène de retour ? Le Gouvernement souhaite-t-il développer une politique spécifique d'accueil vis-à-vis de Vénézuéliens rentrant déjà dans une situation très difficile ? Pouvez-vous nous éclairer sur le protocole d'accueil et de suivi médical pour ces personnes ? Sur le volet social et économique, le Gouvernement mettra-t-il en place un dispositif pour permettre à ces Vénézuéliens de l'étranger, qui ont tout perdu, d'être accueillis dans des conditions décentes ? Enfin, comment les choses vont-elles se passer avec la présidence de Joe Biden ?
M. Jacques Le Nay. - Je m'exprime ici au nom de mon collègue Olivier Cadic, sénateur des Français de l'étranger, qui m'a chargé de vous poser une question dont je ne changerai pas un mot : « Monsieur l'ambassadeur, vous représentez un régime dont la principale figure, Nicolás Maduro, et 52 de ses hauts fonctionnaires apparaissent dans le rapport de la mission d'enquête de l'ONU en tant que responsables de crimes contre l'humanité et d'atrocités commises à l'encontre du peuple vénézuélien, telles que des détentions arbitraires, des emprisonnements, des tortures, des meurtres, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des viols et d'autres formes de violence sexuelle. Ce régime a également conduit le pays à la pire crise humanitaire de l'histoire de la région, entraînant l'exode de plus de 5 millions de personnes et plongeant 96 % des citoyens dans la pauvreté. Après avoir empêché l'alternance législative en 2015 et n'ayant pas permis à l'Assemblée législative de légiférer pendant cinq ans, Nicolás Maduro a été reconduit à la présidence en 2018, au terme d'une élection frauduleuse. Seule l'Assemblée élue en 2015 est reconnue par les démocraties, et son président Juan Guaidó est reconnu comme président du Venezuela par intérim. La France est le seul pays européen présent sur le continent latino-américain, son territoire étant situé à une heure d'avion du Venezuela. Accepteriez-vous que la France lance une initiative de médiation entre MM. Guaidó et Maduro, afin de faciliter la tenue en 2021 d'un scrutin démocratique, présidentiel et législatif, qui puisse être reconnu internationalement ? ».
M. Christian Cambon, président. - Je précise que les opinions n'engagent que ceux qui les formulent, et Jacques le Nay a bien précisé qu'il avait donné lecture intégrale du message qui lui avait été confié.
M. Guillaume Gontard. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez rappelé la situation particulièrement complexe de votre pays. La semaine dernière, nous avons reçu Juan Guaidó, président par intérim autoproclamé de la République vénézuélienne, et le point de vue que vous exprimez aujourd'hui est donc particulièrement important. M. Guaidó, comme le reste de l'opposition, a appelé au boycott des élections du 6 décembre dernier. Par ailleurs, le scrutin a été contrôlé par des observateurs russes, chinois ou iraniens, les observateurs de l'Union européenne ou de l'ONU ayant refusé de participer, estimant que les conditions nécessaires n'étaient pas réunies. Ce ne sont pas là des preuves très convaincantes de démocratie... Par conséquent, les résultats de ces élections ont-ils pour vous une réelle signification démocratique ? De plus, comment pensez-vous reconstruire la confiance ? Les relations entre le président Trump - clairement pro-Guaidó - et M. Maduro ont été particulièrement tendues ces dernières années ; avec l'arrivée à la Maison-Blanche de M. Biden, à quoi le Venezuela est-il prêt pour détendre les relations et permettre une levée de l'embargo ? Êtes-vous prêts, notamment, à mettre en oeuvre les conditions d'une élection démocratique et libre, en donnant des gages à l'opposition ? Il me semble que c'est une solution indispensable pour que votre pays retrouve pacifiquement le chemin de la démocratie.
M. Pierre Laurent. - Monsieur l'ambassadeur, j'avais souhaité que le Sénat équilibre ses auditions en vous recevant, je ne peux donc que me féliciter de votre présence.
Nous sommes nombreux à souhaiter que la tenue des élections législatives qui ont eu lieu dimanche dernier aide à ouvrir une nouvelle étape, mais aussi permette de construire une sortie pérenne à la crise politique que le Venezuela a traversée ces dernières années.
Je sais que la situation reste difficile. D'ailleurs, le taux de participation aux élections exprime cette situation de crise, à laquelle s'est ajoutée la pandémie de covid 19. Mais je souhaite que ces élections soient le début d'un processus utile au peuple vénézuélien.
Je souhaite également que la France et l'Union européenne ne renouvellent pas l'erreur qu'elles ont commise en reconnaissant la victoire de Juan Guaidó, et qu'elles ne s'enfoncent pas dans la voie de la non-reconnaissance des résultats ou, pire, dans celle de la reconnaissance de ceux qui ont appelé au boycott de ces élections et qui ne proposent qu'une seule alternative, celle de la confrontation, y compris violente.
J'adresserai d'ailleurs une remarque, non pas à vous, mais plutôt à mes collègues. Si la France appliquait à tous les pays du monde la règle qu'elle applique en ce moment au Venezuela - que je considère être une règle d'exception, dans la foulée des exigences américaines -, nous déboucherions assez vite sur un grand chaos diplomatique. Il s'agirait d'une position difficile à tenir pour un pays qui, comme la France, joue le rôle qu'il joue à l'Organisation des Nations unies (ONU).
Monsieur l'ambassadeur, pouvez-nous en dire plus sur les conséquences de l'embargo sur la population vénézuélienne et sur l'urgence qu'il y a, à vos yeux, de le lever ?
Ma seconde question concerne l'avenir. Au cours de la campagne électorale, Nicolás Maduro a déclaré que le Venezuela devait, à l'issue de ces élections, travailler au changement de son modèle économique, afin de mieux répondre à la situation. Pouvez-vous revenir à la fois sur la nécessité d'un tel changement et sur la direction qu'il pourrait prendre ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez indiqué, dans votre propos liminaire, que la France n'était plus celle de 1964, que, comme le Venezuela, elle avait changé.
Il existe tout de même une différence fondamentale entre nos deux pays. Des millions de personnes ne quittent pas la France parce qu'elles sont pauvres, parce qu'elles n'arrivent pas à survivre et qu'elles ont un besoin énorme de liberté - la première des valeurs, pour vivre en paix et heureux.
Nous sommes bien évidemment attachés au principe de souveraineté, monsieur l'ambassadeur, mais encore davantage aux droits de l'homme.
Je connais bien le Venezuela et j'ai rencontré de nombreux Vénézuéliens, dans et hors du pays. J'ai assisté à la dégradation terrible des conditions de vie et de travail, des conditions de sécurité de ce peuple. Il est très douloureux d'assister à la dégradation d'un pays que nous aimons. Le Venezuela était un pays riche, avec son pétrole, mais aussi un pays extrêmement cultivé, raffiné, éduqué. Or, malheureusement, ce n'est plus le cas.
J'ai étudié dans des pays totalitaires, en Europe de l'Est, je connais donc bien les dégâts qui sont causés par ces régimes.
J'ai envie de m'adresser à vous, non pas en tant qu'ambassadeur, mais en tant qu'homme et citoyen vénézuélien, héritier de ce pays magnifique : comment pourriez-vous aider ce pays ? Comment pourrions-nous vous aider, même si, encore une fois, je suis convaincue de l'importance du principe de souveraineté ? Comment pourrions-nous faire évoluer la situation ?
Le rapport élaboré par Michelle Bachelet pour l'ONU fait état de 674 réfugiés politiques au Panama, qui auraient été torturés. C'est inadmissible, terrible. Je suis sûr que vous-même, en votre for intérieur, vous ne pouvez pas l'accepter.
Vous savez qu'une solution doit être trouvée pour votre pays, pour votre peuple. Nous aimerions vous aider, monsieur l'ambassadeur.
M. Christian Cambon, président. - Je remercie Joëlle Garriaud-Maylam pour cette intervention, car il est vrai que nous nous demandons tous comment un pays riche peut en arriver à cette situation.
M. Gilbert Roger. - Monsieur l'ambassadeur, je connais également bien le Venezuela, celui du président Chavez. Aujourd'hui, nous assistons à une rapide dégradation de la situation économique, de la santé des citoyens, alors que des efforts importants avaient été réalisés. Nous constatons aussi des manquements aux droits de l'homme, des disparitions d'argent lié à la production de pétrole - qu'il est certainement possible de retrouver sur des comptes offshore.
Si vous ne faites confiance ni à l'Union européenne ni aux Américains, pensez-vous qu'il soit possible que le Venezuela, avec cette nouvelle législature, demande de l'aide aux pays latino-américains et à des organisations latino-américaines pour organiser une élection qui apparaîtra aux yeux du monde comme libre ?
Pensez-vous, par ailleurs, qu'il soit possible de donner un signe fort, en libérant immédiatement tous les prisonniers politiques ?
M. Héctor Michel Mujica Ricardo. - Jusqu'en 2015, le Venezuela, qui est un pays de migrants, possédait un bilan migratoire positif. Durant la guerre civile colombienne, le Venezuela a accueilli près de 4 millions de Colombiens. En outre, sous la IVe République, avant l'arrivée d'Hugo Chávez, un demi-million de Vénézuéliens résidaient aux États-Unis -, des entrepreneurs, des techniciens, des ingénieurs, etc.
À quel moment le bilan migratoire est-il devenu négatif ? Au moment des mesures financières prises contre le Venezuela et des sanctions imposées par les États-Unis. Avec le décret Obama, le processus qui a débuté avec George W. Bush se radicalise.
Je ne sais pas si 4 ou 5 millions de personnes ont fui le pays, d'autant que l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) dispose de chiffres différents, mais il s'agit d'un problème majeur que le Venezuela doit affronter. Je rappelle qu'en 2008, 21 % des Portugais avaient quitté leur pays.
La pandémie étant bien contrôlée au Venezuela, certains de nos citoyens qui vivaient en Colombie, en Équateur, au Pérou et au Chili, commencent à rentrer. Ces Vénézuéliens ont choisi le retour car ils ont été les victimes, notamment en Colombie, d'actes xénophobes - des compatriotes ont même été assassinés. Ces faits n'ont pas été relayés par la presse.
Le gouvernement vénézuélien doit faire face à un défi. Il doit mener une politique migratoire à long terme, avec l'aide d'organismes internationaux fiables.
Quand commence la débâcle économique au Venezuela ? Après la mort du commandant Chávez, depuis les sanctions économiques et les mesures financières prises en particulier par les États-Unis. Personne ne la nomme, mais il s'agit d'une guerre. Le président n'est pas l'auteur de cette crise économique. S'il a pu se tromper en prenant quelques mesures économiques qui se sont révélées mauvaises, il n'est pas responsable de cette terrible crise économique.
La projection estimée de la perte totale de l'économie vénézuélienne, entre 2015 et 2019, en raison du blocus et des sanctions, s'élève à 130 milliards de dollars. Ce chiffre représente deux fois le produit intérieur brut (PIB) de l'Uruguay et du Costa Rica, et la moitié du PIB du Portugal. Il représente 70 % du PIB de la Hongrie et quatre fois le PIB de la Lettonie.
Les médias français parlent très peu des sanctions. Mais chaque institution, chaque organisation doit avoir le droit d'être prise en compte.
Notre mission diplomatique est reconnue par la France, et je suis reconnu comme ambassadeur sur la liste diplomatique du Quai d'Orsay. Pourtant, nous avons passé dix-sept mois sans compte bancaire en France. Imaginez-vous les conséquences ! Et cela, simplement parce que le département du Trésor des États-Unis donnait des instructions visant à empêcher les diplomates d'exercer les missions qui leur incombent, selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
La France a pourtant été capable d'exercer un rôle de médiateur sous le gouvernement du président Hollande, parfois même au travers de déclarations importantes. Lorsque l'ex-secrétaire général de l'Union des nations américaines (Unasur - Unión de Naciones Suramericanas) s'est rendu en France, le président avait en effet prôné le dialogue.
Pourtant, au mois d'août 2018, lorsque le président Maduro a été visé par des attaques de drones, j'ai été surpris qu'aucun pays de l'Union européenne ne publie de communiqué condamnant ces agissements. Et que je sais parfaitement que dans d'autres pays, il y a des milliers de prisonniers politiques, et pourtant, personne ne dit mot. Il y a donc une politique de « deux poids, deux mesures » à l'encontre de mon pays ! C'est inacceptable en diplomatie.
Nous sommes ouverts au dialogue à propos d'élections, mais pas sur des dates qui nous renverraient à 2021 : cela doit se faire dans le respect des dates qui sont inscrites dans la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela. J'ajoute que lors des élections législatives, les observateurs internationaux en présence n'étaient pas seulement russes ou chinois, mais aussi français, belges, portugais, espagnols... L'ex-président espagnol José Luis Rodríguez Zapatero en faisait d'ailleurs partie. Allez-vous me dire que c'est un dictateur ? Croit-il que notre système électoral est suspect ? Qu'il prête à soupçons ? Non ! Mesdames et messieurs les sénateurs, observez comment fonctionne notre système électoral. À l'époque de la réforme constitutionnelle menée par le président Chávez, en 2007, l'écart entre les perdants et les gagnants du référendum était de 0,17 %. Pourtant, en moins d'une heure, le président avait a reconnu la défaite. Lors du coup d'État du 11 avril 2002, il a reconnu qu'il fallait libérer tous les putschistes, se conformant ainsi à la décision du Tribunal suprême de justice. Par ailleurs, c'est une erreur de croire qu'un homme comme Juan Guaido représente la démocratie au Venezuela. Il ne représente ni l'opposition démocratique vénézuélienne, ni le peuple vénézuélien, car il est perçu comme un traître qui réclame des sanctions contre notre pays, et qui organise des opérations militaires pour déstabiliser le régime. Il ne s'agit pas seulement de fragiliser le régime de Nicolás Maduro Moros, mais plutôt la nation toute entière. Il veut détruire la souveraineté nationale.
Nous avons beaucoup souffert, et nous devons à tout prix éviter de fouler aux pieds un peuple comme les Vénézuéliens. Au dix-neuvième siècle, nous avons mené toute une série de guerres d'indépendances dans le monde, auxquelles des Français ont d'ailleurs participé. De grandes figures vénézuéliennes ont aussi activement pris part à la révolution contre la monarchie absolue en France, à l'image de Francisco de Miranda, maréchal de camp à la bataille de Valmy.
Ce que nous voulons, c'est la communication et le dialogue. Levez les sanctions ! Laissez s'exprimer le peuple vénézuélien ! S'il décide, lors des prochaines élections, d'élire de nouveaux gouverneurs, de nouveaux maires, ou un nouveau président, nous l'accepterons. Mais je crois que le président Maduro est le seul homme politique qui serait à même d'accepter une victoire ou une défaite.
On parle souvent des droits de l'homme pour justifier les atteintes à la souveraineté. Pourtant, après la première visite de l'ancienne présidente Bachelet au Venezuela en tant que Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, nous avons établi un bureau des droits de l'homme. Celui-ci rend compte directement de la situation du pays à Mme Bachelet. Nous essayons à tout prix d'effectuer une surveillance des éventuelles violations de ces droits. Mais ce que nous n'accepterons jamais, c'est la destruction d'une nation en vertu de la « responsabilité de protéger ». Lorsqu'on détruit la souveraineté, on détruit toute une nation et tout un peuple. C'est le problème fondamental.
Nous sommes prêts à nous ouvrir à la discussion, même auprès de n'importe qui. Même le diable ! Mais levez les sanctions en retour, qui sont énormes. Une bonne partie de l'économie vénézuélienne est aujourd'hui paralysée. Les revenus dérivés du pétrole étaient d'environ 100 milliards de dollars par an en 2012-2013. Aujourd'hui, ils ne dépassent pas les 500 millions de dollars, en raison des sanctions financières imposées par les États-Unis. Comment peut-on tenir une situation économique sous ces conditions ? J'insiste, le plus important est la communication. Si le gouvernement français souhaite engager le dialogue, nous l'accueillerons à bras ouverts.
Le Venezuela subit la réunion de quatre facteurs négatifs, avec d'abord la crise économique mondiale, mais aussi la crise du modèle économique vénézuélien. Nous ne pouvons pas continuer sur le modèle rentier pétrolier. C'est impossible. Pourtant, celui-ci tient depuis cent ans, c'est-à-dire depuis le début de l'exploitation des puits. Les autres facteurs concernent les sanctions et les mesures coercitives unilatérales. Même en période de pandémie mondiale, et alors que même le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, avait voulu prendre en compte ce contexte, les États-Unis ont refusé de relâcher la pression. Je suis donc très reconnaissant envers le président Cambon de m'avoir laissé exprimer mon point de vue.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour cet entretien, qui a permis d'éclairer le sujet. Nos pensées vont surtout à la population vénézuélienne, qui souffre énormément. Je forme au nom de tous des voeux pour que le dialogue s'instaure et que cette crise s'apaise. Le Sénat est un lieu qui peut permettre les rencontres, ce qui a parfois eu lieu dans d'autres circonstances. Merci de vous être exprimé avec liberté. C'est la marque du Sénat.
La réunion est close à 17 h 45.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.