Jeudi 19 novembre 2020
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La réunion est ouverte à 9 heures 30.
Table ronde sur les difficultés rencontrées par les petits entrepreneurs français à l'étranger
M. Serge Babary, président. - Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, je vous remercie d'être présents ce matin pour aborder un sujet important et souvent négligé, celui de la situation des entreprises françaises à l'étranger (EFE). Notre collègue Jacky Deromedi a suggéré que la Délégation s'en saisisse. En conséquence, j'ai proposé au Bureau de lui confier une mission rapide afin que nous puissions agir au plus vite. Cette question a toujours préoccupé la Délégation. Des déplacements dans plusieurs pays européens ont été l'occasion de suivre ces entreprises grâce aux services économiques des ambassades. En 2015, première année de notre Délégation, un rapport avait été produit sur les entrepreneurs français au Royaume-Uni. L'impact qu'ils ont subi en raison du Brexit a été au coeur du débat organisé en 2019, en présence de parlementaires britanniques. Pourtant, force est de constater que, dans l'urgence de la situation liée à la crise sanitaire, les EFE ont eu le sentiment d'être oubliées des mesures gouvernementales et du plan de relance, au point qu'elles ne savent plus vers qui se tourner.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Je remercie le président Serge Babary de s'être saisi d'un sujet qui exige des réponses immédiates dans une situation dramatique et urgente. Le temps perdu rend la situation plus dramatique encore car beaucoup d'entrepreneurs ont déjà fait faillite, tandis que ceux qui demeurent sont au bout de leurs ressources. Ces Français mettent leur confiance en nous tous, membres de la délégation, intervenants qui seront auditionnés, acteurs de la politique d'aide aux entreprises, ainsi que le ministre auquel nous remettrons notre rapport.
À ce jour, aucune aide spécifique pour les petits entrepreneurs et auto-entrepreneurs n'a été accordée malgré nos demandes insistantes auprès des ministères en charge. Ce sont les grands oubliés du plan de relance, quand bien même ils contribuent directement ou indirectement à notre commerce extérieur et à l'emploi des Français à l'étranger. Les conseillers représentant les Français de l'étranger, conseillers du commerce extérieur et les chambres de commerce alertent sur la multiplication des situations individuelles délicates, voire dramatiques.
« Les mesures de soutien exceptionnelles annoncées par le Gouvernement le 31 mars dernier pour soutenir les entreprises françaises exportatrices n'ont - à ce stade - pas vocation à bénéficier à des entreprises établies en dehors du territoire français ». Cette réponse du ministre de l'Économie à une question écrite, en date du 27 août dernier, n'est pas satisfaisante.
Les entreprises françaises de l'hexagone et d'outre-mer bénéficient des aides annoncées d'un montant, en constante augmentation, de 500 milliards. Les entrepreneurs à l'étranger sont contraints de créer des structures locales car il n'est pas possible d'implanter une structure de droit français à l'étranger, sauf dans le cas d'un bureau de représentation de grand groupe. Nous ne parlons pas de filiales de sociétés françaises, mais de Français courageux partis à l'étranger créer leur entreprise. La solidarité nationale doit aussi leur bénéficier.
Nous allons entendre le témoignage de ceux qui connaissent parfaitement la situation de ces entrepreneurs. La semaine prochaine, nous entendrons la réponse de BPI France, de la filiale de l'AFD, Proparco, et la Direction générale du Trésor qui devrait nous présenter le volet complémentaire à destination des entrepreneurs, que le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Monsieur Jean-Baptiste Lemoyne, souhaitait mettre en place. Or, ce dispositif manque toujours, y compris dans la loi de finances 2021. Nous allons déposer, avec Serge Babary et d'autres collègues, un amendement pour mobiliser 30 millions d'euros afin de sauver les entrepreneurs qui ont résisté jusqu'à ce jour. Cet appel au secours doit être entendu pour des raisons de solidarité mais aussi dans l'intérêt bien compris de notre économie qui ne peut se résoudre à voir disparaître les parts de marché gagnées au prix de tant d'efforts et d'années, et que nos concurrents seraient prompts à occuper.
L'objectif final de cette mission est la reconstitution de la trésorerie des entreprises. Il ne s'agit pas d'une aide sociale pour aider les entrepreneurs et leurs familles à survivre au quotidien. Cette aide existe au travers de la subvention exceptionnelle et des aides spéciales aux Organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES).
Ma proposition consisterait à aider nos entreprises à reconstituer une trésorerie via un Prêt Garanti par l'État (PGE), exonéré de remboursement les deux premières années, les échéances ne courant qu'après cette période et sur un délai de 5 ans, à un taux maximum d'1 à 1,5 %.
Grâce à ces deux tables rondes, nous devrions aboutir à une synthèse de la situation à ce jour et à des propositions concrètes pour sauver les entrepreneurs qui peuvent l'être. Nous la soumettrons au ministre le 10 décembre prochain en insistant sur l'urgence à mettre en place ces mesures.
M. Renaud Bentégeat, président de CCI France International. - Merci pour cette invitation à discuter d'un sujet qui nous tient à coeur.
J'ai été pendant douze ans président de la Chambre française de commerce et d'industrie de Belgique et, à ce titre, ai participé aux échanges entre entreprises françaises et belges. J'ai pris la présidence de CCI France International voici un peu plus d'un an.
CCI France International est un réseau 100 % privé d'entrepreneurs qui ont décidé de s'associer de façon d'abord informelle, puis par la création d'associations. Cette fédération d'associations est aujourd'hui présente dans 95 pays, avec 126 chambres de commerce qui comptent 37 500 entreprises membres. Nous avons donc une bonne connaissance de ce qui se passe dans les différents pays. Ces membres sont essentiellement des entrepreneurs français mais pas uniquement. En effet, nombre d'entrepreneurs locaux jouent la carte de l'attractivité de la France, les chambres les aidant à s'implanter en France.
Le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble de ces CCIFI est de 70 millions d'euros et nous dénombrons 1 200 collaborateurs. Nous sommes autofinancés à 99,4 % ; la chambre de commerce de Paris nous octroie une subvention annuelle et CCI France met des locaux à notre disposition.
Notre modèle économique repose sur plusieurs actions. Ainsi, nous organisons des événements, en particulier des conférences et des dîners ; nous hébergeons des entreprises françaises lorsqu'elles s'installent dans un pays et nous logeons beaucoup de VIE (Volontariat International en Entreprise) ; enfin nous facturons nos prestations aux entreprises qui s'installent. Nous sommes en outre concessionnaires du service public en remplacement de Business France dans six pays. Dans le cadre du plan de relance, 60 de nos chambres sont référencées pour les chèques Export.
Notre réseau connaît des difficultés économiques car nous logeons moins d'entreprises, certaines ayant même renoncé à s'implanter durablement, et nous n'organisons plus d'événements payants. Nous avons demandé à l'État une aide d'urgence pour maintenir un réseau important, ce dont j'ai eu l'occasion de parler au ministre Franck Riester.
Un des problèmes que rencontrent les entrepreneurs français à l'étranger est l'impossibilité d'accéder aux VIE faute de représentation en France. Nous avons décidé ensemble, CCEF et CCIFI, de créer une société commune à Paris, détenue par chacun à 50 %, afin de permettre à tout entrepreneur français à l'étranger de bénéficier des VIE. Ces entreprises cotiseraient à la société, ce qui permettrait de garantir leur paiement à Business France. Nous pourrions choisir les entrepreneurs qui pourraient bénéficier du service du VIE, à condition qu'ils soient à la tête d'une PME et aient encore des liens forts avec la France dans leur activité.
Nous proposons que le président ou directeur de la chambre locale, le président des CCE et le représentant de Business France ou de l'ambassade de France choisissent ensemble les entreprises qui pourraient en bénéficier. Cette aide serait aisée à mettre en place et très utile pour les entrepreneurs. Business France a un accueil bienveillant pour cette démarche innovatrice. Il nous reste à convaincre le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Finances.
J'aimerais que cette démarche soit accompagnée d'aides à notre réseau qui fournit un soutien important aux entrepreneurs français dans le monde.
M. Alain Bentéjac, président du Comité national des conseillers du commerce extérieur. - Le sujet des EFE nous tient à coeur et nous nous battons depuis des mois ; cependant, les avancées étant difficiles, toute opportunité de faire progresser le dossier est la bienvenue.
Le comité des conseillers du commerce extérieur est une institution créée en 1998 à l'initiative d'un ministre du commerce. Le réseau compte aujourd'hui 4 500 membres à titre individuel. Ces hommes et femmes d'affaires français spécialisés dans l'international mettent bénévolement leur expérience de l'international en soutien des pouvoirs publics et des entreprises. Le réseau exerce quatre missions, lesquelles sont fixées par l'État : le conseil aux pouvoirs publics en matière de commerce extérieur ; l'appui aux entreprises ; l'attractivité de la France pour les investissements internationaux ; la formation et la sensibilisation des jeunes à l'international. Nos membres sont nommés pour trois ans renouvelables par décret du Premier ministre. Pour le reste, il s'agit d'une association loi 1901 reconnue d'utilité publique qui s'administre comme toute association et s'autofinance, sans subvention publique. Nous avons 4 500 membres dans 130 pays, dont 110 pays ont assez de conseillers pour avoir des comités locaux. Parmi nos membres se trouvent beaucoup d'expatriés, de représentants de filiales françaises, mais aussi de plus en plus d'EFE. Ce mélange de représentants des grands groupes et d'entrepreneurs qui ont créé leur entreprise localement nous est bénéfique.
Pour le commerce extérieur de la France, il est important d'avoir, même de manière souvent indirecte, un réseau d'entrepreneurs français qui sont des relais d'influence et d'affaires. Si ce réseau disparaissait ou était affecté comme c'est le cas aujourd'hui, le commerce extérieur en subirait les conséquences.
Nous avons mené une enquête au cours de l'été auprès de notre réseau et d'une partie du réseau des CCI. Nous avons reçu 589 réponses dont 49 % d'Asie-Pacifique et 29 % d'Afrique. La situation a dû s'aggraver depuis l'été. Ces 600 entreprises représentent 33 000 salariés, dont 400 français. 70 % anticipent un recul de leur chiffre d'affaires en 2020, et pour 46 % d'entre elles, un recul de plus de la moitié. 60 % seraient prêtes à recruter un VIE si les conditions le permettent. 37 % utilisent la « marque » France d'une manière ou d'une autre. 87 % ne bénéficient d'aucune aide dans leur pays de résidence, ce qui est un point important. Enfin, 69 % ont des partenaires ou fournisseurs français.
Ce réseau a un impact positif sur le commerce extérieur, notamment en achetant des produits français, en employant des Français, en faisant la promotion de la « marque » France.
La crise frappe partout. Dans la plupart des cas, sauf en Europe et aux États-Unis, aucune aide locale n'est prévue pour faire face au problème fondamental de trésorerie et survivre. Les entreprises ne bénéficient pas non plus du PGE, d'un report de charges, du chômage partiel, etc.
Que pouvons-nous faire ? Beaucoup de ces entreprises ont des banques locales ; seules 10 % sont financées par des filiales locales de banques françaises. Les banques ne soutiennent pas les entreprises en l'absence d'aides extérieures. Nous pensons donc à un mécanisme de contre-garantie publique pour permettre aux banques locales de financer les entreprises de Français. Deux mécanismes sont possibles. Le premier, géré par Proparco, existe en Afrique et s'appelle ARIZ. La garantie est limitée à 50 %, ce qui semble trop peu dans la situation actuelle. Un mécanisme complémentaire a été mis en place qui porte la quotité garantie à 80 %, mais il est limité à quelques pays d'Afrique. En outre, la mise en oeuvre pratique du dispositif est longue puisqu'elle suppose la signature d'accords avec BPI France et le Trésor. J'ignore si la situation a évolué sur ce point,depuis le mois d'octobre. Je rappelle par ailleurs que nous devons agir de toute urgence.
La deuxième voie me paraît plus intéressante et consiste à faire intervenir BPI France, en raison de sa couverture globale et de son dynamisme dans le soutien aux entreprises. Néanmoins, BPI France ne peut juridiquement procéder à une telle garantie pour le moment.
Ce sont nos deux propositions à l'issue d'un travail avec BPI France et Bercy. Il s'agit de cibler les entreprises qui ont un impact positif pour l'économie française. Le choix pourrait être fait par les mêmes comités dont parlait Renaud Bentegeat.
M. Alain-Pierre Mignon, président de la Caisse des Français de l'étranger, ancien président de la chambre de commerce franco-indonésienne, vice-président de l'Union des Français de l'étranger (UFE Monde) et président-directeur général de Pt. Fratekindo Jaya Gemilang. - Je fais partie de la commission du commerce extérieur, du développement durable et de l'emploi et de la formation de l'Assemblée des Français à l'étranger. Nous avons été contactés par des entreprises qui rencontrent des problèmes majeurs du fait de la pandémie. Nos parlementaires, élus et ambassades se sont mobilisés pour aider nos compatriotes qui font face à une diminution moyenne de chiffre d'affaires de 30 à 75 %. Nous avons réuni notre assemblée et mené l'audition d'un certain nombre d'acteurs économiques pour identifier des solutions et aider nos compatriotes. Toutefois, nous nous sommes vus systématiquement opposer l'impossibilité d'aider une entreprise de droit local, même créée par un Français. Or, toutes les entreprises françaises installées à l'étranger sont de droit local, qu'elles aient 100, 50 ou 25 % du capital. La part dépend des obligations du secteur en termes de partenariats locaux.
Dans la majorité des cas, elles vendent des produits français, des technologies ou des services français. Leur contribution au commerce extérieur est majeure. Sur le Sud-Est asiatique, ces entreprises pourraient représenter environ 25 à 30 % des résultats du commerce extérieur.
Aujourd'hui, une majorité de nos collègues ont mis la clef sous la porte et sont déjà rentrés en France. Nous sommes en retard pour trouver des réponses.
Les solutions qui nous semblent pertinentes sont les suivantes :
- la création d'un comité d'évaluation dans chaque pays, composé de la mission économique, des CCE, des élus, afin de valider les dossiers ;
- la garantie de prêts auprès de banques françaises installées à l'étranger - grâce à un budget du gouvernement, ceci afin de traverser la pandémie et redémarrer l'activité - via un crédit d'un ou deux ans maximum ;
- la garantie, de la part de l'État, proposée à des fournisseurs à l'export pour qu'ils proposent un crédit fournisseur étendu aux entreprises en difficulté ;
- un fonds de solidarité pour les entreprises qui ont été les plus touchées ;
- une prise de participation d'une de nos institutions pour accompagner jusqu'à la relance les sociétés créées par des Français ou possédées jusqu'à un certain pourcentage du capital par des Français, et qui contribuent fortement au commerce extérieur.
M. Marc Villard, conseiller du commerce extérieur de la France au Vietnam, président de l'Assemblée des Français de l'étranger. -Je suis expatrié depuis une quarantaine d'années, dont trente au Vietnam. J'ai été conseiller du commerce extérieur et président de section, président de la chambre de commerce à plusieurs reprises ; je suis aujourd'hui conseiller consulaire, conseiller AFE et président de l'Assemblée des Français de l'étranger ; enfin, je siège à l'ex-commission des finances et affaires économiques.
Il faut se garder des effets d'annonce sur les aides aux entrepreneurs. Ils susciteraient des attentes déçues, toutes les entreprises ne pouvant être aidées. Nous pourrons peut-être aider celles qui ont des courants d'affaires réguliers avec la France. Il convient, en outre, de faire la distinction entre aider l'entreprise et aider l'entrepreneur en tant qu'individu. Tout compatriote peut bénéficier des aides mises en place, soit SOS au consulat, soit OLES, mais elles n'ont pas vocation à venir en aide aux entreprises.
Concernant la position du gouvernement et de Bercy, la réponse à la question de Madame Claudine Lepage n'est guère encourageante puisque des mesures générales pour les EFE ne sont pas envisagées pour l'heure. Nous pourrions résumer la situation par la formule « pas d'impôts, pas d'aides ».
Nous traitons le sujet des EFE depuis une bonne vingtaine d'années,. D'abord s'agissant des VIE, je regrette que l'expérience montée par le sénateur Ferrand, permettant aux entreprises locales qui avaient un courant d'affaires régulier avec la France de bénéficier d'un VIE, ne soit plus d'actualité.
Il y a une douzaine d'années, lors d'un forum ASEAN des conseillers du commerce extérieur, une étude sur l'apport des entreprises de droit local au développement de notre commerce extérieur avait été présentée. Ce n'est pas nouveau. Je confirme ce que disait Alain-Pierre Mignon. En effet, des relais du commerce extérieur sont nécessaires et le maillage des entreprises étrangères de nos compatriotes le fournit.
Dans les pays hors Europe et peut-être hors Afrique, je ne crois pas à un dispositif de garantie de prêts bancaires avec les banques locales. Il faudra du temps pour le mettre en place et je le vois mal fonctionner par endroits. Depuis des années, quand nous demandons que ces entreprises puissent avoir accès aux dispositifs d'appui du commerce extérieur, il nous est répondu qu'elles n'ont pas de collatéraux en France et n'y paient pas d'impôts. Il faut prendre le sujet à l'envers en aidant nos entreprises exportatrices à leur vendre plus facilement des produits. Les entreprises en difficulté n'ont pas de trésorerie ; pour reprendre l'activité quand la situation s'améliorera dans leur pays, il faut leur permettre de passer des commandes. J'ai suggéré qu'avec la BPI ou un autre organisme, des crédits relais soient mis en place auprès des entreprises exportatrices en France pour qu'elles puissent passer de 60 jours à 180 jours, voire plus, de délai supplémentaire accordé, pour aider nos entrepreneurs à redémarrer. Ce serait la solution la plus facile à mettre en oeuvre.
J'entends dire parfois que le dispositif existe. Si c'est le cas, j'aimerais savoir comment il fonctionne car toutes mes demandes ont été rejetées. Les PME et PMI qui sont de petite taille auront besoin de commandes de l'ordre d'une centaine de milliers d'euros maximum. Quand on fait cette demande aux organismes appropriés aujourd'hui, ils nous répondent qu'il faudrait 500 000 euros ; il faut réadapter les outils à la taille des besoins des entreprises dans l'urgence. J'ai connaissance, par exemple, d'une entreprise de droit local qui importe des produits français et qui aurait besoin de crédits relais de l'ordre de 10 000 euros sur trois ou quatre fournisseurs pour rétablir, grâce aux premières affaires, un volant de trésorerie lui permettant de poursuivre son activité. Elle n'a pas besoin de 100 000 ou 500 000 euros par fournisseur.
Je crois avoir fait le tour de la question car les sujets essentiels ont été abordés ; Alain-Pierre Mignon a brossé un tableau de la situation que je partage. Je vous transmettrai le rapport très complet de la commission du commerce extérieur et du développement durable de l'AFE.
M. Serge Babary, président. - Nous allons désormais passer aux questions. Première question à destination de M. Villard : les crédits relais aux entreprises exportatrices me semblent être une bonne idée pour contourner les obstacles administratifs. Avez-vous réfléchi aux critères pour savoir quels types d'échanges exportateurs pourraient entrer dans le champ d'un tel dispositif ? Celui-ci pourrait concerner toutes les entreprises françaises clientes, mais sur quel volume ou quel type d'activité ? Je me tourne vers mes collègues pour d'autres questions.
M. Fabien Gay. - Je remercie Jacky Deromedi pour cette mission. Je connais peu le sujet des Français partis à l'étranger. Un tel départ est un choix estimable de nos compatriotes ; vous le défendez bien. Par ailleurs, il en va aussi du rayonnement de la France.
Monsieur Villard, vous avez bien résumé la difficulté. La question n'est pas de dire « pas d'impôts, pas d'aides » mais ce point fait partie de la discussion. Le chômage partiel est un droit ouvert payé par des cotisations. Le fonds de solidarité aussi. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire, mais la situation est complexe. Je ne vois donc pas non plus comment pourrait être créé un fonds de solidarité et je ne sais pas s'il réglerait la situation. Je ne suis pas sûr que la BPI puisse garantir des prêts avec le réseau bancaire tel qu'il existe aujourd'hui. Une banque n'est pas la même au Vietnam, en Indonésie, aux États-Unis ou en Afrique. La crise sera passée, espérons-le, avant que nous puissions mettre un tel dispositif en place, ce qui serait long et lourd. Votre proposition d'un crédit relais est à creuser pour relancer l'activité le plus rapidement possible et, à partir du moment où les affaires repartent, le rembourser le plus rapidement possible.
Je me tourne maintenant vers les autres intervenants présents aujourd'hui, cette proposition de Monsieur Villard vous paraît-elle souhaitable ? Dans notre rapport, nous voulons être concrets pour avancer rapidement. Enfin, à combien est estimé le nombre d'entreprises qui pourraient ne pas redémarrer, selon les zones ?
M. Daniel Salmon. - Je rejoins Fabien Gay mais je comprends aussi le rôle de ces entreprises dans le rayonnement français et leur intérêt pour le commerce extérieur. Il faut essayer d'agir.
Vous avez parlé des entreprises qui ont un impact positif pour la France ; je crois qu'il faut aussi prendre en compte celles qui ont un impact positif pour la planète. Nous parlons beaucoup d'éco-conditionnalité, en France. Il devrait y avoir des critères en ce sens, pour les entreprises qui oeuvrent pour une transition vers une société bas-carbone.
M. Marc Villard. - Je voudrais d'abord répondre à la formule du « pas d'impôts, pas d'aides » en disant que près de 50 % des ménages français ne payent pas d'impôt sur le revenu, mais ont et doivent avoir droit aux aides sociales.
Concernant ma proposition, j'estime que la mise en place d'une structure de crédit ou de prêt relais accordé aux entreprises ayant des échanges réguliers avec la France - et si on veut que ces aides soient fléchées vers ces entreprises - nécessite de mettre Business France et éventuellement les chambres de commerce dans la boucle. À partir de là, il faudra faire savoir à ces entreprises locales, par Business France, qu'elles peuvent bénéficier d'un crédit relais auprès de leur fournisseur qui leur permette d'importer. Dès lors que celui-ci paraîtra fiable, Business France pourra entrer en contact avec le fournisseur. Ce dispositif ressemble à la garantie export Coface qui a pu exister. Me concernant, toute entreprise qui importe des biens français devrait être éligible, mais une entreprise qui s'est délocalisée pour fabriquer des t-shirts et les exporter en France, par exemple, ne devrait pas l'être.
M. Richard Yung. - Une telle structure existe, il me semble, chez BPI qui a repris le dispositif Coface.
M. Marc Villard. - Lorsque j'ai souhaité utiliser ce dispositif, il m'a été répondu que BPI n'était pas une banque et ne pouvait répondre à une telle démarche. Mes tentatives ont donc échoué. Ainsi, j'ai fait une demande pour un prêt, voici deux ou trois ans, pour importer des produits dermo-cosmétiques français, mais je ne rentrais pas dans le cadre.
J'ajoute que nous n'avons pas parlé du secteur du tourisme, qui fonctionne dans les deux sens en faisant venir des Français au Vietnam, pour mon cas, et des Vietnamiens en France. Il serait possible de prévoir des aides par secteur d'activité. Pour le tourisme, je ne vois pas a priori de mécanisme, mais ce secteur mérite d'être aidé. En effet, remettre en place les structures existantes, si elles venaient à disparaître, sera compliqué et risque de se faire au détriment des entrepreneurs français pionniers dans le domaine.
M. Alain Bentéjac. - Nous ne demandons pas que les entrepreneurs à l'étranger bénéficient des mêmes aides que les entrepreneurs en France. Nous parlons de garanties, ce qui serait, dans le meilleur des cas, à coût zéro. Même s'il y aura évidemment un coût, il sera limité. C'est une façon de prendre en compte cette considération légitime d'un traitement différent. Il faut en effet des conditions de développement durable, qui sont à construire localement selon les situations.
Concernant la technique, je pense qu'il faut faire attention avec l'idée d'un crédit fournisseur, c'est-à-dire que le fournisseur en France fasse crédit à l'entrepreneur à l'étranger. Cela existe déjà partiellement grâce à BPI France. C'est une bonne idée et un outil à utiliser. Cependant, durant les discussions de la semaine prochaine, les responsables de l'administration s'empresseront de reprendre cette idée parce qu'elle leur paraîtra évidente. Or elle ne constitue qu'une solution partielle. Beaucoup d'entreprises ont en effet plusieurs fournisseurs en France. Quel fournisseur prendra la responsabilité d'un crédit global ? Pour ce qui est du tourisme, les fournisseurs ne sont pas en question. C'est à intégrer dans la boîte à outils mais le problème est alors celui du montant. Un crédit export doit être accessible à de petits montants, ce qui est rarement le cas. Je continue à penser que la voie de BPI France garantissant des prêts est intéressante. Elle n'est certes pas simple mais rien n'est simple en matière de financement et le temps presse.
Prenons une entreprise vietnamienne qui a des banques locales ; ces banques ont souvent des relations avec des banques françaises. Le mécanisme serait d'avoir une banque locale contre-garantie par une banque française elle-même garantie par BPI France. Nous en avons discuté avec BPI France qui affirme que ce procédé est techniquement possible. Il résulte donc d'un problème de décision politique que d'autoriser BPI France à le faire. Enfin, la prise de participation dans le capital de certaines sociétés est aussi une idée intéressante qui peut être effectuée par BPI France ou d'autres organismes. Je pense que les prêts participatifs, convertis ou non en capital par la suite, seraient plus indiqués. Il n'y aura pas de solution unique adaptée à toutes les situations.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Si toutes les sociétés françaises à l'étranger n'achètent pas de produits français, elles contribuent au rayonnement et au commerce extérieur par d'autres moyens, comme ce peut par exemple être le cas des agences de voyage, de communication ou d'événementiel qui ont vu leur activité disparaître ces derniers mois.
Avez-vous des exemples d'aides apportées par d'autres pays à leurs ressortissants à l'étranger ?
M. Renaud Bentégeat. - L'Allemagne a mis en place des aides d'urgence aux chambres de commerce allemandes à l'étranger, notamment de la part des Länder. Par exemple, la chambre de commerce d'Équateur a reçu 100 000 euros, ce qui est très significatif pour un tel pays.
M. Marc Villard. - Les entreprises italiennes et suédoises bénéficient d'aides de leur administration pour obtenir des conditions de crédit très intéressantes, à long terme et à bas taux d'intérêt.
M. Serge Babary, président. - Nous vous serions reconnaissants de nous faire remonter les informations à ce sujet, elles sont extrêmement intéressantes pour nourrir le dossier, s'inspirer de ce qui a le plus de succès et gagner du temps.
M. Alain-Pierre Mignon. - Connaît-on les entreprises françaises à l'étranger de façon exhaustive ? Une liste par secteur, des données sur contribution réelle au commerce extérieur par secteur n'existe nulle part. Nous manquons d'informations pour être en capacité de prendre des décisions ciblées et pertinentes afin de venir en aide à ces sociétés. J'ai été président de chambre de commerce. Nous avions les grosses entreprises, en mesure de payer leur cotisation. Les entreprises plus modestes qui jouent pourtant un rôle important ne venaient pas à la chambre car les prestations et la cotisation étaient trop chères. Il y a donc, à mon sens, un chantier à ouvrir pour identifier l'ensemble des entreprises qui participent au commerce extérieur.
M. Serge Babary, président. - Vous avez raison de soulever ce point. Ce ne peut être fait dans l'urgence mais il faut s'y atteler dans le temps. Nous le ferons aussi savoir au ministre.
M. Olivier Cadic. - Merci pour cette initiative de la Délégation et merci aux intervenants.
J'ai participé à l'Assemblée des Français de l'étranger pendant huit ans et suis entrepreneur au Royaume-Uni. Je salue l'initiative commune qui vise à établir une structure pour étendre le recours aux VIE. Appuyer cette démarche serait un bon point.
Identifier les besoins est nécessaire, cela a été dit par tous. Nous avons besoin de cette cartographie.
Il est important de ne pas créer de fausses attentes, Marc Villard a raison sur ce point. Nous ne pourrons répondre aux attentes de chacun, particulièrement sans possibilité d'aides directes.
Le besoin qui nous est remonté systématiquement est l'accès au crédit. Les entrepreneurs à l'étranger sont confrontés à une concurrence locale qui bénéficie d'aides qu'eux n'ont pas. Ils n'ont pas d'accès au crédit ou à des taux bien trop élevés, comme en Amérique Latine où on a relevé des taux jusqu'à 18 %. J'ai vécu l'équivalent Covid en Équateur, deux ans après le séisme. L'AFD aidait des structures à rebondir mais les Français ne bénéficiaient de rien. J'avais été témoin du système ARIZ dans ce cadre. Il est vrai qu'il a été compliqué à mettre en place. Puisqu'il existe, utilisons-le. Il permet de contre-garantir des prêts en monnaie locale.
Après le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3), et s'agissant du slogan « Choose Africa Resilience », un montant de 165 millions d'euros a été évoqué, avec la possibilité de contre-garantir 80 % des prêts accordés par des banques locales. J'en ai parlé avec Rémy Rioux, le directeur de l'AFD mais, il y a deux semaines, ce n'était toujours pas contracté. Par ailleurs, ce projet ne concernera que sept pays en Afrique, avec la seule Société Générale. Il ne se concrétisera pas avant l'année prochaine, nous ne sommes donc pas dans la réponse d'urgence requise.
Concernant la création d'un fonds en France avec les CCIFI et les CCE, en intégrant la BPI et d'autres fonds, il s'agit de contre-garantir les prêts locaux sur le modèle de l'ARIZ avec l'AFD. Le principe reposerait sur des comités de prêt établis localement, avec un comité de conseil qui informerait la banque que les entreprises françaises sélectionnées correspondent aux critères et peuvent obtenir la contre-garantie de leur prêt en France.
Enfin, mon dernier point concerne la nécessité de revoir la configuration du commerce extérieur. Nous, Français, avons une multiplicité de réseaux. Les Allemands ont un système fondé sur les chambres de commerce, en grande partie financées par les Länder. Seulement, le modèle allemand est très différent du modèle français. Les Allemands n'ont pas de Business France et les chambres de commerce internationales doivent se financer grâce à leurs membres, qui attendent des services en contrepartie. Nous n'avons pas les moyens de développer un service général.
Pour faire vite, il faut définir les priorités, partir des besoins précis du terrain pour concevoir les réponses. Il s'agit, premièrement, de définir quelles entreprises françaises à l'étranger nous voulons aider en priorité. Certaines fonctionnent encore très bien. Deuxièmement, il convient d'identifier des objectifs précis. Par exemple, le tourisme est une priorité. Il s'agit d'une chaîne de valeur, de Paris avec l'agence de voyage jusqu'aux prestataires locaux dans le pays de destination. La question se pose aussi pour les réseaux de distribution, qui sont très importants pour notre chaîne d'exportation et qu'il faut identifier. Quels seraient donc les champs prioritaires, le type d'entreprise et de secteur à cibler en premier lieu dans le rapport ?
M. Renaud Bentégeat. - Un progrès net possible serait de créer ces comités évoqués dans chaque pays pour identifier ces entreprises. Les CCE, CCIFI et représentants de l'administration devraient se retrouver dans cette démarche.
Concernant l'aide aux VIE, tout le monde a l'air d'accord. Un VIE coûte 25 000 euros par an pour une entreprise, ce qui représente une somme modeste. Si nous pouvons le développer dans le secteur privé en étant garants de l'administration, ce sera fantastique.
Nous ne pouvons pas nous substituer aux pouvoirs publics pour garantir les prêts. Nous avons besoin du soutien de l'administration et de BPI dont c'est le métier. Cependant, nous ne parlons pas de sommes importantes. En effet, le plus souvent les entrepreneurs nous demandent de dix à vingt mille euros. Cette somme ne remettra pas en cause le budget de l'État puisqu'il s'agit d'aides modestes, par entreprise, et il n'y en a pas tant qui sont susceptibles d'être aidées ainsi.
M. Jean-Yves Leconte. - Que nous en soyons encore là après 6 mois de crise montre la faiblesse de notre dispositif autour de Business France et de la Direction générale du Trésor. Nous devrions le recentrer autour des chambres de commerce. J'ajoute que ce tissu d'EFE est aussi indispensable pour les grands contrats.
Il faut essayer de construire un plan autour de deux axes. Le premier est d'aider les structures d'influence, en particulier les chambres de commerce, par des subventions et donc un budget. Le second est d'aider les entreprises françaises à aider leurs partenaires à l'étranger. Nous avons parlé de flux commerciaux mais de nombreuses franchises, les royalties ou la propriété intellectuelle sont loin d'être négligeables.
M. Marc Villard. - Si l'on crée des comités à l'étranger, il me semble intéressant d'y associer les élus, ainsi que les conseillers consulaires un peu partout dans le monde qui connaissent bien les communautés. Ils font en ce moment partie des comités qui valident les demandes des OLES pour les aides exceptionnelles. Nous pouvons également ainsi identifier les entreprises qui nous demandent déjà des aides.
25 000 euros pour un VIE est hors de prix pour une PME-PMI dans un pays comme le Vietnam. Cela fait des années que nous le disons. Nous avons d'ailleurs proposé que la base salariale soit une base minimum qui permette de couvrir les charges sociales, le reste devant relever de négociation entre le VIE et l'entreprise.
Identifier les entreprises importatrices est possible avec Business France, avec les douanes là où nous entretenons de bons rapports avec elles, mais aussi avec les entreprises exportatrices en France qui rencontrent des problèmes avec leurs clients.
J'espère que le sujet des EFE pourra avancer « grâce » à cette crise parce que ce sujet tourne en rond depuis 20 ans, sans que nous soyons parvenus à définir une politique claire à leur égard.
Merci pour cette initiative, merci à tous.
M. Serge Babary, président. - Merci à tous pour ces échanges très riches qui seront utiles pour notre réunion de jeudi prochain avec l'administration et les acteurs de l'aide aux entreprises. Nous reviendrons sur ce sujet jusqu'à entendre le ministre et faire passer ces messages. Nous vous ferons passer un questionnaire pour d'autres points éventuels.
La réunion est close à 11 heures.