Mercredi 23 septembre 2020
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Compte rendu, par M. Jacques Le Nay, du déplacement de la délégation dans le Morbihan, les 15 et 16 septembre 2020
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Mes chers collègues,
Notre collègue Jacques Le Nay nous présente le compte rendu de notre intéressant déplacement dans le Morbihan, effectué à son invitation. Il s'agit du premier déplacement de notre délégation depuis décembre 2019 compte tenu des circonstances.
M. Jacques Le Nay. - Madame la Présidente, mes chers collègues,
Mardi 15 et mercredi 16 septembre derniers, six membres de notre Délégation se sont rendus dans le département du Morbihan. Je remercie particulièrement notre présidente, Élisabeth Lamure, dont c'était le dernier déplacement en cette qualité, ainsi que les collègues qui nous ont accompagnés : Emmanuel Capus, Joël Labbé, Sébastien Meurant, Jackie Pierre, ainsi que Muriel Jourda, sénateur du Morbihan.
Nous avions un programme dense pour ce déplacement : quatre visites d'entreprises - Cité Marine, dans sa nouvelle usine de Kervignac à Lorient, la société Multiplast à Vannes, le groupe Yves Rocher à La Gacilly et l'entreprise Hamiform à Ploërmel - ainsi qu'une table ronde avec des entrepreneurs du département à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Vannes.
Nous avons donc débuté par la société Cité Marine, créée en 1990 et rachetée par le groupe japonais Nissui en deux étapes (2007 et 2012). Ce rattachement, qui résulte d'un choix de ses fondateurs, permet à l'entreprise de bénéficier de l'assise commerciale et logistique de ce groupe, devenu numéro 2 mondial des produits de la mer. Il lui procure également une filière d'approvisionnement et une traçabilité. Cité Marine emploie aujourd'hui 1 600 collaborateurs répartis sur sept sites principalement localisés en Bretagne. Elle a vendu en 2019 des produits élaborés qui ont généré un chiffre d'affaires de 315 millions d'euros. Trois familles de produits sont commercialisées : les produits de la mer pour l'essentiel, les légumes élaborés, ainsi que des solutions végétariennes. Frais ou congelés, ces produits s'adressent à un large panel de clients, en grandes surfaces notamment ou à l'export.
Le site visité à Kervignac a été mis en service en 2017. Le recrutement des nombreux collaborateurs requis pour son fonctionnement n'a pas été aisé. En effet, les profils d'opérateurs de production, de logistique ou de maintenance sont peu abondants sur le marché de l'emploi régional, comme au niveau national d'ailleurs. La France souffre d'un manque de candidats pour les métiers techniques. Ainsi, des offres d'emplois non pourvues empêchent encore aujourd'hui Cité Marine d'augmenter la production pour répondre à une demande qui existe pourtant aussi bien en France qu'à l'étranger. Pourtant, son image de marque s'est améliorée ces dernières années avec le développement d'une politique sociale et d'une approche RSE ; de plus, le versement de primes permet d'augmenter sensiblement les rémunérations.
L'énergique dirigeant de Cité Marine, M. Éric Le Hénaff, nous a confié qu'il s'agit là d'un obstacle majeur au développement de son entreprise, qui a des causes multiples. L'instabilité législative et réglementaire est vécue par lui, comme par de nombreux chefs d'entreprise rencontrés par notre Délégation, comme « un élément de contexte anxiogène ». L'approche punitive du monde de l'entreprise, à travers l'exemple du bonus-malus applicable aux contrats courts, participe de ce sentiment. L'incapacité de Pôle emploi à répondre aux besoins des entreprises a été une nouvelle fois dénoncée. M. Le Hénaff estime en effet que « cet organisme administre plus qu'il ne combat le chômage » et « qu'il ne parle pas le même langage que les entreprises », les contraignant à recourir à des sociétés d'intérim. Enfin, l'attachement des salariés - et des jeunes en particulier - au monde du travail semble manquer. Le contexte sanitaire actuel, qui a privilégié le maintien à domicile, semble avoir aggravé cette désaffection d'une partie des salariés pour la valeur travail. Comme d'autres chefs d'entreprise, il a témoigné du fait que la relocalisation d'une partie de nos activités industrielles -cruciale pour redynamiser l'écosystème local, créer de l'emploi et retrouver ainsi notre souveraineté économique- dépendait moins de problèmes financiers que du manque d'incitation à travailler qui résulte, à l'entendre, du modèle social français.
L'entreprise Cité Marine voit son chiffre d'affaires et ses effectifs croître et poursuit une politique ambitieuse d'investissement. De fait, elle regorge de projets : extension en cours des locaux visités, création d'un nouveau site de production...Ayant récemment obtenu une certification bio, elle a à coeur d'inscrire ses activités dans une démarche respectueuse de l'environnement. Cette incontestable réussite est servie par des valeurs fortes, parmi lesquelles le dirigeant a cité la satisfaction du client, la qualité, la performance et l'innovation.
Le plan de relance annoncé par le Gouvernement est accueilli favorablement par M. Le Hénaff, en particulier la baisse annoncée des impôts de production qu'il qualifie « d'élément de réassurance pour localiser les activités en France ». Il a souligné par ailleurs l'excellente collaboration avec les services de l'État dans le département.
Après cette visite instructive, nous nous sommes rendus à l'antenne de Vannes de la Chambre du Commerce et de l'Industrie du Morbihan pour participer à la table ronde organisée avec une vingtaine d'entrepreneurs, en présence du Préfet du département, M. Patrice Faure. Les échanges furent, comme toujours, très riches et authentiques. Artisan ou commerçant, du boulanger-pâtissier au dirigeant d'une start-up, de l'esthéticienne au patron d'une entreprise de sécurité, tous ont exprimé sans fard leur vision du présent et de l'avenir.
La crise sanitaire et le confinement n'ont bien sûr pas eu le même impact sur l'activité de ces entrepreneurs. Certains - majoritaires - ont malheureusement connu une chute abyssale de leur chiffre d'affaires tandis que d'autres, « obligés de nourrir la population », ont poursuivi - voire augmenté - leur production. Parfois, c'est la saisonnalité de l'activité qui était un facteur prééminent sur l'évolution du chiffre d'affaires. D'autres fois, une reconversion de la production a permis de limiter l'impact de la crise, avec la fabrication de masques ou de gel hydroalcoolique. L'impression générale est qu'il émanait de cette salle un remarquable esprit de solidarité, entretenu par les chambres consulaires et la préfecture du Morbihan. Le préfet a été salué par tous comme ayant su mobiliser ses services pour accompagner et soutenir les entreprises en difficulté. Un retour d'expérience sur ce point serait sans doute très instructif, car il me semble que tous les départements n'ont pas eu cette chance...
Quelles ont été les principales problématiques évoquées pendant cette table ronde ?
À l'évidence, le niveau de trésorerie et la situation du carnet de commandes sont des préoccupations de chaque instant, voire « une obsession » selon le terme de l'un des chefs d'entreprise entendus. La raréfaction des débouchés créée par le confinement a asséché les ressources de nombre d'entreprises, certaines puisant dans des réserves déjà diminuées par les chocs économiques précédents. Un entrepreneur nous a confié que la fermeture soudaine des restaurants l'a privé « du jour au lendemain » de 80 % de ses débouchés. Fort heureusement, il a réussi en urgence à convertir une partie de sa production de denrées périssables à d'autres usages. D'autres n'ont pas eu cette opportunité, leur outil de production ne s'accommodant d'aucune transformation. Avec le confinement, tous ont exposé les effets délétères du report, voire des annulations - en plus grand nombre encore - des foires, congrès, salons et autres événements professionnels. Ce « jeûne » commercial imposé a plus amplement encore touché les entreprises ayant une activité saisonnière. Elles ont été contraintes, quand elles le pouvaient, d'accroître leurs dépenses numériques pour ne pas disparaître des radars et chercher des clients.
Toutes ont cependant salué les aides fiscales et financières mises en place par l'État pour maintenir en vie les entreprises. Plusieurs dirigeants ont ainsi apprécié l'étalement et le report des charges, de même que l'obtention simplifiée de prêts garantis par l'État. L'un d'entre eux a toutefois fustigé les libertés prises par le Gouvernement avec la trésorerie amoindrie des entreprises en citant l'exemple de la gratification de 1 000 euros promise aux salariés par l'État, ce qui a pu mettre en difficulté les employeurs. Par ailleurs, le recours au chômage partiel a constitué un ultime recours. En effet, les entrepreneurs rencontrés partageaient le souci de prévenir l'érosion des compétences et au-delà, la perte de profils qualifiés et déjà rares sur le marché du travail. Tous ont eu à coeur de maintenir l'emploi dans un contexte dénoncé de désamour pour le travail et de repli sur la sphère privée. À cet égard, le télétravail n'a pas semblé constituer un horizon indépassable, l'un des entrepreneurs affirmant que « l'entreprise, ce n'est pas chacun chez soi ».
Parmi les autres difficultés rapportées, je citerai les effets nocifs des seuils sociaux sur l'emploi (en particulier le seuil de 50 salariés), le calendrier électoral qui a figé les commandes de nombreuses communes et intercommunalités, le manque de reconnaissance de certains secteurs à l'image des métiers d'art ou de la sécurité privée, le stress pour concilier vie professionnelle et vie privée.
La difficulté d'accès à la commande publique a été également évoquée. La place prééminente du critère prix dans les attributions suscite en effet indirectement une concurrence déloyale au détriment des entreprises françaises.
Les chefs d'entreprise rencontrés nous ont fait part de leurs inquiétudes pour l'avenir. La mise en extinction progressive des aides fiscales et financières, alors même que leur trésorerie n'a pas été reconstituée, loin s'en faut, est source d'anxiété. Pour eux, l'avenir est aussi celui d'une obligation de continuer à produire dans une totale incertitude quant au niveau et même à la pérennité des activités, placées à la merci d'un nouvel emballement de l'épidémie. Un entrepreneur a résumé la situation en indiquant qu'« on n'a pas encore réalisé ce qui va peut-être nous arriver ».
Quelques notes d'optimisme ont fort heureusement percé dans les discours de certains participants. D'abord, l'action des services de l'État, sous la houlette du Préfet Patrice Faure, a été unanimement saluée par les participants. Ce dernier nous a en effet décrit le plan de bataille économique qu'il a mis en place en lien avec l'ensemble des acteurs locaux. À l'évidence, l'administration et les entreprises parlaient un langage commun dans ce département et un véritable réseau a été mis en place, en dépit de la fermeture d'une partie des services publics. Les réponses étaient proportionnées et adaptées aux circonstances, à l'image de la réouverture courageuse des marchés. « On peut apporter des solutions concrètes et immédiates » pour renforcer la résilience du tissu économique local a indiqué le Préfet. Selon lui, cela implique de donner davantage de souplesse aux préfets.
Le plan de relance a été bien sûr évoqué, avec des réactions globalement positives. Un appel a cependant été lancé « à la vigilance quant à son mode d'emploi et aux modalités de distribution des crédits ». Ont été aussi avancées certaines propositions pour aller plus loin et mieux assurer sa réussite, par exemple :
- Déléguer aux préfets la passation de marchés publics par le contrôle de légalité ;
- À travers un groupement d'intérêt public, lisser la commande publique et la flécher en priorité sur les entreprises en difficulté ;
- Étendre le bénéfice de la défiscalisation des travaux de rénovation énergétique aux résidences secondaires, afin d'assurer rapidement des chantiers pour les entreprises concernées ;
- Mieux contrôler les arrêts de travail ;
- Défiscaliser les compléments de rémunération, telles les primes ;
- Donner le goût au travail, y compris en autorisant les « jobs d'été » avant 18 ans.
La synergie entre les acteurs locaux a été aussi mise en évidence lors de la deuxième journée de visites, qui a débuté dans les locaux de l'entreprise Multiplast. Depuis 1981, cette entreprise dessine et conçoit des bateaux multicoques et monocoques en matériaux composites. Son savoir-faire rapidement reconnu lui permet aujourd'hui de travailler pour de grands donneurs d'ordre nationaux. Forte de son ancrage maritime, l'entreprise investit désormais également la terre - dans le secteur des bâtiments - et les airs - avec l'aviation civile -. Son intuitif dirigeant, M. Yann Penfornis, a exposé à la délégation les projets parfois avant-gardistes de son entreprise pour se diversifier dans le domaine des nouvelles mobilités, montrant le lien entre créativité, ambition et développement.
Une fois de plus, cet exemple nous montre la nécessité de « sanctuariser » notre système de crédit impôt recherche, sans lequel notre pays perdrait considérablement en termes d'innovation, de localisation d'activités et d'emplois.
Notre déplacement s'est poursuivi par la visite du site de La Gacilly du groupe Yves Rocher. À l'origine de cette marque, il y a une aventure familiale qui a véritablement façonné cette « entreprise à mission » comme indiqué par son Directeur des relations publiques, M. Auguste Coudray. Depuis 2004, l'entreprise s'implique beaucoup pour le rayonnement culturel de sa commune d'origine, devenue depuis un « village en résilience ». En effet, elle organise chaque année un festival photographique à succès qui a permis, même cette année, d'assurer sept millions d'euros de retombées économiques pour le territoire. Avec près de 3 000 salariés dont 1 800 sur le site de La Gacilly, et l'intégralité des sites de production de la marque situés en France, l'entreprise a su conjuguer ancrage local et développement économique. Cette réussite est un exemple inspirant pour la revitalisation de nos bourgs auxquels les Français sont tant attachés.
Naturellement, le groupe n'a pas été épargné par l'épidémie de Covid-19. Toutefois, il a su, à l'instar des autres entreprises visitées, adapter sa production et faire évoluer ses organisations en intégrant dans la durée les contraintes sanitaires. Ainsi, la fermeture des magasins de l'enseigne a été aussi soudaine que le retour de la clientèle après le confinement, preuve d'un lien solide avec l'entreprise.
Nous avons terminé notre journée par la visite de l'entreprise Hamiform, dirigée par ses deux frères charismatiques, MM. Laurent et Philippe Davalo qui, avec leur père, ont complètement fait évoluer l'élevage de porcs de ce dernier. Modèle de développement familial, l'entreprise Hamiform illustre la réussite du volontarisme entrepreneurial. Construite en 2014 sur un terrain « en friche », l'entreprise est déjà devenue leader en France dans son domaine d'activité et développe ses exportations. Elle fabrique des produits d'alimentation pour animaux, outre ses productions d'accessoires et l'élevage de certaines espèces domestiques. Elle a même créé sa propre marque dédiée aux cosmétiques pour animaux, marché en pleine expansion que la crise sanitaire n'a pas affaibli. Enfin, cette entreprise présente une empreinte carbone très limitée et conduit des actions pour la compenser, ce qui mérite d'être souligné. En sus de cette fulgurante réussite, nous avons été frappés par la politique sociale de la société Hamiform, à la fois inclusive et respectueuse du bien-être de ses salariés. Ainsi, 20 % des 100 salariés de l'entreprise sont en situation de handicap, ce qui est assez rare pour être souligné. De même, l'entreprise pratique un management inspiré du monde agricole, où les chefs de production exercent tour à tour les fonctions d'opérateur. Cela permet une meilleure compréhension réciproque, respect et entraide entre les salariés. À l'heure où les pratiques managériales sont questionnées au sein des entreprises, ce modèle bienveillant et efficient mérite d'être salué.
En revanche, le byzantinisme de certains de leurs interlocuteurs dans les administrations est assez irritant quand il vient ralentir un processus de développement à l'international. De même, des formalités administratives outrancières découragent jusqu'aux plus tenaces des chefs d'entreprise. Ainsi, les validations chronophages - et au final refusées ! - de documents préalables à l'export en Chine nous ont été rapportées avec une pointe d'aigreur. Néanmoins, l'engagement très fort de la préfecture à l'appui du développement des entreprises a été souligné - et apprécié - par MM. Davalo.
Au total, je crois pouvoir dire au nom des collègues qui ont participé à cette mission que nous avons été frappés par le fort ancrage territorial des entreprises visitées et la solidarité dont elles font preuve. C'est un gage de réussite et d'optimisme dans l'horizon incertain que nous connaissons.
Le Morbihan peut s'enorgueillir d'être riche d'entrepreneurs courageux qui se battent pour créer de la valeur et de l'emploi, malgré les difficultés rencontrées et majorées par la crise sanitaire. L'engagement significatif et salué par tous de la préfecture du Morbihan à leurs côtés est exemplaire. Je tiens à saluer également l'action solidaire et efficace des présidents des chambres consulaires, M. Pierre Montel pour la Chambre du commerce et de l'industrie, et M. Michel Aoustin pour la Chambre de métiers et de l'artisanat, en dépit de budgets de plus en plus contraints.
Ce modèle morbihannais peut sans doute être source d'inspiration pour d'autres territoires. D'ailleurs, Madame la Présidente, vous avez salué ce pragmatisme et suggéré de « labelliser l'expérience morbihannaise ».
Je suis heureux que le dernier déplacement sous votre houlette se soit déroulé dans mon département. En tant que co-rapporteurs du rapport de la Délégation sur la RSE, nous avons pu aussi constater que celle-ci fait partie intégrante des stratégies des entreprises locales. Et nous en réjouir !
M. Jackie Pierre. - Merci pour ce compte rendu qui reflète bien ce que nous avons vu et constaté.
M. Sébastien Meurant. - J'ajoute que c'est la première fois que je rencontre un préfet autant à l'écoute des entreprises dans les territoires, et que cela va dans le bon sens.
Mme Élisabeth Lamure. - Merci pour ce compte rendu complet de ce déplacement réussi et très attendu après de long mois. Je salue également le travail hors normes de Monsieur le Préfet, Patrice Faure, qui est selon moi un exemple à suivre.
Table ronde sur les conséquences de la situation sanitaire pour les entreprises et leurs premières réactions au plan de relance
La réunion est ouverte à 15 heures.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Bienvenue, messieurs les présidents. Merci d'avoir répondu à notre souhait de vous entendre, dans un moment évidemment particulier. Bien que le Sénat n'ait pas encore repris ses travaux, et bien que plusieurs d'entre nous, dont je fais partie, aient décidé de ne pas renouveler leur mandat s'achevant fin septembre, nous avons souhaité vous réunir pour la dernière table ronde de la délégation de ce mandat, car il me semble important de ne pas perdre de temps dans cette période compliquée et de préparer les travaux législatifs des prochaines semaines en faisant entendre la voix des entreprises. Vous qui représentez largement les entreprises françaises êtes nos interlocuteurs privilégiés. Il en est de même de l'U2P, dont le président n'a pas pu se joindre à nous, mais nous a transmis une contribution écrite.
Vous pouvez prendre connaissance du bilan des six années d'existence de la délégation ; il rappelle les thématiques sur lesquelles nous avons travaillé et nos propositions, sur lesquelles vos réactions seront toujours instructives.
Dans le contexte sanitaire et économique si particulier et évolutif que nous connaissons, il est nécessaire que nous échangions et débattions ensemble régulièrement afin que notre délégation, et plus largement le Sénat, puissent utilement contribuer à améliorer le contexte normatif et budgétaire dans lequel les entreprises exercent leurs activités. Surtout, l'approche transversale de notre délégation, à l'écoute des entrepreneurs au plus près du terrain, nous permet de relayer vos difficultés et suggestions, de contribuer à remédier aux premières et à concrétiser les secondes lorsqu'elles nous paraissent servir l'intérêt général du pays.
Nos travaux se sont poursuivis malgré le confinement, par des visioconférences, l'audition d'Agnès Pannier-Runacher, l'interpellation des différents ministres concernés par vos légitimes préoccupations, des communiqués de presse, des amendements, mais aussi des rapports d'information, dont les derniers concernent les problèmes de recrutement et de compétences ainsi que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Le confinement puis la situation sanitaire nous ont privés des déplacements habituels à la rencontre des entreprises, mais nous avons pu renouer avec cette pratique la semaine dernière, dans le Morbihan. Nous y avons visité quatre entreprises et échangé avec une vingtaine de chefs d'entreprise à l'occasion d'une table ronde organisée avec la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du département. Ont été évoquées plusieurs propositions pour assurer l'efficacité du plan de relance annoncé par le Gouvernement. Dans ce même esprit, nous souhaitons vous entendre pour anticiper les futurs travaux législatifs du Sénat, qui intégreront ce plan de relance, et pour être prêts à porter vos demandes lors de l'examen du projet de loi de finances ainsi que des autres textes ayant un impact sur la vie des entreprises et de leurs salariés.
Nous avons prévu un échange interactif afin d'analyser la situation des entreprises en ce début d'automne et de faire remonter vos premières réactions au plan de relance, ainsi que vos éventuelles propositions.
Je suis persuadée que ce débat sera constructif. Toutes vos préoccupations peuvent être abordées, il n'y a pas de sujet tabou. Bien sûr, ce dialogue se poursuivra au cours des semaines et mois à venir.
M. Pierre Goguet, président de CCI France. - Je vous remercie très chaleureusement de vos travaux depuis 2014 et de nos échanges fructueux, qui nous aident à vous faire remonter des informations du terrain sur, comme on dit, les trous dans la raquette. Merci de vos retours. Les stages en entreprise organisés pour certains sénateurs ont été extrêmement fructueux pour les uns comme pour les autres.
Nous consultons régulièrement le terrain. Il y a quelques jours, nous avons eu les résultats d'une enquête Opinionway, montrant que l'on ne peut plus raisonner sur des moyennes ni des tendances globales. L'analyse doit être beaucoup plus fine, selon les territoires, les secteurs, voire les entreprises. Selon la Banque de France, la reprise est plus vigoureuse qu'escomptée, mais elle est assortie d'une grande dispersion selon les activités. Par exemple, dans le tourisme, les entreprises de la côte ont bien marché, parfois mieux que l'an dernier, alors qu'à Paris et Lourdes - deuxième ville de France en équipements hôteliers - c'est la catastrophe. Or, cela paraît devoir durer. Les échanges internationaux ne reprennent pas et certaines compagnies aériennes replient la voilure, comme Easyjet ou Ryanair.
Le secteur de l'habillement-chaussures connaît des difficultés, même s'il existe des exceptions. L'événementiel, autour des grands salons, est complètement sinistré. Idem pour les entreprises périphériques. Le salon Vinexpo, à Bordeaux, concerne toute la filière vinicole. Les acteurs de la nuit souffrent aussi.
Opinionway note une remontée de l'optimisme d'environ 6 % de l'ensemble des entreprises. Un secteur se distingue néanmoins par son absence d'optimisme, celui de l'industrie. Dans l'aéronautique, voire l'automobile, avec toutes leurs chaînes de sous-traitance, c'est difficile, d'autant que les cycles sont longs. L'activité ne repartira pas avant trois ou quatre ans. Globalement, on sent malgré tout une reprise, avec des nuances.
Quelque 53 % des chefs d'entreprise considèrent que le plan de relance est de nature à redonner confiance. Ce taux n'est que d'un tiers dans l'industrie.
Sur le plan sanitaire, toutes les entreprises sont convaincues de la pertinence du port du masque, qui rassure à la fois clients et collaborateurs. En revanche, l'avis est très négatif sur l'organisation des tests. C'est un vrai problème.
Les entreprises sont inquiètes de l'image que cette période laissera sur leurs comptes et veulent un traitement comptable spécifique. En clair, cette période plombera leurs comptes, bilans et résultats dans les systèmes de cotations. Beaucoup d'entreprises verront la méfiance financière se renforcer à leur égard. Je me suis rapproché de l'Autorité des normes comptables (ANC) afin d'envisager un traitement adapté. C'est notamment possible pour les entreprises non cotées qui ne sont pas soumises aux normes comptables internationales.
Chez Business France, nous avons continué à motiver tous les exportateurs qui ont dû s'arrêter pour qu'ils agissent dès la réouverture. Nous les avons aidés, notamment en web marketing. Vous avez tous constaté la chute de la balance commerciale, alors qu'auparavant, la Team France Export était dans une dynamique de succès. Mais la fermeture des frontières dans l'Union européenne est incohérente et il n'y a aucune visibilité.
Le commerce indépendant de centre-ville n'est pas suffisamment pris en compte dans le plan de relance, ce qui pose un vrai problème, d'autant que ces commerçants ont connu l'épisode des « gilets jaunes » juste avant.
M. François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). - Je n'aurai pas de son discordant. La situation est très hétérogène. Si, au niveau macro-économique, on peut se féliciter que ce soit moins pire que le pire, d'un secteur ou d'une région à une autre, ce peut être très différent. Par exemple, certaines entreprises de propreté se portent très bien quand d'autres, travaillant pour l'hôtellerie des grands centres urbains, sont encalminées.
La CPME a formulé 109 propositions pour soutenir l'investissement. Sans le soutien, la relance fera pschitt. Il est important de continuer à y réfléchir. Nous estimons que le plan de relance doit être complété.
Le 7 octobre, les tribunaux de commerce rouvriront les procédures de cessation de paiement. À cette occasion, on aura une photographie rapide de l'étendue des dégâts. À la fin de l'année, la publication des comptes à fin mars constituera une autre échéance. Il y aura un grand risque de cotation dégradée. Des banques pourraient se retirer des crédits de trésorerie. Le mois d'avril sera le temps des premiers remboursements des prêts garantis par l'État (PGE).
Quand on additionne les décalages de paiement de charges sociales et fiscales, les décalages de remboursement d'emprunts, le remboursement du PGE, parfois les décalages de loyer, on s'aperçoit que certaines entreprises, dont le modèle économique est tout à fait viable, ne pourront pas faire face à leur mur de dettes. Nous avons proposé un prêt de consolidation regroupant l'ensemble de ces dettes pour les étaler sur dix années maximum.
Le Parlement a voté une enveloppe de 300 milliards d'euros pour le PGE. Sa consommation atteint aujourd'hui environ 124 milliards d'euros. On a un opérateur, Bpifrance, et des distributeurs, le réseau bancaire. Pourquoi ne pas élargir l'aide en créant des prêts de consolidation ? Il y aura bien sûr un écrémage, puisqu'on ne pourra pas soutenir les entreprises qui devront s'effondrer. Malheureusement, on se heurte à la disposition européenne qui limite à six ans la durée du soutien aux acteurs économiques. Nous demandons des possibilités pour les entreprises viables. L'outil du prêt participatif est excellent, mais il nous inquiète, car l'ingénierie ne parvient pas à suivre et il reste pour l'instant virtuel. Trois milliards d'euros de garantie ont été mis en place par l'exécutif en espérant lever au total une enveloppe de 20 milliards d'euros. Très honnêtement, je ne suis pas banquier, mais alors que l'abondement en fonds propres est un risque important déjà en temps normal, je ne vois pas comment un effet de levier de 3 à 20 milliards d'euros peut fonctionner.
Ces outils sont bons et aideraient les entreprises qui ont des projets à continuer à investir et se développer.
Il faut aussi penser à la personne physique. Des indépendants n'auront pas d'autre choix que de déposer le bilan. Or, leur dette sociale est personnelle. Nous demandons que cette dette soit celle de la personne morale. Ils ne devraient pas avoir à rembourser, des années plus tard, les sommes qu'ils n'ont pas pu cotiser au Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).
Pensons à ceux qui ont une belle capacité d'entreprendre et doivent mettre un genou à terre.
Si l'intendance ne suit pas, avec les meilleures intentions du monde, le plan de relance ne vaudra rien.
Nous sommes inquiets au sujet des 1,8 million de TPE-PME qui comptent au moins un salarié. Il n'est pas possible de s'adresser à elles depuis Bercy, cela ne fonctionne pas. On doit s'appuyer sur les territoires. Il n'y a rien de mieux que les élus territoriaux, qui connaissent leur tissu économique. Évitons toute vision jacobine.
Nous sommes en attente forte d'une méthodologie. Nous voulons savoir qui pilote, comment cela va se passer, quels sont les types d'appels à projets qui seront lancés. Si ce n'est pas rapidement clarifié, les grandes entreprises en profiteront, car elles sont très organisées dans ce domaine, mais les TPE-PME passeront à côté. On fait grand bruit de Bridgestone, mais ce n'est rien du tout par rapport aux milliers de petites entreprises qui devront baisser le rideau.
M. Joël Fourny, président de CMA France. - L'artisanat représente 1,3 million d'entreprises et 3 millions d'actifs sur l'ensemble du territoire. Avant la crise sanitaire, les entreprises artisanales se portaient plutôt bien. La croissance était extrêmement forte. La crise économique est en lien direct avec la crise sanitaire, ce qui est très différent d'une baisse de croissance. Quelque 95 % des entreprises se considèrent comme touchées très directement. Les activités de réception du public, qu'il s'agisse de salons de coiffure ou d'esthétique ou de garages, ont connu un impact très direct, car elles ont dû fermer. La reprise a été plutôt bonne en sortie de confinement, mais la baisse d'activité est toujours ressentie. C'est fragile. Dans le bâtiment, les effets sont différents selon les entreprises. Certaines, de réparation et d'entretien, ont connu une activité croissante et régulière même pendant le confinement, alors que celles relevant de la construction neuve ont été beaucoup plus fragilisées. Dans l'alimentaire, les entreprises qui ont assuré un service au plus près des consommateurs s'en sont plutôt bien sorties, voire ont connu un volume d'activité supérieur à la période précédente. Les entreprises qui avaient travaillé sur leur numérisation ont pu commercialiser leurs produits et répondre à la demande sur un territoire de chalandise élargi. D'autres, sur des zones d'activité dense, alors que le télétravail était extrêmement important, ont manqué de clients et vu leur chiffre d'affaires diminuer de manière importante. Ainsi, un boulanger disposant de deux sites a vu le chiffre d'affaires de celui d'une zone d'activité commerciale et économique diminuer de moitié quand celui du centre-ville doublait. Les traiteurs, très en lien avec l'événementiel, comme les imprimeurs, ont souffert. Nous sommes également préoccupés par les sous-traitants de l'aéronautique et de l'automobile, qui sont à 80 % des entreprises artisanales. En effet, l'activité des donneurs d'ordre principaux a baissé et la visibilité reste incertaine pour les mois et années à venir.
Si la reprise a été plutôt meilleure qu'espéré, nous restons extrêmement prudents. Le soutien gouvernemental a accompagné les entreprises artisanales sur l'emploi, par le chômage partiel, mais aussi les finances, avec les reports de charges et d'échéances de prêts. Quelque 30 % des entreprises artisanales ont sollicité un PGE. Les entreprises ont pu maintenir leur bonne santé. Pour autant, quid de la suite ? Au 15 octobre, il y aura certaines échéances. Comment l'accompagnement bénéficiera-t-il aux entreprises artisanales ? Nous n'avons pas d'élément précis. Nous souhaitons une durée de PGE plus longue que six années, car il faudra payer les charges fixes tout en remboursant les dettes accumulées en 2020. Certaines entreprises dont la rentabilité économique est habituellement superbe auront des difficultés liées à cette obligation de remboursement sur une courte durée.
Le taux du PGE varie grandement selon sa durée. Pourquoi une telle différence ? Si une entreprise demande une durée plus longue, c'est parce qu'elle a un besoin particulier d'appui et de soutien. Il serait plus équitable que le taux reste le même, quelle que soit la durée.
Le plan de relance prévoit le renforcement de l'appui à certaines filières, par exemple le secteur énergétique pour le bâtiment. Comment être certain que les travaux lancés par les particuliers reviendront directement aux entreprises françaises ? Il ne faudrait pas que ce soit comme l'isolation à un euro, réalisée par des entreprises spécialisées qui ne relevaient pas directement de l'artisanat et qu'on a vu fleurir pour l'occasion.
Certains dispositifs sont extrêmement porteurs pour l'artisanat, comme la formation des apprentis. Nous étions très inquiets à ce sujet, mais l'aide de 5 000 euros pour un mineur et de 8 000 euros pour un majeur est extrêmement intéressante. Nous pouvons presque dire qu'à la rentrée 2020, nous serons au même niveau qu'en 2019. C'est bon pour notre capacité de rebond et la main d'oeuvre des années à venir.
L'aide de 4 000 euros à l'embauche d'un jeune de moins de vingt-six ans est également positive, quand on connaît le besoin en recrutement dans les entreprises artisanales.
Nous sommes inquiets quant à la mise en oeuvre du plan de relance sur les territoires. Chaque acteur doit jouer son rôle pour coordonner les aides nationales et locales, au plus près des entreprises. L'accompagnement particulier réalisé par le réseau consulaire est essentiel, alors que les artisans sont souvent très seuls. C'est notamment le cas sur la numérisation.
M. Olivier Schiller, administrateur du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI). - Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont 5 400 en France. Elles emploient 25 % des salariés tous secteurs confondus et 36 % des salariés de l'industrie. Elles sont très présentes dans les territoires puisque les deux tiers ont leur siège social hors d'Île-de-France. Ces entreprises sont très résilientes. Ce sont elles qui ont créé le plus d'emplois après la crise de 2008.
Toutefois, les derniers sondages auprès de nos adhérents ne sont pas très encourageants. Nous prévoyons une baisse moyenne de chiffre d'affaires de 15 % cette année ; quelque 44 % des ETI seront en perte ; quelque 50 % se sont déclarées comme fragilisées et 38 % comptent utiliser le dispositif d'activité partielle de longue durée.
Le PGE et l'activité partielle sont très positifs. Ils ont permis aux entreprises de survivre. Nous notons donc que le Gouvernement a su jouer son rôle.
Néanmoins, les taxes de production s'élèvent à 70 milliards d'euros en France, soit deux fois plus que la moyenne européenne. Le delta est de 35 milliards d'euros. Une baisse de 10 milliards d'euros, c'est bien, mais ce n'est qu'un tiers du delta. Ces taxes pèsent lourdement sur nos entreprises. En outre, en France, contrairement à ce qui se passe dans certains pays voisins, elles sont dues dès le 2 janvier, en particulier la taxe foncière, la cotisation foncière des entreprises (CFE). En période de crise, alors que les entreprises sont fermées, il faut quand même payer ces impôts.
Un autre problème est que les taux sont les plus élevés dans les territoires les plus désindustrialisés, parce que les collectivités locales doivent garantir des rentrées minimales. Si la base taxable est plus faible, les taux sont plus élevés. À Castres, en remplaçant une ancienne usine par une nouvelle, on passe d'un montant de 17 000 euros à un montant de 300 000 euros. C'est un vrai obstacle à la réindustrialisation du pays. C'est comme si l'on payait deux fois, à l'amortissement normal et aux collectivités publiques.
Nous soutenons cette baisse de 10 milliards et appelons à ce qu'elle aille au-delà. Nous voudrions également mettre en place un indice de fiscalité de production puisqu'entre 2011 et 2018, les taxes de production ont augmenté de 15 milliards d'euros. Il ne faudrait pas qu'elles baissent pour remonter dès 2023.
Nous proposons aussi l'exonération des nouveaux projets. Les collectivités territoriales n'en subiraient pas de conséquences puisque le stock existant continuerait à produire de l'impôt.
Nous souhaiterions organiser des « Assises de la compétitivité des territoires », peut-être au Sénat. Aujourd'hui, la mécanique de financement des collectivités locales est trop complexe. Nous savons que les communes, intercommunalités, départements, doivent continuer à recevoir des rentrées financières. Des systèmes de tuyaux fiscaux d'une complexité inouïe ne seront pas pérennes. Il faudrait remettre à plat le financement pour obtenir un système plus stable.
La loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), qui fait suite au rapport Kasbarian, est très positive. Elle favorisera la création de nouvelles usines ou l'extension d'usines existantes.
Des dispositifs comme French Fab Investment Desk ou Territoires d'industrie sont très bien sur le papier, mais ils ne sont pas relayés sur le terrain. Cela ne sert à rien.
Nous, ETI, avons la capacité de constituer des dossiers pour le plan de relance, mais il n'y a pratiquement rien pour nous. Alors que nous investissons, créons des emplois, transformons nos entreprises pour les adapter à la révolution numérique, toutes sortes de contraintes pèsent, à commencer par la règle européenne de minimis, qui nous limite à 10 % du coût du projet. Si les TPE-PME-ETI ne sont pas concernées par ces aides, où les 80 milliards d'euros iront-ils ? Tout n'est pas finalisé : on doit s'interroger à chaque fois sur ce qu'il restera à nos entreprises.
Quelque 70 % des ETI ont bénéficié du PGE ; un quart ont indiqué qu'elles auraient des difficultés pour le rembourser ; quelque 70 % souhaitent allonger leur maturité et 30 % seraient intéressées par des dispositifs de type prêt participatif, qui permettent de consolider les fonds propres. Je ne sais pas quelle est la faisabilité de ce dispositif, mais il est important qu'un relais existe après la première année.
Nous avons été déçus que le tunnel de taux annoncé par Bruno Le Maire ne s'applique pas aux ETI. Elles sont trop souvent considérées comme des grands groupes. Leur spécificité devrait être davantage prise en compte. Nous craignons la prédation d'investisseurs chinois, européens ou américains sur des pépites temporairement dégradées. Or, quand le centre de décision sort de France, les investissements ne se font plus dans notre pays.
Je voudrais conclure en insistant sur la consolidation de l'actionnariat, en particulier familial et l'importance du pacte Dutreil qui permet aux entreprises de rester au sein des familles. Il est important de le consolider, voire de l'amplifier, de façon à conserver nos ETI et à passer de 5 400, qui est leur nombre en France aujourd'hui, à 12 000 comme en Allemagne.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous avons travaillé sur ce sujet sans forcément obtenir le résultat souhaité. Merci à tous de vos propos, qui confirment ce que l'on entend partout. Avez-vous été entendus par le Gouvernement sur l'étalement supplémentaire du PGE ? Monsieur Asselin, sur vos 109 propositions, combien ont été retenues ?
M. François Asselin. - Nous aurions aimé que ce soit autant que les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, dont seulement trois ont été rejetées sur 150, mais nous sommes, pour notre part, à un tiers de propositions retenues. Jusqu'à maintenant, le Gouvernement a globalement fait le travail, avec des dispositifs évolutifs qui ont très bien fonctionné. On peut se satisfaire de sa réactivité. Le PGE a bien fonctionné. Mais je sens que des choses nous échappent. La politique reprend. Nous ne sommes pas loin des élections régionales et je me demande si elles n'ont pas d'effets collatéraux sur l'interface territoire-exécutif. La relance est un peu moins précise que l'accompagnement. Il serait important de retisser ces liens de confiance parce que si l'on manque la relance, c'est la catastrophe ! Il faut nous rassurer et jouer collectif.
Nous avons évoqué avec Bruno Le Maire et Alain Griset, ministre chargé des PME, la possibilité de décaler de trois ans le remboursement de charges sociales et fiscales, et d'étaler sur dix ans le remboursement du PGE. Mais si l'activité économique ne revient pas au niveau d'avant, les entreprises ne pourront pas rembourser. Elles se heurteront à un mur. Il faut vraiment traiter rapidement la question du prêt de consolidation. Dix ans pour régler l'ensemble des dettes serait une durée parfaite, même si nous nous contenterions de sept ans. Sinon, l'alternative se situera au tribunal de commerce. Et si le PGE n'est pas remboursé, la garantie de l'État sera actionnée, à son détriment ; les charges sociales et fiscales qui auront été repoussées ne seront alors pas remboursées, non plus que tous les créanciers. Une de nos propositions est d'ailleurs que les dettes des fournisseurs remontent avant les dettes de l'État pour éviter tout phénomène de chute en cascade.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - L'épargne des Français, considérable, atteint 80 milliards d'euros. Comment la flécher ?
M. François Asselin. - Cette épargne, c'est le « Graal ». Le problème est d'abord culturel : les Français ne sont pas très ouverts à l'actionnariat dans les entreprises de leur territoire. Lorsqu'on « boursicote » sur le CAC 40, si l'on perd une partie de sa mise après avoir investi dans un grand groupe, on n'est certes pas content, mais on ne va pas voir le patron pour exprimer son mécontentement. C'est différent pour le patron local que l'on croise au restaurant. Il est donc compliqué d'orienter l'épargne des Français vers les PME.
Pour autant, la solution est connue : c'est l'incitation fiscale. Cela a toujours fonctionné. Il faut aussi qu'épargner soit moins attractif qu'investir.
Mme Marie-Noëlle Schoeller. - Je suis sénatrice du Doubs. En juillet, je me suis rendue dans le Haut-Doubs, où j'ai observé que, à l'exception d'un groupe qui compte trois hôtels, tous les hôteliers avaient refusé le PGE alors même qu'ils avaient des projets d'investissement, parce qu'ils ont tenu compte du fait que, de toute façon, il faudrait le rembourser. Ils ont donc repoussé leurs investissements. Cela a été possible car leur trésorerie était assez solide. Les structures plus fragiles n'ont même pas pensé au PGE, car elles devront de toute façon mettre la clé sous la porte.
M. Serge Babary. - Sur l'application du plan de relance, j'entendais la même chose hier lors d'une réunion locale de responsables économiques : ils me disaient qu'ils étaient ceux qui connaissaient le tissu économique local et qu'ils avaient l'impression d'être dépossédés. L'État s'organise à partir de Bercy. Si un jeune sous-préfet est affecté à la relance, sans vision ni connaissance de la réalité des entreprises du fin fond du territoire, cela ne fonctionnera pas. Les préfets eux-mêmes sont désabusés. Comment faire pour que le plan de relance soit une réussite ? Comment faire prendre conscience à l'administration centrale de la nécessité du local ?
M. Sébastien Meurant. - Messieurs, vous avez parlé d'incitation fiscale, d'exonération. Qu'est-ce qui serait de nature à inciter les Français à investir ? Comment créer un choc positif pour relancer l'investissement dans les entreprises ?
M. Fabien Gay. - Quelque300 milliards d'euros ont été annoncés pour le PGE, mais le montant ne s'élève qu'à 121 milliards d'euros, car beaucoup d'entreprises n'en ont pas voulu afin d'éviter le mur de dettes. En mars, elles devront rembourser le PGE, payer les charges reportées et les loyers.
On parle, dans l'actualité, des plans sociaux des très grandes entreprises, mais à partir de mars, on connaîtra nombre de mini-plans sociaux qui seront encore plus dramatiques. Il faut être plus offensif et tout de suite transformer le PGE en capitaux propres. Sinon, des centaines, des milliers de petites entreprises seront abandonnées. Pour les ETI, je crois beaucoup au prêt participatif. Quant aux grandes entreprises, nous aurions dû monter au capital. Vous devriez défendre la transformation du PGE en capitaux propres.
L'une des grandes faiblesses du plan de relance, c'est l'investissement public. Tout est donné aux entreprises privées. Le BTP ne pourra pas redémarrer sans investissements dans les grands travaux. Il sera bloqué. Vous devriez, à mon sens, souligner la très grande faiblesse de la commande publique.
Rétablissons l'impôt sur la fortune (ISF). La niche fiscale de l'ISF-PME encourageait un investissement massif dans les PME que l'on n'a pas retrouvé.
Il faut faire la distinction entre les différents impôts de production - terme inventé il y a trois ans - et tout remettre à plat. Entre la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et les autres impôts, il y a beaucoup de différences.
Mme Anne Chain-Larché. - Nous devons tous nous mettre autour de la table, comme nous l'avons fait au moment de la crise, où nous vous avions auditionnés au Sénat. Les remontées du terrain s'étaient bien faites.
Je voudrais revenir sur le rapport de force entre les régions et l'État. Il est vrai que les régions disposent aujourd'hui de sommes considérables pour favoriser le développement économique. Lors de la crise, on réclamait la tenue des élections municipales pour que la commande publique puisse reprendre. Nous sommes maintenant à quelques encablures des élections régionales. Très rapidement, les régions auront les coudées franches pour aborder le plan de relance au mieux.
Mon conseil, c'est que vous réclamiez la fin de l'hypercentralisation. Laissons les acteurs locaux, dont les élus font partie, travailler.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le Premier ministre l'a dit : tout ne doit pas être décidé depuis Paris. Nous espérons qu'il tiendra parole.
M. Joël Fourny. - Dans l'artisanat, nous constatons la même chose sur le PGE que Mme Schoeller : les chefs d'entreprise n'ont pas pour habitude d'engager des emprunts complémentaires. Ils ont pour culture de travailler sur leurs réserves de trésorerie et leurs capacités disponibles. Cela les met en danger dans une période comme celle-ci. Nous les avons plutôt incités à faire appel au PGE, car il n'y a rien de plus dramatique que de tenir sur sa réserve de trésorerie. En effet, s'ils ont des difficultés particulières, après le 31 décembre, ils n'auront plus de solution.
Il me paraît important de regarder plus globalement l'ensemble des dettes de chaque entreprise, en comptant le PGE et les reports de charges, comme devant le tribunal de commerce pour étudier un plan d'apurement.
Je partage vos propos sur le local. On a su, très rapidement, dans chaque département, mettre en place des comités de suivi, en assurant la coordination entre les mesures d'État et les dispositifs départementaux et régionaux. C'est ainsi que l'on a répondu très directement aux problématiques des entreprises artisanales. Le dernier kilomètre du plan de relance doit être traité par les acteurs économiques locaux. C'est le rôle des chambres consulaires et des organisations professionnelles.
Il serait très important de dire clairement comment le plan de relance va se décliner et quels seront les moyens de refinancement. Il ne faut pas laisser à penser à chaque entreprise qu'elle aura un aide directe, car ce n'est pas le cas.
M. Jackie Pierre. - Je partage votre analyse sur la prévention à mener auprès des entreprises. Le malheur, c'est que les chefs d'entreprise attendent d'être en grande difficulté pour consulter le tribunal. C'est peut-être de la pudeur.
M. Pierre Goguet. - Les procédures de prévention existent et sont activées, mais pas assez largement. On passe directement à la déclaration de cessation de paiement. Il ne faudrait peut-être pas limiter la prévention aux mandataires judiciaires, dans le cadre du mandat ad hoc et de la conciliation, mais l'élargir aux organismes consulaires, qui ont l'expertise des métiers et pourraient bâtir des plans de refinancement.
M. François Asselin. - C'est une autre étape. Nous ne parlons pas des entreprises en mauvaise forme structurellement, mais conjoncturellement. Nous défendons l'écrémage : si leurs deux derniers exercices sont positifs, les entreprises doivent pouvoir accéder au prêt de consolidation. Sinon, elles doivent faire appel à des aides spécifiques, avec le médiateur du crédit ou les chambres consulaires.
Comment le plan de relance peut-il fonctionner ? La task force mise en place par Bruno Le Maire, avec un rendez-vous téléphonique quotidien, du producteur au consommateur, a très bien fonctionné. Imaginons, dans les territoires, des cellules réunissant un représentant des élus locaux, un représentant des organisations patronales et un représentant de l'État qui ait assez de pouvoir pour débloquer les situations. Vous savez très bien que nous sommes souvent bloqués par des délais administratifs divers. Or, il faut aller vite. Entre la bonne intention de rénovation énergétique et le moment où l'artisan local pourra produire une facture, il se passe parfois des années ! La relance, ce sont des moyens, une méthode et des raccourcis administratifs.
Le système des commissaires au redressement productif n'a pas si mal fonctionné. En outre, il existe aujourd'hui de nouveaux outils tels que Bpifrance ou la Banque des territoires.
Les chefs d'entreprise sont non pas des chasseurs de primes, mais d'activité. On ne recherche pas les subventions. Et le débat sur les contreparties irrite nos adhérents. On ne comprend pas pourquoi on nous demande des contreparties alors que l'on n'a pas gagné d'argent, juste décalé nos dettes. Nous n'avons aucun problème à fournir des contreparties quand nous recevons des subventions.
M. Olivier Schiller. - Le problème du plan de relance se situe à deux niveaux. Il faut que les dispositifs eux-mêmes soient bien conçus. Les ETI n'y auront que très peu accès à cause de la règle européenne de minimis. Ensuite, la mise en oeuvre locale est essentielle. Avec Agnès Pannier-Runacher, nous allons de région en région, à la rencontre des directeurs des administrations régionales, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), de Bpifrance, de la présidence de région et de toutes les structures compétentes. Je pense que l'on a vraiment là l'organisation nécessaire pour mettre en oeuvre ces dispositifs.
Pour la sortie du PGE, pourquoi ne pas s'inspirer de l'Allemagne, où les fonds d'investissement des Länder apportent de l'argent aux entreprises ? Nous serions dans l'esprit de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Monsieur Gay, nous ne sommes pas contre l'impôt en général. Mais le problème des impôts de production, c'est qu'ils sont dus dès le 2 janvier, que l'on soit bénéficiaire ou non. La diminution de ces impôts aurait un vrai sens économique et produirait en contrepartie une augmentation mécanique de l'IS.
M. Pierre Goguet. - Les chefs d'entreprise d'un territoire étaient 75 % à déclarer qu'ils ne déclencheraient aucun investissement dans les six prochains mois, par manque de visibilité. Comment éviter l'attentisme généralisé ? Des outils fiscaux tels que le suramortissement pourraient être pertinents.
N'oublions pas l'image financière de l'entreprise. Le ratio d'endettement, qui compare le poids des dettes aux capitaux propres, est ce qui déclenche la capacité future à recevoir des financements nouveaux pour investir. Les chefs d'entreprise qui ne consomment pas le PGE ont en tête de ne pas se pénaliser à l'avenir.
La transformation en capitaux propres serait souhaitable pour certaines entreprises, mais il n'existe aucune possibilité de ne pas rembourser un emprunt, sauf à aller au tribunal de commerce. Les fonds régionaux seraient une solution, mais ils sont d'une autre nature juridique. Pour sortir d'un PGE, il faut disposer d'outils de substitution qui fassent passer la somme de la colonne des dettes à la colonne des capitaux propres, dans le bilan.
M. Olivier Schiller. - C'est très urgent. La Banque de France reçoit tous les mois la consolidation des prêts des différentes banques et, constatant que le niveau d'endettement augmente, elle dégrade la cotation. Nous sommes dans une situation absurde où l'État investit massivement pour soutenir l'activité économique tandis que la Banque de France tire sur les entreprises. Certes, il existe des règles européennes, mais la dégradation de la cotation peut être tout à fait dommageable.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci de tous ces éléments. Nos outils à nous, ce sont notamment les amendements au projet de loi de finances. Tenez-nous informés de vos souhaits et propositions. Nous sommes là pour servir l'économie dans les territoires.
La réunion est close à 16 h 25.