Mardi 8 septembre 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 15 h 5.
Examen du rapport
M. Laurent Lafon, président. - Nous parvenons aujourd'hui au terme de nos travaux sur les pollutions industrielles et minières des sols. Je crois que nous pouvons être fiers de la qualité de ces travaux, réalisés dans des conditions particulières, et du rapport que nous nous apprêtons à examiner.
Nous avons entendu pas moins de 83 personnes et 41 organismes dans le cadre de nos 29 auditions plénières et des auditions conduites par notre rapportrice, qui ont représenté un total de près de 44 heures d'auditions. Nous nous sommes également déplacés sur le terrain, dans le Val-de-Marne et dans l'Aube.
Je remercie notre collègue Gisèle Jourda, qui, avec son groupe, a pris l'initiative de créer cette commission d'enquête pour faire la lumière sur l'enjeu, encore trop sous-estimé, de la pollution des sols, alors que l'ensemble de nos territoires sont concernés par cette problématique. Au début de nos travaux, nous avions tous conscience qu'il s'agissait d'un vrai sujet. Nous mesurons désormais l'ampleur des problèmes posés et du travail qui reste à accomplir.
S'il est adopté, le rapport sera déposé dans l'après-midi, à l'issue de la réunion. L'ensemble des sénateurs, les groupes politiques et le Gouvernement seront informés, par courrier électronique, du dépôt du rapport. Cette mesure de publicité fait courir le délai de 24 heures dans lequel il peut être demandé que le Sénat se réunisse en comité secret. Si une telle demande n'est pas formulée à l'issue de ce délai, le rapport pourra alors être publié.
Il nous est donc interdit de communiquer sur la réunion d'aujourd'hui et sur le rapport de notre collègue avant sa publication, qui n'interviendra pas avant la présentation à la presse, qui aura lieu le jeudi 10 septembre à 9 heures, sous réserve bien entendu de l'expiration du délai de 24 heures.
Je laisse la parole à la rapportrice pour nous présenter ses conclusions et ses propositions.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous parvenons au terme des travaux de la commission d'enquête. La covid-19 ne nous a pas permis de travailler dans des conditions de parfaite sérénité, mais nous avons travaillé avec sérieux. Les auditions en visioconférence ont été nombreuses, et je vous remercie d'y avoir participé, alors que vous étiez par ailleurs très sollicités.
La dégradation de la qualité des sols consécutive à l'activité industrielle et minière ne semble épargner aucun territoire de notre pays, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer. En dépit de son impact majeur sur la santé des populations et l'environnement, la pollution des sols constitue pourtant encore un enjeu mal mesuré et insuffisamment pris en compte dans notre législation.
Les propositions du rapport s'articulent par conséquent autour de cinq grandes lignes directrices.
Le premier objectif doit consister à améliorer la qualité et la lisibilité de l'information sur les sites et sols pollués.
Les bases de données qui sont aujourd'hui disponibles sur ces derniers, notamment Basias et Basol, ne permettent pas de disposer d'une vision consolidée de l'état de dégradation des sols dans notre pays. À la fragmentation de l'information disponible s'ajoute la technicité des données sur l'évaluation de la pollution et de son impact sur la santé, qui rend leur compréhension bien souvent peu intelligible et insuffisamment accessible aux responsables locaux et au grand public - je remercie les membres de la commission d'avoir fait l'effort de s'approprier ces données et le jargon utilisé sur ces sujets.
Il demeure par conséquent très difficile d'appréhender l'ampleur, dans notre pays, de la pollution des sols, qui est en grande partie le résultat de pollutions historiques conduites avant l'établissement d'une véritable réglementation sur la traçabilité des activités polluantes. Or, pour certains sites, les phénomènes climatiques de grande ampleur peuvent venir « réveiller » des pollutions historiques, comme l'ont illustré les inondations de 2018 dans la vallée de l'Orbiel.
Dans ces conditions, je vous propose de faire évoluer le droit français afin de consacrer le droit à l'information du public sur l'existence de pollutions des sols avérées ou suspectées et sur leurs effets sur la santé et l'environnement, par analogie avec le droit à l'information sur la pollution de l'air.
Par ailleurs, afin de remédier à l'absence d'information consolidée sur les sols pollués et les risques sanitaires et écologiques associés, il convient d'établir une cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols, à partir des données de Basias et Basol et des résultats d'un programme national d'identification des risques associés à une liste de substances polluantes dont la surveillance est identifiée comme prioritaire.
Enfin, je plaide pour la mobilisation d'une enveloppe nationale de 50 millions d'euros afin de mener à terme l'inventaire et le diagnostic des sols des établissements recevant des enfants situés sur des sites pollués.
Le deuxième objectif consiste à poser les jalons d'un véritable droit européen et national de la protection des sols. Les sols restent aujourd'hui un parent pauvre de la réglementation environnementale et pâtissent d'un arsenal législatif et réglementaire parcellaire et négligé. Il me semble donc indispensable de relancer le processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols. Sans attendre cette évolution, qui mettra sans doute du temps, il nous faut procéder à une refonte substantielle de notre législation.
Je vous propose tout d'abord de mettre un terme aux asymétries existant entre le code minier et le code de l'environnement en matière de responsabilités des exploitants et de prévention des risques sanitaires et environnementaux, en envisageant l'extension aux exploitants de sites miniers de l'obligation de constitution de garanties financières pour la remise en état de la mine après fermeture ; l'intégration de la protection de la santé publique dans les intérêts protégés par le code minier ; l'extension aux sites miniers de la possibilité de rechercher la responsabilité de la société mère en cas de défaillance éventuelle de la filiale exploitante ; l'intégration des travaux miniers dans l'autorisation environnementale, afin d'harmoniser les procédures administratives d'instruction, de contrôle et de sanction entre les sites miniers et les sites d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ; l'extension pour une durée de trente ans des conditions d'exercice de la police résiduelle des mines après l'arrêt des travaux.
Une autre proposition fondamentale réside dans l'introduction dans notre code de l'environnement d'une définition législative de la pollution des sols, comme celle qui existe pour l'eau et l'air. Elle est réclamée par la très grande majorité des personnes et organismes que nous avons auditionnés.
Le troisième axe de ma réflexion a porté sur l'amélioration de notre système de surveillance des installations industrielles et minières. La surveillance de l'état des sols est en effet aujourd'hui essentiellement cantonnée à la naissance et à la cessation d'activité du site.
Outre un renforcement des capacités et des pouvoirs de contrôle de l'inspection des installations classées, il nous appartient de pallier les déficiences avérées et de combler plusieurs « trous dans la raquette » de notre système de surveillance de la qualité des sols.
Il faut notamment donner à l'inspection des installations classées les moyens et les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour rechercher les cas de non-déclaration de cessations d'activité, en envisageant notamment de conditionner la radiation d'une entreprise du registre du commerce et des sociétés au respect de ses obligations en matière de diagnostic des sols et de remise en état prévues lors de la cessation d'activité.
Je vous propose également d'inclure systématiquement des exigences relatives à la surveillance - au maximum décennale - de la qualité des sols et des eaux souterraines dans les arrêtés ministériels fixant les prescriptions générales applicables aux ICPE soumises à déclaration relevant de catégories identifiées comme à risque pour les sols. De telles exigences devraient également être incluses dans les arrêtés préfectoraux relatifs à des ICPE à autorisation ou à enregistrement qui ne sont pas encore soumises à des obligations de surveillance régulière des eaux souterraines.
Le quatrième objectif consiste à réunir les conditions d'une gestion réactive et transparente des risques sanitaires et d'une meilleure réparation des préjudices écologiques. Je suis convaincue que le sujet de la réparation prendra toute sa dimension dans le futur.
Dans des cas de pollution historique des sols où la responsabilité des exploitants est bien souvent prescrite ou impossible à actionner faute de solvabilité, les autorités peuvent apparaître, dans certains territoires, totalement démunies dans la gestion des problématiques sanitaires et écologiques.
Dans un souci de transparence sur les risques sanitaires associés aux sites pollués et sur les mesures de gestion mises en oeuvre par les autorités, je vous propose la publication, sur le site de Santé publique France, d'une liste régulièrement actualisée de l'ensemble des sites dont la pollution des sols présente un risque avéré pour la santé et rappelant les mesures de gestion du risque sanitaire mises en oeuvre ou envisagées.
Par ailleurs, il nous faut définir des moyens permettant aux responsables de collectivités territoriales, en particulier aux maires, d'articuler leur action de proximité avec celle des services de l'État, notamment par l'introduction systématique dans le plan communal de sauvegarde de toute commune comportant sur son territoire un site pollué d'un volet spécifique consacré à l'alerte, l'information, la protection et le soutien de la population en cas de risque de pollution industrielle ou minière des sols.
En complément, il devrait revenir à chaque préfet d'élaborer un plan d'action détaillant les mesures de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué présentant un danger avéré pour la santé, soumis à l'avis des membres de la commission de suivi de site et faisant l'objet d'un bilan annuel de sa mise en oeuvre, dans une logique de transparence et dans une démarche participative. Cela doit, à mon sens, constituer une obligation, et tous les moyens doivent être mis en oeuvre pour que chaque préfet de département puisse activer une boîte à outils à cette fin.
Il me semble également nécessaire de s'inspirer de la réglementation applicable à la surveillance de la qualité de l'air pour instituer un programme national de surveillance de la présence de substances polluantes prioritaires susceptibles d'être présentes dans les sols, dont la liste serait définie par décret en Conseil d'État.
Afin d'améliorer la réactivité de la réponse sanitaire et un traitement indépendant et transparent des alertes sanitaires, je plaide pour la création de centres régionaux de santé environnementale chargés d'examiner les demandes d'évaluation de l'impact sanitaire d'expositions à des substances polluantes sur saisine du préfet, du directeur général ou d'un directeur de délégation départementale de l'agence régionale de santé (ARS), mais aussi et surtout d'élus locaux ou d'associations de riverains.
Je propose, en outre, d'inscrire dans la loi la participation au financement des études d'imprégnation et des études épidémiologiques des exploitants dont l'activité est identifiée comme responsable, en tout ou partie, des expositions environnementales présentant un danger avéré pour la santé, le cas échéant via une assurance obligatoire pour dommages causés à des tiers.
Je plaide, par ailleurs, pour la création, dans les départements où une présence importante de polluants toxiques a été détectée, de registres de morbidité, portant notamment sur les cancers et les malformations congénitales, afin en particulier de collecter des données sur l'impact sanitaire des effets cocktail en cas d'exposition à plusieurs substances polluantes. Dans tous ces départements, un suivi de la santé de la population est nécessaire. Outre une inscription des données d'exposition dans les dossiers médicaux partagés, il faut des registres ouverts, consultables. Les deux éléments sont importants.
En matière de réparation des préjudices écologiques, il nous faut définir un cadre qui permette de mieux actionner le principe pollueur-payeur, notamment par un renforcement des obligations de constitution de garanties financières ou encore par un renforcement des obligations assurantielles des exploitants.
Enfin, le cinquième axe de mes propositions porte sur la nécessaire mobilisation des friches industrielles et minières dans une démarche d'aménagement durable.
Pour répondre aux objectifs de lutte contre l'étalement urbain et d'artificialisation des sols, il est indispensable de faciliter la valorisation des terres excavées. Dans une logique d'économie circulaire, les conditions de sortie du statut de déchet des terres excavées pourraient être assouplies, sous réserve toutefois de conditions exigeantes de traçabilité et de responsabilité et de l'élaboration d'un guide des méthodes de valorisation hors site des terres excavées suivant des critères stricts de qualité et de soutenabilité, validé par arrêté ministériel.
Les personnes que nous avons entendues se sont quasiment unanimement félicitées de la mise en place par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) du dispositif du tiers demandeur, qui autorise un tiers à réaliser à la place de l'exploitant les travaux de réhabilitation nécessaires, lorsque ce tiers est porteur d'un projet ultérieur pour le terrain concerné. Afin d'accompagner sa montée en puissance, je vous propose de faciliter son utilisation par les aménageurs publics, tels que les établissements publics fonciers (EPF), qui pourraient assurer des opérations de pré-aménagement d'un site pollué, en autorisant le transfert d'un projet d'un tiers demandeur à un autre.
Enfin, dans le souci de mieux accompagner et soutenir les acteurs publics et privés de la dépollution et de la reconversion, je vous propose la création d'un fonds national de réhabilitation des sites et sols pollués qui puisse non seulement prendre en charge la dépollution des sites orphelins, mais également venir en aide aux collectivités propriétaires de terrains pollués, notamment celles qui ont hérité de friches polluées et qui n'ont pas la capacité financière de supporter les travaux de dépollution qui s'imposent. Je pense au département du Val-de-Marne, qui doit supporter des coûts de réhabilitation du collège Saint-Exupéry qui pèsent lourdement sur son budget. Je pense encore à la situation du site de l'ancienne usine Saft-Leclanché à Angoulême, dont a hérité le département de la Charente.
Géré par l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), ce fonds verrait son financement assis sur une dotation budgétaire de l'État, complétée par l'affectation du produit des sommes acquittées par les pollueurs au titre de sanctions et d'une fraction additionnelle de la taxe générale sur les activités polluantes. Les moyens d'intervention de ce fonds devraient s'établir au moins à 75 millions d'euros par an. Je note que le Gouvernement a annoncé récemment, dans le cadre du plan de relance, la création d'un fonds de soutien à la reconversion de friches, sans préciser ses modalités de financement. Le fonds du Gouvernement ne se limite pas aux friches polluées et vise des opérations qui sortent du champ de la dépollution. Le champ de notre fonds est, lui, plus ciblé : il serait dédié aux sols pollués dont les pollutions résulteraient des activités industrielles ou minières, et serait financé sur un temps long.
Je vous propose également de restaurer l'attractivité économique de la réhabilitation des friches industrielles et minières par la mise en place d'incitations fiscales aux travaux de dépollution, dans un objectif d'amélioration de l'équilibre financier global des opérations de dépollution et d'aménagement. Des exonérations temporaires, des déductions partielles ou des réductions de taux de certains impôts, notamment des droits de mutation à titre onéreux, de la taxe d'aménagement ou de la taxe foncière, pourront être envisagées, sous réserve d'une compensation par l'État de la perte de ressources fiscales encourue par les collectivités.
Pour terminer, mes chers collègues, je salue l'état d'esprit qui a prévalu aux travaux de notre commission. C'est une situation rencontrée dans mon département qui m'a encouragée à m'emparer de cette problématique. Les élus sont complètement décontenancés par les mesures existantes. Ce n'est pas parce qu'un sujet est délicat qu'il faut s'abstenir de poser des garde-fous.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie de cette présentation à la fois exhaustive et synthétique de l'ensemble de vos propositions.
M. Jean-François Husson. - Je remercie le président et la rapportrice du travail qu'ils ont réalisé, dans un contexte sanitaire tout à fait exceptionnel.
Nous souscrivons largement aux conclusions et aux propositions du rapport. Je me félicite à mon tour de l'état d'esprit qui a présidé à nos travaux. Il n'est pas sans me rappeler celui dans lequel avait travaillé la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.
Le sujet nous oblige à aller au-delà de nos appartenances territoriales et politiques. Le dossier a été bien défriché. Il s'agit maintenant de lever les contraintes. Je salue la diversité des solutions qui nous sont proposées à cette fin. Vous nous proposez un équilibre. Il est également important de bien préciser la répartition des rôles et des missions dévolus à l'État, aux industriels et aux collectivités.
Le plus dur est devant nous. On connaît le sort qui a été réservé aux propositions du rapport de la commission d'enquête sur la pollution de l'air, qui avait pourtant été adopté à l'unanimité... Je souhaite que vos propositions connaissent davantage de succès !
M. Joël Bigot. - Je vous remercie pour la présentation de ce rapport très complet, auquel je souscris.
Il n'existait pas d'état des lieux exhaustif de la situation des friches industrielles en France. Ce rapport établit une cartographie nationale, élément très important. Il gradue la réhabilitation des sols selon le changement d'usage et la nature des sites, de manière transparente.
Souvent, on nous oppose une certaine opacité des règles administratives - quelles que soient les pollutions, il serait impossible de faire quelque chose.
La notion de tiers demandeur a fait évoluer la situation. Dans un contexte de transition écologique, la lutte contre l'artificialisation des terres agricoles s'inscrit dans cette démarche, tout comme l'économie circulaire, afin de réutiliser un foncier ayant eu auparavant d'autres utilisations.
Le financement est le principal point d'achoppement ; il est difficile de mettre en place un fonds d'amorçage. Il faudra mettre l'accent sur l'évolution de la législation, faire peut-être évoluer la prescription trentenaire, et réduire les délais. La création d'un fonds national s'inscrit dans cette logique. Dès lors qu'un terrain est abandonné, sans aucun responsable, il est déclaré orphelin, et l'Ademe intervient. Il faudrait donc réduire les délais.
Le rapport est très complet et précis, et propose des solutions opérationnelles. Il faudra créer un fonds de remobilisation de ces sols. Je soutiens les conclusions du rapport.
M. Alain Duran. - Je salue la qualité de ce rapport. Je remercie le président et la rapportrice pour leur efficacité dans l'organisation du travail, dans des conditions difficiles. C'était un plaisir d'y participer. Je retrouve dans le rapport les points soulevés durant les auditions. Je souscris à 100 % à ses lignes directrices.
Je suis rentré bouleversé de notre voyage dans l'Aude. J'ai senti un morceau de France abandonné. Aujourd'hui, rien n'oblige personne à faire plus que ce que nécessite le code de l'environnement. Le préjudice écologique est partout. Il faut aller de l'avant. Le plus dur reste à faire, à savoir écrire la notice de montage ; la loi doit être renforcée, complétée voire écrite lorsqu'il existe des « trous dans la raquette ».
On ne peut pas continuer comme cela. Au-delà des financements, il faut revoir l'environnement législatif. Ces habitants ne peuvent pas s'en sortir en l'état actuel des choses. Après les inondations de 2018, c'est à se demander s'il ne faudrait pas presque que la prochaine fois, la pollution aille jusqu'à Narbonne-Plage pour que l'on considère vraiment que cet arsenic est dangereux...
Je suivrai avec attention, dans d'autres lieux, la suite qui sera donnée aux préconisations de ce rapport, que je voterai des deux mains.
M. Pascal Savoldelli. - Je souscris à ce qui a été dit. Lorsque j'ai lu le rapport, je me suis dit qu'il y avait une partie officielle de la commission, avec des courants et des territoires très différents. Comme le disait mon collègue Jean-François Husson, il ne suffit pas d'avoir l'unanimité pour qu'il y ait une traduction législative...
De manière informelle, j'estime, personnellement, que nous pourrions être des vecteurs de ce projet de loi, si nous partageons cette urgence, d'autant qu'il faudra des décennies pour rattraper la situation actuelle. Nous pourrions aller également dans un autre département pour porter cette loi, car il faudra convaincre.
Ce rapport va beaucoup plus loin qu'on ne le pense. On touche à la propriété, sujet qui m'intéressait beaucoup dans ma jeunesse. À la différence de l'eau et de l'air, on a toujours considéré le sol comme un bien économique de droit privé. C'est notre histoire. Le sujet est circonscrit, mais il ouvre sur d'autres perspectives. Ce rapport est enthousiasmant. Quels que soient les courants politiques, certains ne voulaient pas trop en parler...
C'est un sujet de terrain : conseiller départemental du Val-de-Marne, ancien vice-président, j'ai vu le problème qu'il y avait à construire un collège sur un sol pollué : cela coûterait 62 millions d'euros, « une blinde ». Aucun département ne peut payer ce prix pour un collège. Et cela risque de perdurer ainsi dans le Val-de-Marne, quelle que soit la majorité politique...
J'ai énormément appris avec ce rapport. Il y est aussi question d'aménagement des territoires. À travers ce qui sera décidé dans la législation française et la future directive européenne, qui investira dans nos territoires ? Je suis favorable à une harmonie entre nos territoires et non à une hégémonie d'un territoire sur l'autre. Il faut aussi distinguer ce qui relève de l'usage d'activités publiques ou d'activités marchandes.
M. Jean-Pierre Moga. - Félicitations pour ce rapport. Je regrette qu'à cause de cette pandémie, nous n'ayons pas pu visiter d'autres sites.
Je viens de l'industrie, et y ai vu certaines situations. Mais je n'imaginais pas que c'était possible, à une telle échelle, dans le département de l'Aude.
Le rapport balaie l'ensemble des problèmes de pollution. Les héritiers de ces terrains pensent souvent que la collectivité pourra faire quelque chose, mais parfois les situations actuelles sont inextricables, et on ne trouve plus les auteurs des pollutions. Pour certaines pollutions historiques, il faut se souvenir qu'à l'époque, ce n'était pas forcément interdit : soit c'était autorisé, soit on ne savait pas...
Prévoir 50 millions d'euros pour la cartographie des pollutions est très bien, mais il faut surtout résoudre le problème ; et il faut des fonds. Les entreprises qui ont pollué ne doivent pas être stigmatisées ; nous avons besoin des entreprises, et aujourd'hui, elles font en sorte que leurs rejets ne polluent pas. Les fonds doivent être trouvés en faisant participer toutes les entreprises et les assurances, car cela nécessite des sommes colossales.
L'État doit renforcer ses contrôles mais également mieux responsabiliser les entreprises en favorisant l'autocontrôle. Et il doit contrôler les capacités financières des entreprises à réhabiliter les sols. Il faudrait adosser à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) une brigade financière pour vérifier la capacité financière des entreprises à changer leurs process.
Ce rapport exhaustif couvre tous les aspects du problème ; je le voterai des deux mains.
M. Jérôme Bignon. - Merci de ce travail formidable, qui m'a beaucoup intéressé. Dans la Somme, il y a une pollution industrielle très ancienne. Député de ce département, j'ai connu des sites industriels polluant une nappe par le rejet de métaux lourds ou des traitements de surface, pour lesquels il n'y a pas de solution. Nous sommes encore confrontés à ce problème.
J'ai présidé le conseil d'administration du Conservatoire du littoral, qui s'est vu attribuer des terrains militaires, en l'état, qui ne servaient plus. La pollution y était invraisemblable, avec des obus, des résidus d'armement... En Corse, j'ai visité un phare qui fonctionnait avec des batteries. Nous étions effondrés de voir comment l'État, qui impose des contraintes parfois fortes aux particuliers, traitait ses propres terrains. L'État est lui-même inconscient, et avec tout le respect que je dois à l'armée, c'est comme s'il y avait deux sortes de Français : ceux défilant en uniforme, et ceux polluant l'ensemble de la Nation...
Le rapport contient de nombreux éléments. Je quitterai le Sénat fin septembre. Ce sujet m'a toujours intéressé, et je continuerai à être membre du conseil d'administration de l'office français de la biodiversité. Nous pourrons donc réfléchir ensemble à la mise en oeuvre de ces préconisations sur l'eau et la biodiversité par les 2 800 agents de l'office ; j'en prends l'engagement.
Ce sujet n'est pas sans lien avec le rapport de la commission d'enquête sur le site Seveso de Lubrizol, à laquelle j'ai participé. Lors de la pollution de Rouen, j'avais été frappé que personne n'ait pensé à mettre en place des registres épidémiologiques dans les villages de la Somme mitoyens de la Seine-Maritime, comme si la Bresle était une frontière étanche... Or, avec les vents dominants, ces villages ont été touchés. Il aurait fallu vérifier si des fumées avaient été vues. Ce rapport est un formidable outil de lutte contre la pollution des sols.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour ce travail collectif. La rapportrice a su nous réunir sur ses propositions, avec une belle synthèse. Je la laisse présenter ses dernières corrections.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous n'avons reçu que la semaine dernière du ministère de l'environnement des éléments de bilan sur le plan de réhabilitation des stations-service mis en place par l'État. Ces éléments, purement factuels, ont été insérés page 97.
À la page 213, j'ai précisé que les risques de dommages environnementaux qui pourraient être pris en compte dans le calcul des garanties financières pourraient inclure les pollutions chroniques apparues en cours d'exploitation qui n'auraient pas été couvertes par les assurances contractées par l'exploitant.
J'ai fait réaliser deux schémas pour synthétiser et mieux visualiser le fonctionnement envisagé de la réponse sanitaire et celui du fonds national de réhabilitation des sites et sols pollués, tels qu'ils résultent des propositions du rapport. Ils figurent aux pages 198 et 288 de la nouvelle version du rapport.
Nous avons réduit à deux le nombre d'annexes du rapport. La première porte sur l'identification et la cartographie des zones polluées dans la vallée de l'Orbiel, transmise par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et que j'ai demandées au titre de mes pouvoirs d'enquête. Personne ne les avait obtenues auparavant...
La seconde concerne le courrier adressé par Ségolène Royal, alors ministre de l'environnement, au préfet de police de Paris en 2017, expliquant la décision de la ministre de mettre un terme à la démarche nationale d'inventaire et de diagnostic des établissements scolaires construits sur des sites pollués.
Je vous propose de valider ces insertions qui viennent utilement compléter le rapport.
M. Laurent Lafon, président. - Le secrétariat de la commission a également apporté des corrections rédactionnelles.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je mesure la frustration qu'a dû avoir M. Jean-François Husson lorsque son rapport n'a pas obtenu les traductions attendues. Nous devons être des vigies : parlez de ce rapport « enthousiasmant » - comme le disait notre collègue !
Ce rapport va beaucoup plus loin car nous avons envisagé le sol comme une terre nourricière, martyrisée, par-delà les questions de propriété.
En matière d'aménagement du territoire, faisons en sorte, dans nos appartenances respectives, que nous évoluions.
Vous avez le détail de la manière dont seront financés les 75 millions d'euros du fonds national de réhabilitation des sites et sols pollués à la page 288. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. »
Cette commission d'enquête n'était pas souhaitée par le ministère de l'écologie ni celui de la santé. Malgré quelques mouvements de certains collègues craignant un rapport explosif, nous avons eu beaucoup de chance que le Bureau du Sénat, sous l'égide du président Larcher, valide la création de notre commission d'enquête. Lorsque le rapport sera rendu public, nous serons l'équipe qui devra faire aboutir ces axes. Inscrivons dans la loi le droit des sols. C'est le seul moyen de donner une réelle existence à ces sols qui nous nourrissent, de la même manière que cela avait été fait pour l'eau et l'air.
M. Moga, je consacre en effet un long développement aux Dreal. Nous devons être vigilants. La brigade financière est un élément important.
Après un tel travail, nous n'allons pas jeter le bébé avec l'eau du bain, mais essaierons de reprendre les dispositions du rapport dans la loi.
M. Bignon, j'accepte votre proposition de travailler ensemble sur la biodiversité. M. Duran, l'Aude et l'Ariège ne sont pas loin ; nous pourrons continuer à travailler ensemble. Et je termine en remerciant notre président.
Les annexes et les insertions sont adoptées.
M. Laurent Lafon, président. - Nous n'avons reçu aucune proposition de modification écrite autre que les insertions citées par la rapportrice et les modifications rédactionnelles du secrétariat de la commission. Je vous ferai également voter sur l'insertion du compte rendu de la présente réunion dans le rapport.
Il est décidé d'insérer le compte rendu de la réunion d'examen du rapport dans le rapport.
Le rapport, ainsi modifié, est adopté à l'unanimité ; la commission d'enquête en autorise la publication.
La réunion est close à 16 h 15.