Mardi 28 juillet 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Table ronde de praticiens
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux en examinant la gestion de la crise sanitaire du point de vue d'acteurs de terrain dans différents territoires, avec l'audition conjointe de MM. Alain Mercat, chef du service de médecine intensive-réanimation du CHU d'Angers, Albert Birynczyk, président du syndicat national des urgentistes de l'hospitalisation privée, Bernard Llagonne, chirurgien à la clinique d'Épernay, Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins France et Marc Noizet, chef du pôle urgences et du SAMU à l'hôpital Muller de Mulhouse.
Notre objectif est de déterminer si la réponse apportée à la crise sanitaire a bien été adaptée à la situation de territoires très différents, dont certains ont été fortement touchés par l'épidémie et d'autres beaucoup moins. Nous nous interrogeons notamment sur le point de savoir si chacun des acteurs a bien été mobilisé à la hauteur de ses capacités, qu'il s'agisse des cliniques privées ou de la médecine de ville, mais aussi sur les conséquences du déclenchement du plan Blanc et de la déprogrammation massive des interventions sur la prise en charge d'autres pathologies.
Je demanderai à ceux de nos intervenants qui souhaitent prendre la parole à titre liminaire de présenter brièvement leur principal message, afin de laisser le maximum de temps aux échanges. Je demanderai à chacun d'être concis dans ses prises de parole et, en ce qui concerne les sénateurs, d'indiquer précisément à qui leur question s'adresse.
Messieurs, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Vous êtes appelés à prêter serment. J'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alain Mercat, Albert Birynczyk, Bernard Llagonne, Serge Smadja, et Marc Noizet prêtent serment.
M. Alain Mercat, chef du service de médecine intensive-réanimation du CHU d'Angers. - Outre mes fonctions de chef de service et de président de la commission médicale d'établissement (CME) au CHU d'Angers, le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire m'a chargé, au début de la crise, de coordonner l'offre de soins de réanimation sur l'ensemble de la région, laquelle a été modérément touchée par cette crise.
En préambule, je dois vous informer que j'ai des liens d'intérêts avec des sociétés qui commercialisent essentiellement des appareils d'assistance respiratoire. Il s'agit d'une activité d'expertise rémunérée et du financement de travaux de recherche sans lien direct avec le covid-19.
Sur le fond, je dois dire que l'activation du plan Blanc a été l'occasion d'un bouleversement du mode de fonctionnement des CHU et que les centres hospitaliers en général ont fait preuve de réactivité, ce qui a été une très bonne surprise. Souvent vues comme lourdes, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, les structures hospitalières, dont les CHU, ont su, en quarante-huit heures, se libérer de la contrainte budgétaire et adapter leur offre de soins aux besoins de la population. L'ensemble des personnels a fait preuve d'un sens des responsabilités et de l'intérêt public absolument exemplaire.
Au début, cette crise a été appréhendée comme relevant des structures hospitalières, et non comme un défi pour l'ensemble du système de santé, ce qui m'apparaît être un point faible de la réponse qui lui a été apportée.
M. Albert Birynczyk, président du syndicat national des urgentistes de l'hospitalisation privée. - Je vous remercie tout d'abord de nous donner l'occasion de témoigner devant votre commission d'enquête.
L'ensemble des établissements privés de France et de leurs personnels se sont très fortement mobilisés contre l'épidémie de covid-19. Nous avons participé à la gestion hospitalière de cette crise en complémentarité avec le système public. Les organisations que nous avons mises en place étaient conformes au guide de préparation et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles.
L'application du plan Blanc en deux phases a entraîné la déprogrammation des activités chirurgicales et médicales non urgentes dès le 13 mars, ce qui a permis de libérer des lits, d'éviter la saturation et d'organiser nos établissements en zones covid et non-covid. L'organisation de circuits spécifiques au sein des services des urgences, avec une séparation entre des unités covid, des unités non-covid et des unités tampons pour les patients en attente de confirmation du diagnostic, a permis une prise en charge médicale sécurisée et une orientation adaptée des patients. On peut considérer que l'ensemble des services des urgences des établissements privés a opté pour cette organisation, même dans les zones à faible activité virale.
Durant cette crise, la grande majorité des admissions dans nos services des urgences provenaient de la régulation par le centre 15, mais de nombreux patients étaient adressés par nos confrères de ville ou se présentaient de leur propre initiative. Nous avons constaté une réduction drastique de la fréquentation, de l'ordre de 50 % à 70 % en fonction des territoires, principalement durant la période de confinement. On peut expliquer cette baisse par le renoncement aux soins de patients qui avaient peur de contracter le virus en milieu hospitalier et par la diminution générale des activités que nous avons constatée en France - circulation automobile, activités sportives... Nous avons connu à peu près la même baisse d'activité que les établissements publics. Les patients qui se présentaient avaient une raison tout à fait valable de le faire - ils étaient parfois dans une situation plus grave qu'en temps normal en raison des retards de prise en charge dont je viens de parler.
En conclusion, je le répète, l'hospitalisation privée a bien participé à la prise en charge de la crise du covid. Nous n'avons pas eu le sentiment d'être complètement mis à l'écart. Néanmoins, du fait des procédures spécifiques liées aux situations sanitaires exceptionnelles, les patients étaient orientés en priorité vers des établissements de niveau 1 ou 2 et certains établissements ont peut-être eu l'impression d'avoir servi de soupape au système.
M. Bernard Llagonne, chirurgien à la clinique d'Épernay. - Chirurgien orthopédiste libéral depuis 31 ans, j'exerce dans une clinique de moyenne importance située dans un territoire d'environ 100 000 habitants. Toutes les cliniques de ce type sont en grande difficulté financière. Nous ne sommes pas labélisés « urgences » et nous n'avons pas de service de réanimation, mais nous faisons beaucoup de chirurgie - nous avons cinq salles d'opération - et nous disposons d'une salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) qui permet d'installer huit postes de respirateur adaptés. Même si notre clinique n'a pas de service de réanimation, nous assurons 55 % de l'activité chirurgicale de notre territoire.
Je suis président de la commission médicale d'établissement et nous sommes en train de constituer une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Je suis par ailleurs vice-président du Bloc, syndicat qui représente les chirurgiens, les anesthésistes et les obstétriciens, président du syndicat des orthopédistes et vice-président de l'union régionale des professionnels de santé libéraux du Grand-Est.
Afin que nous soyons d'accord sur les termes que nous employons, je préciserai que, pour moi, un hôpital est public et une clinique est privée à but lucratif - ce terme est peut-être dépassé, mais il est consacré. Je mets à part les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), qui se rapprochent davantage d'un hôpital du fait de leur mode de financement.
Pour nous, la crise a commencé dès février, d'autant que deux de nos médecins anesthésistes sont italiens, l'un étant originaire de Bergame. Le 2 mars, nous avons tenu une réunion de la CPTS en phase de constitution, qui a rassemblé 104 personnes ; un médecin généraliste présent a eu le covid, mais aucun autre participant à cette réunion n'a contracté le virus. Au sein de l'URPS, nous avons eu des réunions régulières sur le covid dès le mois de février. Le Conseil national de l'Ordre des médecins nous a adressé une alerte le 3 mars.
Le 16 mars, nous avons arrêté toute activité chirurgicale au bloc opératoire, ce qui a été un séisme pour un établissement comme le nôtre qui ne fait quasiment que de la chirurgie. Du coup, nous nous sommes retrouvés avec des stocks colossaux de masques, d'équipements de protection individuels et de solution hydroalcoolique, alors que tout le monde criait à la pénurie. Nous avions aussi du personnel dévoué, ainsi que des lits et des chambres libres. Bref, tout pour recevoir des patients ! Mais personne ne nous a été adressé les deux premières semaines.
Nous avons donc été choqués, pendant cette crise, par le manque de coopération entre les hôpitaux et les cliniques, ces dernières n'ayant pas été sollicitées durant les deux premières semaines. Ce choc a été accentué lorsque nous avons appris les transferts de patients organisés à grand renfort de moyens de transport et de médiatisation, à un moment où des lits étaient vacants dans les cliniques... Nous avons également été mis à l'écart lors de la reprise d'activité, puisque celle-ci a été organisée dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont nous sommes exclus.
Nous avons aussi été choqués par certaines « petites phrases », dont celle-ci, de la part d'un directeur de CHU : « Il est injuste que les cliniques poursuivent une activité chirurgicale programmée, alors que l'hôpital public n'est plus en mesure de le faire. C'est une forme de concurrence déloyale. »
En conclusion, les cliniques et les praticiens qui y exercent ont le sentiment que les hôpitaux ont souhaité mener seuls la guerre contre le covid.
M. Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins France. - Je commencerai par présenter rapidement quelques chiffres concernant SOS Médecins : nous regroupons 1 300 médecins répartis en 63 associations et nous recevons environ 6,3 millions d'appels par an, qui donnent lieu à un peu moins de 4 millions d'actes. Nous sommes un service libéral, mais nous assurons en pratique beaucoup de missions de service public : permanence des soins, conventions avec les SAMU, interventions dans les prisons et les commissariats, notamment en cas de garde à vue... Nous avons aussi mis en place un centre assez original de prise en charge des femmes victimes de violences. Nous collaborons également avec de nombreux acteurs privés du système de santé ou du secteur médico-social. Autre exemple de mission de service public que nous assumons, nos chiffres d'activité font partie des indicateurs utilisés par Santé publique France pour surveiller la circulation du virus.
Nous organisons la réponse à la demande de soins de plusieurs manières : la régulation, la visite à domicile, la tenue de points fixes de consultation et la téléconsultation. Depuis le début de l'épidémie, notre réseau a pris en charge un peu moins de 70 000 patients covid, dont le premier cas constaté en France - c'était à Bordeaux. Au pic de l'épidémie, notre réseau voyait environ 2 500 patients covid par jour. Nous avons donc été présents dans la prise en charge des patients durant toute cette crise.
Quels sont les principaux messages que je souhaite véhiculer ?
SOS Médecins, c'est avant tout des visites à domicile, même si nous pratiquons également la téléconsultation depuis le début de cette crise. Nous avons cherché à évoluer pour nous adapter à la situation, mais la visite à domicile est un aspect indispensable de notre prise en charge. Ne l'oublions pas, sinon il n'y aura plus personne pour l'effectuer, d'autant qu'elle est peu pratiquée par nos confrères. Si on ne la revalorise pas, cela va poser des problèmes. La téléconsultation a été très utile, mais dans beaucoup de situations il a fallu aller au domicile pour se rendre compte de l'état clinique des patients. Tout ne pouvait pas être réglé en téléconsultation.
Second message, mettre en place un accès unique aux soins pour le patient est une erreur. Nos concitoyens doivent pouvoir bénéficier de plusieurs accès aux soins. Les patients doivent continuer à appeler les structures qu'ils ont l'habitude de solliciter. Il me paraît absolument indispensable que les professionnels de santé, hospitaliers, libéraux ou privés, se coordonnent. C'est d'ailleurs comme cela que nous travaillons avec la plupart des SAMU, avec qui nous avons de bonnes relations. Toutefois, cela mérite d'être amélioré. À titre d'exemple, nous avons signé depuis 2005, dans toutes les structures en France, des conventions de collaboration avec les SAMU. Il y est précisé que nous sommes interconnectés. Cette interconnexion est téléphonique. Quinze ans après, il n'y a pas beaucoup d'endroits où l'interconnexion informatique existe. Il est pourtant urgent de la mettre en place. Ce serait plus utile que de créer un nouveau numéro ou une nouvelle strate pour prétendument simplifier un dispositif. On l'a bien vu : l'accès unique est plus un danger pour nous qu'autre chose.
M. Marc Noizet, chef de pôle urgences et du SAMU à l'hôpital Muller de Mulhouse. - Je tiens à vous remercier de cette invitation et de l'occasion que vous donnez aux acteurs de terrain, confrontés en première ligne à la violence de cette crise, de venir témoigner devant vous.
Je suis le chef du service des urgences et du SAMU 68 à l'hôpital de Mulhouse. J'assume par ailleurs des missions de coordonnateur du Réseau et Observatoire des urgences Grand-Est, qui travaille quotidiennement pour les cinquante-deux services des urgences de la région, en lien avec l'ARS, pour en améliorer le fonctionnement global.
Mon établissement comprend 1 250 lits MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), dont 36 lits de réanimation. Il couvre un bassin de population de 400 000 habitants, ce qui en fait le deuxième centre hospitalier général en termes de taille et d'activité. Le SAMU 68 gère à peu près 200 000 dossiers médicaux de régulation par an. Nous accueillons près de 120 000 patients sur les différents sites des urgences de l'établissement.
Si, dès la fin de février, comme tous les établissements de France, nous nous apprêtions à accueillir des cas suspects de covid - situation aggravée par notre proximité avec l'Italie -, c'est le 1er mars que nous avons été confrontés brutalement à la réalité de cette crise, qui nous a submergés en quelques jours avec une cinétique excessivement violente, ne nous laissant, pendant près de six semaines, aucune capacité à anticiper. Je souhaite donc ici témoigner du contraste des situations entre les différents territoires nationaux, car mon département a vécu quelque chose d'exceptionnel.
La précocité de la crise par rapport au reste du territoire national et la suractivité que nous avons constatée ont été la conséquence directe d'un rassemblement cultuel qui s'est tenu dans l'agglomération de Mulhouse du 17 au 23 février. Ce rassemblement de 2 000 à 3 000 personnes a donné lieu à un foyer épidémique majeur et à une dispersion non contrôlée, à une période où on ne parlait que de « petite grippe » et où les gestes barrières et l'isolement n'étaient encore que des concepts.
Premier point, le Haut-Rhin a été un département sinistré de manière hors norme comparativement au reste du territoire. Mon établissement a accueilli plus de 2 000 patients covid, dont plus de 365 en réanimation. L'activité du centre 15 a été multipliée par quatre et nous avons transféré 330 patients de réanimation lourde dans d'autres départements pour permettre le maintien de nos capacités d'accueil et de prise en charge. Ces 330 patients représentent la moitié des patients transférés pour toute la France.
Deuxième point, nous avons vécu un décalage important dans la compréhension nationale de la gravité de la situation à laquelle nous étions confrontés. Cela a donné lieu à des recommandations qui étaient inapplicables sur notre territoire et à un retard dans l'envoi de renforts humains et de moyens pourtant nécessaires - je pense en particulier aux équipements de protection individuels. Début mars et pendant plus de quinze jours, nous nous sommes sentis réellement isolés.
Troisième point, nous avons été confrontés à une difficulté de pilotage de gestion de la crise au niveau régional, notamment en ce qui concerne la coordination de la disponibilité des lits de réanimation et les transferts inter-établissements, en raison, d'une part, d'outils numériques inadaptés, et, d'autre part, d'un manque d'expertise dans la gestion de crise de nos tutelles régionales.
Quatrième point, nous avons été confrontés à une difficulté dans les choix stratégiques, thérapeutiques et d'orientation liée à une méconnaissance de la maladie, à une gestion de crise avec des moyens saturés et contraints, à une incidence plus importante des formes graves chez les patients âgés et polypathologiques et à la sollicitation à un niveau hors norme de nos unités de réanimation.
Cinquième point, nous avons assisté à une collaboration inédite public-privé -preuve que tous les territoires n'ont pas vécu la même situation - et ville-hôpital, avec une flexibilité organisationnelle et des innovations qui nous ont permis d'éviter la saturation des structures hospitalières, qu'elles soient publiques ou privées. En très peu de temps, public et privé ont travaillé ensemble, y compris grâce à l'échange de professionnels. Nous avons par exemple accueilli des anesthésistes du privé dans nos services de réanimation.
Cette crise était probablement difficilement prévisible. Notre système de santé s'est transformé dans sa globalité et s'est adapté pour y faire face. Le retour d'expérience est nécessaire pour mutualiser nos apprentissages régionaux. Il est important de désenclaver nos fonctionnements, qui ont toujours tendance à s'organiser en silos. Si l'hôpital public, dans certains endroits, a défendu son propre périmètre, ce n'était pas pour ne pas travailler avec le privé, mais par méconnaissance et par crainte de l'inconnu. Il importe donc d'améliorer la coordination et la communication entre les acteurs.
Mme Catherine Deroche, rapporteur. - On enregistre effectivement de grandes disparités selon les territoires. Le Grand-Est a connu un tsunami. Dans d'autres régions, la situation a été plus calme. Les relations avec les ARS ont aussi été très différentes d'un territoire à l'autre. Le professeur Mercat a évoqué la région des Pays de la Loire. Nous n'avons pas eu de vague, mais les liens avec l'ARS et le préfet ont été fluides, ce qui n'a pas été le cas partout.
Le plan Blanc s'est appliqué de manière uniforme sur le territoire, avec des nécessités évidentes dans les endroits où les lits manquaient. Il a fallu fermer des lits dans certains territoires sans qu'ils soient « utilisés ». Mais dans d'autres, il semblerait que les relations entre le public et le privé, par exemple au CHU d'Angers, aient été assez fluides, avec des transferts de patients.
Le plan Blanc a occasionné un certain nombre de non-interventions. La Ligue nationale contre le cancer parle d'un nombre de diagnostics de cancer moitié moindre. La commission des affaires sociales du Sénat a entendu également les représentants des malades cardiaques : là aussi, il y aurait un retard considérable dans la prise en charge. Dans vos établissements, les interventions ont-elles repris au rythme antérieur ? Il semblerait que ce soit compliqué parce que le personnel mis sous tension a besoin de récupérer, mais aussi parce que certains hôpitaux manquent encore d'équipements de protection. Est-ce le cas dans les établissements que vous représentez ? L'actuel frémissement constaté sur le front du covid entretient-il la crainte des patients d'aller à l'hôpital, soit en consultation, soit pour une intervention ? La clinique est-elle impliquée dans votre communauté professionnelle territoriale de santé ?
Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Ce n'est pas fréquent ! Cette crise a fait la preuve que la CPTS, lorsque sa création est à l'initiative du terrain, est un bon outil. Comment les praticiens libéraux ont-ils été associés sur votre territoire ?
Le fait d'interdire aux patients de solliciter leur médecin traitant a amené un basculement vers le 15, qui n'était pas forcément équipé en termes de personnel. Comment SOS Médecins a-t-il pu pallier la surcharge du 15 ?
M. Alain Mercat. - Votre remarque sur le plan Blanc est pertinente. Il s'agit d'un outil dont l'activation change complètement les modes de gestion de l'hôpital. On constitue un petit groupe pour prendre toutes les décisions. Est-il pertinent de dire sur l'ensemble du territoire, au même moment, partout, pour le public et le privé, « déprogrammez tout, il faut libérer des lits » ?
Je plaide en faveur d'une autonomie des territoires, coordonnés par les ARS, avec une gestion assurée au plus près du terrain, c'est-à-dire confiée aux établissements pivots supports de GHT, et donc essentiellement aux CHU. On a probablement déprogrammé quinze jours trop tôt.
Il y a en France approximativement 7,5 lits de réanimation pour 100 000 habitants, mais ce chiffre masque une grande hétérogénéité. Nous avons eu de la chance, puisque le covid s'est attaqué à deux des régions les plus richement dotées en lits de réanimation : le Grand-Est et l'Île-de-France. Les deux régions les plus défavorisées à cet égard sont la Bretagne et les Pays de la Loire, avec moins 5 lits pour 100 000 habitants. L'amplitude de la réponse va dépendre de l'offre de soins existante et de la cinétique de l'évolution de l'épidémie.
Effectivement, chez nous, la relation avec le privé et les cliniques a été excellente. J'ai sollicité l'ARS pour que l'on demande aux cliniques d'ouvrir des lits de réanimation pour des patients non covid. On m'a répondu « bien sûr ! », et tout a été fait en vingt-quatre heures. Par ailleurs, on a établi des conventions très simples autorisant nos chirurgiens à aller opérer dans les cliniques. Tout s'est véritablement joué à l'échelon local. Sur ces questions-là, je ne crois guère à une consigne nationale !
Nous savions déjà - c'est une des rares choses apprises de la crise du H1N1 en 2009 - que les régions seraient touchées à des moments différents, même si nous n'imaginions pas le phénomène incroyable qu'a connu le Grand-Est. Nous nous attendions donc à devoir adapter la réponse à la fois dans l'espace et dans le temps. Mieux vaut organiser la coordination avec la médecine libérale en amont, plutôt qu'au moment où la crise survient.
M. Bernard Llagonne. - Les CPTS sont en cours de constitution et je découvre ce qu'est l'administration française !
J'ai été à l'initiative d'une communauté professionnelle territoriale de santé avec des collègues généralistes il y a plus de deux ans, bien avant que les CPTS n'existent, tout simplement parce que travailler ensemble nous semblait une évidence, d'autant que de nombreux jeunes médecins sont arrivés dans ma région. Arrivent les CPTS, et là, ça se gâte : on tombe sur des structures technocratiques qui compliquent tout !
Nous en sommes au projet de santé, il y en a encore pour des mois et des mois de travail. On vient de recevoir la facture pour l'externalisation de ce projet : c'est très cher, et c'est autant de moins pour les soins !
Pour revenir à la crise du covid et à ma CPTS, nous étions donc unis dès le premier jour : 104 personnes participaient à la première réunion. Nous avons immédiatement créé un groupe WhatsApp, grâce auquel 140 personnes étaient en lien permanent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous comptions notamment, dans notre groupe, un réanimateur de la clinique de Reims, des pneumologues, etc. Tout cela nous a grandement aidés. La CPTS n'est pas encore officielle, mais c'en est déjà l'embryon, et je suis très heureux que nous ayons eu cette idée en amont !
Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Avec les autres professionnels de santé, comme les infirmiers ?
M. Bernard Llagonne. - L'idée initiale avait été conçue entre médecins. C'était une erreur, car il faut évidemment y adjoindre les infirmières, notamment libérales, qui sont ravies d'échanger avec les médecins. On découvre beaucoup de difficultés, notamment à la sortie d'hospitalisation après chirurgie.
M. Alain Milon, président. - Pour information, la configuration des CPTS existait déjà dans la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Elles ont été modifiées et améliorées dans la loi « Touraine ».
M. Serge Smadja. - Il y a eu effectivement une collaboration avec le 15. Nos centres d'appels ont constitué une sorte de petite soupape. Néanmoins, les consignes étaient très claires : tout patient suspect de covid devait être transféré au 15, qui décidait de la prise en charge. Les consignes suivantes ont été le « tout ambulatoire », et le 15 nous transférait énormément d'appels. Il est donc important de bien coordonner la réponse aux soins par des acteurs qui se connaissent et qui travaillent ensemble. Dans beaucoup de structures en France, de nombreux médecins de SOS Médecins sont régulateurs libéraux au 15.
M. Albert Birynczyk. - Il y a effectivement eu au cours de cette crise une forte chute des admissions aux urgences. La prise en charge des patients a été faite avec le 15, qui faisait office de régulateur en fonction des différents établissements. Je peux donner le retour d'expérience de mes confrères d'Île-de-France. C'est un territoire de population dense, avec un grand nombre de services des urgences privés et publics. Mes collègues regrettent le manque de coordination sur un plan local, départemental. Il existe très peu d'outils pour faire collaborer les uns et les autres au plus près du territoire. Il y a les réseaux territoriaux des urgences, qui existent également dans le Grand-Est. L'idée est que nous puissions tous nous réunir - médecins coordonnateurs des établissements publics et privés, régulation du centre 15, sapeurs-pompiers, SOS Médecins et éventuellement les CPTS - pour construire un projet territorial commun. J'insiste sur le caractère décentralisé de la mesure. Le délégué départemental de l'ARS pourrait faire office de régulateur neutre de l'offre de soins. Cette instance nous permettrait non seulement de nous coordonner, de créer des liens, de pouvoir nous entraider - je pense à la pénurie de médecins urgentistes -, mais aussi et surtout de désamorcer des situations parfois conflictuelles : problèmes ou refus d'admission, etc.
En Île-de-France d'autres structures, comme le comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (Codamups), n'ont quasiment pas joué de rôle pour l'organisation des acteurs face à la crise. C'est dommage. Nous aurions pu nous rencontrer dans ces instances et avoir plus d'échanges sur un territoire donné.
Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Et la reprise d'activité ?
M. Albert Birynczyk. - Dans les services des urgences privés, elle s'est faite de manière très progressive. Nous avions eu l'impression, au moment du déconfinement, que l'état des patients était plus grave. Mais ce n'était qu'une impression. Actuellement, nous avons retrouvé le même niveau d'activité que d'habitude. Si deuxième vague il y a à l'automne, nos services des urgences ayant repris leur activité habituelle, nous craignons une sursaturation.
M. Marc Noizet. - Les centres 15 ont été très rapidement identifiés comme étant le point de passage obligatoire. Cela peut être discutable ; ce qui ne l'est pas, c'est qu'il fallait un avis médical, c'est-à-dire un médecin régulateur pour prendre en considération la demande et orienter le patient dans son parcours de soin. Il y a eu certes de nombreuses recommandations successives, mais le but était d'adapter le système à une pathologie nouvelle. Quoi qu'il en soit, les centres 15 ont été saturés, notamment le mien. L'activité a été multipliée par quatre et le personnel par cinq. J'ai eu jusqu'à quatre salles de régulation différentes, dont une gérait l'aide médicale urgente et les autres uniquement la partie covid, à grand renfort de médecins libéraux. Je salue au passage ce partenariat, qui s'est mis en place très rapidement grâce à l'appui du conseil départemental de l'Ordre des médecins.
Il s'agissait d'une expérience intéressante, menée également en lien avec nos collègues de SOS Médecins à Mulhouse, qui ont vu très rapidement leur plateforme d'appel saturée. Nous avons basculé ces appels vers le centre 15 afin de ne solliciter SOS Médecins que pour les patients nécessitant véritablement le recours à un médecin. Les agents de terrain ont réussi à s'articuler les uns avec les autres. Au niveau du centre d'appel, la problématique est plutôt de parvenir à faire la distinction entre ce qui est de l'ordre de l'aide médicale urgente et ce qui ne l'est pas. À cette fin, nous avons mis en place un serveur vocal interactif.
De la même façon, les médecins généralistes se sont organisés pour créer des systèmes d'effecteurs médicaux en dehors de la permanence des soins. Nous avons mis en place un dispositif permettant de solliciter un médecin sur une plateforme électronique pour visiter un patient. Il s'agissait ainsi d'éviter un déplacement non nécessaire vers une structure hospitalière. Les médecins généralistes ont également mis en oeuvre des structures de consultation à l'entrée des hôpitaux pour essayer d'éviter le passage aux urgences.
S'agissant de la reprise, on a constaté une période d'accalmie, juste après la décroissance du nombre de patients covid, qui a duré quatre à cinq semaines, avec un taux d'activité s'établissant à 40 %. Chose notable, les patients venaient pour des problèmes graves et des pathologies nécessitant un recours hospitalier. Nous avons eu des taux d'hospitalisation allant jusqu'à 50 %, contre 20 % en temps normal. C'est une des leçons à retenir : il y a eu des retards de soins, notamment pour les pathologies carcinologiques. Certains patients ont dû attendre trois mois pour la finalisation de leur bilan et la réalisation des biopsies. Ils ont donc subi une forme de perte de chance par retard de démarrage du traitement. L'arrêt des activités programmées et chirurgicales était sans doute à moduler.
M. Alain Mercat. - La perte de chance est très difficile à évaluer aujourd'hui. La ville de New York a publié des chiffres documentés, qui font état d'une surmortalité non liée au covid. Certes, il s'agit des États-Unis, où tout est très dépendant du niveau social et de la couleur de peau. Mais, en France, on constate aussi un taux anormalement élevé de patients consultant aux urgences et nécessitant une hospitalisation. Quelle est, dans ce retard de prise en charge, la part imputable à l'organisation du système de santé et celle imputable à l'attitude individuelle de personnes qui ont eu peur d'aller à l'hôpital et de croiser des malades du covid ? Il y a eu un important problème de communication de l'ensemble des structures de soins, qui n'ont pas su rassurer et expliquer aux patients, notamment ceux issus de milieux défavorisés, qu'ils ne couraient pas un risque anormal de contracter l'infection.
M. Bernard Llagonne. - Empêtré dans ma CPTS et ses problèmes administratifs, j'ai oublié de répondre aux questions sur les retards de prise en charge et la reprise de la chirurgie. On a découvert beaucoup de choses en cancérologie, mais aussi en matière de chirurgie vasculaire. Un patient qui a un orteil noir, si on lui a dit de rester chez lui pour ne pas encombrer les centres 15, c'est une amputation au bout de quinze jours ! Quant à la chirurgie orthopédique, je n'ai jamais vu, en trente et un ans d'exercice, une telle dégradation des coxarthroses. Or il est très difficile, passé un certain âge, de remonter la pente...
Oui, on a vu des choses très bizarres sur le terrain, qu'on n'avait jamais constatées auparavant. Quant à la reprise des activités, elle n'a été que très progressive, conformément à la demande de l'ARS. On commence maintenant à atteindre un taux d'activité d'environ 80 %. C'est lié aux règles instituées dans les blocs opératoires, avec un recours aux péridurales et aux anesthésiants locaux plutôt qu'aux anesthésies générales. On a aussi beaucoup de temps morts, qui font que l'on n'arrive pas à 100 % d'activité.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteur. - J'aurai trois questions.
La première s'adresse au professeur Mercat : quel est concrètement l'impact de la contrainte budgétaire ? Vous avez souligné que votre hôpital avait réussi une adaptation spectaculaire, notamment parce que vous vous êtes délestés de la contrainte budgétaire. Comment s'est concrétisée chez vous l'absence de cette contrainte budgétaire ? Quand est-elle revenue ? Qu'est-ce que vous ne pouvez plus faire de ce fait ?
Ma deuxième question s'adresse au docteur Noizet. J'ai lu vos déclarations antérieures sur la confrontation à la mort et sur les difficultés morales vécues par les soignants. Je reviens sur la collaboration public-privé que vous avez évoquée. Nous avons bien compris, au gré des auditions, que cette collaboration n'a pas été partout la même. Est-ce l'urgence, la force du drame qui expliquent la bonne collaboration chez vous, ou est-elle liée aux personnes ? La consigne nationale est-elle déviée ? Nous avons besoin de comprendre pourquoi cela n'a pas fonctionné partout de la même manière.
Ma troisième question s'adresse au docteur Smadja et concerne SOS Médecins. J'ai lu, dans un article de presse du 15 juillet, que l'on dénombrait une centaine de suspicions de cas de covid-19 par jour il y a un mois, contre 600 pour la seule journée de mardi dernier. Êtes-vous fonctionnels et opérationnels en termes de tests, de matériel et de suivi ? Sommes-nous prêts pour une nouvelle vague ? Comment se passe pour vous cette hausse sur le terrain ?
M. Alain Mercat. - Vous m'interrogez sur la contrainte budgétaire. Comme vous le savez, depuis des années maintenant, l'hôpital public est financé par le système dit de la T2A, la tarification à l'activité. Pour avoir des rentrées financières importantes, il faut une activité importante, c'est-à-dire un taux d'occupation élevé et surtout des séjours courts. À chaque nouveau projet de filière ou d'offre de soins, il faut faire de la prospective et se demander quel sera l'impact sur le budget de l'hôpital. C'est assez lourd et très mal vécu de longue date par l'ensemble de la communauté médicale, notamment par les collègues dont l'activité n'est pas rentable. Ce qui rapporte avec la T2A, c'est la chirurgie, la réanimation, les pathologies très lourdes et la cardiologie interventionnelle.
Et tout d'un coup, avec le plan Blanc, cette règle ne vaut plus. On ferme le service d'orthopédie et on le transforme trois jours plus tard en un service d'accueil de patients covid. Pour quelqu'un comme moi qui fréquente l'hôpital public et les CHU depuis trente ans, c'est une chose incroyable ! En sortant de la réunion, on s'est dit : on a fait ça ? Eh bien oui, on l'a fait ! Et il a fallu en informer nos collègues chirurgiens orthopédiques, qui sont allés aider dans les centres de prélèvement parce qu'ils étaient motivés et qu'ils voulaient participer.
La contrainte budgétaire n'est pas revenue pour l'instant. Nous sommes dans une situation intermédiaire, on attend les conclusions plus fermes du Ségur de la santé sur le financement de l'hôpital public et on croise les doigts !
M. Marc Noizet. - Concernant la collaboration public-privé, début mars, durant la première semaine, devant la difficulté d'orienter les patients dans le département, j'ai provoqué une réunion téléphonique avec mes collègues responsables des services des urgences, dont un service des urgences privé à Mulhouse. Nous avons conjointement décidé de concentrer les patients covid dans les deux principaux hôpitaux publics que sont ceux de Colmar et de Mulhouse et de déconcentrer le reste de l'activité vers les autres services des urgences du département, de manière à éviter la dispersion du virus.
Certes, très rapidement, cette organisation a été rendue complètement inopérante et il a fallu revoir les choses. Mais nous avions déjà trouvé entre professionnels des arrangements entre public et privé, uniquement pour le volet urgences.
Nos hôpitaux publics et privés n'avaient pas encore, à ce moment-là, mis en place de partenariat fonctionnel pour répondre à la gestion de crise. Ce n'est que la semaine d'après, le 13 mars, que l'ARS a organisé une réunion entre l'hôpital public et les établissements privés de la ville pour trouver un mode de partenariat fonctionnel, mis en place en moins de quarante-huit heures, avec des prêts de matériels et des professionnels allant d'un site à l'autre pour renforcer les équipes. Des unités de la clinique ont aussi été transformées pour accueillir des patients covid au fur et à mesure des besoins. La clinique a également réussi à transformer son unité de surveillance continue pour y accueillir des lits de réanimation quand, au plus haut de la vague, nous n'avions plus de solution.
Pour répondre plus précisément à votre question, je ne pense pas que ce soit une question de personnes. Effectivement, les intervenants se connaissent, mais ils travaillent dans une forme de lutte concurrentielle. Certains praticiens de la clinique sont d'anciens praticiens hospitaliers : il existe aussi parfois une forme de concurrence humaine, voire de rancoeur. Toujours est-il que, devant la nécessité de réussir, personne n'a tergiversé. Il s'agit peut-être d'une attitude citoyenne ou peut-être est-ce inscrit dans notre génome de soignants. Bref, face à une crise, nous savons changer nos modes d'organisation pour le bien du patient.
Chez nous, le déclenchement a été l'impulsion de l'ARS, dont je salue l'action. À partir de là, tout a roulé tout seul. Avait-on besoin de quelque chose qui était chez l'autre ? Un coup de téléphone, et c'était possible !
Je ne vous cache pas que le retour à la normale s'est fait assez rapidement dès le moment où les unités se sont vidées de leurs patients covid. Je pense néanmoins qu'il en restera quelque chose : la capacité à le faire, et la preuve que public et privé savent faire face ensemble à une problématique précise.
M. Bernard Llagonne. - Je confirme les propos de Marc Noizet. Nous avons un lien d'intérêt : il a été chef de service de l'hôpital d'Épernay pendant quelques années alors que je travaille dans la clinique. Nous nous connaissons donc un peu et nous réglions déjà avant le covid, d'homme à homme, un certain nombre de difficultés liées aux urgences. J'ai été en contact direct avec l'un des chirurgiens de la clinique du Diaconat-Roosevelt de Mulhouse, il confirme exactement ce que vient de dire Marc Noizet : oui, quand on est confronté à une crise, il faut y aller, car on est avant tout médecin ! Tout cela s'est fait très normalement entre médecins, on exerce tous le même métier, quand même !
M. Alain Milon, président. - Je rappelle que la T2A a été installée après le budget global, qui avait entraîné pour les hôpitaux des pertes de marché élevées. C'est grâce à la T2A qu'ils ont récupéré des parts de marché importantes. Plus que la T2A, c'est probablement l'Ondam hospitalier qui a joué un rôle négatif pour l'ensemble des budgets hospitaliers. Quand il est fixé à 2,4 % alors qu'il faudrait qu'il soit établi à 4 %, ça ne peut pas fonctionner !
M. Serge Smadja. - Il existe en effet plusieurs indicateurs permettant d'apprécier la circulation du virus. Un frémissement se faisant sentir actuellement, on surveille le nombre de nouveaux cas, le taux de positivité des tests, l'incidence des cas, etc. La concordance de tous ces indicateurs fait la qualité de la surveillance. Les suspicions de cas de covid-19 détectées dans notre réseau constituent un indicateur précoce. Cette surveillance syndromique, c'est-à-dire les retours de diagnostic que l'on envoie tous les jours, à six heures du matin, à Santé publique France, pour les patients qui présentent un certain tableau clinique - toux, fièvre, etc. -, s'est avérée particulièrement utile lorsque l'on manquait de tests.
Désormais, on a la capacité de faire des tests, même si les délais peuvent être plus ou moins longs pour obtenir les résultats, voire pour trouver un laboratoire. Les laboratoires manquent de personnel pour faire des prélèvements. Les préleveurs des laboratoires n'ont reçu, par décret, l'autorisation de faire des tests PCR que depuis peu. Ce week-end, la possibilité de faire des prélèvements avec des écouvillons a été élargie aux pompiers, aux secouristes, etc. Il y avait donc auparavant un engorgement pour la réalisation de tests, mais il est aujourd'hui possible de les pratiquer. Ils permettent d'apporter une confirmation des données de la surveillance clinique et de valider la qualité des indicateurs. Au moment du pic de l'épidémie, on avait environ 2 500 suspicions de covid-19 par jour, contre moins de 200 après le confinement, et 500 depuis début juillet. Cette hausse est corroborée par celle du « R0 » ou du nombre de nouveaux cas. Même si la situation n'est pas comparable à celle que nous avons connue fin mars, début avril, ces données doivent nous inviter à la prudence.
M. Martin Lévrier. - Vous avez dit que la pandémie avait été appréhendée comme une crise hospitalière et non comme une crise globale. Que voulez-vous dire ? Quels leviers faudrait-il activer si une nouvelle crise survenait ?
Le CHU d'Angers participe à l'étude Discovery. La recherche a-t-elle pu se faire dans de bonnes conditions ? Avez-vous eu du mal à trouver des patients volontaires ? Quels ont été les apports de cette étude ?
Enfin, quelle est la pertinence du transfert de malades en TGV ? Pourquoi ne pas avoir eu recours aux ambulances ou aux pompiers ?
Mme Victoire Jasmin. - Vous avez dit que le Haut-Rhin était sinistré. Vous avez noté un décalage entre des recommandations inapplicables et la réalité du terrain et évoqué des problèmes de gestion. Pourriez-vous préciser quelles difficultés vous avez rencontrées ? Vous avez aussi soulevé les difficultés liées au numérique : s'agit-il de problèmes de compatibilité entre les différents systèmes, de problèmes de réseaux ? Aviez-vous mis en place le dossier partagé avant l'épidémie ?
M. Roger Karoutchi. - On a manqué de masques, de tests, de gel hydroalcoolique, etc. La coordination a été plus ou moins efficace selon les régions. Notre commission fera un bilan et publiera un rapport qui, j'en suis sûr, fascinera le Gouvernement... Mais notre système de santé est-il désormais mieux préparé en cas de nouvelle vague ?
On ne nous parle jamais de traitement depuis le début de nos travaux. J'ai bien compris qu'il n'y avait pas de traitement spécifique pour la covid-19, mais j'imagine que l'on ne donne pas uniquement du paracétamol aux patients... Si un jour j'étais malade et que j'apprenne cela, je ne suis pas sûr que mon état mental et moral s'améliorerait ! Je comprends bien que l'on ne traite que les symptômes et non pas la cause, mais, malgré tout, j'imagine que l'on a une meilleure connaissance de la maladie et que les traitements évoluent. Pourquoi ne pas en informer les gens ? On donne le sentiment à la population qu'elle ne sera pas mieux soignée en cas de deuxième vague. Si tel est le cas, il nous revient alors, responsables politiques et médecins, d'alerter le Gouvernement sur le risque de lever toutes les restrictions. Il semble en effet dangereux, dans ces conditions, de rouvrir à partir de septembre les salons, les foires, etc. La Belgique ou la Catalogne reconfinent, mais on semble faire comme si nous étions sortis de la crise. Sommes-nous donc mieux préparés qu'il y a six mois ?
M. Alain Mercat. - Oui ! J'évoquerai la réanimation des patients les plus graves. Il y a eu des progrès thérapeutiques. Comme vous le savez, de très nombreux essais ont été menés. Une controverse très vive a eu lieu autour de l'hydroxychloroquine, dont, pour l'instant, la communauté internationale n'est pas convaincue de l'efficacité. En revanche, une étude anglaise intitulée Recovery, dont le compte rendu a été publié la semaine dernière dans The New England Journal of medicine, montre qu'une courte cure de corticostéroïdes, avec un médicament qui ne coûte presque rien, la déxaméthasone, permet de réduire la mortalité des patients qui ont besoin d'une oxygénothérapie ou qui doivent être placés sous ventilation artificielle.
On a aussi fait des progrès dans l'identification des signes précoces de gravité : une des particularités des patients atteints de la covid-19, qui est un syndrome de détresse respiratoire aiguë, est qu'ils présentent une hypoxémie heureuse, c'est-à-dire des taux d'oxygène dans le sang très bas sans sensation d'essoufflement important. C'était trompeur pour nous, au début.
En matière d'offre de soins, il y a aussi eu des progrès : l'augmentation de l'offre de soins de réanimation développée lors de la première phase est désormais en réserve. Je coordonne l'offre de soins pour les Pays de la Loire : en Mayenne, département de 300 000 habitants, la situation est tendue, avec l'apparition de plusieurs clusters et une circulation du virus inquiétante - essentiellement parmi une population jeune, notamment des travailleurs immigrés qui travaillent dans les abattoirs, vivent dans des foyers et sont peu enclins à développer des formes graves. L'hôpital de Laval comptait, avant la crise, 8 lits de réanimation, soit moins de 3 lits pour 100 000 habitants, contre 7,5 en moyenne en France. Désormais, cet hôpital peut compter, en plus de son service de réanimation qui a été étendu, car l'unité de surveillance continue a été transformée en unité de réanimation, sur 15 lits d'une unité désaffectée, qui devait être transformée en service de cardiologie. Ces lits sont susceptibles d'être transformés en vingt-quatre heures en lits de réanimation. Le système est donc mieux préparé que lors de la première phase.
En ce qui concerne l'articulation entre l'hôpital et le système de santé, la doctrine était que les personnes, en cas de toux, devaient appeler le 15, chargé d'orienter les personnes suspectées d'être atteintes de la covid vers les hôpitaux de première ligne, qui étaient des hôpitaux publics. On a tout misé là-dessus, en sous-estimant l'ampleur de la crise. Il aurait probablement fallu activer plus tôt l'ensemble du système de santé, notamment les médecins généralistes, mais il aurait fallu alors pouvoir leur fournir des masques : on voit comment la disponibilité des moyens a eu un impact sur les décisions.
De même, le 26 février, dans la région Pays de la Loire, seul le laboratoire de virologie du CHU de Nantes avait l'agrément pour réaliser des tests PCR en vue de détecter les cas de covid. J'ai envoyé un courriel à M. Salomon, qui m'a répondu aussitôt qu'il activait d'autres centres. Le système était le suivant : la direction générale de la santé indiquait au centre national de référence (CNR) des coronavirus de l'Institut Pasteur les laboratoires prioritaires pour faire des diagnostics. Le CNR prenait ensuite contact avec ces laboratoires, leur communiquait la technique à utiliser, validait la mise en oeuvre de la technique par le biais de prélèvements tests et homologuait finalement les laboratoires. Cette stratégie a restreint le nombre de laboratoires agréés, et donc notre capacité de diagnostic. On l'a adaptée à une disponibilité des moyens de diagnostic assez limitée au départ, et ce n'est qu'ensuite qu'il est apparu qu'il fallait diffuser la technique à l'ensemble des laboratoires. En Mayenne, un laboratoire vétérinaire a ainsi reçu l'agrément et participe actuellement à la campagne de dépistage.
On a clairement considéré, pendant les premières semaines, que la crise constituait un défi pour l'hôpital, alors qu'elle constituait un défi pour l'ensemble du système de santé. On a probablement perdu du temps. On s'en est vite aperçu au sein de la cellule de crise du CHU d'Angers. On a contacté alors les médecins libéraux, et on a organisé treize centres Covid 49 - 49, comme le numéro du département. Il pouvait s'agir de maisons de santé pluridisciplinaires, de salles polyvalentes mises à disposition par les maires, etc. L'hôpital a fourni les gels hydroalcooliques fabriqués par la faculté de pharmacie, les masques, des étudiants en médecine pour assurer l'accueil du public, notre cellule d'hygiène a organisé les parcours pour éviter que les gens ne se croisent, puis on a laissé les médecins généralistes s'organiser pour assurer des permanences. Quand le SAMU recevait un appel d'une personne qui présentait des symptômes sans avoir développé une forme grave, il le redirigeait vers le centre le plus proche, où il était pris en charge par un médecin. Ce système a très bien fonctionné et nous sommes prêts à le réactiver.
J'en viens à la recherche. Il y a eu un très grand dynamisme en la matière, essentiellement du fait des CHU. L'essai Discovery a été mené par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui est un organisme de très haut niveau scientifique ; mais ce n'est pas l'Inserm qui soigne les malades, ce sont les hôpitaux ! La conduite de cet essai a été très difficile, et sa dimension européenne n'a pas simplifié les choses... Toutefois, les initiatives ont fleuri au sein des hôpitaux. Nous disposions d'un stock d'hydroxychloroquine et nous avons lancé un essai randomisé sur 250 malades. L'analyse de ce test est en cours et devrait être publiée dans les prochaines semaines. Les cliniciens et les chercheurs sont demandeurs d'une procédure simplifiée, rapide, adaptée au temps de crise, afin de pouvoir mener rapidement des travaux de recherche. Mais on note déjà des avancées. Il faut ainsi souligner le travail de la direction générale de la santé pour accélérer le processus d'évaluation des projets de recherche par les comités de protection des personnes.
Des transferts de patients ont été organisés. L'un des premiers a été un transfert de patients du Grand-Est vers les Pays de la Loire. L'idée est née au sein du groupe WhatsApp des réanimateurs du Grand Ouest. Nous constations que nous étions prêts, il ne manquait plus que les malades. Le chef du service de réanimation de l'hôpital de Mulhouse m'a expliqué qu'ils étaient submergés. Nous avons donc proposé d'accueillir des patients. Tout est allé ensuite assez vite. Lors d'une conférence téléphonique, j'ai fait cette proposition à l'ensemble de mes collègues réanimateurs des Pays de la Loire. Chacun était d'accord. J'ai soumis l'idée à ma directrice générale, qui est déléguée régionale de la Fédération hospitalière de France. Elle a contacté tous les directeurs des établissements concernés. Le 21 mars, j'ai proposé le dispositif au directeur général de l'ARS. Le 26 mars, le premier TGV en provenance de Strasbourg et de Mulhouse est arrivé : six patients ont été accueillis à Angers, quatre au Mans, six à Nantes et quatre à La Roche-sur-Yon. Les SAMU ont géré le transfert de manière remarquable. Les préfets ont veillé à garantir des conditions de sécurité optimales. L'opération a été une réussite ; les six patients soignés à Angers sont repartis chez eux.
Il semblait préférable d'organiser des transferts de patients plutôt que de médecins ou de moyens, car on ne pouvait pas prendre le risque de nous démunir et de réduire l'offre de santé sur notre territoire. C'est pourquoi nous avons formulé cette offre, qui a été transmise par le directeur général de l'ARS des Pays de la Loire, M. Coiplet, à la cellule de crise nationale. Celle-ci l'a ensuite communiquée à l'ARS du Grand-Est, et les transferts ont été organisés en cinq jours. Début avril, nous avons reçu 47 patients d'Île-de-France, avec des transferts par hélicoptère ou par avion ; il faut reconnaître que cela fut un petit peu plus compliqué et désordonné, même si aucun patient n'en a pâti - il est vrai que les collègues réanimateurs sélectionnaient des patients dans un état stable, capables de supporter les transferts. Les spécialistes du SAMU savent sécuriser un transfert, y compris prolongé - c'est leur métier -, et c'est une chance que n'ont pas tous les pays européens.
M. Martin Lévrier. - Les pompiers nous ont dit qu'ils auraient pu assurer ces transferts et qu'ils s'étonnaient du recours aux TGV...
M. Alain Mercat. - Je laisse mon collègue vous répondre sur ce point, car la querelle entre les « blancs » et les « rouges » ne date pas d'hier...
M. Marc Noizet. - Cette polémique entre les services de la sécurité civile et les SAMU dure en effet depuis très longtemps. Le rapport de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers dénonce certains points. Je n'ai pas été témoin de tout ce qui s'est passé sur l'ensemble du territoire national, mais je sais que ce que nous avons vécu était hors norme : pendant quatorze jours, dans le département du Haut-Rhin, nous avons transféré quotidiennement entre 12 et 20 patients en réanimation. Sans doute était-il possible de faire autrement, mais, en tous cas, au moment où nous avons été confrontés à cette situation, il n'y avait pas d'autre solution que de transférer des malades, à moins d'accepter d'en laisser mourir d'autres. Nous avions déjà mis en oeuvre le partenariat entre le public et le privé et doublé le nombre de nos lits de réanimation. À partir du 25 mars, trente lits de l'établissement militaire de réanimation ont été installés à proximité immédiate de l'hôpital de Mulhouse. Nous avions aussi des renforts de professionnels médicaux et paramédicaux, qui venaient de toutes les régions, notamment de la Nouvelle-Aquitaine, mais ces transferts étaient nécessaires en raison du grand nombre de patients en état très grave. Les patients transférés n'étaient pas de nouveaux patients, mais des malades qui avaient été pris en charge depuis quelques jours, dont l'état était stabilisé et auxquels un transfert ne faisait pas courir de risque.
Je ne sais pas si recourir au TGV était une bonne solution. Une étude est en cours au niveau national, pilotée par un organisme indépendant : elle nous montrera si la mortalité des patients concernés a été plus importante. En tous cas, à première vue, la mortalité semble ne pas avoir été supérieure.
Nous avons eu un partenariat très étroit avec les sapeurs-pompiers dans le Haut-Rhin, grâce à des échanges et à des relations humaines nouées de longue date, et nous avons pu utiliser leurs moyens à bon escient. La mission des sapeurs-pompiers n'est pas de réaliser des transferts secondaires : cette tâche nécessite des moyens médicalisés importants, notamment des équipements de réanimation, qu'ils n'ont pas. Leur mission première est le secours aux personnes dans des conditions d'urgence, en aucun cas le transport de patients d'un établissement à un autre, en dehors de circonstances exceptionnelles. Grâce au transfert de 330 patients hors du département, nous avons pu accueillir autant de nouveaux malades.
Sans doute pourrions-nous organiser les choses différemment, peut-être pourrait-on disposer, comme à Laval, d'un service susceptible d'être transformé rapidement en service de réanimation, mais, vu l'ampleur du phénomène, les transferts étaient nécessaires. Cette expérience a été bénéfique. Nous pouvons améliorer la coordination entre les territoires, entre les régions et au niveau national, et il conviendrait aussi de standardiser les procédures. Les patients étaient pris en charge, dans les TGV, par des équipes extérieures au département, ce qui maintenait notre capacité opérationnelle à continuer à traiter les autres patients.
M. Bernard Llagonne. - Si j'entends bien, il n'y a pas eu de difficultés à Mulhouse entre les pompiers et le SAMU, entre les cliniques et les hôpitaux. J'ai l'impression de ne pas connaître ce monde-là... Il y a quand même un certain nombre de problèmes ! Ils ont peut-être trouvé une solution à Mulhouse du fait de l'étendue des difficultés rencontrées, qui ont fait que chacun a pris ses responsabilités. Toutefois, dans ma clinique, quand mes infirmières, qui attendaient des malades avec tous les équipements nécessaires, entendaient parler de transferts par train ou par avion, il n'était pas facile de maintenir la cohésion des équipes ! Si je connais mal les rapports entre les SAMU et les pompiers, je sais que tout n'est pas rose entre les cliniques et les hôpitaux, comme en est convenu le président de la Fédération de l'hospitalisation privée au début. En décembre, nous avions connu la crise des urgences, qui était révélatrice d'un certain nombre de problèmes. Les cliniques et les hôpitaux travaillent chacun dans leur coin. On a peut-être appris à mieux traiter la covid, mais les problèmes de fond demeurent !
Mme Victoire Jasmin. - Vous n'avez pas répondu à ma question !
M. Marc Noizet. - J'ai parlé en effet, dans mon propos liminaire, d'un décalage de compréhension et de perception entre ce que nous vivions et une vision nationale qui appréhendait le territoire d'une manière globale, sans tenir compte de la gravité de ce qui se passait localement. Début mars, nous évoquions la gravité des difficultés que nous rencontrions dans nos échanges quotidiens par téléphone ou visioconférence avec l'ARS et la préfecture. Je ne doute pas que le directeur de l'ARS ou le préfet aient fait remonter ces informations. Pourtant, nul n'a pris la mesure de l'ampleur des problèmes locaux et des besoins de réorganisation du système ; nos ressources pour faire face à la crise étaient saturées. Si nous avions bénéficié du renfort de ressources extérieures, l'organisation aurait pu être différente.
Illustration de ce décalage de perception, les recommandations nationales étaient déjà inapplicables chez nous. Chaque jour, le directeur général de la santé parlait, dans son point de presse quotidien, de la réalisation de tests, promettant que tout patient symptomatique bénéficierait d'un test ; mais nous n'avions déjà plus les moyens de tester ces patients, faute d'un nombre de tests suffisant, tandis que notre dispositif de prélèvement était déjà saturé : en Alsace, seul le laboratoire du CHU de Strasbourg pouvait traiter les tests et nous ne pouvions en réaliser davantage. La population ne comprenait pas. De même, on demandait aux gens d'appeler le 15 pour tout symptôme. Le 6 mars, j'ai demandé à ce que l'on sollicite le centre 15 pour des cas nécessitant une prise en charge, et non uniquement comme centre de renseignement. Il y avait donc un décalage entre les discours publics nationaux et la réalité que nous vivions.
Dans mon établissement, le stock de masques chirurgicaux s'élève à 30 000 par mois. Or, début mars, nous en consommions 30 000 en deux jours ! L'État avait mobilisé l'ensemble des stocks du territoire, mais il a fallu attendre assez longtemps pour recevoir une première aide - je n'ai plus la date en tête. La première livraison a été de 32 000 masques : nous devions tenir une semaine avec, et nous devions aussi fournir les professionnels de santé du territoire... Cela illustre l'incompréhension, le décalage entre l'ampleur de nos besoins et une vision nationale très lointaine, soucieuse que la règle soit la même sur tout le territoire.
Vous m'avez aussi interrogé sur les outils numériques. La gestion de crise est aussi une gestion de l'information et de la communication. Il convient donc de pouvoir disposer de chiffres exploitables ou susceptibles d'être aisément centralisés ; or nos systèmes d'information produisaient une multitude de chiffres divers, mais sans aucune coordination. Les différentes administrations envoyaient nombre de fichiers Excel sur la distribution des moyens de protection, l'état des stocks, les besoins, les activités, les lits de réanimation, etc. Les fichiers se multipliaient dans tous les sens, alors qu'il aurait été facile d'utiliser des outils numériques intégrés, simples à mettre en place, pour peu que l'on veuille bien homogénéiser les standards de communication.
La gestion des lits de réanimation a été révélatrice à cet égard. Dans le Grand-Est, l'enjeu a été la gestion des malades graves. Nous disposions, comme toutes les régions, du répertoire opérationnel des ressources, qui est une sorte de catalogue de l'offre de soins, permettant d'indiquer la disponibilité des lits. Cet outil est insuffisamment connu ou utilisé, ce qui renvoie à une problématique d'appropriation tant par les utilisateurs que par les instances régionales qui le pilotent ; de ce fait, il était inopérant et, au début de la crise, chaque établissement devait passer de multiples coups de téléphone aux autres établissements pour trouver des lits disponibles. Que de temps perdu ! Très vite toutefois, grâce à la mise en place d'un petit outil développé par des ingénieurs de Polytechnique, nous avons pu partager cette information presque en temps réel. Cela a changé notre vie ! Il est étonnant qu'en 2020 on ne puisse pas transférer des informations importantes en période de crise autrement que via des fichiers Excel...
M. René-Paul Savary. - Dans la Marne, où est située la clinique du Pr Llagonne, il était en effet étonnant de voir les TGV sanitaires passer, alors que les cabinets des médecins généralistes ou les cliniques étaient vides, tandis que les hôpitaux ou le centre 15 étaient saturés. La réserve sanitaire avait été mobilisée, mais les médecins et les soignants étaient au chômage, en pleine crise...
C'est la première fois que le Comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (Codamups) est mentionné depuis le début de nos auditions. Il n'a, semble-t-il, pas été mobilisé. On entend peu parler aussi de Santé publique France (SPF). Quel est son rôle ?
Avez-vous des consignes en cas de survenue d'une nouvelle vague ? Une nouvelle organisation est-elle prévue ? On reçoit de belles statistiques tous les jours de la part de SPF, mais j'ai l'impression que l'on n'a pas tiré les leçons de la mauvaise organisation observée dans certains territoires.
Mme Angèle Préville. - Monsieur Llagonne, des lits sont restés vacants dans votre clinique pendant une quinzaine de jours. Celle-ci se trouve-t-elle à proximité d'un hôpital en situation de surcharge ou d'un Ehpad qui manquait de moyens pour gérer les cas de covid ? Que s'est-il passé ensuite ? Aviez-vous la capacité d'abriter une cellule covid ?
On n'a pas observé, apparemment, de surmortalité parmi les 330 patients qui ont été transférés depuis Mulhouse. Mais, avec le recul, quels sont les éléments à prendre en compte pour apprécier si les transferts n'ont pas causé de préjudice aux patients ?
M. Jean-François Husson. - Quelles préconisations formuleriez-vous pour améliorer les procédures, l'informatique, la chaîne de commandement, le rôle de l'État, etc. ? Ce dernier, dans son ensemble, a parfois montré des carences et des défaillances, comme les témoignages l'indiquent. Avez-vous eu des réunions de travail avec les services de l'État, notamment l'ARS, pour évoquer ces retours d'expérience afin de pouvoir réagir différemment en cas de nouvelle vague à l'automne ? Plus on intervient vite, plus on peut ralentir la propagation de l'épidémie. Serions-nous aujourd'hui plus efficaces ?
Je ne veux pas faire des équipements individuels de protection un sujet de polémique, mais, en l'espace de cinq mois, l'État a dit tout et son contraire à leur sujet : les masques, initialement, ne servaient prétendument à rien ; ils sont désormais obligatoires. Les préfets ne demandent plus le retrait des arrêtés municipaux des maires concernant le port du masque dans les espaces publics extérieurs. Les Français ne comprennent pas ! Si l'État fait obligation aux Français de se protéger pour des raisons de santé publique, ne serait-il pas normal d'envisager une prise en charge des équipements par l'assurance maladie et les organismes complémentaires ? Le Président de la République semble rejeter cette hypothèse. On note aussi des tensions sur les stocks d'équipements de protection. C'est le cas pour les masques. Les infirmiers manquent de gants et les prix de ces derniers flambent. Une prise en charge par l'assurance maladie ne permettrait-elle pas d'endiguer ce phénomène et d'imposer un prix unique ?
M. Alain Mercat. - Le système de santé réagirait-il différemment en cas de seconde vague ? La réponse est oui, sans le moindre doute.
Vous avez évoqué le triptyque tester-isoler-traiter : lors de la première vague, les moyens de tests étaient fortement limités. Depuis lors, les capacités de test se sont largement développées. J'ai animé hier une cellule de crise consacrée à la situation en Mayenne : le laboratoire de virologie de mon CHU, par exemple, pratique chaque jour entre 500 et 600 tests de dépistage, ce qui montre bien que nous avons maintenant les moyens de mettre en place une stratégie fondée sur un dépistage de masse.
Une remarque sur le dépistage de masse : il est difficile de convaincre tout le monde de se faire dépister, sachant que cette démarche relève de la liberté individuelle de chacun ; en particulier, les populations les plus déshéritées, les plus désocialisées, sont très réticentes.
Nous disposons en outre de beaucoup plus de masques qu'au moment de la première vague. Je suis d'accord pour dire que le discours du Gouvernement a beaucoup fluctué à cet égard, mais il fallait tenir compte de l'absence de masques.
S'agissant du système de santé lui-même et des hôpitaux, les stratégies d'augmentation de l'offre de soins, pour ce qui est des soins critiques en réanimation, mais aussi en unité conventionnelle, ont été éprouvées. Le vrai souci, en cas de seconde vague, sera de traiter conjointement tous les patients qui nécessitent des soins non liés à la covid. Cela passera par une collaboration optimisée entre le public et le privé. Je ne vois pas d'autre solution.
S'agissant de ce que vous avez appelé la chaîne de commandement, dans les Pays de la Loire, les hôpitaux supports de GHT ont joué leur rôle et coordonné l'offre de soins. En particulier, il nous a été demandé de nous coordonner avec les cliniques, ce qui a été fait, parce que nous nous entendons bien et qu'il fallait apporter une réponse globale sur le territoire.
Il me semble que la déclinaison doit se faire à l'échelon des territoires autour des hôpitaux supports de GHT, particulièrement du CHU, avec un accompagnement et une coordination de l'ARS.
Il a été question tout à l'heure de la réserve sanitaire. Pour notre part, nous ne l'avons pas mobilisée ; nous avons mis en place un système un peu équivalent consistant à mobiliser nos étudiants en médecine dans les services de réanimation ou dans les Ehpad.
En cas de seconde vague, je le répète, il faudra impérativement préserver l'offre de soins pour les autres patients. Le retard qui a été pris dans l'offre de soins chirurgicaux, par exemple, n'est pas encore comblé, l'activité n'étant pas encore revenue à la normale. Pour le combler, il faudra faire un peu plus encore.
M. Alain Birynczyk. - Je partage les propos du professeur Mercat. Maintenant que le port du masque a été rendu obligatoire dans les lieux publics - ce qui est pour moi très important - et que nous avons la possibilité de pratiquer des tests, d'isoler les personnes contaminées et, éventuellement, de confiner de manière sélective, si nécessaire, l'intensité des pics épidémiques pourra être atténuée. Cela nous épargnera toutes les difficultés que nous avons rencontrées lors de la première vague, en particulier dans les régions les plus touchées. Nous avons donc l'espoir que les choses se passent plutôt bien.
Il reste tout de même une inquiétude relative aux services des urgences. En automne et en hiver, ils connaissent habituellement un surcroît d'activité, et il est à craindre qu'une seconde vague de covid n'entraîne des difficultés d'organisation : comment sera gérée la prise en charge de ces patients ? C'est pourquoi la collaboration entre les établissements au sein des territoires sera cruciale : la centralisation des patients covid continuera-t-elle d'être assurée par un établissement pivot ?
Différents outils sont à notre disposition. Je parlais tout à l'heure des réseaux territoriaux des urgences, qui, dans certains endroits, fonctionnent plutôt bien.
Je le répète, il faudra structurer davantage les collaborations entre le public et le privé à l'échelle d'un département, d'un territoire, et nous devrons être associés à l'ensemble des mesures prises.
M. Bernard Llagonne. - La clinique d'Épernay est située à un kilomètre de l'hôpital, soit trois minutes en voiture, et ni l'une ni l'autre ne disposent de service de réanimation. Notre activité est essentiellement chirurgicale - elle s'est arrêtée le 16 mars -, tandis que l'hôpital compte un important pôle gériatrique.
Nous disposons de 107 lits, répartis entre 80 chambres. Nous avons transformé toutes nos chambres en chambres individuelles pour accueillir 55 patients covid, lesquels nécessitent forcément des soins plus lourds qu'en chirurgie.
Par ailleurs, nous disposions d'un stock de masques chirurgicaux et de blouses.
À ce problème de collaboration, qui est une évidence pour tout le monde, il faudra apporter une réponse territoriale. C'est une évidence. Tout le monde en parle : le Président de la République, le Premier ministre. Mais là où je ne suis pas d'accord, c'est quand on veut faire du GHT le référent territorial, car cela revient à faire de l'« hospitalocentrisme », c'est-à-dire à tout ramener à l'hôpital public. Dès lors que l'on définit un hôpital public de référence, et donc que l'on crée une forme de hiérarchie, comment voulez-vous que s'amorce une bonne collaboration ? Cela ne me semble pas très logique.
Face à un CHU, il existe toujours une grosse clinique. Si l'on ne parvient pas à établir une collaboration locale d'égal à égal, laquelle pourra se décliner ensuite à l'échelle des plus petits territoires, on n'avancera pas. En cas de nouvelle crise, il est à craindre qu'on ne retombe dans les mêmes travers. Et si nous sommes débordés, comme c'était le cas à Mulhouse, nous mettrons tout notre coeur à l'ouvrage, parce que c'est notre métier, mais j'ai bien peur que nous n'ayons du mal à traiter les urgences hors covid, comme c'est le cas depuis maintenant vingt ans.
M. Serge Smadja. - Sommes-nous maintenant mieux armés ? En tout cas, nous avons tiré les enseignements de la première crise et appris qu'il fallait utiliser les réseaux existants. Une réponse trop centralisée n'a pas été un gage d'optimisation. Autrement dit, l'armada des 55 000 médecins généralistes a été sollicitée sans doute trop tardivement. En cas de seconde vague, on peut espérer que ce réseau de médecine ambulatoire sera d'emblée utilisé, d'autant que les praticiens sont désormais mieux équipés.
À ce propos, j'indique que, au moment de la crise, nous avons dû faire appel à la solidarité nationale et aux dons. Ainsi, diverses sociétés nous ont fournis en masques, mais la gestion s'est faite au jour le jour. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Il a été dit que, faute de traitement, il faudrait peut-être reconfiner. J'espère que l'on n'en arrivera jamais là. Dans l'optique d'une meilleure optimisation du réseau libéral, peut-être faut-il notamment envisager de développer des tests salivaires, qui permettent d'obtenir un résultat plus rapidement, même si l'on dit qu'ils ne sont pas fiables. Dans l'hypothèse d'une seconde vague de covid concomitante à d'autres épidémies, notamment celle de grippe, il serait important de pouvoir distinguer entre ces différentes pathologies, et cela passerait sans doute par la réalisation de tests rapides dans les cabinets des médecins de ville.
M. Marc Noizet. - Est-on prêt à faire face à une seconde vague ? Je ne vais pas reprendre tous les arguments qui ont déjà été avancés, mais, le cas échéant, la situation serait bien évidemment différente de celle que l'on a pu connaître au début du mois de mars. D'une part, nous disposons de moyens de protection et de tests, lesquels permettent d'identifier et d'isoler les patients infectés ; d'autre part, la population a désormais connaissance des gestes barrières.
Par ailleurs, nous avons beaucoup appris, et il sera plus simple de « remettre le pied à l'étrier ». Les tâtonnements dans la collaboration public-privé et sur le positionnement des médecins libéraux ne seraient plus d'actualité.
Les consignes sont-elles différentes ? Clairement, non. Nous connaissons mieux cette maladie, qui a donné lieu à de nombreuses publications, lesquelles nous permettent de mieux appréhender un certain nombre de sujets, y compris sur des points thérapeutiques de supports ventilatoires. Au début, nous privilégiions l'intubation, la sédation et la ventilation assistée en réanimation, alors qu'aujourd'hui un certain nombre de travaux montrent qu'observer une phase intermédiaire reposant sur l'usage de supports ventilatoires non invasifs aurait été possible sans risque d'aérosolisation. Toujours est-il qu'il n'existe pas de référentiel à ce jour.
De même, il n'existe aucune doctrine écrite relative à l'organisation de notre système de santé dans le cas d'une telle pandémie, comme il en existe une en matière de tueries de masse et d'attentats, ce qui nous a permis d'évoluer dans notre approche. Cela viendra ultérieurement. Les retours d'expérience sont en cours dans les services, mais cela prendra du temps, surtout en cette période estivale. Nous disposerons sans doute des conclusions de ces retours à l'automne, ce qui nous permettra d'être un peu plus performants dans notre organisation dans le cas d'une seconde vague.
D'après ce que j'ai pu entendre autour de cette table, le fait que l'on ait imposé une règle uniforme sur l'ensemble du territoire a été difficile à comprendre et cela a rendu son application par tous difficile. Si, demain, le plan Blanc devait être déclenché dans tous les établissements, ce serait difficilement accepté, contrairement à ce que l'on a observé au moment de la première vague.
Sommes-nous prêts ? Je n'en suis pas sûr. En tous cas, nous sommes mieux armés face à une possible seconde vague.
La question des transferts est complexe. Le SAMU que je dirige s'est doté d'une cellule de coordination des transferts, en lien avec les services départementaux de réanimation, dont le rôle était d'identifier les malades pouvant bénéficier d'un transfert, et ce afin de libérer des places pour de nouveaux patients. Avec les réanimateurs et les anesthésistes, nous avons, d'un commun accord, défini un certain nombre de critères de transférabilité. Les patients qui ont été transférés étaient ceux pour lesquels les risques de complications étaient minimes. C'est la raison pour laquelle on n'a enregistré aucun décès au cours de ces transferts, le taux de mortalité de ces patients restant comparable à celui observé dans les services de réanimation pour les patients non déplacés. Ces transferts, au nombre de 330 au total, ont été effectués par des équipes dont c'est le métier. Chaque jour, des patients qui devaient être transférés ne l'étaient finalement pas, car on estimait que leur état était trop instable et qu'ils ne répondaient plus aux critères requis.
Je ne suis pas certain qu'il existe des indicateurs pouvant attester d'un éventuel préjudice pour ces patients ou d'une hausse du taux de morbidité à la suite de ces transferts. J'espère que le travail d'étude en cours nous éclairera sur ce point.
Mme Muriel Jourda. - J'ai deux questions.
Le professeur Mercat a indiqué que nous avions fait des progrès en matière de prise en charge des patients, progrès qui, si je comprends bien les propos tenus à l'instant par le docteur Noizet, n'ont pas encore été théorisés. Dès lors, comment seront-ils théorisés et généralisés à l'ensemble du territoire, pour que tout le monde puisse en tirer profit en cas de nouvelle crise ?
Professeur Mercat, vous dites que cette crise a été gérée, dans un premier temps, selon une logique de prise en charge par le seul système hospitalier. Or on s'est rendu compte que c'est l'ensemble du système de santé qui devait être mobilisé : je pense notamment aux médecins généralistes libéraux et aux infirmières libérales, qui étaient en première ligne pour prendre en charge les patients non hospitalisés dont on soupçonnait qu'ils pouvaient être atteints de la covid - à l'époque, les tests n'étaient pas disponibles. La difficulté, pour ces professionnels, était qu'ils ne disposaient que de peu d'équipements de protection individuels. Dans chaque territoire, nous étions contraints de recourir au système D pour nous en procurer.
Notre manière de gérer cette crise, en nous appuyant prioritairement sur l'hôpital, s'explique-t-elle par le fait que notre système de santé est plutôt « hospitalocentré » ou bien par un manque d'équipements de protection individuels, qui ne nous aurait pas permis d'intégrer dans la prise en charge les professionnels libéraux ? Autrement dit, la carence en équipements de protection individuels a-t-elle influencé notre doctrine de gestion de la crise ?
M. Arnaud Bazin. - À vous écouter, dans certains territoires, le dialogue entre les différents professionnels de santé a été difficile, tandis que, dans d'autres, les choses se sont beaucoup mieux passées. Dès lors que la gravité de la situation l'imposait, les professionnels de santé, qu'ils exercent en hôpital public, en hôpital privé ou en cabinet de ville se sont parlé, ont mis en place des protocoles, se sont mobilisés, affranchis de toute contrainte budgétaire et, pour certains, de toute rigidité administrative. Très vite, ils ont apporté des réponses pour faire face à la situation.
Ce qui m'étonne, c'est qu'il ait fallu attendre que les malades affluent dans les services et que ceux-ci soient engorgés pour que ces réponses soient mises en place, alors que, depuis plusieurs semaines, nous avions l'exemple de l'Italie, pays frontalier tout à fait comparable au nôtre, où les événements ont pris un tour dramatique. Partagez-vous mon sentiment ? C'est en tout cas ce que l'on peut en conclure d'après les faits tels qu'ils ont été relatés par les médias. Mais peut-être votre approche est-elle différente.
En outre, comment expliquez-vous cette espèce d'aboulie, cette incapacité à réagir préventivement face à la catastrophe annoncée ?
M. Alain Mercat. - Cette crise de la covid a donné lieu à une communication extrêmement large, pas seulement sur les réseaux sociaux, mais également dans les revues scientifiques - vous avez eu connaissance des différentes controverses -, au sein des sociétés savantes. La diffusion des informations concernant les bonnes pratiques en matière de soins ne constitue pas un problème. Celles-ci doivent donner lieu à la rédaction de procédures standardisées qui seront déclinées par territoire, par établissement. Ces procédures présentent un intérêt particulier notamment quand il faut mobiliser des médecins ou des infirmières qui ont peu l'habitude de ces situations et de ces patients.
Dans les Pays de la Loire, dès le début de la crise, nous avons mis en place une hotline ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tous les réanimateurs, notamment les anesthésistes réanimateurs affectés à un établissement où ils étaient venus rendre service, pouvaient poser des questions à un expert.
Les progrès en matière de soins sont très modestes. Tout au plus sait-on qu'il est possible d'administrer des corticostéroïdes aux patients sous ventilation.
Vous évoquiez le caractère « hospitalocentré » de la réponse initiale et l'incidence qu'aurait pu avoir l'absence d'équipements de protection individuels. Pendant quelques semaines, nous avons eu tendance à ne considérer que les patients les plus gravement atteints, qui nécessitaient d'être placés en réanimation, en oubliant quelque peu les patients moins gravement touchés, pour lesquels il aurait fallu prendre des mesures afin d'éviter toute contagion. Cependant, faute, à l'époque, de moyens de prélèvement massifs, c'était extrêmement compliqué.
Les infirmières libérales, par exemple, ont joué un rôle extrêmement important, notamment en milieu rural, pendant la période de confinement, pour assurer une présence auprès des personnes isolées. Elles ont d'ailleurs signalé, tous comme les personnes livrant des repas à domicile ou les travailleurs sociaux, de nombreux cas de patients présentant des symptômes.
Concernant l'Italie, nous avons surtout été frappés par le fait que les hôpitaux ont été débordés. En Lombardie, on comptait 7,5 lits de réanimation pour 100 000 habitants -chiffre identique à celui de la France -, mais 20 pendant la crise, avec quelquefois des créations ex nihilo dans des conditions compliquées. Si vous relisez les articles de presse publiés au tout début de la crise, peu d'entre eux étaient consacrés au système de santé italien ou aux mesures d'isolement, qui ont été prises très tardivement dans ce pays. Et ce n'est qu'avec l'apparition des premiers cas dans le Grand-Est que l'on a réalisé que se reproduisait la situation italienne.
Effectivement, au départ, cette crise a représenté un défi pour le système hospitalier et on a perdu un peu de temps. Nous disposons désormais d'autres moyens, mais nous sommes également soumis à d'autres contraintes. J'y insiste : en cas de seconde vague, il faudra veiller à soigner correctement les patients non covid. Certains malades dont l'opération a été déprogrammée en février n'ont pas encore été opérés.
En cas de seconde vague, je suis convaincu que la réponse serait assez significativement différente.
M. Bernard Llagonne. - Comme je l'ai dit, dans mon établissement exercent deux anesthésistes italiens, qui nous avaient alertés sur la situation dans leur pays. Auparavant, nous avions eu l'expérience chinoise.
Pour autant, le 3 mars, lors de la réunion de ma communauté professionnelle territoriale de santé, personne ne portait de masque ! Un cas de covid a été signalé quelques semaines plus tard. Oui, je n'ai pas été vigilant du tout. Heureusement, on a pu dresser la liste de tous les participants à cette réunion.
Je vous rappelle quand même que, à Paris, depuis vingt ou trente ans, tous les Chinois portent un masque, contrairement aux « Gaulois ». On est en train de découvrir les choses.
M. Serge Smadja. - Oui, la gestion a été « hospitalocentrée » dans la mesure où cette maladie ne présente pas de signes de gravité dans 95 % à 98 % des cas.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie, messieurs, de ces propos fort instructifs. Bon courage pour la suite, parce qu'il y en aura obligatoirement une. Mais pas nécessairement une seconde vague.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 heures.
Mercredi 29 juillet 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition commune de M. François Baroin, maire de Troyes et président de l'Association des maires de France, M. Frédéric Bierry, président du département du Bas-Rhin et président de la commission « affaires sociales et solidarité » de l'Association des départements de France, et Mme Anne Hidalgo, maire de Paris
M. Alain Milon, président. - Nous clôturons nos travaux, poursuivis tout au long de ce mois de juillet, sur les aspects territoriaux de la gestion de la crise sanitaire en entendant ce matin M. François Baroin, qui est maire de Troyes et président de l'Association des maires de France (AMF), M. Frédéric Bierry, président du département du Bas-Rhin et président de la commission « affaires sociales et solidarité » de l'Association des départements de France (AMF), et Mme Anne Hidalgo, maire de Paris.
Ils nous feront part de leur retour d'expérience sur cette crise et, pour l'AMF et l'ADF, des retours qu'ont pu faire les différentes collectivités qu'elles représentent. Que faudrait-il faire différemment en cas de nouvelle pandémie ?
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Baroin, M. Frédéric Bierry et Mme Anne Hidalgo prêtent serment.
Mme Anne Hidalgo, maire de Paris. - La crise du coronavirus a bouleversé nos vies. Nous nous sommes, en tant que société, en tant que pays, rendu compte à quel point notre équilibre est fragile et combien, dans de tels moments, la solidarité nous permet de tenir bon malgré les circonstances. J'ai vécu cette crise au plus près des Parisiennes et des Parisiens, et ce que j'ai vu pendant ces semaines me marquera à vie. Cette crise changera peut-être durablement notre manière de vivre. En tant que décideurs publics, elle nous impose aussi de changer nos manières de faire.
Face à une crise comme celle que nous avons traversée, et qui encore aujourd'hui est loin d'être terminée, il nous faut faire preuve d'humilité, de modestie, tant ce qui s'est passé était hors normes. À l'évidence, il faut réagir le plus vite possible, de la façon la plus adaptée au contexte local, et il faut faire coopérer deux échelles de décision et deux impératifs qui, en apparence, peuvent être contradictoires, mais qui, de fait, se révèlent complémentaires : d'une part, un commandement centralisé à l'échelle de l'État pour la gestion d'une crise sanitaire majeure, qui a de surcroît une dimension nationale et internationale, et, d'autre part, la nécessité de donner aux collectivités territoriales, plus opérationnelles et plus au fait des réalités locales, la liberté d'agir, de prendre des initiatives, d'aller au-delà des contraintes administratives pour trouver des solutions concrètes.
C'est ce que nous avons fait. Je l'ai vécu avec mon adjointe en charge de la santé, Mme Anne Souyris, ici présente. Je l'ai vécu à plusieurs reprises lors de cette crise, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) parisiens. Et nous avons bien vu dans les hôpitaux publics qu'un cadre administratif strict freine parfois la flexibilité, la réactivité et la créativité nécessaires pour faire face à une situation comme celle-ci. Le dépassement de ce cadre doit être, pour l'action publique, une leçon à tirer de cette crise, même s'il doit se faire au sein d'une coopération fluide et transparente entre les différents échelons de décision.
La Ville de Paris a été totalement en phase avec l'unité de commandement regroupant le préfet de police et le préfet de zone, en lien avec l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France et, bien sûr, le préfet de région Île-de-France.
Nous avons assumé notre responsabilité à plusieurs reprises en agissant pour protéger, notamment les plus fragiles et, parfois, lorsque cela était nécessaire, en allant au-delà de doctrines nationales qui manifestement n'étaient pas toujours adaptées. Je pense bien sûr à la question des masques, mais aussi au dépistage systématique, notamment dans les Ehpad.
Dès la semaine du 23 mars, j'ai entrepris de faire évoluer la doctrine sur ces sujets. J'ai d'ailleurs plaidé régulièrement, dans les rendez-vous quotidiens que j'avais avec les autorités sanitaires et les représentants de l'État, pour une généralisation du dépistage et même pour le dépistage systématique, y compris des personnes non symptomatiques, en commençant par tous les Ehpad de Paris et d'Île-de-France.
Le 2 avril, j'ai demandé aux services de la ville d'engager directement, et sans attendre le feu vert des autorités nationales, une campagne de dépistage des personnels et des résidents des Ehpad, y compris asymptomatiques. J'ai pu mener cette campagne grâce au partenariat que nous avions tissé avec les laboratoires privés, qui nous ont fourni les tests PCR (Polymerase Chain Reaction) nous permettant de commencer. Ce n'est que le 6 avril que le ministre de la santé a annoncé à son tour une vaste opération de dépistage dans les Ehpad.
J'ai compris très vite que masques et tests étaient les deux éléments qui nous permettraient de reprendre une vie à peu près normale après le déconfinement. Dès le 29 mai, nous avons commencé à lancer des opérations partout dans Paris, accueillant jusqu'à plus de 1 000 personnes. Je pense à des dépistages systématiques et gratuits, à la fois par des tests PCR et sérologiques, par exemple sur le marché de Belleville ou dans des quartiers populaires où il y a peu de médecins traitants. Nous proposons désormais ce type de dépistage quotidiennement, notamment sur les deux sites de Paris-Plage. À la rentrée, nous recommencerons dans chaque arrondissement.
Nous avons pu agir concrètement sur les problèmes qui se posaient - parce que nous avions une expérience éprouvée de la gestion de crise -, en mobilisant les agents dévoués à leur mission de service public et tout l'écosystème parisien ; je pense aux réseaux associatifs, aux structures, aux relais que nous avons pu activer, dans des conditions très particulières, et qui nous ont permis d'avoir un levier d'action efficace, y compris dans la pire période du confinement.
En matière de gestion de crise, la ville a aussi une expérience particulière, puisque ces dix dernières années nous avons éprouvé des crises d'une intensité et d'une fréquence inégalées, ce qui nous a permis de tisser avec les autorités de l'État, à l'échelle du territoire, une relation de confiance précieuse en de telles circonstances. La confiance qui régnait entre nous et le préfet de police, le préfet de région, les autorités sanitaires, les sapeurs-pompiers, le SAMU, sans parler de tout le réseau associatif, nous a permis d'aller très vite et d'interagir avec beaucoup d'efficacité, dans le cadre d'échanges, je le redis, multiquotidiens et d'une grande fluidité.
Conformément à l'expérience que nous avions acquise au cours des crises précédentes, nous tenions une réunion de coordination tous les jours, autour de la préfecture de zone, avec l'ARS, le préfet, le rectorat, puisqu'un certain nombre d'écoles étaient demeurées ouvertes pour accueillir les enfants de soignants, et, plus généralement, tous ceux qui étaient en première ligne : j'avais demandé, là aussi en décalage avec la doctrine nationale, que l'on accueille les enfants des caissières, des employés de supermarché et des agents de la RATP, pour que nous puissions maintenir le niveau d'activité strictement nécessaire pendant le confinement. Les décisions prises lors de cette réunion étaient mises en oeuvre par la cellule de crise de la ville, qui se réunissait aussi quotidiennement, immédiatement à la suite de cette réunion. Il y avait donc une fluidité parfaite.
La ville a participé de manière très active et transparente à la coordination des actions, et elle s'est mise en capacité de présenter chaque jour un point complet des actions engagées et de toutes les situations signalées et connues par la collectivité. Nous tenons le recueil de tous ces documents à la disposition de votre commission d'enquête, qui y trouvera un compte rendu régulier, quotidien, de la situation et des actions entreprises.
Je pense à toutes les familles qui sont en deuil, ou qui ont encore des malades. Et je veux redire ici que les agents de la ville ont été, eux aussi, mobilisés comme jamais.
Les masques et les tests nous sont vite apparus comme des éléments-clés pour gérer la situation pendant le confinement et après le déconfinement. Or il y avait pénurie des uns comme des autres. Heureusement, la Ville de Paris avait renouvelé chaque année ses commandes de masques, et n'avait pas détruit ses stocks, que j'ai fait expertiser dès le premier jour du confinement par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), en lien direct avec M. Martin Hirsch. C'est ainsi que j'ai pu fournir dès le début du confinement, c'est-à-dire le 16 ou le 17 mars, 2,5 millions de masques directement à l'AP-HP. En effet, les masques que nous avions stockés depuis 2012 étaient encore utilisables. Dès la première semaine, j'ai aussi fait livrer 500 000 masques à tous les médecins et infirmiers, bref au secteur libéral de la ville, qui était démuni alors qu'il était en première ligne. J'ai également fourni des masques à toutes les associations humanitaires intervenant auprès des personnes sans domicile fixe et sur la question de la grande précarité. Pour votre information, nous avons livré 17 000 repas par jour pendant le confinement, grâce à l'appui des services de la ville, des bénévoles, y compris de nombreux bénévoles extérieurs à la ville - évidemment, nous avons fourni des masques à tous ces intervenants.
J'ai aussi décidé de fournir en masques tous les Ehpad du territoire parisien dès la première semaine du confinement, pour équiper tous les personnels de ces établissements, y compris ceux qui ne sont pas gérés directement par la Ville de Paris. Nous avons coopéré avec les pharmacies pour déployer du gel hydroalcoolique, en nous appuyant sur l'initiative d'un pharmacien du sixième arrondissement, qui avait installé un centre de fabrication en plein Paris ! Grâce à lui, nous avons pu distribuer du gel et faire en sorte que, dès le début du déconfinement, il y ait du gel hydroalcoolique à disposition sur le mobilier urbain - en coopération avec la société Decaux, notamment.
Nous avons développé des campagnes massives de dépistage, en nous appuyant d'abord sur nos propres agents. Étant une grosse collectivité, la Ville de Paris a la chance d'avoir parmi ses employés des médecins et des infirmiers : tous sont venus prêter main-forte pour les opérations de dépistage.
Nous tirons aussi des leçons de cette crise pour notre propre organisation. J'ai pris la décision de créer une direction de la santé publique et de l'environnement, en étroite collaboration avec l'AP-HP et l'ensemble des acteurs territoriaux parisiens. Nous avons vu, en effet, que la coopération entre ville et hôpital a été vraiment intéressante. Malgré quelques difficultés au début, elle a bien fonctionné. Cette direction de la santé publique et de l'environnement permettra de la renforcer. J'ai décidé aussi la déconcentration totale de tous les services de la ville et la fusion du Centre d'action sociale de la Ville de Paris (CASVP) et de la Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASES), pour accroître la fluidité. J'ai décidé de donner aux maires d'arrondissement la possibilité de visiter les Ehpad de la ville et de faire des points réguliers avec les directions des Ehpad présents dans leur arrondissement. Comme les Ehpad relèvent du département, les maires n'avaient pas de facilités pour le faire. J'ai décidé la création d'une délégation d'adjoint au maire chargé de la résilience, notamment du suivi des équipements et des produits permettant de garantir la sécurité sanitaire en cas de crise sanitaire ou autre.
En ce qui concerne la relation avec l'État, nous voyons que le niveau territorial a plutôt bien fonctionné, de manière fluide et respectueuse des acteurs. Cela m'amène à penser que le niveau central doit être beaucoup plus fortement déconcentré et, en même temps, à espérer qu'une nouvelle étape de décentralisation puisse être engagée, afin de s'appuyer sur l'agilité des territoires qui, dans la gestion de ce type de crise, ont démontré qu'ils étaient sans doute les mieux à même de répondre aux attentes et aux besoins de leurs habitants.
M. François Baroin, maire de Troyes et président de l'Association des maires de France (AMF). - Merci de m'avoir invité à participer à vos travaux. C'est l'occasion, pour l'AMF, de mettre en lumière le rôle et la place des collectivités, en particulier des maires, aux côtés de l'État dans cette crise qui fut, comme l'a dit très justement Mme Anne Hidalgo, hors norme, sans référence, pour laquelle nous n'avions pas de repères autres que notre volonté permanente, en tout temps, tout lieu, toute circonstance, d'être aux côtés de nos populations, pour les protéger, les rassurer, les accompagner.
Je partage tous les points qui ont été évoqués par Anne Hidalgo, en soulignant toutefois la singularité parisienne : le cadre général d'un statut, celui d'une ville-département, un lien très particulier avec l'AP-HP et une relation singulière, liée aux problématiques d'ordre public, avec la Préfecture de police de Paris.
S'il y a une singularité parisienne, il y a aussi beaucoup de points communs dans la manière dont nous avons été amenés, au jour le jour, à nous adapter, à nous associer, à être à l'écoute avec, à chaque minute, la claire conscience que cette crise est d'abord et profondément humaine. Elle est d'abord et profondément psychologique : elle réside d'abord et profondément dans l'état de sidération de nos populations, dans la peur, qui continue aujourd'hui encore à irriguer de manière très préoccupante nos territoires. Les conséquences de la sortie du confinement, y compris sur le plan psychologique, individuel ou collectif, doivent être au coeur de la réflexion sur une nouvelle organisation, pour mieux prendre en compte les problèmes qui se sont posés.
Je rappelle quelques principes simples. Tout d'abord, en matière de santé publique, les maires et les présidents d'intercommunalités n'ont pas de compétence. La santé est une mission régalienne, exercée sous l'autorité de l'État et, si les maires sont présidents de conseils de surveillance des hôpitaux, ils sont en général plutôt sur la cheminée, comme une horloge ! Je ne dis pas que c'est inutile - quelqu'un passe la poussière en début de semaine... Mais la responsabilité de l'organisation des voies et moyens pour avoir un hôpital efficace n'appartient pas au maire. Elle relève du directeur général, qui agit sous le contrôle de l'ARS, déclinaison régionale et territoriale du ministère de la santé.
Cette crise est venue de l'extérieur. Lorsque nous l'avons vue se développer en Chine, puis en Italie, un certain nombre d'élus ont commencé à anticiper les problèmes qui pouvaient se poser assez rapidement, notamment celui des masques.
La tension observée sur les masques a été le premier sujet de préoccupation des maires. Comment protéger nos populations ? Quels types de population devions-nous protéger ? Quels étaient les publics prioritaires ? La doctrine de l'État a été assez variable, évolutive, avec des crêtes et des creux, comme on dit pudiquement. Mais, pour être clair, on a habillé de mensonges une pénurie ! Et nous nous sommes retrouvés, les uns et les autres, dans nos territoires et nos départements, dans une situation d'extrême tension.
La priorité a été de servir la médecine de ville. Le ministère de la santé connaît incontestablement une hypertrophie hospitalière, qui s'est manifestée de manière spectaculaire à travers cette crise, comme d'ailleurs dans l'organisation du Ségur, auquel les collectivités locales ont été associées lors d'une première réunion. Pour des départements moyens, comptant 300 000 ou 400 000 habitants, l'hôpital est souvent le premier employeur, et le premier investisseur public. Il est fondamental dans l'équilibre, dans l'écosystème, dans le cadre général. Mais il n'est pas le seul à prodiguer des soins : 98 % des soins sont prodigués par la médecine de ville !
Or, tous les masques ont été affectés par priorité à l'hôpital. Et toute la médecine de ville, le secteur médico-social, les aides-soignantes, les infirmières et les pharmaciens se sont trouvés dès le début du confinement dans une situation d'absolue pénurie de masques. La première attention des maires a été de s'assurer de la distribution des masques au public prioritaire sur le plan médical, pour protéger des populations qui, elles-mêmes, étaient peu à peu touchées par la covid-19.
Deuxième élément de réflexion : le confinement a été une décision de l'État, et non des élus. Les maires sont intervenus tout au long du confinement, sous l'empire de l'état d'urgence sanitaire, que personne n'a contesté et qui avait du reste été validé par la représentation nationale après avoir été décrété par l'État. Les pouvoirs de police propre du maire ont été rognés par ce cadre juridique hors norme, exorbitant du droit commun, et dans lequel nous n'avions pas tous les moyens traditionnels dont dispose un maire. Le meilleur exemple de cette situation est certainement l'arrêté pris par M. Philippe Laurent, maire de Sceaux, et rendant le port du masque obligatoire dans tout l'espace public. Cet arrêté a été retoqué par le Conseil d'État, qui a fixé sa doctrine en rappelant que l'État avait les pleins pouvoirs dans ce domaine. Il ne s'agit pas pour moi de discuter cet arrêt du Conseil d'État : je ne fais que rapporter le témoignage d'un maire parmi tant d'autres, de mon point de vue de président d'une association qui coordonne et qui a une vision globale.
Je ne formule ici ni reproches ni critiques, et je pense même, comme l'a dit Mme Anne Hidalgo, qu'il fut extraordinairement difficile de gouverner au milieu de cette crise inédite, en s'appuyant sur une connaissance scientifique très parcellaire et encore évolutive. Cela doit nous amener, avec beaucoup d'humilité et ce sens des responsabilités dont nous avons fait preuve tout au long de la crise, à regarder comment on peut améliorer le système, et non à critiquer le passé, ce qui serait assez vain. Les commissions idoines, les institutions et autorités compétentes, auront éventuellement à se prononcer sur le passé. Pour nous, nous formulons des constats sur ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné.
Lorsque le confinement s'est mis en place, la priorité, pour les maires, a été de se débrouiller pour trouver des masques. Dans un second temps, ils ont été confrontés à la problématique des tests. Ils ont observé avec intérêt ce qui se passait dans d'autres pays, notamment en Allemagne. Cela a amené beaucoup de régions à prendre l'initiative, ce que je salue : elles ont ainsi marqué leur existence, elles ont investi, elles ont pris des contacts internationaux... Cela a permis d'éviter une casse plus importante.
Au fil de ces deux mois de confinement, il est apparu avec évidence qu'il y avait un double pilotage, par le ministère de la santé et par le ministère de l'intérieur. Le ministère de la santé fonctionne en silos - je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que j'ai participé à des majorités ou à des gouvernements qui ont modifié la gouvernance hospitalière et l'organisation structurelle du ministère de la santé ! Il y a des personnes formidables dans ses services, ou dans les ARS, mais le ministère de la santé n'est pas le ministère de la logistique ni celui de la gestion de crise. Le ministère de la gestion de crise, pour les élus, pour les collectivités locales, c'est le ministère de l'intérieur, éventuellement le ministère de la défense, et probablement, en l'espèce, les deux. Or le ministère de l'Intérieur a été dans une double commande, mais en second rang. L'interlocuteur, pour les maires, était l'ARS. Mais les ARS sont de niveau régional et les ARS départementales avaient très peu de moyens et attendaient les consignes. Résultat, le temps de latence entre ce que demandait un maire et la retombée des informations était beaucoup trop important, dans le contexte d'une crise devant faire l'objet d'une gestion quotidienne.
La leçon que nous tirons est que, dans une crise de cette nature, il faut faire un choix. Nous aurions largement préféré que le ministère de l'intérieur soit celui qui gère cette crise. Nous aurions souhaité le rétablissement du Conseil national de sécurité civile, qui nous était familier et qui a été abandonné lors du mandat précédent. Nous aurions souhaité une intégration beaucoup plus importante des zones de défense et l'appui des militaires, puisque, au fond, c'était une guerre, d'abord et avant tout, de logistique, avec une pénurie de masques et la nécessité de faire assurer l'accompagnement de populations fragiles par les élus de proximité.
Cela aurait-il mieux fonctionné ? Il a été déclaré que c'était une guerre, probablement à juste titre. Une guerre se gagne par la logistique, et elle se gagne au dernier kilomètre. Or nous étions très loin, du côté de l'État, du dernier kilomètre. Si les maires ont occupé tant de terrain, c'est qu'ils étaient, eux, très près du coin de la rue ! Et ils ont eu la capacité, par des méthodes pragmatiques, de décider qu'un hôtel de ville, par exemple, devenait un centre logistique. C'est ce que j'ai fait à Troyes : j'ai décidé, au bout de quatre jours, de mettre en place à l'hôtel de ville un dispositif complet de logistique. J'ai eu l'accord tacite du préfet et de l'ARS, et je les en remercie.
Il faut dire que nous avons été favorisés, dans notre territoire, par la présence d'ouvrières du textile, ce qui explique mon masque - je ne le porte pas pour faire de la publicité à la marque qu'il arbore, mais en signe de remerciement pour toutes les ouvrières qui, dès le premier jour, sont retournées dans leurs usines, qui ont travaillé avec un courage extraordinaire, la peur au ventre, offrant 75 000 masques aux Troyens. Grâce à cet écosystème qui nous a favorisés, nous avons rapidement eu des masques chirurgicaux et des blouses, que nous avons stockés à l'hôtel de Ville et que nous avons distribués avec l'aide des agents techniques. Nous avons demandé l'appui, quelques jours plus tard, du cinquième régiment de dragons, dont la ville de Troyes est marraine, et je remercie les autorités concernées de leur accord tacite.
Cette organisation logistique a largement rassuré la population, ce qui était le premier objectif, et a permis de protéger les soignants, ce qui n'était pas moins important. Cela nous a mis en position, ensuite, de créer un dispositif d'accompagnement de la sortie progressive du confinement.
Pour résumer, le ministère de la santé fonctionne en silos, à l'échelle régionale, avec à tous les étages du personnel de grande qualité et de bonne volonté, mais qui n'était pas formé pour gérer cette problématique logistique. Nous devons tirer les leçons de cette crise, puisque votre commission d'enquête a vocation à connaître de la réalité des faits, pour ceux qui étaient aux responsabilités, et à éclairer l'opinion, ainsi que certainement la représentation nationale, sur les choix opérés pour la suite.
Les maires sont intervenus pendant toute la période préalable au déconfinement, mais pas pour le confinement, pour lequel ils n'ont pas été sollicités. Ils ont donc été non pas des acteurs du confinement, mais des agents de l'État au service d'une décision de l'État et de la déclinaison locale d'une politique de santé portée au niveau national, sous l'autorité de l'État. Je souhaite à ce propos rendre hommage à tous les agents territoriaux, qui ont été, sur tout le territoire français, au premier rang, avec beaucoup de courage et de force. Je pense aux agents de propreté, aux rippeurs, aux policiers municipaux, aux agents techniques qui ont été réquisitionnés ; je pense à tous ceux qui ont accompagné un certain nombre d'associations pour garantir l'alimentation des plus fragiles, à ceux qui travaillaient à domicile, pour organiser des systèmes d'accompagnement et de suivi par téléphone, ce qui nous a permis d'éviter le pire.
Pour autant, pas une seconde ne passe sans qu'un maire ne pense aux familles endeuillées. L'abondance des décès a été très douloureuse pour tout le monde. Dans le Grand Est, il n'y a pas une famille qui ne connaisse quelqu'un qui a perdu un proche. Les services funéraires organisés par la ville resteront comme des traces indélébiles dans la mémoire de l'histoire de ces familles. Nous avons en effet été contraints de fixer un cadre réglementaire tragique, limitant à dix le nombre des assistants, imposant des distances de sécurité, interdisant de dire au revoir à la personne décédée ou de se recueillir sur le corps, et même de l'observer à distance. Cela restera comme une expérience très singulière...
Néanmoins, nous avons répondu « présent » à tous les étages des responsabilités qui étaient les nôtres, et d'abord en tant qu'agents de l'État, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, au service d'une politique publique de santé hors norme.
Pour les masques, l'AMF a été un acteur parmi d'autres, mais un acteur rapide et véloce, puisque nous avons commandé près de 7 millions de masques à destination de 54 départements, pour plusieurs centaines de communes qui n'avaient les moyens ni d'avoir accès à des masques qui n'existaient pas ni de passer elles-mêmes les commandes, parce qu'elles ne connaissaient pas les structures, les fournisseurs et encore moins le cadre général de logistique. Nous avons donc été un prestataire au service des communes.
En ce qui concerne les tests et l'isolement, nous n'avions pas les mêmes moyens qu'à Paris dans toutes les communes de France ! Beaucoup de communes ont essayé de prendre l'initiative. Malheureusement, une pénurie de tests a été observée dans de très nombreuses régions, et même, ce qui est plus surprenant pour ceux qui, comme moi, ne sont pas issus du corps médical, une pénurie de réactifs. Il ne suffisait pas d'avoir des tests : on nous disait qu'il faudrait attendre les résultats pendant trois jours, faute de disposer de réactifs, qu'il fallait faire venir d'une autre région. Il a donc fallu organiser en urgence des dispositifs pour s'en procurer, et je rends hommage aux départements, qui ont créé un lien avec les laboratoires vétérinaires, dont la puissance est plus importante et grâce auxquels nous avons pu rattraper un peu de retard.
Les relations avec les ARS ont été très inégales. En Île-de-France, de l'avis général d'à peu près tous les élus, cela s'est relativement bien passé. Dans le Grand Est, l'appréciation est légèrement différente. Nous avons été interloqués d'apprendre que notre ARS gérait depuis Paris une partie de la crise, alors que nous avions le foyer épidémique le plus puissant en France. Et son directeur général n'a pas pu prendre l'avion présidentiel lorsqu'Emmanuel Macron s'est rendu à Strasbourg, parce qu'il y avait plus de place... Il était donc à Paris lorsque le chef de l'État est venu annoncer la mise en place de l'hôpital militaire ! Nous n'avons pas de mauvaises relations avec lui, mais cela interpelle. Et quelques jours plus tard, au coeur de la crise, alors que la problématique comptable et budgétaire était évoquée, il a insisté sur le fait que Nancy devrait atteindre les objectifs de réduction d'effectifs et de moyens affectés au centre hospitalier ! Bref, nous avons eu un sentiment d'éloignement, même si les représentants de l'État, les préfets, ont essayé de faire au mieux. La coordination générale a fait ressortir les ARS comme étant des éléments à part, éloignés du problème que nous vivions, à savoir protéger la médecine de ville et les populations en organisant des distributions de masques et des campagnes de tests.
Ce qui s'est passé dans les Ehpad est un immense sujet, qui relève davantage des départements, et je pense que votre commission d'enquête aura à connaître, dans le détail et précisément, jour après jour, des consignes qui ont été données, du cadre général et de la réalité de ce qui s'est passé.
En ce qui concerne les écoles, nous sommes intervenus clairement auprès du ministère de l'éducation nationale, pour le confinement et pour le déconfinement. Pour tout ce qui relève de la petite enfance, de l'accueil des enfants des personnels prioritaires et des protocoles sanitaires d'accueil, cela s'est passé aussi bien que possible. Et la continuité des services publics s'est organisée dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
Si nous n'avons pas été associés au confinement, nous avons été pleinement associés au déconfinement. Nous avons été des acteurs de l'écriture de ce qu'a proposé l'État. L'État a compris très rapidement - il faut lui rendre hommage sur ce point - que c'étaient les maires et les élus locaux qui seraient au premier rang. Nous avons eu de nombreux échanges avec M. Castex, qui nous sont permis de fixer, et d'une certaine manière d'imposer, la responsabilité du préfet de département, dont nous souhaitons qu'il se réapproprie l'autorité sur l'ensemble des administrations, des ARS aux recteurs. Cette déconcentration, indispensable, est l'une des leçons de la crise.
Dans l'organisation du déconfinement, la problématique majeure a été celle des écoles. Lors des débats sur le renforcement du cadre juridique, nous avons entendu des choses qui ne flattaient pas les oreilles, mais nous ont tout de même interpellés. L'éducation est nationale, elle n'est pas municipale. Lorsque l'État demande à un maire d'intervenir sur le temps de l'Éducation nationale, celui-ci peut le vivre comme une demande autoritaire d'une municipalisation de l'éducation nationale, avec une part de responsabilité qui ne peut pas être la sienne, puisque, justement, sa responsabilité n'intervient que dans le temps qui n'est pas celui de la diffusion du savoir et du programme de l'Éducation nationale. C'est cela qui a amené les maires à souhaiter que la représentation nationale renforce leur protection juridique, ce qui a été suffisamment bien fait pour nous amener jusqu'au 10 juillet, date de fin de l'état d'urgence sanitaire.
Enfin, avant que vous n'entriez dans le dur de la préparation de la loi de finances, pour être au rendez-vous de la relance de l'investissement public, je souhaite rappeler que ce dernier est porté, à hauteur de 70 %, par les collectivités locales.
M. Frédéric Bierry, président du département du Bas-Rhin et président de la commission « affaires sociales et solidarité » de l'Association des départements de France (AMF). - Je structurerai mon intervention en trois temps. Je ferai tout d'abord la chronologie de la crise, au regard de la situation particulière que l'Alsace a pu vivre pendant cette période, puis j'élargirai mon propos à l'engagement des départements de France, avant de tirer les leçons de la crise et de formuler quelques propositions.
En Alsace, nous avons vécu une situation sanitaire inédite, avec le cluster de Mulhouse, qui a eu ensuite un impact majeur sur le territoire. Sur une population de quelque 2 millions d'habitants, l'Alsace a enregistré près de 1 500 décès. Nous avons donc été meurtris. Quand on vous annonce chaque jour une dizaine de décès dans les Ehpad, c'est particulièrement difficile à vivre. Nous avons tous des connaissances qui sont décédées, à tous les âges de la vie. Pour ma part, deux de mes collaborateurs sont décédés de la covid, alors qu'ils avaient moins de 50 ans. Nous sortons tous avec une forte douleur de cette situation de crise particulière.
Nous nous sommes engagés dans la vie publique pour servir nos concitoyens et porter des dynamiques de territoire. Et nous nous sommes retrouvés propulsés, sans apprentissage, dans une action ayant pour but de sauver des vies. Il fallait être dans l'agilité et la réactivité. Au début du mois de mars, on nous a dit que c'était une grippe un peu plus sévère que d'habitude et que les personnes les plus touchées étaient les personnes âgées. Les présidents de département ayant la responsabilité des personnes vieillissantes, nous nous sommes tous sentis directement concernés.
D'emblée, au vu les premiers signes de l'épidémie à Mulhouse, j'ai déclaré qu'il fallait absolument prendre des mesures de confinement dans les Ehpad. C'était avant toute décision de l'État.
Lors des premières rencontres avec l'ARS, on nous disait qu'il fallait mettre en place dans les Ehpad les mêmes mesures que pour une grippe classique. Toutefois, il existe une grande différence entre une grippe classique et le covid. Dans le cas d'une grippe classique, la plupart des pensionnaires des Ehpad sont vaccinés et il n'y a pas de gens asymptomatiques. La situation justifiait donc une position différente. C'est ce que j'ai proposé d'emblée à l'ARS, et elle l'a accepté.
Dès le début du mois de mars, des mesures de confinement ont été décidées. L'organisation mise en place m'a permis d'être en lien tous les jours - j'insiste sur ce point - avec chaque Ehpad. Je connaissais donc au quotidien le nombre de personnes touchées ou soupçonnées d'être touchées, qu'il s'agisse des pensionnaires ou du personnel soignant.
Nous avons aussi très vite pris conscience que nous aurions des problèmes de personnel : nombre d'agents étaient touchés. Nous avons tout de suite mis en place des réserves. Plus de 400 sapeurs-pompiers du département sont intervenus en soutien. Nous avons aussi procédé au glissement des tâches pour faire du zonage. Idem pour les dérogations au temps de travail. Nous avons développé la télémédecine. D'emblée, très tôt, nous avons pris des mesures de confinement et d'accompagnement des équipes des Ehpad, ce qui a été fondamental. Si nous avions pu réaliser des tests immédiatement - nous les avons demandés dès le début du mois de mars - nous aurions pu réduire de moitié au moins les décès dans les Ehpad. Bien involontairement, les professionnels de santé symptomatiques ont contribué à communiquer la maladie, ce qui aurait pu être évité.
Quoi qu'il en soit, ces mesures fortes ont permis de limiter la casse : sur les 138 Ehpad du département du Bas-Rhin, un peu plus de 90 ont été touchés et certains ont pu éviter la crise.
Par ailleurs, nous avons été confrontés à un besoin criant en masques, en gel et en surblouses. Nous n'étions pas préparés du tout. Contrairement à la Ville de Paris, la plupart des départements n'avaient pas de stocks pour faire face à une crise importante. Nous avons donc fait feu de tout bois. Nous avons fait appel à société civile et aux entreprises, qui ont été un soutien majeur durant cette période.
Initialement, j'ai respecté le rôle de l'ARS. Je la prévenais lorsqu'une entreprise m'informait qu'elle avait des masques à nous donner. Un ou deux jours après, l'entreprise me rappelait pour me dire que personne n'était passé les chercher ! Je ne remets pas en cause l'engagement des personnes : l'ARS n'avait pas l'agilité nécessaire pour aller chercher les masques. Nous avons donc décidé de prendre en main la logistique, avec l'accord de l'ARS, qui nous a tout de suite soutenus. Le département du Bas-Rhin distribuait par semaine 250 000 masques à plus de 300 établissements : Ehpad, protection de l'enfance, établissements de handicap. En parallèle, en lien avec les maires et les présidents des intercommunalités, nous avons progressivement organisé une livraison de masques à la population.
Je salue, pour ce qui concerne le lien noué avec l'État durant cette crise, l'organisation d'une sphère publique territoriale portée par notre préfète, Mme Chevalier, qui a été d'une rare efficacité. Elle a fait preuve d'une écoute forte, dans le respect du rôle des collectivités locales. Le centre opérationnel départemental que nous avons conduit ensemble a montré toute sa pertinence.
Grâce à ce travail en commun, des indicateurs journaliers nous ont permis de réaliser une analyse et un tableau de bord adaptés à la situation. Parmi les propositions que je formulerai tout à l'heure, il me semble cohérent que le préfet ait un rôle de contrôle sur l'ARS ou de soutien plus fort à cette dernière, afin de permettre une action plus concrète, efficace et globale.
Nous sommes devenus une plateforme de distribution de masques. Les hôtels du département sont aujourd'hui des lieux de logistique, dans les couloirs desquels on trouve des centaines de milliers de masques. Nous avons aussi oeuvré rapidement pour organiser une filière de production. Un pôle textile Alsace s'est constitué, que nous avons accompagné. Nous avons acheté plusieurs millions de masques, ce qui a permis aux entreprises de faire évoluer leur outil de production et de passer de quelques dizaines de milliers de masques produits par semaine à près de 1 million. Cela permet non seulement de couvrir le territoire alsacien, mais également les territoires limitrophes. C'est grâce à la commande publique que l'outil de production a pu être transformé.
Nous avons ainsi distribué deux masques lavables par habitant. Le déconfinement ne devait pas être possible tant que tous les Alsaciens n'étaient pas couverts en masque : c'était à mes yeux un prérequis.
Nous avons établi en parallèle un plan de continuité des activités qui étaient nécessaires : 90 % des agents se sont retrouvés en télétravail, mais nous avons été très attentifs à rester aux côtés des personnes les plus fragiles. Nous avons mis en place des aides d'urgence : soutien aux associations caritatives, renfort de la protection maternelle et infantile, lien avec les assistantes maternelles et les assistantes familiales. Cela vaut non seulement pour le département du Bas-Rhin, mais aussi pour l'ensemble des départements.
Notre enjeu était de faire aller la chaîne de solidarité jusque chez l'habitant. Nous avons mis en place un partenariat très fort avec les communes et les acteurs associatifs ; il convient également de saluer l'engagement des entreprises. Nous avons néanmoins rencontré un écueil : nous n'avions pas le droit de communiquer aux maires les noms des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), du revenu de solidarité active (RSA) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH). On a fini par obtenir cette permission, mais bien avant cette autorisation et au vu de l'urgence, j'ai décidé de passer outre cet interdit.
Notre engagement a été fort auprès des établissements scolaires : distribution de tablettes, mise en place d'une aide aux devoirs dans certains départements, accueil des enfants des personnels prioritaires dans les collèges, mise en place de plateformes téléphoniques.
Nous avons également mis en oeuvre des solutions hébergement en hôtel en cas de violences familiales exacerbées par le confinement.
Comme je l'ai souligné, si nous avions fait du dépistage plus tôt, nous aurions pu éviter des morts. Il a fallu beaucoup de temps pour obtenir l'autorisation de réaliser des tests. Or les 74 laboratoires des départements de France peuvent réaliser par jour 25 000 tests virologiques et 80 000 tests sérologiques. Nous avons enfin les autorisations pour les tests virologiques, mais toujours pas pour les tests sérologiques. C'est un vrai problème.
Sur le plan sanitaire, nous avons construit une capacité à protéger, à tester et à isoler. Nous sommes mieux armés pour affronter la crise si elle devait s'aggraver, comme de premiers signes inquiétants semblent l'indiquer.
Nous avons aussi travaillé sur la crise économique et sociale. Soutenir l'économie est un enjeu majeur. Pouvons-nous nous permettre, au vu de la situation économique, de perdre un partenaire ? Je pose cette question dans le cadre de la révision de la loi NOTRe. On parle beaucoup de la capacité d'agir des départements dans l'économie de proximité et de la souveraineté économique, mais la souveraineté économique aujourd'hui concerne la santé, l'alimentation, les mobilités, les énergies renouvelables, le bâtiment. À défaut d'avoir une telle souveraineté sur nos territoires, je crains que, à l'avenir, nous ne soyons en difficulté.
Quelles leçons devons-nous tirer de la crise ? Il existe un fossé entre les procédures technocratiques et administratives imposées et le cousu main attendu par nos concitoyens. C'est vrai dans cette période de crise, mais c'est vrai aussi dans le quotidien de l'action publique.
L'organisation centralisée de la santé est inadaptée dans ce type de situation, mais souvent aussi en termes de service public de santé attendu par nos concitoyens. Je constate également que le périmètre régional est trop grand. Ce n'est pas vrai partout, mais avec dix départements, c'est vrai chez nous. Certains présidents de département du Grand Est n'ont toujours pas pu rencontrer, au bout d'un an et demi, le président de l'ARS. Les délégations départementales de l'ARS n'ont aucun pouvoir. Elles ont été vidées de leur substance et on a rajouté à l'ARS centralisée des hauts fonctionnaires, qui ne sont pas capables de franchir le dernier kilomètre. Je ne remets pas en cause les capacités ni l'engagement des personnels ; il a été manifeste. Pour autant, se pose un problème concret : ils ne pourront pas prendre en charge le dernier kilomètre !
Les professionnels du soin dans le secteur médico-social et social ne sont pas suffisamment valorisés. Prendre soin de nos concitoyens et les accompagner sanitairement est un besoin primaire de chacun. Le Ségur de la santé répond partiellement à cette problématique, via une augmentation des salaires.
Quelles sont nos propositions au regard de ce constat ? Il faut redonner le pouvoir d'agir aux collectivités et à la sphère publique territoriale. Cela passe par le droit, par des moyens, mais aussi par la maîtrise de ces moyens financiers, pour agir en termes de gestion de la santé.
Le terme « Ségur » pour qualifier ce plan m'a beaucoup gêné : je l'ai personnellement appelé le plan « haute administration Ségur ». Pourquoi Ségur ? La santé doit se construire à partir des territoires et de la vie quotidienne de nos concitoyens. C'est sur le terrain que l'on doit penser le service public de la santé, au regard des besoins de chaque territoire. Dans cette perspective, les départements peuvent très bien jouer un rôle de chef de file, en lien avec le bloc local, pour mieux coordonner le sanitaire et le médico-social. Construire à partir des contrats locaux de santé une vraie stratégie autour de la santé est un enjeu majeur. Il faut également réduire le périmètre des ARS, pour garantir leur connaissance du territoire.
S'agissant des besoins en soins, il nous faut une capacité d'agilité, de décision, de réactivité à la bonne échelle. Que le préfet retrouve une autorité naturelle sur l'ARS me semble tout à fait opportun.
Dans nos réflexions territoriales, j'appelais de mes voeux, avant la crise, la mise en place de groupements hospitaliers transfrontaliers dans les territoires transfrontaliers. Si cela avait été fait, je vous assure que l'on aurait pu largement couvrir les besoins d'accueil des malades en situation d'urgence du Grand Est. Il faut donc travailler à l'échelle transfrontalière.
Le décloisonnement du médicosocial et du sanitaire me semble essentiel, et, lorsque vous examinerez la future loi autonomie, il vous faudra être attentifs à cet aspect des choses et éviter une approche séparée domicile-hébergement. Nous formulerons des propositions en ce sens.
Je conclurai sur la prise de conscience du coût du service public. La fiscalité doit retrouver son assise territoriale. Le consentement à l'impôt ne sera rétabli que si nos concitoyens peuvent faire le lien entre un service public rendu et le coût de ce service. Si nous n'y parvenons pas, alors cela ne vaut pas la peine de parler de décentralisation, de différenciation et de déconcentration, même si mêler ces trois aspects a du sens, à condition d'y mettre du contenu.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je remercie les intervenants de leurs propos liminaires.
Nous essayons ici de comprendre, pour améliorer la réponse de notre pays à une éventuelle future situation de même ordre. Depuis que nous avons entamé nos travaux, nous avons été avisés que, dès le mois de janvier, des alertes avaient été émises, ce dont nous n'avions pas connaissance. Ainsi, un directeur d'ARS nous a indiqué avoir organisé sa première réunion de crise vers le 20 janvier.
Entre le 20 janvier et le mois de mars, bien des choses ont été faites. Je salue d'ailleurs tous les acteurs qui se sont vraiment investis dans tous les domaines pour tenter d'apporter la meilleure réponse possible. Il faut regarder ce qui a bien fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné entre les différents acteurs, mais à partir du mois de mars, notre pays s'est mis en situation de lutter contre l'épidémie.
Le mois de février est un mois un peu étonnant, et j'aurais aimé avoir votre sentiment sur ce qui s'est passé au cours de ce mois. Tous les trois, vous nous avez expliqué - ce constat est largement partagé - que la répartition des responsabilités entre les acteurs pourrait être améliorée. Anne Hidalgo a dit plusieurs fois qu'il fallait dépasser le cadre ou qu'il fallait accorder de nouvelles libertés aux collectivités territoriales. François Baroin a expliqué quant à lui que la répartition actuelle des responsabilités n'était pas optimale, y compris dans le pilotage de la réponse à une crise ce type.
Nous cherchons ce que pourrait être une meilleure organisation. Entre la tribune des présidents de région, qui nous expliquent que c'est à eux qu'il faut donner des compétences supplémentaires, les maires qui expliquent que, étant au plus près des populations, ils doivent être mieux reconnus - j'entends tout à fait ce discours -, les départements, qui revendiquent une certaine compétence sur la gestion de cette crise - d'ailleurs, le Premier ministre a fait le choix du niveau départemental -, et Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, qui, lors de son audition à l'Assemblée nationale, a livré une analyse très intéressante, expliquant que la santé devait redevenir un sujet régalien et que l'État devait s'en emparer bien plus qu'il ne le fait actuellement, on peut se demander quelle serait la bonne architecture, la répartition nouvelle des compétences en matière de santé.
J'en viens à ma dernière question. On voit bien parfois le caractère relatif de ces questions d'organisation. M. Bierry a ainsi souligné que, dans tel département, le préfet, qui, aux termes du code de la santé publique, est chargé de gérer ce type de crise, a bien travaillé avec l'ensemble de ses interlocuteurs, tandis que, dans tel autre département, il n'en a pas été de même.
Au fond, pour reprendre le constat d'une personnalité que nous avons auditionnée hier, la santé publique est-elle gouvernée dans notre pays ? Les différents acteurs institutionnels sont-ils formés à cette gouvernance ? La réponse qui a été apportée dans la région Grand Est n'a-t-elle pas été une réponse hospitalière dans un cadre de quasi-médecine de catastrophe ?
J'ai entendu citer les contrats locaux de santé, et l'on pourrait en citer d'autres : comportent-ils un plan de gestion des épidémies ? Quelle lecture faites-vous de la réponse qu'a apportée notre pays ? Était-ce vraiment une guerre, ou était-ce une crise de santé publique qui aurait nécessité que nous soyons culturellement et politiquement prêts pour l'affronter, comme d'autres pays l'étaient ?
M. Alain Milon, président. - Je reconnais bien là l'appétence intellectuelle de Bernard Jomier pour ce sujet. Dans vos réponses, vous n'êtes pas obligés de développer un programme présidentiel sur l'organisation de la santé !...
Mme Anne Hidalgo. - Je n'en avais pas l'intention !
Avant même le confinement, le premier événement auquel je suis confrontée à Paris en tant que maire, c'est le Nouvel An chinois, qui commence le samedi 25 janvier. Comme c'est la tradition, je rencontre, avec Jérôme Coumet, le maire du treizième arrondissement et toutes les associations présentes, qui sont en alerte totale. Elles nous disent qu'il faut annuler les festivités. Évidemment, nous n'avions aucune indication nous poussant à agir en ce sens, d'autant que le Nouvel An chinois dure plusieurs semaines, avec plusieurs grands défilés.
Mon cabinet prend tout de suite l'attache du ministère de la santé pour demander s'il existe des directives particulières. On nous dit que non. Les associations de ressortissants franco-chinois me disent néanmoins prendre la décision d'annuler et me demandent de les accompagner dans cette décision.
Jérôme Coumet et moi-même sommes pris totalement au dépourvu, mais nous décidons de les accompagner. À partir de ce moment, qui coïncide à peu près avec la diffusion des premières images du confinement à Wuhan, je confirme l'annulation des festivités - cela me vaut quelques remarques dans la presse sur le fait que je me mêlais de choses qui n'étaient pas de ma compétence -, décision qui vaut également pour le très grand défilé, censé avoir lieu quinze jours après dans les rues du treizième arrondissement.
Au regard des informations que nous rapportent les associations de Franco-Chinois à Paris, j'écris le 31 janvier à la ministre de la santé pour lui demander des consignes. Avec mon adjointe Anne Souyris et mon adjoint chargé des affaires scolaires Patrick Bloche, nous avons pris conscience des nombreux allers et retours de ces Franco-Chinois entre la Chine et le treizième arrondissement, d'autant que nous étions en période de vacances scolaires. C'est pourquoi j'ai proposé de mettre en place, sinon un confinement, du moins des mesures de quatorzaine de toutes les personnes revenant des zones infectées, avant qu'elles ne retrouvent le chemin de nos écoles.
Longtemps après, j'ai reçu une réponse allant dans ce sens, même si, dans un premier temps, les autorités de l'État m'ont dit que ce n'était pas nécessaire à ce stade, compte tenu des connaissances que l'on avait alors sur ce virus.
Pour autant, nous avons mis en place au début de février ce dispositif, aux termes duquel tout enfant qui revenait de Chine ou qui avait côtoyé quelqu'un revenant notamment de ce pays passait quatorze jours chez lui avant de revenir en classe.
Dès le 3 février, nous installions à l'hôtel de ville une cellule de veille, puis une cellule de crise, qui se réunissait quotidiennement. Chacune des directions établissait un rapport, tandis que nous associons les maires d'arrondissement pour suivre l'évolution de la situation. J'étais aussi quotidiennement en lien avec Martin Hirsch pour mesurer les capacités d'accueil des hôpitaux. En effet, nous nous inquiétions d'un possible manque de lits et de personnel.
Le mois de février n'aura donc pas été pour moi un mois de confinement, mais un mois d'hyperactivité, pour préparer, gérer et anticiper ce qui allait peut-être se passer.
J'ai pris également l'attache, par mes contacts internationaux, d'un certain nombre d'acteurs qui avaient une connaissance du terrain. Je me suis entretenue longuement avec Philippe Klein, médecin généraliste français qui a vécu toute l'épidémie à Wuhan. Il me dit alors très clairement que ce qui se passe dans cette ville risque de se passer chez nous, qu'il est essentiel de disposer de masques, de faire des tests et que l'on peut alors s'en sortir avec un confinement court de quinze jours.
Telles sont les informations dont je disposais avant le confinement et au moment où le confinement entre en vigueur.
J'ai échangé aussi beaucoup avec mes collègues étrangers. Je pense à mes collègues italiens - nous participons au même réseau de villes -, en particulier le maire de Milan ; je pense au maire de Séoul, qui vient malheureusement de décéder, qui a une expérience particulière dans la gestion de cette crise, d'autant que la Corée, qui a une autre culture et une autre approche que la nôtre, n'a pas eu recours au confinement, mais a utilisé de façon massive les masques et les tests.
Je me suis donc nourrie de ces situations, tout en me demandant - nous sommes en février - comment se traduirait un confinement dans une ville comme Paris, compte tenu de sa densité et de son niveau d'activité.
Faut-il revoir la copie en matière de gouvernance de la santé publique ? Oui, complètement. Heureusement, l'hôpital a tenu, grâce au personnel hospitalier, grâce à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se sont battus pour sauver des vies. Je leur dis évidemment mon admiration et ma reconnaissance.
L'autre versant, c'est la médecine de ville, ce sont les centres de santé. Et l'on s'est aperçu très vite que les personnes les plus vulnérables étaient bien sûr les plus âgées et les plus fragiles, mais que cette épidémie - c'est sa dimension sociale - frappait ceux qui vivaient dans des appartements trop petits et ceux qui n'avaient pas de médecin traitant. Dans des quartiers entiers de Paris, notamment dans le dix-neuvième arrondissement, une très large part de la population n'a pas de médecin traitant.
Nous avons essayé d'agir avec les acteurs locaux, en profitant de notre expérience, à laquelle Bernard Jomier a d'ailleurs beaucoup contribué lorsqu'il était adjoint à la santé. Anne Souyris, qui lui a succédé, a veillé à établir un lien permanent entre les populations, la médecine de ville, les infirmières libérales, les centres de santé et l'hôpital.
La leçon que je tire pour ce qui concerne la gouvernance, c'est qu'il faudrait créer une direction de la santé publique à Paris, en lien avec l'AP-HP, justement parce que je veux une structure qui ne soit pas sans lien avec l'hôpital, mais qui ne soit pas non plus dans l'hôpital, afin de ne pas se couper de tout ce qu'apporte un maire dans son travail auprès des populations et des autres acteurs.
Notre expérience dans la lutte contre le SIDA nous a servis. Notre stratégie « Paris sans SIDA » se fonde sur une approche communautaire, c'est-à-dire que nous nous intéressons aux populations cibles auxquelles il faut délivrer des messages différents selon leur nature. En adoptant cette stratégie avec les associations, avec la médecine de ville, avec des spécialistes, avec l'hôpital, avec les services sociaux de la ville, nous avons réussi pour la première fois l'année dernière à réduire de 16 % à Paris le nombre de contaminations par le SIDA chez les hommes ayant des rapports avec des hommes, ce qui n'était jamais arrivé. Forts de cette expérience, nous nous sommes dit qu'il fallait une direction de la santé publique déconcentrée, qui ne soit pas à l'échelle uniquement de la mairie de Paris.
Je ne sais pas s'il s'agit d'une guerre, mais, en tout cas, c'est dans la proximité que la gestion doit se faire. C'est en connaissant le terrain que l'on a justement cette capacité à apporter des réponses et à coordonner les acteurs, lesquels, partageant ce qu'ils ont vu, peuvent proposer des solutions évidentes.
Dans les Ehpad, on a bien vu que si l'on ne testait que les personnels symptomatiques, on n'allait pas s'en sortir, parce qu'une partie des contaminations étaient le fait de personnes asymptomatiques continuant à travailler. C'est pourquoi nous nous sommes battus pour que des tests soient réalisés sur ces personnes, afin de casser les chaînes de transmission de la maladie.
Il faut donc partager, dans la proximité, ce que l'on observe sur le territoire ; c'est possible, car les acteurs à l'échelle du territoire sont connectés entre eux. J'ai beaucoup appris notamment de la gestion des attentats de 2015 : il faut évidemment une unité de commandement ; il faut évidemment que le préfet, en l'occurrence à Paris le préfet de police, prenne la main de cette unité de commandement ; il faut évidemment que chacun travaille dans le respect des fonctions et des responsabilités des uns et des autres et dans la confiance.
Il est vrai que, pour nous, à Paris, le réflexe consistant à se mettre immédiatement en mode de gestion de crise, dans le respect des fonctions de chacun et dans l'écoute des uns et des autres, change la donne.
Il faut aller vers cette proximité, et l'on ne peut pas s'en tenir à une simple réorganisation de la gouvernance des grands hôpitaux ou du ministère de la santé, sans déconcentration, sans connexion avec les maires et les acteurs de chacun des territoires, dont les départements.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit : c'est nécessaire pour que nos concitoyens sachent ce qu'est le service public. Ce n'est pas uniquement en temps de crise que nous devons travailler ainsi ; c'est de façon quotidienne et permanente.
M. François Baroin. - Après les propos d'Anne Hidalgo sur le rôle et la place des soignants, je veux dire que l'on ne manquera jamais une occasion de leur rendre un hommage extraordinaire. Le 14 juillet, de nombreuses communes françaises ont pris l'initiative de prendre en photo des infirmières et des médecins et de les afficher dans les rues. Faute de feux d'artifice, la tonalité de fête nationale était moins présente, mais elle a été remplacée par une fête de reconnaissance nationale de nos soignants, qui, au front, ont été courageux, solidaires et remarquables. Je veux le dire d'entrée, puisque vous abordez cette question de la politique publique de santé.
J'indique également que je n'égrainerai pas un quelconque programme présidentiel ; je livrerai simplement quelques réflexions sur deux sujets complètement différents, qui sont le fruit de mon expérience en tant que président de conseil d'administration, président d'hôpital et maire depuis vingt-cinq ans - maire parmi d'autres, qui a beaucoup échangé au cours de cette crise, par exemple avec Anne Hidalgo. Même si la situation parisienne est différente, ce que cette dernière a mis en place dans sa ville a nourri notre réflexion sur la manière dont ces actions pouvaient être déclinées à l'échelle territoriale.
Le ministère de la santé produit des normes et gère des objectifs nationaux de dépenses d'assurance maladie. Une fois encore, je ne fais aucun procès aux personnes qui y travaillent ou qui oeuvrent dans les agences régionales de santé ; qu'elles soient biologistes, pharmaciens ou hauts fonctionnaires, elles sont au service de la santé publique, et ce n'est pas leur bonne volonté qui est en cause. Mais leur mission, c'est de produire des normes, de générer des flux administratifs et de gérer les contraintes budgétaires, plus ou moins dans le cadre de l'Ondam, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, qui est fixé chaque année par le Parlement. De fait, le ministère de la santé n'est pas un ministère de la logistique.
Pour répondre à la question du calendrier, globalement, les premières alertes sont venues d'Italie. Certes, tout le monde savait ce qui se passait en Chine, mais ce pays apparaissait comme assez lointain. La présence d'une diaspora chinoise à Paris a constitué un premier élément de compréhension pour les élus territoriaux, mais Paris, c'est assez loin aussi, pour beaucoup de communes. Cette distance et cet éloignement ont probablement donné le sentiment à certains qu'ils étaient protégés et préservés pour un certain temps encore.
La première réunion officielle a eu lieu le 27 février à Matignon, où le Premier ministre d'alors a réuni les forces politiques. Nous avons demandé que les associations d'élus soient associées à cette réunion, parce qu'il nous paraissait important de savoir ce qui allait se mettre en place.
Je rappelle que nous étions alors en campagne électorale et que le port du masque suscitait des débats contradictoires, tout comme les normes auxquelles il devait répondre.
Ensuite, nous avons mené de très nombreux échanges par vidéoconférence avec tous les ministres qui voulaient recueillir les points de vue des uns et des autres et transmettre des informations. Ont été abordées des questions aussi techniques et concrètes que la protection des zones de captage de l'eau potable, avec les risques liés à l'épandage, le soutien au bâtiment pendant la période de confinement qui arrivait et dont on percevait bien les conséquences économiques et sociales, la protection environnementale, la sécurité, les ordures ménagères - bref tout ce qui fait le quotidien d'un maire.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - L'épisode des Contamines-Monjoie s'est déroulé avant le 27 février, n'est-ce pas ?
M. François Baroin. - Sûrement bien avant ! Une fois encore, la santé est une responsabilité régalienne. Nous n'avions jamais été confrontés à une telle situation. Les actes terroristes barbares qui ont touché Paris ont donné lieu à la mise en place d'un mode de gestion de crise sous l'autorité conjointe du maire de Paris et du préfet de police. Pour le public, c'est l'État, et ce qu'a dit Anne Hidalgo correspond à ce qu'est l'état d'esprit de tous les maires de France.
En tant qu'élus, nous sommes pleinement conscients de notre qualité de représentant de l'État au service de l'État pour un certain nombre de nos missions. En temps de paix, tous les jours, nous sommes des agents de l'État, pour les actes d'état civil, la célébration des mariages, l'enregistrement des décès, etc. Bref, nous sommes vraiment les accompagnateurs de la vie quotidienne. En revanche, nous n'avons pas de responsabilités en matière de santé publique, ces questions relevant de la responsabilité de l'État, à qui nous faisons confiance, alors que, je le répète, nous n'avions jamais connu une épidémie de cette nature.
Nous faisions confiance le plus longtemps possible - je le dis franchement -, jusqu'à ce que nous constations ce problème avec les masques. Et c'est à ce moment-là que nous sommes intervenus pour dire, dans l'esprit de responsabilité qui est le nôtre, que cela ne marchait pas et que nous ne savions pas quoi faire.
La différence entre les villes tient aux mouvements de population que l'on y observe : dans certaines d'entre elles, les partages, les échanges et les déplacements sont plus nombreux, y compris avec l'étranger ; dans d'autres, moins densément peuplées que certaines zones urbaines et métropolitaines et a fortiori que Paris, la gestion du quotidien est de nature quelque peu différente.
Toujours est-il que nous sommes dans une logique de confiance avec le préfet et le directeur de l'agence régionale de santé, que nous connaissons plus ou moins. Nous faisons confiance à l'État, qui a la main sur la santé.
Après ce qui s'est passé, il va falloir prendre conscience que le statu quo n'est pas possible. Il faut une autre organisation des pouvoirs publics et il faut en tirer les conséquences en matière de santé.
Les maires de France ont fait part de leurs réflexions à la suite du drame qu'a été cette épidémie. Il faut changer le mode de gouvernance des hôpitaux : les maires souhaitent être à la tête d'un conseil d'administration, et non pas d'un conseil de gouvernance. Administrer, c'est gérer ; être dans la gouvernance, comme je l'ai dit, c'est être comme un aimable bibelot posé sur une cheminée. Ce n'est pas inutile, un bibelot, mais ce n'est pas être au coeur de la situation.
Les maires souhaitent donc être des acteurs du rapprochement entre le public et le privé. Il n'y a probablement qu'eux qui puissent le faire. Il est stupéfiant de constater que, dans certaines parties du territoire, des hôpitaux se trouvaient à la limite de la saturation, tandis que les lits de certaines cliniques privées restaient libres. Cette hypertrophie bureaucratique, technocratique et ultracentralisatrice n'est plus possible, de même que la logique selon laquelle la santé, c'est l'hôpital public, tandis que tout le reste, c'est pour faire de l'argent.
Ce que nous souhaitons tous, notamment les maires, c'est tout simplement que les gens soient soignés, même en l'absence de CHU. Avec l'évolution de la démographie médicale et la raréfaction du nombre de médecins dans nos territoires, compte tenu également du fait que les internes ne se fixent pas sur les territoires et que les gens du public et du privé ne se parlent pas, des tensions peuvent rapidement survenir en matière de santé. Or l'offre de soins est aujourd'hui un facteur d'attractivité d'un territoire.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle des communes créent des postes de maire adjoint à la santé. Cela ne relève pas de leur compétence à l'heure où nous parlons, mais c'est une préoccupation des citoyens, au même titre que la qualité des services publics de proximité, le développement de l'enseignement supérieur, l'amélioration des infrastructures, le soutien au développement économique, les investissements, la protection, la préservation et la création d'emplois. Pour avoir une bonne qualité de soins, il faut un rapprochement public- privé, mais on ne peut pas compter sur l'État pour le faire : on l'a vu encore avec le Ségur.
Je le dis franchement, je suis stupéfait par l'organisation du Ségur, dont l'appellation est à l'opposé de l'esprit de décentralisation. Très peu d'élus au-delà du périphérique, et même sans doute en deçà, savent ce que c'est que l'avenue de Ségur... La participation des élus se résume à un rendez-vous à distance avec leurs associations, et puis plus rien ! Les maires souhaitent au contraire un changement de gouvernance ; ils souhaitent être au coeur de la gouvernance et se faire des acteurs du rapprochement public-privé. Les contrats locaux de santé vont dans le bon sens ; il faut les généraliser. Les maires souhaitent même aller plus loin, en investissant. Ils le font, mais avec des véhicules juridiques qui ne sont pas suffisamment stabilisés.
Prenons l'exemple d'un centre hospitalier qui n'est pas un Centre hospitalier universitaire (CHU), mais qui reçoit des internes pour 3, 4 ou 6 mois. Comme leur séjour est plus court, on a plus de mal à les fixer : si le doyen de la faculté de médecine joue le jeu de la territorialisation régionale, cela fonctionne, mais s'il applique la dernière loi qui affecte en priorité les internes auprès des CHU et non pas dans les territoires, cela ne va pas - je suis désolé, je suis contribuable, et les contribuables ne paient pas des impôts pour former des médecins au service de quelques territoires ou d'un CHU, mais pour tout le monde. Nombre de communes ont ainsi investi avec les bailleurs sociaux pour rénover des logements des internes, alors que cela relève de la responsabilité de l'hôpital - mais ce n'est pas sa priorité, et il n'en a plus les moyens.
Certaines collectivités, dans un cadre légal incertain, ont investi dans des plateaux techniques ou des machines. Certains départements voudraient investir sur des machines à tests, mais nous avons un mal fou à trouver la solution juridique pour le faire. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que les collectivités participent à la revalorisation des salaires pour rendre les postes chez eux attractifs ? Bien des collectivités, considérant que la santé est une priorité, voudront consacrer des crédits à cet enjeu en investissement, pour aider l'hôpital à se développer et, pourquoi pas, en fonctionnement, avec les rémunérations.
Pour répondre à votre question sur le médico-social, je crois qu'il faut tout donner au département. Tout aurait été beaucoup plus simple et plus fluide si le conseil départemental avait eu l'autorité pleine et entière sur la totalité de la filière médico-sociale. Quant à la santé, vous ne trouverez pas un élu en France pour vous dire que l'État ne doit pas être compétent en cette matière. C'est une mission régalienne, et il n'est pas concevable une seconde que l'État ne soit pas le coordonnateur d'une politique publique de prévention et n'ait pas le dernier mot sur des décisions aussi lourdes qu'un confinement. On l'a bien vu, cela a nécessité un état d'urgence sanitaire que les parlementaires ont voté, avec un cadre exorbitant du droit commun - en clair, les pleins pouvoirs sanitaires donnés à l'exécutif.
Le confinement était bien entendu nécessaire chez nous, dans le Grand Est, en Île-de-France et dans le Nord. Mais c'est moins sûr au regard de la situation que connaissait la Nouvelle-Aquitaine ou la Bretagne jusqu'à une période récente. En Allemagne, ce sont les Länder qui ont le dernier mot en matière de santé, et leur politique a été plus appropriée à l'évolution de la maladie : une politique de tests beaucoup plus massive que la nôtre et une politique de protection liée aux barrières sanitaires beaucoup plus importante, mais aussi une organisation de la protection des populations plus souple. Je ne serais donc pas choqué qu'une partie de la question de la santé publique soit gérée par les régions dans une logique de proximité avec les maires et les intercommunalités. Cela se passerait sous l'autorité de l'État lorsqu'il s'agit de problématiques d'ordre public et à l'intérieur d'un cadre général de bonnes pratiques défini par l'État en lien avec l'OMS, qui dit ce qu'il faut faire et dans quel calendrier.
M. Frédéric Bierry. - Pour répondre à la première question, nous n'avions pas d'informations claires qui nous incitaient à mener une action particulière. C'est le cluster mulhousien qui m'a fait penser qu'il fallait faire quelque chose, d'abord pour protéger les aînés. Ce n'est qu'à partir du début du mois de mars que nous avons commencé à agir.
Quant à votre deuxième question, je crois qu'il faut ramener l'action publique à l'échelle humaine. Il est normal que l'État fixe un cap, des objectifs, que l'État soit stratège, garant d'une équité sanitaire sur le territoire, mais l'enjeu opérationnel et l'enjeu humain sont fondamentaux. Nous aimons bien, dans notre pays, répartir les compétences entre uns et les autres. Mais c'est dans une démarche globale que nous devons appréhender le besoin de services publics.
Au lieu de parler d'organisation, il faut parler de service public : comment organise-t-on un service public intégré et adapté aux besoins des habitants de chaque bassin de vie ? Pour répondre, à cette question, il n'y a pas de modèle unique. Il faut aller au-delà des organisations et des compétences : nos concitoyens attendent de nous le soin nécessaire à nos aînés, une offre hospitalière de proximité, une meilleure articulation entre le social, le médico- social et le sanitaire, notamment pour faire de la prévention. Je ne puis donc qu'abonder dans le sens du président Baroin quand il propose que le département soit le chef de file de l'action sociale, médico-sociale et sanitaire. Il faut aller au bout des précédents actes de décentralisation, qui sont restés dans ce domaine au milieu du gué.
En ce qui concerne l'enjeu sanitaire, nous aurons néanmoins besoin des communes en matière d'offre hospitalière. C'est un partenariat qui existe en Allemagne, où les villes, les Kreise et les Länder travaillent en bonne intelligence, ce qui a permis de réduire les coûts administratifs qui n'apportent aucune valeur ajoutée, mais au contraire pénalisent le quotidien des acteurs de la santé. C'est grâce à cela qu'il y a trois fois plus d'IRM pour 100 000 habitants en Allemagne qu'en France, qu'il n'y a pas eu de pénurie de respirateurs et qu'il y a eu beaucoup moins de problèmes d'accueil en urgence.
Si nous avions pu préparer une offre de santé transfrontalière, on aurait pu s'éviter beaucoup de problèmes. Nous avons d'ailleurs proposé à l'ancien Premier ministre que la future Collectivité européenne d'Alsace puisse bénéficier d'une délégation des compétences de l'ARS, qu'elle puisse montrer son savoir-faire. Si cela fonctionne, on pourrait étendre cette délégation, et sinon, revenir en arrière - c'est cela aussi la différenciation !
Il y a le service public de santé, mais il y a aussi l'économie de la santé. Cette épreuve nous a fait nous rendre compte que nous n'avions pas la capacité productive des médicaments nécessaires à nos concitoyens. Comme tout le monde, j'ai voulu acheter de la chloroquine. J'ai appelé Novartis : je croyais qu'il pourrait me fournir, l'espace rhénan, auquel nous appartenons, étant à l'origine de 40 % de la production pharmaceutique mondiale. Dans les faits, je me suis rendu compte que cela concernait le bout de la chaîne et qu'il manquait les fondamentaux pour avoir le médicament. Je suis un béotien en matière de santé, contrairement à certains d'entre vous. L'économie de la santé doit être un élément majeur à intégrer dans les politiques de santé.
Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Les questions de chronologie évoquées par Bernard Jomier sont majeures. Depuis le début du mois de mars, tout le monde a eu recours au système D pour essayer de répondre aux besoins - je voudrais à ce titre saluer l'action des départements et des maires. La semaine dernière, l'audition du maire de Crépy-en-Valois a montré combien cela avait été douloureux dans les territoires comme le vôtre, où l'impact de la pandémie, notamment la mortalité, a été très fort. La commission d'enquête aurait besoin de disposer de tous les échanges que vous avez pu avoir à partir du moment où l'on a su qu'il y avait des cas en Chine ou aux Contamines.
Le professeur Fontanet la semaine dernière se posait cette question : comment se fait-il que de tels événements aient lieu sur le territoire, avec des remontées de terrain - Jean Rottner nous a bien dit qu'il avait fait remonter les informations directement du Grand Est à l'Élysée - et que, en même temps, le 6 mars, on nous dise de sortir, d'aller au cinéma, au théâtre, au restaurant ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu de prise de conscience au niveau national, alors que, dès le 8 mars à 10 heures, le président portugais disait à ses concitoyens de rester chez eux ? Il y a quand même quelque chose qui s'est passé à ce moment-là que l'on aimerait bien comprendre. Ce que nous a dit le professeur Fontanet, c'est que, s'il y avait des cas isolés, cela ne signifiait pas pour les épidémiologistes que le virus circulait de façon très active. Nous y reviendrons à l'issue des dernières auditions et nous entendrons bien évidemment les pays étrangers, de l'Allemagne aux pays asiatiques, qui ont obtenu des résultats différents des nôtres.
Madame Hidalgo, vous avez évoqué l'idée d'une organisation autour de l'AP-HP, des médecins de ville et autres. Comment intégrez-vous les hôpitaux hors AP-HP, où un patient sur deux a été hospitalisé ? Concernant la disparition de la double tutelle, que vous avez évoquée, la présidente de l'Oise, que nous entendions la semaine dernière, n'est pas allée jusqu'à nous dire clairement que le département devait détenir la tutelle exclusive...
Monsieur Baroin, comment échangez-vous avec l'ensemble des maires en cette période où l'épidémie n'est pas terminée, avec des frémissements dans certains départements comme la Mayenne ou en Bretagne ? Passez-vous par les associations départementales ? Vous, communes, départements, Ville de Paris, vous sentez-vous prêt à faire face si jamais l'épidémie reprenait ? Disposeriez-vous de suffisamment d'équipements comme les tests, dont le manque a joué un rôle majeur dans le retard que nous avons pris au début de la crise ?
Mme Anne Hidalgo. - Le lien avec l'AP-HP est très important à Paris ; il est historique. Il est évidemment important que les élus de la ville et le principal hôpital public travaillent ensemble. L'idée n'est pas de mettre de côté tous les autres - médecine de ville, hôpitaux qui ne relèvent pas de l'AP-HP, cliniques -, qui sont évidemment des acteurs de santé extrêmement importants. Notre idée est de travailler en lien avec l'AP-HP à la création d'une direction de la santé publique ; cela lui permettrait de sortir d'une organisation qui, avec les regroupements hospitaliers, a éloigné la décision du terrain. Les patients d'un hôpital s'y rendent parce qu'il est près de chez eux, même s'il joue aussi un rôle de grande plateforme à l'échelle nationale, voire internationale. Il s'agit non pas de recréer des fractures, des barrières comme celles qui nous ont perturbés dans la gestion de cette crise, mais d'apporter de la proximité et de la déconcentration à partir des maires d'arrondissements, que je doterai, sans qu'il soit nécessaire de modifier la loi PML, de compétences dans ce domaine.
Sommes-nous prêts ? Évidemment, nous surveillons de près l'évolution des contaminations. À Paris, le taux de reproduction est aujourd'hui de 1,26 ; pour rappel, un taux de 1,5 vous fait basculer en zone orange. Les 20-40 ans sont les plus touchés. Il n'y a pas d'augmentation des hospitalisations, mais il y a une augmentation du nombre d'appels du SAMU vers les hôpitaux de 60 % dans les dernières semaines. Le nombre de cas, 1618, a augmenté de 64 % par rapport à la semaine précédente. Nous pourrions donc enclencher une action plus importante sur les masques et les tests, seules façons d'éviter un confinement et de poursuivre une vie économique, sociale et culturelle.
J'ajouterai juste un dernier mot : pendant toute cette période, je n'ai cessé d'entendre parler de doctrine : « Ce n'est pas la doctrine sur les masques », « Ce n'est pas la doctrine sur les tests ». Il m'est arrivé quotidiennement, lors des réunions avec les autorités de l'État, de dire : par définition, une doctrine n'a rien de divin ; si elle est inefficace et inadaptée, il suffit de décider collectivement d'en changer. Il faut interroger cette façon d'agir du ministère de la Santé, qui, malgré des gens très compétents et très performants, a laissé en permanence cette « doctrine » s'inviter dans nos réunions, où l'on nous répondait qu'il ne fallait pas donner de masques, même à nos agents mobilisés dans les plans de continuité d'activité... Je suis passé outre au bout d'un moment.
Même chose sur les tests : ce n'était pas la doctrine de tester des gens asymptomatiques. Je ne suis pas médecin, ce n'est pas mon champ de compétences, mais en examinant ce qui se passait, je me suis dit que si l'on empêche quelqu'un qui est positif au covid de rencontrer une personne fragile, cela coupe une chaîne de contamination... Sur ce genre de sujets, il faut évidemment une égalité de tous nos concitoyens sur tout le territoire, mais il faut éviter de prendre des décisions qui produisent plus de chaos qu'il n'y en a déjà.
M. Frédéric Bierry. - Il faudrait effectivement éviter la double habilitation qui constitue une lourdeur administrative, un temps perdu que l'on pourrait consacrer à l'humain. L'ADF a pris en assemblée générale une délibération pour porter l'attention à nos aînés auprès du Gouvernement, dans le cas de la future loi relative à l'autonomie.
Pendant la crise, j'ai pu interroger les services sanitaires de Taïwan, où il y a eu très peu de décès. Ayant souffert du SRAS, ils avaient bien analysé la manière d'éviter la propagation des virus et pratiquaient donc les masques et les tests. Je me suis tout simplement inspiré de leur travail. Avec l'ensemble des départements, nous souhaitons consacrer notre action aux masques, aux tests, au gel et aux capacités à isoler les personnes. Avec l'augmentation relative des cas aujourd'hui, j'ai décidé de tester à nouveau tous les Ehpad, en particulier ceux qui n'ont pas été touchés. Nous pourrions redéployer davantage de tests si nous constations que le covid se répand davantage.
M. François Baroin. - Les maires sont très attentifs. On ne peut pas dire qu'ils soient inquiets, mais ils sont préoccupés. Ils sont attentifs à ce qui se passe en Bretagne et en Mayenne. Dans les régions limitrophes de l'Île-de-France, c'est-à-dire la deuxième couronne du grand bassin parisien, une augmentation pourrait toucher des régions qui ont déjà été très touchées, du Nord et de la Picardie jusqu'au sud de l'Alsace, en franchissant Champagne-Ardenne et Lorraine. On pourrait penser que ces zones sont plus protégées, ayant été plus touchées, mais ce n'est pas garanti.
Nombre de maires mettent en place depuis une semaine des dispositifs de tests gratuits dans les quartiers au plus près des populations. Ce qui est impressionnant, c'est que la peur, qui était réelle au début, retrouve aujourd'hui un élan indiscutable : en témoigne le nombre de personnes qui acceptent par 30 degrés en fin de matinée d'être dans une file d'attente de 150 à 200 personnes à deux mètres de distance pour pouvoir être testées, parce qu'elles ont peur pour elles et pour les autres. Les tests seront fondamentaux au mois d'août et à la rentrée scolaire. Notre intime conviction est qu'il faut les généraliser beaucoup plus, sur tout le territoire et pendant tout l'été.
Objectivement, il y a une forme d'indécence à considérer qu'il y aurait un surstockage de masques. On a trop payé pour savoir ce que voulait dire ne pas avoir de stock ! Je ne suis pas sûr que toutes les communes puissent avoir des stocks pour dix semaines, mais je pense qu'elles ont toutes au moins pour quatre à cinq semaines de protection pour leurs agents et une partie des opérateurs qui dépendent du périmètre de la sphère municipale ou intercommunale. Il est aujourd'hui communément accepté que chaque Français possède son masque et peut en avoir d'autres, ce qui fait une grande différence entre une éventuelle deuxième vague et ce que nous avons vécu à l'occasion de la première. La question n'est plus l'accès, mais la gratuité, qui a la faveur de quelques élus. Il y a beaucoup de publics fragiles pour qui le prix n'est pas rien et qu'il faudra accompagner en cas de reprise. Le stockage du gel consomme beaucoup d'espace. Comme la production est plus facile, ou du moins existe en France, les maires peuvent partager et échanger. Ils veulent beaucoup plus de tests et se préparent à une deuxième vague.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure. - Dans votre propos liminaire, Madame Hidalgo, vous avez fait état d'une solidarité, d'une synergie avec les acteurs concernés, notamment l'État territorial. Mais je reviens sur un point qui a fait débat. Vous avez dit dans un média : « Quand je comprends que le Gouvernement ne rouvre pas les parcs et les jardins, je suis atterrée. Cette décision est d'une débilité inouïe. C'est la décision la plus bureaucratique et jacobine qui soit : les Parisiens s'entassent sur des bouts de trottoir et nos aînés n'ont nulle part où marcher. Je ne lâche pas le morceau, parce que cette décision, c'est de la maltraitance. »
Madame la maire, comment expliquer ce clash au milieu de la belle synergie que l'on ressent effectivement dans les auditions concernant l'Île-de-France ? Pourquoi cette décision qui a eu effectivement un impact majeur ? Vous avez parlé aussi de la question de la réouverture des écoles. Peut-être y a-t-il eu d'autres clashs ?
Mme Anne Hidalgo. - Il est vrai qu'il y a eu, à Paris et plus largement en Île-de-France, une coopération, une confiance, une entente entre les différents protagonistes : préfet de police, préfet de région, ARS, directeur général de l'AP-HP et moi-même. Même s'ils étaient soumis à une obligation de réserve, ils partageaient mon opinion sur les parcs et jardins, interdits aux Parisiens alors que ceux-ci, confinés dans des appartements très petits, avaient été exemplaires. J'avais pourtant proposé un protocole - port du masque, gel, jauge maximale pour éviter la surpopulation - que tout le monde semblait trouver pertinent et adapté.
C'était sans compter la fameuse doctrine : c'est comme cela qu'on distingue une zone rouge d'une zone non rouge, m'a-t-on répondu. Cela n'avait pourtant pas le même sens à Paris ou dans une région où les gens ont des jardins. J'ai cru, lors d'une vidéoconférence à laquelle participait François Baroin, que je réussirais à convaincre le Président de la République et les ministres. Quelle n'a pas été ma stupeur lorsque j'ai entendu le ministre de l'intérieur nous dire qu'il s'était rendu sur la pelouse des Invalides - où précisément il était impossible de contingenter le nombre de personnes ou de rendre le port du masque obligatoire, comme nous proposions de le faire - et que ce spectacle l'avait convaincu de refuser. Les bras m'en sont tombés. Je le redis ici : c'est la décision la plus débile et la plus bureaucratique que j'ai eue à connaître, et celle-ci, je n'ai pas pu la contourner.
M. Frédéric Bierry. - Pendant le déconfinement, l'État a fait semblant de territorialiser : cela n'a eu pour effet que de stigmatiser les zones rouges, sans réelle différenciation. Je l'avais dit à Édouard Philippe : faites confiance à la sphère publique territoriale à l'échelle départementale. Lorsque l'on parle de périmètres régionaux, il y a des endroits où c'est tout à fait cohérent, comme en Bretagne ou en Normandie, mais lorsque la région comporte dix départements comme le Grand Est, cela n'a plus de sens : la situation dans la Marne n'a rien à voir avec celle de l'Alsace. À l'époque, j'avais demandé huit jours de plus pour déconfiner, car, dans ce laps de temps, j'avais la possibilité de fournir des masques à tous les habitants, mais cela n'a pas du tout été pris en considération.
M. François Baroin. - Il y a eu beaucoup d'échanges, beaucoup de communications, beaucoup de vidéos, beaucoup de coups de fil : sur ce plan, on ne peut pas se plaindre. Même lorsque j'étais membre du Gouvernement, je n'ai pas parlé avec autant de ministres que pendant le confinement ! Mais cela n'a pas empêché un mur d'incompréhension. Ce n'est pas personnel, c'est culturel : la « doctrine » qu'évoque Anne Hidalgo est l'expression d'un État ultra-centralisé, malgré la bonne volonté des acteurs.
Le chef de l'État, le Premier ministre de l'époque, les membres du Gouvernement ont fait ce qu'ils pouvaient : ils ont eu à affronter une situation beaucoup plus difficile que tout ce que les gouvernements précédents ont eu à gérer, y compris sous Nicolas Sarkozy avec la crise financière. Je me suis battu comme président de l'AMF, Anne Hidalgo s'en souvient, pour demander que les hôtels de ville soient les centres logistiques où l'on aurait concentré les masques pour les affecter et en assurer la distribution ; nous avions les agents techniques que les ARS n'avaient pas, nous avions les moyens que les hôpitaux n'avaient pas, nous avions la possibilité de payer « au cul du camion », ce que l'État ne pouvait pas, nous avions la possibilité d'envoyer les agents à Vatry ou ailleurs. Tout ce dispositif, nous l'avons mis à la disposition de l'État, qui a refusé parce que « ce n'était pas la doctrine ». La bureaucratisation et la centralisation de l'État ont été l'une des causes des grandes difficultés que nous avons observées sur certains territoires.
Mme Michelle Meunier. - Je vous remercie de la clarté de vos propos. Vous avez parlé des Ehpad, mais trois quarts des personnes âgées de plus de 80 ans vivent à domicile, parfois très isolées ; cela a montré tout l'intérêt des centres communaux d'action sociale, qui sont devenus un peu plus visibles dans le secteur de l'aide sociale.
Le secteur de l'aide à domicile a été le grand oublié dans la distribution des équipements de protections, qu'il a attendus jusqu'à quatre, voire cinq semaines. Bien sûr, la débrouille, le dépannage et la solidarité ont fonctionné. Mais comment aurait-on pu améliorer cette distribution ?
Monsieur Baroin, vous avez parlé de rentrée scolaire. Je ne reviens pas sur la discontinuité des réponses faites aux familles d'enfants porteurs de handicaps. Février et mars sont habituellement des périodes de réorientation et d'orientation pour ces enfants auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Avez-vous des retours sur l'état d'avancement de ces dossiers en comparaison avec les années passées, compte tenu des incertitudes qui pèsent encore sur la rentrée scolaire ?
M. Roger Karoutchi. - D'audition en audition, nous cernons bien les problèmes. L'organisation optimale que vous préconisez nécessite une nouvelle loi de décentralisation. Mais, si la pandémie rebondit en octobre, nous n'aurons pas le temps de voter une telle loi. Vos interlocuteurs ont-ils changé leur manière de fonctionner ? Même sans nouveau texte législatif, peut-on espérer une meilleure organisation et plus de capacité d'action pour les maires ? Dans mon département des Hauts-de-Seine, ce sont les mairies qui ont fait le travail et, aujourd'hui, ce sont elles qui font des stocks comme elles le peuvent.
La pandémie reviendra, si l'on en croit Olivier Véran, qui a déclaré ce matin que nous n'en étions pas encore à la deuxième vague - pas encore ! Si la contamination touche essentiellement des jeunes, sommes-nous réellement sûrs de prendre toutes les mesures qui s'imposent ? J'entends ainsi le ministre du commerce extérieur annoncer la réouverture des foires et salons. Nous avons étendu les terrasses, et c'était nécessaire parce que nos restaurateurs sont sur la paille. Elles étaient censées respecter des règles, mais allez en inspecter une ou deux : il n'y a plus de distanciation, plus de masques, et les gens s'agglutinent. Finalement, à trop vouloir respirer pendant l'été et à considérer davantage l'économique que le sanitaire, ne prenons-nous pas le risque d'un rebond incontrôlé en septembre ou octobre ?
Mme Annie Guillemot. - Vous avez beaucoup parlé du préfet, de l'ARS, mais personne n'a parlé de l'agence Santé publique France. C'est récurrent dans toutes les auditions, et il faudrait en tirer les conséquences. Dans la région lyonnaise, l'ARS disait que les masques avaient été envoyés par Santé publique France, mais dans le Maine-et-Loire... Certes, nous avons tous eu ces problèmes, sauf à Paris. Vous avez parlé de la confiance vis-à-vis de nos concitoyens. Mais quand Philippe Laurent est attaqué par le préfet, cela ne la renforce pas.
J'ai été chargée d'une mission sur le logement et l'hébergement avec Dominique Estrosi-Sassone ; les acteurs de l'hébergement d'urgence ont été pris de sidération : ils n'avaient aucun masque, alors qu'ils sont missionnés par l'État, et ils ne pouvaient pas prendre en charge des gens dans leurs foyers. Je ne sais pas s'ils sont prêts à affronter une deuxième vague : ils auront sans doute des problèmes de recrutement. On ne peut pas laisser 100 personnes dans un même foyer, et cela relève des collectivités locales.
En ce qui concerne le logement, de la même façon que lorsqu'il y a beaucoup de neige, les agents des services publics qui habitent à 50 kilomètres ne peuvent pas venir travailler ; nous avons constaté un problème dans le logement des soignants, qui habitent souvent très loin. Il faudra réfléchir à résoudre ce problème de mobilité, et pas seulement de transport - je pense à toutes les femmes qui nous disaient qu'elles avaient très peur dans les transports en commun, parce qu'il n'y avait plus personne. Je veux bien que l'on indemnise d'Île-de-France mobilités pour la perte qu'elle a subi, mais il faut se souvenir que toutes les autorités organisatrices des mobilités (AOM) en ont subi : à Lyon, c'est près d'un milliard d'euros.
J'ai été maire de Bron, sur le territoire duquel se trouvent l'hôpital cardiologique, l'hôpital neurologique, l'hôpital femme-mère-enfant et l'école de santé - les établissements de santé représentent un tiers du territoire. Mais ce n'est plus le maire qui signe les permis de construire, et ce n'est plus lui non plus qui siège au conseil d'administration. J'ai lu qu'au Ségur, l'AMF n'a pas obtenu satisfaction. Pourquoi ? Si les maires ne sont pas impliqués de nouveau dans la gouvernance des hôpitaux, cela va poser des problèmes.
S'agissant de la confiance, des généralistes ont lancé hier un appel, parce que les malades qu'ils envoient se faire tester n'arrivent pas à l'être avant les autres. Comment voulez-vous que les Français aient confiance dans ces conditions ?
Mme Victoire Jasmin. - M. le président de l'AMF critique avec raison la centralisation excessive. Mayotte et la Guyane ont été confinées comme l'Hexagone. Pourtant, c'est après que l'on a vu le nombre de cas augmenter considérablement, empêchant par exemple le deuxième tour des élections municipales. Les sénateurs de ces deux territoires ont protesté récemment auprès du Gouvernement, parce qu'ils ne sont pas satisfaits de la façon dont leur point de vue est pris en compte.
Vous avez parlé de dichotomie concernant le commandement opérationnel. Ne serait-il pas opportun de saisir justement cette situation sanitaire difficile pour utiliser et même valoriser l'existant ? Nous avons déjà des plans de continuité d'activité ; ne devrions-nous pas les prendre en compte, ainsi que les contrats locaux de santé intercommunaux ? Tous les partenaires font partie des conférences de santé et des conférences de l'autonomie, mais ne travaillent pas forcément ensemble.
Mme Anne Hidalgo. - Concernant les personnes âgées vulnérables, pendant la période de confinement, nous avons puisé dans nos stocks de masques pour équiper celles et ceux qui devaient se rendre à leurs domiciles, notamment pour le portage de repas. Nous avons activé dès le début de la crise le dispositif Chalex, prévu pour les cas de canicule. Nombre de bénévoles, notamment des agents publics, sont venus aider le service de renseignement téléphonique 39 75, avec un renvoi vers les services pour appeler les personnes qui auraient montré ou parler d'une vulnérabilité. Nous avons aussi développé avec la protection civile une plateforme d'appel chargée de s'enquérir de la situation des personnes vulnérables isolées, qu'il s'agisse de personnes âgées ou de personnes en situation de handicap.
Concernant les grands hébergements collectifs, avec le préfet d'Île-de-France, Michel Cadot, et les associations, nous avons cherché à voir comment nous pouvions en sortir pour privilégier d'autres hébergements, y compris en hôtel. Cela n'a pas été facile, et il faut que nous approfondissions la question : un hébergement collectif peut se transformer en cluster. Les associations ont distribué quelque 17 000 repas par jour à des personnes qui étaient sans domicile, mais aussi à des familles ou à des retraités qui étaient en très grande difficulté financière. Nous avons aussi pu puiser dans nos stocks de masques pour leur en fournir. Les bénévoles des grandes associations humanitaires sont souvent des personnes âgées, donc fragiles ; ils ont dû chercher des jeunes, qui sont venus renforcer leurs actions.
Santé publique France n'était pas du tout dans mon viseur, donc je ne saurais pas vous en parler.
Mme Catherine Deroche, rapporteur. - Il faut lancer un avis de recherche !
Mme Anne Hidalgo. - Effectivement, monsieur Karoutchi, il faut se poser la question de la réforme de l'organisation de notre pays à très court terme, pour faire face à une éventuelle augmentation du nombre de cas avant la fin de l'été ou en septembre.
Nous devons clarifier deux points. La doctrine sur les masques n'est pas nette. Le recours contre la décision de Philippe Laurent est préoccupant. Les maires devraient pouvoir, en prenant certes l'avis des autorités sanitaires, mais en fonction de la situation de leur territoire, prendre une décision comme celle de rendre le port du masque obligatoire pour telle activité ou dans tel espace public. Malheureusement, on traîne encore cette idée que le masque ne servirait à rien. Quelqu'un m'a même dit : « Je suis fils de médecin, je peux vous dire que ça ne sert à rien ! ». J'ai répondu : « Je suis fille d'électricien et je pense que c'est utile. » En Asie, c'est le point de départ de toute politique de freins aux contaminations.
C'est la même chose pour les tests. Comme dans d'autres villes, nous avons décidé de mettre à disposition à Paris-Plage des tests PCR et sérologiques gratuits. Il y a des files d'attente tous les jours. Avant Paris-Plage, nous avions installé de grands barnums à plusieurs endroits, et cela a été un succès assez impressionnant. Le fait qu'il y ait plus besoin de prescription médicale nous permet désormais de mobiliser des gens que l'on ne pouvait pas mobiliser auparavant.
Comment vois-je la rentrée dans une ville comme Paris ? Sur chaque place du village de nos arrondissements, devant la mairie d'arrondissement, il y aura un barnum pendant une ou deux semaines d'affilée avec des tests gratuits pour toutes celles et ceux qui le voudront. Nous avons mis en place avec l'AP-HP et des médecins de ville un dispositif qui permet d'intervenir assez rapidement si un cluster est identifié, en proposant aux personnes de s'isoler. Mais aujourd'hui, maire de Paris, je n'arrive pas à obtenir l'information sur l'emplacement des clusters parisiens. Ce sont des données confidentielles !
À la rentrée, nous allons donc devoir travailler sur les masques, les tests et le partage des données, si nous ne voulons pas nous retrouver au point de départ, c'est-à-dire à la situation du début du confinement. Nos concitoyens ne le comprendraient pas et auraient raison de nous en vouloir. Il faut laisser les maires s'organiser : ce sont eux qui connaissent le mieux leur territoire.
M. Frédéric Bierry. - Mme Meunier a raison sur les réseaux d'aide à domicile : nous étions tellement obsédés par les Ehpad que nous les avons un peu oubliés au départ. J'ai été interpellé sur les réseaux, et nous leur avons aussi livré des masques toutes les semaines. Aujourd'hui, nous travaillons avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), pour revaloriser les métiers du maintien à domicile. Car, dans ce domaine, si l'offre n'est pas suffisante, nous prenons le risque de créer une embolie dans les Ehpad et les hôpitaux. Cela représente un coût. Surtout c'est dommage pour la vie quotidienne de nos aînés, qui, pour la plupart, veulent rester chez eux.
Nous voulons accompagner ces métiers dans la crise et les aider à se développer à l'avenir. Il me semble qu'ils n'ont pas été inclus dans la revalorisation décidée lors du Ségur, alors que ce serait nécessaire.
Je n'ai pas d'alerte particulière en ce qui concerne les MDPH et l'intégration scolaire des élèves. J'ai bon espoir que, territoire par territoire, les choses se feront correctement.
Monsieur Karoutchi, la confiance entre les collectivités et l'État est à géométrie variable. Il existe d'excellents préfets, avec lesquels on peut s'entendre très bien, comme c'est le cas avec la préfète du Bas-Rhin, avec qui je travaille remarquablement au quotidien et qui respecte le rôle de l'élu. Mais je constate, au regard des remontées que j'ai pu avoir d'autres départements, que cela n'est pas toujours le cas. Cela vaut aussi pour les liens avec les ARS.
Nous voulons aussi tirer parti des bonnes pratiques. Face à une situation sans précédent, beaucoup a été fait grâce aux chaînes de solidarité qui se sont mises en place entre les acteurs associatifs et économiques, les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Nous cherchons à faire remonter à l'ADF les bonnes pratiques, pour que celles-ci puissent essaimer. Nous ne devons pas perdre les chaînes de solidarité qui ont été développées pendant cette période.
Je suis un fervent partisan des contrats locaux de santé et, j'ajouterais, médico-sociaux et sociaux, car si l'on veut mener des actions de prévention sanitaire, il faut lier les trois dimensions. Ces contrats doivent se construire à partir des bassins de vie, et il faut les renforcer si l'on veut disposer d'un service public de santé efficace.
La France compte 1 200 agences d'État, qui coûtent 60 milliards d'euros à notre pays. Je constate que l'on pourrait supprimer Santé publique France : tout comme la maire de Paris, je n'en ai jamais entendu parler, si ce n'est au travers de chiffres qui concernaient mon territoire et qui ne semblaient pas tout à fait justes... En tout cas, je n'ai pas eu connaissance de leur travail sur le terrain.
En ce qui concerne le logement des soignants, des solutions ont été mises en place au cas par cas dans un certain nombre de départements, qui permettaient d'isoler les personnes. Il faudra les faire remonter au titre des bonnes pratiques. Si la pandémie reprend, notre capacité à isoler sera un enjeu. Dans nombre de départements, nous avons mené un travail avec l'État pour réserver des chambres d'hôtel, et cette procédure pourrait être développée. L'isolement a finalement été très peu développé pendant la crise ; si elle revient, il faudra y avoir recours davantage.
M. François Baroin. - Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit par M. Bierry sur les aides à domicile. Nous sommes dans la même logique. Cette question est liée à la problématique de l'hébergement, en cas de quatorzaine, si l'épidémie revient. Je suis surpris que les propositions émises par des entreprises comme Accor n'aient été saisies au vol que par Paris ou quelques métropoles, et non par l'État. C'est regrettable, mais il n'est pas trop tard : le système de la quatorzaine dans des hôtels disponibles, sans touristes, avec un accompagnement de la part des mairies, des centres communaux d'action sociale ou de l'État, pour fournir notamment l'alimentation de manière gratuite, est judicieux.
Dans la mesure où c'est l'État qui impose le confinement, il est normal que celui-ci prenne à sa charge la vie quotidienne de ces personnes pendant quatorze jours. Il est préférable de les héberger dans des hôtels, plutôt que dans des centres d'hébergement, qui sont affectés à d'autres missions, ou plutôt que de les laisser à domicile, dans une situation d'isolement qui peut se révéler compliquée. On peut faire preuve de finesse et s'adapter en fonction des catégories d'âges, avec une organisation territoriale définie ville par ville, dans le cadre d'un partenariat avec l'État pour assurer une prise en charge à parité. Ce serait une bonne politique.
Même s'il ne l'a pas dit clairement, M. Karoutchi a évoqué le vote d'une loi organique et d'une loi constitutionnelle...
M. Roger Karoutchi. - Je n'ai pas dit cela !
M. François Baroin. - Vous l'avez dit en filigrane ! J'ai lu récemment les travaux de la Haute Assemblée en faveur d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui distinguent clairement les dimensions qui relèvent des lois constitutionnelles, organiques ou ordinaires. Je tiens d'ailleurs à féliciter le Sénat de la qualité de ce travail, qui comporte d'excellentes idées, et j'en assure une promotion la plus large possible, à la mesure de mes modestes moyens.
Pour autant, je ne suis pas sûr que vous pourrez tenir ce calendrier au mois d'août, si l'épidémie revient à l'automne, d'autant que le renouvellement sénatorial aura lieu en septembre. Il semble difficile de prendre d'ici là tous les décrets d'application d'une éventuelle modification constitutionnelle...
Nous devons donc imaginer autre chose. On ne peut pas souhaiter le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, qui revient à donner les pleins pouvoirs au chef de l'État dans le domaine sanitaire et qui constitue une sorte d'article 16 bis, que la Constitution ne comporte pas. Si d'aventure ce choix devait être fait à nouveau par le Gouvernement, alors nous devrions écrire ensemble les ordonnances à la lumière de l'expérience que nous avons acquise, par exemple sur les centres logistiques, la distribution du gel hydroalcoolique, l'organisation de l'aide à domicile, les réquisitions des masques ou des autres dispositifs.
Comme c'est l'État qui prend la décision du confinement, il est normal qu'il prenne en charge tout cela, y compris les masques ! Le débat sur la prise en charge par l'État du coût des masques, à hauteur de 50 %, a été hallucinant. L'État ne les a pas distribués ; les collectivités l'ont fait à sa place. Il devrait plutôt nous remercier et nous payer deux fois plus ! Nous avons aussi dû nous battre pour avancer la date de la prise en charge, qui était initialement fixée au moment où le Premier ministre s'est exprimé devant l'Assemblée nationale, soit très tardivement. Comme toujours, les communes, qui ont été à la manoeuvre, créatives, agiles, véloces, disponibles, empathiques, efficaces, grâce à leurs services publics au service de leur population, se retrouvent pénalisées et ont à payer ce qu'elles ne devraient pas avoir à financer ! Nous devrons donc entrer dans les détails, y compris en matière de financement, pour ne pas mettre les collectivités territoriales en difficulté.
Vous m'avez demandé qui était cet inconnu qui se cache derrière le rideau et qui se nomme Santé publique France. Cet organisme a été créé par le Gouvernement précédent. Il rassemble plusieurs instituts, avec la mission, apparemment, d'assurer une veille épidémiologique. Toutefois, nous n'avons eu aucune nouvelle de cet organisme pendant la crise, et lorsque nous en avons eu, elles étaient très loin de la réalité du terrain ! Cette agence de 600 personnes constitue pour moi un Ovni. Il faut, en fait, la percevoir comme un opérateur du ministère de la santé. L'AMF n'a pas eu de contacts avec elle, mais j'ai compris, malgré tout, qu'elle était censée s'occuper, en partie, de la logistique... Ils n'ont pas été très visibles à cet égard.
Pourquoi les maires n'ont-ils pas été entendus ? Nous allons poursuivre notre combat ! Il y a, à l'évidence, un problème culturel : un État obèse, grevé d'une dette qui a encore augmenté de 20 %, affaibli dans les départements où ses effectifs ont fondu, a toujours l'ambition, vieille de trente ans, mais qui n'est plus d'actualité, d'être présent partout et de s'occuper de tout, alors qu'il est incapable de répondre à toute une série de nouvelles préoccupations, comme on le constate en matière de santé, de logement, de culture, de sport ou d'emploi. Voilà autant de sujets relatifs à une réorganisation des pouvoirs publics sur lesquels la représentation nationale aura à se prononcer.
M. Alain Milon, président. - Je le rappelle, Santé publique France est née de la fusion, décidée par la loi santé de 2016, de l'Institut national de veille sanitaire (INVS), de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) et de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes). Ces trois instituts fonctionnaient bien. La volonté était de mutualiser leur fonctionnement, mais, de fait, l'Eprus a disparu, alors que sa mission était justement de s'occuper, notamment, des masques.
M. François Baroin. - Pour répondre à la question posée tout à l'heure par Mme Jasmin, le premier voisin de la France, c'est le Brésil ; c'est avec ce pays que nous avons la plus longue frontière.
Or le Brésil est actuellement au coeur de l'épidémie. Cela montre bien les limites d'un confinement généralisé à la totalité du territoire : pour la gestion de l'outre-mer, une vision unilatérale aboutit à des caricatures ! En outre, il n'existait pas de problème de cadre juridique, les articles 73 et 74 de la Constitution permettant une différenciation et des adaptations dérogatoires au droit commun. Il aurait donc fallu anticiper : la Guyane se trouvant en Amérique du Sud, et compte tenu du caractère inefficace des politiques publiques portées par le Gouvernement brésilien, il était certain que ce territoire serait frappé très vite et que le calendrier de l'épidémie n'y serait pas le même qu'en métropole. Et c'est vrai aussi de Mayotte, où il faut également s'adapter, ce que la Constitution permet.
Madame Jasmin, votre rôle est précieux, et vos collègues présidents des associations départementales des maires ont été très actifs. Nous les avons associés tout au long de la période pour relayer leurs problèmes, qu'il s'agisse de la raréfaction de l'eau potable en Guadeloupe, de la concomitance des épidémies de dengue et de coronavirus dans certains territoires d'outre-mer ou de la situation singulière des départements de l'océan indien. Bref, vous disposez de relais puissants, que nous écoutons et que nous aidons à se faire entendre de l'État.
Mme Angèle Préville. - Monsieur Baroin, vous nous avez indiqué que les maires, comme les élus en général, n'avaient pas été sollicités pour le confinement. En attendant une loi qui permettra peut-être de les associer davantage à une telle décision, avez-vous fait remonter auprès de l'État leurs sollicitations sur ce sujet ? Avez-reçu de la part du Gouvernement des indications permettant de penser que, s'il y avait un nouveau confinement, vous seriez davantage écouté ? D'ailleurs, selon vous, faudrait-il associer plutôt les régions, les départements ou même les EPCI, pour être au plus près des citoyens ?
Monsieur Bierry, les Ehpad ont été à la peine, et c'était prévisible. Vous avez parlé de manque de masques, de gel et de surblouses. Combien de temps ces problèmes ont-ils perduré ? Ont-ils été vécus comme une fatalité, ou les personnels ont-ils bricolé pour constituer des protections individuelles ? En effet, les résidents d'Ehpad étant confinés, la contamination est entrée dans ces établissements par les agents qui y travaillaient. Enfin, vous avez mentionné la distribution de masques en tissu lavables, fabriqués par un pôle textile en Alsace. En combien de temps ce dispositif a-t-il été opérationnel ? Si d'aventure il nous fallait encore y recourir, combien de temps faudrait-il pour solliciter de nouveau ces ouvrières du textile ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Monsieur le président de l'Association des maires de France, j'ai été sensible à vos propos quand vous avez souligné que la crise avait d'abord été humaine et psychologique et qu'elle commandait de l'humilité, car on l'a parfois oublié.
Dans une audition à l'Assemblée nationale, Xavier Bertrand rappelait que le premier rôle d'un responsable politique était de prévoir le scénario du pire. Toutefois, je pense que c'est difficile pour un maire, qui est partagé entre le devoir de prévenir les populations et le souci de ne pas créer de psychose. Et s'il n'alerte pas assez, il peut se heurter à une population insuffisamment consciente des dangers qui la menacent au premier chef.
Quand j'entends Mme Hidalgo dire que, en tant que maire de Paris, elle n'a pas le droit de connaître les clusters qui concernent sa ville, les bras m'en tombent ! Et je pense que la plupart des membres de cette commission réagissent comme moi. Dans une crise de cette nature, qui, rappelons-le, est inédite et d'une ampleur inégalée, la première chose à faire est d'informer la population, sinon celle-ci sera inquiète et la crise risque d'être mal gérée.
Madame la maire, j'avais mille questions à vous poser, mais j'ai dû en sélectionner quelques-unes...
La première concerne vos relations avec vos homologues des capitales européennes. En effet, j'ai le sentiment que, s'il y a eu un retard à l'allumage dans la gestion de cette pandémie, c'est parce que la coordination internationale avait elle-même tardé. Or une telle coordination est évidemment essentielle pour réagir à l'échelon national.
Ensuite, quelle est votre appréciation sur la façon dont les arrondissements ont géré cette crise ? Vous avez dit les avoir associés de manière assez précise à partir du mois de février. Selon vous, ont-ils joué leur rôle à parts égales ? Il a beaucoup été question de décentralisation, et la machine parisienne est complexe ; pour vous, il était nécessaire de vous appuyer sur les maires d'arrondissement.
Vous avez évoqué la gestion de l'éventuel rebond de l'épidémie à partir de septembre ou octobre. Où en sont précisément les stocks de masques et les tests ?
Je terminerai par une question qui n'a rien de polémique ni de politique. Vous avez parlé des discussions que vous avez menées à propos de la célébration du Nouvel An chinois, le 25 janvier dernier, de premiers cas parisiens déclarés en janvier et d'un mois de février marqué par l'hyperactivité, avec la constitution de plusieurs cellules de crise et l'implication des maires d'arrondissement. Toutefois, le 12 mars, à quelques heures de l'allocution d'Emmanuel Macron, vous rassuriez les électeurs en leur disant dans un communiqué de presse qu'ils pourraient aller voter. Vous évoquiez les stylos et le gel hydroalcoolique, mais par définition pas les masques - comme nous n'en avions pas, le Gouvernement nous expliquait qu'il était inutile d'en porter. Vous-même, en tant que maire proche des préoccupations des Parisiens, étiez-vous convaincue que l'on ne prenait aucun risque en allant voter sans masque ?
Comme de nombreux élus autour de cette table, j'ai été beaucoup interrogée pendant le confinement sur le danger que représentait le premier tour des élections municipales. Certains journalistes posaient d'ailleurs des questions polémiques, et il fallait veiller à ne pas se laisser emporter dans des débats qui auraient peut-être été malsains. Reste que, indépendamment du scrutin lui-même, ont été organisées des réunions de préau, auxquelles vous aviez donné votre accord - j'ai rencontré des directrices d'école qui se plaignaient que les préaux n'aient pas été désinfectés ou qui avaient peur de faire prendre des risques pour les enfants, par exemple lors des centres d'été... En outre, même si cela vous concerne un peu moins, il y a eu des réunions post-électorales, pendant lesquelles il était difficile de dire aux gens de prendre leurs distances, parce que les uns avaient besoin de consolation tandis que les autres étaient dans l'euphorie de bons résultats. Et fallait-il qu'il y ait un second tour ?
Enfin, alors qu'il a beaucoup été question de l'accueil et de l'isolement des malades dans des hôtels de confinement à Paris, nous n'en entendons plus vraiment parler. Est-ce que cette option n'est désormais plus retenue ?
M. Alain Milon, président. - Pour ce qui concerne la diffusion des données de santé, je dois rappeler que la loi d'urgence sanitaire a levé la confidentialité, mais uniquement pour les établissements sociaux et médico-sociaux, les ARS et Santé publique France. Nous ne l'avons pas fait pour les mairies. Il nous reviendra peut-être de revenir sur cette loi, pour faire en sorte que les maires puissent être informés.
M. Martin Lévrier. - Mes questions seront complémentaires. Tout d'abord, je remarque, avec un léger sourire, que l'on parle beaucoup des masques, mais que la doctrine évolue ici aussi : alors que, hier, nous étions tous masqués, ce n'est plus le cas aujourd'hui !
Monsieur Baroin, selon vous, avec le recul dont nous disposons, fallait-il confiner plus tôt ? Et dans ce cas, quid des élections municipales ? On a parlé de confinement par zone. Mais si l'on avait pris une telle décision le 13 mars, aurait-il fallu reporter une partie des élections municipales, celles qui avaient lieu en zone confinée, et non les autres ? Comment aurions-nous fait ?
S'agissant des tests, ceux-ci ne servent qu'à détecter les porteurs du virus ; il faut, ensuite, isoler ces derniers. J'aurais aimé connaître votre regard sur l'isolement. Vous parlez beaucoup d'agilité, de décentralisation et de la nécessité d'accorder les moyens nécessaires aux collectivités ; comment envisagez-vous aujourd'hui cet isolement susceptible d'éviter un nouveau confinement ? Quelles sont les propositions que vous auriez pu faire ou que vous avez déjà faites et qui suivent leur cours ? En effet, ne rêvons pas : si l'on veut éviter un reconfinement en octobre ou en novembre, il faudra que soyons capables d'isoler. En la matière, attendre les instructions de l'État, c'est prendre des risques.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous remercie de cette audition très intéressante,...
M. Alain Milon, président. - Elles l'ont toutes été !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - ... qui permet de clarifier les choses. Le paysage se précise peu à peu. Cela a été souligné à plusieurs reprises par le rapporteur, nous sommes toujours confrontés au point aveugle du mois de février. Deux directeurs d'ARS nous ont dit avoir alerté le 25 janvier, et les maires et leur association ont fait au mieux en février. Or, vous l'avez dit, monsieur Baroin, la première réunion organisée à Matignon s'est tenue le 27 février... C'est un sujet qu'il faudra creuser.
Évidemment, se pose le problème de l'implication des collectivités territoriales, de leur coordination et de la nécessaire reconnaissance de leur rôle dans ce type de situation. Monsieur Baroin, vous avez souligné que, pendant la période de confinement, les maires n'étaient impliqués qu'en tant que représentants de l'État ; sans doute les choses ont-elles évolué ensuite, lors du déconfinement.
La question des changements de doctrine a été abordée à propos de plusieurs sujets, comme les parcs et jardins - je n'y reviendrai pas. Mais un n'a pas été évoqué : les écoles et les crèches. En la matière, avez-vous été associé ? Et si tel n'a pas été le cas, comment auriez-vous dû l'être ? En effet, dans ce domaine aussi nous avons constaté et même subi des évolutions de doctrine qui étaient difficiles à comprendre. Or notre souci à tous ici est de savoir, à la lumière de ce qui a fonctionné ou non hier, ce que nous devrons faire demain.
Mme Anne Hidalgo. - Madame Boulay-Espéronnier, oui, la coordination avec les capitales étrangères - non seulement européennes, mais aussi internationales, au travers du réseau du C40 - a été importante. Nous avons tenu plusieurs réunions, qui nous ont permis d'échanger, et nous continuons d'ailleurs de travailler sur la pandémie. Nous avons également discuté, notamment avec les maires africains, au sein de l'AIMF, l'Association internationale des maires francophones, que je préside, ce qui a permis d'apporter des moyens à un certain nombre de villes.
Les arrondissements ont tous très bien géré la crise, quelle que soit l'orientation politique de leurs maires, qui sont des élus de proximité. Comme tout le monde, ils étaient un peu désoeuvrés au début, puis ils ont recensé les publics fragiles, réfléchi aux actions à entreprendre et, surtout, répondu aux demandes qui arrivaient de partout, car tout le monde cherchait une solution ou un moyen d'action.
Les maires d'arrondissement ont assuré une gestion de proximité extrêmement importante. Mon équipe et moi-même avons fait quotidiennement le point avec eux. En outre, j'ai souhaité que tous les maires d'arrondissement soient présents à la réunion hebdomadaire que nous tenions avec les deux préfets et l'ARS, afin qu'il y ait un partage d'information. Enfin, dans la préparation du déconfinement, j'ai moi-même animé tous les jours une réunion avec eux, évidemment par visio-conférence.
Les maires d'arrondissement ont été présents. Ils m'ont indiqué qu'ils ne devaient pas être tenus à la porte des Ehpad parisiens, notamment ceux du CASVP, le centre d'action sociale de la Ville de Paris, en raison d'une doctrine de notre collectivité qui n'avait pas de sens. Ils ont été très présents pour ce qui concerne la fabrication ou la distribution des masques. Nombre de mairies d'arrondissements se sont transformées en lieux de fabrication de masques pendant toute la période du confinement ; très mobilisées, elles étaient des lieux ressources. Enfin, ils ont diffusé une partie de l'information vers les habitants, dans une démarche de proximité, ce qui a été très utile.
C'est ce qui m'a poussé aussi à considérer qu'il fallait mener un big bang territorial, au niveau non seulement de l'État, mais aussi de la Ville de Paris. En effet, nous souffrons nous aussi d'une organisation beaucoup trop centralisée, parce que l'administration parisienne s'est construite à partir d'une administration préfectorale, organisée en tuyaux d'orgue. Même si de nombreuses réformes ont été depuis une vingtaine d'années, il m'est apparu comme une évidence qu'il fallait aller plus loin : mener non pas une énième réforme, mais véritable un big bang territorial, et c'est ce que nous allons faire.
S'agissant des décisions prises le 12 mars, comme tous les autres maires, je n'ai pas été consultée, ce qui était d'ailleurs normal. Dès lors, quel était notre travail ? Faire en sorte que l'élection municipale, puisqu'elle était maintenue, se tienne dans les meilleures conditions possible. Pour cela, nous avons travaillé avec tous les maires d'arrondissement et les équipes de la ville, afin de diffuser les messages de prévention qui avaient été conçus au niveau national et que nous avions adaptés avec le préfet de la région Île-de-France. Je n'avais pas la compétence pour dire que le masque était obligatoire, dès lors qu'il ne l'était pas à l'échelle nationale ; en revanche, j'ai recommandé le port du masque pour les personnes symptomatiques ou fragiles, mis en place partout du gel hydroalcoolique, demandé aux Parisiens de venir avec leurs propres stylos, etc. Il me semble - de nombreuses études ont été réalisées sur ce sujet - que les conditions sanitaires du premier tour ont été bonnes ; à ma connaissance, les opérations de vote n'ont pas entraîné à Paris une progression de l'épidémie.
Fallait-il maintenir le second tour ? Je n'ai pas vraiment été consultée. Cependant, il me semble que, dès lors que l'on déconfinait la vie économique, il fallait en faire de même avec la démocratie. Par ailleurs, il paraissait nécessaire de relégitimer les équipes municipales, compte tenu des actions que celles-ci allaient devoir entreprendre par la suite, notamment pour faire face à la crise économique. Une possibilité était de conserver pendant plus d'un an des équipes qui avaient connu un premier tour - certains l'avaient emporté brillamment, comme le maire de Troyes, mais d'autres devaient affronter un second scrutin... Toutefois, il était difficile de vivre un aussi long entre-deux, alors même qu'il fallait engager de façon très importante nos collectivités, y compris sur le plan budgétaire, pour répondre à la fois à la crise sanitaire et à la crise économique.
Je pense donc que la décision d'organiser le second tour le 28 juin, avec les précautions qui ont été prises, a été une très bonne décision, en tout cas d'un point de vue démocratique et compte tenu de la nécessité de doter les communes d'équipes capables de les engager. Néanmoins, tout le monde a observé le niveau d'abstention, dont une grande part était liée à la peur de nos concitoyens, et cela nous laisse plus qu'interrogatifs. Il n'y avait pas de bonne solution, mais je pense que celle qui a été retenue était la moins mauvaise.
J'en viens à la question de l'accueil et de l'isolement. Avec le groupe Accor, l'AP-HP, la protection civile et nos propres équipes, nous avons mis en place le dispositif Covisan, qui vise à tester, puis à proposer des chambres d'hôtel aux personnes atteintes du Covid. Nous avons commencé par les quartiers populaires et par ceux qui sont adossés à un hôpital. Or, même si je n'ai plus le chiffre en tête, les chambres d'hôtel n'ont pas été très prisées. Nombre de nos concitoyens ont apprécié qu'on leur propose cette solution d'isolement, mais ont préféré rester à leur domicile. Nous avons alors mis en place, avec le centre d'action sociale de la Ville de Paris, un système de portage des repas, soit à domicile, soit à l'hôtel.
Cette question de la proposition d'isolement sera essentielle. La finalité des tests est en effet de casser les chaînes de contamination. Il faut offrir un hébergement et une prestation de portage de repas pour éviter que les gens atteints ne contaminent les membres de leur famille ou d'autres personnes lors de leurs déplacements. Il faut conjuguer les masques, les tests et l'isolement des personnes testées positives - avec leur accord, naturellement, car il ne s'agit pas de forcer qui que ce soit ; grâce à la pédagogie et à un important travail médico-social, nous pourrons convaincre les personnes porteuses du virus de s'isoler. Il faut donc absolument réactiver les hôtels : nous risquons d'en avoir besoin.
En ce qui concerne l'accueil en crèches, qui relève de la compétence exclusive de la commune, nous avons décidé d'assurer tout de suite l'accueil des enfants des personnels soignants, des agents municipaux de première ligne, ainsi que les enfants des travailleurs dits de la « deuxième ligne ».
Pour les écoles en revanche, pour lesquelles nous détenons une compétence conjointe avec le ministère de l'Éducation nationale, nous avons tenté d'adapter la doctrine retenue, selon laquelle n'étaient prioritaires que les enfants des personnels hospitaliers. J'étais personnellement convaincue que la réussite du déconfinement était conditionnée à une très large réouverture des classes, afin notamment que nos concitoyens puissent reprendre le travail. La solution retenue a emprunté aux deux visions, et je me félicite du travail mené en bonne intelligence avec le rectorat et les maires d'arrondissement.
M. Frédéric Bierry. - Fin mars et début avril, j'ai personnellement reçu des appels et témoignages de directeurs d'Ehpad m'affirmant qu'en cas de persistance des pénuries de masques, ils n'auraient pas d'autre choix que de faire valoir leur droit de retrait. Face au silence des pouvoirs publics les concernant, mon département a été contraint de construire une chaîne de solidarité autonome avec différents acteurs économiques. Ces actions, bricolées dans l'urgence, se sont composées d'achats sporadiques ou de montages de filières de production spécifiques. On a ainsi pu s'appuyer sur des chambres consulaires et quelques entreprises, dont la production a été intégralement absorbée par les commandes des départements et des intercommunalités ; ce réseau, toujours actif, nous permet d'envisager l'avenir avec davantage de sérénité qu'au plus fort de la crise.
Dans le prolongement des échanges que nous avons eus sur l'approfondissement nécessaire de la décentralisation, je constate que ce recours contraint au tissu économique local a dépassé le strict cadre des missions que la loi attribue aux départements. Pour autant, cette initiative a été plutôt conclusive car, en plus d'assurer l'équipement de personnels dépourvus de masques, elle a permis de soutenir la commande publique au sein de nos territoires et de mobiliser, dans le cadre de dispositifs d'insertion professionnelle, de jeunes couturiers qui n'avaient jusqu'alors pas la possibilité d'exercer.
Vous avez posé la question de la coopération internationale. En tant qu'élu d'un territoire frontalier, j'ai été, au début de la crise, confronté aux blocages qu'on opposait de part et d'autre à toute collaboration des acteurs transfrontaliers. Fort heureusement, ces blocages ont été progressivement levés, et les contacts entre nos deux ministres des Affaires étrangères ont permis l'accueil de patients français dans des hôpitaux allemands. J'ajoute que la compétence que nos voisins allemands reconnaissent aux maires dans la définition de l'offre hospitalière a permis de nouer des contacts à un niveau nettement plus pertinent.
Monsieur Lévrier nous a posé la question de l'opportunité d'un confinement plus précoce. J'avais eu moi-même le Premier ministre Edouard Philippe au téléphone pour plaider pour un confinement immédiat et large du monde économique. Il me paraissait aberrant que les possibilités de « télétravail » soient ouvertes aux « cols blancs », alors que certains « cols bleus » se voyaient contraints en pleine crise de se rendre sur leur lieu de travail. J'avais également alerté la ministre du travail Muriel Pénicaud sur les risques qu'engendrait cette dichotomie en termes de communication.
Madame de la Gontrie, les départements ne détiennent pas de compétence directe en matière de crèches et d'écoles. Nous avons cependant des liens privilégiés avec les assistantes maternelles, que nous avons pu équiper en masques.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Était-ce à votre initiative ?
M. Frédéric Bierry. - Oui, en partenariat avec la caisse d'allocations familiales (CAF). Cet exemple, entre autres, vous démontre l'agilité et la réactivité dont il nous a fallu faire preuve.
M. François Baroin. - Si l'on doit retenir un message fort de notre audition de ce matin, c'est celui que tous les maires de France, de la maire de Paris au maire de la plus petite commune, partagent depuis cette crise une même vision de la décentralisation. Leur front est plus uni que jamais, non pas contre l'État, mais dans une position sereine et raisonnable l'invitant d'une même voix à libérer de nouvelles compétences. Ce message semble avoir été entendu par le Gouvernement, mais en reste pour l'heure au stade des bonnes intentions.
L'expérience l'a heureusement montré : la levée du confinement a été une opération réussie grâce à l'étroite collaboration des maires. Sans cette souplesse territoriale, qui ne leur avait pas été accordée au moment du confinement, on aurait indéniablement couru à la catastrophe.
Dois-je vous faire la liste des sujets - tous cruciaux - profondément impactés par le confinement et qui relèvent tous de la compétence des maires ? Alors que s'ouvre un nouveau mandat municipal, nos concitoyens, dans cette période d'incertitude, n'ont jamais autant attendu de leur commune. Je ne retiendrai que l'exemple des transports publics, dont le modèle est à repenser entièrement et dont le financement, bizarrement assis sur la fréquence d'utilisation des usagers, a été profondément mis à mal par les décisions ministérielles liées au confinement. Les maires devront à l'avenir être associés à ces décisions.
Sur le maintien du premier tour des municipales, nous n'avons tous simplement jamais été consultés. La décision a été celle du Gouvernement seul et nous n'étions, comme la loi le prévoit, que les organisateurs du scrutin. Notre seul rôle a été de nous assurer que la circulaire Castaner, qui requérait que le vote se déroule en respect scrupuleux des mesures de protection sanitaire, soit matériellement appliquée. A ce titre, l'organisation de ce scrutin a préfiguré le modèle de la vie quotidienne des établissements recevant du public (ERP) telle que nous la connaissons encore aujourd'hui.
Autant nous n'avons pas contesté de ne pas participer à cette décision, autant nous aurions apprécié que le Gouvernement nous informe préalablement de l'annulation du second tour. Nous avons favorablement accueilli la date de son report, notre seule revendication étant que ce dernier ne soit pas confondu avec d'autres scrutins locaux à venir en 2021.
De façon plus générale, jusqu'au premier jour du confinement, nous n'avions accès à aucune information délivrée par le conseil scientifique. Les seules informations nous disposions nous étaient directement communiquées par le Gouvernement, une fois le conseil scientifique consulté. Aussi, je regrette de ne pouvoir vous répondre sur notre appréciation de l'opportunité du confinement, puisque nous n'avons pas été invités à donner notre opinion. Tout au long de cette crise, les maires ont été avant tout perçus comme des agents de l'État, ce qu'ils ne sont pourtant qu'en partie.
Madame de la Gontrie, nos contacts avec l'Éducation nationale ont été constants. Le sujet de la réouverture des écoles a été pour nous très compliqué, en raison du caractère obligatoire de la reprise des classes mais du caractère facultatif de la présence des élèves. Les premiers jours, les parents ne souhaitaient pas renvoyer leurs enfants dans les établissements, par inquiétude. J'ajoute que les parents les plus inquiets étaient bien souvent ceux habitant dans les quartiers les plus difficiles, ce qui nous expose encore aujourd'hui à des situations importantes de décrochage. A cet égard, la rentrée de septembre prochain sera plus que jamais un moment fondamental, et je crois que le ministère de l'Éducation nationale en est très conscient.
Bien qu'intéressante, l'idée du protocole Sport, Santé, Culture, Civisme (2S2C), qui offre aux élèves un programme d'activités compatible avec les nouveaux quotas de présence en classe maternelle et élémentaire, ne nous a pas paru devoir être diffusée sur un mode obligatoire. L'État assure en effet un forfait de 110 euros par jour et par atelier de 15 enfants maximum, alors que le coût moyen total de ce dispositif se situe autour de 270 euros. Les communes ne sont pas prêtes à se voir imposer ce complément de financement.
Mme Annie Guillemot. - On les comprend !
M. Alain Milon. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est levée à 13 h 00.