Jeudi 16 juillet 2020
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 8 h 40.
Production d'énergie dans le secteur agricole - Examen du rapport de Jean-Luc Fugit, député, et Roland Courteau, sénateur
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Bienvenue chers collègues. Merci de consacrer ce matin du temps au long terme, sur le sujet de la production d'énergie dans le secteur agricole. Nous nous retrouvons ainsi pour l'examen du rapport de nos collègues, Jean-Luc Fugit et Roland Courteau. Je vous prie de bien vouloir excuser Roland Courteau, qui ne peut être des nôtres ; nous avons une pensée pour lui.
Avant de céder la parole à Jean-Luc Fugit, je voudrais faire état d'une conversation que j'ai eue ce matin. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques est une formidable instance d'émulation intellectuelle entre députés et sénateurs pour approfondir certains sujets. Je regrette toutefois que l'articulation de notre travail avec celui des commissions de l'Assemblée nationale ou du Sénat soit un peu insuffisante.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pour beaucoup d'entre nous, cela a été une très grande satisfaction de voir le Sénat jouer un rôle d'émulation et de travail assidu, pendant la période de confinement. Sénateurs et sénatrices ont toujours été au rendez-vous, et nous avons mené une coopération remarquable.
Il y a effectivement un point noir dans l'articulation avec les commissions, nous devons poursuivre notre travail d'influence sur le reste du Parlement. Nous avons subi quelques revers récemment, en lien avec nos travaux sur l'épidémie de Covid-19, que nous ne pouvons laisser sans réaction.
À l'Assemblée nationale, nous avons tenu plusieurs sessions communes, très profitables, avec la commission des affaires économiques, grâce à la personnalité ouverte de Roland Lescure, son président. Nous devrons réfléchir à la manière de mieux valoriser notre travail.
Je regrette également l'absence de Roland Courteau, qui a démontré, sur de nombreux sujets, sa force de travail et son enthousiasme pour mieux articuler sujets scientifiques et travail parlementaire.
Le thème d'actualité qui nous réunit aujourd'hui est très important, et peut être examiné à travers différents angles : compétitivité économique, revenu pour les agriculteurs, stratégie de réduction des gaz à effet de serre. Nous devons être très attentifs à la compatibilité entre les différents objectifs.
M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur. - Nous sommes réunis en cette heure matinale pour examiner notre rapport sur la production d'énergie dans le secteur agricole. Nous proposons de l'intituler ainsi : L'agriculture face aux défis de la production d'énergie. Il fait suite à une saisine de la commission des affaires économiques du Sénat.
Je tiens à excuser notre collègue sénateur Roland Courteau, qui a été un co-rapporteur engagé et passionné par le sujet. J'ai été ravi de travailler avec lui, même s'il a dû malheureusement s'éloigner ces dernières semaines.
Ce sujet m'a passionné, en tant que fils de paysan, docteur et ingénieur en chimie. J'ai beaucoup d'admiration pour Lavoisier, et j'aime en particulier citer un extrait de son Traité élémentaire de chimie, dans lequel il écrivait en substance, en 1789, que rien ne se crée, rien ne se perd, mais que tout se transforme. Vous trouverez la citation complète au début du rapport.
Son hypothèse se retrouve dans le premier principe de la thermodynamique - j'ai eu le plaisir d'enseigner cette matière à l'université - qui pose que l'énergie ne se produit pas, mais se transforme, à travers des échanges avec l'extérieur, par transfert thermique - la chaleur - et/ou transfert mécanique - le travail.
La production d'énergie revient à transformer une forme d'énergie en une autre. Il en est de même dans le secteur agricole qui est à la croisée des enjeux climatiques et énergétiques, au moment où la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique appellent à renforcer le développement des énergies renouvelables et où l'agroécologie permet de penser les productions agricoles à la lumière des fonctionnalités offertes par les écosystèmes.
L'agriculture joue plus que jamais un rôle pivot, par l'intermédiaire de la production végétale et animale nécessaire à notre alimentation, de la moindre émission de gaz à effet de serre, du stockage du carbone dans les sols - un des axes prioritaires retenus par le Haut Conseil pour le climat, dans son dernier rapport en date du 8 juillet 2020 - du maintien, voire de la reconquête de la biodiversité, de la récupération des déchets, mais aussi de la production d'énergies renouvelables, car elle permet de mobiliser des terres et des matières premières nécessaires à la production d'électricité, de gaz, ou de carburants.
Ce n'est pas une question secondaire ou un enjeu conjoncturel, c'est un sujet majeur aux implications multiples pour l'environnement et le climat, pour ses conséquences en matière d'aménagement des territoires, d'organisation des filières et des exploitations agricoles, y compris sur un plan économique. Pour autant, les productions d'énergies renouvelables issues de notre agriculture ne suffiront pas à redessiner le mix énergétique national ou international, mais elles y contribuent et surtout vont de plus en plus y contribuer.
Les cultures alimentaires doivent toujours primer sur les cultures strictement énergétiques - même si les cultures alimentaires fournissent de l'énergie pour nos corps. Lorsqu'une même production peut avoir les deux usages, sa vocation alimentaire doit primer sur sa valorisation énergétique. La première fonction de l'agriculture doit demeurer celle de produire notre alimentation : l'énergie ne peut pas entrer en compétition avec cette dernière. Les solutions de développement conjoint des deux activités de production, alimentaire et énergétique, sont à développer, de façon concertée.
Le secteur agricole, avec un minimum de 50 000 exploitations concernées par la production d'énergie, assure déjà 20 % de la production d'énergies renouvelables, soit 3,5 % de la production nationale d'énergie : ce n'est pas négligeable. Certaines énergies sont davantage produites dans le secteur agricole : 96 % de la production nationale de biocarburants revient à l'agriculture, 26 % pour le biogaz, 13 % pour le solaire photovoltaïque... Selon les scénarios prospectifs de l'Agence de la transition écologique (Ademe), de NégaWatt ou encore de Solagro, cette production est amenée à croître de manière rapide à l'horizon de la neutralité carbone en 2050, et devrait être multipliée par trois.
Le rapport présente le détail de ces potentialités, énergie par énergie. Il montre dans quelle mesure la production d'énergies renouvelables dans le secteur agricole soulève plusieurs enjeux : des enjeux économiques, financiers, technologiques, d'acceptabilité sociale, de formation ou d'usage et d'accès aux terres agricoles.
Le rapport en dresse, pour la première fois dans un document de synthèse, le bilan en termes d'impacts environnementaux, de rendement, d'acceptabilité sociale et de perspectives technologiques. Il fournit aussi de manière inédite une comparaison internationale entre sept pays et récapitule les analyses existantes au niveau des institutions européennes.
Avant d'en arriver à nos propositions, je voudrais retenir trois sujets importants : le stockage de l'énergie est un enjeu décisif pour les sources d'énergie intermittentes telles que le photovoltaïque et l'éolien. Il nous reste à développer les techniques de stockage telles que les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), les batteries et surtout l'hydrogène.
La recherche autour des énergies renouvelables est nécessaire et de récentes innovations montrent l'intérêt croissant de certains couplages : solaire-éolien, méthanisation-méthanation ou encore cultures agricoles et énergie photovoltaïque à travers l'agrivoltaïsme, qui associe cultures agricoles et photovoltaïque sans concurrence démesurée pour l'utilisation des terres. De même, l'usage de nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle permet d'augmenter le rendement de chaque source d'énergie.
Le monde agricole a besoin de davantage de formation, de conseil et d'accompagnement afin de préparer au mieux les agriculteurs à opérer cette transition agroécologique, que beaucoup appellent de leurs voeux et qui est déjà une réalité... Certaines productions d'énergie, telles que la méthanisation, impliquent des connaissances et des savoir-faire qui doivent être renforcés, afin d'assurer une gestion efficiente des installations de production d'énergie.
Nos vingt propositions se répartissent en neuf propositions générales et onze sectorielles.
Nous proposons de concilier la politique énergétique française et ses implications pour le monde agricole avec nos objectifs de production alimentaire, de lutte contre l'artificialisation des sols, de stockage du carbone dans les sols, de maintien de la biodiversité et de santé publique, en assurant la priorité de la production alimentaire sur les autres objectifs, afin de prévenir les conflits d'usage.
Ensuite, il est important de clarifier notre stratégie énergétique nationale vis-à-vis du monde agricole et plus généralement, d'améliorer la cohérence interne de la politique énergétique de la France en matière de développement des énergies renouvelables, en renforçant le rôle du Parlement.
Nous avons besoin d'un travail transversal au niveau interministériel, ce qui implique de clarifier le portage politique de cette stratégie par le ministère de la transition écologique (MTE) et de sa direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, ce dernier devant être davantage associé à ce pilotage ; de dépasser les approches parfois restrictives en termes de périmètre ministériel au profit d'un travail interministériel véritablement transversal ; et de travailler autant que faire se peut dans une logique de projets, car seule une telle démarche permettra de faire évoluer - dans un sens pragmatique - la gouvernance de la politique énergétique en associant tous les acteurs concernés, à l'heure où coexistent de nombreuses instances de consultation. On pourrait ainsi imaginer pour le développement de la méthanisation une animation en mode projet, avec un chef de projet.
En outre, il faut renforcer le rôle du Parlement dans la définition et le contrôle de notre stratégie énergétique nationale.
Il faudra remplacer la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), publiée jusqu'à aujourd'hui par voie réglementaire, par une véritable loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, qui serait débattue dans chacune de nos assemblées et qui préciserait les objectifs filière par filière. Cette nouvelle PPE ainsi que la future stratégie nationale bas-carbone (SNBC) devront mieux tenir compte des enjeux de la production d'énergie dans le secteur agricole et de ses systèmes de production bas-carbone. La loi énergie-climat, du 8 novembre 2019, prévoit des lois sur la PPE à partir de 2023, mais qui resteraient concentrées sur des objectifs généraux. Nous proposons d'aller plus loin.
Nous recommandons de soutenir la recherche sur la production d'énergie dans le secteur agricole et d'encourager le financement de démarches innovantes, en dotant la stratégie de recherche en énergie d'un volet agricole. La construction de panneaux photovoltaïques « intelligents » innovants constitue par exemple une piste d'avenir.
Afin d'obtenir des données quantitatives et qualitatives concernant l'agriculture et son rôle dans la production d'énergie, nous recommandons d'assurer un suivi régulier et rigoureux de la production d'énergie dans le secteur agricole, en intégrant autant que possible les approches en termes d'analyses de cycle de vie (ACV). C'est une démarche exigeante, délicate à mettre en oeuvre, mais qui permettra d'évaluer les impacts environnementaux des modes de production, et d'en avoir un bilan complet.
Nous souhaitons favoriser la production d'énergie et sa consommation dans le secteur agricole à travers des incitations pour encourager l'attractivité des modèles d'affaires pour les agriculteurs et améliorer leur revenu, en adaptant les tarifs réglementés, les appels d'offres et les guichets ouverts, en utilisant le levier de la fiscalité agricole avec le rattachement au régime des bénéfices agricoles, et en levant certains freins réglementaires. Nous devons tout faire pour favoriser l'autoconsommation, la production et le revenu. Les premiers bénéficiaires doivent être les agriculteurs, producteurs de cette énergie.
Nous voulons déployer des projets de territoire pour la production d'énergie dans le secteur agricole, dans le cadre de la politique d'aménagement des territoires. Les projets doivent être intégrés aux territoires, avec des modèles d'affaires performants, adaptés aux territoires et aux divers systèmes agricoles, à l'aide d'une animation territoriale renforcée avec les acteurs locaux, les chambres d'agriculture et les organisations professionnelles représentatives du secteur agricole.
Afin de garantir un certain niveau de qualité des projets de production d'énergie, nous recommandons d'adopter une démarche de certification des projets conduits, par exemple sous la forme d'un label « Agroénergie », qui répondrait aux défis et aux risques identifiés dans le rapport. Le label viserait des projets qui permettent de prévenir les conflits d'usage - pour l'agrivoltaïsme, la méthanisation raisonnée..., de respecter la priorité de la production alimentaire, d'utiliser des ACV ou encore de s'inscrire dans une approche territorialisée.
Nous voulons améliorer l'offre de formation en matière de production d'énergie dans le secteur agricole, au niveau de la formation initiale - secondaire et supérieure - comme de la formation continue. Certaines formations doivent permettre l'apprentissage de compétences de haut niveau, y compris celles qui sont liées au montage et à la gestion des installations énergétiques. Des formations dédiées à la production d'énergie dans le secteur agricole permettront aussi des stratégies plus indépendantes et plus éclairées de la part des exploitants agricoles.
Afin de protéger le foncier agricole, peu disponible en France et victime de l'artificialisation des terres, notre dernière recommandation générale est de définir un nouveau cadre législatif, ce à quoi le Gouvernement s'est déjà engagé à plusieurs reprises depuis 2017. Pour nous, ce futur projet de loi sur le foncier agricole pourrait aussi être le vecteur d'une réforme du monde agricole dans le sens des orientations du présent rapport en faveur de l'agroécologie et de l'agroforesterie, dans une vision transversale et systémique des enjeux interdépendants de la santé, de l'énergie, de l'environnement et de l'agriculture. Une mission parlementaire sur le foncier agricole avait aussi émis des propositions. On pourrait facilement intégrer ces mesures dans un projet de loi pour faciliter les transmissions agricoles, lutter contre l'artificialisation des sols et aider les agriculteurs à répondre au défi de la production d'énergie.
J'en viens maintenant à nos onze propositions sectorielles.
Les propositions spécifiques à telle ou telle filière visent à développer par ordre d'importance - volume et potentialité - et de priorité : la méthanisation, qui permet de valoriser la partie fermentescible de la biomasse et des déchets, le photovoltaïque, l'éolien et les biocarburants. Les autres productions d'énergie issues du monde agricole sont de taille si négligeable - petite hydroélectricité, géothermie... - que nous n'avons pas formulé de propositions spécifiques, malgré leur intérêt.
Notre première proposition sectorielle est de développer de manière prioritaire la méthanisation, de la coupler le plus souvent possible à la méthanation, de mobiliser la biomasse au service de la bioéconomie et d'accroître les ambitions trop modestes de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sur le biogaz, ce qui est un objet de débats avec la DGEC comme vous le savez.
La méthanisation représente un mode de production d'énergie vertueux et majeur, à privilégier dans le monde agricole et qui lui est spécifique, à la différence de l'éolien, du solaire photovoltaïque ou du solaire thermique, qui consomment cependant des terres. Outre son rendement énergétique de bon niveau, la méthanisation bénéficie d'une proximité avec l'activité agricole et lui est complémentaire, sans induire, en règle générale, de risques de conflits d'usages. Elle favorise l'économie circulaire, avec le traitement des déchets fermentescibles, qui va devenir un sujet de premier plan avec l'obligation de la collecte des biodéchets dans les villes au plus tard le 31 décembre 2023. Actuellement, on ne peut imaginer se contenter de faire du compost avec de tels volumes. La méthanisation peut être une solution et la microméthanisation une réponse à l'échelle des quartiers urbains. Dans la mesure où la filière biogaz impose de valoriser la biomasse et les déchets fermentescibles, il y a toujours le risque d'induire des tensions sur les productions, voire de poser dans des cas rares de conflits d'usage ou de réduire le retour au sol de matière organique, essentiel pour le stockage du carbone. Il faut donc se donner les moyens d'accroître la biomasse.
Certaines solutions permettent de contourner ces difficultés et d'augmenter notre production de biomasse, à l'instar des cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE), mais aussi du recours plus systématique aux haies. Certaines cultures ont un intérêt particulier pour la production rapide de biomasse, à l'image du miscanthus.
Nous avons quatre propositions pour la méthanisation. Nous recommandons de défendre le droit à l'injection du biogaz et d'encourager le raccordement au réseau national de gaz des installations existantes et d'assurer la traçabilité des intrants dans les méthaniseurs pour garantir leur pouvoir méthanogène ainsi que la bonne qualité des digestats en vue de leur épandage. Il ne faut pas déstabiliser les systèmes vivants par l'épandage de matières plastiques ou de métaux lourds. À la sortie du méthaniseur, 55 à 60 % du gaz produit est constitué de méthane, le reste est du dioxyde de carbone et de l'ammoniac. Il faut donc éviter les fuites. Le méthane est un gaz qui émet 28 fois plus de gaz à effet de serre que le dioxyde de carbone, même s'il est moins important en volume. Le méthane participe à la formation de l'ozone dans l'atmosphère, et a des effets sur la respiration, les végétaux et même les rendements agricoles. Après des pics d'ozone de plusieurs semaines, on a pu observer une chute de 10 à 20 % des rendements agricoles. Les agriculteurs, comme nous tous, contribuent à la pollution et en sont aussi victimes. Nous sommes tous responsables et devons réfléchir à des solutions. Renforçons les contrôles.
Nous voulons organiser une vigilance sur la qualité des installations par un suivi régulier et recourir à des contrôles de sécurité ponctuels ; réduire les fuites indésirables de gaz lors de la méthanisation, notamment de méthane, de dioxyde de carbone et d'ammoniac ; et nous appelons à rehausser les limites des travaux de renforcement prévus par le compte d'affectation spéciale (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé). Il faut flécher davantage les crédits vers les énergies renouvelables dans les territoires. Les collectivités pourraient davantage aider les agriculteurs.
Sur le photovoltaïque, afin de créer une complémentarité entre les cultures alimentaires et la production d'énergie, nous recommandons d'utiliser le levier des seuils des appels d'offres et des guichets ouverts et de soutenir l'agrivoltaïsme, en vue d'éviter l'artificialisation des sols et recourir le plus possible aux technologies innovantes comme l'intelligence artificielle, ce qui est le cas des innovations d'agrivoltaïsme dynamique menées par les entreprises Sun'Agri de Sun'R, en coopération avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), d'Ombrea ou, encore, d'Akuo Energy. Dans un monde qui évolue très vite, il faut encadrer un minimum ces projets, très intéressants.
Nous appelons à engager une réflexion sur le soutien aux éoliennes terrestres et à veiller au respect de la règle de remise en état des terres à la suite des opérations de démantèlement. Cela fera largement débat, car ces projets ont été largement soutenus, mais il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.
Tirons les conséquences de l'abandon progressif des soutiens aux biocarburants de première génération et développons des technologies innovantes, par exemple en matière de biocarburants aéronautiques. Ce sera notamment l'objet du plan de relance.
J'en termine avec nos deux dernières propositions en matière de stockage d'énergie : nous recommandons de relever le défi du stockage de l'énergie, seul moyen à ce jour de résoudre le problème de l'intermittence des filières photovoltaïque et éolienne et de développer les technologies et les infrastructures de stockage d'énergie à travers le « power to gas » permettant de produire de l'hydrogène et/ou du méthane de synthèse, utilisable notamment par des piles à combustible. À la sortie du méthaniseur, il reste 40 % de dioxyde de carbone, qui n'est actuellement pas utilisé. Il pourrait être combiné avec de l'hydrogène pour former du méthane, réutilisé pour des mobilités locales. Un premier projet français est prévu en 2021. Il faut évidemment utiliser de l'hydrogène bas carbone, renouvelable, qui peut être produit par électrolyse de l'eau, énergie nucléaire, éolien, ou du photovoltaïque local, dans une logique d'économie circulaire du carbone. Vice-président du groupe d'études à l'Assemblée nationale sur l'hydrogène, j'estime que ce gaz est important pour la mobilité et le bâtiment.
Le Haut Conseil pour le climat propose dans son dernier rapport d'augmenter le stockage de carbone dans les sols, de recourir davantage aux protéines végétales et de développer encore plus les énergies renouvelables. Le secteur agricole peut y contribuer.
Il sera de plus en plus nécessaire, à la lumière de l'expérience de la pandémie de Covid-19, de repenser l'interdépendance entre notre microbiote intestinal, notre système immunitaire, notre alimentation, notre agriculture, notre politique de santé, les pollutions, la déforestation, l'artificialisation des sols, les atteintes à la biodiversité, le réchauffement climatique, la mondialisation et le développement des pandémies. C'est pourquoi le rapport plaide pour une vision transversale et systémique des enjeux interdépendants de la santé, de l'environnement et de l'agriculture. Le contexte actuel, avec le besoin d'accélérer la transition énergétique et de définir un plan de relance à la suite de la pandémie, offre une occasion à saisir. Un futur projet de loi sur le foncier agricole pourrait avantageusement être déposé et être le vecteur d'une réforme du monde agricole en intégrant certaines des propositions du rapport, allant dans le sens de ses orientations générales et de sa vision transversale et systémique des enjeux. De façon grandissante, notre agriculture devra se tourner vers l'agroécologie et vers l'agroforesterie, pour la protection des sols, mais aussi pour la biodiversité et la productivité des terres.
Tel est le bel avenir que nous souhaitons pour l'agriculture. Nous souhaitons une démarche de transition progressive et accompagnée.
Nous avons souhaité intituler notre rapport : L'agriculture face au défi de la production d'énergie. Le chemin est encore long, les travaux de l'Office restent trop méconnus, je suis tout à fait disposé à venir présenter nos propositions devant les commissions parlementaires, des deux assemblées bien entendu. Nous devons travailler dans le sens de l'intérêt général, donc sans exclusive - c'est ce qu'attend de nous le monde agricole. Les agriculteurs contribuent déjà beaucoup à la production d'énergie, ils iront bien plus loin si nous savons les accompagner, sans oublier que leur mission première est de produire des aliments.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Merci pour ce travail remarquable. Vous êtes partis du point de vue de l'exploitation agricole, comme le demandait la commission des affaires économiques du Sénat, à l'origine de ce rapport ; mais on aurait pu imaginer prendre une tout autre focale, en partant de l'espace terrestre, un bien rare, contraint, limité, et des systèmes d'exploitation qui transforment cet espace, dont l'agriculture à proprement parler. Votre approche - je ne la critique pas en le disant car j'y suis favorable - traite des sols agricoles cultivés, et pas du tout des autres usages des sols - au premier chef de la forêt, alors que la biomasse bois contribue pour beaucoup à la production énergétique. L'ensemble se tient puisque l'usage des sols au sens large dépend de la productivité des sols consacrés aux aliments. Je crois qu'il faudrait donc bien préciser, d'emblée, le champ que vous avez circonscrit pour cette étude, à savoir les seuls sols agricoles cultivés.
Une chose également à préciser : dans son rapport global à l'énergie, l'agriculture est-elle excédentaire, consommant moins d'énergie qu'elle n'en produit, ou déficitaire, consommant davantage qu'elle n'en produit ? Et par quelles voies, à quels facteurs doit-on ce bilan, positif ou négatif ? Quid, en particulier, du rôle des labours, des engrais, du glyphosate, et même, de la forêt ? Je considère, pour ma part, que la forêt est un stockage d'énergie, un outil d'amortissement conjoncturel, dans les espaces impropres ou peu propices à l'agriculture, par exemple les terrains trop pentus. Ces facteurs évoluent avec les techniques, d'ailleurs, on le voit dans le temps, avec l'abandon des terres qui demandent le plus d'énergie - trop d'énergie ? - pour être cultivées : la culture en terrasse a été ainsi abandonnée dans l'Ardèche ou le Massif central, car elle demandait trop de main-d'oeuvre, alors qu'avec les tracteurs les terres longtemps incultivables de la Champagne ont été rendues propres à l'agriculture.
Enfin, quelle place faites-vous aux déchets agricoles, je pense en particulier aux granulés biocombustibles et plus précisément aux agro-pellets ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je vous félicite également pour ce travail et rends hommage à la façon que vous avez eue de partir du territoire même. Nous savons la situation difficile de l'agriculture, son importance aussi : elle est le coeur battant de la refonte du modèle économique de l'alimentation, une source importante de souveraineté nationale, un acteur clé de la transition écologique, mais aussi, on le voit avec vos travaux, un acteur clé de la révolution énergétique, grâce à l'innovation. Vous montrez combien l'exploitant agricole peut bénéficier d'une politique innovante, au coeur des territoires, utilisant jusqu'aux toutes dernières innovations de l'intelligence artificielle - et il y a là des perspectives décisives pour valoriser le rôle de l'agriculteur.
À qui s'adresse le rapport, qui sera le garant de sa mise en oeuvre ? La question va bien au-delà de nos assemblées parlementaires, puisque bien des pistes esquissées passent par l'échelon européen : le développement des circuits courts, par exemple, appelle un renouvellement de la politique agricole commune (PAC), son articulation avec la politique énergétique. Il faut poser la question de la mise en oeuvre, notre Office a souvent été précurseur, on l'a vu sur la question des masques pendant la crise sanitaire - nous avions très largement alerté sur le risque sanitaire et la nécessité de constituer des réserves, en particulier de masques, alerte qui s'est littéralement perdue dans les méandres de l'administration, les ministres eux-mêmes ne sachant pas bien ce qu'il en était.
M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur. - Nous avons écarté la forêt et la filière bois en considérant que le sujet, très vaste, méritait une étude à part entière. Le bilan énergétique de l'agriculture, ensuite, est à l'équilibre : l'agriculture consomme autant d'énergie qu'elle en produit, c'est le seul secteur à avoir ce bilan équilibré. La notion de conservation des sols est intégrée dans les choix d'usage des sols, y compris quand l'exploitation passe par l'usage de pesticides.
Qui doit porter nos propositions, en être le garant ? Je crois que nous devons viser une transversalité, en passant d'abord par les ministères de l'agriculture et de la transition écologique, et éviter surtout que l'administration de Bercy n'ait seule la main.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Sur le rôle des pesticides et des engrais, je crois qu'il nous faudrait organiser une journée d'auditions spécifiques. J'ai eu récemment l'occasion de discuter avec Christian Huygue, directeur scientifique agriculture de l'Inrae, qui m'a parlé d'une centaine de recherches sur les façons de remplacer les produits de synthèse, en particulier les pesticides néonicotinoïdes. Une recherche néo-zélandaise cible une symbiose entre une céréale et un champignon, dont on trufferait les cultures pour repousser les insectes, sans les inconvénients des pesticides ; mais cette investigation a été écartée du territoire européen, car elle est apparentée aux recherches d'ordre biochimique, ce qui en a rendu les conditions impossibles, et notre réglementation n'est pas le moindre de nos problèmes...
M. Bruno Sido, sénateur. - Je partage l'avis de notre président : la lettre de saisine était un peu restrictive, car le bois représente tout de même 30 % de l'énergie renouvelable... Une question sur le bio-kérosène, dont vous faites mention dans votre rapport, sachant qu'une entreprise française sait produire du bio-kérosène à partir du bois, une technique qui, à partir de bois français, suffirait à remplir les réservoirs de tous les avions d'Air France : pourquoi ne pas avoir auditionné les responsables de cette entreprise ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Ma collègue députée Anne-Laure Cattelot s'apprête à publier un rapport parlementaire sur la forêt et le bois, où nous trouverons de quoi alimenter le débat.
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Je félicite le rapporteur pour ce travail approfondi. Je crois qu'il ne faut pas occulter un fait simple : nous avons besoin de lever certains freins administratifs, qui découragent bien des projets et des initiatives des agriculteurs. Il faut également composer avec les conflits d'usage du sol et les règles de la protection des sols, ce qui nécessite une approche territoriale, pour mobiliser les territoires. Une piste à creuser : la micro-méthanisation, sachant que bien des agriculteurs n'ont pas les surfaces suffisantes pour avoir une centrale de méthanisation - des solutions existent qui passent par la liquéfaction du gaz produit, c'est une piste pour développer la méthanisation.
M. Jérôme Bignon, sénateur. - Je lis dans la presse qu'un agriculteur de mon département vient de constater qu'en semant de l'avoine et des betteraves en même temps, il n'avait plus aucun puceron dans les betteraves une fois poussées - un producteur de lin a fait la même observation. Cet agriculteur, que je connais, cultive sans charrue depuis 2006, mais n'a rien d'un hurluberlu, comme certains pourraient vouloir le faire passer, c'est même un agriculteur plutôt prospère.
Il y a des méthodes simples, traditionnelles, pour capter le carbone, et donc limiter la pollution. Je l'ai constaté avec les zones humides. Dans le Doubs, la restauration d'un cours d'eau - le Drugeon - a restitué les tourbes, qui avaient été éradiquées par les pratiques agricoles modernes, et on a constaté alors combien les tourbes captent le carbone. Interrogez les grandes entreprises qui exploitent des sources minérales - par exemple Danone -, et voyez le soin avec lequel elles protègent leur tête de bassin contre la pollution ; que proposent-elles aux agriculteurs installés à proximité de ces têtes de bassin, dont la pureté est indispensable à ces marques ? De la méthanisation, preuve s'il en est que c'est un outil efficace...
Je profite de ma dernière participation aux réunions de l'Office - je ne me représente pas en septembre prochain - pour vous dire tout le plaisir que j'ai eu à travailler avec vous, pour vous remercier de cette alliance, qui préside aux travaux de cet Office, entre la bienveillance et l'intelligence.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Un grand merci à vous, cher collègue. Je dois céder la présidence au premier vice-président.
- Présidence de M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office -
Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente. - Merci pour ce rapport dont le sujet m'intéresse depuis longtemps. Les propositions que vous faites ne trouvent-elles pas leur place dans le plan de relance que le Gouvernement met en place au lendemain de la crise sanitaire ?
M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur. - Pour répondre à Bruno Sido, nous avons auditionné 153 personnes. Certes, l'entreprise évoquée produit du bio-kérosène et aurait effectivement pu avoir sa place, mais il nous a fallu limiter les auditions.
Un mot sur la qualité des sols selon les techniques de culture agricole utilisées, pour dire à quel point la question est plus complexe qu'on ne le croit souvent, en particulier quand on fait un lien mécanique entre labour et consommation d'énergie. J'ai eu l'occasion de comparer trois parcelles de maïs, l'une en culture traditionnelle, la deuxième en bio et la troisième en technique de conservation des sols, utilisant du glyphosate de façon très ponctuelle. J'ai examiné de près les trois sols à l'issue des cultures, tâchant de voir, à la structure, à la composition, lequel des trois s'en sortait le mieux. Le résultat, c'est que le sol en agriculture bio était bien plus tassé, du fait d'un nombre de passages plus grand de machines ou de pas, tandis que le sol qui a bénéficié de la technique de conservation des sols présente une structure plus aérée, ce qui est meilleur pour les orages, pour les micro-organismes, etc.
Nos vingt propositions peuvent nourrir le plan de relance - je préférerais, pour ma part, que l'on parle de plan de relance et de transition, car nous ne devons pas revenir au point de départ. Nous voulons professionnaliser davantage et mieux accompagner les demandes que la société adresse aux agriculteurs quand on parle d'énergie - par exemple avec la méthanisation pour les déchets agricoles, qu'il faut non seulement collecter, mais encore traiter. C'est tout un ensemble d'outils à mobiliser : économie circulaire, machines agricoles au biogaz, hydrogène, tous ces sujets sont liés, ils font partie de la relance et de la transition à condition d'être utilisés dans des projets de territoire.
Je rencontre le ministre de l'agriculture ce soir, je lui remettrai notre rapport, ainsi qu'à la nouvelle ministre de la transition écologique, qui, quand elle était députée et présidente de commission, m'avait dit son intérêt pour que nous venions présenter nos propositions devant sa commission. J'ai aussi l'intention d'offrir notre rapport à la DGEC, il faut qu'on évolue.
Notre Office ne pèse pas assez dans le débat public, malgré la grande qualité de ses travaux : il faut mieux les diffuser, faire que nos collègues nous lisent - je n'ai pas la solution concrète, mais je sais que c'est un enjeu important.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pour que les choses changent dans le débat public, il faut interpeller publiquement le Gouvernement. Je partage cette idée de revaloriser le rôle de notre Office, le contexte y est favorable. Ce rapport vient au bon moment, après la crise sanitaire, quand nous devons penser la souveraineté alimentaire, donner la primauté au territoire, à la transition écologique : nous allons nous employer à le faire connaître.
L'Office autorise à l'unanimité la publication du rapport sur l'agriculture face au défi de la production d'énergie.
La réunion est close à 10 h 15.