- Mercredi 10 juin 2020
- Audition de M. Éric Danon, ambassadeur de France en Israël (sera publiée ultérieurement)
- « La crise sanitaire, un défi géopolitique majeur pour l'Europe » - Examen du rapport d'information
- « Redonner du souffle au Service de santé des Armées » - Examen du rapport d'information
- « Désinformation, cyberattaques et cybermalveillance : l'autre guerre du Covid-19» - Examen du rapport d'information
- Situation au Venezuela - Audition de M. Romain Nadal, ambassadeur de France au Venezuela (en téléconférence) (sera publiée ultérieurement)
Mercredi 10 juin 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Éric Danon, ambassadeur de France en Israël (sera publiée ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
« La crise sanitaire, un défi géopolitique majeur pour l'Europe » - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon. - Mes chers collègues, nous en venons maintenant à l'approbation des 3 premiers de nos 6 « rapports de suivi » de la crise sanitaire.
Un mot sur la méthode : lors de sa réunion du 3 avril dernier, le Bureau de la commission a chargé les rapporteurs budgétaires, composés de binômes de la majorité et de l'opposition, de suivre leurs secteurs et d'en faire rapport sous la forme de communication écrites. Ceci pour permettre à la commission de continuer à contrôler l'action du gouvernement, et à suivre, malgré le confinement, les secteurs de compétence de la commission.
En plus des réunions de commission, qui se sont tenues en visioconférence, six « rapports de suivi » ont ainsi été élaborés :
- sur l'impact géopolitique de la crise pour l'Union Européenne ;
- sur l'impact de la crise sanitaire sur l'enseignement français à l'étranger ;
- sur le rapatriement des Français de passage à l'étranger pendant la crise sanitaire ;
- sur l'action du service de santé des armées pendant la crise sanitaire ;
- sur l'audiovisuel extérieur français face à la crise sanitaire ;
- sur la cybermenace pendant la crise sanitaire.
Ces communications écrites ont été envoyées par mail et par la boucle « Signal » aux membres de la commission, avant d'être mises en ligne sous le statut provisoire de « communications écrites ».
Je remercie d'ailleurs vivement les rapporteurs qui se sont mobilisés et qui ont travaillé pour la commission pendant cette période alors même que nous étions tous très sollicités au plan local.
En application des décisions du Bureau de la commission du 20 mai dernier, il revient donc à la commission de les ratifier pour en faire des rapports en bonne et due forme.
C'est ce que nous allons maintenant faire, pour trois rapports de suivi, les trois autres étant examinés la semaine prochaine.
Je demande aux rapporteurs de présenter très brièvement leur travail, pas plus de deux minutes, dans la mesure où chacun a pu déjà en prendre connaissance il y a plusieurs semaines !
Je donne d'abord la parole à : Joël Guerriau, Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret pour le rapport de suivi : « La crise sanitaire, un défi géopolitique majeur pour l'Europe ». Puis à Jean-Marie Bockel et Christine Prunaud pour leur rapport de suivi : « Redonner du souffle au Service de santé des Armées ».), puis à Olivier Cadic et Rachel Mazuir pour leur rapport de suivi : « Désinformation, cyberattaques et cybermalveillance : l'autre guerre du Covid 19 ».
M. Joël Guerriau. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous nous sommes rendus début mars, avec Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut, à la conférence interparlementaire sur la politique de sécurité et de défense commune qui s'est tenue à Zagreb, dans le cadre de la présidence croate de l'Union européenne. Nous devions rendre compte de cette conférence devant la commission fin mars mais le confinement nous en a empêchés. C'est pourquoi nous avons proposé cette communication écrite.
Paradoxalement, il n'a pas été question un seul instant du coronavirus lors des échanges avec nos homologues à Zagreb. La conférence a adopté des conclusions communes, pour la première fois depuis trois ans. Nous avons insisté, avec d'autres pays de la Méditerranée, sur la nécessité pour l'UE de contribuer davantage à la stabilité de son voisinage sud, notamment en Syrie, en Libye et au Sahel.
Quelques jours plus tard, l'épidémie montrait à quelle vitesse une crise majeure pouvait venir bouleverser tant le contexte géopolitique que notre environnement quotidien.
Dès la fin mars, nous avons vu que cette crise du coronavirus serait un accélérateur stratégique. Ce constat s'est depuis confirmé : la crise accentue la rivalité sino-américaine, qui éclate aujourd'hui au grand jour.
Elle met en évidence les divisions de l'Europe. Les traités européens imposent pourtant théoriquement un principe de solidarité.
Des mesures significatives ont été prises, dans le domaine des règles de discipline budgétaire et dans celui de la politique monétaire, respectivement par la Commission et par la Banque centrale européenne. La France et l'Allemagne ont proposé un plan de relance. Ce sont des avancées importantes, qui n'étaient pas acquises.
Mais force est de constater que la réponse unie, solidaire et massive des États européens, que nous avons appelée de nos voeux début avril, se fait toujours attendre.
Surtout, la pandémie doit conduire l'Europe à une réflexion de fond sur la notion essentielle d'autonomie stratégique.
Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut vont maintenant aborder cette question.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur le Président, mes chers collègues, la crise du coronavirus a en effet mis l'accent sur l'idée d'autonomie stratégique, qui ne fait plus guère débat, du moins en France. Les enjeux sanitaires ne doivent toutefois pas nous faire perdre de vue ceux de la défense européenne.
Nous avions été déçus de la proposition de la présidence finlandaise, fin 2019, réduisant de moitié le montant initialement envisagé pour le Fonds européen de la défense.
Où en est-on ? La Commission a publié une nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel le 27 mai, comprenant un plan de relance de 750 milliards d'euros. Ce CFP dote le FEDef de 8 Mds€ et la mobilité militaire d' 1,5 Md€ (contre près de 6 Mds€ dans la proposition initiale). La Facilité européenne de paix, qui doit servir à financer le volet opérationnel de la PSDC, est elle aussi en baisse.
Le risque est grand que la défense ne subisse encore des pressions dans la dernière phase de la négociation. Nous devons donc rester très attentifs, pour renforcer notre capacité à répondre aux crises de demain.
Il est également très préoccupant que la politique étrangère et de défense ne soit pas un sujet de négociation avec le gouvernement britannique, qui ne le souhaite pas. Or, comment envisager sérieusement d'avancer vers l'autonomie stratégique sans le Royaume-Uni ?
Je vois néanmoins deux facteurs d'optimisme pour la défense européenne, dans ce paysage en demi-teinte :
- D'une part, les ministres de la défense français, allemand, italien et espagnol ont récemment adressé au Haut Représentant, Josep Borrell, un message tendant à faire de la sécurité et de la défense une priorité absolue, ce qui démontre une prise de conscience collective. Le commissaire européen Thierry Breton y est également attentif.
- D'autre part, la réorientation, en 2019, des exportations françaises d'armement vers nos partenaires européens est un signe de vitalité des partenariats stratégiques. Or ceux-ci ont un rôle essentiel à jouer dans la construction d'une défense européenne. Nous l'avions montré l'an dernier dans notre rapport sur le sujet, avec Ronan Le Gleut à qui je laisse maintenant la parole.
M. Ronan Le Gleut. - Monsieur le Président, mes chers collègues, la notion d'autonomie stratégique doit devenir notre boussole collective. C'est vrai pour la défense, qui a permis l'émergence de cette notion à l'initiative de la France, sous l'oeil au départ dubitatif de nos partenaires. Mais c'est vrai aussi dans tous les domaines de production stratégiques.
Il est apparu évident, lors de la phase critique de l'épidémie, que les États les plus affectés ne pouvaient pas répondre seuls à l'ensemble des défis. Mais, et c'est plus inquiétant, nous ne sommes pas non plus parvenus à apporter toutes ces réponses collectivement.
Que ce soit en matière sanitaire ou dans d'autres secteurs d'importance vitale tels que l'alimentation, l'énergie, les télécommunications, notre continent ne peut se permettre d'être dépendant, et encore moins d'être, le cas échéant, dépendant d'un seul pays. C'est l'un des enseignements majeurs de cette crise du coronavirus.
Dépassant la problématique légitime de la relance, la Commission européenne a introduit, dans le prochain cadre financier pluriannuel, la notion de résilience. L'accent doit notamment être mis sur l'investissement dans la recherche et l'innovation dans le domaine médical, grâce à un programme spécifique. La coordination entre États européens dans la gestion des crises doit être améliorée.
Au-delà de cette réponse immédiate, nous avons préconisé dans notre communication une réflexion de fond sur la notion de production stratégique.
Une démarche méthodique d'identification des domaines dans lesquels l'Union européenne peut contribuer à la souveraineté de ses États membres doit être entreprise. Une forme de « revue stratégique » est nécessaire.
Enfin, l'Union européenne et ses États membres doivent aussi mieux communiquer sur leurs réalisations. Tandis que l'Europe agissait discrètement, les Chinois et les Russes ont mis en scène leurs actions de façon beaucoup plus spectaculaire. L'Union européenne ne doit pas craindre de développer une politique d'influence, conforme à ses valeurs et complémentaire des politiques d'influence de ses États membres.
Je vous remercie.
La commission autorise la publication du rapport d'information, adopté à l'unanimité.
« Redonner du souffle au Service de santé des Armées » - Examen du rapport d'information
Mme Christine Prunaud, rapporteure. - Nous le soulignons depuis des années, le service de santé des armées (SSA) a été l'éternel sacrifié des mesures successives d'économie appliquées au budget de la défense. Il a subi de plein fouet d'abord la révision générale des politiques publiques, puis les réductions de personnel dites « déflations » des précédentes lois de programmation militaires (LPM). La fermeture de l'hôpital du Val-de-Grâce, véritable traumatisme, a symbolisé toute l'ampleur du plan de réforme « SSA 2020 » mis en place pour s'adapter à l'attrition des moyens.
Avec moins de 15 000 personnes, et 1,4 milliard d'euros de budget, le SSA a perdu 1 600 postes en 5 ans. Il manque d'au moins 100 médecins et ne « tourne » aujourd'hui que grâce à ses 3 000 réservistes pour assurer ses missions auprès des 31 000 militaires en opérations sur les théâtres extérieurs.
Un véritable effet de ciseaux que nous avons déjà dénoncé s'est mis en place : la diminution des moyens a été concomitante à l'intensification des missions en OPEX d'une part, avec à partir de 2013 l'engagement au Sahel, et en OPINT d'autre part, avec à partir de 2015, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT), conséquence des attentats sur le territoire national.
Ce sont les personnels déjà sur-engagés du SSA qui ont dû faire face, avec un taux de projection des équipes médicales de 106 % et de 200 % pour les équipes chirurgicales.
C'est dans ces conditions et alors qu'il ne représente que 1 % de l'offre de soins en France, que le SSA a mis ses compétences au service de la Nation sans se détourner de sa mission première : le soutien médical des forces armées.
Face à la pandémie, le SSA a donc fourni, à la mesure de ses moyens, une contribution significative à l'opération « Résilience », en mobilisant toutes ses composantes au service de la santé de nos concitoyens. Il a ainsi inventé et déployé en 7 jours un hôpital de réanimation de campagne à Mulhouse puis à Mayotte. Rappelons qu'à Mulhouse, le SSA a fourni l'équivalent de 600 jours d'hospitalisation ! Il a également mis en oeuvre un « service de réanimation volant » (Morphée) pour la première fois sur le territoire national prenant en charge non des patients blessés mais des malades hautement infectieux. Si l'on doit saluer la réactivité du SSA, son inventivité visait d'abord à pallier un manque cruel : en effet, l'« hôpital de campagne » dont le SSA devrait être pourvu, en application de la LPM, n'est toujours pas disponible faute de moyens budgétaires suffisants.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Je vais pour ma part insister sur les moyens et le rôle du SSA.
Face à la tension extrême sur ses moyens, le SSA est aujourd'hui proche d'un point de rupture. Ses moyens et son rôle doivent être renforcés à l'occasion de l'actualisation de la LPM en 2021.
La LPM 2019-2025 a prévu l'arrêt de la déflation des effectifs du SSA, puis leur stabilisation jusqu'en 2023, et enfin leur remontée, modérée, au-delà. Cela paraît insuffisant. Si la revue stratégique a bien pointé le risque d'une crise pandémique, les chiches moyens accordés par la loi de programmation militaire au SSA montrent que les conséquences n'en ont pas réellement été tirées.
D'autres mesures doivent être envisagées pour permettre de fidéliser des personnels sur-engagés et attirer des personnels civils en attendant la formation des futurs médecins militaires dont le nombre doit être revu à l'aune des besoins. L'actualisation de la LPM l'année prochaine sera le moment de calibrer la rénovation du SSA.
Enfin, face à la crise sanitaire qui a frappé le porte-avions, le forçant à rentrer à Toulon, le rôle du SSA de conseil du commandement militaire, et l'organisation de la remontée d'information en son sein, doivent aussi sans doute être réexaminés.
Devant notre commission le 12 mai dernier, la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, Mme Geneviève Darrieussecq, a déclaré que « la transmission de l'information s'est avérée difficile (...) et nous devons l'améliorer. Nous avons aussi besoin de regards croisés pour prendre les décisions les plus adaptées. Les remontées d'informations ont été insuffisantes pendant quarante-huit heures, ce qui a favorisé la diffusion de l'épidémie. »
Le rôle de conseil du SSA doit donc être repensé à la faveur de cette expérience, afin qu'en des circonstances particulières, telles que celles que nous connaissons actuellement, son rôle de conseil puisse être renforcé, en veillant naturellement à l'articuler avec l'impératif d'autonomie et de responsabilité du principe de commandement. Sans remettre en cause cette responsabilité du commandement, en charge des opérations, des procédures complémentaires, permettant un « regard croisé » ou un « travail en plateau », évoqués par la ministre devant la commission, pourraient permettre d'éclairer davantage le commandement sur la conduite des opérations dans un cadre aussi exceptionnel que celui d'une pandémie mondiale.
Nous devrons être très attentifs aux propositions que l'Etat-major doit faire à la ministre en ce sens.
M. Bruno Sido. - Je voudrais remercier nos deux rapporteurs pour leur rapport particulièrement intéressant sur lequel j'ai deux questions. Vous expliquez que la féminisation du corps médical pose certains défis, je voudrais savoir lesquels.
Ma deuxième question, qui demandera peut-être plus d'approfondissement, porte sur la crise du coronavirus sur le Charles-de-Gaulle. J'ai lu très attentivement les conclusions des deux rapports du Ministère des armées qui, de façon problématique, apportent peu d'éléments. On y emploie des expressions : « le commandement », qui n'ont pas cours dans les armées, surtout dans la Marine nationale, qui est très structurée. Il y a un commandant qui sait tout, qui signe tout. Cette affaire de covid-19 sur le Charles-de-Gaulle est une catastrophe opérationnelle et nous n'en connaissons pas les responsabilités. Je crois savoir qu'il y avait sept médecins à bord du Charles-de-Gaulle, pour un équipage de 7 000 membres jeunes et en bonne santé. C'est beaucoup plus encadré que dans nos milieux ruraux où nous avons un médecin pour 2 000 personnes vieillissantes. Dans ces médecins il y a des réservistes, c'est-à-dire des civils en uniforme qui connaissent parfaitement cette question de covid-19, si on peut penser que les médecins militaires avaient autre chose à penser. On ne me fera pas croire que le Service de Santé des Armés n'a pas prévenu le commandant qu'il y avait un problème, que le commandant n'a pas prévenu son supérieur direct qui était à bord, l'amiral, qui lui-même n'a pas prévenu le Chef d'Etat-major des Armées et le Chef d'Etat-major de la Marine puisque de toute façon, tout message qui part d'un bateau est envoyé en copie au Ministère des armées et au Chef d'Etat-major de la Marine. Par conséquent, je voudrais savoir quel est le rôle du SSA dans cette crise majeure sur le porte-avions.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Je ne suis pas l'avocat de la Marine ni du commandement et d'ailleurs lors des auditions nos questions étaient assez directes sur ces sujets. Je voudrais néanmoins que nous ayons à l'esprit que les faits et réactions à ces faits se sont déroulés dans un contexte qui n'est pas celui d'aujourd'hui. La question n'est, à certains moments, pas d'avoir l'information, de voir arriver les documents, mais d'avoir la capacité, au vu des informations dont on dispose à un moment donné, de l'interpréter et d'en tirer des enseignements. Aujourd'hui, cela nous paraît évident, mais sur le moment cela ne l'a pas forcément été. Je reprends l'expression du ministère après l'enquête de commandement qui parle d'« erreur d'appréciation » mais pas de « faute ». On ne peut pas, de mon point de vue, considérer que le Ministère et le commandement ont fait preuve après coup de langue de bois. Ils ont essayé d'être honnêtes dans la compréhension de ce qu'il s'est passé. La chaîne de commandement a été, comme beaucoup d'autorités civiles et militaires dans un contexte donné, dans un entre-deux où la compréhension a été difficile. D'où d'ailleurs, nos propositions sur le rôle renforcé du SSA, non pour se substituer au commandement, mais pour être davantage dans la boucle, de manière que, en temps réel, il puisse y avoir les bonnes réactions au bon moment.
Pour ce qui est de la féminisation, c'est la question de la compatibilité des contraintes militaires avec les vies de famille, ou encore de la maternité, ce qui nous ramène en réalité à la question des effectifs. Ce sont des choses qui s'anticipent en termes d'effectifs globaux, permettant d'assumer cette dimension heureuse de la féminisation.
Mme Christine Prunaud, rapporteure. - Concernant la féminisation, il y a les arrêts liés à la maternité certes, mais le problème est en fait celui du manque de médecins. Pour y faire face, le SSA a recours à un nombre élevé de réservistes, comme nous l'avons rappelé. Pour les femmes comme pour les hommes, cela constitue des difficultés de travail du fait d'une pression constante, dont nous sommes peut-être moins conscients par rapport à celle que subit la médecine publique de nos hôpitaux. Le problème se situe également au niveau de la rémunération.
M. Jean-Marc Todeschini. - Je ne pouvais pas ne pas intervenir. Les choses sont claires. Nous avons assisté à une protection totale de la Ministre, qui s'est protégée dans toutes ses interventions. Il y a eu des modifications sous le gouvernement Hollande et il est très clair qu'en haut de la chaîne de commandement, c'est désormais la Ministre et personne d'autre. Ce n'est pas le chef d'état-major de la Marine, qui va peut-être payer les pots cassés. Je pense qu'il y a eu à ce niveau-là une communication et que celle-ci a fonctionné. Je pense qu'il y a des choses que nous ne savons pas et que nous saurons peut-être un jour. Il est vrai que de nombreux médecins étaient présents à bord. Je ne peux croire que le Chef d'Etat-major de la Marine ne soit pas informé immédiatement. Le Chef d'Etat-major particulier du Président de la République, je le rappelle, est un amiral et est l'ancien chef d'état-major de la Marine. Le directeur du cabinet militaire de la Ministre est un vice-amiral. De plus, le cabinet compte un conseiller santé. Comment est-ce possible que les informations ne leur soient pas remontées ? Je crois qu'il y a eu une faille. Le service de santé des armées a dû être avisé et faire son travail. Nous aurions dû immédiatement ramener le Charles-de-Gaulle à quai. Cela dit clairement pour l'avenir, que si nous ne réglons pas les problèmes de pandémie, si nous n'avons pas une reformulation totale de la sécurité à bord des navires, il ne servira à rien de faire un nouveau porte-avions. D'ailleurs le porte-avions sera peut-être inutile au moment où il faudra le changer puisque nous aurons peut-être un autre type de guerre.
M. Bernard Cazeau. - J'ai fait moi-même mon service dans la Marine et je connais bien la responsabilité des médecins dans la Marine. Il y avait sept médecins sur ce porte-avions, certainement de haut niveau. Je pense que la responsabilité leur incombait auprès du commandant de prendre des décisions plus rapides que celles qui l'ont été. La responsabilité n'a pas été peut-être suffisamment comprise sur quelque chose de tout à fait nouveau qu'a été le covid-19, par une équipe médicale qui n'a pas su faire preuve de la force du médecin dans un diagnostic, y compris sur un bateau.
Le rapport est adopté à l'unanimité.
« Désinformation, cyberattaques et cybermalveillance : l'autre guerre du Covid-19» - Examen du rapport d'information
M. Olivier Cadic. - La commission nous a demandé de suivre l'évolution des cybermenaces dans le contexte de la crise sanitaire et des mesures de confinement qui en ont été les conséquences. Nous vous avons transmis le document intitulé « Désinformation, cyberattaques et cybermalveillance : l'autre guerre du covid-19 ». Rachel Mazuir interviendra sur les deux premiers aspects. Je vais, pour ma part, traiter la désinformation qui nous a conduit à recommander de mettre en place une force de réaction cyber afin de lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers.
La crise sanitaire a vu se multiplier la diffusion des fausses informations, dans le climat propice d'isolement et de grande anxiété. Celles-ci relèvent majoritairement de la bêtise ordinaire, mais peuvent avoir des conséquences graves, lorsqu'elles touchent à la santé publique, au complotisme, voire à la fraude. D'autres procèdent d'intentions malveillantes visant à déstabiliser l'action publique ou à développer des stratégies d'influence.
La situation est suivie au niveau interministériel. Les autorités publiques ont mis en place une stratégie de réponse et d'entrave.
Dans un système démocratique libéral, la stratégie distingue ce qui relève de la liberté d'opinion des fausses informations diffusées plus ou moins intentionnellement et vise à responsabiliser des diffuseurs, voire à mettre en place un encadrement juridique.
Pour le traitement des infox concernant la santé publique, le dialogue avec les principales plateformes, a permis de retirer les fausses nouvelles ou de promouvoir l'information crédible. Nos autorités ont soutenu aussi les initiatives prises par certains médias et ONG pour identifier et dénoncer les fausses informations en mettant des outils à la disposition des chercheurs et des journalistes.
Plus inquiétant, nous avons assisté au développement d'une stratégie d'influence particulièrement active de la Chine, sur internet et les réseaux sociaux. Le gouvernement chinois a cherché à occulter ses erreurs dans la gestion initiale de l'épidémie, sous un « narratif » vantant l'efficacité du modèle chinois et sa générosité au service des autres États pour surmonter la crise. Les autorités chinoises sont allées jusqu'à la diffusion fréquente de fausses informations, tronquées ou manipulées. Cela a conduit le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères à convoquer l'ambassadeur de Chine pour lui signifier sa désapprobation. Nous constatons que l'ambassade de Chine n'a pas retiré ces informations de son site dont certaines constituent des attaques directes envers des collègues parlementaires.
Suite à la communication de notre rapport, des représentants religieux nous ont également alertés sur les désinformations qui les ont atteints. Pour information le régime communiste chinois ne s'en prend pas qu'aux Ouïghours musulmans, il a fermé l'année dernière plus de 5 500 églises et institutions religieuses chrétiennes.
Il est clair qu'une guerre de la communication a été enclenchée, destinée à réécrire l'histoire et à dénigrer les démocraties. Une reconfiguration du paysage géopolitique de l'après-crise se prépare. Dans cette bataille des opinions, les démocraties européennes ne doivent pas se montrer naïves. Elles doivent au contraire accroître la défense et la promotion de leurs valeurs en renforçant leur vigilance et en se dotant d'instruments efficaces.
Voilà pourquoi nous avons recommandé la mise en place une force de réaction cyber afin lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence d'états totalitaires ou autoritaires qui s'en prennent aux démocraties et relativisent l'intérêt du respect des droits de l'Homme. Cela nous a valu un fort intérêt, manifesté par les médias mais aussi par les experts. Nous souhaiterions pouvoir poursuivre nos travaux sur cette question afin de préciser les contours de cette force, qui de notre point de vue, doit aller au-delà des réponses étatiques conventionnelles pour être efficace.
M. Rachel Mazuir. - Dans notre dernier rapport nous avions noté la fragilité de la sécurité des systèmes d'information du ministère de la santé et de ses opérateurs qui ont subi 18 attaques en 2019. On se souvient de celle visant le CHU de Rouen en novembre. Sous contrainte budgétaire, le développement des applications a été privilégié à la sécurité laissant les établissements à la merci d'attaquants pour lesquelles les entités, dont la rupture d'activité aurait un impact social important, sont des cibles intéressantes et faciles.
Plusieurs groupes de hackers ont indiqué qu'ils suspendaient leurs attaques contre les établissements de santé pendant la crise. Pour autant, l'ANSSI a relevé des attaques contre l'AP-HP (Paris) et contre l'AP-HM (Marseille) sans grands dommages, il faut le reconnaître, et une attaque par rançongiciel contre l'établissement public de santé de Lomagne (Gers) cher à notre collègue Raymond Vall. Enfin des attaques, ont perturbé certains services publics locaux (région de Marseille, communes du Morbihan).
Depuis l'automne dernier, l'ANSSI a développé une procédure d'intervention d'urgence dans les CHU mais elle a dû la suspendre car les DSI étaient totalement mobilisées pour assurer le fonctionnement des installations nécessaires à la lutte contre le Covid 19.
Pendant la crise, l'ANSSI a aussi renforcé sa vigilance sur les secteurs périphériques impliqués dans la fabrication de produits (masques....) ou la recherche (tests, vaccins, médicaments).
Parallèlement, l'entrée massive et rapide dans le « tout digital » a accru l'exposition aux attaques. En quelques jours, 8 millions de Français ont basculé la totalité de leur activité en télétravail, contre 5,2 millions qui y avaient recours plus ou moins partiellement. Rares sont les organisations qui avaient pu anticiper un basculement de cette ampleur qui a souvent été effectué avec les moyens du bord. La sécurité informatique a été sacrifiée à l'efficacité immédiate. De la même façon, les mesures de confinement ont conduit à un développement important de l'usage de l'internet et des réseaux sociaux pour toutes sortes d'activités (enseignement à distance, usages culturels, relations personnelles). Selon le PDG d'Orange, rien qu'en France, le télétravail a été multiplié par 7, les visioconférences par 2, et le trafic WhatsApp par 5.
De façon générale, les cyberattaquants exploitent l'inquiétude. Très vite, une explosion de la petite criminalité - les grandes entreprises elles étaient déjà protégées, et des opérations d'hameçonnage a été observée. Des sites de vente en ligne, plus ou moins fictifs, proposant médicaments, masques, et autres produits de santé se sont multiplié ; certains ayant pour objectif, de récupérer des numéros de cartes bancaires. Des alertes identiques ont été lancées par les agences américaine et britannique de cybersécurité.
Puis, avec un léger décalage, le GIP ACYMA a assisté à une croissance d'attaques effectives, notamment par « rançongiciels ». Il s'attend à une vague plus importante avec des risques de paralysie des systèmes informatiques de PME, qui souvent sont peu protégées et ont déjà été éprouvées par la crise.
L'ANSSI analyse, sur la base de signaux faibles, que les actions d'espionnage progressent. Les effets n'en seront perçus que dans plusieurs mois. Cette hypothèse est confirmée par une étude du groupe Thalès sur la situation en Asie.
Nous avons pu constater lors de nos auditions que les acteurs publics concernés étaient pleinement mobilisés.
Toutefois, nous pensons qu'il faut amplifier l'effort de communication pour diffuser les « gestes barrière numériques » et, pour ce faire, renforcer des moyens du GIP ACYMA. Le directeur général de la plateforme, qui a relayé largement notre rapport, nous a indiqué avoir pu, grâce à cette recommandation, obtenir de France Télévisions des espaces publicitaires gratuits pour diffuser ses messages de vigilance.
A plus long terme, il faut s'engager vers le renforcement par chaque entreprise des budgets réservés à la sécurité informatique.
Enfin, les outils d'entrave et de répression de la cybercriminalité doivent être simplifiés ; l'unification de la chaîne de recueil et de traitement des plaintes en ligne est nécessaire. Je ferai un commentaire personnel : depuis le temps que nous écrivons des rapports, vous devez avoir l'impression que nous faisons beaucoup de constats. Nous faisons le constat que l'ANSSI est un excellent gendarme mais ce n'est, à mon avis, pas suffisant. Il va falloir développer une autre façon de faire avec des propositions plus offensives. On ne peut pas continuer à jouer aux gendarmes, j'ai le sentiment qu'il faudrait aller au-delà.
M. Christian Cambon, président. - Notre collègue Michel Boutant fait également un travail important sur ce sujet. Je pense qu'aucune institution n'était prête à faire face à la crise covid-19, qui était certes inattendue mais qui aurait pu être précédée ou suivie d'une autre crise - je pense à un incident nucléaire majeur en région parisienne, par exemple, empêchant les pouvoirs publics parisiens de travailler. Nous avons dû inventer un nouveau système de télétravail, avec des difficultés, sur la qualité des transmissions par exemple. Il est nécessaire que l'on s'attache à cette question et que l'on protège notamment les parlementaires et les informations qu'ils manient. La dématérialisation systématique comporte des dangers pour les entreprises également. On peut penser aux sous-traitants auprès de nos grands groupes d'industrie de défense avec qui les échanges d'informations vont s'intensifier du fait des nouvelles règles de téléconférence. Il y a donc une sensibilité sur les secrets industriels, les savoir-faire et les bonnes pratiques.
Je rappelle la décision du Bureau de la commission d'inclure, pour l'ensemble des différents programmes budgétaires que suit la commission, une vigilance particulière sur les conséquences à tirer de la crise du Covid-19. Cette crise va changer très profondément nos manières de penser et nos manières de travailler.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Pensez-vous qu'il y ait une prise de conscience collective sur la situation que vous avez décrite, qui est inquiétante à tous les niveaux ? Cette menace cyber est existentielle pour notre démocratie puisqu'elle peut aller - et nous en savons quelque chose avec l'utilisation du vote électronique pour les français de l'étranger-, jusqu'à la remise en cause de la sincérité d'un scrutin qui peut être altéré si un système est hacké. Deuxième question, nous avons tous déploré ne pas avoir accès à un système européen et encore moins français avec la possibilité de partages de données protégées des puissances étrangères. Avez-vous le sentiment qu'il y ait une volonté d'aider au développement de tels outils en France ou au niveau européen ? Jusqu'à présent nous avons davantage été dans la réaction que dans la prévention, nous laissant un temps de retard qui nous expose.
M. Olivier Cadic. - Oui, la prise de conscience de la menace est de plus en plus forte. La plateforme cybermalveillance.gouv.com est un outil important. Des personnes qui ne sont pas conscientes au départ de la menace, peuvent être dévalisées sans sortir de chez elles et ne pas savoir vers quelle institution se tourner. De nouveaux réflexes se mettent en place. Le site cybermalveillance.gouv.com délivre l'information pour chacun puisse savoir comment réagir, notamment comment déposer sa plainte. Nous avons été heureux qu'à la suite de ce rapport, le site cybermalveillance ait pu avoir des espaces publicitaires gratuits sur France Télévision.
Le besoin d'un outil souverain est fort. Dès que nous avons publié notre rapport, des experts nous ont contactés pour nous signifier leur plein accord avec cette analyse. La difficulté tient à sa mise en oeuvre car la force de réaction cyber existe dans le domaine militaire mais nous ne sommes pas armés dans le domaine civil. C'est la démocratie au sens large qui est attaquée et nous ne pouvons donc faire un outil uniquement gouvernemental. Le gouvernement tout seul ne peut pas répondre à tout. Le Parlement peut se saisir de ce dossier et réfléchir aux contours de cette force afin de formuler des propositions.
M. Rachel Mazuir. - Il y a des progrès autour d'un coeur de gens qui s'intéressent au sujet mais cela n'est pas encore tout à fait passé dans le grand public. Le site cybermalveillance a néanmoins vu sa fréquentation exploser, ce qui nous satisfait.
M. Christian Cambon, président. - Soyons aussi attentifs à nos propres comportements.
M. Robert del Picchia. - L'introduction de la 5G va avoir des conséquences en matière de cybersécurité et pourrait potentiellement introduire de nouvelles vulnérabilités. Monaco a déjà accepté la 5G et d'autres pays pourraient franchir le pas. L'Etat va en débattre et nous devrions en débattre aussi.
M. Pascal Allizard. - J'adhère complètement aux propos de Robert del Picchia. Je voudrais simplement rappeler qu'il était convenu dans le texte 5G que nous avons voté ici, il y a un an, au mois de juin, une clause de revoyure. L'objectif était de maîtriser le déploiement de la 5G. Les Européens doivent rattraper leur retard technologique. Nous avions décidé qu'il faudrait retravailler ce texte 18 à 24 mois après. Notre commission pourrait prendre l'initiative sur le sujet.
M. Christian Cambon, président. - Tout à fait !
M. Gilbert Roger. - Je voudrais rappeler à nos rapporteurs le peu d'enthousiasme de nos opérateurs à installer la fibre dans toutes les communes de France. Or nous avons vu notre dépendance à ces installations.
Le rapport est adopté à l'unanimité.
La réunion est close à 11 h 55.
La réunion est ouverte à 17 heures.
Situation au Venezuela - Audition de M. Romain Nadal, ambassadeur de France au Venezuela (en téléconférence) (sera publiée ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 18 h 45.